INFORMATION SYSTEMS MANAGEMENT CORPORATION

Décisions


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Dossier no : PR-95-040

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le mardi 30 juillet 1996

EU ÉGARD À une plainte déposée par ISM Information Systems Management Corporation aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), modifiée par L.C. 1993, ch. 44;

ET EU ÉGARD À une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée.

Arthur B. Trudeau

_________________________

Arthur B. Trudeau

Membre



Michel P. Granger

_________________________

Michel P. Granger

Secrétaire

Dossier no : PR-95-040

Date de la décision :

Le 30 juillet 1996

Membre du Tribunal :

Arthur B. Trudeau

Gestionnaire d’enquête :

Randolph W. Heggart

Avocat pour le Tribunal :

Gerry Stobo

Plaignant :

ISM Information Systems Management Corporation

Intervenants :

Association canadienne de technologie de pointe

Association canadienne de la technologie de l’information

Nuvo Network Management

Sierra Systems Consultants Inc.

Stratus Computer Corp.

Unisys Canada Inc.

Avocat pour le plaignant :

Dalton Albrecht

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

Introduction

Le 3 avril 1996, la société ISM Information Systems Management Corporation (le plaignant) a déposé une plainte, aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (la Loi sur le TCCE), concernant le marché public passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) (numéro de l’invitation EW EN869-5-8125/000/B) pour la fourniture de services techniques de soutien de réseaux locaux (RL) et d’environ 8 000 postes de travail dans la région de la capitale nationale et ailleurs au Canada.

Le plaignant allègue que la responsabilité illimitée des soumissionnaires imposée par les articles 19, 20 et 23 des Conditions générales - Services DSS-MAS 9676 (les DSS-MAS 9676), qui sont tirées du manuel intitulé Clauses et conditions uniformisées d’achat, est contraire à l’article 1009 de l’Accord de libre-échange nord-américain [2] (l’ALÉNA), pour le motif qu’elle est discriminatoire à l’égard du plaignant et incompatible avec les procédures de qualification des fournisseurs prévues à l’ALÉNA. En outre, le plaignant affirme que le caractère obligatoire des articles 19, 20 et 23 des DSS-MAS 9676 est contraire à l’article 1015 de l’ALÉNA. Ces caractéristiques ne peuvent découler que d’un usage impropre de la procédure de passation des marchés publics. Le plaignant a demandé, à titre de mesures correctives, que le Ministère lance un nouvel appel d’offres et fasse de l’acceptation des indemnités prévues aux articles 19, 20 et 23 des DSS-MAS 9676 un critère souhaitable. À titre de seconde solution, le plaignant a demandé que le Ministère évalue les soumissions présentées en reconnaissant qu’il n’est pas obligatoire pour les soumissionnaires d’accepter les indemnités susmentionnées. Enfin, le plaignant a demandé de recevoir un dédommagement égal aux coûts engagés pour préparer la soumission et déposer la plainte.

Enquête

Le 4 avril 1996, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a déterminé que les conditions d’enquête précisées à l’article 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [3] (le Règlement) avaient été remplies relativement à la plainte et a décidé d’enquêter sur la question pour déterminer si le marché public avait été passé conformément aux exigences énoncées au chapitre 10 de l’ALÉNA.

Le 10 mai 1996, le Ministère a déposé auprès du Tribunal un rapport de l’institution fédérale (RIF) en application de l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [4] . Le plaignant a déposé ses observations préliminaires sur le RIF auprès du Tribunal le 3 juin 1996 et ses observations définitives le 17 juin 1996. Le RIF et les observations faites sur ce document ont été mis à la disposition de toutes les parties. Trois intervenants ont déposé des exposés sur cette question.

Étant donné que les renseignements figurant au dossier permettaient de déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience et a rendu une décision fondée sur les renseignements au dossier.

Procédure de passation des marchés publics

Le 20 octobre 1995, le Ministère a reçu de Services gouvernementaux de télécommunications et d’informatique, un des secteurs constituants du Ministère, une demande portant sur le besoin en question. La demande visait la fourniture de services de réparation du matériel des serveurs, des postes de travail, des imprimantes et autres périphériques des RL dans la région de la capitale nationale et dans d’autres régions du Canada.

