SWEEPRITE MFG. INC.

Décisions


SWEEPRITE MFG. INC.
Nos du greffe de la Commission : G92PRF66K-021-0005 et G92PRF66K-021-0006

TABLE DES MATIÈRES


AFFAIRE INTÉRESSANT

Des plaintes de Sweeprite Mfg. Inc. du 1891, rue Albert nord Regina (Saskatchewan)

Nos du greffe de la Commission : G92PRF66K-021-0005 et G92PRF66K-021-0006

Plaintes accueillies

ET

La Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, partie II, art. 15, L.C. 1988, ch. 65.

Le 6 mai 1992

DÉCISION DE LA COMMISSION

Les plaintes

Il s'agit, en l'espèce, de deux plaintes concernant deux marchés d'approvisionnement d'une auto-balayeuse, une pour le parc national Jasper, et une pour le parc national Banff. La plaignante dans les deux causes, Sweeprite Mfg. Inc. de Regina (Saskatchewan) (Sweeprite), soutient que, par l'intermédiaire du ministère des Approvisionnements et Services (MAS), Environnement Canada (Parcs) avait posé à l'octroi de ces marchés des conditions [TRADUCTION] «restrictives de façon flagrante». Elle soutient plus particulièrement que les caractéristiques techniques comportaient un critère auquel seule une marque pouvait répondre, ce qui avait pour effet de la priver de la possibilité de faire une offre qui puisse être acceptée.

La plaignante déclare en outre : [TRADUCTION] «C'est la seconde fois qu'Environnement Canada (Parcs) essaie, par l'intermédiaire d'Approvisionnements et Services, d'empêcher notre société de faire une soumission en réponse à un appel d'offres gouvernemental.»

La plaignante a porté plainte aux termes du paragraphe 21(1) du Règlement sur la Commission de révision des marchés publics (le Règlement). Conformément au paragraphe 21(3) dudit Règlement, la Commission a envoyé à la plaignante un accusé de réception des plaintes.

Le 12 février 1992, la Commission, après avoir examiné les plaintes, a accepté ces dernières pour enquête, attendu qu'elles répondaient manifestement aux conditions d'acceptation posées par le paragraphe 28(1) du Règlement. Conformément à l'alinéa 16(1)a) de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange (la Loi) et au paragraphe 28(2) du Règlement, des avis de dépôt des plaintes ont été publiés dans la Partie I de la Gazette du Canada ainsi que dans Marchés publics (MP). Le MAS a été officiellement avisé du dépôt des plaintes le 12 février 1992, et des copies de celles-ci lui ont été envoyées. Le 14 février 1992, deux ordonnances de suspension d'adjudication visant à reporter l'octroi de tout contrat en rapport avec ces marchés ont été émises par la Commission aux termes de l'alinéa 16(1)b) de la Loi.

L'enquête

Les allégations de la plaignante, la réponse du gouvernement à ces allégations et les observations faites par la plaignante à ce sujet ont été examinées à la lumière d'une série d'entrevues et des documents pertinents.

Un certain nombre de particuliers ont été interrogés par téléphone ou en personne pour vérifier différentes affirmations contenues dans le dossier. Il s'agit des personnes suivantes :

M. Stan Tereshyn, chef de la section TY; et Mme Colleen Simpson, agent principal de la Gestion des contrats, Administration centrale du MAS, région de la Capitale nationale; M. G.L. Purcell, gestionnaire, et M. Richard Tuttosi, agent de Négociation des contrats, MAS, Bureau du district de Calgary.

M. Pierre Lessard, directeur de la Gestion du matériel et des Services administratifs; M. Don Moore, chef de la Gestion du matériel du programme; M. Robert Graham, chef de l'Acquisition et de la Gestion des contrats; et M. Dave McFadden, agent d'approvisionnement; tous de l'administration centrale du Service canadien des Parcs (SCP), région de la Capitale nationale; Mme Jillian Roulet, qui occupe actuellement le poste de directrice de la Conservation des ressources historiques au Service canadien des Parcs pour la région de l'Ouest (et qui était à l'époque directrice générale par intérim de la région de l'Ouest); M. David Edwards, superviseur du Traffic routier et du Nettoiement, Service des Parcs à Calgary, parc national Jasper.

