WATERS CHROMATOGRAPHY

Décisions


WATERS CHROMATOGRAPHY
N° du greffe de la Commission: E91PRF6631-021-0002

TABLE DES MATIÈRES


AFFAIRE INTÉRESSANT

Une plainte de Waters Chromatography de Mississauga (Ontario) une division de Millipore (Canada) Ltd.

N° du greffe de la Commission: E91PRF6631-021-0002

Plainte retenue

ET

La Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, partie II, art. 15, L.C. 1988, ch. 65.

29 avril 1991

DÉCISION DE LA COMMISSION

Il s'agit en l'espèce d'une plainte concernant l'adjudication d'un marché public, qui devait se faire dans le cadre d'un appel d'offres ouvert mais pour lequel l'avis prescrit n'a en fait jamais été donné.

Le plaignant est Waters Chromatography (une division de Millipore Canada Ltd.) (Waters) de Mississauga (Ontario). Waters est un fournisseur de matériel de chromatographie liquide à haute performance, dont l'Institut des biosciences marines (IBM) à Halifax (Nouvelle-Écosse) avait besoin. (L'IBM est une direction du Conseil national de recherches).

Le plaignant prétend qu'il n'a jamais eu l'occasion de soumissionner pour le marché de l'Institut, car aucun Avis de projet de marché (APM) n'a paru dans la publication quotidienne du gouvernement intitulée Marchés publics.

IBM avait en fait demandé au ministère des Approvisionnements et Services (MAS) (par l'entremise de son Centre des approvisionnements de la région de l'atlantique à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse) d'acheter ce matériel, doté de capacités bien définies, et le MAS a donc entrepris des démarches pour donner suite à cette demande et pris des mesures pour faire paraître dans la publication Marchés publics l'avis de projet de marché.

Le MAS a admis au plaignant que l'APM n'avait jamais été publié. On ne sait pas exactement à quoi attribuer cet état de chose, mais c'est une affaire que le ministère des Approvisionnements et Services regrette beaucoup... en fait, lorsqu'elle a été signalée à son attention, il a rapidement révisé ses procédures pour garantir qu'une telle erreur ne se reproduirait plus, et le sous-ministre a envoyé une lettre d'excuses au plaignant (voir l'annexe 13 du Rapport d'enquête (R.E.)).

Toutefois, le caractère intangible d'une lettre d'excuses n'est pas tout à fait ce que le plaignant avait à l'esprit, et il a demandé à la Commission, soit que le marché fasse l'objet d'un nouvel appel d'offres pour qu'il puisse soumissionner ou, si cela n'était pas possible, qu'il soit indemnisé [TRADUCTION] "de ses frais et de la perte de l'occasion de faire des affaires".

Question relative à la compétence : Plainte déposée en retard

Avant d'aborder les détails de l'enquête sur cette affaire, il faut traiter d'un point de compétence soulevé par le MAS dans son Rapport de l'institution fédérale : il souligne que la plainte a été déposée après l'expiration du délai prescrit dans le Règlement de la Commission de révision des marchés publics ("... pas plus tard que 10 jours après la date de la découverte des motifs de la plainte ou la date à laquelle ceux-ci auraient dû vraisemblablement être découverts.") [1] , et il soutient que pour cette raison, la Commission n'a pas compétence.

La Commission reconnaît que la plainte a été déposée en retard. Les faits indiquent que Waters savait, au plus tard le 23 janvier 1991, que l'APM n'avait pas été publié dans Marchés publics... ce qui était l'élément d'information qu'il devait connaître pour fonder la présente plainte sur le fait qu'on ne lui avait pas donné l'occasion de soumissionner.

Si l'on accepte cette interprétation, le plaignant aurait eu dix jours à compter du 23 janvier 1991 pour déposer sa plainte. Comme cette période se terminait un samedi, il aurait eu jusqu'au lundi suivant (4 février 1991) selon le Règlement. Il ne l'a pas déposée avant le 12 février 1991; par conséquent, même en interprétant les faits le plus généreusement possible, il est en retard d'au moins huit jours.