Le 5 janvier 1996, le Ministère a publié un avis, qui a paru dans Marchés publics et qui a été affiché par le Service des invitations ouvertes à soumissionner, concernant la publication anticipée d’une demande de proposition (DDP). L’objet de cet avis était d’informer les fournisseurs potentiels qu’ils pouvaient examiner un document préliminaire et faire des observations sur les exigences, notamment sur un marché modèle, avant la publication officielle de la DDP. Cet avis invitait également les soumissionnaires potentiels à assister à une séance d’information le 15 janvier 1996.

Selon le Ministère, 40 fournisseurs ont demandé ?E0… obtenir un exemplaire anticipé de la DDP et 15 fournisseurs ont assisté à la réunion d’information. Aux termes de ce processus, 5 entreprises, dont le plaignant, ont présenté des réponses officielles indiquant les aspects de la DDP qu’ils souhaiteraient voir améliorés. Après avoir modifié en conséquence la version anticipée de la DDP, le Ministère a publié, le 6 février 1996, la DDP relative à cet appel d’offres par l’entremise du Service des invitations ouvertes à soumissionner. La date limite initiale de remise des soumissions fixée au 13 mars 1996 a été reportée au 27 mars 1996 pendant la période de soumission.

La DDP renferme diverses dispositions qui revêtent un intérêt particulier dans la présente affaire.

L’article 6.0 de la DDP, «OBSERVATION DE LA DDP», prévoit ce qui suit :

Toutes les clauses, modalités, conditions et autres exigences de la présente DDP sont jugées être OBLIGATOIRES, sauf indication contraire. [...] Les propositions qui ne se conforment pas à toutes les conditions OBLIGATOIRES de la présente DDP ne seront pas retenues pour examen.

[Traduction]

L’article 13.0 de la DDP, «INSTRUCTIONS GÉNÉRALES AUX SOUMISSIONNAIRES», prévoit, en partie, ce qui suit :

À la suite de la présente DDP, la Couronne a l’intention de n’adjuger qu’un seul marché au soumissionnaire dont la proposition :

- satisfait à toutes les conditions obligatoires; ET

- est conforme aux Conditions générales DSS-MAS 9676 (03/95) ainsi qu’aux modalités et conditions du marché qui y sont spécifiées; [...]

Votre proposition sera réputée recevable dans la mesure où vous remplissez toutes les conditions de la présente DDP qualifiées d’obligatoires.

[Traduction]

L’article 21.0 de la DDP, «ÉVALUATION DE L’OBSERVATION», précise, en partie, ce qui suit :

Le soumissionnaire doit, non seulement satisfaire aux autres conditions obligatoires énoncées dans les présentes, mais convaincre également la Couronne qu’il a la capacité financière d’exécuter les travaux conformément au marché.

[Traduction]

L’article 25.0 de la DDP, «INSTRUCTIONS ET CONDITIONS UNIFORMISÉES», prévoit, en partie, ce qui suit :

MODALITÉS ET CONDITIONS DU MARCHÉ

Conformément à la Loi sur le ministère des Approvisionnements et Services, L.R.C. (1985), ch. S-25, les modalités, conditions et clauses générales désignées dans les présentes par un titre, un numéro et une date sont intégrées par renvoi au présent marché et en font partie, comme si elles étaient expressément énoncées dans les présentes, sous réserve de toute autre modalité ou condition expressément énoncée dans les présentes.

CONDITIONS GÉNÉRALES

Les Conditions générales DSS-[MAS] 9676 (31/03/95) - Services s’appliqueront au présent marché et en font partie. L’entreprise reconnaît avoir reçu un exemplaire des DSS-[MAS] 9676.

[Traduction]

Selon le Ministère, conformément aux dispositions de la «Politique provisoire sur l’indemnisation accordée dans les marchés [5] » du Conseil du Trésor et compte tenu du fait qu’il était très probable que cette DDP donne lieu à des soumissions concurrentielles, le Ministère a décidé d’inclure dans la DDP diverses clauses pour assurer l’indemnisation intégrale de la Couronne.

