ENCONAIRE (1984) INC.

Décisions


ENCONAIRE (1984) INC.
N° du greffe de la Commission: E90PRF664Y-021-0019

TABLE DES MATIÈRES


AFFAIRE INTÉRESSANT

Une plainte de Enconaire (1984) Inc. du 80, avenue Sutherland Winnipeg (Manitoba)

N° du greffe de la Commission: E90PRF664Y-021-0019

Dans laquelle: Controlled Environments Ltd. (Conviron) du 1461, St. James Street Winnipeg (Manitoba) a reçu l'autorisation d'intervenir

Plainte retenue

ET

La Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, partie II, art. 15, L.C. 1988, ch. 65.

15 février 1991

DÉCISION DE LA COMMISSION

Il s'agit en l'espèce d'un des deux articles achetés par le ministère des Approvisionnements et Services (MAS) pour l'Institut pour la répression des ravageurs forestiers du ministère des Forêts à Sault Ste Marie (Ontario). L'article en question est une «enceinte à milieu ambiant contrôlé et accessible de l'extérieur», qui a fait l'objet d'un marché d'exclusivité accordé à Controlled Environments Ltd. (Conviron), de Winnipeg (Manitoba).

Le plaignant fait valoir que l'achat par appel d'offre unique de cet équipement, qu'il aurait également pu fournir, l'a privé d'une chance égale de répondre aux besoins de Forêts Canada (FC), contrairement à ce que dispose l'Accord de libre-échange (ALÉ).

Le MAS considère que son ministère client (FC) a présenté une justification suffisante d'un marché d'exclusivité aux termes de l'Accord de libre-échange, lequel stipule lui-même que les règles normales exigeant un appel d'offres ouvert «ne seront pas nécessairement applicables» lorsque les biens commandés sont des «livraisons additionnelles à assurer par le fournisseur initial et portant sur des pièces de rechange pour des fournitures déjà faites ou des installations déjà livrées, ou destinées à compléter ces fournitures ou installations, et qu'un changement de fournisseur aboutirait à la livraison de matériel ne répondant pas à des conditions d'interchangeabilité avec un matériel déjà existant...» (citation du Code du GATT, paragraphe 16d) de l'article V, qui est intégré à l'ALÉ et qui s'applique au présent marché.)

L'autre article visé par le présent marché (et qui ne fait pas l'objet d'une plainte) est un incubateur - modèle légèrement plus petit d'une chambre de croissance à milieu ambiant contrôlé. Cet incubateur a, lui aussi, été acheté à Conviron par appel d'offre unique. La Commission fait remarquer que l'avis d'adjudication de contrat paru dans la publication intitulée Marchés Publics, lequel avis a mis le plaignant au courant de l'existence de ce marché, n'indiquait pas que ce deuxième article faisait partie du contrat adjugé.

Le plaignant a pris ou aurait dû prendre connaissance de l'existence d'un second article dans le contrat lorsqu'on lui a envoyé un exemplaire du rapport de l'institution fédérale, qui en fait clairement mention. Il ne s'est aucunement efforcé, par la suite, d'amender sa plainte pour qu'elle porte également sur le deuxième article. C'est pourquoi la Commission suppose que le plaignant entendait limiter sa plainte au seul article en cause dans la présente affaire, l'enceinte à milieu ambiant contrôlé et accessible de l'extérieur.

Toutefois, l'élément important pour le système des marchés tient à ce qu'il est obligatoire, aux termes de l'ALÉ, que les avis d'adjudication de contrat indiquent la «nature et quantité des produits faisant l'objet de l'(des) adjudication(s)...» (Code du GATT, paragraphe 1a) de l'article VI), et l'avis d'adjudication de contrat en cause n'a pas satisfait à cette exigence. Une telle imprécision crée un certain risque d'inéquité bien que, dans l'affaire en cause, il n'existe pas d'indices probants de ce que cela se soit effectivement produit.

Le plaignant s'est conformé à toutes les exigences techniques relatives au dépôt de sa plainte. Après avoir reçu avis de la plainte, l'adjudicataire, Conviron, a demandé et obtenu l'autorisation d'intervenir dans l'affaire. La Commission a recueilli ses observations et lui a fait parvenir des exemplaires du rapport de l'institution fédérale et des observations du plaignant sur ce rapport. Le plaignant n'a pas fait d'autres représentations auprès de la Commission.

