MARATHON MANAGEMENT COMPANY

Décisions


MARATHON MANAGEMENT COMPANY
No du greffe de la Commission : D92PRF66W-021-0018

TABLE DES MATIÈRES


AFFAIRE INTÉRESSANT

Une plainte de Marathon Management Company du 67A, chemin Steelcase ouest Markham (Ontario)

No du greffe de la Commission : D92PRF66W-021-0018

Plainte accueillie

ET

La Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, partie II, art. 15, L.C. 1988, ch. 65.

Le 22 juin 1992

DÉCISION DE LA COMMISSION

La plainte

Le 27 mars 1992, la Commission de révision des marchés publics (la Commission) a reçu une plainte (annexe 1 du rapport d'enquête [RE]) de Marathon Management Company (Marathon) de Markham (Ontario). Il s'agissait en l'espèce de l'achat, par le ministère des Approvisionnements et Services (MAS), de 4 267 couteaux de chasse pour le compte du ministère de la Défense nationale (MDN). La plaignante conteste l'adjudication, par le MAS, d'un marché à un soumissionnaire qui offrait un prix trois fois plus élevé que le sien. Elle allègue également que son offre a été rejetée de façon fautive pour la raison qu'on ne lui a jamais demandé de fournir un échantillon et qu'on n'a fait aucun examen technique de son couteau.

Marathon demande, comme mesure corrective, que le marché soit résilié pour lui être accordé, ou qu'une nouvelle Demande de propositions soit publiée.

Des renseignements supplémentaires ont été reçus le 30 mars 1992, et la plainte s'est alors trouvée répondre aux exigences de dépôt posées par le paragraphe 21(1) du Règlement sur la Commission de révision des marchés publics (le Règlement).

Le 31 mars 1992, la Commission a accepté la plainte pour enquête attendu qu'elle répondait aux conditions d'acceptation posées par le paragraphe 28(1) du Règlement. Conformément à l'alinéa 16(1)a) de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis (la Loi), un accusé de réception de la plainte a été envoyé à la plaignante. Le MAS a été officiellement avisé du dépôt de la plainte, dont une copie lui a été envoyée ainsi qu'à l'adjudicataire. Le marché ayant été octroyé le 27 mars 1992, soit avant le dépôt de la plainte, les dispositions de l'alinéa 16(1)b) de la Loi, qui visent le report de l'adjudication, n'ont pas été prises en considération. Un avis de dépôt de la plainte a été publié dans la partie I de la Gazette du Canada ainsi que dans Marchés publics (MP).

Le 16 avril 1992, le MAS a remis à la Commission le Rapport de l'institution fédérale (RIF) aux termes du paragraphe 30(1) du Règlement. En application de l'alinéa 30(3)a) du Règlement, une copie des parties pertinentes du rapport a été envoyée à la plaignante, qui en retour a fait part de ses commentaires à la Commission le 28 avril 1992 aux termes du paragraphe 31(1) du Règlement. Les observations de la plaignante ont été communiquées au MAS en conformité du paragraphe 31(2) du Règlement.

L'enquête

Les allégations de la plaignante, la réponse du gouvernement à ces allégations, et les observations de la plaignante sur cette réponse ont été examinées à la lumière d'une série d'entrevue et des documents pertinents.

Un certain nombre de particuliers ont été interrogés en personne et/ou par téléphone pour vérifier diverses déclarations faites dans les documents ou y figurant. Ce sont : M. Joe LeGrow, agent de négociation des marchés, MAS; M. Jim Reeves, chef de sous-section, Direction du génie et de la maintenance (Fourniment), (DGMF), MDN; M. Tariq Shaikh, gestionnaire du cycle de vie du matériel (DGMF), MDN (autorité technique); et M. Leon Wein, Marathon.

Une copie du rapport préliminaire d'enquête (RPE) a été envoyée pour commentaires au MAS ainsi qu'à la plaignante. Chacune des parties y a donné suite par une réponse écrite qui a été communiquée à l'autre. Ces observations ont été ajoutées au rapport préliminaire d'enquête et sont incluses dans le rapport d'enquête présenté à la Commission.

