H.J. REIS INTERNATIONAL LTD.

Décisions


H.J. REIS INTERNATIONAL LTD.
No du greffe de la Commission : D90PRF6601-021-0001

TABLE DES MATIÈRES


AFFAIRE INTÉRESSANT:

Une plainte de H.J. Reis International Ltd. de R.R. no 2, chemin Carp, Carp (Ontario)

No du greffe de la Commission : D90PRF6601-021-0001

ET

La Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, Partie II, art. 15, L.C. 1988, ch. 65.

9 avril 1990

DÉCISION DE LA COMMISSION

Il s'agit d'une plainte concernant une démarche en matière d'approvisionnement entreprise par le ministère des Approvisionnements et Services (MAS) dans le but d'adjuger un contrat d'une durée de trois ans pour la location d'un tracteur, que le ministère de l'Agriculture (AC) doit utiliser à son Institut de recherches vétérinaires, situé sur le chemin Fallowfield, à Nepean, en Ontario.

Un Avis de projet de marché (APM) a été publié dans la revue Marchés publics (MP), du 13 décembre 1989; il annonçait : «Tracteur John Deere, modèle no 4255, moins la reprise d'un tracteur IH 186 (location pour 3 ans)». L'avis était accompagné du symbole "F-01", ce qui veut dire qu'il s'agissait d'un marché visé par l'Accord de libre-échange et que le processus d'adjudication suivrait la procédure applicable aux appels d'offres ouverts -- c'est-à-dire que tout fournisseur intéressé pouvait présenter une soumission. Le rapport d'enquête de la Commission a établi à 53 886 $ la valeur estimée du contrat de location demandé, donc le contrat relève de la juridiction de la Commission de révision des marchés publics, en vertu de l'art. 15 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada - États-Unis.

Suite à l'APM, trois demandes de dossiers de soumission ont été reçues. La Demande de Proposition (DP) précisait que l'article à louer était un «John Deere, modèle no 4255, moins la reprise d'un tracteur IH 186». L'APM ni la DP ne précisaient la marque de l'article, ni non plus les caractéristiques "équivalences" ou "aucun succédané".

A la date limite de la présentation des soumissions, le 22 janvier 1990, deux soumissions avaient été reçues : l'une de Clow Farm Equipment Ltd., qui offrait un tracteur John Deere modèle 4255, et l'autre de la plaignante, H.J. Reis International Ltd., qui offrait un tracteur Case 7110, à un prix moins élevé que le modèle John Deere.

Il semble que, suite à des communications échangées entre le MAS et AC, le MAS a décidé, vers le 7 février 1990, qu'il y avait lieu de mettre fin au processus d'adjudication. Une nouvelle DP a donc été diffusée, le 13 février 1990, sans donner aucun avis d'annulation particulier et en fixant la date de fermeture au 1er mars 1990.

Il y avait deux différences importantes entre la deuxième demande de soumissions et la première :

a)le MAS a ajouté, aux spécifications, les mots "aucun succédané", et

b)il fut décidé de n'envoyer la DP qu'aux trois fournisseurs qui avaient initialement demandé un dossier de soumission.

La plainte

C'est à ce stade du processus (le 22 février 1990) que la plaignante a déposé sa plainte. Plus précisément, elle déclarait que sa soumission répondait aux spécifications de la première demande de soumissions, et que le résultat de cette première demande devrait tenir. Le 28 février 1990, la Commission a ordonné la suspension du processus d'adjudication conformément à l'alinéa 16(1)b) de la Loi. Le même jour, le MAS a demandé à la Commission d'appliquer sa procédure expéditive au règlement de la présente plainte, conformément à l'article 40 du Règlement sur la Commission de révision des marchés publics (le Règlement), parce que la mise en attente de cette adjudication aurait risqué de poser des problèmes opérationnels à Agriculture Canada, étant donné que le tracteur doit être utilisé au printemps. Cette demande a été accordée le même jour (la "procédure expéditive" veut que la Commission fasse part de sa décision dans un délai de 45 jours après le dépôt de la plainte, plutôt que 90 jours, en temps normal).

