LANSPLUS INC.

Décisions


LANSPLUS INC.
No du greffe de la Commission: D89PRF6608-021-0006

TABLE DES MATIÈRES


AFFAIRE INTÉRESSANT:

Une plainte de LANsPLUS INC. du 302-151, rue Slater Ottawa (Ontario)

No du greffe de la Commission: D89PRF6608-021-0006

ET

La Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, Partie II, art. 15, S.C. 1988, ch. 65.

18 janvier 1990

DÉCISION DE LA COMMISSION

Il s'agit d'une plainte portant sur un contrat passé avec Sa Majesté la Reine représentée par le ministère des Approvisionnements et Services (MAS) et signé le 15 juin 1989. Ce contrat, d'une valeur de 52 850 $, a été accordé sur la base d'une source unique d'approvisionnement à la compagnie Phoenix Computer Centre d'Ottawa (Ontario) pour la fourniture de "Micro-ordinateurs et périphériques" destinés au ministère des Affaires extérieures (MAE). Un avis d'adjudication du contrat a paru dans la livraison du 1er novembre 1989 des Marchés publics (vol. 1, no 31). Cet avis indiquait que la raison du recours à une source unique d'approvisionnement pour ce contrat était "D" ou celle qui est indiquée à l'alinéa V:16d) de l'Accord relatif aux marchés publics de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (le Code du GATT) qui est inséré dans l'Accord de libre-échange Canada - États-Unis (le ALÉ):

"lorsqu'il s'agira de livraisons additionnelles à assurer par le fournisseur initial et portant sur des pièces de rechange pour des fournitures déjà faites ou des installations déjà livrées, ou destinées à compléter ces fournitures ou installations, et qu'un changement de fournisseur aboutirait à la livraison de matériel ne répondant pas à des conditions d'interchangeabilité avec un matériel déjà existant."

ÉTAT DE LA QUESTION

La plainte

Le 9 novembre 1989, la Commission de révision des marchés publics (CRMP ou la Commission) a reçu un plainte déposée conformément à l'article 15 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada - États-Unis (la Loi) par le bureau d'Ottawa de la compagnie LANsPLUS INC. et libellée ainsi:

[TRADUCTION] "Que le ministère des Approvisionnements et Services du Canada a effectivement, le 15 juin 1989, accordé le contrat susmentionné [08009-9-6213/01-EJ] sur la base d'une "source unique d'approvisionnement" et que, de ce fait, il n'a pas donné à LANsPLUS INC. une chance égale et juste de faire une offre."

La plaignante a également soutenu que, en plus de l'adjudicataire, beaucoup d'autres fournisseurs auraient pu fournir le matériel en question.

La compagnie sollicite la réparation suivante:

[TRADUCTION] "...que, si l'annulation n'est pas possible, il soit accordé à LANsPLUS INC. une indemnité égale à vingt pour cent (20%) de la valeur du contrat accordé, c'est-à-dire 10 570 $, qui serait l'équivalent du bénéfice brut si le contrat avait été accordé à LANsPLUS INC. pour le même montant."

La plainte répondait aux critères établis pour le "dépôt d'une plainte" (paragraphe 21(1) du Règlement sur la Commission de révision des marchés publics) et aux exigences relatives au délai de dépôt de la plainte (article 23 du Règlement sur la CRMP). La Commission a accepté d'enquêter sur la plainte parce que celle-ci répondait aux critères établis à cet effet (paragraphe 28(1) du Règlement sur la CRMP). Conformément à l'alinéa 16(1)a) de la Loi, un accusé de réception de la plainte a été transmis à la plaignante, le MAS a été avisé officiellement, et copie de la plainte a été expédiée à celui-ci ainsi qu'à l'adjudicataire. Un avis a paru dans la Partie I de la Gazette du Canada et dans les Marchés publics.

