ENCONAIRE (1984) INC.

Décisions


ENCONAIRE (1984) INC.
ET
ENVIRONMENTAL GROWTH CHAMBERS, LTD.
Nos des greffes de la Commission: E90PRF6601-021-0020 et E90PRF6601-021-0021

TABLE DES MATIÈRES


AFFAIRE INTÉRESSANT

Une plainte de Enconaire (1984) Inc. du 80, avenue Sutherland Winnipeg (Manitoba)

N° du greffe de la Commission: E90PRF6601-021-0020

et une plainte de Environmental Growth Chambers, Ltd. de Winnipeg (Manitoba) une division de Integrated Development & Manufacturing de Chagrin Falls, Ohio (U.S.A.)

N° du greffe de la Commission: E90PRF6601-021-0021

ET

La Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, partie II, art. 15, L.C. 1988, ch. 65.

28 janvier 1991

DÉCISION DE LA COMMISSION

Il s'agit en l'espèce de deux plaintes concernant la même instance en matière d'approvisionnement : l'achat par le ministère des Approvisionnements et Services (MAS ou ASC) de quatre chambres de croissance pour le ministère de l'Agriculture ou Agriculture Canada (AC) auprès d'un fournisseur unique. Les plaignants allèguent que le recours à un appel d'offre unique pour ce matériel, qu'eux aussi auraient pu fournir, les a privés d'une chance égale de satisfaire aux conditions d'Agriculture Canada, et qu'il va à l'encontre de l'Accord de libre-échange (ALÉ).

Le MAS reconnaît ces simples faits, mais répond qu'il avait raison d'exiger que ces biens fassent l'objet d'un appel d'offre unique, puisque l'Accord de libre-échange prévoit qu'on n'est pas tenu de recourir aux règles habituelles qui exigent la tenue d'un appel d'offres ouvert lorsque les biens commandés constituent des livraisons supplémentaires effectuées par le fournisseur original et qu'ils se veulent le prolongement des installations existantes, et lorsqu'un changement de fournisseur contraindrait leur ministère client à acquérir un matériel qui ne répond pas à leurs conditions d'interchangeabilité avec le matériel déjà existant.

La seule question est de savoir si, d'après les faits en l'espèce, le gouvernement a satisfait ou non aux exigences procédurales nécessaires pour justifier cet achat auprès d'un fournisseur unique.

Ces deux plaintes ont été combinées et traitées conjointement aux fins de la présente décision puisqu'elles concernent le même achat, soulèvent la même question et que la décision rendue en rapport avec ces plaintes est fondée sur les mêmes faits.

Antécédents

Ces chambres de croissance (ou installations de croissance des plantes) doivent être installées par AC à son Centre de recherches phytotechniques situé dans le Bâtiment 21 de la Ferme expérimentale centrale à Ottawa, et serviront à mener une vaste gamme d'expériences sur les plantes qui exigent des milieux soigneusement contrôlés pour leur croissance.

AC possède un bon nombre de ces chambres de croissance dans le Bâtiment 21, qu'elle avait acquises au fil des ans, et la majorité d'entre elles (plus de 50 au moment de la présente enquête) ont été fournies par la société Controlled Environments Limited (Conviron) de Winnipeg (Manitoba) -- l'adjudicataire du marché dans le présent achat. Les quatre nouvelles chambres seront installées avec toutes les autres, et chacune sera munie d'un système de contrôle électronique -- mais elles seront également reliées à un enregistreur central de données déjà fourni par Conviron, qui recueille et enregistre les données provenant de toutes les chambres de croissance qui y sont reliées. De plus, il existe un ordinateur central distinct (également fourni par Conviron) qui peut à la fois avoir accès aux données recueillies par l'enregistreur central de données et permettre au gestionnaire d'ajuster individuellement, à partir de ce point central, les conditions ambiantes de toutes les chambres de croissance reliées à cet enregistreur.

Les plaignants

Les plaignants, Enconaire (1984) Inc. (Enconaire) et Environmental Growth Chambers, Ltd. (EGC), tous deux de Winnipeg (Manitoba), sont des fournisseurs de chambres de croissance. Le premier est un fabricant canadien et le second, une division d'une société américaine située à Chagrin Falls, Ohio, où est fabriqué son matériel.

Les plaintes

Il sera important, en examinant ces deux plaintes, d'en exposer certaines parties pertinentes, car la preuve présentée dans les rapports de l'institution fédérale (RIF), les remarques formulées par les plaignants et l'adjudicataire du marché et la preuve qui ressort de l'enquête menée par la Commission font référence à certains détails qu'ils contiennent. On ne cite ici que les parties ayant trait à la question de l'appel d'offre unique.

La plainte d'Enconaire est contenue dans deux lettres, la première en date du 16 novembre 1990 et une autre, en date du 21 novembre 1990. Les parties pertinentes sont les suivantes :

Le 16 novembre 1990

[TRADUCTION]

«OBJET : DOSSIER ASC No DA1085104087/01 F

Monsieur,

Nous tenons à vous informer que ENCONAIRE (1984) INC. désire déposer une plainte officielle relativement à la façon dont les fonds publics ont été dépensés lors d'un appel d'offre UNIQUE pour deux PRG15 et deux PGW 36 de type Conviron dans l'achat susmentionné...

. . .

LES FAITS :

A)Le 14 novembre 1990, nous avons reçu le numéro de Marchés Publics du 9 novembre 1990 et nous avons constaté qu'un marché avait été adjugé à la société Conviron à titre de fournisseur unique, relativement à quatre chambres de croissance.

B)Après bon nombre d'appels téléphoniques, le personnel d'ENCONAIRE a retracé la source de cette commande et s'est informé pour savoir pourquoi elle avait été adressée à un fournisseur unique alors que des fabricants autres que Conviron sont en mesure de fournir ce matériel. Malheureusement, les réponses données étaient, selon nous, insatisfaisantes.

C)Je crois que nous sommes en mesure d'offrir un produit supérieur, qui comporte tous les avantages du produit Conviron, et que l'appel d'offres a l'avantage d'offrir un prix concurrentiel.

Enconaire demande que cette commande soit annulée et que ces articles soient soumis à un appel d'offres afin de faire en sorte que le meilleur matériel soit acheté au prix le plus raisonnable possible.»

Le 21 novembre 1990

[TRADUCTION]

«OBJET : DOSSIER ASC No DA1085104087/01 F

Monsieur,

Suite à votre demande, je désire ajouter la justification suivante à nos efforts en vue d'obtenir l'annulation de cette commande et de faire en sorte que le matériel fasse l'objet d'un appel d'offres selon la procédure normale et acceptable.

