WATERS CHROMATOGRAPHY DIVISION DE MILLIPORE CANADA LIMITÉE

Décisions


WATERS CHROMATOGRAPHY DIVISION DE MILLIPORE CANADA LIMITÉE
N° du greffe de la Commission: E91PRF6601-021-0022

TABLE DES MATIÈRES


AFFAIRE INTÉRESSANT

Une plainte de Waters Chromatography division de Millipore Canada Limitée6555, rue Abrams Ville St-Laurent (Québec)

N° du greffe de la Commission: E91PRF6601-021-0022

Plainte retenue

ET

La Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, partie II, art. 15, L.C. 1988, ch. 65.

Le 16 octobre 1991

DÉCISION DE LA COMMISSION

Il s'agit, en l'espèce, d'une plainte concernant la formulation de certaines spécifications visant à décrire un appareil de laboratoire complexe destiné à Agriculture Canada, appareil dont l'acquisition devait se faire moyennant le lancement d'un appel d'offres ouvert. La plaignante allègue que les spécifications en question ont été rédigées de façon à «exclure» tous les fournisseurs potentiels, sauf un. Elle affirme que les spécifications sont assorties d'une série de caractéristiques, que seul possède l'appareil souhaité, caractéristiques qui sont qualifiées d'essentielles et qui rendront effectivement irrecevables toutes soumissions ne les rencontrant pas toutes.

La plaignante, la Waters, a demandé et reçu une trousse de soumission du ministère des Approvisionnements et Services (MAS) qui avait été chargé de l'adjudication du marché pour le compte d'Agriculture Canada. Après avoir pris connaissance des spécifications, elle a porté plainte, sans tarder, au MAS. Le MAS a consulté le ministère client et a indiqué, le 26 juin, à la Waters (de même qu'à deux autres fournisseurs potentiels qui avaient aussi soulevé ce point, quoique de façon officieuse, avec le MAS), qu'il n'avait pas l'intention de réviser les spécifications et qu'il irait de l'avant avec l'appel d'offres ouvert. Alors, la Waters a déposé une plainte, le 5 juillet, dans le délai de dix jours prescrit dans le Règlement sur la Commission de révision des marchés publics (le Règlement).

Le marché n'ayant pas encore été octroyé, la Commission, après avoir établi qu'elle avait compétence et que la plainte répondait à ses critères d'acceptation, a rendu, le 9 juillet, une «Ordonnance de suspension d'adjudication» à l'encontre du MAS. L'octroi du marché a donc été reporté dans l'attente de la décision de la Commission.

L'enquête

La Commission a mis plus de temps qu'elle ne le fait habituellement à effectuer son enquête car la plaignante, dans les observations qu'elle a formulées à l'égard des arguments présentés par Agriculture Canada à l'appui de sa méthode de sélection, a soulevé des questions qui, de l'avis de la Commission, justifiaient de consentir au gouvernement un délai additionnel pour qu'il puisse les examiner et présenter son point de vue. Aussi, comme en raison d'une grève dans la Fonction publique, certains employés, au nombre des principaux intervenants dans l'affaire, étaient absents du travail, le MAS a demandé une prorogation du délai, prorogation que la Commission lui a consentie. Or, la version préliminaire du Rapport d'enquête préparée par le personnel de la Commission et les observations additionnelles des parties intéressées ne sont parvenus à la Commission que la veille de l'échéance du délai de 90 jours prescrit au paragraphe 39(1) du Règlement, délai dans lequel la Commission doit rendre sa décision. Il s'est donc avéré nécessaire de proroger le délai, en vertu des dispositions du paragraphe 39(2) du Règlement, afin que la Commission puisse examiner comme il se doit les questions soulevées. Elle a donc rendu, le 2 octobre 1991, une ordonnance visant à proroger le délai jusqu'au 18 octobre, et elle a également prolongé jusqu'à cette même date l'application de l'Ordonnance de suspension d'adjudication.

Les allégations contenues dans cette plainte, la réponse du gouvernement à ces allégations et les observations du plaignant à l'égard de la réponse du gouvernement ont fait l'objet d'une enquête au moyen d'entrevues et de l'examen de documents.

Un certain nombre de personnes ont été interviewées, par téléphone et en personne, afin de confirmer des déclarations qu'on leur prêtait ou qui figuraient dans les documents déposés. Ce sont :

Monsieur Richard Blais, gérant régional, Waters, Ville St-Laurent (Québec); Madame Francine Pilon (agente de négociation des marchés), Madame Suzanne Roy (surveillante de l'agente de négociation des marchés) et Monsieur John Mihailov (chef par intérim de la section B), tous du Centre des approvisionnements de la région de la Capitale nationale du MAS, à Ottawa; Madame L. Faye Russell (chercheuse scientifique et utilisatrice ultime) d'Agriculture Canada, à Ottawa; et Monsieur David Holmes, expert-conseil en services techniques, de la Varian Canada Ltd.

Conformément à une nouvelle procédure, que la Commission a adoptée comme pratique courante, une copie de la version préliminaire du Rapport d'enquête a été transmise à l'institution fédérale et à la plaignante aux fins de recueillir leurs observations avant que le Rapport ne soit déposé auprès de la Commission. Les deux parties ont formulé, par écrit, des observations qui ont été transmises aux parties intéressées, tel que mentionné ci-dessus, observations à l'égard desquelles elles ont également formulé des commentaires additionnels. Ces observations et commentaires ont été ajoutés au Rapport d'enquête qui a été présenté à la Commission.