Le MAS a présenté le rapport de l'institution fédérale (paragraphe 30(1) du Règlement sur la CRMP) à la Commission le 4 décembre 1989. Copie du rapport a été transmise à la plaignante, conformément à l'alinéa 30(3)a) du Règlement sur la CRMP, laquelle a présenté à son tour des observations (paragraphe 31(1) du Règlement sur la CRMP) à la Commission le 13 décembre 1989. Les observations de la plaignante ont été transmises au MAS, conformément au paragraphe 31(2) du Règlement sur la CRMP. Vu que le contrat avait déjà été accordé, il était impossible de prendre en considération les dispositions de l'alinéa 16(1)b) de la Loi qui traitent du différé de l'adjudication d'un contrat.

L'enquête

L'enquête sur les allégations de la plainte, sur la réponse du gouvernement à ces allégations et sur les observations de la plaignante au sujet de la réponse du gouvernement s'est faite au moyen d'interrogatoires et d'un examen de certains dossiers au MAS et au MAE. M. Keith Mulligan, l'agent de négociation des contrats qui a signé l'approbation du contrat et le contrat lui-même, a été interrogé le 28 décembre 1989. Le dossier du contrat initial était à la disposition des personnes participant à cet interrogatoire.

Mme M.E. Duncan, directrice adjointe de la Direction des systèmes d'information (bureautique) du MAE a été interrogée le 2 janvier 1990. C'est elle qui a signé la note de service exposant les raisons pour lesquelles le MAE désirait avoir recours à une source unique d'approvisionnement.

Un certain nombre de personnes ont été contactées afin de confirmer différentes déclarations figurant dans les documents examinés. Parmi celles-ci, mentionnons M. Howard Delnick, de la compagnie LANsPLUS, d'Ottawa; M. Fred Aker, du Phoenix Computer Centre, d'Ottawa; M. Peter Hyne, de Remuera Corporation, d'Ottawa (anciennement du Bureau de négociations commerciales du MAE); M. Pierre Meloche, de la société 3Com Canada Inc., de Montréal; M. Jack Silverman, de la Direction de l'assurance de la qualité des contrats, du MAS; M. Mike Revoche, de RVO Systems, d'Ottawa; M. Doug Panter, du ministère de la Justice (anciennement du Bureau de négociations commerciales du MAE).

Le rapport de l'enquête, qui a été présenté à la Commission par son personnel d'enquête, contient un certain nombre d'annexes concernant des documents qu'il considérait comme vraiment pertinents à ce rapport. Dans la présente décision, il n'est pas fait mention de façon particulière de tous ces documents justificatifs, mais ils peuvent être consultés au besoin par les parties et sont assujettis aux dispositions de la Loi sur l'accès à l'information en ce qui a trait à toute autre personne.

Comme l'enquête a permis d'obtenir suffisamment de renseignements pour que la Commission puisse, à son avis, trancher les questions soulevées dans la présente plainte, il a été décidé qu'il n'y avait pas lieu de tenir d'audience formelle dans la présente affaire. Pour aboutir à ses conclusions, la Commission a tenu compte du rapport de son personnel d'enquête et a présenté ses conclusions et décisions en se fondant sur les faits communiqués à cet égard, dont les passages pertinents sont mentionnés dans la présente décision.

L'adjudication du contrat

La mission du MAE à Genève possédait un système de réseau d'ordinateurs 3Com multipostes qui aurait été conçu pour être compatible avec un système qui se trouve au Bureau de négociations commerciales (BNC) du MAE à Ottawa. Selon M. Peter Hyne, qui travaillait pour le BNC à l'époque où le matériel a été acheté pour la mission de Genève, trois sociétés canadiennes, RVO Systems, Computerland Inc. et Phoenix Computer Centre, ont fait des offres relativement au contrat en vue de la vente du système original. La société RVO a obtenu le contrat pour la vente du matériel au montant de 125 929 $. Ce contrat a été conclu par le BNC, et non pas par l'intermédiaire du MAS. Il n'a pas été possible de confirmer le nombre des soumissionnaires et de leurs offres à partir des documents examinés dans les dossiers du BNC.

L'examen des dossiers du BNC a révélé que la compagnie Phoenix Computer Centre avait passé des contrats avec le BNC tant pour fournir du matériel (non pas celui qui était utilisé à Genève) que pour fournir une assistance. On a étudié des contrats qui obligeaient Phoenix à fournir du matériel informatique ainsi que l'entretien pour réparer les ordinateurs Phoenix et Olivetti du BNC ou pour prévenir les bris.