Les motifs invoqués par Enconaire pour s'opposer à ce que ce matériel fasse l'objet d'un «APPEL D'OFFRE UNIQUE» sont les suivants:

a)Enconaire offre la même philosophie de conception. Le concepteur du matériel est le même pour les deux sociétés.

b)Les deux sociétés utilisent les mêmes pièces dans la fabrication du matériel, c'est-à-dire : des serpentins d'évaporateurs, des interrupteurs, des relais, des lumières, des compresseurs, etc. Par conséquent, l'inventaire d'entretien et la formation sont fondamentalement les mémes pour les deux.

c). . .

d). . .

Au-delà de l'analyse physique et technique des deux et de tous les produits[sic]. J'estime que l'exigence voulant que ce matériel fasse l'objet d'un «APPEL D'OFFRE UNIQUE» de la façon dont il l'a été au fil des ans a des répercussions profondes lorsqu'il s'agit du libre-échange. Si la concurrence américaine est éliminée par le biais d'un «APPEL D'OFFRE UNIQUE», nos concurrents américains pourraient bien faire des pressions auprès de leur gouvernement pour qu'il impose des tarifs ou autres barrières qui empêcheraient ainsi les compagnies canadiennes comme la nôtre de compétitionner d'égal à égal sur leur marché évalué à plusieurs millions de dollars.

J'estime qu'en ce moment, le gouvernement prône les restrictions et utilise au maximum les dollars fiscaux. L' «APPEL D'OFFRE UNIQUE» ne contribue en rien à atteindre cet objectif. Ce type d'appel d'offre ne comporte absolument aucune motivation à fabriquer le meilleur produit possible, en faisant appel aux méthodes les plus rentables.»

La plainte formulée par EGC est contenue dans une lettre en date du 19 novembre 1990 dont les parties pertinentes se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

«RÉFÉRENCE : Approvisionnements et Services Canada

`Achat auprès d'un fournisseur unique'

Contrat no (DA 0185104087/01)F

ENVIRONMENTAL GROWTH CHAMBERS (EGC) est un fabricant américain de «chambres de croissance» dont le rendement est semblable et égal à celui des chambres achetées pour la Ferme expérimentale centrale d'Agriculture Canada en vertu du présent contrat.

. . .

Malgré les nombreuses protestations tant auprès d'Agriculture Canada que d'ASC, y compris des présentations sur place, les achats publics pour cet emplacement et d'autres emplacements continuent de se faire en passant par un «fournisseur unique» sans tenir compte de l'«Accord du GATT relatif aux marchés publics».

. . .

ENVIRONMENTAL GROWTH CHAMBERS SOUMET OFFICIELLEMENT CETTE PLAINTE À LA COMMISSION DE RÉVISION DES MARCHÉS PUBLICS DU CANADA ET DEMANDE QUE LE CONTRAT SUSMENTIONNÉ SOIT RÉSILIÉ AFIN DE PERMETTRE UN «APPEL D'OFFRES OUVERT», ET QUE TOUS LES ACHATS FUTURS DE «CHAMBRES DE CROISSANCE» SOUS QUELQUE NOM QUE CE SOIT À CE BUREAU DU GOUVERNEMENT CANADIEN SOIENT TENUS DE RESPECTER LES CONDITIONS DU GATT. DE PLUS, PAR LA PRÉSENTE, EGC DEMANDE COMPENSATION POUR LES COÛTS ET LES PERTES DE PROFITS SUBIES À LA SUITE DE CES «ACHATS CONTINUS AUPRÈS D'UN FOURNISSEUR UNIQUE» À LA FERME EXPÉRIMENTALE CENTRALE PAR DIVERS REPRÉSENTANTS DU GOUVERNEMENT CANADIEN.

. . .

Environmental Growth Chambers doit obtenir un redressement contre cette pratique continue d'achats auprès d'un «fournisseur unique» qui restreint le droit de la compagnie d'avoir accès à des chances égales en matière de commerce avec le gouvernement canadien à l'échelle nationale. EGC a choisi, dans le cas présent, de ne pas harceler la Commission avec une multitude de plaintes mais cherche plutôt à obtenir une décision unique qui établira un précédent national visant à mettre fin à cette pratique. On peut constater un exemple de l'omniprésence de cette pratique dans le même numéro de «Marchés Publics» que celui où ce contrat a été découvert. L'avis publié après celui-ci concerne un contrat auprès d'un «fournisseur unique», entre Forêts Canada, à Sault Ste. Marie et Conviron rédigé de la même façon.

Nous avons cherché à obtenir un redressement pendant des années par la voie ordinaire...et avons été informés que le prochain achat se fera différemment. Ces déclarations ont perdu toute crédibilité aux yeux d'EGC puisque cette pratique persiste et que les pertes s'accumulent. Conviron continue d'introduire du matériel nouveau et modifié dans ces installations sans appel d'offres, sous le prétexte de normalisation, tandis que les autres fournisseurs n'ont même pas été informés de cette exigence.

EGC est d'avis qu'il est dans l'intérêt véritable de tous les chercheurs canadiens d'être mis au courant de toutes les technologies disponibles pour les «chambres de croissance» lorsqu'ils veulent procéder à l'achat de nouveau matériel. De plus, le processus d'achat concurrentiel et ouvert est celui qui est le mieux en mesure de protéger le «Trésor public»...»

L'enquête

Les allégations formulées dans ces plaintes, la réaction du gouvernement face à ces allégations et les commentaires des plaignants à l'égard de la réaction du gouvernement ont fait l'objet d'une enquête au moyen d'entrevues et de l'examen de documents. La Commission a également reçu une lettre de Conviron, l'adjudicataire du contrat, dans laquelle la compagnie émet des commentaires sur les documents relatifs à la plainte, et la lettre est incluse dans le rapport d'enquête. Conviron n'a pas demandé à ce moment-là un statut d'intervenant -- bien qu'elle en ait demandé un après que l'enquête a été achevée et que la Commission a reçu le rapport d'enquête. C'est pour cette raison que dans ce cas, Conviron s'est vue refuser le statut d'intervenant.

Un certain nombre d'individus ont été interviewés en personne ou par téléphone afin de confirmer diverses déclarations faites ou contenues dans la documentation. Parmi ces personnes, signalons notamment : Mme Élise Doucet, MAS (agente de négociation des contrats); M. Pierre H. Juneau, MAS, Direction des produits scientifiques, électriques, mécaniques et de construction (chef intérimaire); M. Willis McCormick, AC, Centre de recherches phytotechniques (superviseur et agent autorisé à faire la demande); M. Ron Wheeler, AC (technicien); tous de la région de la Capitale nationale.

Le rapport de cette enquête (dont les références sont identifiées ci-après par les initiales R.E.), présenté à la Commission par son personnel d'enquête, contient un certain nombre d'annexes se rapportant à des documents qu'ils ont jugé pertinents dans le cadre de ce rapport. Tous ces documents à l'appui ne sont pas mentionnés en particulier dans la présente décision mais ils peuvent, au besoin, être mis à la disposition des parties ou de toute autre personne, sous réserve des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information.