M. Peter Bartosek, agent de Gestion du parc automobile à l'administration centrale, région de la Capitale nationale, et M. Bill Grosvenor, chef de la Gestion du matériel dans la région de l'Ouest, Services d'architecture et de génie pour le ministère de l'Environnement (ME), ministère des Travaux publics (MTP).

M. Brent Raddysh, contrôleur, Sweeprite Mfg. Inc., Regina; et M. Ken Hammer, de Blackwood Hodge (à l'époque, un agent de FMC, un fabricant de balayeuses); M. Irv Lund, de Maran Equipment (agent de Mobil, un fabricant de balayeuses); et M. W.E.J. Wilson, de Cubex Limited (agent de la société Elgin); tous de Calgary.

Une copie du Rapport préliminaire d'enquête a été envoyée pour commentaire au MAS et à la plaignante. Chacune des parties y a donné suite par une réponse écrite qui a été ultérieurement communiquée à l'autre. Ces réponses font partie du Rapport d'enquête qui a été présenté à la Commission. De plus, des renseignements supplémentaires non contenus dans le Rapport préliminaire d'enquête ont été produits à la demande du Président. Ces renseignements ont été communiqués aux deux parties et versés également au Rapport d'enquête.

Ont aussi été annexés au rapport un certain nombre de documents jugés pertinents pour le fond dudit rapport par le personnel chargé de l'enquàte. Tous ces documents justificatifs ne sont pas expressément mentionnés dans la présente décision, mais ils ont tous été mis à la disposition des parties et, sous réserve des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information, toute autre personne peut également les consulter.

Comme l'enquête a permis de recueillir suffisamment de renseignements pour que la Commission puisse trancher, selon elle, les questions soulevées dans ces plaintes, elle a décidé de ne pas tenir d'audience orale dans ces affaires. Ni l'une ni l'autre des parties n'a d'ailleurs présenté de demande à cet effet. Pour en arriver à ses conclusions, la Commission a examiné le Rapport d'enquête préparé par son personnel et fondé sa décision sur les faits connus des parties qui y sont exposés et dont les éléments les plus pertinents sont mentionnés dans la présente décision.

L'adjudication

Le Service canadien des parcs est un programme d'Environnement Canada structuré en trois niveaux : l'administration centrale (ACSCP), située dans la région de la Capitale nationale, qui est responsable de la coordination nationale des différents aspects du programme; les bureaux régionaux -- dans les cas qui nous occupent, le bureau régional de l'Ouest (Parcs Ouest), installé à Calgary, qui s'occupe des parcs et lieux historiques de l'Alberta et de la Colombie-Britannique; enfin, les parcs nationaux et lieux historiques proprement dits. Le MTP fournit des services d'architecture et de génie (services A&G) au SCP, tant à l'administration centrale que dans les régions.

Mesures prises antérieurement pour répondre au besoin du parc national Jasper

La décision de remplacer la balayeuse du parc national Jasper a été prise en 1990. À l'automne de cette même année, le personnel du parc a assisté à la démonstration de deux auto-balayeuses, une Sweeprite de modèle 4400 et une Elgin Eagle. Une note de service datée du 2 mai 1991, soit quelque six mois après les événements [voir l'annexe 4 du Rapport d'enquête (R.E.)], décrit la démonstration en ces termes :

[TRADUCTION]

À l'automne de 1990, nous avons assisté à deux démonstrations d'auto-balayeuses. La première était de marque sweep-rite [sic]. La démonstration s'est bien passée et nous avons été impressionnés par le fonctionnement de la machine et par son efficacité. Nous avons dit aux agents de la société que leur machine était bien supérieure à celle que nous avions alors, dont la performance, même lorsqu'elle était neuve, ne pouvait se comparer à celle de la sweep-rite.