Le 5 octobre 1988, la Direction des systèmes d'information du MAE a reçu un télégramme selon lequel il fallait développer davantage le système informatique afin d'assurer le fonctionnement efficace et permanent de la mission.

Le 23 janvier 1989, la Direction des systèmes d'information du MAE a reçu un autre télégramme dans lequel la mission de Genève indiquait ce dont elle avait besoin pour compléter le système de bureautique. Il fut décidé au MAE à Ottawa que les restrictions budgétaires rendraient cette expansion impossible au cours de l'année financière 1988-1989.

Dans un troisième télégramme en date du 6 mars 1989, la mission de Genève demandait un rapport sur la situation de leur demande soumise antérieurement. Le MAE n'a pas communiqué avec le MAS à ce moment-là. Comme aucun fonds ne pouvait être engagé, on a cru que le processus de passation de contrat ne pouvait pas être mis en marche.

Dans un quatrième télégramme en date du 3 avril 1989, la mission de Genève a décrit en détail le matériel requis mais sans prescrire un mode de passation du contrat (c.-à-d. ni mention "aucun produit de remplacement" ni mention "source unique d'approvisionnement").

Le 6 avril 1989, des représentants du MAE et du MAS ont tenu une réunion au cours de laquelle le MAE a d'abord fait part de son désir d'obtenir ce matériel d'un fournisseur précis, à savoir Phoenix Computer Centre. Le représentant du MAS a demandé une note de service qui justifierait la nécessité d'acheter le matériel de Phoenix sur la base d'une source unique d'approvisionnement. Cette note de service a été fournie le jour même.

La note de service du 6 avril 1989 mentionne les raisons suivantes pour recourir aux services de Phoenix comme fournisseur des marchandises:

[TRADUCTION]

1."Cette compagnie...est en contact permanent avec notre mission de Genève...pour aider à résoudre les problèmes concernant le matériel et le réseau."

2."...nous considérons qu'il est essentiel sur le plan opérationnel de traiter avec un seul fournisseur lorsque nous essayons de déceler et de corriger les problèmes..."

3."Nous ne connaissons aucun autre fournisseur qui offre cette combinaison de compétences et d'expérience."

4."Pour la même raison [de sécurité], la compagnie et le particulier qui fourniraient le matériel et l'assistance par téléphone devraient être canadiens et posséder une habilitation sécuritaire. Cette compagnie [Phoenix Computer Centre], qui est canadienne et a des employés possédant une habilitation sécuritaire..."

Il faut remarquer que ni la demande ni le contrat, qui ne sont ni l'une ni l'autre des documents classifiés, ne contiennent de mention relative à l'entretien ou de disposition relative à l'habilitation sécuritaire de la compagnie ou de ses employés. L'enquête a révélé ce qui suit:

1.Le matériel à fournir se composait d'articles standard et le matériel 3Com pouvait être fourni par neuf compagnies de la Région de la capitale nationale en avril 1989.

2.Le MAE déclare qu'il a passé un contrat de gestion des installations avec un autre entrepreneur (Remuera) pour deux autres réseaux 3Com identiques situés à Ottawa.

3.Le MAE dit que le matériel de Genève a été installé et rendu opérationnel par l'administrateur résident du réseau qui est un citoyen canadien ayant une habilitation sécuritaire et travaillant pour le gouvernement fédéral et qui, selon la directrice adjointe de la bureautique du MAE, possède les compétences requises. Elle a déclaré que M. Fred Aker, le directeur de Phoenix Computer Centre, pourrait être rejoint pour répondre aux questions soumises par téléphone relativement aux problèmes du système mais ne serait pas tenu de se rendre à Genève pour aider à l'installation.

Les mesures prises par le ministère des Approvisionnements et Services

Le 24 avril 1989, soit dix-huit jours après la première réunion tenue par le MAS et le MAE, une demande officielle a été reçue du MAE et confiée à la Direction générale des systèmes et services d'informatique et de bureautique (SSIB) du MAS. Dans cette demande, tout le matériel portait la mention "aucun produit de remplacement", les quantités et les prix étaient énumérés, et il y avait une note dans la "case des indications spéciales" selon laquelle il pouvait être obtenu de la compagnie Phoenix Computer Centre. Aucune exigence n'était stipulée relativement à l'habilitation sécuritaire ou à l'entretien. Une note écrite à la main figure sur la demande, elle semble porter les initiales de la personne qui a approuvé la demande et indique: [TRADUCTION] "Besoin urgent".