Ont aussi été annexés au Rapport d'enquête un certain nombre de documents jugés pertinents pour le fond dudit rapport par le personnel chargé de l'enquête. La présente décision ne mentionne pas expressément tous ces documents justificatifs, mais ils ont tous été mis à la disposition des parties et, sous réserve des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information, toute autre personne peut également les consulter.

Comme l'enquête a permis de recueillir suffisamment de renseignements pour que la Commission puisse trancher, selon elle, les questions soulevées dans la plainte, elle a décidé de ne pas tenir d'audience officielle dans cette affaire. Ni l'une ni l'autre des parties n'a d'ailleurs présenté de demande à cet effet. Pour en arriver à ses conclusions, la Commission a examiné le Rapport d'enquête préparé par son personnel et fondé sa décision sur les faits essentiellement connus des parties qui y sont exposés et dont les éléments les plus pertinents sont mentionnés dans la présente décision.

Historique

Les travaux de planification qui ont mené à cet appel d'offres ont été amorcés en février 1991 lorsque des chercheurs du Centre de recherches sur les aliments d'Agriculture Canada, à Ottawa, en sont arrivés à la conclusion que leur matériel de chromatographie liquide à haute pression (CLHP) ne convenait pas au programme de recherches qu'ils entendaient mettre en oeuvre, programme visant à cerner avec précision la teneur en diverses vitamines solubles dans l'eau contenues dans des aliments.

Selon le Ministère, ce nouveau volet de la recherche sur les aliments, qui est à la fois exigeant et stimulant, est également très dispendieux. Aussi, la concurrence est forte, des équipes de chercheurs s'affairant à la réalisation de projets similaires aux États-Unis, au Japon et en Europe. Dans l'ensemble, ces équipes seraient mieux financées et disposeraient de plusieurs appareils alors que l'équipe canadienne ne disposerait que d'un seul appareil, à savoir celui que se proposait d'acheter Agriculture Canada. Comme les ressources financières et humaines sont très limitées (et qu'un seul appareil de CLHP devait être installé dans un laboratoire auquel ne sont affectés qu'un scientifique et un technicien), Agriculture Canada estimait que le facteur temps était un facteur crucial et qu'il fallait exploiter, de la façon la plus productive possible, l'appareil 24 heures sur 24, si le Ministère entendait soutenir la concurrence dans ce domaine. Il s'en est suivi que le Ministère a pris consciemment la décision de «faire plus avec moins» en automatisant les analyses effectuées au moyen de l'appareil de CLHP, et ce, dans le but d'optimiser la production et de réduire au minimum le temps qu'il fallait consacrer à l'exploitation du matériel.

L'adjudication

Lorsque la scientifique d'Agriculture Canada s'est rendue à l'évidence qu'il faudrait acheter un nouvel appareil de CLHP, elle a puisé dans sa vaste expérience au titre de l'exploitation d'un grand nombre d'appareils de CLHP et de ses nombreux travaux portant sur la vitamine B2, afin de dresser une liste de certaines caractéristiques qui constituent, dans le cadre de tels travaux de recherche, des exigences opérationnelles. En se fondant sur cette liste, ainsi que sur un certain nombre d'autres facteurs qu'elle n'a pas jugé utile de consigner par écrit, elle a ensuite communiqué, afin d'obtenir des renseignements, avec les représentants d'un certain nombre de fournisseurs, dont les suivants : Beckman, Varian, Perkin-Elmer, Waters et Shimadzu. Après avoir rencontré les représentants commerciaux de chacun de ces fournisseurs, elle a réévalué ses exigences opérationnelles afin d'en cerner les conditions essentielles. À ce moment, soit le 5 mars 1991, elle a dressé la liste des conditions essentielles auxquelles devait se conformer un système de CLHP aux fins de répondre aux besoins propres à son domaine particulier de recherche.

À cet égard, elle a établi que l'appareil de CLHP répondant le mieux à ses besoins était celui de la Varian Canada Inc. Elle a donc reçu de ce fournisseur une proposition de prix, qui porte également la date du 5 mars 1991, concernant le matériel dont elle entendait faire l'acquisition. Cette proposition faisait état des éléments suivants :

[TRADUCTION]

« Prix unitaire total
1. Pompe Star 9010 à gradient ternaire (supprimé) assortie d'un clavier et d'un écran de
visualisation. Débit : 5 à 10 mL/min.
Contre-pression : 6 000 psi.
Accessoires et guide de l'utilisateur.
120 V. Accessoires fournis. (Aucun
dégazage de l'azote nécessaire)
2. Bus d'interface universel 9010 (supprimé) (contrôle du poste de travail) installé
par le fabricant.
3. Échantillonneur automatique (supprimé) Star 9095 LC muni d'un injecteur
automatique à valve AC6W Valco
(boucle d'échantillonnage :
10 microlitres), comprend une
seringue d'échantillonnage de
100 microlitres, des fioles de 2 mL,
les canalisations nécessaires à
l'installation et le guide de
l'utilisateur. 120 V. Doit être muni
d'un robinet de purge et d'un bus
d'interface universel, ou assorti d'un
nécessaire de synchronisation.
4. Nécessaire de bus d'interface universel (supprimé) 9095 (commande du poste de travail)
installé par le fabricant.
5. [Détecteur de fluorescence programmable -- supprimé] 6. Nécessaire de câblage de (supprimé) synchronisation CAN.
Nota : Comprend la mise à jour du N/C logiciel Star existant pour
achever l'intégration du système.»

