DATAINTRO SOFTWARE LIMITED


DATAINTRO SOFTWARE LIMITED
Dossier no PR-2010-077

Décision prise
le mercredi 1er décembre 2010

Décision et motifs rendus
le mardi 14 décembre 2010


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47

PAR

DATAINTRO SOFTWARE LIMITED

CONTRE

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur décide de ne pas enquêter sur la plainte.

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 , tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 2 , déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

2. La plainte porte sur un marché public (invitation no 1000280473) passé par l’Agence du revenu du Canada (ARC) en vue de la fourniture de logiciels de codes à barres. L’exigence du marché en matière de solution logicielle comprend ce qui suit : toutes les licences et logiciels requis pour répondre aux exigences du produit de génération de codes à barres « Macro PDF417 », y compris une garantie de 12 mois assortie de services d’entretien et de soutien, des services d’entretien et de soutien pour les quatre années suivantes et une copie électronique de toute la documentation. En plus des exigences formelles ci-dessus, les soumissionnaires devaient offrir les options suivantes : l’option d’acheter des licences et des formulaires supplémentaires, l’option de retenir des services d’entretien et de soutien pour les licences supplémentaires achetées, l’option de retenir des services de formation, l’option d’obtenir certains services professionnels et l’option d’acheter une licence d’entité.

3. Dataintro Software Limited (Dataintro) allègue que l’ARC a incorrectement adjugé un contrat à un soumissionnaire non conforme. Plus précisément, elle allègue que l’ARC aurait dû conclure que le soumissionnaire retenu n’était pas conforme aux modalités de l’invitation en raison d’une atteinte aux droits de propriété intellectuelle de tierces parties. À cet égard, Dataintro fait référence à une clause uniformisée d’achat incorporée aux documents d’invitation selon laquelle « [l]’entrepreneur déclare et garantit qu’à sa connaissance, ni lui ni le Canada ne portera atteinte aux droits de propriété intellectuelle d’un tiers dans le cadre de l’exécution ou de l’utilisation des travaux [...] » [traduction].

4. Dataintro soutient que la solution logicielle proposée par le soumissionnaire retenu est fondée sur une technologie pratiquement identique à la sienne et pour laquelle elle détient un brevet. De plus, Dataintro soutient qu’elle détient des brevets pour la technologie en question dans certains pays d’Europe et que, par conséquent, l’utilisation de la solution proposée par le soumissionnaire retenu contrevient aux brevets qu’elle détient en Europe.

5. Selon Dataintro, puisque la clause mentionnée ci-dessus ne limite pas la portée de la protection contre l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle détenus au Canada, l’ARC n’aurait pas dû adjuger le contrat à un soumissionnaire qui porte atteinte à ses droits de propriété intellectuelle européens.

6. Le 10 janvier 2010, l’ARC publiait les documents d’invitation. La clôture des soumissions était le 26 janvier 2010. Le 24 février 2010, l’ARC informait Dataintro qu’elle n’était pas le soumissionnaire retenu et lui donnait le nom du soumissionnaire en question.

7. Le 26 février 2010, Dataintro, par l’entremise de son revendeur au Canada, Purpose Data Limited, formulait une opposition par téléphone à l’ARC au sujet de l’atteinte alléguée à ses droits de propriété intellectuelle portée par le soumissionnaire retenu. Selon Dataintro, l’ARC l’a informée que la première étape pour résoudre la question consistait à soumettre à l’ARC une lettre explicitant la nature de la plainte.

8. Le 4 mars 2010, Dataintro faisait parvenir une lettre à l’ARC dans laquelle elle affirmait qu’à son avis, le soumissionnaire retenu ne pouvait être conforme aux modalités de l’invitation et qu’elle était en mesure de fournir des éléments de preuve importants à l’appui de son affirmation que la solution proposée par le soumissionnaire retenu contrevenait à un brevet européen qu’elle détenait.