La demande a été confiée à un agent de négociation des contrats, et un plan de passation de contrat nécessitant le recours à une source unique d'approvisionnement a été préparé. Sous une clause visant à justifier le recours à une telle source, figurait la déclaration suivante:

[TRADUCTION] "Le client a fourni une justification valable pour recourir à une source unique d'approvisionnement, s'il vous plaît voir l'annexe." [La note de service en date du 6 avril 1989 adressée au MAS par le MAE]

Ce plan de passation de contrat a été approuvé par le directeur intérimaire de la Section EJ, SSIB, le 31 mai 1989. Par la suite, une demande de propositions (DDP) en date du 31 mai 1989 a été transmise à Phoenix Computer Centre; la date limite de dépôt était le 5 juin 1989. Le MAS a reconnu qu'on n'avait pas vérifié la liste des fournisseurs en raison de l'acceptation de la raison donnée par le MAE pour recourir à une source unique d'approvisionnement. Dans l'annexe "A" de la DDP, sous un projet de clause de livraison/installation, il y a une déclaration selon laquelle [TRADUCTION] "le matériel est requis de façon urgente".

Un contrat en date du 15 juin 1989 a été délivré à la compagnie Phoenix Computer Centre pour la livraison du matériel demandé à deux endroits distincts dans un délai de trois semaines. Deux articles devaient être livrés au MAE à Ottawa, tandis que les autres devaient être livrés à un expéditeur outre-mer, la société Lamoureux International, à Montréal. Le contrat n'était pas un document classifié et, à l'exception d'une clause de garantie, il portait uniquement sur la fourniture de marchandises, sans mention relative à la sécurité, à l'entretien ou à l'installation. Toutes les marchandises ont bien été reçues, selon le MAE.

Le MAS a fait paraître dans la livraison du 1er novembre 1989 des Marchés publics (vol. 1, no 31), environ 139 jours après la signature du contrat, un avis de l'adjudication conformément à l'article du GATT/ALÉ concernant l'adjudication des contrats et se reportant à l'alinéa "D" pour justifier le recours à une source unique d'approvisionnement ["lorsqu'il s'agira de livraisons additionnelles à assurer par le fournisseur initial et portant sur des pièces de rechange pour des fournitures déjà faites ou des installations déjà livrées, ou destinées à compléter ces fournitures ou installations, et qu'un changement de fournisseur aboutirait à la livraison de matériel ne répondant pas à des conditions d'interchangeabilité avec un matériel déjà existant"]. Il faut noter que les entités sont tenues de faire paraître l'avis de l'adjudication du contrat 60 jours au plus tard après l'adjudication (Article VI:1 du Code du GATT).

DÉBAT

La réponse du gouvernement aux allégations

La réponse du MAS aux allégations de la plainte, en date du 28 novembre 1989, a été reçue par la Commission le 4 décembre 1989. Elle a été "signée" par le sous-ministre adjoint aux opérations d'approvisionnements.

Le MAS est d'accord avec la plaignante pour reconnaître que la compagnie Phoenix Computer Centre [TRADUCTION] "n'était pas alors et n'est pas non plus aujourd'hui le seul fournisseur de ce matériel". Dans la note de service adressée par le directeur général, SSIB, au secrétaire général, il est mentionné que [TRADUCTION] "cela était et est correct".

La note explique que le recours à une source unique d'approvisionnement était justifié du fait:

[TRADUCTION] "que le fournisseur en question avait une grande expérience du système de réseau local (RL) lorsque celui-ci était utilisé au Bureau de négociations commerciales (BNC) du ministère des Affaires extérieures (MAE). Pendant ce temps, le fournisseur, Phoenix Computer Centre, à la suite d'une entente d'assistance négociée avec les Affaires extérieures (BNC), s'est familiarisé avec les exigences complexes de la gestion du vaste réseau du MAE."