Étant donné que l'enquête a produit suffisamment de renseignements pour permettre à la Commission, à son avis, de résoudre les points soulevés dans la plainte, il a été décidé qu'aucune audience officielle n'était nécessaire dans le cas présent. En tirant ses conclusions, la Commission a examiné le rapport de son personnel d'enquête et a formulé ses conclusions et ses décisions en se basant sur les faits révélés dans ce rapport, dont les parties pertinentes sont mentionnées dans la présente décision.

Avis de marché

Enconaire et EGC ont appris, par le biais d'un avis publié dans le dépliant intitulé «Marchés Publics» le 9 novembre 1990 que le gouvernement avait adjugé un contrat d'une valeur de 132 412 $ à Conviron, un de leurs concurrents, pour quatre chambres de croissance. L'avis portait la mention «Sole Source/Fournisseur unique - D».

Cet avis est l'un de ceux qui doivent être publiés dans le dépliant intitulé «Marchés Publics» en vertu du paragraphe 1 de l'article VI de l'Accord du GATT relatif aux marchés publics (le Code) dont les dispositions sont incluses dans l'Accord de libre-échange et qui sont applicables à tous les marchés publics conclus dans le cadre du libre-échange en vertu des articles 3 et 8 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis. La mention «fournisseur unique» et la lettre «D» désignent le type de procédure employée dans le présent marché public et justifient le recours à cette procédure conformément à l'alinéa 16d) de l'article V du Code.

Les exigences du Code

Les dispositions prévues aux 15 premiers paragraphes de l'article V du Code ont trait aux procédures de passation des marchés et concernent la réglementation de la concurrence dans les marchés qu'il régit. Le paragraphe 16, par contre, autorise les marchés restreints (appelés appel d'offre unique) dans une gamme restreinte de circonstances décrites dans ce paragraphe. Le paragraphe est cité ici intégralement :

«Article V

Procédures de passation des marchés

. . .

Appel d'offre unique (marchés de gré à gré)

16. Les dispositions des paragraphes 1 à 15 ci-dessus, qui s'appliquent aux procédures d'appel d'offres ouvertes ou sélectives, ne seront pas nécessairement applicables dans les circonstances définies ci-après, à la condition que l'appel d'offre unique ne soit pas utilisé en vue de ramener la concurrence en deçà du maximum possible, ou d'une manière qui constituerait un moyen de discrimination entre fournisseurs étrangers ou de protection des producteurs nationaux:

a)lorsqu'aucune soumission n'aura été déposée en réponse à un appel d'offres fait selon une procédure ouverte ou sélective, ou lorsque les soumissions déposées auront été concertées ou ne seront pas conformes aux conditions essentielles de l'appel d'offres, ou émaneront de fournisseurs ne remplissant pas les conditions de participation prévues conformément au présent accord, pour autant toutefois que les conditions de l'appel d'offres initial ne soient pas substantiellement modifiées pour le marché qui sera adjugé;

b)lorsque, du fait qu'il s'agit de travaux d'art ou pour des raisons liées à la protection de droits exclusifs, tels que des droits de brevet ou de reproduction, les produits qui ne pourront être fournis que par un fournisseur particulier et qu'il n'existera aucun produit de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisant;

c)pour autant que cela sera strictement nécessaire lorsque, pour des raisons d'extrême urgence dues à des événements qui ne pouvaient être prévus par l'entité, les procédures ouvertes ou sélectives ne permettraient pas d'obtenir les produits en temps voulu;

d)lorsqu'il s'agira de livraisons additionnelles à assurer par le fournisseur initial et portant sur des pièces de rechange pour des fournitures déjà faites ou des installations déjà livrées, ou destinées à compléter ces fournitures ou installations, et qu'un changement de fournisseur aboutirait à la livraison de matériel ne répondant pas à des conditions d'interchangeabilité avec un matériel déjà existant;4

e)lorsqu'une entité passera un marché pour se procurer des prototypes ou un produit nouveau mis au point à sa demande au cours de l'exécution d'un contrat particulier de recherche, d'expérimentation, d'étude ou de développement original, et pour les besoins de ce contrat. Une fois que de tels contrats auront été exécutés, les marchés ultérieurs de produits seront assujettis aux dispositions des paragraphes 1 à 15 du présent article.5

4 Il est entendu que le «matériel existant» mentionné au paragraph 16, alinéa d), du présent article, comprend les logiciels dans la mesure où le marché initial de logiciels était visé par l'accord.

5 Le développment original d'un produit nouveau peut englober une production limitée ayant pour but d'incorporer les résultats d'essais sur le terrain et de démontrer que le produit se prête à une production en quantités conformément à des normes de qualité acceptables. Il ne comprend pas la production en quantités visant à établir la viabilité commerciale du produit ou à amortir les frais de recherche et de développment.»

Ici, il est nécessaire de prendre note d'un autre document - le Guide de la politique des approvisionnements (GPA) du MAS, car dans ce qui suit, on fera souvent référence (surtout dans les RIF) à une directive contenue dans les présentes qui cite et paraphrase les dispositions fondamentales du Code du GATT.

La référence au GPA est le paragraphe 59d) de la Directive 3004. La Directive 3004 s'intitule «Accord GATT relatif aux marchés publics» et est datée du 29 décembre 1989 (tel que modifiée le 30 mars 1990). Cette Directive contient deux paragraphes intitulés «contexte» qui se lisent comme suit :

«1.L'Accord GATT relatif aux marchés publics, ci-après désigné le Code, est l'un des accords multilatéraux qui ont été signés à la suite des négociations commerciales multilatérales du Tokyo Round portant sur l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Il prévoit l'application des principes de l'Accord GATT aux politiques relatives aux marchés publics et contient une série de règlements visant à réduire les mesures discriminatoires relativement aux biens et aux services importés. Le gouvernement canadien est une Partie Contractante à l'Accord GATT et le Canada, comme la plupart des pays industrialisés, est un signataire du Code. Les pays signataires du Code sont indiqués à l' annexe A .

2.La présente politique expose les responsabilités et les obligations du ministère des Approvisionnements et Services (MAS) aux termes du Code en ce qui concerne l'achat de biens et de services pour le compte du gouvernement canadien. Elle contient également des directives à l'intention des agents des achats pour faire en sorte qu'ils respectent toutes les dispositions du Code.»

En vertu du chapitre 13 de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, le Canada s'est engagé, à l'article 1305.6, à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l'exécution efficace de ses obligations conformément au chapitre 13 qui porte sur les marchés publics. L'un des moyens qu'il a employés pour le faire a été la promulgation d'une directive dans le Guide de la politique des approvisionnements à l'intention des agents responsables des marchés du MAS, qui définissait et expliquait les parties de ces obligations qu'il était important pour eux de connaître et de respecter dans l'exécution de leurs fonctions. Cette directive est la directive 3005, intitulée «Marchés publics assujettis à l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis», et est également datée du 29 décembre 1989. Elle prévoit, à l'article 8, sous la rubrique «Lignes directrices», ce qui suit :

«8.Les procédures relatives au Code du GATT, prévues dans les lignes directrices de la directive 3004 du GPA, s'appliquent aux achats effectués dans le cadre de l'Accord de libre-échange et feront partie de la présente directive, exception faite des dispositions relatives au traitement national, aux règles d'origine et aux règlements des différends. Toute modification à la directive 3004 du GPA fera également partie de la présente directive.»