L’article 19 des DSS-MAS 9676, intitulé «Protection contre les réclamations de tiers», prévoit ce qui suit :

(1) L’entrepreneur indemnise le Canada et le Ministre, ainsi que leurs préposés et mandataires, et les dégage de toute responsabilité, à l’égard de tous dommages-intérêts ou frais subis par eux collectivement ou individuellement, et de toute action, réclamation, poursuite ou autre procédure dirigée contre eux collectivement ou individuellement, à tout moment, en raison :

a) de préjudice corporel (incluant le préjudice entraînant le décès) ou de la perte ou l’endommagement du bien d’autrui qui peuvent résulter, ou dont on allègue qu’ils résultent de l’exécution des travaux ou d’une partie de ceux-ci, étant entendu que le Canada et le Ministre ne peuvent se prévaloir de la protection du présent article lorsque le préjudice, la perte ou l’endommagement est causé par le Canada;

b) de tout privilège, saisie, sûreté ou autre charge ou créance visant des matériaux, des pièces, des travaux en cours ou des travaux achevés fournis au Canada ou à l’égard desquels celui-ci a effectué un paiement.

(2) Le Ministre informe l’entrepreneur de toute réclamation, action, poursuite ou procédure visée au paragraphe (1) et, lorsque le procureur général du Canada lui en fait la demande, l’entrepreneur, à ses frais, prend part à la contestation de la réclamation, de l’action, de la poursuite ou de la procédure et aux négociations visant à les régler, ou dirige cette contestation et ces négociations, mais il n’indemnise le Canada du paiement effectué dans le cadre d’un règlement que s’il a consenti à celui-ci.

L’article 20 des DSS-MAS 9676 intitulé «Redevances et violations» précise ce qui suit :

(1) Aux fins du présent article, «redevances» comprend les éléments suivants :

a) les droits et autres versements apparentés aux redevances, ainsi que les actions en dommages-intérêts, liés à l’utilisation ou à la violation d’un brevet, d’un dessin industriel déposé, d’une marque de commerce, d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, d’un secret industriel ou d’un autre droit de propriété intellectuelle;

b) les frais engagés en raison de l’exercice, par quiconque, de droits moraux.

(2) Sous réserve du paragraphe (4), l’entrepreneur indemnise le Canada et le Ministre, ainsi que leurs préposés et mandataires, et les dégage de toute responsabilité, à l’égard de toute action, réclamation, poursuite ou autre procédure en vue du paiement de redevances, fondée ou dont on allègue qu’elle est fondée sur l’exécution du contrat ou sur l’utilisation ou l’aliénation, par le Canada, de toute chose fournie par l’entrepreneur aux termes du contrat.

(3) Le Canada indemnise l’entrepreneur ainsi que ses préposés et mandataires, et les dégage de toute responsabilité, à l’égard de toute réclamation, action, poursuite ou autre procédure visant le paiement de redevances, dont l’entrepreneur a informé sans délai le Ministre et qui résulte, ou dont on allègue qu’elle résulte, de l’utilisation, par l’entrepreneur, dans l’exécution du contrat, de matériel ou d’un devis et d’autres renseignements, qu’il n’a pas conçus et qui lui ont été fournis par le Canada ou pour le compte de ce dernier. Le Canada n’indemnise ni ne dégage l’entrepreneur de toute responsabilité à l’égard du paiement effectué dans le cadre d’un règlement que s’il a consenti à celui-ci.

(4) Le Ministre informe l’entrepreneur de toute réclamation, action, poursuite ou procédure visée au paragraphe (2) et, lorsque le procureur général du Canada lui en fait la demande, l’entrepreneur, à ses frais, prend part à la contestation de la réclamation, de l’action, de la poursuite ou de la procédure et aux négociations visant à le régler, ou dirige cette contestation ou ces négociations, mais il n’est tenu d’indemniser ni de dégager le Canada de toute responsabilité à l’égard du paiement effectué dans le cadre d’un règlement que s’il a consenti à celui-ci.

(5) L’entrepreneur informe le Ministre du montant des redevances que lui, ou un des sous-traitants, est ou pourrait être tenu de payer, ou propose de payer, relativement à l’exécution du contrat, ainsi que du fondement de ces redevances et de l’identité des personnes auxquelles elles sont dues. Il informe sans délai le Ministre des réclamations qui pourraient occasionner d’autres paiements de redevances par l’entrepreneur ou l’un ou l’autre des sous-traitants.

(6) En accord avec les directives du Ministre en ce sens, l’entrepreneur ne paie pas et enjoint ses sous-traitants de ne pas payer de redevances relativement à l’exécution du contrat.