On y lit également:

[TRADUCTION] "Lorsqu'il est devenu évident qu'il fallait étendre le réseau local en ajoutant d'autres postes de travail, le choix du fournisseur s'est fait sur la base du seul fournisseur à l'époque qui était reconnu pour être un fournisseur de produits 3Com et avoir de l'expérience dans l'installation et la prise en charge de ces réseaux et des protocoles de communications nécessaires pour les relier au système de réseau international du MAE."

Ces passages sont mentionnés dans le contexte où le renvoi à l'expérience et aux connaissances concerne l'assistance et l'entretien et non pas les marchandises; mais ils ne semblent pas être pertinents parce que le contrat portait sur des marchandises et non sur des services. Le MAS se reporte également au système initial qui se trouve au BNC à Ottawa et qui était utilisé à Genève lorsque le BNC a été dispersé. De fait, le matériel a été obtenu par le BNC directement pour Genève en avril 1988 de la compagnie RVO Systems d'Ottawa.

La question de l'urgence

La question de l'urgence n'a jamais été invoquée dans les raisons données officiellement pour justifier le recours à une source unique d'approvisionnement, bien qu'il en ait été fait mention dans une note écrite à la main dans la demande et dans une déclaration figurant dans la DDP. Dans la lettre transmettant la réponse du gouvernement, il y a une déclaration selon laquelle les [TRADUCTION] "raisons valables pour demander que le contrat soit adjugé "suivant un appel d'offre unique" à la compagnie Phoenix Computer Centre...sont notamment: la compatibilité avec le matériel existant, et le besoin urgent de matériel". A cet égard, on constate:

1.que les répercussions associées aux délais qui pourraient découler d'un marché public concurrentiel n'ont été présentées dans aucun des documents examinés;

2.que la première demande de matériel pour compléter le système existant figurait dans un télégramme en date du 5 octobre 1988. Les caractéristiques complètes du matériel requis, indiquées par la mission de Genève, ont été reçues dans un télégramme en date du 3 avril 1989;

3.que le MAE n'a pas communiqué avec le MAS au sujet de cette acquisition projetée, avant l'organisation de la rencontre du 6 avril 1989. Une demande avec preuves suffisantes à l'appui et expliquant la situation du financement et, si le cas s'appliquait, la nécessité de traiter l'affaire de façon urgente aurait pu être présentée pour faire avancer le processus d'adjudication du contrat, avant le début de l'année financière 1989-1990, jusqu'à, mais sans inclure, l'adjudication du contrat.

Les observations de la plaignante sur le rapport de l'institution fédérale

Les observations de la plaignante sur la réponse du gouvernement aux allégations font ressortir trois points importants. Ces points sont étayés par les éléments de preuve découverts au cours de l'enquête relative à la présente affaire. LANsPLUS a déclaré ce qui suit:

[TRADUCTION]

1. "Il appert clairement de notre analyse des documents que les Affaires extérieures avaient deux exigences. La première concernait la fourniture et la livraison d'un matériel particulier, et la seconde concernait l'installation et la prise en charge du réseau. Cependant, la demande de soumission initiale et le contrat final ne mentionnent rien d'autre que la fourniture, la livraison et l'entretien du matériel. Il n'est pas fait mention de la "prise en charge" ou "assistance".

2. "Un grand nombre d'autres vendeurs auraient pu fournir et auraient fourni exactement le même matériel 3Com."

3. "Parmi le matériel dont nous [LANsPLUS] avons actuellement la charge au sein du gouvernement, il y a du matériel vendu initialement par LANsPLUS ainsi que du matériel acheté initialement de Phoenix Computer Centre et d'un certain nombre d'autres vendeurs."

Le contrat en cause concernait la fourniture de marchandises. M. Pierre Meloche, de la compagnie 3Com Canada Inc., a fourni le nom de neuf sociétés de la Région de la capitale nationale qui étaient "autorisées" à vendre des produits 3Com en avril 1989. S'il fallait une expérience de la prise en charge, LANsPLUS la possédait, et cela était connu du MAS. L'enquête a révélé l'existence d'au moins deux contrats de prise en charge et d'entretien conclus entre le MAS et LANsPLUS pour le ministère de l'Industrie, des Sciences et de la Technologie. Ces contrats portaient respectivement la date du 29 juin 1989 et du 1er novembre 1989.