L'enquête

L'enquête sur les allégations contenues dans la plainte, sur la réponse du gouvernement à ces allégations et sur les observations de la plaignante au sujet de la réponse du gouvernement, s'est faite au moyen d'interrogatoires et d'un examen de documents émanant du MAS et d'AC. Pour que l'intégrité de toute démarche future relative au présent processus d'adjudication puisse être préservée, la présente décision ne fait pas mention directement des prix indiqués dans les soumissions reçues par le MAS. Ces renseignements ont été mis à la disposition de la Commission de façon distincte.

Un certain nombre de personnes ont été interrogées en personne ou par téléphone afin de confirmer diverses déclarations contenues dans les documents examinés. On peut mentionner : Mme A-M. Bellerive, du MAS (l'agente de négociation des contrats), Mme S. Roy, du MAS (la superviseure de l'agente de négociation des contrats), MM. R. Thompson et P. Ide, d'Agriculture Canada (l'agent du ministère-demandeur et le directeur de l'Institut de recherches vétérinaires respectivement), M. S. Rogers, de H.J. Reis International Ltd., à Carp, en Ontario, M. O. Clow, de Clow Farm Equipment Ltd. (un détaillant de John Deere et le seul autre soumissionnaire), Joyceville (Ontario), et M. J. Barkley, du MAS (Direction de l'examen des politiques et de la mise en oeuvre, Secteur des opérations des approvisionnements).

Le rapport d'enquête, présenté à la Commission par son personnel d'enquête, contient un certain nombre d'annexes portant sur du matériel et des documents que ces personnes ont jugé utiles pour établir ce rapport. La présente décision ne fait pas mention de façon particulière de tous ces documents justificatifs, mais les parties pourraient les consulter au besoin, et, sous réserve des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information, toute autre personne pourrait faire de même.

Comme l'enquête a permis d'obtenir suffisamment de renseignements pour que la Commission puisse, à son avis, trancher la question soulevée dans la présente plainte, il a été décidé qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience formelle. Pour arriver à ses conclusions, la Commission a tenu compte du rapport de son personnel d'enquête; elle a tiré ses conclusions et pris sa décision en se fondant sur les faits révélés dans ce rapport, dont les éléments pertinents sont mentionnés dans la présente décision.

Le processus d'adjudication

Comme on le verra, la décision, dans la présente affaire, a finalement été basée sur des motifs tels qu'il n'est pas nécessaire d'exposer très en détail toutes les circonstances qui ont entouré le processus d'adjudication. Les détails figurent dans le rapport d'enquête. De l'avis de la Commission, ils font preuve d'un certain nombre d'incohérences au niveau de l'application par le Ministère de ses propres politiques, pratiques et procédures, mais qui ne sont toutefois pas essentielles au règlement de cette affaire. Les conclusions auxquelles la Commission est arrivée en ce qui concerne les faits pertinents sont quand même énumérés dans les présentes. Comme il l'a été dit, il est possible de consulter le rapport d'enquête.

Le rapport de l'institution fédérale

Le rapport du MAS, signé par le directeur général, Direction générale du centre (annexe 18 du rapport), expose la façon dont le MAS voit le déroulement chronologique des événements durant le processus d'adjudication. Il ne répond pas aux allégations de la plainte, comme l'exige l'alinéa 30(2)e) du Règlement (repris au paragraphe 20 d) de la Directive 3006 du Guide de la politique des approvisionnements du MAS); le rapport a pour effet de reporter ainsi cette réponse :

[TRADUCTION] "... notre position est la suivante : la Commission devrait enquêter plus amplement sur la réclamation soumise par H.J. Reis International Ltd. et l'adjudication du contrat devrait être suspendue d'ici à ce que les conclusions de l'enquête soient connues."

Notre enquête indique que la déclaration suivante, contenue parmi les événements énumérés par le MAS, est en contradiction apparente avec certains documents du dossier d'adjudication :

[TRADUCTION]

1. "16 NOV. 1989 Il a été décidé que les raisons relatives à l'exigence "aucun succédané" n'étaient pas suffisamment bien fondées pour qu'on n'ait pas recours à une forme de concurrence quelconque. Le gestionnaire d'Agriculture Canada en a été avisé."