Cette dernière observation, concernant la mise à jour du logiciel existant, semble être une allusion à un achat effectué plus tôt, au cours de l'exercice précédent, par le MAS pour le compte du Centre de recherches sur les aliments. Au bout du compte, le système visé comprenait, outre les articles mentionnés dans la liste ci-dessus, un système de gestion des données, dont un progiciel «Star Integrator», un micro-ordinateur assorti d'un écran couleur et des unités périphériques pertinentes, une imprimante et une table traçante, et un câble de transmission en parallèle. Ces quatre articles ont été achetés en 1990-1991. Les articles visés par l'appel d'offres faisant l'objet de la présente plainte sont d'autres éléments destinés au système, dont l'achat doit être réglé à même le budget de 1991-1992 d'Agriculture Canada.

(Il importe peut-être de mentionner que le système comprenait également un autre article, un détecteur de fluorescence à balayage programmable (l'article supprimé au point 5 ci-dessus), dont Agriculture Canada a également fait l'acquisition au cours de l'exercice précédent. Comme, selon Agriculture Canada, la Varian [TRADUCTION] «ne pouvait nous proposer un détecteur de fluorescence répondant à nos besoins», cet appareil a été supprimé de la commande. Des spécifications distinctes ont alors été rédigées et Agriculture Canada en a fait l'acquisition auprès de la Fischer. Cependant, selon le Ministère, il ne s'agit pas d'un appareil qui est incompatible avec les éléments importants du progiciel de gestion des données du système mentionné ci-dessus.)

En se fondant sur les renseignements susmentionnés, Agriculture Canada a fait parvenir une commande au MAS, le 26 avril 1991, aux fins de l'achat, auprès de la Varian, des cinq articles énumérés dans la liste, liste où sont précisés les numéros de modèle et de pièces des articles en question et portant une mention à l'effet que la Varian Canada Inc., à Ottawa (Ontario), pourrait fournir les articles en question. La commande portait aussi une date de livraison, à savoir le 5 juin 1991.

La commande est parvenue au MAS le 3 mai et l'agente de négociation des marchés a constaté, sans tarder, qu'il s'agissait d'un marché qui, en raison de sa valeur estimative, était visé par l'Accord de libre-échange (ALÉ). Elle a alors signalé à Agriculture Canada qu'il s'avérerait nécessaire, afin de se conformer aux exigences de l'ALÉ, d'assortir les spécifications de la mention «ou l'équivalent».

Agriculture Canada a convenu d'ajouter la mention «ou l'équivalent» pourvu que les produits équivalents soient conformes aux caractéristiques essentielles. On a demandé au Ministère de faire parvenir au MAS des spécifications et d'y préciser les caractéristiques qu'il estimait essentielles. Ces spécifications ont été transmises au MAS le 10 mai.

Comme ce sont sur ces spécifications que repose la plainte en l'espèce, il importe de les citer en entier dans la présente. Elles se subdivisent en trois volets. Le premier concerne les deux caractéristiques essentielles relatives à l'ensemble du système, le second, les 13 caractéristiques essentielles se rapportant à la pompe et, le troisième, les cinq concernant l'échantillonneur automatique. En voici le texte :

[TRADUCTION]

"Spécifications générales concernant le système :

1.L'exploitation de la pompe et de l'échantillonneur automatique doit être entièrement contrôlée au moyen du logiciel Varian Star existant acheté par le MAS (dossier n ° OTT90-14138-(135) pour le compte d'Agriculture Canada (commande n ° 01531-90-0455), assorti d'un dispositif d'interface avec le logiciel Windows 3,0, à savoir «une souris».

2.Il faut être en mesure de repérer tous les échantillons à l'aide du logiciel du poste de travail; les échantillons doivent être conformes aux lignes directrices concernant les bonnes pratiques de laboratoire.

Caractéristiques essentielles de la pompe :

1.Pompe de mélange à haute pression, à gradient ternaire, muni d'un seul piston.

2.Le dégazage des solvants n'est pas une fonction essentielle. En phase mobile, le dosage du gradient ne doit pas être tributaire du débit.

3.La pompe doit être munie d'une soupape de retenue d'entrée à commande mécanique, et non d'une soupape à bille.

4.Le gradient doit compter au moins 75 gradins, la durée maximale de chacun devant être d'au moins 900,0 minutes.

5.Capacité de programmer une étape d'équilibrage, à l'établissement de la méthode du gradient, avant l'injection d'un échantillon.

6.À la fin de l'analyse, il faut disposer des options programmables suivantes : (1) arrêter la pompe, (2) poursuivre l'analyse à partir des conditions du dernier gradin de la méthode, et (3) retourner à l'équilibrage ou au gradin initial de la méthode.

7.Capacité de programmer le débit et le gradient.

8.Débit : 0,010 à 5,00 mL/min.

9.Intervalle de contre-pression : 0 à 6 000 psi. Détermination de la contre-pression en temps réel.

10.L'opérateur doit avoir accès aux commandes de la pompe pendant son exploitation sans avoir à interrompre le programme; il doit donc s'agir d'une pompe autonome, pouvant être entièrement commandée par ordinateur, sans devoir recourir à un programmateur externe de gradient.

11.Capacité de programmer l'exécution consécutive d'au moins 5 méthodes.

12.La pompe doit être assortie d'un jeu complet de dispositifs électroniques et mécaniques de diagnostic, y compris un compteur des déplacements du piston et un contrôleur d'étanchéité; on doit également avoir accès, au moyen d'un modem, à la lecture des dispositifs de diagnostic.