CONCLUSIONS

1. Le MAS a signé un contrat en date du 15 juin 1989 avec Phoenix Computer Centre pour la fourniture de matériel informatique d'une valeur de 52 850 $. Les marchandises ont été livrées.

2. Le contrat a été établi sur la base d'une source unique d'approvisionnement pour la raison suivante (ainsi qu'il est mentionné dans les Marchés publics, vol. 1, no 31, 1er novembre 1989):

"lorsqu'il s'agira de livraisons additionnelles à assurer par le fournisseur initial et portant sur des pièces de rechange pour des fournitures déjà faites ou des installations déjà livrées, ou destinées à compléter ces fournitures ou installations, et qu'un changement de fournisseur aboutirait à la livraison de matériel ne répondant pas à des conditions d'interchangeabilité avec un matériel déjà existant."

3. Le MAS n'a pas examiné le recours possible à d'autres fournisseurs.

4. Pour recourir à une "source unique d'approvisionnement", le MAS s'est fondé sur une note de service en date du 6 avril 1989 qui lui avait été adressée par le MAE. Le MAS a résumé les "raisons valables pour demander que le contrat soit adjugé à Phoenix Computer Centre suivant un "appel d'offre unique" comme étant "la compatibilité avec le matériel existant, et le besoin urgent de matériel."

5. La note du MAE mentionnée au point no 4 traite en particulier de la compatibilité du matériel, de la prise en charge et de la sécurité. Il n'est pas question du besoin urgent de matériel.

6. Le matériel à fournir selon le contrat était standard (la seule caractéristique non canadienne concernait le courant électrique utilisé en Europe) et pouvait être acquis d'autres fournisseurs.

7. Le matériel requis devait servir à étendre un système de réseau 3Com à Genève qui avait été fourni à l'origine en vertu d'un contrat (d'une valeur de 125 929 $) conclu entre le BNC et RVO Systems d'Ottawa en avril 1988. Phoenix Computer Centre n'était pas "le fournisseur initial" du système.

8. Il n'a été découvert ou présenté aucun élément de preuve indiquant que le choix d'un fournisseur différent "aboutirait à la livraison de matériel ne répondant pas à des conditions d'interchangeabilité avec un matériel déjà existant".

9. Le contrat ne contient aucune clause relative à l'installation, à l'entretien ou à la prise en charge sauf la clause de garantie

suivante:

[TRADUCTION]

"Le matériel énuméré à l'annexe "B" sera protégé par une garantie d'un (1) an honorée SUR LES LIEUX (au Canada) ou exigeant le RETOUR AU DÉPOT (à l'extérieur du Canada), s'appliquant aux pièces et à la main-d'oeuvre, après la date de réception."

10. L'administrateur canadien résident (un employé du gouvernement fédéral ayant une habilitation sécuritaire) du réseau à Genève devait effectuer l'installation. Aucun employé du fournisseur ne se trouverait à Genève pour aider à cette installation bien qu'il fût entendu que les employés du fournisseur pourraient être rejoints pour répondre aux questions soumises par téléphone.

11. Le contrat contient les clauses qui suivent relativement à l'entretien:

[TRADUCTION]

ENTRETIEN:

"La fourniture des services d'entretien peut faire l'objet d'un ou de plusieurs contrats distincts après l'expiration de la garantie.

PÉRIODE D'ENTRETIEN:

L'entrepreneur s'engage à faire l'entretien du matériel énuméré ci-dessus pendant une période d'au moins cinq (5) ans à compter de la date du contrat.

RENOUVELLEMENT DE LA GARANTIE D'ENTRETIEN:

L'entrepreneur doit informer la Couronne par écrit de toute modification des taux au moins quatre-vingt-dix (90) jours avant l'expiration de tout contrat."

12. Le contrat n'est pas un document classifié et ne contient pas de clause relative à l'habilitation sécuritaire de la compagnie ou de son personnel.