La société Elgin nous a fait ensuite la démonstration du modèle Elgin Eagle. Cette machine était fantastique. Elle ramassait des monticules de gravier épais, de grosses pierres, des planches et presque tout ce qu'une balayeuse éviterait en temps normal. Ce rendement extraordinaire était dû au système d'élévateur unique de l'Elgin Eagle. En plus de ses capacités de ramassage, l'Eagle possède un système d'ajustage de la pression exercée sur ses balais à caniveaux, ce qui permet un excellent ramassage de la matière condensée ou lourde qui se trouve dans les caniveaux.

La même note de service, faisant état d'événements qui se sont produits au printemps de 1991 et commentant la location d'une Elgin Eagle, poursuit ainsi :

[TRADUCTION]

À notre avis, l'Elgin Eagle s'est avérée très supérieure à la sweep-rite. De fait, nous avons en ce moment dans le parc une Elgin Eagle que nous avons louée sur une base mensuelle, et au cours des trois semaines que nous l'avons utilisée. [sic]

Elle a ramassé presqu'autant de matière dans les rues et sur les routes du parc que notre vieille balayeuse pendant une année entière. L'Elgin Eagle abat plus de besogne en 2 passages que notre vieille machine le faisait en 6 ou 7 passages.

Au cours des 3 semaines que nous avons utilisé l'Elgin Eagle, elle a été au garage à 3 reprises, 2 fois pour un entretien régulier et 1 fois pour un changement des balais à caniveaux. Nous sommes très impressionnés par son rendement et sa fiabilité.... C'est l'Elgin Eagle que nous voulons, et nous ne sommes pas disposés à accepter de balayeuse d'une qualité moindre.

Le 22 octobre 1990, des spécifications, faisant état d'une série de caractéristiques techniques, ont été énoncées par les services d'A&G de Calgary à l'intention de Parcs Ouest. Selon les services d'A&G à Calgary, ces spécifications étaient axées sur l'Elgin Eagle. La comparaison avec les documents techniques d'Elgin montre que la plupart des conditions techniques précises sont en effet les mêmes. La dernière ligne du document, sous la rubrique Exigences diverses, précise même : [TRADUCTION] «Balayeuse égale à l'Elgin Eagle de la série F» (voir l'annexe 5 du R.E.). La liste des caractéristiques techniques a été envoyée avec une commande au bureau du MAS à Edmonton le 22 octobre 1990, ou aux alentours de cette date. Cependant, une note de service interne des services d'A&G de Calgary indique qu'une plainte au sujet de ces spécifications a été reçue de Sweeprite par le bureau du MAS à Edmonton. Après que ce dernier ait essayé à plusieurs reprises de faire changer les caractéristiques techniques, les services d'A&G de Calgary ont annulé la commande qui avait été faite pour en adresser une nouvelle à l'administration centrale du MAS par l'intermédiaire de l'administration centrale du SCP.

Les nouvelles spécifications, rédigées par l'administration centrale des services d'A&G reproduisaient, quoiqu'en termes plus génériques, celles qui avaient été énoncées par les services d'A&G de Calgary. Ces nouvelles spécifications ont été reçues avec la commande par l'administration centrale du MAS le 11 février 1991. Elles ont été publiées dans Marchés publics le 4 avril 1991. Le 24 avril 1991, Sweeprite a porté plainte auprès de la Commission, soutenant que les caractéristiques techniques restreignaient de façon injuste la concurrence. Le MAS a approché l'administration centrale du SCP dans l'intention de faire modifier les caractéristiques techniques pour les rendre plus générales. En consultation avec l'administration centrale du MAS, l'administration centrale du SCP a effectué un certain nombre de modifications, pour finir par produire des spécifications considérées comme acceptables par Sweeprite, qui a retiré sa plainte en conséquence le 12 juin 1991. Ces nouvelles conditions contenaient une disposition selon laquelle le soumissionnaire le plus offrant pourrait se voir demander de faire la démonstration de son produit avant l'adjudication du marché. Selon une note de service interne des services d'A&G de Calgary, ceux-ci ont reçu les modifications de l'administration centrale du SCP le 22 mai 1991. Une note de service ultérieure (du 24 juillet 1991) émanant de la même source décrivait ces modifications comme étant le produit d'efforts [TRADUCTION] «visant à aider Sweeprite à faire une soumission, et, en même temps, de satisfaire les besoins du Parc» (voir l'annexe 16 du R.E.).