13.L'accès aux joints de la pompe doit être simple, et la pompe doit être dotée de la capacité de nettoyer ou de faire le vidage des joints.

Caractéristiques essentielles de l'échantillonneur automatique :

1.Capacité minimale d'échantillonnage : 100.

2.Capacité d'exécuter un échantillon partiel ou un échantillon plus important que l'échantillon standard. Capacité de modifier, au besoin, la taille de l'échantillon.

3.Capacité d'injection : 1 à 100 mL par gradin de 1 m L. Capacité d'injecter 1 mL d'un échantillon de 10 mL.

4.Capacité de lavage interne et externe de l'aiguille après chaque injection.

5.Capacité de programmer des extractions liquide-liquide, des dilutions successives, des dérivations et l'application de normes internes.»

Exception faite des soulignements, il s'agit de la version intégrale du texte que le MAS a annexé à la Demande de propositions (DDP), à titre de spécifications, demande qu'il a fait parvenir aux fournisseurs qui avaient manifesté de l'intérêt à l'égard de l'APM publié dans «Marchés publics».

Ce sont ces spécifications qui ont suscité la plainte en instance. Cependant, avant de les examiner en profondeur, il s'avérerait utile d'achever l'historique des événements qui ont mené au dépôt de la plainte.

L'APM a été publié le 27 mai. La date de clôture pour le dépôt des soumissions avait été fixée au 10 juillet. À la mi-juin, le MAS avait reçu trois demandes de renseignements de fournisseurs potentiels concernant le caractère «d'exclusion» des spécifications, les trois fournisseurs en question se plaignant du fait que seule la Varian pouvait les satisfaire. Le 20 juin, l'agente de négociation des marchés a informé Agriculture Canada des plaintes reçues et a demandé au Ministère de justifier les caractéristiques essentielles figurant dans ces spécifications. Les représentants du Ministère ont soulevé des objections à cet égard et l'agente de négociation des marchés a porté la situation à l'attention de ses supérieurs. Elle a également demandé conseils quant à l'interprétation des directives pertinentes. Les responsables, au MAS, ont décidé qu'il était trop tard pour réviser les spécifications mais qu'il fallait demander à Agriculture Canada de fournir, dans les meilleurs délais et par écrit, des justifications à l'égard des caractéristiques essentielles qui y figuraient. Le jour même (le 26 juin), l'agente de négociation des contrats a communiqué avec les trois fournisseurs potentiels en cause et leur a signalé que les spécifications ne seraient pas révisées.

La Waters a tout de même présenté une soumission (sachant fort bien qu'elle n'était pas conforme à deux des caractéristiques essentielles). Or, tel que mentionné précédemment, des trois fournisseurs potentiels qui s'étaient plaints au MAS, seule la Waters a déposé une plainte auprès de la Commission, le 5 juillet 1991. Le 9 juillet 1991, la Commission rendait une Ordonnance de suspension d'adjudication.

La mention «ou l'équivalent»

Lorsque le MAS a reçu la commande d'Agriculture Canada et qu'il a informé le Ministère qu'aux termes de l'Accord de libre-échange il s'imposait que les spécifications décrivant les produits de la Varian soient assorties de la mention «ou l'équivalent», le MAS faisait alors allusion aux dispositions de l'article IV de l'Accord du GATT relatif aux marchés publics. Ce code du GATT fait partie intégrante de l'Accord de libre-échange, tel que stipulé aux articles 1302 et 1303 de l'Accord. Il s'avérerait utile de citer, dans la présente, le libellé des paragraphes 2 et 3 de l'article IV du Code du GATT :

«2. Toute spécification technique prescrite par des entités contractantes sera, s'il y a lieu,

a)définie en fonction des propriétés d'emploi du produit plutôt que de sa conception, et

b)fondée sur des normes internationales, des règlements techniques nationaux ou des normes nationales reconnues.

3. Il ne devra pas être exigé ou mentionné de marques de fabrique ou de commerce, de brevets, de modèles ou de types particuliers, ni d'origines ou de producteurs déterminés, à moins qu'il n'existe pas d'autre moyen suffisamment précis ou intelligible de décrire les conditions du marché et à la condition que des termes tels que «ou l'équivalent» figurent dans les appels d'offres.»

À la lumière de ces paragraphes, on constate donc, sans difficulté, que l'orientation précisée dans l'ALÉ est assortie d'un parti pris contre les spécifications axées sur la conception et d'un parti pris pour les spécifications axées sur les propriétés d'emploi. De façon plus particulière, y est énoncé un parti pris contre le fait d'exiger ou de mentionner, dans des spécifications, des marques de fabrique ou de commerce, des brevets, des modèles ou des types particuliers, des origines ou des producteurs déterminés «... à moins qu'il n'existe pas d'autre moyen suffisamment précis ou intelligible de décrire les conditions du marché...»

Les agents du MAS le savaient. Ils savaient également que s'ils allaient à l'encontre de ce parti pris, en mentionnant dans les spécifications des numéros de modèles et de pièces du progiciel «Star» de la Varian, ils devaient satisfaire la condition suivante, à savoir que «... des termes tels que «ou l'équivalent» figurent dans les appels d'offres.».