Les allégations formulées dans la plainte, ainsi que la réponse du gouvernement à ces allégations, les observations de l'intervenant et les observations du plaignant lui-même ont été étudiées au moyen d'interviews de particuliers et d'un examen des documents figurant dans le dossier du marché tenu par le MAS. Ont été interviewées les personnes suivantes : J. Manning, MAS, Sous-bureau de North Bay (chef des acquisitions et agent de négociation de ce contrat); J. Heatley, FC, Sault Ste Marie (agent aux commandes et chef de l'entretien et de la construction; M. Blair Elson, FC (scientifique) et M. D. Kruse, Enconaire (directeur général).

Le rapport d'enquête (désigné ci-après par le sigle R.E.) de la Commission contient un certain nombre d'annexes relatives au matériel et aux documents jugées pertinentes pour le fond dudit rapport. La présente décision ne mentionne pas expressément tous ces documents justificatifs qui sont néanmoins à la disposition des parties au besoin, et, sous réserve des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information, de toute autre personne.

Comme l'enquête a produit suffisamment d'information pour permettre à la Commission de trancher, selon elle, les questions soulevées dans la plainte, celle-ci a décidé de ne tenir aucune audience formelle dans cette affaire. Pour arriver à ses conclusions, elle a examiné le rapport de son personnel enquêteur et elle a fondé ses constatations et conclusions sur les faits qui y sont exposés, dont les éléments pertinents figurent dans la présente décision.

Contexte

L'Institut pour la répression des ravageurs forestiers (IRRF) se sert de ces chambres de croissance à milieu ambiant contrôlé pour mener diverses expériences sur les plantes. À l'heure actuelle, quelque 132 enceintes et chambres y sont en service, dont 100 ont été fabriquées par Conviron, les autres produits ont été livrés par trois autres fabricants, parmi lesquels ne figure pas Enconaire, le plaignant dans l'affaire qui nous intéresse. La passation de ce marché vise à permettre à l'IRRF de remplacer une enceinte et un incubateur obsolètes (tous deux fabriqués par une autre entreprise que Conviron) (voir le R.E., annexe 12).

L'IRRF dispose également d'un enregistreur de données central et informatisé, fourni antérieurement par Conviron, qui recueille et enregistre les données provenant de n'importe laquelle des chambres de croissance qui lui sont reliées. Comme cela s'est produit dans le cas d'Agriculture Canada, relativement à la plainte sur laquelle la Commission s'est prononcée le 28 janvier 1991 et qui portait sur un ensemble similaire de chambres de croissance (Nos du greffe de la Commission : E90PRF6601-021-0020 et E90PRF6601-021-0021), Forêts Canada dispose également d'un ordinateur central distinct (également fourni antérieurement par Conviron) qui peut à la fois avoir accès aux données recueillies par l'enregistreur de données et permettre au surveillant de régler séparément, à partir de ce point central, le milieu ambiant de toutes les chambres de croissance qui lui sont reliées.

Dans la présente affaire, toutefois, contrairement à ce qui s'est passé dans le cas d'Agriculture Canada, l'IRRF n'a pas, en ce moment, raccordé toutes ses chambres de croissance à l'enregistreur de données et à l'ordinateur central. D'ailleurs, le matériel faisant l'objet de la commande ne sera pas raccordé à ces appareils pour le moment. Néanmoins, selon le Chef de l'entretien de FC à l'IRRF, on a considéré comme un «avantage supplémentaire» le fait que le système de commande électronique rattaché à chaque enceinte puisse être raccordé à l'enregistreur de données et à l'ordinateur central, pour le cas où ce besoin se présenterait à l'avenir. Toutefois, cette caractéristique n'était pas expressément mentionnée dans la Demande de propositions ou dans le contrat.

La justification du marché d'exclusivité

Lorsque le ministère des Forêts (FC) a envoyé au MAS sa demande relative à ce matériel, il l'a accompagnée d'une «justification du marché d'exclusivité» que le MAS a ultérieurement demandé à FC de mieux étayer avec une pièce justificative plus complète. Cette dernière, qui a été envoyée au MAS, est libellée comme suit (voir le R.E., annexe 4) :

[TRADUCTION]

«MOTIFS EXPLIQUANT LA PRÉFÉRENCE POUR LES ENCEINTES DE CONVIRON À MILIEU AMBIANT CONTRÔLÉ ET ACCESSIBLES DE L'EXTÉRIEUR»

On trouvera ci-après quelques-unes des raisons expliquant la préférence pour les enceintes à milieu ambiant contrôlé fabriquées par Conviron comme remplacement des produits obsolètes actuellement en service.