Cette déclaration laisse supposer qu'on aurait eu recours à quelque autre méthode d'approvisionnement que celle du type "aucun succédané", soit la méthode "équivalences". En fait, la note au dossier de la superviseure de l'agente de négociation des contrats (annexe 8) semble indiquer qu'à ce moment-là, la décision a été la suivante : [TRADUCTION] "l'adjudication relève de l'ALÉ, aucun succédané pour John Deere Equip...", et que la personne-ressource d'AC en a été ainsi avisée.

Le rapport comprenait trois notes de service d'AC au MAS montrant qu'AC désirait acheter le tracteur John Deere en question. Deux de ces notes figurent aux annexes 7 et 14 du rapport; le MAS a reçu la troisième (annexe 19 du rapport) après avoir reçu une plainte écrite de Reis, le 19 février 1990 (annexe 20 du rapport). Le rapport du MAS fait état de la façon suivante d'une conversation qui a eu lieu le 21 février 1990 entre la superviseure de l'agente de négociation des contrats et le chef de la Direction générale des produits industriels et commerciaux, Section TY, du MAS :

[TRADUCTION] "Parlé au chef de la Section TY des produits industriels et commerciaux -- MAS; discuté de la justification "aucun succédané". Il ne pense pas que les raisons soient suffisamment bonnes pour qu'on élimine les "équivalences". Il a dit que le client doit nous montrer comment la différence entre les deux tracteurs changera quelque chose à ses opérations. Agriculture Canada a été avisé de ce qui précède."

Un document donnant une comparaison, axée sur la concurrence, entre le tracteur Case IH 7110 et le tracteur John Deere 4255, a été envoyé au MAS par Reis (annexe 21 du rapport) le 21 février 1990, mais il n'a pas été inclus ni mentionné dans le rapport de l'institution fédérale, même s'il était joint au dossier d'adjudication du MAS.

Les observations de la plaignante sur le rapport de l'institution fédérale

Les observations de la plaignante sur le rapport du MAS (annexe 22 du rapport) ont été déposées auprès de la Commission le 19 mars 1990; elles répondent à chacune des raisons qu'AC a données pour appuyer sa demande d'adjudication de type "aucun succédané". Les points qu'elle aborde soulèvent des doutes quant à la validité de l'affirmation d'AC que seul un tracteur John Deere de modèle 4255 pourra répondre à ses besoins. Cependant, compte tenu des raisons exposées plus loin dans la présente décision, il n'était pas nécessaire de poursuivre l'enquête dans cette optique.

Conclusions

1. En réponse à une demande lancée par AC pour [TRADUCTION] "obtenir un contrat afin de louer, pendant trois ans", un tracteur John Deere de modèle 4255, avec option d'achat, le MAS a diffusé une DP de location, avec option d'achat, datée du 28 novembre 1989. La demande a été publiée dans la revue MP, le 13 décembre 1989, dans la section GATT/ALÉ.

2. Dans la demande, la DP, ou les MP, il n'était question des éléments "aucun succédané", ni "équivalences"; cependant, la demande quant à elle précisait que l'équipement [TRADUCTION] "pouvait être obtenu chez : (John Deere Dealers and Government Sales Division) Clow Farm Equipment..."

3. La clause suivante faisait partie de la DP :

[TRADUCTION]

«CRITÈRES D'ÉVALUATION :

Les critères d'évaluation de votre proposition seront les suivants :

a.Le coût total du besoin.

b.Spécification (s'il y a lieu).

c.Bail.

d.Conditions de livraison.

e.Teneur en éléments étrangers (s'il y a lieu).

f.Documents descriptifs (s'il y a lieu).

g.Frais de transport (s'il y a lieu).

h.Demande de proposition.

i.Garantie.

j.Fluctuations du taux de change (s'il y a lieu).

k.Les conditions ci-énoncées doivent être respectées (ainsi que le verso de la page 1).»

4. Trois fournisseurs éventuels ont fait la demande d'un dossier de soumission et les propositions de deux compagnies ont été reçues avant la date limite pour présenter une soumission. L'un des soumissionnaire offrait le modèle de tracteur précisé dans la DP, tandis que l'autre, le plus bas soumissionnaire, offrait un produit de remplacement : un tracteur Case IH 7110.

5. L'agente de négociation des contrats a envoyé à AC un tableau des prix des deux propositions et les brochures qui accompagnaient ces propositions.