9. Faisant référence aux certifications jointes aux documents d’invitation, aux termes desquelles l’ARC se réservait le droit de vérifier tous les renseignements fournis par les soumissionnaires et indiquait que de fausses affirmations pouvaient avoir comme conséquence que les propositions soient déclarées non conformes, Dataintro soutient que la question fondamentale est de savoir si l’ARC confirmerait l’adjudication d’un contrat à un fournisseur pour lequel il pourrait être démontré qu’il contrevient à ses droits de propriété intellectuelle.

10. Le 8 mars 2010, l’ARC avisait Dataintro qu’au moment de l’adjudication du contrat, elle n’avait aucune raison de remettre en question la conformité du soumissionnaire retenu aux modalités de l’invitation, que les droits de propriété intellectuelle de Dataintro ne s’étendaient pas au Canada où les logiciels seraient utilisés et que l’ARC était incapable de réévaluer les logiciels.

11. Le 18 mars 2010, Dataintro faisait parvenir une lettre à l’ARC dans laquelle elle exposait la responsabilité potentielle de celle-ci pour contrefaçon de brevet, demandant ainsi que la question soit résolue. Dataintro suggérait en particulier que l’ARC prenne des mesures pour empêcher un non-résident situé dans un pays où Dataintro avait obtenu une protection conférée par un brevet d’utiliser la solution faisant l’objet du contrat.

12. Le 1er avril 2010, en réponse à la lettre de Dataintro datée du 18 mars 2010, l’ARC réitérait qu’il n’y avait aucune preuve que les déclarations du soumissionnaire retenu au sujet des droits de propriété intellectuelle étaient erronées et l’informait qu’elle n’avait aucune raison de conclure que l’adjudication du contrat était incorrecte.

13. Le 15 avril 2010, Dataintro faisait parvenir une nouvelle lettre à l’ARC, dans laquelle elle réitérait sa requête de résoudre le problème, argumentant que la question allait bien au-delà de savoir si le soumissionnaire retenu était conforme aux modalités de l’invitation. Elle affirmait qu’il s’agissait de la possibilité de poursuites judiciaires sérieuses portant sur l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle de Dataintro de la part de l’ARC3 .

14. Le 29 avril 2010, l’ARC avisait encore une fois Dataintro qu’elle avait déjà abordé la question de la conformité du soumissionnaire retenu. En ce qui concerne la possibilité de contrefaçon du brevet européen de Dataintro, l’ARC a demandé des éléments de preuve supplémentaires.

15. Le 5 mai 2010, Dataintro faisait parvenir un courriel à l’ARC, lui transmettant ainsi des renseignements supplémentaires concernant son brevet européen. Le 22 juin 2010, Dataintro envoyait un autre courriel à l’ARC dans lequel elle faisait remarquer qu’elle n’avait pas reçu de réponse de l’ARC depuis qu’elle lui avait envoyé les renseignements supplémentaires et qu’il était possible que Dataintro doive entamer des poursuites judiciaires à l’encontre des utilisateurs européens de la solution logicielle en question.

16. Le 24 juin 2010, l’ARC, par l’entremise de son conseiller juridique, informait Dataintro que le fournisseur et elle examinaient la question. Le conseiller juridique indiquait aussi qu’une réponse à la lettre de Dataintro, datée du 5 mai 2010, lui serait fournie dès qu’il aurait reçu les instructions de l’ARC.

17. Le 26 août 2010, l’ARC avisait Dataintro qu’elle ne désirait pas affecter d’avantage de ressources à la question de l’atteinte possible aux droits de propriété intellectuelle et qu’elle était prête à restreindre l’accès à la solution logicielle aux non-résidents situés dans les pays où Dataintro avait obtenu une protection conférée par un brevet, tel que l’avait suggéré Dataintro.

18. Le 20 septembre 2010, Dataintro prenait acte de l’engagement de l’ARC, mais demandait que l’ARC l’informe de sa position précise sur la question de savoir si la solution proposée par le soumissionnaire retenu contrevenait au brevet européen de Dataintro ou contreviendrait à son futur brevet aux États-Unis. Dans sa lettre du 20 septembre 2010, Dataintro faisait aussi remarquer qu’elle était « [...] très surprise que [...] [l’ARC] ait décidé de cesser d’affecter des ressources afin d’en arriver à une décision sur cette question importante » [traduction].

