ENCORE COMPUTER LIMITED

Décisions


ENCORE COMPUTER LIMITED
N° du greffe de la Commission: G92PRF6631-021-0001

TABLE DES MATIÈRES


AFFAIRE INTÉRESSANT

Une plainte de Encore Computer Limited du 1410 Blair Place, suite 310 Gloucester (Ontario)

N° du greffe de la Commission: G92PRF6631-021-0001

Plainte retenue

ET

La Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, partie II, art. 15, L.C. 1988, ch. 65.

Le 28 février 1992

DÉCISION DE LA COMMISSION

La plainte

La plaignante, soit Encore Computer Limited de Gloucester, en Ontario, (Encore) soutient que le Conseil national de recherches (CNR) a procédé à un examen auprès d'un nombre restreint d'entreprises (ci-après appelé "examen de référence") en prévision de l'acquisition d'un système informatique temporisé. Cela s'est produit avant l'émission d'une Demande de propositions par le ministère des Approvisionnements et Services (MAS) à un fournisseur choisi. La plaignante a exprimé son étonnement de [TRADUCTION] "n'avoir même pas été contactée au cours de l'examen de référence" en dépit du fait qu'elle est [TRADUCTION] "une entreprise de renommée mondiale ayant un bureau de vente et d'assistance à Ottawa" et qu'elle fournit des systèmes informatiques temporisés au gouvernement fédéral.

La plaignante soutient qu'elle peut fournir les marchandises nécessaires et qu'on devrait, par conséquent, lui donner l'occasion de soumissionner en régime de concurrence. La plaignante demande que l'invitation à soumissionner en exclusivité soit annulée et qu'on publie une nouvelle Demande de propositions dont les résultats de l'examen de référence feraient partie intégrante.

Le 17 janvier 1992, la Commission a accepté d'examiner la plainte conformément au paragraphe 28(1) du Règlement sur la Commission de révision des marchés publics (Règlement). Le 20 janvier 1992, la Commission a ordonné de différer l'adjudication du contrat d'approvisionnement selon l'alinéa 16(1)b) de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis. Le même jour, le MAS a demandé le recours à la procédure expéditive prévue au paragraphe 40(4) du Règlement, et la Commission y a consenti.

L'enquête

Les allégations que comprend la plainte, la réponse du gouvernement à ces allégations et les observations de la plaignante sur la réponse du gouvernement ont fait l'objet d'une enquête menée grâce à des entrevues et à un examen des documents.

Un certain nombre de particuliers ont été interviewés en personne ou par téléphone afin de confirmer des déclarations qu'on leur prêtait ou qui figuraient dans les documents. Ce sont :

Madame Lorraine Momy (acheteuse), madame Phyllis Ramsay (chef des Achats, A3), toutes deux de la région de la Capitale nationale du MAS; monsieur Lorne Elias (chef de laboratoire suppléant), monsieur Ernest Hanff (agent de recherche principal) et monsieur Armando Prini (technologue en électronique principal) du Laboratoire d'aérodynamique appliquée (LAA) du CNR; monsieur Fred Ellis, Instrumentation et commandes, Aérodynamique des hautes vitesses, du CNR; monsieur Christian Tremblay, gérant des comptes d'Encore Computer Limited; et monsieur Dipak Roy, Interactive Circuits and Systems Ltd., de Gloucester.

Un exemplaire du Rapport d'enquête préliminaire a été transmis au MAS et à la plaignante pour qu'ils puissent présenter des observations. Les deux parties ont présenté des réponses écrites lesquelles ont été échangées par la suite. Ces observations ont été ajoutées au Rapport d'enquête préliminaire et font partie du Rapport d'enquête présenté à la Commission.