Toutefois, la Commission "...peut examiner une plainte qui n'est pas déposée dans le délai applicable prévu au présent article, si des motifs valables justifient le non-respect du délai ou si elle juge que la plainte soulève des points importants qui touchent le mécanisme d'adjudication." [2]

Le MAS prétend que ce pouvoir discrétionnaire ne devrait être exercé que lorsqu'il existe un point important et [TRADUCTION] "... non tout simplement parce que le plaignant le mérite peut-être ou qu'une erreur a été commise par l'institution fédérale." (voir l'annexe 13 du R.E.)

La Commission a examiné la question à sa réunion du 18 février 1991, et elle a jugé que le plaignant soulevait un point important qui touche le mécanisme d'adjudication, soit le lancement, la conduite et la clôture d'un appel d'offres sans qu'un avis de cet appel n'ait été publié dans l'unique organe officiel pour ce marché, la publication intitulée Marchés publics.

La Commission est d'avis que cette plainte devrait faire l'objet d'une enquête pour répondre aux questions suivantes qui touchent l'intégrité même d'un régime d'appel d'offres ouvert, face auquel le gouvernement s'est engagé aux termes de l'Accord de libre-échange (ALÉ) :

-Si aucun APM n'a été publié, comment les concurrents, qui sont invités à se fier à Marchés publics, ont-ils été mis au courant de l'existence du concours?

-Comment pouvait-on adjuger un marché à l'issue d'un concours dont personne n'avait été avisé officiellement?

Le plaignant a été informé de cette décision par une lettre portant la même date (18 février 1991), et le MAS en a été informé au même moment au moyen d'une copie qui lui a été envoyée sous pli séparé.

L'enquête

Les allégations contenues dans cette plainte, la réponse du gouvernement à ces allégations et les observations du plaignant au sujet de la réponse du gouvernement ont fait l'objet d'une enquête au moyen d'entrevues et de l'examen de documents.

Un certain nombre de personnes ont été interviewées par téléphone pour confirmer diverses affirmations faites dans les documents ou y figurant. Ce sont : M. Richard Blais (Bureau régional des ventes, Montréal), M. Charles Gagné (représentant commercial, matériel technique, bureau d'Ottawa), et M. Aaron Wolkoff (chef de service, bureau de Mississauga), tous de Waters; Mme M. Goldsmith (agent de négociation des contrats) et M. C. Prowse (chef, Acquisitions commerciales), Centre des approvisionnements de la région de l'Atlantique - MAS; M. N. MacDowall (gestionnaire de projet), Direction de la gestion des données et de l'information sur les statistiques (DGDIS) - MAS, Hull (Québec); M. J. Wright (scientifique) et M. G.N. Wright (agent des approvisionnements), CNR-IBM, Halifax (Nouvelle-Écosse); et M. John MacFarlane (président et spécialiste en applications), Axial Precision Instruments Corp., Oakville (Ontario) (adjudicataire).

Conformément à une nouvelle procédure, dont avis a été donné par la Commission dans Marchés publics au cours de la semaine du 18 février 1991, une copie du rapport préliminaire d'enquête a été envoyée à l'institution fédérale et au plaignant à des fins de commentaires, avant d'être déposé devant la Commission. Les deux parties ont formulé de brefs commentaires écrits, qui ont été ajoutés au rapport. En outre, en examinant celui-ci, la Commission a soulevé une autre question à laquelle il a été répondu dans un document extrait du dossier relatif au marché, qui n'était pas joint au premier rapport préliminaire distribué aux parties. Ce document leur a été transmis par télécopieur, pour leur donner l'occasion de faire d'autres commentaires. Le document et les commentaires figurent maintenant à l'annexe 17 du R.E.

En outre, le rapport de cette enquête contient un certain nombre d'autres annexes comprenant des documents jugés pertinents par le personnel d'enquête pour la rédaction du rapport. Il n'y a pas nécessairement un renvoi à chacun de ces documents justificatifs dans la présente décision, mais les parties peuvent les consulter, de même que toute autre personne, sous réserve des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information.