Le premier problème auquel est confrontée la Commission, en ce qui concerne les méthodes empruntées dans le cadre de cet appel d'offres, c'est qu'on ne semble pas avoir examiné sérieusement l'affirmation selon laquelle il n'existait pas «...d'autre moyen suffisamment précis ou intelligible de décrire les conditions du marché...», autre que de préciser les noms des modèles des appareils «Varian Star» et des numéros des pièces les constituant. On le constatera plus loin, lorsque, une fois la plainte déposée, on a demandé à Agriculture Canada de justifier chacune des caractéristiques essentielles du produit consignées dans les spécifications, ces justifications ont été fournies, et sans grande difficulté, la plupart étant formulées dans la perspective des propriétés d'emploi des produits et non dans la perspective des critères de conception et des caractéristiques des produits.

Voici quelques exemples de ces justifications :

1. Dans les spécifications, on exigeait la fourniture d'une [TRADUCTION] «pompe de mélange à haute pression, à gradient ternaire, munie d'un seul piston». La justification présentée à l'égard de cette condition essentielle est, de fait, exprimée dans la perspective de la performance du produit, où la fiabilité du système et la simplicité des méthodes d'entretien périodique que devra appliquer l'opérateur constituent des éléments importants. On note également, dans cette justification, que l'exigence relative à la fourniture d'une pompe munie d'un seul piston découle d'une observation selon laquelle les défaillances des pistons sont une cause fréquente des pannes des systèmes de CLHP. Or, en exigeant que la pompe ne soit munie que d'un seul piston, on réduit le nombre de pièces mobiles ce qui, il faut en présumer, accroît la fiabilité de la pompe. Cependant, le besoin réel, c'est un degré élevé de fiabilité et c'est cette propriété d'emploi qui aurait dû être consignée dans les spécifications.

Pour l'entité acheteuse, la difficulté que pourrait poser la formulation en ces termes de cette condition consisterait à mettre au point des indicateurs de fiabilité afin de mesurer le degré de fiabilité de chacun des produits proposés par les soumissionnaires. De tels indicateurs ne semblent pas avoir été arrêtés, à tout le moins, on ne les précise pas dans les spécifications. On a plutôt pris la décision, avant de lancer l'appel d'offres ouvert, d'opter pour une pompe munie d'un seul piston afin d'obtenir le degré de fiabilité souhaité et, par conséquent, cette caractéristique particulière a été retenue à titre de condition essentielle. Cette façon de procéder pourrait, évidemment, avoir pour effet d'écarter du processus tous les fournisseurs potentiels de pompes de conception différente même s'il pouvait faire la preuve, sans conteste, que leur pompe est plus fiable qu'une pompe munie d'un seul piston. Par conséquent, le besoin réel du ministère client n'est pas précisé dans les spécifications, sans oublier qu'il aurait été possible de l'exprimer autrement et de façon intelligible.

2. De la même façon, en ce qui concerne l'exigence selon laquelle il devait s'agir d'une pompe de mélange à haute pression, la justification donnée est tout simplement la suivante : [TRADUCTION] «la capacité d'effectuer des mélanges à haute pression est absolument essentielle». On y trouve également l'affirmation suivante : [TRADUCTION] «Le CRA ne parvient pas, au moyen du matériel dont dispose à l'heure actuelle, à effectuer les analyses requises de la vitamine B2. Après avoir consacré plusieurs milliers de dollars à sa réparation, le CRA ne dispose toujours pas d'un système de CLHP adapté à l'exécution de telles analyses. Les préposés à l'entretien en cause ont souvent affirmé que le noeud du problème découle du dégazage insuffisant des solvants. En utilisant une pompe de mélange à haute pression, il ne s'avère plus nécessaire de dégazer les solvants.»

Encore une fois, la justification est formulée en des termes clairs dans la perspective de la performance du produit : le client veut un appareil capable d'exécuter des analyses de la vitamine B2. Et, encore une fois, une décision a été prise avant le lancement de l'appel d'offres ouvert, à savoir que la conclusion à laquelle étaient arrivés les préposés au service devait être valable et que c'était le dégazage insuffisant des solvants qui était à la source du problème. Par conséquent, les intéressés ont convenu de faire de la capacité de mélange à haute pression une condition essentielle car, grâce à cette capacité, le problème était réglé. Peut-être est-il juste de faire une telle affirmation, mais en procédant ainsi, on écarte tout autre produit qui, moyennant une approche différente, aurait permis de résoudre le problème -- même s'il était en mesure de satisfaire le besoin réel, à savoir effectuer des analyses de la vitamine B2. Évidemment, la difficulté à laquelle serait alors confrontée l'entité acheteuse c'est qu'elle devrait mettre à l'épreuve les autres appareils proposés afin d'établir s'ils sont en mesure d'effectuer les analyses en question. Plutôt, les responsables semblent être parvenus à la conclusion (encore une fois, avant le lancement de l'appel d'offres ouvert) que l'un des produits parmi ceux vendus sur le marché pouvait, de fait, effectuer les analyses requises et c'est ce produit qu'ils ont mentionné dans les spécifications -- en se fondant sur le critère du mélange à haute pression -- à titre de condition essentielle. Malgré tout, il aurait été de fait possible d'exprimer le besoin réel en des termes intelligibles.

3. Il est précisé, dans les spécifications, que le produit recherché [TRADUCTION] «doit être muni d'une soupape de retenue d'entrée à commande mécanique et non d'une soupape à bille». La justification proposée est fort simple [TRADUCTION] «Il est absolument essentiel d'éliminer les problèmes attribuables aux phénomènes de cavitation éprouvés par le passé (se reporter ci-dessus). Il a été établi que les soupapes de retenue d'entrée à commande mécanique exigent moins d'entretien que les soupapes à bille, réduisant ainsi les temps d'arrêt et les frais d'entretien.» Encore une fois, le besoin réel concerne la résolution des problèmes imputables aux phénomènes de cavitation et la réduction des frais d'entretien (il s'agit manifestement, encore une fois, d'accroître la fiabilité). Cependant, dans les spécifications, ce besoin est exprimé en se reportant à une caractéristique bien précise d'un produit. Or, sont encore une fois écartés du processus tous les produits ne justifiant pas de cette caractéristique peu importe les attestations que pourraient présenter son fabricant concernant la cavitation ou la fiabilité.