19. Le 15 novembre 2010, Dataintro recevait une lettre de l’ARC, datée du 12 novembre 2010, dans laquelle cette dernière confirmait que l’ARC mettrait en place un mécanisme de blocage pour restreindre l’accès à la solution logicielle dès qu’elle aurait reçu un règlement dûment entériné entre l’ARC et Dataintro. En ce qui concerne la question de Dataintro au sujet de la décision de l’ARC sur la question de l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle occasionnée par l’utilisation de la solution proposée par le soumissionnaire retenu, l’ARC affirmait que la question de savoir si elle avait pris une décision ou obtenu une opinion à cet égard était protégée en vertu du secret professionnel entre un avocat et son client.

20. Le 24 novembre 2010, Dataintro déposait sa plainte auprès du Tribunal.

21. Le paragraphe 6(1) du Règlement prévoit que le fournisseur potentiel qui souhaite déposer une plainte auprès du Tribunal « [...] doit le faire dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte ».

22. Selon le paragraphe 6(2) du Règlement, « [l]e fournisseur potentiel qui a présenté à l’institution fédérale concernée une opposition [...] et à qui l’institution refuse réparation peut déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus, s’il a présenté son opposition dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de l’opposition ».

23. Autrement dit, une partie plaignante dispose de 10 jours ouvrables suivant la date où elle prend connaissance des faits à l’origine de l’opposition, ou suivant la date où elle aurait dû vraisemblablement les découvrir, soit pour présenter une opposition auprès de l’institution fédérale, soit pour déposer une plainte auprès du Tribunal. Si une partie plaignante présente une opposition auprès de l’institution fédérale dans le délai prévu, celle-ci peut ensuite déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables à partir du moment où elle a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus de réparation de l’institution fédérale.

24. Le Tribunal est d’avis que Dataintro a pris connaissance des faits à l’origine de sa plainte le 24 février 2010, au moment où l’ARC l’a informée du nom du soumissionnaire retenu. Selon la plainte, une opposition a été présentée par téléphone à l’ARC au nom de Dataintro le 26 février 2010; cette conversation téléphonique a été suivie par la présentation d’une opposition formelle par écrit le 4 mars 2010. L’opposition de Dataintro, qui avait trait à son allégation selon laquelle le contrat avait été adjugé à un soumissionnaire qui n’était pas conforme aux modalités des documents d’invitation, a donc été présenté dans les 10 jours ouvrables suivant la date où Dataintro a pris connaissance des motifs de sa plainte, tel qu’il est stipulé au paragraphe 6(2) du Règlement.

25. Toutefois, aux termes de cette disposition, pour respecter les délais, une plainte doit aussi être déposée auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où la partie plaignante a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus de réparation de la part de l’institution fédérale concernée. En l’espèce, un examen de la correspondance fournie par Dataintro révèle que dès le 8 mars 2010, l’ARC avait indiqué sa position selon laquelle la proposition du soumissionnaire retenu était conforme aux modalités des documents d’invitation et qu’elle tenait la question pour réglée. Toutefois, Dataintro et l’ARC ont continué de correspondre par courriel et par lettre après le 8 mars 2010. Cela suggère que l’ARC a continué à tenir compte de l’opposition de Dataintro après le 8 mars 2010.

26. Ceci étant dit, la correspondance échangée ultérieurement entre Dataintro et l’ARC portait principalement sur des questions autres que celle ayant trait à la conformité du soumissionnaire retenu aux modalités des documents d’invitation. En fait, le sujet principal discuté dans cette correspondance concerne la responsabilité potentielle de l’ARC pour contrefaçon de brevet due à son utilisation de la solution proposée par le soumissionnaire retenu ainsi que l’application de mécanismes pour protéger les droits de propriété intellectuelle allégués de Dataintro dans ce contexte.

