TRENTON TEXTILE MILLS LIMITED

Décisions


TRENTON TEXTILE MILLS LIMITED
N° du greffe de la Commission: D91PRF6621-021-0021

TABLE DES MATIÈRES


AFFAIRE INTÉRESSANT

Une plainte de Trenton Textile Mills Limited du 48, rue Film Trenton (Ontario)

N° du greffe de la Commission: D91PRF6621-021-0021

Plainte retenue

ET

La Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, partie II, art. 15, L.C. 1988, ch. 65.

13 septembre 1991

DÉCISION DE LA COMMISSION

Il s'agit, en l'espèce, d'une plainte concernant l'achat par le ministère des Approvisionnements et Services (MAS), auprès d'un fournisseur unique, de tissu destiné à la fabrication de chaises ergonomiques par les Industries CORCAN (CORCAN) du Service correctionnel du Canada (SCC).

La plaignante, la Trenton Textile Mills Limited (Trenton), de Trenton, en Ontario, conteste l'octroi de ce marché à la Tandem Fabrics Inc. (Tandem), de Cambridge, en Ontario, marché d'une valeur de 104 260,80 $. La plaignante allègue qu'elle [TRADUCTION] «estime que nous pourrions fabriquer le tissu en question», la Tandem (à qui le marché a été octroyé) n'en est pas le [TRADUCTION] «fournisseur unique».

La plaignante a demandé [TRADUCTION] «... en guise de dédommagement, que la Trenton Textile Mills Limited soit considérée comme fournisseur de ce tissu et de tout autre tissu dont l'achat se fait, à l'heure actuelle, auprès d'un «fournisseur unique», et que la Trenton bénéficie de tout autre dédommagement auquel elle a droit et auquel la Commission estime qu'elle a droit.»

Compétence de la Commission : dépôt tardif

Dans le Rapport de l'institution fédérale, le MAS souligne :

[TRADUCTION]

«Cette plainte devrait être rejetée car elle a été reçue après l'échéance du délai de dix jours stipulé au paragraphe 23.2 du Règlement sur la Commission de révision des marchés publics. Les motifs de la plainte ont été ou auraient dû être découverts le ou vers le 13 juin 1991, deux jours après la parution de l'avis de projet de marché dans la publication «Marchés publics», alors que la plainte n'a été déposée que le 26 juin 1991, treize jours plus tard. Le délai de dix jours est arrivé à échéance jeudi le 25 juin 1991.

Par conséquent, en conformité avec les dispositions des articles 35 et 38 du Règlement, cette plainte devrait, dans les circonstances, être rejetée.»

Le paragraphe 23(2) du Règlement sur la Commission de révision des marchés publics se lit comme suit :

«... la plainte doit être déposée dans les 10 jours après la date où les motifs de la plainte ont été découverts ou auraient dû vraisemblablement être découverts, selon la première éventualité.»

Le paragraphe 20(1) de ce même Règlement se lit comme suit :

«Les affaires dont est saisie la Commission sont traitées de façon aussi informelle et expéditive que les circonstances et le souci d'équité le permettent.»

Dans un premier temps, la Commission tient à s'acquitter, avec sérieux, de l'obligation qui lui est faite d'emprunter, dans toute la mesure du possible, des procédures aussi informelles et expéditives que possible, pourvu que les intérêts de la plaignante ne soient pas lésés, tout en ne négligeant pas la nécessité, pour le gouvernement, d'exécuter, sans délai indû, ses programmes d'approvisionnement, le tout en conformité avec les dispositions de l'article 23. (Aussi, la Commission peut, à sa discrétion, en vertu des dispositions du paragraphe 23(4), instruire toute plainte qui n'est pas déposée dans le délai prévu «... si des motifs valables justifient le non-respect du délai ou si elle juge que la plainte soulève des points importants qui touchent le mécanisme d'adjudication.».)

En l'espèce, il s'agit d'un marché qui avait déjà été octroyé, à savoir le 15 mai 1991, et dont avis à cet effet avait été signifié dans le numéro du 11 juin 1991 de la publication «Marchés publics». Par conséquent, en l'espèce, on ne peut soutenir que la plainte en question retarde l'octroi d'un marché ou la fourniture du tissu.