Il ne faut pas en conclure que toutes les caractéristiques des produits Varian consignées dans les spécifications sont visées par les observations susmentionnées. L'une d'entre elles, à savoir l'exigence [TRADUCTION] «que l'opérateur doit avoir accès aux commandes de la pompe pendant son exploitation sans avoir à interrompre le programme», est de fait une façon acceptable d'exprimer un besoin opérationnel, même si elle correspond à la description de l'une des caractéristiques d'un produit donné. Cependant, la formulation de deux autres conditions essentielles suscite des commentaires de deux ordres.

La première condition en cause concerne le fait que [TRADUCTION] «l'accès aux joints de la pompe doit être simple, et la pompe doit être dotée de la capacité de nettoyer ou de faire le vidange des joints.» Cette justification concerne, encore une fois, la fiabilité, et se fonde sur l'hypothèse que la simplicité des méthodes d'entretien que devra appliquer l'opérateur permettra de minimiser les temps d'arrêt. Or, encore une fois, la formulation des spécifications suscite des commentaires du même ordre que ceux énoncés plus haut, à savoir qu'une telle condition écarte du processus les produits dont les joints ne doivent pas être changés, de même que les produits dont les méthodes d'entretien sont plus difficiles à exécuter, et ce, même s'il était possible de faire la preuve que leurs joints ne posent jamais problème.

Or, le vrai problème est que les spécifications ne sont pas assorties de critères visant à préciser ce que l'on entend par «simple». Lorsqu'une telle condition est imposée et qu'elle n'est pas assortie de critères d'évaluation, il s'avère alors impossible de classer de façon appropriée les produits selon la simplicité de leurs méthodes d'entretien. Les produits proposés sont soit «simples» à entretenir ou ils ne le sont pas, et l'entité acheteuse doit alors composer avec un jugement de valeur qu'elle ne peut justifier parce que les critères sur lesquels elle s'est fondée n'ont pas été communiqués aux soumissionnaires, et que CELA va à l'encontre des dispositions de l'article 1305 de l'Accord de libre-échange qui stipule que les décisions concernant l'évaluation des soumissions et l'adjudication des contrats doivent êtres fondées sur des critères qui sont clairement spécifiés à l'avance.

La seconde condition essentielle qui pose problème précise que [TRADUCTION] «la pompe doit être assortie d'un jeu complet de dispositifs électroniques et mécaniques de diagnostic, y compris un compteur des déplacements du piston et un contrôleur d'étanchéité; on doit également avoir accès, au moyen d'un modem, à la lecture des dispositifs de diagnostic.»

Or, il s'avère qu'il s'agit d'une caractéristique du produit de la Varian qui est décrite de la façon suivante dans un document de promotion de l'entreprise :

[TRADUCTION]

«Grâce à ses dispositifs de diagnostic intégrés, il est facile de repérer les problèmes et d'effectuer les travaux d'entretien qui s'imposent. Le modèle Star 9010 est même muni d'un «compteur des déplacements» du piston afin de pouvoir bien planifier les activités d'entretien. En s'abonnant au service TelediagnosticsTM, service exclusif que propose la Varian à ses clients et qui s'inscrit dans le cadre d'un marché de services, il s'avère possible de raccorder la pompe Star 9010 au centre de service de la Varian et de porter, sans tarder, un diagnostic.»

Il importe de souligner, en ce qui concerne la condition selon laquelle il faut [TRADUCTION] «avoir accès, au moyen d'un modem, à la lecture des dispositifs de diagnostic», que le produit ne doit pas être muni de cette caractéristique, mais plutôt qu'il doit pouvoir en être doté. Il ne s'agit pas d'une condition déraisonnable si le client a l'intention de tirer parti de cette caractéristique à une date ultérieure (soulignons que cette caractéristique doit faire l'objet d'un marché de services).

Cependant, les commentaires qui s'imposent concernent le fait que les spécifications sont trompeuses car le client n'a aucunement manifesté l'intention d'exploiter cette caractéristique spéciale. En effet, il n'a pas indiqué son intention de conclure le marché de services en question exigé. De fait, Agriculture Canada, dans ses justifications, a souligné qu'il avait pour politique de ne pas conclure de marchés de services pour le compte de la Direction générale de la recherche. Aussi, en l'espèce, la capacité d'avoir accès, au moyen d'un modem, à la lecture des dispositifs de diagnostic ne constitue pas un besoin réel d'Agriculture Canada compte tenu des politiques en place concernant les marchés d'entretien. Or, en qualifiant cette condition d'essentielle, le Ministère a trompé les fournisseurs potentiels et présenté de façon fallacieuse ses besoins réels, ce qui contrevient aux dispositions de l'article 1305 de l'ALÉ où il est stipulé qu'il faut accorder à tous les fournisseurs potentiels les mêmes possibilités de répondre aux exigences de l'entité acheteuse à l'étape de l'appel d'offres et du dépôt des soumissions. Or, en l'instance, cette caractéristique ne constitue pas un besoin réel.