Comme il a été possible au cours de l'enquête de recueillir suffisamment de renseignements pour que la Commission puisse, à son avis, statuer sur les questions soulevées dans la plainte, il a été décidé qu'aucune audience n'était nécessaire. Après avoir examiné le rapport de son personnel d'enquête et les commentaires sur le rapport formulés par les parties, la Commission a tiré des conclusions et pris une décision en se fondant sur les faits qui y sont établis, les faits principaux étant relevés ci-après.

Le marché

L'enquête révèle que pendant quelque temps avant août 1990, IBM avait procédé à une analyse de marché pour trouver le matériel de chromatographie liquide à haute performance (CLHP) dont il avait besoin.

Dans le cadre de l'étude de marché, IBM a examiné des revues scientifiques et s'est entretenu avec d'autres scientifiques effectuant des recherches semblables, aussi bien au cours de rencontres personnelles que de conférences scientifiques. À un moment donné, IBM a cru que seule Axial Precision Instruments Corp. (Axial) de Oakville (Ontario) pouvait lui fournir le matériel doté des caractéristiques dont il avait besoin; par conséquent, lorsqu'il a envoyé sa demande au MAS, à Dartmouth, il a proposé que l'achat soit fait auprès d'un fournisseur exclusif, soit Axial. Entre le 24 août 1990, date à laquelle la demande a été envoyée au MAS, et le 27 octobre 1990, des discussions ont eu lieu entre le MAS et IBM, à la suite desquelles IBM a convenu que le MAS devrait adjuger le marché conformément aux procédures prévues dans l'ALÉ, dans le cadre d'un appel d'offres ouvert. Au cours de cette période, IBM avait appris qu'au moins trois autres fournisseurs offraient du matériel semblable, et que l'un d'eux, Waters, avait un produit qui pourrait peut-être répondre à ses besoins, sous réserve de l'évaluation d'une offre spécifique. Le 27 octobre 1990, IBM a demandé au MAS, à Dartmouth, de lancer un appel d'offres. Il a proposé que des formulaires de soumission soient envoyés à la fois à Axial et à Waters, mais on l'a avisé verbalement (et avec raison) que les procédures de l'ALÉ exigeaient la publication d'un APM dans Marchés publics, et qu'aucun fournisseur ne pouvait être pressenti directement.

À la suite des activités qui ont entouré ces discussions, et peut-être même avant, il semble que tant Axial que Waters (au moins) ont été mis au courant des besoins d'IBM, et que le MAS allait lancer un appel d'offres d'un moment à l'autre.

L'adjudicataire, Axial, a apparemment appris qu'un appel d'offres serait lancé lorsqu'il a téléphoné au ministère client, qui l'a adressé à l'agent de négociation des contrats le ou vers le 21 novembre 1990. L'agent avait préparé une demande de propositions (DP) qu'elle avait datée du 14 novembre 1990, et elle croyait, semble-t-il, que la date de publication de l'APM aurait été le ou vers le 14 novembre 1990 pour coïncider avec la date figurant sur la DP. À la suite de cet appel téléphonique de Axial (et plus tard d'une lettre datée du même jour dans laquelle Axial demandait des formulaires de soumission), elle a cru que l'appel d'offres était officiellement en cours et que la demande faisait suite à l'APM, et elle a donc envoyé les documents à Axial.

Il se trouve que Axial n'était pas abonné à Marchés publics, et même si l'entreprise savait que la publication d'un APM marque toujours le lancement officiel d'un appel d'offres visé par l'ALÉ, elle ne s'y fiait pas. Ce qu'elle a fait plutôt, du moins dans la présente affaire, c'est téléphoner régulièrement au ministère client pour s'enquérir du statut du marché. L'appel, qui a été transmis à l'agent de négociation des contrats le ou vers le 21 novembre 1990, était tout à fait fortuit.

Par ailleurs, le plaignant, Waters, était effectivement abonné à Marchés publics, mais, nous le savons maintenant, l'APM n'a jamais été publié. Il a lui aussi appelé par la suite l'agent de négociation des contrats, mais malheureusement ce fut seulement le 15 janvier 1991 -- cinq jours après que le contrat eut été adjugé à Axial. Du 26 novembre 1990, date où les formulaires de soumission ont été envoyés à Axial, à la date de clôture le 4 janvier 1991, il ne semble pas que le MAS ait reçu d'autres demandes de renseignements.