C'est pour cette raison qu'un renvoi au GPA 3004 est nécessaire, afin de dévoiler la partie de cette directive qui porte sur le fournisseur unique, et que l'on trouve à l'article 59. Celui-ci n'est pas cité, mais il est à noter qu'il s'agit en fait d'une reformulation du contenu de l'alinéa 16d) de l'article V du Code du GATT mais non de l'interprétation exacte de cet alinéa. Pour l'application des présentes procédures, cette reformulation du contenu de l'alinéa 16d) de l'article V du Code du GATT est assez précise mais il ne faut pas oublier que c'est le Code du GATT qui a préséance en cette matière.

Le processus des achats

Revenons maintenant au processus des achats. Au moment où Agriculture Canada a envoyé pour la première fois au MAS une demande (en date du 16 juillet 1990) relativement à ces biens, AC y a joint une justification de l'achat auprès d'un fournisseur unique qui était rédigée dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

«JUSTIFICATION DE L'ACHAT AUPRÈS D'UN «FOURNISSEUR UNIQUE»

1. Les installations de croissance des plantes qui doivent être achetées seront situées dans le Bâtiment 21. On compte déjà 53 unités Conviron à cet endroit. Cela tend à suggérer qu'il n'y aura pas de substitution pour les motifs suivants :

A. Ces unités à acheter devront être compatibles avec l'ordinateur central et l'enregistreur central de données, conçus exclusivement par Conviron. Cela permettra de relier les nouvelles unités aux systèmes existants qui sont suffisamment puissants pour prendre en charge ces unités. Le fait que les nouvelles unités seront compatibles avec l'ordinateur central est très important. Celui-ci permet au gestionnaire de l'endroit de surveiller, de contrôler ou d'ajuster n'importe laquelle des unités Conviron. Un ordinateur central trace un portrait plus précis des expériences en donnant des lectures plus précises.

B. Les nouvelles unités seront identiques à bon nombre d'unités situées dans le Bâtiment 21, éliminant ainsi le besoin d'acheter des pièces d'inventaire pour des unités d'une marque différente. Cela réduit également la quantité d'espace de rangement nécessaire qui serait mieux utilisé par les chercheurs.

C. En achetant auprès de Conviron, il ne sera pas nécessaire de former des techniciens d'entretien puisqu'ils connaissent déjà à fond l'entretien et le fonctionnement des équipements de Conviron (connaissance du produit).»

La spécification technique pour chaque type d'installation de croissance des plantes et pour le système de contrôle de chacune d'elles est précédé d'un numéro de modèle de Conviron.

L'enquête révèle qu'au moment de l'examen de la demande et des pièces jointes, le MAS n'a pas demandé à AC de fournir une description générique du besoin ni contesté la justification de l'achat auprès d'un fournisseur unique présentée par AC.

Le 10 août 1990, un plan d'acquisition de la direction générale a été préparé. Le 14 août 1990, il a été signé par le gestionnaire de groupe du MAS (voir le R.E. à l'annexe 6). Le MAS a ainsi accepté les motifs invoqués par AC pour donner suite à l'achat auprès d'un fournisseur unique et, en conséquence, a indiqué que [TRADUCTION] «...les dispositions de l'ALÉ ne s'appliqueront pas...». Le même jour, une demande de proposition (DDP) a été émise à Conviron à Winnipeg (Manitoba) (voir le R.E. à l'annexe 7) qui a abouti en fin de compte à l'adjudication d'un contrat le 2 octobre 1990.

Un avis d'adjudication de contrat a été publié dans le numéro de Marchés Publics du 9 novembre 1990 (voir le R.E. à l'annexe 14).

Le 15 novembre 1990, les deux plaignants ont communiqué avec l'agente de négociation des contrats pour l'informer de leur intention de contester le contrat adjugé à un fournisseur unique.

Le 27 novembre 1990, après avoir reçu l'avis de la Commission l'informant que des plaintes avaient été déposées, le chef intérimaire de la section, conformément à une directive parue dans le GPA 3006.16, a envoyé à Conviron un fac-similé dans lequel il demandait :

«...d'effectuer ses travaux en vertu du contrat de façon à minimiser les coûts pour la Couronne, en respectant les termes de ce contrat et ce, jusqu'à ce que la question traitée par la Commission soit résolue.» (voir le R.E. à l'annexe 15).

Les rapports de l'institution fédérale

Les RIF, soit un pour chaque plainte, ont été envoyés à la Commission le 17 décembre 1990, et sont semblables. À chacun d'eux était jointe une copie de la justification de l'achat auprès d'un fournisseur unique présentée par Agriculture Canada qui leur avait été envoyée avec la demande d'AC (et qui a été citée plus tôt) - citant essentiellement trois éléments pour justifier l'achat auprès d'un fournisseur unique, à savoir :

A-L'importance de s'assurer que les biens achetés soient compatibles avec l'ordinateur central et l'enregistreur central de données auxquels ils devraient être reliés, et qui ont été fournis auparavant par Conviron.

B-L'élimination de la nécessité d'acheter un inventaire de pièces de rechange pour des unités de marque différente, et la nécessité d'aménager un espace de rangement à cette fin.

C-L'élimination de la nécessité de former des techniciens d'entretien pour s'occuper du nouveau matériel.

Le RIF relatif à la plainte d'Enconaire donne encore plus de détails relativement à la déclaration d'AC, comme suit :

[TRADUCTION]

«II.EXÉCUTION DES OBLIGATIONS EN VERTU DE L'ALÉ

a.Dans les achats effectués auprès d'un fournisseur unique en vertu de l'ALÉ, l'élément clé est l'application du paragraphe 59 du GPA 3004 et dans le cas présent de l'alinéa 59d).

Le paragraphe 59 indique essentiellement que les achats effectués auprès d'un fournisseur unique sont autorisés à condition que certains critères soient respectés.

Les critères d'Agriculture Canada inclus dans la demande portent sur trois points : la compatibilité avec l'ordinateur central et l'enregistreur central de données (qui comprend un composant de logiciel); l'inventaire existant de pièces de rechange; la disponibilité d'un personnel qualifié.

Le gouvernement est d'avis que ces critères satisfont à la condition posée à l'alinéa 59d). En particulier, la partie qui se lit comme suit «...si un changement de fournisseur obligerait le client à acheter du matériel qui ne répond pas aux exigences de compatibilité avec le matériel existant».