La Trenton est établie à Trenton, en Ontario, et la publication «Marchés publics» lui est transmise par courrier de troisième classe. Ni la Commission ni la plaignante n'est en mesure de confirmer quand le numéro du 11 juin 1991 a été livré à la Trenton, ni quand le président de l'entreprise (ou tout autre agent responsable) aurait pu avoir l'occasion de prendre connaissance de l'octroi du marché, marché à l'égard duquel il ignorait qu'un avis serait publié. Le 24 juillet 1991, lorsqu'on lui a demandé la date du dernier numéro reçu, l'adjointe du président a répliqué que le dernier numéro reçu par la Trenton portait la date du 19 juillet 1991.

Le MAS, tel que mentionné ci-dessus, a souligné qu'il fallait compter deux jours (on doit supposer que cette période comprend le délai habituel de livraison et le temps mis pour faire une première lecture de la publication) au titre de la «découverte» des motifs de la plainte. La Commission s'interroge sur cette période de deux jours car on n'y fait allusion ni dans le Règlement sur la CRMP, ni dans aucune des décisions rendues par la Commission traitant du respect des délais, ni dans la publication «Marchés publics».

La Commission est aussi abonnée à la publication «Marchés publics», qui lui est transmise par courrier de première classe. Une analyse des délais de livraison des numéros les plus récents révèle que cette publication parvient au bureau de la Commission, à Ottawa, dans un délai de un à quatre jours suivant la date de parution, la norme étant de deux à trois jours.

Par conséquent, aux fins de déterminer si la plainte a été déposée dans le délai prescrit dans le Règlement, la Commission n'éprouve aucune difficulté à statuer que le délai a été respecté.

L'enquête

Les allégations de la plaignante, la réponse du gouvernement à ces allégations et les observations de la plaignante à l'égard de la réponse du gouvernement ont fait l'objet d'une enquête au moyen d'entrevues et d'un examen des documents portés dans le dossier du MAS concernant ce marché.

Un certain nombre de particuliers ont été interviewés en personne ou par téléphone afin de confirmer certaines des déclarations qu'on leur prêtait ou qui figuraient dans les documents. Ce sont :

- Madame Joanne Valin, MAS, Bureau auxiliaire d'approvisionnement de Laval (agente de négociation des contrats);

- Monsieur Gilles Vanier, SCC, Centre régional d'approvisionnement du Québec (chef, Gestion de l'approvisionnement);

- Monsieur John McHardy, SCC, Opérations industrielles (OI), CORCAN (directeur adjoint par intérim);

- Monsieur John Lancaster, SCC, CORCAN (OI) (technologue principal en fabrication);

- Monsieur Roger Parker (Président) et Madame Mary Chandler (adjointe de Monsieur Parker), tous deux de la Trenton Textile Mills Limited;

- Monsieur Claude McDonald, Tandem Fabrics Inc., Cambridge, en Ontario (gestionnaire, Service du crédit et des douanes) (adjudicataire du marché).

Par suite de la mise en oeuvre d'une nouvelle procédure, dont avis a été signifié par la Commission dans la publication «Marchés publics» la semaine du 18 février 1991, une copie de la version préliminaire du rapport d'enquête a été transmise à l'institution fédérale et à la plaignante aux fins de recueillir leurs observations avant que le rapport ne soit déposé auprès de la Commission. Les deux parties ont formulé, par écrit, de brèves observations et ces dernières ont été annexées au rapport d'enquête; la Commission en a tenu compte aux fins d'en arriver à sa décision.

Ont aussi été annexés au rapport d'enquête un certain nombre de documents jugés pertinents par le personnel chargé de l'enquête pour le fond dudit rapport. La présente décision ne mentionne pas expressément tous ces documents justificatifs, mais ils ont tous été mis à la disposition des parties et, sous réserve des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information, toute autre personne peut également les consulter.

Comme l'enquête a permis de recueillir suffisamment de renseignements pour que la Commission puisse trancher, selon elle, les questions soulevées dans la plainte, elle a décidé de ne pas tenir d'audience officielle dans cette affaire. Pour en arriver à ses conclusions, la Commission a examiné le rapport d'enquête préparé par son personnel et fondé sa décision sur les faits essentiellement connus des parties qui y sont exposés et dont les éléments les plus pertinents sont mentionnés dans la présente décision.

Dans les observations qu'il a formulées à l'égard du Rapport d'enquête préliminaire, le MAS a souligné :

[TRADUCTION]

«Si la Commission estime, en l'espèce, que le litige concerne les procédures empruntées par la Couronne pour définir ses besoins, alors le gouvernement prie respectueusement la Commission de tenir une audience où il pourra apporter des preuves et présenter des arguments à l'appui des procédures qu'il emprunte.»