1.Il est essentiel que notre nouveau matériel à milieu ambiant contrôlé et que le matériel en service soient normalisés. La normalisation de ce matériel permet l'uniformité des techniques d'exploitation et d'entretien, limite les erreurs ou les retards découlant de l'exploitation et de l'entretien de matériels de types différents, limite les dépenses d'entretien, limite le nombre de pièces de rechange nécessaires étant donné qu'il existe moins de types de matériels, et limite les frais de formation étant donné que le personnel connaît déjà le matériel de marque Conviron.

2.Le Centre de foresterie des Grands Lacs compte déjà 132 enceintes à milieu ambiant contrôlé (77 enceintes-chambres et 55 accessibles de l'extérieur). La société Conviron a fabriqué la plupart de ces enceintes. Ces dernières années, toutes les enceintes que le Centre a achetées provenaient de la société Conviron.

3.Le personnel scientifique est satisfait de l'équipement, des spécifications et du rendement du matériel de marque Conviron.

L'expérience déjà ancienne que nous avons du matériel et des représentants de Conviron est tout à fait satisfaisante.

4.Conviron est une entreprise bien implantée offrant un service après-vente de qualité. On peut obtenir dans un court délai des pièces et du service après-vente de ses installations de Winnipeg.

5.On peut utiliser sur le nouveau matériel dont l'acquisition est proposée les stocks de pièces de rechange constitués pour le matériel actuellement en service. Un nombre important de pièces coûteuses, entre autres le système du microprocesseur et le psychromètre, sont interchangeables entre les enceintes-chambres et les enceintes accessibles de l'extérieur de la société Conviron.

6.Notre personnel d'entretien et d'exploitation connaît déjà le matériel Conviron. Il ne sera pas nécessaire de lui dispenser une formation supplémentaire.

7.Les microprocesseurs et le matériel d'enregistrement de données de marque Conviron sont conçus pour ne fonctionner qu'avec du matériel de marque Conviron.»

De toute évidence satisfait de cette justification, l'agent de négociation des contrats a préparé une note de service intitulée: [TRADUCTION] «LES DISPOSITIONS DU GATT/DE L'ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE SUR LES MARCHÉS PUBLICS NE S'APPLIQUENT PAS POUR LES RAISONS SUIVANTES :» afin d'obtenir l'autorisation interne de passer un marché exclusif avec un fournisseur (voir le R.E., annexe 5). La raison invoquée était la suivante :

«un produit de marque particulier est nécessaire pour des raisons de logistique, dans le cas où l'installation d'un article non normalisé présenterait des problèmes d'exploitation ou engagerait des coûts d'entretien supplémentaires;»

Ce document a été signé au nom du Chef des acquisitions par le gestionnaire du Bureau régional du MAS pour le Nord de l'Ontario, le 5 octobre 1990. Selon l'agent de négociation des contrats, le bureau régional avait élaboré ce formulaire pour ses adjudications.

Le rapport de l'institution fédérale (RIF) (voir le R.E., annexe 12), soumis à la Commission par le MAS, comprend une copie d'une note de service préparée par le ministère client; cette note contient d'autres informations et éléments explicatifs appuyant la décision de passer un marché exclusif avec Conviron. Les éléments pertinents de cette note sont cités ci-après :

[TRADUCTION]

« ENCEINTES À MILIEU AMBIANT CONTRÔLÉ

Ce matin, vous...avez demandé les informations suivantes.

1. Comment le ministère des Forêts a-t-il décidé de normaliser son matériel? Avons-nous des pièces justificatives?

Observations

Les antécédents de la situation remontent au début des années 80. À ma connaissance, figurent parmi ces antécédents des expériences insatisfaisantes avec d'autres fournisseurs, suivies d'expériences très satisfaisantes avec Conviron pour ce qui est du respect des spécifications, du soutien du fabricant, de l'entretien du matériel et du service après-vente.