Le rapport d'enquête contient un certain nombre d'annexes comprenant des documents jugés pertinents par le personnel d'enquête. Il n'y a pas nécessairement de renvois à ces documents justificatifs dans la présente décision, mais les parties peuvent les consulter, de même que toute autre personne, sous réserve des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information.

L'enquête ayant permis de recueillir suffisamment de renseignements pour que la Commission puisse trancher, selon elle, les questions soulevées dans cette plainte, la Commission a décidé de ne pas tenir d'audience orale, et aucune des parties n'a présenté de demande en ce sens. Pour en arriver à ses conclusions, la Commission a examiné le rapport d'enquête préparé par son personnel ainsi que les observations des parties sur ce rapport, et a fondé sa décision sur les faits qui y sont exposés, et dont les éléments les plus pertinents sont mentionnés dans la présente décision.

L'adjudication

La Direction de l'obtention et de l'approvisionnement du matériel d'usage collectif (DOAMUC) du MDN est chargée de maintenir des stocks de quelques 250 000 articles énumérés dans la Publication des Forces canadiennes (PFC) 137 (un catalogue de produits classés par numéro de nomenclature de l'OTAN). Lorsqu'on rapporte une baisse du stock de tel article, la DOAMUC prépare une demande d'achat pour regarnir le stock et satisfaire les besoins immédiats. Cette demande d'achat reprend la description du produit figurant dans la PFC 137, et contient tout renseignement supplémentaire jugé nécessaire par l'autorité technique.

Une demande (annexe 2 du RE) a été adressée au MAS par la DOAMUC du MDN le 19 décembre 1991. Il s'agissait de couteaux de chasse décrits comme suit :

[TRADUCTION]

0001 n7340-21-844-5956 couteau de chasse. lame d'acier inoxydable à haut
carbone; essais de dureté rockwell c de c54 à c60
minimum, arête biseautée droite, lame de 4 pouces
de long (hors poignée). poignée effilée en bois,
dos unis. longueur totale de 8,25 p.; avec étui,
et lanière de cuir de 27 p. poids du couteau : 107
g.; poids de l'étui : 70 g. poignée rivetée et
oeillet passe -lanière.
poids total : 180 g.
cof n/r 38104 rbk3

Le numéro N7340-21-844-5956 est le numéro de nomenclature de l'OTAN. Les quatre premiers chiffres, 7340, correspondent au code OTAN de classification des approvisionnements pour le groupe de l'équipement servant à la préparation et au service des aliments, auquel les couteaux de chasse font partie à titre de coutellerie et couverts. Le sigle COF désigne le code OTAN des fabricants. Le fabricant correspondant au numéro 38104 est Grohmann Knives (1974) Ltd. (l'adjudicataire). Les lettres N/R désignent le numéro de référence, en l'occurrence RBK3, qui est celui du couteau Grohmann correspondant à l'article décrit.

Sauf pour ce qui est des essais de dureté Rockwell C, il n'y a aucune indication quant au fait que les diverses spécifications mesurables sont des minimums ou des maximums, ou qu'il y a une certaine marge de manoeuvre ou non, pas plus que sur ce qui constitue exactement de l'acier inoxydable à haut carbone, ou sur le type de bois requis.

La demande d'achat et la Demande de propositions (DDP) ne mentionnent rien non plus quant au type d'utilisation auquel ces couteaux sont destinés. Selon le MDN, ils sont utilisés par les parachutistes pour couper le cordage des parachutes qui ne s'ouvrent pas correctement ou qui s'embrouillent à l'atterrissage. Le MDN a également fait savoir au personnel de la Commission que ce couteau précis a été demandé parce qu'il fait l'objet d'un haut degré de satisfaction de la part des utilisateurs. L'enquête a permis d'établir que le MDN considérait la description d'achat ci-dessus comme étant le minimum acceptable. Le gouvernement a cependant émis des réserves quant à cette conclusion dans sa réponse au rapport d'enquête préliminaire, comme nous le verrons par après.

Le marché était évalué à une somme allant de 90 000 $ à 120 000 $, ce qui, entre autres, aura eu pour conséquence de le faire considérer comme entrant dans la catégorie visée par le chapitre de l'ALÉ sur les marchés publics. Un avis de projet de marché (APM) a été préparé (annexe 3 du RE) et publié dans le MP du 16 janvier 1992 sous la rubrique GATT/ALÉ intitulée Préparation alimentaire et équipement de service.