Le MAS a effectué sa propre enquête pour savoir pourquoi l'APM n'avait pas été publié alors qu'il croyait qu'il l'avait été. Dans la lettre qu'il a adressée au plaignant, et où il exprime les regrets du ministère au sujet de ce qui s'est passé dans la présente affaire, le sous-ministre déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

"... Malheureusement, nous avons découvert que même si l'Avis de projet de marché (APM) avait été transmis de notre bureau de Halifax, il n'a pas été publié dans Marchés publics en raison d'un problème dans le système qui a empêché la transmission définitive, à notre personnel de rédaction, des renseignements figurant dans l'APM."

L'enquête effectuée par la Commission n'a rien fait ressortir qui soit incompatible avec cette explication des événements, et le défaut de publier semble avoir été accidentel.

Par ailleurs, les formalités réglementaires ayant trait à ce marché -- que l'on trouve dans le Code du GATT rendu applicable par l'article 1303 de l'Accord de libre-échange, ainsi que dans les obligations élargies relatives aux procédures énoncées à l'article 1305 de l'ALÉ, qui doivent orienter les décisions prises par la Commission [3] , -- disposent que les organismes fédéraux acheteurs "... feront paraître un avis concernant chaque projet de marché [dans Marchés publics]. Cet avis constituera une invitation à participer... à une procédure d'appel d'offres ouverte..." [4] Si aucun avis de ce genre n'est effectivement publié, on ne peut dire qu'un appel d'offre du genre de celui que ces formalités réglementaires visent à garantir a jamais été lancé.

Ce qui s'est produit en l'espèce, c'est qu'il n'y a pas eu d'appel d'offres, et que les mesures prises n'auraient pas dû aboutir à l'adjudication d'un marché. Comme il a déjà été mentionné, le défaut de publier a pour conséquence logique que personne n'est mis au courant de la demande de soumissions et aucune soumission n'est reçue. Si des soumissions sont reçues dans des circonstances de ce genre, cela ne peut que signifier que l'existence de l'appel d'offres a été communiquée d'une façon autre que celle que le Canada a convenu d'utiliser aux termes de l'Accord de libre-échange. Si le moyen de communication n'est pas, en fait, le moyen convenu, alors les fournisseurs qui ont été invités à participer à ce système de passation de marchés et à qui l'on a garanti qu'ils pouvaient se fier à Marchés publics ont été traités de façon inéquitable et ont droit à être dédommagés en conséquence.

La Commission conclut que la plainte est bien fondée en ce que le MAS n'a pas, en fait, respecté les formalités réglementaires de l'article 1305 de l'Accord de libre-échange, c'est-à-dire que le défaut de publier l'APM s'est traduit par le défaut d'accorder à tous les fournisseurs potentiels les mêmes possibilités de répondre aux exigences de l'entité acheteuse à l'étape de l'appel d'offres et du dépôt des soumissions, et la Commission adjugera au plaignant les frais raisonnables qu'il a engagés pour le dépôt et l'instruction de sa plainte.

Toutefois, tout comme le défaut de publier devrait logiquement se traduire par la non-réception de soumissions, ce défaut, et rien d'autre, n'aurait pas dû se traduire par une injustice grave pour les fournisseurs potentiels, étant donné que l'on pouvait croire qu'il n'y avait pas eu d'appel d'offres.

Par ailleurs, comme cela arrive souvent dans la vie, un autre élément est intervenu : un des concurrents a appris l'existence de l'appel d'offres de la façon décrite ci-dessus, et il a déposé une soumission. De même, en raison d'un échec du système, l'agent de négociation des contrats n'était pas au courant que l'avis n'avait pas été publié; le MAS a conclu que seulement une soumission avait été reçue et, à la clôture des soumissions le 4 janvier 1991, il a adjugé le contrat à ce soumissionnaire.

C'est l'effet combiné de ces deux mesures qui a donné lieu à l'injustice pour d'autres fournisseurs potentiels à laquelle a conclu la Commission.