Comme on le constatera plus loin dans cette décision, la Commission n'a constaté rien de discriminatoire dans la façon empruntée par le gouvernement pour définir ses besoins dans la mesure où ils sont exprimés en des termes génériques, quoique, en l'espèce, ils auraient dû être assortis de l'expression «ou l'équivalent». On reviendra plus loin sur ce point. Plutôt, la Commission a concentré, dès le départ, son attention sur les procédures empruntées par le gouvernement pour satisfaire ces besoins.

À cet égard, les preuves sont très claires et ni le gouvernement ni la plaignante ne devraient être tenus d'engager des frais additionnels afin de fournir un complément d'information.

L'adjudication

La CORCAN fabrique, depuis quinze ans, plusieurs gammes de meubles rembourrés, y compris, depuis 1987, des chaises ergonomiques (se reporter à l'Annexe 2 du Rapport d'enquête). Au cours de cette période, la CORCAN s'est approvisionnée en tissu auprès de nombreux fournisseurs, y compris la Trenton et la Tandem. La CORCAN se qualifie elle-même d'entreprise de taille moyenne qui fabrique des gammes de produits de pointe et qui, par conséquent, doit utiliser des tissus qui sont aussi le fruit de techniques de pointe. En 1990-1991, la CORCAN a réalisé, au titre de la vente de chaises ergonomiques, un chiffre d'affaires de 1 989 466 $. Parmi sa clientèle, la CORCAN compte des ministères fédéraux, des organismes provinciaux et municipaux, des agences et des organismes sans but lucratif. La CORCAN met elle-même au point ses gammes de produits et peut également concevoir des produits adaptés aux besoins particuliers d'un client. Aux fins de la fabrication de chaises ergonomiques, la CORCAN en achète les composantes, qu'elle qualifie de «matières premières» (se reporter à l'Annexe 3 du Rapport d'enquête) par l'entremise du MAS. Les dessins, les plans et les spécifications se rapportant à tous les produits sont établis par l'administration centrale, à Ottawa, une fois identifiées, au moyen d'études du marché, les tendances et les couleurs les plus populaires. Ces composantes sont consignées dans la Liste nationale de codage des matières premières de la CORCAN, où sont précisés la marque de commerce et la description du produit et le code attribué par la CORCAN. C'est à l'Établissement Leclerc, à Laval, au Québec, que sont fabriquées les chaises ergonomiques. L'achat des matières premières est effectué localement, c'est-à-dire par le Bureau auxiliaire d'approvisionnement du MAS, à Laval, pour le compte du Centre régional d'approvisionnement du Québec du SCC.

Le tissu, qui est réputé une matière première, doit satisfaire à certaines spécifications et normes élaborées par l'administration centrale de la CORCAN. Au moment de choisir un tissu, la CORCAN a indiqué à la Commission qu'elle communique avec cinq ou six fournisseurs et qu'elle leur demande de lui présenter des échantillons de tissu satisfaisant à des spécifications et à des normes précises. Ensuite, des prototypes de chaises sont revêtus des divers échantillons de tissu puis mis à l'essai dans des bureaux. Selon le technologue principal en fabrication, la décision, au titre du choix du tissu, appartient au Service de marketing, qui fonde son choix sur les goûts du jour, les préférences personnelles, la résistance à l'usure, la couleur et la texture.

Selon le directeur adjoint par intérim des Opérations industrielles de la CORCAN, même si cette gamme de produits a évolué en raison de l'avènement de nouvelles techniques et des améliorations qui y ont été apportées, à moins qu'il n'y ait des plaintes concernant la performance du tissu ou qu'il y ait évolution des tendances du marché, la CORCAN a pour règle de ne pas changer une matière première choisie afin d'être en mesure de proposer à sa clientèle un choix cohérent au titre de la texture, des motifs et des couleurs des tissus.

La Tandem était titulaire d'une offre permanente visant à approvisionner la CORCAN en tissu «Canton», offre permanente qui est arrivée à échéance le 31 mars 1991. Le 24 avril 1991, le Bureau du MAS, à Laval, a reçu de la CORCAN une demande (se reporter à l'Annexe 4 du Rapport d'enquête), datée du 22 avril 1991, concernant la passation d'un marché visant l'achat de 5 600 mètres de tissu «Canton» de la Tandem, de cinq couleurs différentes, d'une valeur estimative de 95 000 $. La demande précisait que la livraison du tissu devait se faire le 30 avril 1991 et portait la mention «urgent». Cette demande avait pour objet de satisfaire les besoins immédiats de la CORCAN.