6. Le MAS semble avoir annulé la demande de soumissions et il n'a pas adjugé de contrat. A aucun endroit, dans le dossier d'adjudication, on ne trouve une mention que la demande est définitivement annulée, ou encore des raisons pour lesquelles la première DP a été annulée. D'après l'agente de négociation des contrats et sa superviseure, cette mesure a été prise à cause de l'ambiguïté des premières spécifications, soit l'absence des termes "aucun succédané", ou encore "équivalences", et parce qu'AC insistait pour dire qu'il lui fallait nécessairement ledit modèle en particulier.

7. Le MAS a relancé sa demande, cette fois en incluant "aucun succédané".

8. Si le MAS a accepté la justification de l'exigence "aucun succédané", c'est parce qu'AC déclarait que ses pièces d'équipement ne pouvaient aller sur d'autres tracteurs.

9. La deuxième DP a été lancée selon les mêmes spécifications que la première, mais avec les mots «(AUCUN SUCCÉDANÉ)», ajoutés juste en bas de la marque de commerce et du numéro de modèle. La mention de la reprise et la clause sur les critères d'évaluation étaient identiques à celles de la première DP.

10. La deuxième DP ne visait ni à annuler, ni à remplacer la première.

11. La liste de diffusion de la nouvelle demande était composée des trois fournisseurs qui avaient demandé un dossier de soumission lors de la première DP.

12. Aucun APM n'a été publié dans les MP en rapport avec la deuxième DP.

13. L'article V.4 de l'Accord du GATT prévoit ce qui suit :

"4. Les entités feront paraître un avis concernant chaque projet de marché dans la publication appropriée qui est indiquée à l'annexe II. Cet avis constituera une invitation à participer soit à une procédure d'appel d'offres ouverte, soit à une procédure d'appel d'offres sélective."

14. Les deux mêmes sociétés ont présenté une soumission suite à la deuxième demande. Dans le cas de Reis, elle s'est trouvée à le faire après avoir soumis sa plainte à la Commission.

15. L'article IV.3 de l'Accord du GATT relatif aux marchés publics (le Code du GATT), incorporé dans l'Accord de libre-échange Canada - É.-U. par le jeu de l'article 1303 de l'ALÉ, prévoit ce qui suit :

"3. Il ne devra être exigé ou mentionné de marques de fabrique ou de commerce, de brevets, de modèles ou de types particuliers, ni d'origines ou de producteurs déterminés, à moins qu'il n'existe pas d'autre moyen suffisamment précis ou intelligible de décrire les conditions du marché et à la condition que des termes tels que «ou l'équivalent» figurent dans les appels d'offres".

16. La directive 3005 du Guide de la politique des approvisionnements du MAS (Marchés publics assujettis à l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis) prévoit, au paragraphe 8 :

"Les procédures relatives au Code du GATT, prévues dans les lignes directrices de la directive 3004 du GPA, s'appliquent aux achats effectués dans le cadre de l'Accord de libre-échange et feront partie de la présente directive, exception faite des dispositions relatives au traitement national, aux règles d'origine et aux règlements des différends."

17. La directive 3004 du Guide de la politique des approvisionnements du MAS, au paragraphe 38, reprend de la façon suivante l'article du Code du GATT auquel renvoit la conclusion 15 ci-dessus :

"Les exigences concernant les produits ne doivent pas être exprimées en fonction d'une marque de fabrique ou de commerce, d'un modèle, d'un brevet ou du nom du fabricant, à moins qu'il ne soit pas possible de décrire autrement le produit de manière suffisamment précise; dans ces cas, l'expression "ou l'équivalent" doit figurer dans la demande de soumissions."

18. Le texte de l'article 1305 de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis est le suivant :

"En ce qui concerne les marchés visés dans le présent chapitre, chaque Partie devra ... pour les décisions touchant ... l'évaluation des soumissions et l'adjudication des contrats, utiliser des critères ... qui sont clairement spécifiés à l'avance ..."