Quatre entreprises ont répondu par sept propositions. Après les avoir mises en tableau et en avoir fait une première évaluation, l'administration centrale du MAS a envoyé le tout à l'administration centrale du SCP. Dans sa soumission, Sweeprite offrait le modèle SR3300F, et non le modèle 4400 dont la démonstration avait été faite à Jasper. Sur la foi de cette évaluation technique préliminaire, la proposition de Sweeprite a été considérée par l'administration centrale du MAS comme répondant à toutes les conditions obligatoires. Une évaluation technique ultérieure effectuée par l'administration centrale des services d'A&G a permis de déterminer que Sweeprite ne répondait pas à huit conditions de soumission facultatives. Il est à noter qu'à ce moment, une soumission seulement, celle d'Elgin, était considérée comme répondant à toutes les conditions obligatoires ainsi qu'à toutes les conditions facultatives sauf une, et, par conséquent, comme étant «techniquement acceptable».

Après que les soumissions aient été examinées par un comité constitué de représentants de l'administration centrale du SCP, une note de service datée du 18 juillet 1991 (voir l'annexe 14 du R.E.) indiquant que la soumission de Sweeprite devrait être considérée comme répondant aux conditions, a été envoyée à Parcs Ouest. Cette note de service précisait :

[TRADUCTION]

La soumission ne s'écarte des caractéristiques que sur quelques points mineurs et considérés comme n'étant pas suffisamment importants pour justifier que la soumission soit rejetée sur les motifs liés aux besoins opérationnels...

... nous ne voyons aucune raison de rejeter la soumission sur la foi des renseignements disponibles. Les points sur lesquels celle-ci s'écarte des spécifications devraient être considérés en rapport avec le coût supplémentaire [montant supprimé] que comporte l'offre de l'autre soumissionnaire qualifié.

La note indiquait également que la Demande de propositions (DDP) prévoyait l'éventualité d'une «démonstration pratique» de la machine avant l'octroi d'un contrat. On peut lire dans une note de service du 19 juillet 1991 (voir l'annexe 15 du R.E.) adressée par Parcs Ouest à l'administration centrale du SCP :

[TRADUCTION]

Sweeprite ayant déjà fait la démonstration de sa machine au parc, une autre démonstration n'est pas nécessaire.

Pourtant, tel qu'il est indiqué plus haut, la machine mise à l'essai était le modèle 4400 de Sweeprite et non le modèle SR3300F offert par cette même société dans sa soumission.

L'administration centrale du SCP a rédigé le 3 octobre 1991 une note d'information (voir l'annexe 20 du R.E.) dans laquelle on peut lire ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le parc national Jasper et les bureaux de la région de l'Ouest ne sont pas d'accord avec cette position [selon laquelle l'offre de Sweeprite devrait être acceptée]. Ils estiment que les écarts par rapport aux spécifications sont importants et ont déclaré que la soumission de Sweeprite n'est pas acceptable. Une démonstration des deux machines a été effectuée à Jasper avant la présentation des devis d'origine. Selon les agents de Jasper, la supériorité du modèle d'Elgin est apparue clairement. C'est la raison pour laquelle les conditions de soumission d'origine faisaient état de caractéristiques techniques exclusives à Elgin, ce qui est une infraction aux règles fédérales de passation des marchés, et ce qui explique pourquoi il a fallu modifier les conditions après qu'elles aient été contestées.