Bien entendu, un droit a été enfreint, et on pourrait corriger cette injustice en redonnant, en fait, ce droit au plaignant... c'est-à-dire en le replaçant à la ligne de départ et en organisant un tout nouveau concours. Aujourd'hui, toutefois, procéder de cette façon équivaudrait, semble-t-il, à faire valoir les droits du plaignant au détriment de ceux qu'a acquis l'adjudicataire qui, autant que nous sachions, a obtenu honnêtement le contrat. Il ne sera peut-être pas facile, dans la pratique, d'arriver à un juste équilibre entre ces droits.

Par ailleurs, la Commission n'est pas convaincue que l'affaire devrait en rester là, avec l'adjudication des frais et aucune réparation autre qu'une lettre d'excuses du Ministère.

La Commission fait remarquer que le 21 janvier 1991, le ministère savait qu'aucun APM n'avait été publié, et que cette erreur avait causé une injustice.

S'il avait été disposé à agir rapidement à ce moment-là, il se peut qu'il aurait peut-être encore pu rectifier la situation en mettant un terme aux mesures en cours et en organisant un appel d'offres dans les règles. Le dossier indique (annexe 17 du R.E.) que la direction du MAS avait compris et envisagé cette possibilité... au moins peu après le dépôt de la plainte le 12 février 1991. Une note de service interne datée du 15 février 1991 révèle que l'on a effectivement envisagé la possibilité d'annuler l'appel d'offres et d'en lancer un nouveau... mais le ministère a également mentionné que : a) à ce moment-là (le 15 février 1991), il s'était déjà écoulé cinq semaines depuis l'adjudication du contrat; b) un nouvel appel d'offres ne pouvait être lancé au cours de l'année financière alors en cours, car on craignait un épuisement des fonds du ministère client; et c) le retard et l'épuisement des fonds pourraient nuire aux bonnes relations avec le client.

Pour ces raisons, le ministère s'est laissé influencer par des considérations administratives et a décidé de laisser les choses suivre leur cours. S'il avait envisagé la possibilité plus de trois semaines auparavant, lorsqu'il s'est rendu compte pour la première fois de l'erreur, les frais d'annulation auraient pu ou non être modestes, mais au moins, à ce moment-là, l'adjudicataire aurait peut-être pu participer à l'appel d'offres organisé dans les règles et il aurait eu une chance équitable de soumissionner... tout ce à quoi il avait droit à l'origine de toute façon, en dépit de son succès "inattendu" dans l'obtention du marché lui-même.

Toutefois, la note de service du 15 février 1991 indique également que ce n'était pas la première fois que des APM -- et des avis d'adjudication de contrat (AAC) -- envoyés par la région de l'Atlantique pour être publiés dans Marchés publics n'avaient pas été reçus par la DGDIS qui est responsable de cette publication. On y mentionne qu'un avis (appelé un rappel amical) distribué dans tout le système à la fin de janvier attirait l'attention sur le nouveau rapport qui permettrait de vérifier si des APM transmis à la DGDIS avaient été reçus. Par conséquent, au moment même où ces événements se sont produits, le MAS cherchait à trouver une solution au problème qui a surgi ici (et dans d'autres cas auparavant).

En outre, la note de service indique que le MAS avait, du moins après le dépôt de la plainte, examiné l'injustice créée par l'erreur -- et qu'il avait songé à la corriger en annulant l'appel d'offres faussé et en l'organisant de nouveau dans les règles. Toutefois, des considérations de nature financière (le désir de ne pas épuiser les fonds avant la fin de l'année financière) et la crainte de compromettre les relations avec le client semblent avoir eu plus de poids que la mauvaise chance du plaignant.

Comme il a déjà été mentionné, des considérations de ce genre amènent la Commission à croire que l'octroi des frais de contestation ne peut, à lui seul, constituer le seul dédommagement auquel le plaignant a droit pour l'injustice qui a effectivement été commise en l'espèce.