...la décision de normaliser avec du matériel de marque Conviron s'appuyait sur le fait qu'au début des années 80, il n'existait pas d'autre entreprise canadienne importante fabriquant du matériel à milieu ambiant contrôlé qui soit de bonne qualité et assurant avec compétence le service après-vente et l'entretien. Même pendant la réalisation du grand projet de construction de la Phase deux, le matériel à milieu ambiant contrôlé a été acquis par l'intermédiaire d'un appel d'offres ouvert; l'évaluation des soumissions a confirmé que Conviron était le fournisseur dont le dossier était le plus convaincant.

. . .

En 1985-1986, l'habitude d'acheter du matériel de marque Conviron était déjà ancrée : tout le matériel à milieu ambiant contrôlé acheté pendant les Phases 2 et 3 du grand programme de construction l'avait été auprès de Conviron, et du matériel de même marque avait déjà été acheté bien avant cette période. Avec l'approbation du personnel scientifique, un feuillet expliquant brièvement les motifs de la préférence pour le matériel de marque Conviron fut joint à chaque demande subséquente de matériel à milieu ambiant contrôlé.

2. . . .

3.Avons-nous des informations tirées d'une évaluation nous permettant de définir notre norme? Avons-nous une norme?

Observation

Aucun matériel à milieu ambiant contrôlé de marque autre que Conviron n'a été acheté depuis 1975. Les spécifications, les normes et les tests de rendement ont varié au fil des ans selon les exigences particulières formulées par le personnel scientifique pour divers types de matériels.

4.Pouvons-nous donner un aperçu des frais supplémentaires qui découleraient du débranchement et du rebranchement de ces enceintes pour la réalisation des modifications nécessaires au bon fonctionnement des composantes? Pouvons-nous estimer les répercussions de toutes ces modifications sur la durée d'utilisation du produit?

Observation

Ces modifications sont probablement quasi impossibles à réaliser. À notre connaissance, les microprocesseurs qu'utilise Conviron ne sont pas compatibles avec ceux qu'emploie Enconaire. On nous indique que certaines caractéristiques comme la vitesse interne et le langage, et ainsi de suite, sont différentes, que les microprocesseurs ne peuvent tout simplement pas communiquer les uns avec les autres, et que le microprocesseur Enconaire ne peut pas communiquer avec l'enregistreur de données Conviron.

Ces informations nous ont été communiquées par Conviron. Nous n'avons pas eu l'occasion de les vérifier.

5.. . .

Les observations qui suivent portent sur le résumé administratif du rapport de l'institution fédérale :

. . .

Le dernier paragraphe, précédé de l'intertitre «Position de ASC», est plutôt confus. À ma connaissance, le microprocesseur Conviron est un appareil de marque qui n'est utilisé, en ce moment, que sur le matériel de marque Conviron. Il fait partie intégrante du système de commande de chaque enceinte, et il faudrait que le microprocesseur d'un concurrent soit compatible pour être en mesure de communiquer avec un enregistreur de données Conviron. Les lettres de la société Enconaire figurant en annexe ne font pas état de la compatibilité de son matériel avec les microprocesseurs et enregistreurs de données Conviron et, à notre connaissance, il n'est pas compatible. La réalisation de modifications pour le rendre compatible pourrait très bien se révéler impossible; il se peut que, dans les spécifications générales que nous préparerons à l'avenir, nous exigions la compatibilité avec les microprocesseurs et enregistreurs de données Conviron.

. . .

Observations diverses

Nous ne prévoyons pas, pour le moment, acheter d'autres enceintes ou chambres de croissance à milieu ambiant contrôlé pendant l'exercice financier en cours. Cela étant dit, si nous avons à évaluer à l'avenir des soumissions de cette société, il se peut que l'évaluation technique porte en partie sur la compatibilité des microprocesseurs et des enregistreurs de données avec le matériel de marque Conviron déjà en service. Seraient également pris en compte les risques liés à l'instabilité de la société Enconaire par le passé ainsi que les risques financiers éventuels. De plus, nous souhaiterons probablement communiquer avec d'autres acheteurs récents du type précis de matériel que nous pourrions acquérir afin de déterminer si une société comme Enconaire présente des risques des points de vue de la qualité du matériel, de la garantie ou du service après-vente.»