13. Selon le MAE, il a conclu avec Remuera Corporation d'Ottawa un contrat de gestion des installations pour l'assistance technique et l'entretien relativement à deux autres systèmes de réseau identiques situés au Canada.

14. Les énoncés de politiques du Conseil du Trésor et du MAS sont clairs en ce qui concerne le traitement des contrats à source unique d'approvisionnement en vertu de l'Accord de libre-échange Canada -États-Unis.

15. On n'a donné aucune raison pour laquelle l'Administration centrale du MAE a demandé que le matériel soit fourni sans "aucun produit de remplacement", vu la description de la condition dans le télex du 3 avril 1989 en provenance de Genève. Comme la question de l'absence de produit de remplacement n'a pas été soulevée dans la plainte, on n'a pas poussé plus avant l'étude de cette question.

16. La parution de l'avis d'adjudication du contrat est survenue environ 139 jours après la signature du contrat. L'article VI:1 du Code du GATT, qui fait partie de l'Accord de libre-échange, exige que l'avis paraisse 60 jours au plus tard après l'adjudication d'un contrat.

CONCLUSIONS SUR LE FOND

Les conclusions susmentionnées indiquent clairement que l'allégation faite par LANsPLUS dans sa plainte est valable. Tout particulièrement, en recourant à un appel d'offre unique sans raison suffisante, le MAS n'a pas accordé à tous les fournisseurs potentiels les mêmes possibilités de répondre aux exigences de l'entité acheteuse à l'étape de l'appel d'offres et du dépôt des soumissions. Bien que le recours à l'appel d'offre unique ne soit pas interdit par l'Accord, la raison choisie:

"lorsqu'il s'agira de livraisons additionnelles à assurer par le fournisseur initial...et qu'un changement de fournisseur aboutirait à la livraison de matériel ne répondant pas à des conditions d'interchangeabilité avec un matériel déjà existant;"

n'est manifestement pas valable en l'espèce. La raison mentionnée dans les Marchés publics pour recourir à une source unique d'approvisionnement ne concorde pas avec les faits, vu que Phoenix Computer Centre n'était pas le fournisseur initial. Cette raison visait à éviter que, dans des cas appropriés, le gouvernement ne soit obligé de traiter avec un fournisseur différent -- mais elle n'est pas pertinente en l'espèce parce qu'on choisissait un autre fournisseur de toute façon.

En outre, les articles achetés étaient standard et pouvaient être obtenus de plus d'un autre fournisseur. Il semble donc que ce marché aurait dû être concurrentiel. En effet, c'est ce que la Commission aurait recommandé à l'institution fédérale si la plainte avait pu être portée assez tôt pour que ce redressement soit possible. Bien que des restrictions budgétaires au sein du MAE semblent avoir empêché l'adjudication du contrat au cours de l'année financière 1988-1989, on aurait pu lancer le processus de marché concurrentiel pour que le contrat pût être adjugé aussitôt que les fonds auraient été disponibles.

Quoique la plaignante soit la partie gagnante, la Commission n'est pas d'accord avec la demande d'indemnité parce que la plaignante n'a pas subi de perte directe de profits mais a plutôt été privée de la possibilité de faire une offre sur un marché et d'en tirer des profits. Il n'est pas certain que la compagnie aurait obtenu le contrat si la concurrence avait été possible.

Toutefois, vu que la plaignante a réussi à prouver les points soulevés dans sa plainte, la Commission lui accordera les frais entraînés par le dépôt et l'examen de la plainte.

La question de l'avis dans le cas d'un appel d'offre unique

La plainte a soulevé une autre question au sujet de laquelle la Commission désire faire des observations en conformité avec l'alinéa 19b) du Règlement sur la CRMP.

Les énoncés de politiques du Conseil du Trésor et du MAS (qui englobent également les exigences du Code du GATT et de l'Accord de libre-échange) précisent les cas restreints où la passation des marchés avec appel d'offre unique est permise.

Il faut se rappeler que l'une des obligations figurant dans l'Accord de libre-échange (article 1305.4) est que "chaque Partie donnera suffisamment de transparence au processus de passation des marchés pour assurer le fonctionnement efficace du système de contestation des offres." Il n'est pas suffisamment prévu quand les autres fournisseurs potentiels peuvent ne pas être informés de la possibilité de contracter tant que le contrat n'a pas été adjugé et peut-être même exécuté.