Une dernière observation concernant la nature trompeuse des spécifications : il s'agit de la condition essentielle relative au système dans son ensemble selon laquelle [TRADUCTION] «l'exploitation de la pompe et de l'échantillonneur automatique du système de CLHP doit être entièrement contrôlée au moyen du logiciel Varian Star existant».

La justification fournie à l'égard de cette condition est la suivante : [TRADUCTION] «Agriculture Canada a consacré 10 000 $ à la mise au point d'un système de gestion des données du CLHP, tel que précisé dans les spécifications». Il s'agit d'une allusion à l'achat des autres éléments du système dont le Ministère a fait l'acquisition au cours de l'exercice précédent, achat dont on a fait mention précédemment. À titre de rappel, soulignons que le système de gestion des données se composait des éléments suivants :

- un progiciel Star Integrator;

- un micro-ordinateur 386 muni d'un écran couleur et d'autres unités périphériques;

- un poste de travail Star (imprimante et table traçante); et

- un câble pour la transmission en parallèle.

La plaignante, dans ses observations à l'égard de la version préliminaire du Rapport d'enquête transmise aux deux parties, a laissé entendre que le produit dont Agriculture Canada avait fait l'achat n'était probablement pas le progiciel du poste de travail Varian Star, assorti de caractéristiques au titre du contrôle de la pompe et de l'échantillonneur automatique, mais plutôt un autre progiciel, à savoir le Varian Star Integrator, qui ne justifie pas de la capacité de contrôler ces autres appareils. Le motif de cette observation : si le Ministère ne dispose pas du logiciel nécessaire pour contrôler la pompe et l'échantillonneur automatique, alors pourquoi précise-t-il, dans ses spécifications, que ces appareils doivent [TRADUCTION] «être entièrement contrôlés au moyen du logiciel Varian Star existant». Il ne faut pas oublier que ce que Agriculture Canada entendait par «existant», la définition figurait dans les spécifications préparées par le Ministère et annexée à la commande transmise au MAS, a été supprimée par le MAS lors de la préparation de la DDP. En voici le texte : [TRADUCTION] «... logiciel Varian Star existant acheté par le MAS (dossier n o OTT90-14138-(135) pour le compte d'Agriculture Canada (commande n o 01531-90-0455), assorti d'un dispositif d'interface avec le logiciel Windows 3,0, à savoir «une souris».»

L'enquête a révélé que le logiciel acheté en vertu des numéros de commande et de dossier mentionnés est bel et bien le progiciel Varian Star Integrator et, moyennant vérification auprès du fournisseur, le logiciel Integrator n'est pas assorti des caractéristiques nécessaires pour contrôler l'exploitation de la pompe et l'échantillonneur automatique. Afin de se doter de cette capacité, Agriculture Canada devra faire l'acquisition d'un progiciel assorti des caractéristiques de contrôle en question.

Voilà pourquoi la Commission a demandé au MAS et à son ministère client de formuler des commentaires à l'égard de ce point particulier, dont voici la teneur :

[TRADUCTION]

«4.Les commentaires formulés par la Waters témoignent d'une certaine confusion concernant l'équipement acheté dans le cadre du marché no 01531-0-0455. Il est précisé, dans le contrat (Annexe 5) qu'il s'agit d'un système d'intégration comprenant tant le matériel que le logiciel. Cette DDP a fait l'objet d'un appel d'offres ouvert lancé par le MAS dans le cadre duquel la Varian s'est avérée le moins-disant. L'objet visé par le présent appel d'offres est de constituer un système de CLHP entièrement automatisé. Ayant déjà consacré 10 000 $ à un progiciel de gestion des données, il est absolument nécessaire que tout logiciel additionnel de contrôle des appareils soit compatible et puisse être exploité à pleine capacité avec le matériel et le logiciel d'intégration existants.» (accentuation ajoutée)

Il est par conséquent manifeste qu'Agriculture Canada ne possède pas (ou, à tout le moins, ne possédait pas le 16 septembre lors de la préparation de sa réponse) le logiciel nécessaire pour «contrôler entièrement» l'exploitation de la pompe et de l'échantillonneur automatique. Peut-être avait-il l'intention de faire ultérieurement l'acquisition de ce logiciel -- évidemment, si le Ministère faisait l'acquisition de la pompe et de l'échantillonneur automatique de la Varian au moyen du présent appel d'offres, il aurait besoin, ultérieurement, du logiciel Varian destiné au poste de travail aux fins de disposer d'un système de CLHP entièrement automatisé.

Bien sûr, il ne s'agit pas d'un raisonnement fautif. Cependant, le problème qu'il pose au titre de l'interprétation des spécifications propres au présent appel d'offres ouvert c'est qu'il induira en erreur les autres fournisseurs potentiels qui auront été invités à soumissionner. On fait allusion, dans les spécifications, à l'exercice d'un contrôle moyennant un logiciel «existant» que ne possède pas le client. Qui plus est, il en résulte, comme l'estimait la plaignante, qu'une décision avait déjà été prise concernant le bénéficiaire ultime de ce marché car le Ministère entendait assortir le produit visé par sa commande d'un progiciel dont il n'avait pas encore fait l'acquisition.

Nous en sommes maintenant au second problème que posent à la Commission les méthodes empruntées pour l'adjudication de ce marché, problème qui est au coeur même de la plainte, à savoir qu'il s'agit de spécifications visant à «exclure» des fournisseurs potentiels.