Analyse

Avant d'accorder en exclusivité à un fournisseur un marché visé par l'ALÉ, le ministère acheteur doit, conformément au paragraphe 16 de l'article V du Code du GATT, arriver à la conclusion qu'une des conditions permettant d'agir de la sorte a été remplie et, en outre, qu'il n'était pas souhaitable, en tout état de cause, de soumettre le marché à la concurrence et que l'appel d'offre unique n'est pas utilisé en vue de ramener la concurrence en deçà du maximum possible ou de pratiquer une discrimination en faveur des producteurs nationaux. Cependant, il n'est pas évident que les deux dernières considérations aient entré en ligne de compte dans la prise de décision, mais ces deux points ne sont pas vraiment en litige; la vraie question est à savoir si la première condition a été remplie. Cette condition est libellée comme suit à l'alinéa d) du paragraphe 16 :

« Appel d'offre unique (marchés de gré à gré)

16. Les dispositions des paragraphes 1 à 15 ci-dessus, qui s'appliquent aux procédures d'appel d'offres ouvertes ou sélectives, ne seront pas nécessairement applicables dans les circonstances définies ci-après, à la condition que l'appel d'offre unique ne soit pas utilisé en vue de ramener la concurrence en deçà du maximum possible, ou d'une manière qui constituerait un moyen de discrimination entre fournisseurs étrangers ou de protection des producteurs nationaux :

. . .

(d)lorsqu'il s'agira de livraisons additionnelles à assurer par le fournisseur initial et portant sur des pièces de rechange pour des fournitures déjà faites ou des installations déjà livrées, ou destinées à compléter ces fournitures ou installations, et qu'un changement de fournisseur aboutirait à la livraison de matériel ne répondant pas à des conditions d'interchangeabilité avec un matériel déjà existant;4

4 Il est entendu que le «matériel existant» mentionné au paragraphe 16, alinéa d), du présent article, comprend les logiciels dans la mesure où le marché initial de logiciels était visé par l'accord.»

Cette affaire est assez semblable à l'affaire concernant Agriculture Canada évoquée plus haut, où la même question a été soulevée, c'est-à-dire le point de savoir si on satisfaisait à la condition énoncée à l'alinéa d) du paragraphe 16 de l'article V du Code du GATT lorsqu'une justification similaire était présentée.

Forêts Canada présente bel et bien une explication de sa façon de faire mais, malheureusement, elle n'est pas conforme aux exigences de l'ALÉ énoncées dans l'article du Code du GATT qui est intégré à l'Accord. Les deux éléments de matériel commandés remplacent d'autres articles similaires, mais ils ne constituent pas des «pièces de rechange» pour ces articles et on ne les a pas commandés au fournisseur initial, comme cela est stipulé au paragraphe 16d) de l'article V.

On ne peut pas, non plus, avancer ici l'argument de l'interchangeabilité avec le matériel existant. Un certain nombre de chambres de croissance et d'enceintes provenant de divers fabricants sont en service à l'IRRF et on ne peut pas affirmer, et on n'a pas non plus fait valoir, que l'interchangeabilité est une question d'une telle importance pour FC qu'un changement de fournisseur forcerait le ministère à acquérir du matériel qui ne répondrait pas à ses exigences en la matière.

La Commission a déjà abordé, dans l'affaire concernant Agriculture Canada évoquée plus haut, la question de la confusion entre les termes «compatibilité» et «interchangeabilité», cette confusion a autant d'incidences sur la présente affaire que sur l'autre.

En premier lieu, la «compatibilité» n'est pas une justification qui satisfait à la condition énoncée dans le Code, où on exige l' «interchangeabilité». La règle est beaucoup plus contraignante que cela.

En deuxième lieu, même si on pouvait considérer les deux termes comme des synonymes, le gouvernement n'a pas, dans les faits, exigé dans ce marché la compatibilité avec l'enregistreur de données et l'ordinateur central. En outre, il ne s'est pas donné les moyens d'établir que la condition, même si elle était ainsi interprétée, a été remplie.