Le MAS a préparé une DDP à la date du 9 janvier 1992 fixant la date de clôture du dépôt des soumissions au 26 février 1992 (annexe 4 du RE). La DDP décrivait l'article demandé comme suit :

[TRADUCTION]

001 7340-21-844-5956

couteau de chasse.

- lame d'acier inoxydable à haut carbone;

- acier de dureté rockwell c; essai de dureté rockwell c de c54 minimum à c60 maximum;

- arête biseautée droite; longueur de la lame hors poignée 4p.

- poignée effilée en bois, dos unis. longueur totale : 8,25 p.;

- avec étui, et lanière de cuir de 27 p. de long;

- poids du couteau : 107 g.; poids de l'étui : 70 g.;

- poignée rivetée et oeillet passe-lanière;

- poids total : 180 g.

cof : 38104

n/r : RBK3 grohmann knives/1974/ltd. ou l'équivalent.

Cette description est immédiatement suivie des instructions suivantes à l'intention des soumissionnaires :

[TRADUCTION]

Les entreprises offrant un modèle de rechange sont priés d'indiquer le fabricant et le numéro de modèle du produit offert :

Fabricant :

Numéro de modèle :

Les soumissionnaires offrant un produit de rechange devront joindre à leur proposition une description technique complète du produit. Le produit sera jugé comme étant ou n'étant pas équivalent en fonction des renseignements fournis.

Description jointe : Oui Non

Les soumissionnaires sont également priés de donner les renseignements suivants :

Type de l'acier dont est fait la lame :

Résultat de l'essai de dureté Rockwell C sur le produit offert :

Type d'arête :

Longueur de la lame hors poignée :

Type de poignée :

Type de dos :

Longueur totale du couteau :

Étui avec poignée rivetée et oeillet passe-lanière offerts :

Longueur de la lanière de cuir :

Poids du couteau :

Poids de l'étui :

Poids total :

Note : Ne pas fournir d'échantillon. Des échantillons seront demandés si nécessaire après la clôture de la période de dépôt des soumissions.

La DDP faisait également état des critères d'évaluation qui seraient observés lors de l'évaluation des offres :

[TRADUCTION]

CRITÈRES D'ÉVALUATION : Les facteurs suivants seront pris en considération dans l'évaluation de votre proposition :

1.Exigence d'inspection - obligatoire

2.Exigence d'emballage - obligatoire

3.Exigence de livraison - souhaitable

4.Documentation descriptive - obligatoire

(s'il y a lieu)

5.Frais de transport - souhaitable

(s'il y a lieu)

Le fait de ne pas vous conformer à cette demande pourrait avoir pour effet de rendre votre proposition irrecevable.

Les dispositions d'inspection et d'emballage suivantes, tirées du manuel des Clauses et conditions uniformisées d'achat, étaient incluses sous forme de renvoi dans la DDP :

D5301D INSPECTION - MDN

01/06/91

L'entrepreneur a la responsabilité d'exécuter ou de faire exécuter toutes les inspections et les essais nécessaires afin de confirmer que le matériel ou les services fournis sont conformes aux dessins, spécifications et exigences du Contrat incluant toutes exigences techniques afférentes aux numéros de pièce spécifiques du fabriquant.

Tout le matériel fourni en vertu du présent Contrat peut être sujet à une inspection par un repésentant de l'assurance de la qualité du ministère de la Défense nationale, à destination.

Enfin, la DDP contenait des clauses relatives au matériel et aux succédanés équivalents, ainsi que deux clauses sur l'adjudication du marché. On pouvait lire à la page 13 :

B1000D 01/06/91

MATÉRIEL

Le matériel fourni doit être neuf et conforme au dessin, à la spécification et(ou) au numéro de pièce pertinents [sic] en vigueur .

La page 12 contenait une référence à ce qui suit :

b3000t succédanés équivalents

01/06/91

des «succédanés équivalents» ne seront pris en considération que si (1) le soumissionnaire désigne la référence commerciale des succédanés, (2) biffe la référence commerciale et les mots «ou l'équivalent», et (3) fournit les caractéristiques completes [sic] et les imprimés descriptifs pour les succédanés.