La décision d'Agriculture Canada selon laquelle seules les chambres de croissance fabriquées par Conviron pouvaient être contrôlées par l'ordinateur central sur place, l'enregistreur central de données et le logiciel a été obtenue après mûre considération, comprenant entre autres l'examen continu d'autres produits disponibles par les experts techniques responsables.

En souscrivant à la demande d'Agriculture Canada relative au fournisseur unique, le spécialiste des produits d'ASC a également examiné le potentiel des produits concurrents. Il en est venu à la conclusion que seules les chambres de croissance fabriquées par Conviron pouvaient être contrôlées par le logiciel privé résidant dans l'ordinateur central sur place.»

Le RIF relatif à la plainte d'EGC donne encore plus de détails au sujet de la déclaration d'AC en affirmant ce qui suit :

[TRADUCTION]

«...Le produit fabriqué par le plaignant, tel que démontré ci-dessous, ne peut pas être relié à cet ordinateur [l'ordinateur central sur place]...»

et

[TRADUCTION]

«II.EXÉCUTION DES OBLIGATIONS EN VERTU DE L'ALÉ

a. . . .

ASC est d'avis que ces critères satisfont à la condition posée à l'alinéa 59d). En particulier, la partie qui se lit comme suit «...si un changement de fournisseur obligerait le client à acheter du matériel qui ne répond pas aux exigences de compatibilité avec le matériel existant» est respectée par le biais de l'examen de la capacité des produits concurrents d'être contrôlés par l'ordinateur central installé. Cette évaluation semblerait être appuyée par la présentation faite par Conviron à la Commission en date du 4 décembre 1990.»

(La lettre envoyée le 4 décembre 1990 par Conviron à la Commission déclarait ce qui suit à ce sujet :

[TRADUCTION]

«...Il ne fait aucun doute qu'aucun autre fournisseur n'aurait été en mesure de relier son système de contrôle au nôtre sans procéder à d'importants travaux de mise au point. Nous aurions le même problème si nous essayions de relier notre système à celui de nos concurrents. Il existe probablement cinq ou six systèmes de contrôle différents pour les chambres de croissance des plantes dans le monde entier, qui ne sont pas compatibles entre eux...»)

Analyse

Le premier point à signaler est que la Commission n'est pas chargée de prendre des décisions qui, selon les règles de l'Accord de libre-échange et le Code du GATT, sont confiées à d'autres. La Commission a le mandat, en vertu de la Loi, de s'occuper de questions de procédures et non de questions de fond. Elle ne déterminera pas si, d'après les faits en l'espèce, un changement de fournisseur contraindrait Agriculture Canada à se procurer du matériel ne satisfaisant pas aux conditions d'interchangeabilité avec le matériel existant déjà.

La Commission essaiera, toutefois, de déterminer quelles procédures pourraient mettre l'institution fédérale dans une position qui lui permettrait de prendre les décisions qu'elle a prétendu prendre. Ce sera essentiellement sa tâche.

Il faut d'abord commencer par l'examen du paragraphe 16 de l'article V du Code du GATT.

Tel que nous l'avons déjà noté, l'ensemble de l'article V porte sur les procédures de passation des marchés et la plus grande partie des procédures ont trait à la manière dont doivent s'effectuer les appels d'offres, tant la procédure d'appel d'offres ouverte (où toute personne peut faire une soumission) que la procédure d'appel d'offres sélective (où on invite des soumissionnaires à soumissionner). Le paragraphe 1 de l'article V mentionne également que ces procédures tiendront compte de la procédure d'appel d'offre unique (marchés de gré à gré), qui «...est celle selon laquelle l'entité s'adresse à des fournisseurs individuellement, dans les seules circonstances énoncées au paragraphe 16 ci-après..

Quant au paragraphe 16, il autorise (mais n'exige pas) l'appel d'offre unique lorsqu'il stipule que les dispositions des paragraphes 1 à 15, qui s'appliquent aux procédures d'appel d'offres ouvertes ou sélectives, ne seront pas nécessairement applicables dans les circonstances définies par la suite, avec une réserve à laquelle nous reviendrons plus tard.

Les cinq conditions qui suivent représentent une restriction très serrée au tour de la liberté de toute entité qui veut avoir recours à l'appel d'offre unique ou à un fournisseur unique. La cinquième condition est un cas spécial en ce qu'elle a trait à l'acquisition de prototypes en vertu de contrats de développement particuliers, et elle ne s'applique pas dans le présent cas. Il vaut la peine de s'arrêter brièvement aux quatre autres conditions pour la lumière qu'elles jettent sur la politique du Code du GATT relativement à l'appel d'offre unique.

La première condition ne s'applique que lorsque l'appel d'offres a déjà eu lieu ... mais qu'il a échoué, à cause d'un manque de soumissionnaires, du défaut de qualification des soumissionnaires ou d'un appel d'offres laissé sans réponse. Dans un tel cas, «il n'est pas nécessaire d'appliquer» les règles qui exigent le recours à l'appel d'offres une deuxième fois, pour autant, toutefois, que les conditions essentielles de l'appel d'offres initial ne soient pas substantiellement modifiées dans le marché qui sera adjugé (en d'autres termes, si la condition essentielle est modifiée substantiellement pour que le marché soit adjugé, il s'agit alors d'une condition essentielle différente, ... et il faut recourir à l'appel d'offres).

La deuxième condition s'applique également dans un cas spécial, soit lorsque le marché est pour des travaux d'art ou qu'il faut protéger des droits reconnus par la loi (tels que des droits de brevet ou de reproduction). Il est certain qu'on ne peut contrecarrer des droits reconnus par la loi -- et dans le cas de travaux d'art, le créateur artistique (ou le propriétaire de la création) est le fournisseur exclusif presque par définition, mais cette condition, aussi claire qu'elle puisse paraître, fait l'objet d'une sous-condition, soit «qu'il n'existe aucun produit de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisant».

La troisième condition a trait à des raisons d'extrême urgence dues à des événements qui ne pouvaient être prévus. Cette condition comporte toutefois deux sous-conditions : qu'un appel d'offres ne permettrait pas d'obtenir les produits en temps voulu, et alors, uniquement «...pour autant que cela sera strictement nécessaire...».

La quatrième condition a trait fondamentalement à des situations où le matériel qu'on veut se procurer doit répondre à des conditions d'interchangeabilité avec le matériel que l'usager a déjà en mains.

La conclusion que l'on peut tirer de toutes ces conditions, est que l'appel d'offres doit être la norme. L'appel d'offre unique est l'exception, et toujours dans des cas extrêmes soit : lorsqu'un appel d'offres a échoué parce qu'aucune soumission n'a été déposée; lorsque les droits acquis reconnus par la loi doivent être protégés et qu'il n'existe aucun produit de rechange ou de remplacement, ou encore, le fournisseur vend ou produit des travaux d'art exclusifs, qui ne peuvent, de toute évidence, être obtenus que du propriétaire ou de l'artiste; lorsque des événements qui ne pouvaient être prévus provoquent des raisons d'extrême urgence...lorsque cela est strictement nécessaire et que le recours à l'appel d'offres prendrait trop de temps; lorsque l'interchangeabilité du matériel est indispensable.