En outre, à peu près au même moment, une autre demande visant l'octroi d'une nouvelle offre permanente principale, en remplacement de celle qui était échue le mois précédent, a été préparée et transmise au MAS. Cette demande s'est également traduite par l'attribution d'un marché à fournisseur unique à la Tandem d'une valeur de 272 400 $. Ce marché a aussi suscité le dépôt d'une plainte auprès de la Commission, mais comme la valeur du marché se situait au-delà du seuil prévu dans l'Accord de libre-échange (ALÉ), nommément 210 000 $, la Commission n'avait pas compétence pour instruire la plainte en question.

Outre la description du produit et la mention des normes devant être satisfaites ou dépassées, la demande portait le nom du fournisseur (Tandem) de même que la mention suivante :

(Fournisseur unique - Aucun substitut - Ci-joint lettre explicative)

La demande portait la mention suivante à l'appui de la passation d'un marché à fournisseur unique :

«Le produit a été identifié comme tant [sic] le seul à rencontrer les plans et spécifications pour la fabrication de nos chaises ergonomiques. Toutes les études, tests et vérifications ont été faits avant l'approbation de ce tissu spécifique par notre division CORCAN de l'administration centrale.

De plus, notre ligne de production a été conçue en relation avec ce type de composantes de chaises ergonomiques.»

La «lettre explicative», à laquelle il est fait allusion ci-dessus et qui était annexée à la demande, est une note de service (se reporter à l'Annexe 4 du Rapport d'enquête) portant la date du 16 avril 1991 adressée par l'Établissement Leclerc au magasin régional.

Dans cette lettre, on insiste sur les points suivants :

«... l'achat de cette matière première est indispensable à la fabrication des chaises ergonomiques qui devront être livrées dans les mois d'avril, mai et juin 1991.

Nous avons fait une offre permanente pour ce produit dont les soumissions et la livraison se feront dans quelques mois. Il nous est impossible d'attendre ce délai sans nous retrouver dans l'obligation de fermer nos ateliers industriels pour manque de matières premières. La compagnie mentionnée sur ce DIV [Demand Issue Voucher] a déjà en main le produit demandé et peut nous le fournir dans un délai relativement court, ce qui nous permettra de garder nos ateliers ouverts même si nous devons fonctionner au ralenti.

Il est donc très important, pour ne pas occasionner d'arrêt de travail, que ce contrat soit donné dans le plus bref délai à la compagnie proposée.»

Dans une note au dossier, datée du 25 avril 1991 (se reporter à l'Annexe 5 du Rapport d'enquête), l'agente de négociation des contrats a accepté les motifs présentés à l'appui de l'octroi d'un marché à fournisseur unique.

Selon l'agente de négociation des contrats, il n'y avait pas lieu de contester les motifs énoncés à l'appui de cette demande, car ce genre de demande est monnaie courante et la liste des fournisseurs est établie par le client.

Le 26 avril 1991, l'agente de négociation des contrats a rempli un formulaire intitulé «Exemption au libre-échange» (se reporter à l'Annexe 6 du Rapport d'enquête). Comme il a été établi que les dispositions du chapitre 13 de l'Accord de libre-échange, en raison de la valeur et du genre de marché, devaient s'appliquer, la raison invoquée pour justifier l'octroi d'un marché à fournisseur unique a été la suivante :

«... Lorsqu'il s'agit de livraisons supplémentaires que doit assurer le fournisseur d'origine relativement à des pièces de rechange destinées à des fournitures ou à des installations existantes, et que ces pièces doivent être ajoutées à des fournitures ou à des installations existantes, si un changement de fournisseur obligerait le client à acheter du matériel qui ne répond pas aux exigences de compatibilité avec le matériel existant. Cela comprend les logiciels dans la mesure où le marché initial de logiciels était couvert par le Code.»

Il s'agit d'un énoncé fort similaire à l'alinéa 16(d) de l'article V du Code du GATT.