19. La directive 3004 du Guide de la politique des approvisionnements du MAS prévoit, au paragraphe 13 a) :

"La méthode de demande de soumissions ouverte sera habituellement utilisée aux fins d'invitations à soumissionner. En vertu de cette méthode, tout fournisseur intéressé à le faire peut présenter une soumission. Il est possible, grâce à un Avis de projet de marché (APM) publié dans les «Marchés publics», de faire des demandes de soumissions ... L'inclusion dans la liste des fournisseurs agréés du MAS ne constitue pas un prérequis pour soumissionner. Les listes de fournisseurs ne seront pas utilisées; seuls les APM seront utilisés pour publier les occasions à soumissionner."

Conclusions sur le fond

Il suffira, pour résoudre cette plainte, de se référer à deux exigences procédurales de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALÉ), qui n'ont pas été respectées ni l'une ni l'autre dans le processus d'adjudication. Le défaut de conformité avec ces exigences a des conséquences fatales pour les deux tentatives de demandes faites dans le présent cas.

La première exigence se trouve à l'article IV.3 du Code du GATT qui, selon l'interprétation de la Commission, interdit effectivement les marchés de type "aucun succédané" en vertu de l'ALÉ.

Cette obligation a été adoptée par le Canada pour qu'elle s'applique spécialement aux marchés de l'État admissibles : elle a été effectivement transposée presque textuellement dans la directive 3004.38 du Guide de la politique des approvisionnements du MAS. Sous réserve de certains commentaires ultérieurs au sujet de la directive 2005, il est donc clair que le gouvernement a établi un cadre de politiques conforme à ses obligations internationales. Dans le présent cas, le vice a été de ne pas reconnaître que des marques de commerce ne peuvent figurer dans les spécifications des marchés visés par l'ALÉ, excepté si elles sont accompagnées de termes comme "ou l'équivalent". Dans la deuxième demande, l'emploi des mots "aucun succédané" est tout simplement contraire au Code et la rend nulle.

La deuxième exigence procédurale prévue par l'ALÉ et qui n'a pas été respectée dans ce cas était celle de publier un APM pour la deuxième demande de soumissions, comme le veut l'article V.4 du Code du GATT. (Il convient de signaler que le Code du GATT prévoit qu'il peut être nécessaire de modifier un APM ou d'en diffuser un nouveau (voir, p. ex., l'art. V.9). Dans le présent cas, l'article V.9 ne s'applique pas parce qu'il ne vise que des situations où le besoin survient avant l'ouverture des soumissions. Mais même en pareil cas, le Code du GATT exige qu'un nouvel APM reçoive la même circulation que le premier. C'est donc dire que, si dans le cas de simples modifications, la publication complète est exigée, comment pourrait-il être plus clair qu'elle est également exigée si une nouvelle demande de soumissions est lancée?)

Dans ce cas-ci, la première demande de soumissions n'a pas été traitée comme si elle avait été modifiée. Elle ne pouvait non plus être traitée ainsi, parce que les soumissions étaient déjà ouvertes. Elle a plutôt été considérée de la seule façon qu'elle pouvait l'être, c'est-à-dire annulée et remplacée par une nouvelle demande de soumissions (et ce, même si aucun avis d'annulation ou de remplacement n'avait paru dans les Marchés publics).

La Commission en arrive donc à la conclusion, pour les raisons exposées ci-haut, que le MAS ne s'est pas conformé aux exigences de l'art. 17 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, et qu'elle se doit de recommander qu'une nouvelle demande de soumissions soit lancée, conformément aux dispositions du Code du GATT et de l'ALÉ.

Au cours du premier processus d'adjudication, Agriculture Canada s'est efforcé de trouver des raisons pour ne pas accepter l'équipement offert par le plus bas soumissionnaire, en essayant de justifier, en fait, une interprétation des spécifications fondée sur l'exigence "aucun succédané". Dans sa réponse, la plaignante a présenté des observations et une documentation qui ne concordaient pas avec les vues du ministère.

La Commission n'a pas eu à examiner les différentes déclarations contradictoires pour essayer de déterminer, par exemple, si certaines pièces d'équipement qui appartiennent à Agriculture Canada pourraient être compatibles avec un tracteur Case 7110 et, au besoin, à quel coût additionnel. Si la recommandation de la Commission de relancer une demande de soumissions pour pourvoir à ce besoin est acceptée, il pourrait valoir la peine de consacrer un certain temps pour préciser ce besoin, et pour spécifier clairement les critères d'évaluation à l'avance.