Le rapport issu de l'enquête en l'espèce comprend un certain nombre d'annexes ayant trait aux renseignements et documents que le personnel d'enquête a jugé qu'il y avait lieu d'incorporer à son rapport. On ne mentionne pas expressément tous les documents d'appui dans la décision, mais ces documents ont été mis à la disposition des parties et sont accessibles à toute autre personne sous réserve de la Loi sur l'accès à l'information.

Puisque l'enquête a permis d'obtenir suffisamment d'information pour permettre à la Commission de trancher les questions soulevées par la plainte, il a été jugé qu'il n'était pas nécessaire de tenir une audience. Pour arriver à ses conclusions, la Commission a tenu compte du rapport de son personnel d'enquête et des observations présentées à son sujet par les parties et a fondé ses constatations et conclusions sur les faits indiqués dans ce rapport et ces observations, dont les parties appropriées sont citées dans la présente décision.

Les faits

En juin 1991, le Laboratoire d'aérodynamique appliquée du CNR a relevé le besoin de remplacer un vieil équipement par un nouveau matériel d'acquisition de données afin de réaliser des expériences en aérodynamique à angle d'attaque élevé en vertu d'une entente entre le CNR, le ministère de la Défense nationale (MDN) et les forces aériennes des États-Unis (USAF).

Le CNR a indiqué avoir cherché des configurations et des fournisseurs possibles, en juillet et août 1991, dans des ouvrages de référence en bibliothèque, dans des revues et par des contrats au sein de l'industrie et du gouvernement.

Pendant la période susmentionnée ou peu après, le CNR a déterminé les grandes lignes de ses besoins. Ces grandes lignes ont été indiquées dans des lettres que le CNR a transmises, du 12 au 20 septembre 1991, à quelque 90 entreprises dont les noms figuraient sur des listes dressées par le CNR (voir l'annexe 5 du Rapport d'enquête). Ces lettres étaient destinées à demander de la documentation sur les produits. Le nom de l'entreprise que le gouvernement a fini par retenir en tant que potentiel fournisseur unique pouvant répondre aux besoins, soit Concurrent Computer Canada Inc. (Concurrent), figurait sur l'une des listes. Le nom d'Encore ne figurait pas sur les listes et Encore n'a pas été contactée parce que le CNR soutient n'avoir pas entendu parler de cette entreprise avant qu'elle porte plainte à la Commission.

Les entreprises ont répondu de différentes façons à l'invitation à présenter de l'information, certaines transmettant des listes de prix exhaustives alors que d'autres ont envoyé des trousses de documentation technique.

Pendant le mois suivant, le CNR a communiqué avec d'autres fournisseurs. Ses efforts ont abouti à l'établissement, vers le début de novembre, de ce qu'il a appelé des "spécifications détaillées" (voir l'annexe 8 du Rapport d'enquête).

Vers le 15 novembre 1991, le CNR a établi un tableau où figurait une comparaison de six entreprises, dont Concurrent, du point de vue des " CARACTÉRISTIQUES MINIMALES NÉCESSAIRES " (voir l'annexe 15 du Rapport d'enquête). Ces "caractéristiques minimales nécessaires" n'ont pas été expressément communiquées aux entreprises afin qu'elles puissent présenter une documentation appropriée sur les produits et systèmes. Toutefois, une note au dossier du CNR indique que, dès le 17 octobre 1991, Concurrent avait entrepris de réaliser une configuration de système d'acquisition de données. En fait, une note au dossier du CNR, datée du 6 novembre 1991, est rédigée partiellement comme suit :

[TRADUCTION]

Les dispositions nécessaires à l'achat du système de Concurrent ont été prises. On est en train d'établir une demande pour un système complet au prix de [ montant rayé ] ... Certaines modalités seront arrêtées plus tard ... J'ai conclu une entente à l'amiable avec ... pour ajouter gratuitement ce [logiciel de commande en PostScript FP09] ...