Sur le formulaire «Demande d'autorisation - Sommaire», il est précisé que les dispositions de l'Accord de libre-échange ne s'appliquent pas car il s'agit d'un marché à fournisseur unique et que, compte tenu des délais, il n'existait aucun produit de rechange satisfaisant. (Se reporter à l'Annexe 9 du Rapport d'enquête).

Le marché, daté du 15 mai 1991, a été octroyé à la Tandem (se reporter à l'Annexe 10 du Rapport d'enquête), marché d'une valeur de 104 260,80 $. Un «Avis d'adjudication de contrat» a été publié dans «Marchés publics» le 11 juin 1991. Selon les motifs étayant l'octroi d'un marché à fournisseur unique publiés dans «Marchés publics», le marché était visé par l'alinéa 16(b) de l'article V du Code du GATT qui concerne l'octroi d'un marché à un fournisseur lorsqu'il s'impose de protéger des droits exclusifs, par exemple, des droits de brevet ou de reproduction, et qu'il n'existe aucun produit de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisant. Le MAS a reconnu qu'il s'agissait là d'une erreur.

La question à trancher

La question à trancher, en l'espèce, est fort simple, à savoir la pertinence des procédures empruntées par la CORCAN et le MAS pour faire l'achat de tissu d'ameublement. Les dispositions de l'Accord du GATT relatif aux marchés publics, qui s'appliquent aussi aux marchés visés par l'Accord de libre-échange, sont fort précises et sont énoncées au paragraphe 3 de l'article IV :

«Il ne devra pas être exigé ou mentionné de marques de fabrique ou de commerce, de brevets, de modèles ou de types particuliers, ni d'origines ou de producteurs déterminés, à moins qu'il n'existe pas d'autre moyen suffisamment précis ou intelligible de décrire les conditions du marché et à la condition que des termes tels que «ou l'équivalent» figurent dans les appels d'offres.

Par ailleurs, le Code du GATT consent également aux organismes acheteurs le droit d'octroyer un marché à un fournisseur unique «...à la condition que l'appel d'offre unique ne soit pas utilisé en vue de ramener la concurrence en deçà du maximum possible, ou d'une manière qui constituerait un moyen de discrimination entre fournisseurs étrangers ou de protection des producteurs nationaux: ...»

La raison invoquée à l'appui de l'octroi d'un marché à fournisseur unique, conformément aux dispositions du Code du GATT (quoiqu'il ne s'agisse pas de la raison publiée dans les «Marchés publics») a été la suivante :

«Lorsqu'il s'agit de livraisons supplémentaires que doit assurer le fournisseur d'origine relativement à des pièces de rechange destinées à des fournitures ou à des installations existantes, et que ces pièces doivent être ajoutées à des fournitures ou à des installations existantes, si un changement de fournisseur obligerait le client à acheter du matériel qui ne répond pas aux exigences de compatibilité avec le matériel existant.» (sic)

La Commission s'est prononcée, dans d'autres décisions, sur le bien-fondé d'invoquer un tel motif aux fins d'octroyer un marché à fournisseur unique. Elle tient à souligner que les dispositions du Code du GATT n'imposent pas à quiconque l'obligation d'acheter un produit qui n'est pas conforme aux spécifications ou de s'approvisionner auprès d'un fournisseur qui n'est pas en mesure de livrer le produit en temps voulu. Cependant, en l'espèce, nous sommes confrontés à un autre facteur car la raison mentionnée ci-dessus fait allusion à des «pièces» et à du «matériel», et non à du tissu d'ameublement. Une analyse des autres motifs stipulés dans le Code révèle qu'aucun d'entre eux ne s'applique. Et même si l'on devait interpréter les termes «pièces» et «matériel» de façon à ce qu'ils englobent le terme «tissu», il s'agirait purement d'un débat théorique car l'ingénieur-chef de la CORCAN a affirmé qu'il était disposé à faire affaires avec d'autres fournisseurs s'ils satisfaisaient aux critères établis.

Dans une note de service, datée du 10 juillet 1991, il déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

«Si la Trenton Textiles est en mesure de fournir un tissu conforme en tous points aux spécifications établies et aux couleurs souhaitées, si elle est disposée à stocker ce tissu et à ne pas imposer de conditions au titre des commandes minimales, et si elle est en mesure de livrer rapidement et à un prix concurrentiel du tissu de rechange, alors il faudrait la retenir à titre de fournisseur potentiel. Afin d'assurer la qualité du produit, il doit être certifié conforme à la norme ISO 9002 ou à une norme équivalente.»