27. Le 26 août 2010, l’ARC informait Dataintro de sa décision définitive, à savoir qu’elle n’était pas prête à affecter des ressources additionnelles afin de déterminer si la solution faisant l’objet du contrat portait atteinte aux droits de propriété intellectuelle allégués par Dataintro. À ce moment-là, l’ARC a indiqué qu’elle était plutôt prête à restreindre l’accès au logiciel, tel que l’avait suggéré Dataintro, afin de régler la question. À cet égard, le Tribunal fait remarquer que même Dataintro a reconnu qu’il s’agissait de la position définitive de l’ARC lorsqu’elle a stipulé ce qui suit :

La position définitive de l’ARC était qu’elle ne désirait pas affecter d’avantage de ressources afin de déterminer si la solution [du soumissionnaire retenu] contrevenait aux brevets détenus par Dataintro et croyait que la solution au problème consistait simplement à mettre en place une barrière technologique empêchant l’accès aux formulaires de l’ARC à partir des pays où Dataintro détenait des brevets valides. L’ARC soutenait que la [proposition du soumissionnaire retenu] était entièrement conforme à l’appel d’offres original car il n’existait aucun élément de preuve au cours de la période de soumission pouvant suggérer le contraire4 .

[Traduction]

28. Le Tribunal est d’avis que la correspondance du 8 mars 2010 et les échanges ultérieurs sont la preuve que l’ARC a examiné la situation, et ce jusqu’au 26 août 2010. À ce moment-là, toutefois, la formulation de la lettre de l’ARC, selon laquelle elle ne désirait plus affecter d’avantage de ressources à ce problème, indique que l’ARC n’examinerait plus cette question et que la réception d’un refus de réparation signifiait que sa décision était définitive à ce moment.

29. Cela est corroboré dans la plainte de Dataintro lorsqu’elle affirme que « [l]a position définitive de l’ARC était qu’elle ne désirait pas affecter d’avantage de ressources afin de déterminer si la solution [du soumissionnaire retenu] contrevenait aux brevets détenus par Dataintro [...] » [traduction, nos italiques], confirmant que Dataintro considérait effectivement avoir reçu son refus de réparation à ce moment-là.

30. Le Tribunal considère donc que Dataintro savait, sans équivoque, après avoir reçu un énoncé clair de l’ARC, que cette dernière ne ferait rien d’autre et que, par conséquent, elle a directement pris connaissance du refus de réparation de l’ARC (c.-à-d. que l’ARC ne conclurait pas que la proposition du soumissionnaire retenu était non conforme) le 26 août 2010.

31. Si Dataintro n’était pas d’accord avec la réponse de l’ARC au sujet de son opposition et qu’elle voulait, comme cela semble être le cas, porter cette question devant le Tribunal, elle devait le faire dans les 10 jours ouvrables suivant la réception de la lettre de l’ARC. Le 10 septembre 2010 est le dixième jour ouvrable après le 26 août 2010. Cependant, la plainte n’a été déposée que le 24 novembre 2010.

32. Bien que les parties aient échangé plusieurs autres pièces de correspondance après le 26 août 2010, et ce jusqu’au 15 novembre 2010 inclusivement, le Tribunal fait remarquer que le simple fait que Dataintro ait continué de communiquer avec l’ARC à ce sujet, après avoir reçu un refus de réparation définitif quant à son opposition, ne la soulageait pas de l’obligation de respecter les délais prévus par le Règlement 5 . Lorsqu’une réponse à une opposition est un refus de réparation sans équivoque et ne suggère pas la possibilité que la question soit réexaminée, le délai pour déposer une plainte est calculé à partir de la date de cette réponse.

33. Le Tribunal conclut donc que la plainte n’a pas été déposée dans le délai prescrit au paragraphe 6(2) du Règlement.

DÉCISION

34. Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal décide de ne pas enquêter sur la plainte.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

3 . Selon Dataintro, de telles poursuites pourraient découler du non-respect du brevet en Europe et, à terme, aux États-Unis, où la demande d’obtention de brevet de Dataintro liée à la technologie logicielle en question était en instance.

4 . Plainte à la p. 9.

5 . Re plainte déposée par IT/net Ottawa Inc.(6 juillet 2009), PR-2009-023 (TCCE).