Malgré l'engagement qui semble avoir été pris en vue de la passation d'un contrat avec Concurrent, l'enquête a révélé qu'en date du 13 novembre 1991, une autre entreprise croyait encore pouvoir répondre aux besoins indiqués du CNR (voir l'annexe 10 du Rapport d'enquête). Néanmoins, le 21 novembre 1991, le CNR a décidé de transmettre au MAS une demande décrivant la configuration offerte par Concurrent et indiquant les numéros de modèle de cette entreprise. Il y a lieu de signaler que la demande comprenait une liste de spécifications détaillées, une énumération de 10 fournisseurs potentiels avec lesquels le CNR avait communiqué ainsi que le paragraphe suivant :

[TRADUCTION]

UN EXAMEN ATTENTIF DES CARACTÉRISTIQUES DES PRODUITS DES FOURNISSEURS POTENTIELS A RÉVÉLÉ QUE SEULES [ENTREPRISE Z] ET CONCURRENT COMPUTING POUVAIENT FOURNIR UN SYSTÈME QUE NOUS POURRIONS ACCEPTER. CONCURRENT COMPUTING EST LE FOURNISSEUR PRÉFÉRÉ PARCE QUE SON SYSTÈME EST TRÈS INTÉGRÉ EN TANT QUE PRODUIT D'ACQUISITION DE DONNÉES ET QUE L'ENTREPRISE A UNE BONNE RÉPUTATION. LE SYSTÈME DE [ENTREPRISE Z] A UN DEGRÉ D'INTÉGRATION MOINDRE, ET L'ENTREPRISE A MOINS D'EXPÉRIENCE EN MATIÈRE DE SYSTÈMES D'ACQUISITION DE DONNÉES À GRANDE VITESSE, COMPTANT EXCLUSIVEMENT SUR L'ASSISTANCE D'UNE TIERCE PARTIE. ATTENDU LE CARACTÈRE CRITIQUE DE L'APPLICATION AUX ESSAIS EN SOUFFLERIE, NOUS CROYONS QUE LA SOLUTION TRÈS INTÉGRÉE NÉCESSITERAIT UN MINIMUM DE DÉVELOPPEMENT.

Le 22 novembre 1991, le CNR écrivait dans une note au dossier qu'il entendait [TRADUCTION] "... voir s'il est possible de consulter d'avance les manuels d'exploitation de notre nouveau système Concurrent..."

Le 3 décembre 1991, le surveillant de l'acheteuse au MAS a réalisé un examen préalable à l'adjudication (voir l'annexe 12 du Rapport d'enquête). Cet examen a soulevé plusieurs questions au sujet de la nature et de l'exactitude des spécifications, de l'utilisation finale de l'équipement demandé et de la fixation de la date de livraison obligatoire du 21 mars 1992. De plus, des précisions ont été demandées sur le sens précis de trois conditions "obligatoires".

Selon une note au dossier du MAS (voir l'annexe 13 du Rapport d'enquête), l'acheteuse a communiqué par téléphone avec l'utilisateur final au CNR vers le 5 décembre 1991 afin de dissiper les préoccupations relevées pendant l'examen préalable à l'adjudication. Voici un extrait de cette note :

[TRADUCTION]

... lui ai indiqué que les caractéristiques indiquées dans les Spécifications détaillées sont un strict minimum. Il ne s'agit pas des spécifications du système de Concurrent. Puisqu'on a déjà étudié le marché, j'ai cru qu'il vaudrait peut-être mieux négocier [sic]. C'est pourquoi je lui ai demandé de rédiger un exposé justifiant les spécifications détaillées et indiquant tout besoin exceptionnel. On tentera de négocier [sic]. Le délai de préavis sera de 20 jours plutôt que de 40 jours. L'exposé justificatif sera transmis par télécopieur.

Le 6 décembre 1991, le CNR a répondu au MAS. Voici un extrait de la réponse :

[TRADUCTION]

Les spécifications applicables au système que comprend la demande d'achat correspondent à nos besoins minimaux. Il faut absolument que le système présente les caractéristiques indiquées pour qu'on puisse répondre aux rigoureuses exigences d'acquisition et de traitement de données qui sont associées à un grand programme de recherche en aérodynamique à angle d'attaque élevé que le CNR réalise de concert avec l'USAF et le MDN.