Le Code du GATT spécifie que, dans le cas de la passation de marchés avec appel d'offre unique, les détails du contrat doivent être publiés 60 jours au plus tard après l'adjudication du contrat. En l'espèce, le fait que l'avis avait été publié 139 jours après l'adjudication et non pas "60 jours au plus tard" n'aggravait pas en soi la position de la plaignante. Le problème n'est pas dû à l'absence d'un avis suffisant de l'adjudication du contrat mais à l'absence de toute exigence de publication du projet de marché dans les cas "d'appel d'offre unique". Si cela devait être fait, on obtiendrait le genre de transparence qui est habituellement requise pour la passation de marchés concurrentiels en vertu du Code du GATT et de l'Accord de libre-échange. En l'espèce, il s'est écoulé suffisamment de temps entre la réception de la demande et l'adjudication du contrat pour faire paraître un avis de projet de marché, ce qui aurait permis à d'autres fournisseurs potentiels de se présenter pour vérifier le bien-fondé du recours à "l'appel d'offre unique". La Commission arrive à la conclusion que, si on avait permis cela, il aurait pu y avoir passation d'un marché concurrentiel.

Il est généralement accepté qu'une institution fédérale doive pouvoir passer un marché de façon urgente lorsque c'est nécessaire et faire un "appel d'offre unique" si c'est le seul moyen de répondre à l'urgence.

Le Code du GATT prévoit la passation de marchés avec appel d'offre unique en cas d'urgence:

"...pour autant que cela sera strictement nécessaire lorsque, pour des raisons d'extrême urgence dues à des événements qui ne pouvaient être prévus par l'entité, les procédures ouvertes ou sélectives ne permettraient pas d'obtenir les produits en temps voulu."

On pourrait peut-être soutenir que le fait d'insister sur l'avis avant l'adjudication du contrat ou l'exécution du contrat dans ces cas irait à l'encontre du but de l'urgence. Cependant, l'urgence n'est que l'un des cinq motifs donnés par le Code du GATT pour justifier "le recours à une source unique d'approvisionnement" ou "l'appel d'offre unique" (Code du GATT, article V, paragraphe 16). Le fait d'envoyer un avis avant l'adjudication ou même avant l'exécution du contrat ne contrecarrerait pas nécessairement les autres motifs. Ne pas agir ainsi, c'est effectivement écarter des redressements que le Parlement voulait mettre à la disposition des fournisseurs potentiels. De plus, cela soustrait à la capacité de notre Commission la possibilité d'examiner la validité du recours à "l'appel d'offre unique" au moment approprié pour appliquer les redressements.

DÉCISION

La Commission a statué en se fondant sur son enquête que le marché passé par le ministère des Approvisionnements et Services ne se conformait pas aux exigences mentionnées à l'article 17 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, en ce qu'il n'accordait pas "à tous les fournisseurs potentiels les mêmes possibilités de répondre aux exigences de l'entité acheteuse à l'étape de l'appel d'offres et du dépôt des soumissions".

La Commission a également décidé:

1.de ne pas recommander qu'une indemnité soit accordée à la plaignante sur la base demandée dans la plainte ou autrement; et

2.d'accorder à la plaignante les frais entraînés par le dépôt et l'examen de la plainte.

Enfin, la Commission recommande, en conformité avec l'alinéa 19b) du Règlement sur la Commission de révision des marchés publics, que le ministère des Approvisionnements et Services:

1.examine dans quelle mesure tous les agents de négociation des contrats à tous les niveaux comprennent leurs responsabilités en ce qui a trait à la révision et à l'acceptation des raisons valables pour les appels d'offre unique et

2.révise ses politiques et sa procédure en ce qui a trait à la publication des avis de passation de marchés avec appel d'offre unique en tenant compte des observations de la Commission en vue d'accroître la transparence du processus de passation de marchés et d'assurer le fonctionnement efficace du système de contestation des offres.

Gerald A. Berger
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Gerald A. Berger
Président
Commission de révision des marchés publics du Canada


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Publication initiale : le 27 août 1997