Une lettre du 4 octobre 1991 adressée aux services d'A&G de la région de l'Ouest par le surintendant du parc national Jasper (voir l'annexe 21 du R.E.) précise :

[TRADUCTION]

Nous allons annuler l'achat de la balayeuse de Jasper en 1991-1992 en raison d'un manque de 1,5 million de dollars dans le budget du programme d'immobilisations. Les fonds destinés à cet achat [montant supprimé] devraient être déclarés excédentaires pour 1991-1992. Nous avons augmenté du même montant notre budget d'équipement pour 1993-1994 [lire 1992-1993].

Nous devrions établir un autre projet d'appel d'offres en vue de la fourniture d'une balayeuse avant la fin d'avril 1992. La justification et les approbations nécessaires à l'octroi d'un marché à fournisseur unique devraient être préparées d'ici la fin de février, de façon à éviter l'imputation de toute dépense inutile à notre budget de fonctionnement et d'entretien.

J'espère que les difficultés que nous avons connues cette année seront aplanies bien avant qu'il soit procédé à l'appel d'offres.

Selon Parcs Ouest (voir l'annexe 22 du R.E.), les fonds ont été utilisés pour financer un règlement avec une bande indienne en Colombie-Britannique. Le 18 octobre 1991, une demande d'annulation de l'adjudication a été envoyée par l'administration centrale du SCP à l'administration centrale du MAS. Après s'être informée des motifs de cette annulation auprès de l'administration centrale du SCP, l'administration centrale du MAS a écrit aux soumissionnaires pour les informer de la chose.

Mesures en cours en vue de satisfaire les besoins des parcs nationaux Jasper et Banff

Le 20 décembre 1991, deux commandes ont été envoyées par Parcs Ouest au bureau du MAS à Calgary. Ces commandes visaient l'achat de deux balayeuses, une pour le parc national Jasper et une pour le parc national Banff.

Les besoins de Banff ont été exprimés dans une note du 4 juillet 1991 et dans une [TRADUCTION] «Évaluation en vue de service du remplacement d'une pièce d'équipement» (voir l'annexe 28 du R.E.), dans lesquelles on pouvait lire : [TRADUCTION] «SEUL LE MODÈLE D'ELGIN EST ACCEPTABLE POUR DES RAISONS DE RENDEMENT ET DE FIABILITÉ». Des spécifications détaillées étaient jointes aux deux commandes. Il n'avait été tenu aucun compte, dans l'établissement de ces caractéristiques, des modifications qui avaient été convenues à la suite de la plainte antérieure de Sweeprite, et, bien au contraire, elles reprenaient les spécifications générées en janvier 1991 pour le premier marché de Jasper, et parfois même, comme nous le verrons ci-après, collaient plus étroitement encore aux caractéristiques de l'Elgin Eagle.

Les spécifications sont identiques dans le cas des deux parcs, sauf pour ce qui est de la distance d'un poste d'entretien.

Un Avis de projet de marché (APM) relatif à chaque besoin a été publié dans la livraison de Marchés publics du 28 janvier 1992, sous la rubrique des projets de marché relatifs au GATT et à l'ALÉ, avec le code F-1, désignant un marché de libre-échange, ouvert à tous les fournisseurs intéressés.

Un appel d'offres (plutôt qu'une DDP, comme ce fut le cas pour le premier marché de Jasper) daté du 20 janvier 1992 et fixant la date du dépouillement public des offres au 10 mars 1992, à 14 h, heure normale des Rocheuses, a été préparé pour chaque marché. Les besoins y étaient décrits comme suit :

[TRADUCTION]

P.A.V. (Projet d'acquisition d'un véhicule) 92/93 - Fourniture d'une (1) auto-balayeuse dotée d'une trémie d'une capacité de 3 vg2... conformément aux caractéristiques exposées dans les dix-huit (18) pages ci-jointes.

Les deux appels d'offres incorporaient par voie de référence une disposition du Manuel des clauses et des conditions uniformisées d'achat (MCCUA), la clause «B3000T SUCCÉDANÉS ÉQUIVALENTS», qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

DES «SUCCÉDANÉS ÉQUIVALENTS» NE SERONT PRIS EN CONSIDÉRATION QUE SI (1) LE SOUMISSIONNAIRE DÉSIGNE LA RÉFÉRENCE COMMERCIALE DES SUCCÉDANÉS, (2) BIFFE LA RÉFÉRENCE COMMERCIALE ET LES MOTS «OU L'ÉQUIVALENT», ET (3) FOURNIT LES CARACTÉRISTIQUES COMPLETES ET LES IMPRIMÉS DESCRIPTIFS POUR LES SUCCÉDANÉS.