Nous avons employé deux critères de sélection de la plus haute importance : caractéristiques de rendement nécessaires et degré d'intégration du logiciel pour réduire au minimum l'effort de développement. Le deuxième critère est établi en raison de la nécessité de respecter de rigoureux délais de réalisation du programme.

Selon une note au dossier du MAS (voir l'annexe 16 du Rapport d'enquête), l'acheteuse a communiqué par téléphone avec Concurrent le 12 décembre 1991. D'après le MAS, cela avait pour but de déterminer si les bureaux canadien et américain de l'entreprise se livreraient concurrence. La conversation a donné lieu à la transmission d'une télécopie datée du 16 décembre 1991 (voir l'annexe 17 du Rapport d'enquête) dans laquelle Concurrent Computer Corporation, de Tinton Falls, New Jersey, indiquait ce qui suit au MAS :

[TRADUCTION]

... Puisque Concurrent Computer Corporation a une filiale canadienne, soit Concurrent Computer Canada, Inc., une entente réciproque de non-concurrence a été conclue par directive entre la société mère et la filiale.

Qui plus est, le système d'acquisition de données que vous avez demandé à Concurrent Computer Canada, Inc. doit être obtenu de notre filiale car les droits de propriété à l'égard de plusieurs composantes principales de ce système en empêchent l'obtention par d'autres voies de distribution au Canada.

Le 16 décembre 1991, l'acheteuse a établi une "DEMANDE D'APPROBATION DE NÉGOCIER L'APPROVISIONNEMENT" (voir l'annexe 18 du Rapport d'enquête) dans laquelle le "MOTIF DE NÉGOCIATION" indiqué est le suivant :

[TRADUCTION]

H.SÉLECTION PAR SUITE D'UNE ÉTUDE DE MARCHÉ PRÉALABLE RÉALISÉE PAR LE CLIENT -- DES DOCUMENTS À L'APPUI DOIVENT ÊTRE PRÉSENTÉS.

Selon une note de service au dossier intitulée [TRADUCTION] "DEMANDE D'EXCLUSION POUR LES RAISONS INDIQUÉES CI-DESSOUS", également rédigée par l'acheteuse le 16 décembre 1991, voici les raisons invoquées pour justifier un contrat à fournisseur unique/exclusif :

[TRADUCTION]

POUR DES RAISONS LOGISTIQUES (P. EX., IL S'AGIT DE LIVRAISONS SUPPLÉMENTAIRES QUE DOIT ASSURER LE FOURNISSEUR D'ORIGINE RELATIVEMENT À DES PIÈCES DE RECHANGE DESTINÉES À DES FOURNITURES OU À DES INSTALLATIONS EXISTANTES OU À DES PIÈCES DEVANT ÊTRE AJOUTÉES À DES STOCKS OU À DES INSTALLATIONS EXISTANTES ET UN CHANGEMENT DE FOURNISSEUR OBLIGERAIT LE MINISTÈRE CLIENT À ACHETER DU MATÉRIEL QUI NE RÉPOND PAS AUX EXIGENCES DE COMPATIBILITÉ AVEC LE MATÉRIEL EXISTANT). (VOIR LA NOTE DE SERVICE AU DOSSIER) LE FOURNISSEUR UNIQUE/EXCLUSIF INTÉRESSÉ EST INDIQUÉ DANS LE DOCUMENT CI-JOINT.