À la page 8 se trouvait un article intitulé [TRADUCTION] «marché gouvernemental aux termes de l'accord de libre-échange canada-états-unis» :

7.Le(les) contrat(s) sera(seront) attibué(s) au(x) fournissuer(s) compétent(s) et qualifié(s) qui offre(nt) à l'État la meilleure valeur compte tenu des critères d'évaluation énoncés dans la demande de soumissions.

À la page 14 on pouvait lire :

Tout contrat résultant des présentes sera normalement adjugé au soumissionnaire dont le prix engendre la plus basse totalité des frais à la destination.

t540a

Selon le MAS, il était prévu que ce marché serait accordé au plus bas soumissionnaire admissible. Aucun système de pondération n'a donc été adopté pour déterminer la valeur relative des offres.

Dix demandes de documents d'appel d'offres ont été reçues en réponse de l'APM. Au moment de la clôture de la période de dépôt des soumissions, 11 propositions émanant de 9 fournisseurs avaient été dûment reçues par le MAS, qui les a mises en tableau (annexe 5 du RE). Le 2 mars 1992, le MAS a envoyé à Marathon un fac-similé (annexe 6 du RE) lui demandant de fournir certains renseignements qui manquaient dans sa proposition. Marathon a répondu au MAS par un fac-similé daté du 3 mars 1992 (annexe 7 du RE) qui contenait les renseignements manquants. Le tableau des soumissions, de pair avec les documents relatifs aux six offres les plus avantageuses, et avec une lettre d'accompagnement datée du 3 mars 1992, a été présenté au MDN. Ce dernier se voyait demander dans la lettre (annexe 8 du RE) de procéder à l'évaluation technique des soumissions. La lettre précisait ce qui suit :

[TRADUCTION]

Si vous recommandez d'accepter une soumission autre que la soumission la plus basse, vous devrez donner des raisons précises et valables de le faire, et votre réponse devra être signée par un agent autorisé de votre ministère.

Le 6 mars 1992, le MDN a demandé, par l'intermédiaire du MAS, des échantillons des couteaux faisant l'objet des deux propositions de Grohmann. Selon une note versée au dossier (annexe 9 du RE), le but de cette démarche était de comparer le fini de la poignée des deux couteaux. Cette note précisait également qu'il n'y avait pas lieu de demander d'échantillons aux autres sociétés parce que [TRADUCTION] «les renseignements contenus dans les propositions sont suffisants». Ces échantillons ont été demandés à Grohmann et transmis au MDN par le MAS le 12 mars 1992 (annexe 10 du RE). Le 17 mars 1992, le MDN a envoyé le résultat de son évaluation au MAS (annexe 11 du RE). Le MDN précisait ce qui suit au sujet de l'offre de Marathon :

[TRADUCTION]

L'offre de la société concerne un couteau de chasse ordinaire, qui n'a aucun rapport avec les exigences du MDN ni avec la description. Elle ne peut être acceptée pour les raisons suivantes :

1.N'est pas en acier à haut carbone.

2.Poignée de bois effilée telle que mentionnée dans l'appel d'offre (N/R du fabricant)

3.Poids inférieur à la spécification.

4.Poignée de bois rivetée est une exigence absolue.

N'EST PAS approuvé.

Le document précisait que quatre autres propositions n'avaient pas été approuvées pour des raisons diverses : deux d'entre elles parce que la lame du couteau proposé était de 3 et non de 4 pouces de long comme demandé; une autre parce qu'elle n'était accompagnée ni d'un échantillon, ni d'une description technique; et la quatrième (une deuxième proposition de l'adjudicataire) parce que la poignée de bois n'était pas finie. La seule proposition présentée comme acceptable était celle qui correspondait exactement au N/R mentionné dans la demande d'achat.

Selon le MDN, la méthode utilisée pour déterminer si un produit était acceptable consistait à comparer point par point la description fournie par le soumissionnaire à celle qui figurait dans la DDP, et à déterminer dans quelle mesure les deux correspondaient. Le degré de correspondance requis n'était pas précisé. Cependant, l'autorité fonctionnelle du MDN a précisé que ce dernier avait utilisé la description de l'article comme critère d'acceptation ou de rejet de celui-ci. Comme nous l'avons déjà mentionné, les enquêteurs ont été informés par le MDN que tous les éléments de la description de l'article étaient considérés par le MDN comme obligatoires.