(7) Lorsque les directives visées au paragraphe (6) sont données, et sous réserve de l’observation de celles-ci par l’entrepreneur, le Canada l’indemnise ainsi que ses sous-traitants de toute réclamation, action, poursuite ou procédure relative au paiement des redevances visées par les directives.

(8) L’entrepreneur n’a droit à aucun paiement à l’égard des redevances comprises dans le prix contractuel et auxquelles s’applique l’indemnisation prévue au paragraphe (7).

L’article 23 des DSS-MAS 9676, intitulé «Manquement de la part de l’entrepreneur», prévoit, en partie, ce qui suit :

(1) Lorsque l’entrepreneur manque à une de ses obligations prévues au contrat, le Ministre peut, moyennant un avis écrit à l’entrepreneur, résilier tout ou partie du contrat soit sans délai soit à l’expiration du délai imparti dans l’avis pour remédier au manquement lorsque l’entrepreneur n’a pas, dans le délai imparti, remédié au manquement selon les exigences du Ministre.

(2) Lorsque l’entrepreneur fait faillite ou devient insolvable, qu’il cède ses biens au profit de ses créanciers, qu’il se prévaut des dispositions d’une loi sur les débiteurs en faillite ou insolvables, qu’un séquestre est désigné aux termes d’un titre de créance ou qu’une ordonnance de séquestre est prononcée à son égard ou encore, qu’une ordonnance est rendue ou qu’une résolution est adoptée en vue de la liquidation de son entreprise, le Ministre peut, dans la mesure où le permet la législation canadienne et moyennant un avis à l’entrepreneur, résilier sans délai tout ou partie du contrat pour manquement.

(3) Une fois donné l’avis prévu aux paragraphes (1) ou (2), l’entrepreneur n’a droit à aucun autre paiement que ceux prévus au présent article, mais il demeure redevable envers le Canada des sommes, y compris les paiements d’étape, versées par le Canada ainsi que des pertes et des dommages subis par celui-ci en raison du manquement ou de l’événement sur lequel l’avis était fondé, y compris l’accroissement du coût, pour le Canada, de l’exécution des travaux par un tiers. L’entrepreneur s’engage à rembourser immédiatement au Canada la portion de toute avance non liquidée à la date de la résiliation. Le présent article n’a pas d’incidence sur l’obligation légale du Canada de minimiser les dommages.

Selon le Ministère, 48 fournisseurs ont demandé à obtenir un exemplaire de la DDP. Il est courant pour le gouvernement, lorsqu’il lance un appel d’offres, d’inclure dans la documentation relative à l’appel d’offres des dispositions dont l’objet est de susciter un dialogue entre les fournisseurs potentiels et le gouvernement au cours de la période de soumission. Les fournisseurs potentiels peuvent alors présenter des questions ou chercher à obtenir des éclaircissements sur la DDP. L’article 14.0 de la DDP explique en détail comment les communications et les demandes de renseignements devaient s’effectuer entre les soumissionnaires et le gouvernement au cours de la période de soumission. Si les demandes de renseignements portaient sur une question de fond, la question et la réponse pouvaient être communiquées à toutes les entreprises recevant la DDP. Dans la présente affaire, 79 questions ont été posées et les réponses ont été fournies dans 6 mises à jour successives de la DDP. Le Ministère a répondu à la question no 77.0 portant sur l’observation des modalités et conditions des DSS-MAS 9676 dans la sixième mise à jour de la DDP en date du 21 mars 1996. Cette réponse est la suivante :

77.0 Q : L’article 6.0 de la DDP, «Observation de la DDP», prévoit que toutes les modalités, conditions et autres exigences de la présente DDP sont jugées être obligatoires, sauf indication contraire.

Par conséquent, les exceptions aux Conditions générales DSS-MAS 9676 ou aux modalités et conditions spécifiées dans la section D, Modalités et conditions s’appliquant à tout marché conclu, articles 25.0 à 39.0, ou aux deux à la fois, seront-elles invoquées comme motif pour écarter une proposition de tout examen ultérieur, conformément à la deuxième phrase de la DDP, section 10 - Processus d’évaluation, article 21.0 qui prévoit une évaluation de la conformité aux modalités et conditions?

R : Oui.