IL N'EXISTE AUCUN PRODUIT DE RECHANGE : L'EXAMEN DE RÉFÉRENCE [sic] RÉALISÉ PAR LE CLIENT A PORTÉ SUR LES ENTREPRISES SUIVANTES : HP, SILICON GRAPHICS, SUN, RADSTON, PENTEK ET CONCURRENT. SEULE CONCURRENT A SATISFAIT À DES EXIGENCES MINIMALES TELLES QUE 1) LES CARACTÉRISTIQUES DE RENDEMENT NÉCESSAIRES, 2) LE DEGRÉ D'INTÉGRATION DU LOGICIEL FONCTIONNEL, 3) LE TRÈS IMPORTANT BESOIN D'ACQUÉRIR DES DONNÉES À UN DÉBIT D'AU MOINS 50 KHZ PAR CANAL SUR UN MAXIMUM DE 32 CANAUX, ETC. (VOIR LA NOTE DE SERVICE CI-JOINTE) C'EST POUR CES RAISONS QUE NOUS DEMANDONS DE NÉGOCIER AVEC CONCURRENT.

FOURNISSEUR UNIQUE - LA SOCIÉTÉ CONCURRENT DES É.-U. NE VEUT PAS LIVRER CONCURRENCE À SA FILIALE CANADIENNE.

Le 17 décembre 1991, la "DEMANDE D'APPROBATION" et la "DEMANDE D'EXCLUSION" susmentionnées ont été approuvées par le surveillant et par la chef et le gestionnaire des Achats, respectivement.

Une Demande de propositions datée du 18 décembre 1991 avec une date de clôture "avant" le 13 janvier 1992 a été transmise par télécopieur à Concurrent. La Demande de propositions comprenait 15 éléments jugés "obligatoires", 14 desquels figuraient dans la demande initiale sous la rubrique [TRADUCTION] "spécifications détaillées de système d'acquisition de données à rendement élevé". Immédiatement après figurait une description du matériel.

Un préavis d'adjudication de contrat (PAC) a été établi et a paru le 24 décembre 1991 dans la section de la publication "Marchés publics" qui porte sur les marchés proposés relatifs à des catégories de produits assujetties au GATT et à l'ALÉ. Le code attribué au PAC était F-3, ce qui correspond à une demande de soumission à un fournisseur unique assujettie à l'ALÉ. La raison invoquée pour l'obtention des produits d'un fournisseur exclusif était la raison "B", c'est-à-dire "dans le cas d'achat d'objets d'art ou en vertu de la protection de droits exclusifs comme les droits d'auteur et de brevet et parce qu'il n'existe aucun produit de rechange ou de remplacement acceptable".

La décision

En répondant à la plainte, le gouvernement a exprimé l'avis selon lequel le recours à un PAC était suffisamment justifié et la plainte d'Encore devait être rejetée parce que :

[TRADUCTION]

... la plaignante avait eu amplement l'occasion de contester la justification de l'adjudication d'un contrat à fournisseur unique. La plaignante ne l'a pas fait en temps opportun et se trouve ainsi, malheureusement, à être l'auteur de sa propre infortune.

La plaignante a soutenu que le gouvernement avait agi inéquitablement en engageant l'adjudication d'un contrat à fournisseur unique par suite d'un examen de référence auquel on ne lui avait jamais demandé de participer.

Le Guide de la politique des approvisionnements du MAS (volume 3, directive 3004, annexe G) indique clairement le but du PAC :

Un préavis d'adjudication de contrat (PAC) est un avis d'une intention de lancer une invitation à soumissionner à une seule entreprise et de négocier avec celle-ci. L'avis est publié en vue d'accroître l'ouverture et la transparence du processus d'approvisionnement gouvernemental.

La section 4 de cette annexe ajoute ce qui suit :

Pour lancer un PAC, la condition d'invitation à soumissionner en exclusivité, mentionnée à l'alinéa 59 b) ou d) de la présente directive, doit être entièrement respectée et justifiée.