Comme dernier point, d'après la preuve fournie dans le présent cas, il semble y avoir une certaine confusion entre les termes "fournisseur exclusif" et "aucun succédané". La directive 2005 du Guide de la politique des approvisionnements du MAS définit la commande de type "aucun succédané" comme une commande dans laquelle "le client décrit le produit au moyen d'une marque de commerce, d'un numéro de modèle ou d'une spécification restrictive, et refuse tout succédané." La même directive définit la commande de type "fournisseur exclusif" comme une commande "dans laquelle le client précise qu'il n'acceptera que la personne ou le fournisseur précisé." Il s'ensuit que, par définition, un marché de type "aucun succédané" peut être concurrentiel, tandis qu'un marché de type "fournisseur exclusif" ne pourra jamais être concurrentiel.

Dans la même directive, le MAS prévoit qu'il "doit aviser et encourager les ministères clients à modifier les commandes de façon à permettre le lancement de demandes de soumissions en régime de concurrence dans les cas où il existe d'autres produits ou fournisseurs pouvant satisfaire aux besoins." La Directive dit également que "la présente politique s'applique à toutes les commandes du type "aucun succédané" ou "fournisseur exclusif."

D'après cette directive, il est clair qu'il peut y avoir des cas, même en vertu du GATT et de l'ALÉ, où une commande de type "aucun succédané" peut être justifiée. Dans ce sens, cette directive est incompatible avec l'article IV.3 du Code du GATT et avec d'autres dispositions susmentionnées du Guide de la politique d'approvisionnement du MAS, parce qu'elle ne fait pas ressortir l'exception importante des marchés visés par le GATT et l'ALÉ. De plus, même si les commandes de type "fournisseur exclusif" (appels d'offres uniques) sont en réalité permises en vertu du GATT et de l'ALÉ, les critères qui doivent les justifier sont différents de ceux qui sont énumérés dans la directive 2005.

Vu que la plaignante a, pour l'essentiel, gain de cause, la Commission a également décidé d'adjuger en sa faveur des frais raisonnables engagés pour le dépôt et la présentation de sa plainte.

La Commission ne lui accordera toutefois pas les frais qu'elle a engagés pour établir sa soumission lors des deux demandes de soumissions défectueuses parce que, dans le premier cas, elle n'a pas nécessairement présenté une soumission conforme (point qui est expressément non tranché à cause de l'ambiguïté de la DP), et que, dans le deuxième cas, elle a présenté sa soumission même en sachant qu'il s'agissait d'un marché de type "aucun succédané".

La Commission ne recommandera pas non plus que le contrat soit adjugé à la plaignante par rapport à la première demande de soumissions, ce qu'elle a demandé, parce que, comme il a été expliqué, en raison de son ambiguïté, cette demande peut ne pas avoir attiré le nombre de soumissions qu'elle aurait dû attirer et, si la demande avait été faite comme il le fallait, ne permet d'affirmer que la soumission de la plaignante aurait été acceptée et qu'elle aurait répondu aux conditions, tant les spécifications que le prix.

Voici maintenant la décision de la Commission.

DÉCISION

La Commission statue en se fondant sur son enquête, que le marché passé par le ministère des Approvisionnements et Services ne se conformait pas aux exigences mentionnées à l'article 17 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada -États-Unis, parce qu'il était fait usage d'une marque de commerce particulière, comme condition technique, sans l'emploi de mot "ou l'équivalent", et parce qu'une demande de soumissions a été lancée sans la publication de l'Avis de projet de marché exigé.

La Commission décide également :

a)d'accorder à la plaignante ses frais raisonnables engagés pour le dépôt et l'examen de sa plainte,

b)de recommander que le MAS lance une nouvelle demande de soumissions relativement au même marché, si le besoin en question demeure,

c)de recommander que le MAS modifie la directive 2005 dans la mesure où elle est incompatible avec les obligations qui découlent du Code du GATT et de l'ALÉ.

Gerald A. Berger
_________________________
Gerald A. Berger
Président
Commission de révision
des marchés publics du Canada


[ Table des matières]

Publication initiale : le 27 août 1997