Toutefois, il est difficile de déterminer le redressement approprié dans un cas de ce genre. La Commission reconnaît que ce que le plaignant a perdu ici, c'est une occasion de savoir quand cet appel d'offres serait lancé et, par conséquent, une occasion de demander les documents de soumission et, par la suite, de participer à un appel d'offres équitable. En l'espèce, nous savons que le plaignant avait pleinement l'intention de soumissionner -- par conséquent, la perte de l'occasion de savoir quand l'appel d'offres serait lancé équivalait probablement à la perte de l'occasion de soumissionner. En d'autres mots, le plaignant a perdu l'occasion de devenir membre de cette petite catégorie d'individus qui auraient eu l'occasion de gagner le marché.

Il faut maintenant s'arrêter à la valeur de cette occasion perdue.

À cet égard, de nombreux facteurs peuvent intervenir entre la forte probabilité que le plaignant aurait soumissionné et la probabilité, inconnue, qu'il obtienne le marché.

La Commission reconnaît qu'il n'est pas possible d'affirmer avec certitude que le plaignant aurait été le soumissionnaire retenu dans l'appel d'offres qui devait être lancé en l'espèce -- on ne peut donc pas vraiment dire qu'il a perdu l'occasion de faire des affaires. On ne peut non plus dire que le ministère a enfreint une obligation contractuelle face au plaignant, comme c'était le cas dans l'affaire Ron Engineering tranchée par la Cour suprême [5] (où, de toute façon, le soumissionnaire perdant avait au moins pu soumissionner -- de sorte que l'on pouvait dire que le "contrat A" mentionné dans la décision était effectivement entré en vigueur).

En outre, comme on ne peut savoir combien d'autres fournisseurs potentiels auraient soumissionné, on ne peut faire avec certitude une évaluation proportionnelle de la valeur de l'occasion perdue.

Étant donné les faits, tels qu'ils existent actuellement, la Commission est d'avis que procéder à une estimation des chances du plaignant d'obtenir le contrat équivaudrait tout au plus à formuler des conjectures. Nous ne savons pas si la soumission du plaignant aurait répondu aux besoins. Dans l'affirmative, nous ne savons pas si elle aurait été la plus basse. Nous ne savons pas combien d'autres entreprises auraient soumissionné. Nous ne savons pas quels profits le plaignant aurait réalisés s'il avait obtenu le contrat, ou si en fait il aurait réalisé des profits.

Par conséquent, en raison du nombre de facteurs inconnus et de l'impossibilité de savoir vraiment comment les choses auraient tourné, il n'est pas possible de déterminer avec certitude quelles chances avait réellement le plaignant d'obtenir le contrat.

Dans les circonstances, la Commission conclut qu'en droit, la perte de cette occasion particulière donnerait au plaignant uniquement le droit à des dommages-intérêts symboliques, et elle évaluera ces dommages à 450 $, un montant qui équivaut au prix d'un abonnement d'un an à Marchés publics, au tarif de première classe, ce qui constitue, après tout, des frais connus qu'a engagés le plaignant pour obtenir quelque chose dont, en l'espèce, il n'a pu se servir en raison d'une erreur du gouvernement.

DÉCISION

La Commission a statué, d'après son enquête, que le présent marché conclu par le ministère des Approvisionnements et Services n'est pas conforme aux exigences mentionnées à l'article 17 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, en ce qu'en ne publiant pas l'Avis de projet de marché requis par les procédures applicables à ce marché aux termes de la Loi, et en adjugeant quand même un contrat, le ministère n'a pas accordé "à tous les fournisseurs potentiels les mêmes possibilités de répondre aux exigences de l'entité acheteuse à l'étape de l'appel d'offres et du dépôt des soumissions".

La Commission décide également :

1.d'adjuger au plaignant les frais raisonnables qu'il a engagés au titre du dépôt et de l'instruction de la plainte; et

2.de recommander que le gouvernement rembourse au plaignant la somme de 450 $.

Gerald A. Berger
_________________________
Gerald A. Berger
Président
Commission de révision des marchés publics du Canada


1. Règlement sur la Commission de révision des marchés publics, paragraphe 23(1)

2. Règlement sur la Commission de révision des marchés publics, paragraphe 23(4)

3. en vertu de l'article 17 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange

4. Code du GATT, article V.4

5. La Reine et autres c. Ron Engineering & Construction Eastern Ltd. 119 RDD (3 ème ) 268 (CSC)


[ Table des matières]

Publication initiale : le 28 août 1997