Le préambule du paragraphe 59 stipule que :

Les dispositions des paragraphes 20 à 58 ci-dessus, qui s'appliquent aux procédures de demandes de soumissions concurrentielles, ne seront pas nécessairement applicables dans les circonstances définies ci-après, pourvu que ces contrats à fournisseur unique ou exclusif ne sont pas utilisés pour ramener la concurrence en deçà du maximum possible, ou d'une manière qui constituerait un moyen de discrimination entre fournisseurs étrangers ou de protection des producteurs nationaux. Cela étant dit, les dispositions du Code ne s'appliquent pas dans les conditions suivantes. Le Ministère doit toutefois préparer un rapport sur chaque contrat adjugé selon les dispositions relatives aux demandes de soumissions à des fournisseurs uniques. Prière de s'adresser aux paragraphes 68c) et 69 de ces instructions.

Les alinéas 59b) et d) susmentionnés sont rédigés comme suit :

b)Les produits sont obtenus d'un fournisseur exclusif, dans le cas d'achat d'objets d'art ou en vertu de la protection de droits exclusifs comme les droits d'auteur et de brevet et parce qu'il n'existe aucun produit de rechange ou de remplacement acceptable.

d)Lorsqu'il s'agit de livraisons supplémentaires que doit assurer le fournisseur d'origine relativement à des pièces de rechange destinées à des fournitures ou à des installations existantes, et que ces pièces doivent être ajoutées à des stocks ou à des installations existantes, si un changement de fournisseur obligerait le client à acheter du matériel qui ne répond pas aux exigences de compatibilité avec le matériel existant. Cela comprend les logiciels dans la mesure où le marché initial de logiciels était couvert par le Code.

Ces dispositions correspondent aux alinéas 16b) et d) de l'Article V du Code du GATT. Par conséquent, puisqu'il est clairement indiqué ci-dessus que " pour lancer un PAC , la condition d'invitation à soumissionner en exclusivité, mentionnée à l'alinéa 59 b) ou d) de la présente directive, doit être entièrement respectée et justifiée " (le caractère gras a été ajouté), la Commission est d'avis que la politique du gouvernement sur le recours au PAC cadre avec l'Accord de libre-échange. En fait, la Commission a demandé l'adoption d'une telle politique dans sa décision du 18 janvier 1990 (LANsPLUS, D89PRF6608-021-0006).

Après avoir conclu qu'il y avait lieu d'adjuger un contrat à fournisseur unique aux fins de l'approvisionnement proposé, le CNR a présenté une demande au MAS le 21 novembre 1991. Les autorités du MAS, bien qu'elles aient soulevé dans un premier temps un certain nombre de questions importantes, ont fini par approuver la ligne de conduite recommandée par le CNR et ont justifié leur décision dans la note de service intitulée [TRADUCTION] "DEMANDE D'EXCLUSION".

La première raison invoquée par le MAS pour justifier l'invitation à soumissionner en exclusivité (LORSQU'IL S'AGIT DE LIVRAISONS SUPPLÉMENTAIRES...) n'est pas applicable au cas en l'espèce. Aucune preuve n'a été présentée à la Commission pour appuyer l'invocation de cette raison. L'achat projeté ne met pas en cause des "livraisons supplémentaires que doit assurer le fournisseur d'origine..." et encore moins les circonstances prévues par la disposition en question. Qui plus est, les autres raisons invoquées dans ladite note de service (absence de produit de rechange selon l'examen de référence et fait que la société Concurrent des É.-U. ne veut pas livrer concurrence à sa filiale canadienne) ne sont pas des conditions acceptables aux fins de la passation d'un contrat à fournisseur unique selon le Code du GATT.

Au moment de la publication du PAC, le MAS a indiqué une autre raison de passer un contrat à fournisseur unique, c'est-à-dire la raison "B" :

b)Les produits sont obtenus d'un fournisseur exclusif, dans le cas d'achat d'objets d'art ou en vertu de la protection de droits exclusifs comme les droits d'auteur et de brevet et parce qu'il n'existe aucun produit de rechange ou de remplacement acceptable.