Il est certes manifeste, à l'analyse des preuves produites, que l'adjudication de ce marché a fait l'objet d'un appel d'offres préalable, effectué en privé par Agriculture Canada, dans le cadre de son évaluation des produits vendus sur le marché susceptibles de répondre à ses besoins. Les personnes qui se sont livrées à cet exercice étaient des personnes bien informées qui justifiaient d'une connaissance plus que superficielle des détails techniques des appareils dont le Ministère entendait faire l'acquisition. Ayant bien cerné leurs besoins, ces personnes ont évalué rigoureusement les produits vendus sur le marché et sont parvenues à la conclusion qu'elles avaient trouvé le produit répondant le mieux à leurs besoins. Elles ont alors obtenu une proposition de prix, puis elles ont indiqué au MAS de faire l'acquisition du produit.

Lorsque confrontées aux exigences subsidiaires de la loi qui leur imposaient le recours à un appel d'offres ouvert, les personnes en cause s'y sont conformées. Cependant, elles n'entendaient pas, malgré le lancement d'un appel d'offres ouvert, «renoncer» à leur choix. Elles ont donc assorti leurs spécifications de conditions essentielles, à savoir 13 concernant la pompe, 5 concernant l'échantillonneur automatique et 2 concernant le système dans son ensemble, conditions exprimées, pour la plupart, en des termes décrivant des caractéristiques données de produit. Or, en ce faisant, elles donnaient prise, comme en témoigne l'analyse à laquelle s'est livrée la Commission, à la critique, sur de nombreux points, en ce qui concerne l'obligation d'accorder les mêmes possibilités à tous les fournisseurs potentiels invités à soumissionner.

Malheureusement pour Agriculture Canada, l'appel d'offres préalable, auquel s'est livrée en privé une de ses employés, est interdit en vertu du code du GATT et de l'Accord de libre-échange, de même qu'aux termes des règles générales des directives et des procédures qui régissent les activités du MAS, et ce, même lorsqu'un marché n'est pas visé par l'ALÉ. Les appels d'offres doivent être équitables et ouverts, et toutes les conditions doivent être précisées à l'avance. Ils ne doivent pas se dérouler en privé, ce qui fut, en fait, le cas en l'espèce et, lorsqu'il est lancé, il ne doit pas s'agir d'une simple formalité, les besoins réels et la justification des conditions essentielles n'étant pas un exercice auquel on ne se livre qu'après coup, une fois qu'on est informé qu'une plainte a été déposée.

Par conséquent, en dernière analyse, la Commission est arrivée, sans grandes difficultés, à la conclusion que cet appel d'offres est vicié en raison des nombreuses mesures inéquitables, impropres et trompeuses dont l'examen révèle clairement qu'elles ne visaient qu'un seul but, nommément l'acquisition des produits de la Varian dont on s'est inspiré pour énoncer les spécifications. Une telle démarche est, sans conteste, contraire aux dispositions de l'article 1305 de l'ALÉ car on n'a pas accordé à tous les fournisseurs potentiels les mêmes possibilités de répondre aux exigences de l'entité acheteuse à l'étape de l'appel d'offres et du dépôt des soumissions, et parce que les décisions touchant l'évaluation des soumissions et l'adjudication du marché n'auraient pas été fondées sur des critères clairement spécifiés à l'avance.

La Commission entend retenir la plainte et recommander au MAS de lancer un nouvel appel d'offres ouvert une fois énoncées des spécifications qui traduisent les besoins réels d'Agriculture Canada. La Commission entend également octroyer à la plaignante le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour le dépôt et l'instruction de la plainte et, compte tenu du fait qu'on l'a incitée à participer à un appel d'offres alors que ses chances de décrocher le marché étaient nulles, la Commission entend octroyer aussi à la plaignante le remboursement des frais raisonnables qu'elle avait engagés, au 26 juin 1991, aux fins de la préparation de sa soumission, date à laquelle elle a été informée que le Ministère n'entendait pas se rendre à sa demande de réviser les spécifications. Les frais engagés après cette date au titre de la préparation de sa soumission, qu'elle a déposée à une date ultérieure, sont à la charge de la plaignante car elle savait alors que sa soumission serait rejetée.

La décision de la Commission est la suivante :

DÉCISION

La Commission a statué, à la lumière de son enquête, que le présent appel d'offres du ministère des Approvisionnements et Services n'est pas conforme aux exigences énoncées à l'article 17 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange dans la mesure où les spécifications ont été énoncées de façon à produire un résultat établi à l'avance, le Ministère se soustrayant ainsi à l'obligation qui lui est faite d'accorder à tous les fournisseurs potentiels les mêmes possibilités de répondre aux exigences de l'entité acheteuse à l'étape de l'appel d'offres et du dépôt des soumissions, et dans la mesure où les critères de décision touchant l'évaluation des soumissions et l'adjudication du marché n'avaient pas été clairement spécifiés à l'avance.

La Commission recommande que le MAS lance un nouvel appel d'offres ouvert une fois énoncées des spécifications qui traduisent fidèlement les besoins réels d'Agriculture Canada.

La Commission a également décidé:

a) d'octroyer à la plaignante le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés au titre du dépôt et de l'instruction de la plainte; et

b) d'octroyer à la plaignante les frais raisonnables qu'elle a subis pour préparer et déposer sa soumission, coûts subis jusqu'au 26 juin 1991 inclusivement.

Gerald A. Berger
_________________________
Gerald A. Berger
Président
Commission de révision des marchés publics du Canada


[ Table des matières]

Publication initiale : le 28 août 1997