Il a fait valoir que la compatibilité entre le nouveau matériel, d'une part, et l'enregistreur de données et l'ordinateur central de marque Conviron, d'autre part, serait une caractéristique souhaitable, mais il reconnaît qu'il n'existe pas de besoin immédiat à cet effet. Il reconnaît également que s'il avait à faire l'acquisition de ces produits dans un appel d'offres ouvert, cette compatibilité, justement, constituerait une des exigences. Il incomberait alors au secteur privé de satisfaire à cette exigence et aux autres. Mais en l'occurrence, comme dans l'affaire concernant Agriculture Canada, cette occasion n'a pas été offerte au secteur privé. En l'absence de l'effort que représente la tenue d'une procédure ouverte, le gouvernement, en dernière analyse, a retenu la «commodité» comme explication de la passation du marché d'exclusivité.

D'ailleurs, le formulaire rempli pour obtenir l'autorisation interne de faire appel à un seul fournisseur (voir le R.E., annexe 5) indique que cette façon de faire s'appuie sur la raison suivante :

«un produit de marque particulier est nécessaire pour des raisons de logistique, dans le cas où l'installation d'un article non normalisé présenterait des problèmes d'exploitation ou engagerait des coûts d'entretien supplémentaires;»

Cette citation est extraite du Guide de la politique des approvisionnements (GPA), directive 3002, alinéa 7c) du MAS; il s'agit là d'une politique qui ne s'applique pas à l'Accord de libre-échange ou aux marchés visés par le GATT. Comme cela a déjà été souligné, dans le cas de ces marchés, un ensemble plus rigoureux de règles applicables à l'à-propos et à l'utilisation de l'appel d'offre unique est maintenant entré en vigueur.

Enfin, la Commission fait observer qu'on ne saurait s'opposer au voeu d'autorités techniques de «normaliser» leurs besoins, en autant que cela ne se fasse pas uniquement sous forme de mention de marques de commerce ou en précisant l'origine ou le producteur, ce qui peut devenir un moyen de limiter la concurrence. Le Code du GATT reconnaît lui-même (paragraphe 3 de l'article IV) que lorsqu'il n'existe pas de façon suffisamment précise ou intelligible de décrire des besoins en matière d'acquisition si ce n'est par une mention de ce type, cette façon de faire est autorisée, mais il faut alors ajouter à l'appel d'offres des mots comme «ou l'équivalent».

En conclusion, la Commission considère que le ministère ne s'est pas donné les moyens de déterminer si les conditions, en vertu desquelles les exigences relatives aux procédures d'appel d'offres ouvertes ne seront pas nécessairement applicables, ont été remplies. Elle accordera au plaignant le remboursement des frais raisonnables qu'il a engagés au titre du dépôt et de l'instruction de sa plainte. Elle recommandera également que ce marché soit annulé et que, si le besoin existe toujours, il fasse l'objet d'un appel d'offres ouvert conformément aux dispositions de l'Accord de libre-échange.

DÉCISION

La Commission a statué, à la lumière de son enquête, que le présent marché du ministère des Approvisionnements et Services ne respectait pas les exigences de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange dans la mesure où il n'a pas donné à tous les fournisseurs potentiels une chance égale de répondre aux besoins de l'entité acheteuse à l'étape de l'appel d'offres et de la soumission parce que le besoin a fait l'objet d'un marché exclusif sans que l'entité acheteuse ne soit en mesure de déterminer si les conditions, en vertu desquelles les exigences relatives aux procédures d'appel d'offres ouvertes ne seront pas nécessairement applicables, ont été remplies.

La Commission accorde au plaignant le remboursement des frais raisonnables qu'il a engagés au titre du dépôt et de l'instruction de sa plainte. Elle recommande également que ce marché portant sur une enceinte à milieu ambiant contrôlé et accessible de l'extérieur, qui a fait l'objet de la plainte, soit annulé et que, si le besoin existe toujours, il fasse l'objet d'un appel d'offres ouvert conformément aux dispositions de l'Accord de libre-échange.

Le raisonnement qui sous-tend la décision relative à l'enceinte à milieu ambiant contrôlé s'applique de la même façon à l'acquisition de l'incubateur, et la Commission recommande que l'annulation du marché et la nouvelle procédure d'acquisition évoquées ci-dessus portent aussi sur l'incubateur.

Gerald A. Berger
_________________________
Gerald A. Berger
Président de la
Commission de révision des marchés publics du Canada


[ Table des matières]

Publication initiale : le 27 août 1997