Le choix de cette raison semble fondé sur la communication du MAS avec la société mère des É.-U., qui a indiqué a) qu'elle ne concurrencerait pas sa filiale canadienne, et b) que plusieurs éléments principaux du système Concurrent étaient assujettis à des droits de propriété.

Le raisonnement présuppose qu'il est nécessaire d'utiliser l'équipement de Concurrent et qu'en raison des ententes de commercialisation, l'équipement doit être fourni par la filiale canadienne.

La Commission n'a pas reçu de preuve concluante de l'absence de solution de rechange ou de remplacement raisonnable. En fait, la preuve indique l'inverse. Le gouvernement a tenté de justifier la passation d'un contrat à fournisseur unique parce qu'un fournisseur potentiel, indûment choisi (nous traiterons de ce point ci-dessous), offre un système qui comprend plusieurs éléments assujettis à des droits de propriété. Il s'agit d'un argument de type circulaire où causes et effets se confondent. Cela est inacceptable.

La Commission est donc d'avis que le gouvernement n'a pas rempli les conditions applicables au recours aux demandes de soumissions à des fournisseurs uniques et, par conséquent, n'a jamais été en mesure de lancer un PAC et n'aurait jamais dû en lancer un.

Comme le prévoit la politique du gouvernement, la condition d'invitation à soumissionner en exclusivité selon l'Accord du GATT "Pour lancer un PAC ... doit être entièrement respectée et justifiée " (le caractère gras a été ajouté). Il ne faut pas l'invoquer [TRADUCTION] "pour mettre à l'épreuve l'hypothèse de la Couronne selon laquelle un seul fournisseur peut satisfaire au besoin" (observations du MAS sur le Rapport d'enquête préliminaire). Il incombe au gouvernement de justifier l'invitation à soumissionner en exclusivité, et il ne peut pas se décharger de sa responsabilité à cet égard en la transférant à des fournisseurs potentiels sous prétexte de mettre à l'épreuve une hypothèse.

Le PAC ne doit pas servir d'instrument administratif pratique permettant de se dispenser d'appuyer dûment les motifs d'invitation à soumissionner en exclusivité. Le PAC ne peut pas non plus être traité comme un moyen souple et expéditif de lancer ou de tenter de lancer une invitation à soumissionner en régime de concurrence.

Le PAC ne devrait pas être employé afin de réduire le délai de préavis prévu par l'Accord du GATT ou l'ALÉ, qui a été ramené, dans le cas en l'espèce, de 40 jours à 20 jours (voir l'annexe 13 du Rapport d'enquête).

Ayant statué sur la justification de l'invitation à soumissionner en exclusivité et du recours aux PAC, la Commission tient à présenter des observations sur les mesures prises par le CNR pour déterminer ses besoins.

Au sujet d'un cas mettant en cause des mesures semblables, la Commission a déclaré, dans sa décision du 16 octobre 1991 (Waters E91PRF6601-021-0022) :

Il est certes manifeste, à l'analyse des preuves produites, que l'adjudication de ce marché a fait l'objet d'un appel d'offres préalable, effectué en privé par Agriculture Canada, dans le cadre de son évaluation des produits vendus sur le marché susceptibles de répondre à ses besoins. Les personnes qui se sont livrées à cet exercice étaient des personnes bien informées qui justifiaient d'une connaissance plus que superficielle des détails techniques des appareils dont le Ministère entendait faire l'acquisition. Ayant bien cerné leurs besoins, ces personnes ont évalué rigoureusement les produits vendus sur le marché et sont parvenues à la conclusion qu'elles avaient trouvé le produit répondant le mieux à leurs besoins ...