Voilà, dans les faits, les exigences établies par la CORCAN pour procéder par voie d'appel d'offres ouvert, ce que demandait la Trenton. Bien que ni dans le marché actuel ni dans l'appel d'offres il ne soit fait état de toutes ces exigences, il ne semble pas déraisonnable, aux yeux de la Commission, que de telles conditions soient imposées à tous les soumissionnaires. Par conséquent, la raison invoquée à l'appui de l'octroi d'un marché à fournisseur unique n'est pas valable et la Commission statue en faveur de la plaignante.

La Commission comprend fort bien pourquoi, dans certaines circonstances, il s'impose de contrôler au préalable la compétence des fournisseurs et la qualité de leur produit et, de fait, le Code du GATT prévoit des dispositions à cet égard, dispositions qui s'appliquent également aux marchés visés par l'ALÉ.

Dans le numéro du 25 janvier 1991 de «Marchés publics», le MAS a publié les procédures qu'il emprunte pour contrôler la compétence des fournisseurs avant de les porter sur ses listes de fournisseurs qui sont invités lors d'appels d'offres restreints concernant, notamment, des marchés relatifs à certaines catégories de produits visés par l'Accord du GATT et l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis.

Le tissu destiné à la fabrication de chaises ergonomiques ne figure pas dans la liste des catégories de produits.

Le MAS, dans le résumé du Rapport de l'institution fédérale, a affirmé ce qui suit :

[TRADUCTION]

«Le ministère client a précisé, dans sa demande, que le tissu en question avait été identifié par les Industries CORCAN comme étant le seul tissu conforme aux spécifications relatives à la fabrication de chaises ergonomiques.»

La Commission n'est pas en mesure d'établir comment la CORCAN en est arrivée à cette conclusion. On a présenté à la Commission la procédure empruntée par la CORCAN pour choisir un tissu. Cependant, il s'avérerait faux de conclure, en se fondant sur cette procédure, qu'aucune autre entreprise au Canada ou aux États-Unis n'est en mesure de fabriquer un tissu conforme aux spécifications établies, pourvu qu'elles soient énoncées clairement.

En outre, le MAS a souligné que la CORCAN avait soulevé de nombreuses autres raisons à l'appui de l'octroi d'un marché à fournisseur unique :

[TRADUCTION]

«La CORCAN a précisé que sa chaîne de production avait été conçue en fonction de ce tissu et que tout changement, à ce titre, entraînerait, pour le SCC, des dépenses additionnelles (des frais d'investissement, de main-d'oeuvre), car la CORCAN devrait modifier, en conséquence, sa chaîne de production.

La CORCAN dispose, à l'heure actuelle, d'une salle de montre et d'un catalogue de ses produits où sont présentés des échantillons des tissus utilisés aux fins de la fabrication de chaises ergonomiques.

Un changement de tissu entraînerait pour la CORCAN des dépenses additionnelles importantes, car elle devrait alors redécorer sa salle de montre et faire imprimer un nouveau catalogue afin que les produits proposés soient conformes aux spécifications et aux échantillons.»

Sans examiner le fond de ces trois points, il importe de souligner la mention qui figure dans le catalogue de la CORCAN, à savoir «Ces caractéristiques entrent en vigueur au moment de l'impression. Des changements à la finition, au tissu et à la couleur des articles peuvent être apportés sans préavis; veuillez consulter le représentant de votre région.»

DÉCISION

La Commission a statué, à la lumière de son enquête, que le présent marché conclu par le ministère des Approvisionnements et Services n'est pas conforme aux exigences énoncées à l'article 17 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange dans la mesure où il n'a pas donné à tous les fournisseurs potentiels une chance égale de répondre aux exigences de l'organisme acheteur à l'étape de l'appel d'offres et de la soumission, les motifs ayant été invoqués à l'appui de l'octroi d'un marché à fournisseur unique n'étant pas pertinents.

La Commission adjuge à la plaignante le remboursement des frais entraînés par le dépôt et l'instruction de la plainte. La Commission recommande également que, dorénavant, l'acquisition de tels biens, dans des circonstances similaires, soient concurrencés conformément aux dispositions de l'Accord de libre-échange.

Gerald A. Berger
_________________________
Gerald A. Berger
Président
Commission de révision des marchés publics du Canada


[ Table des matières]

Publication initiale : le 28 août 1997