L'appel d'offres ne mentionne aucune référence commerciale, ni avec ni sans les mots «ou l'équivalent».

Sweeprite a demandé des trousses de soumission pour les deux marchés et, après les avoir reçues, a fait part au bureau du MAS à Calgary de ses préoccupations quant au fait que les caractéristiques techniques étaient trop restrictives. Le 10 février 1992, Parcs Ouest a émis deux commandes visant la modification des caractéristiques. En même temps, Sweeprite portait plainte auprès de la Commission. Le 13 février 1992, le bureau du MAS à Calgary a écrit (voir l'annexe D du R.E.) aux personnes qui avaient demandé des trousses de soumission pour les informer du fait qu'entre autres modifications, la condition 2.8.8 était changée :

[TRADUCTION]

Supprimer entièrement

Remplacer par ce qui suit :

2.8.8Un chargeur à courroie est préféré comme système de chargement de la trémie.

Les spécifications antérieures décrivaient le système de chargement utilisé par Elgin et précisaient explicitement que [TRADUCTION] «l'utilisation d'un chargeur à friction n'est pas acceptable.» Sweeprite utilise un chargeur à friction.

Selon le MAS, la date de clôture pour le dépôt des soumissions a été repoussée au 30 mars 1992.

Discussion

Ces deux causes procèdent clairement d'une divergence de perception. Le ministère gouvernemental client savait quelle machine il voulait : dans le cas du parc Jasper, il a même loué un appareil identique pour répondre à ses besoins de balayage au printemps de 1991 en attendant de pouvoir en acheter un; mais les règles du processus d'invitation ouverte à soumissionner du gouvernement le frustre dans son désir d'obtenir ce qu'il veut.

Quant à la plaignante, elle soutient que l'imposition répétée de spécifications exagérément restrictives par le gouvernement lui interdit de fournir à celui-ci un produit qui, s'il ne répond pas à ses désirs, répond du moins à ses besoins.

Dans le cas de Banff, la procédure d'adjudication a commencé en 1991. Dans le cas de Jasper, la Commission considère que toutes les mesures qui ont été prises depuis 1990 constituent une même procédure d'adjudication. Ce dernier point est contesté par le gouvernement, qui précise, parmi ses observations sur le Rapport préliminaire d'enquête :

[TRADUCTION]

Il est regrettable que le rapport d'enquête n'ait porté que sur la procédure d'adjudication avortée et non sur la procédure actuelle, qui a été entreprise de façon à favoriser au maximum la concurrence sans compromettre les besoins légitimes des derniers utilisateurs. Il est respectueusement suggéré à la Commission de demander à son personnel d'enquête de revoir l'enquête et de lui fournir des données portant directement sur la procédure d'adjudication actuelle, qui fait l'objet de la présente plainte.

La Commission est d'avis que, nonobstant les problèmes financiers du ministère, la «procédure d'adjudication actuelle» relative à Banff comme à Jasper découle de la «procédure d'adjudication avortée» relative à Jasper et des difficultés que le gouvernement avait alors à obtenir ce qu'il voulait. On se rappellera que la Commission n'avait pas eu à statuer dans cette cause, car Sweeprite avait retiré sa plainte à la suite de la révision qui avait été faite des caractéristiques techniques afin, pour reprendre les termes de l'autorité compétente, [TRADUCTION] «aider Sweeprite à faire une soumission, et, en même temps, de satisfaire les besoins du Parc

Ce que Sweeprite ne savait pas alors, c'est que sa dernière soumission avait été considérée par le comité d'évaluation de l'administration centrale comme la plus avantageuse et que le gouvernement ne voyait [TRADUCTION] «aucune raison de rejeter la soumission sur la foi des renseignements disponibles».