Malheureusement pour Agriculture Canada, l'appel d'offres préalable, auquel s'est livrée en privé une de ses employés, est interdit en vertu du code du GATT et de l'Accord de libre-échange, de même qu'aux termes des règles générales des directives et des procédures qui régissent les activités du MAS, et ce, même lorsqu'un marché n'est pas visé par l'ALÉ. Les appels d'offres doivent être équitables et ouverts, et toutes les conditions doivent être précisées à l'avance. Ils ne doivent pas se dérouler en privé, ce qui fut, en fait, le cas en l'espèce et, lorsqu'ils sont lancés, il ne doit pas s'agir d'une simple formalité, les besoins réels et la justification des conditions essentielles n'étant pas un exercice auquel on ne se livre qu'après coup, une fois qu'on est informé qu'une plainte a été déposée.

Outre le fait que le CNR a essayé, par l'entremise du MAS, d'obtenir de l'équipement par invitation à soumissionner en exclusivité plutôt que par appel d'offres ouvert, comme dans le cas susmentionné, les circonstances entourant la plainte dont la Commission est saisie ne diffèrent pas considérablement des mesures et décisions prises dans le cas susmentionné. Nous n'entendons pas qu'il est interdit au gouvernement de mener des enquêtes de marché pour définir ses besoins. Dans sa décision du 20 septembre 1991 (Trenton F91PRF6621-021-0024), la Commission a indiqué, au sujet de l'établissement d'un tissu particulier en tant que norme minimale :

Enfin, les moyens empruntés par le gouvernement pour arrêter une norme, comme dans l'affaire en l'espèce, ne sont ni exceptionnels ni forcément inéquitables, dans la mesure où, lorsqu'il choisit un produit spécifique à titre de "norme", les critères essentiels d'évaluation soient documentés, et lorsqu'il utilise à cette fin une ou des marques de commerce, ces dernières soient assorties de la mention "ou l'équivalent" pour permettre un appel d'offres ouvert.

Autrement dit, il n'est pas interdit au gouvernement de mener des enquêtes auprès des fournisseurs pour tenter de définir ses besoins. Cependant, il ne peut pas transformer la définition des besoins en théâtre de concurrence afin de choisir le fournisseur qui répond le mieux à ses besoins (ou, pis encore, à ses désirs) et de finir par procéder à une acquisition non conforme à la procédure prévue par l'ALÉ et le Code du GATT.

Il est vrai que le CNR a procédé à une vaste recherche de fournisseurs possibles dans laquelle il a sans doute investi beaucoup de temps et d'effort. Néanmoins, quelles qu'aient été la portée de son examen et la profondeur de son analyse, il a négligé d'employer ou de demander au MAS d'employer les moyens ouverts et transparents qu'il faut prendre pour communiquer avec le secteur privé. Sa conduite a violé l'alinéa 2a) de l'article 1305 de l'ALÉ, car il n'a pas su :

... accorder à tous les fournisseurs potentiels le même accès aux renseignements préalables à l'appel d'offres et les mêmes possibilités de concurrence à l'étape précédant la notification.

DÉCISION

La Commission a statué, à la lumière de son enquête, que parce qu'on l'a assujetti à tort à une invitation à soumissionner en exclusivité, le marché ne satisfait pas aux exigences de l'article 17 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange car il n'a pas été assuré à tous les fournisseurs potentiels :

a)un égal accès aux renseignements préalables à l'appel d'offres et les mêmes possibilités de concurrence à l'étape précédant la notification; et

b)les mêmes possibilités de répondre aux exigences de l'entité acheteuse à l'étape de l'appel d'offres et du dépôt des soumissions.

La Commission adjuge à la plaignante le remboursement des frais entraînés par le dépôt et l'instruction de la plainte.

La Commission recommande que l'acquisition soit annulée et que, si le besoin existe encore, on y réponde par adjudication en régime de concurrence conforme aux dispositions de l'Accord de libre-échange.

Gerald A. Berger
_________________________
Gerald A. Berger
Président
Commission de révision des
marchés publics du Canada


[ Table des matières]

Publication initiale : le 28 août 1997