Cependant, parmi ses observations sur le rapport d'enquête préliminaire, le MAS déclare :

[TRADUCTION]

Le gouvernement fédéral est d'accord avec le contenu du rapport, mais pas avec l'affirmation suivante : «Tous les éléments de la description de l'article étaient considérés par le ministère de la Défense nationale (MDN) comme obligatoires» (page 11, paragraphe 1).

Le [MDN] croit qu'il y a peut-être un malentendu. Pour ce qui est de la description de l'article, le [MDN] fait remarquer que plusieurs caractéristiques étaient très importantes eu égard à l'utilisation prévue [nous soulignons] pour l'article (acier inoxydable à haut carbone et poignée de bois).

Pour ce qui est des dimensions précisées dans la description de l'article, le MDN avait l'intention de les utiliser comme critères pour déterminer le degré d'«équivalence» et comme critère d'acceptation ou de rejet des offres. Ainsi, par exemple, la longueur de la lame : 4 pouces, sans compter la poignée. Si une offre avait proposé un couteau pourvu d'une lame de 3 15/16 pouces de longueur, cela n'aurait pas été un motif de rejet, alors qu'une offre proposant un couteau pourvu d'une lame de 3 pouces aurait été rejetée pour cette raison. Il en aurait été de même de la longueur totale du couteau et des différentes mesures indiquées.

On ne peut donc pas dire que le MDN considérait tous les éléments de la description comme obligatoires.

L'appel d'offre et les autres communications avec les soumissionnaires avant l'adjudication ne mentionnaient pas l'utilisation à laquelle les couteaux étaient destinés ni l'importance relative des caractéristiques figurant dans la description. Aucun système de cotation n'a non plus été établi pour les besoins de l'évaluation.

Le 27 mars 1992, le MAS a envoyé un fac-similé à Marathon (annexe 12 du RE) pour l'informer du rejet de son offre. Ce document faisait état du fait que [TRADUCTION] «pour aider les soumissionnaires à déterminer ce qui constitue un équivalent, des caractéristiques précises du couteau de chasse étaient indiquées, telles que le genre d'acier, le genre d'arête, la longueur de la lame, le type de poignée, l'étui, la lanière et le poids de divers éléments.»

Il est à noter que le Glossaire des termes d'approvisionnement, qui fait partie du Guide de la politique des approvisionnements du MAS, définit les «articles équivalents» comme suit :

Articles, qui, sans être absolument identiques, ont suffisamment de traits communs pour être utlisés aux mêmes fins.

Le document envoyé par télécopie expliquait également les raisons pour lesquelles la proposition de Marathon avait été rejetée :

[TRADUCTION]

1) le poids total du couteau demandé est de 180 grammes. le couteau offert par votre société pèse 107 grammes, ce qui ne correspond qu'à 59,5 p. 100 du poids spécifié. votre couteau est trop léger pour le type d'utilisation que le mdn a en vue.

2) la lame devait être d'acier inoxydable à haut carbone. votre société offre une lame d'acier inoxydable à polissage de haute précision. ce n'est pas là la qualité requise.

3) la poignée devait être en bois. votre société offre une poignée de polyamide (imitation d'andouiller). ce genre de poignée n'a pas les mêmes propriétés qu'une poignée de bois.

4) la poignée du couteau devait être effilée. votre société offre une poignée droite.

pour toutes les raisons qui précèdent, le couteau offert par votre société n'a pas été accepté par le mdn comme un produit équivalent. cette mesure d'approvisionnement était assujettie aux dispositions de l'accord de libre-échange, et toutes les offres doivent être obligatoirement évaluées sur un pied d'égalité. votre produit s'écarte sur trop de points du besoin à satisfaire pour être considéré comme équivalent.