Un autre fait dans ce même ordre d'idée est que, dans les deux RIF, une lettre d'accompagnement envoyée à la Commission insiste sur le point suivant :

[TRADUCTION]

«1. Les points invoqués par le plaignant ne se rapportent pas à la question ou ne montrent pas qu'il dispose d'un produit qui réponde à toutes les conditions essentielles d'Agriculture Canada. Selon nous, ce dernier point est nécessaire si on veut qu'il y ait appel d'offres.»

Avec le plus grand respect, la Commission doit avouer que cette controverse est exactement contraire aux véritables conditions essentielles du Code du GATT. Il n'appartient pas au plaignant de prouver qu'un cas doit faire l'objet d'un appel d'offres. Les appels d'offres sont la norme -- la condition essentielle normale de la règle. C'est au gouvernement de prouver qu'il doit avoir recours à un appel d'offre unique, et c'est la question que nous étudions présentement.

Une réserve est mentionnée au tout début : même lorsqu'on satisfait à une condition, il faut prouver «...que l'appel d'offre unique [n'est] pas utilisé en vue de ramener la concurrence en deçà du maximum possible, ou d'une manière qui constituerait un moyen de discrimination entre fournisseurs étrangers ou de protection des producteurs nationaux...»

À la lumière de ce qui précède, il peut être utile de faire remarquer que l'enquête ne montre pas que le MAS a décidé d'avoir recours à un fournisseur unique après s'être demandé s'il vaudrait la peine de recourir à l'appel d'offres même si les dispositions «...ne [sont] pas nécessairement applicables...» Il ne s'est pas demandé pour quelles raisons AC voulait recourir à un fournisseur exclusif pour ces chambres de croissance et il a accepté les justifications telles qu'elles étaient établies.

Récemment, le MAS a étudié la question, dans des circonstances semblables, et insisté pour qu'il y ait appel d'offres pour l'achat de produits similaires pour le Conseil national de recherches (CNR) à Saskatoon. Dans ce cas, lorsque le CNR a essayé d'obtenir le matériel d'un fournisseur unique -- également de Conviron -- le bureau du MAS de Regina, aux prises avec une justification semblable de fournisseur unique, a obtenu du CNR qu'il fournisse une [TRADUCTION] «bonne description générique...sans parti pris» de sorte qu'une «description appropriée [puisse] être utilisée pour un appel d'offres assujetti à l'ALÉ». Le CNR a fourni une justification révisée, y compris la nécessité de compatibilité avec le matériel existant, et deux sociétés -- les deux mêmes plaignants que dans le présent cas -- ont fait des soumissions. La demande de proposition a été annulée avant la date de clôture des soumissions, même si ce n'est pas parce que les soumissionnaires ne pouvaient pas répondre au besoin. Les plaintes faites à la Commission contestaient le résultat, et le cas est rapporté dans la dernière décision de la Commission (EGC et Enconaire, causes D90PRF6631-021-0017 et D90PRF6631-021-0018, respectivement, en date du 14 janvier 1991).

Nous devons maintenant examiner les différentes parties de la raison d) pour connaître ce qui est requis pour s'y conformer.

Premièrement, le matériel doit être des «...livraisons additionnelles à assurer par le fournisseur initial...» L'enquête a permis de constater qu'il existe plus de cinquante chambres de croissance dans le Bâtiment 21 de la Ferme expérimentale à Ottawa, où les quatre chambres, dans le présent cas, doivent être installées. La plupart de ces chambres ont été construites par Conviron -- mais les quelques chambres, qui ont été construites par d'autres, ont pu être adaptées avec des systèmes de contrôle fabriqués par Conviron, et elles ont toutes été connectées à l'enregistreur central de données et à l'ordinateur central de Conviron. Quelques chambres plus petites, ou incubateurs, ne sont pas connectées à l'enregistreur de données et à l'ordinateur. Les plaignants ne disent pas que les nouvelles chambres ne sont pas des [TRADUCTION] «livraisons additionnelles», ni que le matériel provient de sources autres que le [TRADUCTION] «fournisseur initial» et la Commission ne se prononce pas contre l'une ou l'autre de ces idées aux fins des présentes procédures.

Deuxièmement, le matériel doit consister en «...des pièces de rechange pour des fournitures déjà faites ou des installations déjà livrées, ou destinées à compléter ces fournitures ou installations...» La Commission ne se prononce pas contre la supposition de base voulant que ce matériel soit destiné à compléter des fournitures ou des installations existantes.

Toutefois, la Commission fait remarquer que la version française du Code utilise le mot «compléter» pour la traduction de l'anglais «extension» et ce verbe semble comprendre un concept plus étroit...du nouveau matériel pour «compléter» une commande initiale de matériel semblable. Si tel était le cas, le recours à cette raison pour justifier l'appel d'offre unique serait encore plus difficile selon la version française que selon la version anglaise. Toutefois, ces deux versions du Code sont également authentiques dans la loi canadienne (Loi sur les langues officielles S.R.C., 1985, ch.O-3, art. 9(1)).

Troisièmement, la condition est que le changement de fournisseur aboutirait à la livraison de matériel ne répondant pas à des conditions d'interchangeabilité avec un matériel déjà existant.

Exprimée de cette façon, cette condition peut sembler bizarre pour quelqu'un qui s'y connaît dans le domaine des marchés publics, parce qu'un appel d'offres bien effectué ne peut contraindre l'entité à se procurer du matériel ne répondant pas aux conditions d'interchangeabilité. Manifestement, si l'interchangeabilité est une condition obligatoire, tout soumissionnaire offrant du matériel ne répondant pas à cette condition sera déclaré inadéquat, et rejeté.

Il faut faire remarquer, maintenant, que l'exigence de la condition est l'interchangeabilité; mais AC n'exprime nulle part ses exigences en ces termes. Au lieu, AC parle de compatibilité, un concept plutôt différent.

Les définitions du dictionnaire du terme interchangeabilité comportent toute une idée de substitution d'une chose à une autre, l'idée qu'une chose peut remplacer l'autre. Mais AC ne commande pas ces chambres de croissance pour en remplacer d'autres qu'il possède déjà, ou les substituer à l'une ou l'autre de ces chambres. AC à l'intention d'utiliser les vieilles et les nouvelles chambres en même temps...et permettre ainsi qu'on effectue davantage de recherche.

La compatibilité, d'autre part, sous-entend l'idée de conformité. Pas de similitude, mais la capacité de travailler ensemble, ou d'être tolérant l'un envers l'autre. Le dictionnaire anglais Shorter Oxford donne la définition suivante du terme compatibilité:

[TRADUCTION]

«...2. Mutuellement tolérants, capables d'exister ensemble dans le même sujet; conformes, cohérents.»