[Traduction]

Trois fournisseurs, dont le plaignant, ont présenté des propositions. Dans son offre, le plaignant proposait une version modifiée des modalités et conditions se rapportant aux dispositions d’indemnisation susmentionnées. Selon le Ministère, les deux autres soumissionnaires ont accepté les dispositions d’indemnisation de la DDP.

Le plaignant a déposé la présente plainte auprès du Tribunal le 3 avril 1996.

Bien-fondé de la plainte

Position du plaignant

Dans sa plainte et dans ses observations sur le RIF, le plaignant soutient que les fournisseurs [6] ne devraient pas avoir, comme condition de participation, à se conformer à une condition obligatoire qui [traduction] «leur fait courir le risque déraisonnable d’avoir à assumer une responsabilité illimitée relativement à des risques non assurables».

Plus précisément, le plaignant soutient que les dispositions d’indemnisation obligatoires de la DDP ne fixent aucun plafond au montant de l’indemnisation intégrale que l’entrepreneur doit accorder à la Couronne. Il affirme également que lesdites dispositions d’indemnisation font courir à l’entrepreneur des risques plus grands que ceux prévus par la common law. En effet, l’entrepreneur peut être tenu responsable de formes de dommages dont il n’est pas responsable aux termes de la common law et être tenu d’indemniser des pertes et des dommages qui seraient jugés être trop indirects sous le régime de la common law. En outre, le plaignant déclare qu’il n’est clairement pas essentiel pour l’exécution de la présente DDP d’accepter une responsabilité illimitée relativement aux réclamations présentées par des tiers et aux pertes et dommages indirects. Les dispositions d’indemnisation peuvent être modifiées ou plafonnées, et le Ministère a admis qu’il aurait pu passer sous silence la question de l’indemnisation dans la DDP en se fiant plutôt à la common law. Le plaignant affirme aussi que les dommages indirects sont exclus des modalités et conditions des marchés uniformisés du règlement fédéral américain. Par ailleurs, les gouvernements d’autres pays industrialisés (le Royaume-Uni et l’Australie) plafonnent la responsabilité à l’égard des réclamations présentées par des tiers et des pertes et dommages indirects. Le gouvernement du Canada, quant à lui, a plafonné la responsabilité et les réclamations présentées par des tiers, ainsi que les dommages indirects, pour d’autres marchés portant sur la technologie de l’information et pour ceux du domaine de l’industrie aérospatiale, par exemple. Par conséquent, le plaignant conclut que, dans les marchés publics du Canada et ceux des principaux partenaires commerciaux du Canada, la clause de la responsabilité illimitée peut être et est omise.

Le plaignant fait également valoir que l’indemnisation intégrale de la Couronne est contraire à l’alinéa 1009(2)b) de l’ALÉNA. Cet alinéa, selon le plaignant, est enfreint lorsqu’une qualification ou une condition de participation par les fournisseurs aux procédures de passation des marchés, qui n’est pas essentielle à l’exécution du march?E9‚ en question, devient néanmoins une condition obligatoire dans la DDP. Le plaignant soutient qu’une condition obligatoire dans une DDP est de toute évidence une qualification. En effet, le terme «qualification» signifierait, entre autres, selon le plaignant [traduction] «[u]ne condition qui doit être remplie ou satisfaite avant qu’un droit puisse être exercé, qu’un poste puisse être occupé, etc., une exigence». En l’occurrence, le fait de rendre obligatoires les dispositions d’indemnisation réduit le nombre de soumissionnaires qualifiés à ceux qui accepteront les dispositions d’indemnisation.

Le plaignant déclare, en outre, que l’indemnisation intégrale de la Couronne dans la présente DDP va également à l’encontre de l’alinéa 1009(2)d) de l’ALÉNA, en ce sens qu’elle constitue une utilisation abusive de la procédure de qualification visant à empêcher que des fournisseurs soient pris en considération pour un achat donné. En effet, le plaignant soutient que le fait d’exiger d’une entreprise spécialisée dans la fourniture de produits et de services reliés à la technologie de l’information de devenir un assureur, ne peut être qu’une utilisation abusive de la procédure de passation des marchés. C’est également abuser de cette procédure que d’obliger les entreprises à accepter des conditions déraisonnables sur le plan commercial. Par exemple, le paragraphe 23(3) des DSS-MAS 9676 ne définit pas les termes «manquement» et «événement» ni ne prévoit aucune procédure permettant à un entrepreneur de déterminer les risques qu’il court ou de participer à l’atténuation de ceux-ci. Le résultat net de cette situation est que le paragraphe 23(3) favorise la Couronne, qui devient juge et jury sur la question du manquement et des montants demandés à titre d’indemnisation.