Il est à noter que le poids du couteau demandé par le MAS était de 107 grammes, ce qui correspondait à celui que Marathon offrait. Le 3 avril 1992, (c'est-à-dire après que la plainte ait été déposée auprès de la Commission), le MAS a envoyé à Marathon un fac-similé (annexe 13 du RE) dans lequel il revenait sur sa caractérisation du poids du produit offert, dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

dans le fac-similé que je vous ai envoyée, j'ai déclaré que le poids de votre couteau ne répondait pas aux exigences du mdn. c'était inexact. deux (2) poids différents sont en cause (le poids du couteau lui-même et le poids total incluant les accessoires).

le poids de votre couteau correspond en fait à celui qui est demandé (107 grammes); cependant, son poids total était de 161 grammes, ce qui ne correspond pas aux 180 grammes précisés dans la demande de propositions. c'est ce que je voulais dire dans le fac-similé que je vous ai adressée.

cette erreur ne s'est produite que dans ce fac-similé, lequelle a été envoyé le 27 mars 1992, soit après que le processus d'évaluation ait pris fin. les quatre facteurs précisés par le mdn dans son évaluation ont été correctement considérés pendant le processus final de sélection.

Le deuxième motif de rejet avait trait au type d'acier dont était fait la lame. La plaignante offrait une lame d'[TRADUCTION] «acier inoxydable à polissage de haute précision». La proposition de Marathon et la documentation technique connexe ne mentionnaient rien quant au contenu en carbone de l'acier de la lame offerte. Aucun éclaircissement a été demandé à Marathon par le MAS à ce sujet. Dans une correspondance ultérieure (le 3 avril 1992) adressée au MAS (annexe 14 du RE), Marathon déclarait :

[TRADUCTION]

Vous avez affirmé dans votre fax d'aujourd'hui que nous offrions un acier inoxydable à polissage de haute précision, et non un acier inoxydable à haut carbone, comme demandé.

Les spécifications et l'appel d'offre ne précisaient pas qu'un acier inoxydable à haut carbone était exigé. Si nous avions lu qu'un acier inoxydable à haut carbone était exigé, nous vous aurions certainement offert le couteau désiré. Nous estimons qu'il s'agit là d'une déclaration mensongère faite après les faits.

Les spécifications font bel et bien état de l'acier inoxydable à haut carbone comme d'une caractéristique du produit recherché. Cependant, il n'y avait pas d'indication quant à la teneur en carbone ou au caractère obligatoire de cet élément avant que le MAS ne fasse des observations sur le RPE.

Le troisième motif de rejet était que [TRADUCTION] «la poignée devait être en bois». L'enquête a permis de conclure que la poignée du couteau décrit dans l'appel d'offres est en bois de rose, quoique la chose ne soit pas mentionnée dans les documents d'appel d'offres, et bien que, selon le MDN et le MAS, n'importe quel type de bois aurait été acceptable. Cependant, et quoique la chose ne soit pas précisée dans la DDP, le fini du bois était considéré par le MDN comme «très important», comme le montre le fait que celui-ci a rejeté une offre de prix moindre relative à un couteau Grohmann identique pourvu d'une poignée de bois de rose non finie (annexe 11 du RE).

La proposition de Marathon précise que la poignée est en polyamide. Selon la quatrième édition du Plastics Engineering Handbook of the Society of the Plastics Industry, Inc., le polyamide est une catégorie de polymère (plastique) plus connue sous le nom de nylon.

La quatrième raison pour laquelle la proposition a été jugée irrecevable était que [TRADUCTION] «la poignée du couteau devait être effilée». Selon le MDN et le MAS, ce sont les photocopies de documents techniques fournis par Marathon en même temps que son offre qui ont permis de déterminer que cette dernière ne répondait pas à ce critère (annexe 1 du RE).

Discussion

Nous sommes en présence du cas typique d'un ministère fédéral qui a en vue un objet bien précis, mais qui est obligé de passer par un concours pour satisfaire aux règles du gouvernement et qui, ce faisant, se livre à une caricature de la procédure prévue à cette fin. Par la même occasion, il a fait perdre du temps à diverses parties, et peut être de l'argent au gouvernement.

Les spécifications étaient en fait la description d'un produit précis d'un certain fabricant. Il est vrai qu'elles contenaient les termes «ou l'équivalent» et que plusieurs clauses de la DDP portaient sur la présentation de produits de substitution ou de produits équivalents.

Cependant, la DDP contenait aussi un article relatif aux «Critères d'évaluation» qui, entre autres choses, incluaient une «exigence d'inspection -obligatoire» selon laquelle le fournisseur doit faire tout ce qui est [TRADUCTION] «... nécessaires pour assurer que le matériel ou les services fournis sont conformes aux devis, aux spécifications et aux exigences du marché relativement au numéro de référence du fabricant désigné.»