Le véritable genre ou degré de compatibilité, ou sa véritable importance sera définie par le besoin, et AC a mentionné clairement qu'il fallait qu'il y ait compatibilité entre les nouvelles unités et l'ordinateur central et l'enregistreur central de données. Les nouvelles unités doivent [TRADUCTION] «...[être reliées] aux systèmes existants...» L'ordinateur central [TRADUCTION] «...permet au gestionnaire de l'endroit de surveiller, de contrôler ou d'ajuster n'importe laquelle des unités Conviron...»

En d'autres termes, les contrôles sur les nouvelles unités doivent pouvoir travailler et communiquer avec l'enregistreur central de données et l'ordinateur central, et être contrôlés par l'ordinateur central.

Par conséquent, on peut dire qu'on ne répond pas à la condition d'appel d'offre unique parce qu'il n'y a pas, en fait, un véritable besoin d'interchangeabilité entre ces nouvelles unités et le matériel existant déjà.

Toutefois, étant donné qu'il semble y avoir une certaine confusion entre les termes «compatibilité» et «interchangeabilité» dans les documents présentés à la Commission, à la défense de la décision d'avoir recours à un fournisseur unique, la Commission a l'intention de montrer que, dans le présent cas, même si les deux termes pourraient être traités comme des synonymes, il n'existe pas suffisamment de raisons pour appuyer la décision voulant qu'on ait répondu à la condition pour le recours à l'appel d'offre unique.

Les justifications pour le recours à un appel d'offre unique offertes par AC sont à trois niveaux. Premièrement, les unités qui seront achetées doivent être compatibles avec l'enregistreur central de données et l'ordinateur central - elles doivent pouvoir être connectées avec les systèmes existants. AC ne dit pas que les unités offertes par les plaignants ne peuvent le faire, mais il fait remarquer que l'ordinateur et l'enregistreur de données sont conçus exclusivement par Conviron, le fournisseur privilégié.

Mais la justification doit être telle qu'un changement de fournisseur contraindrait AC à se procurer du matériel qui ne soit pas interchangeable, or dans le présent cas, du matériel qui n'est pas compatible avec le sien. AC ne va pas aussi loin. Il ne fait que mentionner que la compatibilité serait l'une de leurs exigences.

Par contre, le MAS est allé aussi loin. Il a dit, sans équivoque, que le produit fabriqué par le plaignant EGC [TRADUCTION] «...ne peut pas être relié à cet [Conviron] ordinateur...» Il appuie cette affirmation en disant que l'incapacité du produit fabriqué par le plaignant EGC de répondre aux conditions d'interchangeabilité [TRADUCTION] «...se conforme à une revue détaillée sur la capacité des produits concurrentiels de pouvoir être contrôlés par l'ordinateur central en place...»

Si cette affirmation est vraie, tout ce que peut dire la Commission, c'est que son enquête n'a pas divulgué les résultats - ou même l'existence - de toute revue particulière de produits concurrentiels. En fait, il semble d'après les réponses aux questions posées qu'il n'y ait pas eu de telle revue, officielle ou autre.

Mais le MAS dit que son évaluation [TRADUCTION] «...semblerait être appuyée par la présentation faite par Conviron...», en date du 4 décembre 1990, qui a été envoyée à la Commission. Cette soumission, citée ci-dessus, est à l'effet que [TRADUCTION] «...aucun autre fournisseur n'aurait été en mesure de relier son système de contrôle au nôtre sans procéder à d'importants travaux de mise au point...» et que les cinq ou six systèmes de contrôle pour les chambres de croissance, qui existent dans le monde, [TRADUCTION] «...ne sont pas compatibles entre eux...»

Cette affirmation peut être exacte. Mais la question est de savoir si AC serait obligé de se procurer du matériel qui ne réponde pas à ses conditions particulières. Même Conviron dira que la condition quant à la connexion de l'ordinateur pourrait peut-être être réalisée par [TRADUCTION] «d'importants travaux de mise au point». Il se peut que l'un de leurs concurrents consente à faire ces travaux. Ou encore, l'un d'eux pourrait penser à un moyen de satisfaire à cette condition de telle sorte qu'AC devra revoir cette condition essentielle ou sa façon de l'exprimer, ce qui serait alors à son avantage. Rien ne dit qu'AC aurait a payer pour de tels travaux de mise au point, ou même qu'il devrait attendre longtemps pour que soient effectués ces travaux. C'est ce que les appels d'offres veulent atteindre et permettre. Il peut être difficile, pour le concurrent, de répondre à la condition essentielle d'AC, mais il peut être en mesure d'offrir une solution qui permette d'y répondre. La Commission est d'avis que la politique qui impose le recours aux appels d'offres ne devrait pas pouvoir être contrecarrée facilement par un jugement gouvernemental interne au sujet de ce que le secteur privé peut faire ou non.

Quant au produit d'Enconaire, le MAS affirme de la même façon [TRADUCTION] «...(qu')Agriculture Canada en est arrivé à la conclusion que seules les chambres fabriquées par Conviron peuvent être contrôlées par l'ordinateur central sur place ainsi que l'enregistreur central de données et le logiciel, après mûre réflexion dont, en partie, la revue permanente des autres produits disponibles effectuée par des experts techniques dignes de confiance...» Le MAS a même affirmé que son propre spécialiste des produits, face à la question du fournisseur unique, a également étudié les capacités des produits concurrentiels et en a conclu que [TRADUCTION] «...seules les chambres fabriquées par Conviron peuvent être contrôlées par le logiciel particulier de l'ordinateur central se trouvant sur place...»

Une fois de plus, il faut avouer que l'enquête ne révèle aucunement l'existence de cette «partie» pour appuyer sa décision qui repose sur une revue permanente, par des experts techniques dignes de confiance, d'autres produits disponibles. La Commission ne peut qu'en conclure que la décision prise n'était basée que sur des affirmations qui, après enquête, ne pouvaient être appuyées par des faits.

Et si la décision était basée sur seulement une «partie» de la «mûre réflexion», en quoi consistait l'autre partie? On n'y fait pas allusion ailleurs. La Commission peut donc en conclure que c'était là la seule partie appuyant la décision du MAS.

Même l'information donnée verbalement au personnel d'enquête de la Commission contredit le RIF sur ce point, et semblerait supposer que l'action du MAS était basée, en grande partie, sur des considérations de service au client (voir le R.E.).

Qu'en est-il des autres raisons offertes pour le recours à un appel d'offre unique?

La deuxième raison à l'appui de cette justification est qu'on pourrait ainsi éviter d'acheter des pièces d'inventaire additionnelles et qu'on réduirait les besoins de locaux d'entreposage.