Cependant, il semble qu'entre l'annulation de la DDP, le 21 octobre 1991, et la publication des nouveaux Avis de projet de marché, le 28 janvier 1992, on se soit beaucoup affairé, avec pour résultat que les spécifications relatives au marché de Jasper et à celui de Banff (18 pages et quelque 149 entrées) correspondent encore plus étroitement à l'Elgin Eagle que les précédentes. Par exemple, le poids du véhicule, dans les spécifications originelles, avait été fixé à 13 610 kilogrammes, soit l'équivalent métrique de 30 000 livres. Dans les conditions de soumission actuelles, ce poids a été remplacé par celui de 14 100 kilogrammes, qui correspond exactement à celui de l'Elgin. Des changements de ce genre ont été faits aussi relativement à certaines caractéristiques des essieux, par exemple.

Et alors que, par exemple, des révisions avaient été apportées visant à exprimer en termes de rendement les exigences relatives aux suspensions avant et arrière lors de la modification des spécifications en 1991, les dernières conditions de soumission reviennent aux caractéristiques originales, axées sur celles d'Elgin.

Comme la Commission l'a dit en d'autres occasions, si les ministères gouvernementaux s'attachaient davantage à établir des devis techniques exprimés en termes de rendement et qui soient véritablement axés sur leurs besoins opérationnels plutôt que sur leurs désirs, ils contribueraient vraiment, en plus de satisfaire leurs besoins opérationnels, à créer des procédures d'approvisionnement ouvertes, justes et transparentes, comme le prévoit l'Accord de libre-échange, qui favoriseraient l'innovation technologique et permettraient par la même occasion d'économiser l'argent des contribuables.

À cet égard, ces deux causes présentent trois aspects que la Commission trouve préoccupants. Le premier, tel qu'indiqué ci-dessus, a trait au caractère restrictif des devis techniques qui va visiblement à l'encontre de la politique générale d'approvisionnement du gouvernement, et contrevient explicitement aux dispositions du chapitre 13 de l'Accord de libre-échange, en ceci qu'il interdit aux fournisseurs potentiels d'avoir les mêmes possibilités de répondre aux exigences de l'entité acheteuse au cours de l'étape de l'appel d'offres et du dépôt des soumissions.

Le second point a trait à l'énonciation, à l'avance, de critères d'évaluation précis des offres qui seront faites par les fournisseurs potentiels. Dans les deux cas présents, quoique les appels d'offres prévoient que des «succédanés équivalents» puissent être offerts, ils ne précisent pas officiellement la référence commerciale spécifique dont il est question dans la clause citée antérieurement et pour laquelle des «succédanés équivalents» seraient acceptés. De même, on ne voit pas clairement lesquelles des quelque 149 caractéristiques techniques distinctes contenues dans les spécifications sont obligatoires, et lesquelles sont facultatives. Si elles sont toutes obligatoires, alors les spécifications sont une description du produit, et la procédure de considération des «succédanés équivalents» serait nulle et non avenue. Comme la Commission l'a fait remarquer dans l'affaire Cardinal, du 27 février 1990 (n° du greffe de la Commission D89PRF6608-021-0005):

... si on exigeait que chaque produit offert comme «équivalent» comporte toutes les caractéristiques du produit utilisé comme norme dans la spécification, on retirerait à celle-ci son applicabilité générale, on enlèverait tout sens à l'expression «ou équivalent» et on transformerait l'adjudication en un achat pour lequel «aucun produit de remplacement» ne peut être accepté.

De plus, comment le gouvernement entend-il interpréter, à des fins d'évaluation, la préférence qu'il a lui-même introduite au point 2.8.8 : [TRADUCTION] «Un chargeur à courroie est préféré [souligné par nous] comme système de chargement de la trémie»? Cela pourrait s'avérer particulièrement difficile dans le cas d'un APPEL D'OFFRES, comme c'est le cas en l'espèce, par opposition à une Demande de propositions.