Les «Critères d'évaluation» se terminent sur cette phrase : [TRADUCTION] «Le fait de ne pas vous conformer à cette demande POURRAIT [nous soulignons] avoir pour effet de rendre votre proposition irrecevable».

Outre qu'on ne voit pas très bien de quelle «demande» le MAS veut parler, la Commission a déclaré à maintes reprises qu'un critère d'évaluation doit être obligatoire ou ne pas l'être. La persistance de ces formules obscures dans les documents d'appel d'offres ne contribue pas à améliorer la transparence du processus d'approvisionnement gouvernemental.

Pour ce qui est de la question de l'équivalence, le Glossaire des termes d'approvisionnement, qui fait partie du Guide de la politique des approvisionnements du MAS, définit un «article équivalent» comme suit :

Articles, qui, sans être absolument identiques, ont suffisamment de traits communs pour être utlisés aux mêmes fins.

Premièrement, il n'y a aucune mention, dans la DDP, de l'utilisation à laquelle ces couteaux sont destinés.

Deuxièmement, l'appel d'offres ne mentionne rien quant à la méthode qui sera utilisée pour juger les produits de substitution ou les produits équivalents offerts.

Troisièmement, l'appel d'offre ne dit rien quant à l'importance relative qui serait accordée à certains attributs plutôt qu'à d'autres.

Ce n'est qu'après la communication du rapport d'enquête préliminaire de la Commission que l'on a appris que l'agent du MDN estimait qu' [TRADUCTION] «il y a peut-être un malentendu» au sujet du caractère obligatoire de tous les aspects de la description du couteau; que [TRADUCTION] «plusieurs caractéristiques étaient très importantes eu égard à l' utilisation prévue [nous soulignons] pour l'article (acier inoxydable à haut carbone et poignée de bois)», et qu' [TRADUCTION] «on ne peut donc pas dire que le MDN considérait tous les éléments de la description comme obligatoires».

L'ALÉ est très clair sur toutes ces questions. En plus de l'énoncé général selon lequel tous les fournisseurs doivent se voir accorder «les mêmes possibilités de répondre aux exigences de l'entité acheteuse à l'étape de l'appel d'offres et du dépôt des soumissions», il précise que les gouvernements devront «pour ... l'évaluation des soumissions et l'adjudication des contrats, utiliser des critères ... qui sont clairement spécifiés à l'avance...»

Ces conditions n'étant pas réunies ici, la Commission doit trancher en faveur de la plaignante et ordonner que lui soient versés les frais raisonnables qu'elle a engagés pour présenter sa soumission ains qu'au titre du dépôt et de l'examen de la plainte. En outre, la Commission recommandera que le marché soit résilié, en tout ou en partie, tout dépendant de l'état d'avancement de la livraison des marchandises au gouvernement, et qu'un nouvel appel d'offres soit préparé dans les règles en vue de l'approvisionnement présent et futur du stock de marchandises concerné.

DÉCISION

La Commission décide, d'après son enquête, que cette procédure d'approvisionnement du ministère des Approvisionnements et Services n'était pas conforme aux exigences de l'article 17 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange. De fait, en s'abstenant d'utiliser dans l'évaluation des offres et dans l'adjudication du marché des critères de décision clairement spécifiés à l'avance, le gouvernement a manqué de donner à tous les fournisseurs potentiels une même possibilité de répondre aux exigences de l'entité acheteuse lors de l'étape de l'évaluation.

La Commission recommande que le marché soit résilié, en tout ou en partie, tout dépendant de l'état d'avancement de la livraison des marchandises au gouvernement, et qu'un nouvel appel d'offres soit préparé dans les règles et selon les besoins en vue de l'approvisionnement présent et futur du stock de marchandises concerné.

La Commission décide également :

a)d'adjuger à la plaignante les frais entraînés par le dépôt et l'examen de sa plainte; et

b)d'adjuger à la plaignante les frais entraînés par la préparation de sa soumission.

Gerald A. Berger
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Gerald A. Berger


[ Table des matières]

Publication initiale : le 29 août 1997