On offre également cette raison sans trop de preuves à l'appui mais, que ce soit vrai ou non, elle n'aide pas leur cause car elle ne touche pas à la question que le fait de changer de fournisseurs obligerait AC à acheter des produits qui ne répondent pas à ses conditions d'interchangeabilité. Ce n'est pas pratique pour l'utilisateur de devoir accepter des produits qui ne sont pas conformes...mais ce n'est pas la question ici.

Sommes-nous aux prises avec un réel problème d'interchangeabilité ici...les nouvelles unités doivent-elles être interchangeables avec le stock de pièces de rechange? La Commission ne le croit pas. Cette condition serait raisonnable s'il s'agissait d'une commande de pièces de rechange, mais pas lorsqu'il s'agit de ces nouvelles unités. Elles ne sont pas des pièces de remplacement, et elles ne sont pas commandées pour remplacer des pièces de rechange. De toute façon, AC n'a jamais appuyé son besoin sur ce fait.

De même, la troisième raison offerte pour le recours à un appel d'offre unique - éviter le besoin de former les techniciens de service et d'entretien afin qu'ils puissent s'occuper du nouveau matériel - est également une raison de «commodité» qui ne touche pas à la question de l'obligation d'accepter des produits qui ne répondent pas à la condition d'interchangeabilité.

Lorsqu'il ne s'agit pas de marchés publics assujettis à l'Accord de libre-échange ou au GATT, il existe une politique à l'alinéa 3002.7c) du Guide de la politique des approvisionnements qui semble permettre l'appel d'offre unique lorsqu'un «...produit de marque particulier est nécessaire pour des raisons de logistique, dans le cas où l'installation d'un article non normalisé présenterait des problèmes d'exploitation ou engagerait des coûts d'entretien supplémentaires...» Avant l'Accord de libre-échange on avait fréquemment recours à cette politique pour les marchés publics dont beaucoup avaient une valeur généralement comprise dans l'éventail qui fait maintenant partie de la «fenêtre» monétaire de l'Accord de libre-échange, soit entre 31 000 $ et 210 000 $. Cette politique peut jeter un peu de lumière sur la façon dont on traite, dans les RIF, des justifications pour le recours à l'appel d'offre unique.

Toutefois, avec le récent avènement de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, et l'application à ce genre de marchés publics du Code du GATT sur les marchés publics, des règles beaucoup plus rigides gouvernant la pertinence et l'utilisation de l'appel d'offre unique sont entrées en jeu. Le présent cas est un bon exemple de l'une des différences importantes entre le régime régissant les marchés publics assujettis à l'Accord de libre-échange (et au GATT), et le régime applicable aux autres sortes de marchés.

Il est clair qu'il faut appuyer ces plaintes. On n'a pas satisfait aux conditions requises pour le recours à l'alinéa 16d) de l'article V du Code, en vertu duquel on n'est pas obligé de recourir à l'appel d'offres ouvert, à deux niveaux : l'interchangeabilité n'a jamais été l'une des conditions essentielles de ce marché public; la compatibilité en était une, mais cette condition ne justifie pas le recours à l'appel d'offre unique en vertu du Code. Et même si c'était le cas, le MAS n'a pas suffisamment de preuves pour affirmer qu'un changement de fournisseur obligerait AC à se procurer du matériel qui n'est pas interchangeable (ou dans ce cas, compatible) avec son matériel actuel.

Il faudrait finalement retourner à la réserve finale du paragraphe 16 de l'article V. Il n'est pas nécessaire, dans le présent cas, de l'étudier en détail le gouvernement n'ayant pas satisfait à la condition qui la met en jeu. Mais la Commission ne peut faire autrement que de remarquer que cette condition forcera ceux qui essaient de justifier un appel d'offre unique à penser sérieusement à la question.

Cette réserve se lit comme suit :

«...l'appel d'offre unique ne soit pas utilisé en vue de ramener la concurrence en deçà du maximum possible, ou d'une manière qui constituerait un moyen de discrimination entre fournisseurs étrangers ou de protection des producteurs nationaux...»

L'expression «en vue de» indique que les intentions du gouvernement d'avoir recours à l'appel d'offre unique sont d'une extrême importance, même si on répond à l'une ou l'autre des conditions le permettant. Ainsi, chaque fois que l'on répondra à l'une ou l'autre de ces conditions il faudra déterminer la nature de l'intention visant un recours à l'appel d'offre unique.

Dans le présent cas, ce n'est pas nécessaire. Mais il peut être bon de remarquer qu'on a présenté des preuves supportant l'idée d'intention, et d'autres preuves s'y rattachant. Les plaignants soutiennent que le gouvernement achète ces chambres de croissance d'un fournisseur unique, en l'occurrence Conviron, depuis plusieurs années, repoussant toutes leurs tentatives de l'obliger à recourir à la libre concurrence. Selon ces plaignants, le gouvernement n'a nullement l'intention de permettre une concurrence maximale, ce qui est à son désavantage.

D'autre part, l'enquête a permis de trouver des preuves verbales qui semblent supposer rien de plus qu'une bonne intention, au MAS, de pourvoir à ce qu'on croyait être, à long terme, les meilleurs intérêts du ministère client.

Aucune de ces preuves n'a été vérifiée lors d'une audience publique, ni soumise à un contre-interrogatoire, ce que la Commission considérerait important si les résultats en dépendaient. Toutefois, selon la Commission, cette intention de la réserve sert à montrer que la politique favorisant la libre concurrence est enracinée, maintenant, beaucoup plus solidement qu'auparavant, et que les exceptions qui permettent l'appel d'offre unique sont moins flexibles. Même lorsqu'on a un cas où il semblerait que l'on puisse avoir recours à l'appel d'offre unique, il faudra essayer de voir s'il existe une preuve que le gouvernement essaie, en fait, d'éviter la libre concurrence maximale, d'exercer une certaine discrimination parmi les fournisseurs ou encore de protéger certains fournisseurs, et il faudra être prêt à faire face à le question.

DÉCISION

La Commission a statué, d'après son enquête, que le présent marché conclu avec le ministère des Approvisionnements et Services n'est pas conforme aux exigences de l'article 17 de la Loi sur la mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange n'ayant pas offert à tous les fournisseurs éventuels, une possibilité égale de répondre, lors de l'étape de l'appel d'offres et des soumissions, aux exigences essentielles de l'entité acheteuse. Le recours à un appel d'offre unique sans que l'entité acheteuse ne soit en mesure de déterminer si elle répond, ou non, aux exigences essentielles pour ne pas avoir recours à un appel d'offres ouvert en est la cause.

La Commission adjuge aux plaignants leurs frais raisonnables relatifs au dépôt et à l'instruction de leurs plaintes, et elle recommande que ce marché soit annulé et, si le besoin existe toujours, de passer le marché conformément aux dispositions de l'Accord de libre-échange.

Gerald A. Berger
_________________________
Gerald A. Berger
Président de la
Commission de révision des marchés publics du Canada


[ Table des matières]

Publication initiale : le 28 août 1997