Enfin, on ne voit pas bien pourquoi le gouvernement a décidé de recourir à un «appel d'offres», qui donne peu de latitude à l'exercice du jugement, plutôt qu'à une «Demande de propositions», qui en offre davantage? Il est intéressant de noter que, dans le cas de l'adjudication originelle de Jasper, pour laquelle l'administration centrale du SCP avait jugé la proposition de Sweeprite comme étant la plus avantageuse, on avait eu recours à une procédure de Demande de propositions. Dans le cas des deux marchés présents, qui comportent des devis nettement plus restrictifs et axés sur Elgin, la procédure d'appel d'offres a été invoquée.

Pour ces deux raisons, la Commission recommandera que ces deux adjudications soient réexaminées pour que le gouvernement puisse rédiger convenablement les devis techniques et les critères d'évaluation des offres, de façon à ce que le processus de soumission puisse se dérouler conformément aux dispositions du Code du GATT relatif au marchés publics ainsi qu'aux dispositions de l'Accord de libre-échange relatives aux approvisionnements gouvernementaux. La Commission adjuge également à la plaignante ses frais de soumission et ses frais de dépôt et d'examen de ses plaintes.

Le troisième et dernier point sur lequel la Commission souhaite faire une observation a trait à une déclaration faite par le gouvernement dans le cadre de ses observations sur le Rapport préliminaire d'enquête :

[TRADUCTION]

La Couronne remarque également qu'elle n'avait pas d'opposition à l'examen du présent marché, en ceci qu'elle a préféré ne pas combiner les besoins relatifs aux balayeuses, de façon à exclure le marché du champ des compétences actuel de la Commission de révision des marchés publics.

La Commission espère qu'à l'instar du lanceur de base-ball qui expédie une balle rapide de trop et la regarde se perdre au-delà du champ-centre, les agents qui ont écrit ces lignes aimeraient pouvoir les «reprendre». Cette observation n'est pas utile et ne semble pas conforme aux efforts déployés par le ministre des Approvisionnements et Services pour que le système d'approvisionnement soit juste et ouvert. C'est une chose que de combiner deux besoins de façon à économiser de l'argent au moyen d'un achat en gros (possibilité qui n'était mentionnée dans aucun des documents pertinents); c'en est une toute autre que d'utiliser les limitations monétaires contenues dans le mandat de la Commission pour dissimuler ce qui pourrait passer, au mieux, pour une mauvaise planification d'une adjudication par le gouvernement, au pire, pour une pratique qui contrevient peut-être à l'esprit du Code du GATT relatif au marchés publics, à l'Accord de libre-échange et aux intentions déclarées du gouvernement.

DÉCISION

La Commission a statué, à la lumière de son enquête, que ces marchés menés par le ministère des Approvisionnements et Services ne sont pas conformes aux exigences énoncées à l'article 17 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange dans la mesure où les spécifications ont été rédigées en tenant compte d'un certain produit. De plus, dans la mesure où les critères de décision touchant l'évaluation des soumissions et l'adjudication des marchés n'avaient pas été clairement spécifiés à l'avance, le gouvernement s'est soustrait à l'obligation qui lui est faite d'accorder à tous les fournisseurs potentiels les mêmes possibilités de répondre aux exigences de l'entité acheteuse à l'étape de l'appel d'offres et du dépôt des soumissions.

La Commission recommande que ces acquisitions soient réexaminées pour que le gouvernement puisse rédiger convenablement les devis techniques et les critères d'évaluation des offres, de façon à ce que le processus de soumission se déroule conformément aux dispositions de l'Accord de libre-échange et du Code du GATT relatif au marchés publics.

La Commission décide également

a) d'adjuger à la plaignante les frais entraînés par le dépôt et l'examen de ses plaintes;

b) d'adjuger à la plaignante les frais entraînés par la préparation de ses soumissions.

Gerald A. Berger
_________________________
Gerald A. Berger
Président
Commission de révision des marchés publics du Canada


[ Table des matières]

Publication initiale : le 28 août 1997