Le plaignant affirme, en outre, que l’indemnisation intégrale de la Couronne est contraire à l’alinéa 1015(4)a) de l’ALÉNA, en ce sens que les dispositions d’indemnisation ne sont pas des conditions essentielles de la DDP et que, par conséquent, l’observation de celles-ci ne peut être une condition obligatoire de la DDP. De plus, le Ministère a également enfreint le même article de l’ALÉNA lorsqu’il a déclaré dans la DDP qu’il rejetterait les propositions qui ne se conformaient pas à cette condition de qualification non essentielle.

Le plaignant a aussi indiqué que les marchés du secteur privé dans le secteur de la technologie de l’information renferment des clauses qui limitent la responsabilité de manière à ce que les risques soient répartis plus équitablement et qui reflètent la nécessité d’assurer que la responsabilité potentielle n’est pas disproportionnée par rapport au profit escompté du marché. Sans évaluation des risques, et aucune évaluation des risques n’a été effectuée à l’égard de la présente DDP, les dispositions d’indemnisation dans les DSS-MAS 9676 ne répartissent pas les risques associés à un achat particulier et sont sans rapport avec la valeur du marché. De plus, le fait de demander une indemnisation intégrale uniquement en raison de l’existence probable de la concurrence, 1) sans effectuer une évaluation des risques avant d’envoyer la DDP afin de déterminer si une indemnisation intégrale est nécessaire ou si la responsabilité de l’entrepreneur pourrait être limitée, 2) sans tenir compte de la capacité des soumissionnaires de livrer le produit à un prix qui serait autrement rentable et 3) sans demander aux soumissionnaires de produire une preuve de leur capacité de payer l’indemnisation à la Couronne dans le cas où une réclamation importante contre celle-ci serait présentée, ne peut que constituer une utilisation abusive de la procédure de passation des marchés.

Enfin, le plaignant soutient que le respect de la «Politique provisoire sur l’indemnisation accordée dans les marchés» du Conseil du Trésor ne constitue pas une réponse, puisque cela ne résout pas les infractions aux alinéas 1009(2)b), 1009(2)d) et 1015(4)a) de l’ALÉNA ou, à tout le moins, si la politique gouvernementale sert d’excuse à une infraction des articles 1009 et 1015, la politique susmentionnée est elle-même contraire au paragraphe 1001(4) qui prévoit qu’«[a]ucune des Parties ne pourra préparer, élaborer ou autrement structurer un projet d’achat dans l’intention de se soustraire aux obligations du [chapitre 10]». Par ailleurs, le fait de s’appuyer sur la common law ne constitue pas une solution appropriée au problème. La responsabilité doit être limitée dans le secteur de la technologie de l’information parce que des dommages catastrophiques sont prévisibles au moment de la passation du marché. La responsabilité à l’égard de revendications indirectes présentées par des tiers et à l’égard de pertes et de dommages indirects devrait être plafonnée afin d’établir une proportion raisonnable entre les profits que le marché procure à l’entrepreneur et sa responsabilité potentielle.

En conclusion, le plaignant soutient que les alinéas 1009(2)b), 1009(2)d) et 1015(4)a) de l’ALÉNA doivent être interprétés dans un sens large conformément aux objectifs poursuivis par l’ALÉNA consistant, entre autres, à «favoriser la concurrence loyale dans la zone de libre-échange [7] ». Enfin, un des buts énoncés dans le préambule de l’ALÉNA est d’assurer «un environnement commercial prévisible propice à la planification d’entreprise et à l’investissement».

Positions des intervenants

Plusieurs intervenants ont déclaré que la question de l’indemnisation de la Couronne revêtait une grande importance pour eux comme pour tous les membres du secteur de la technologie de l’information.

Dans son exposé, Unisys Canada Inc. (Unisys) reprend essentiellement les arguments présentés par le plaignant. Elle ajoute, en ce qui concerne la position du Ministère selon laquelle le caractère obligatoire des dispositions d’indemnisation dans la DDP n’avait empêché aucun fournisseur éventuel de soumissionner, que le gouvernement fédéral est peut-être le plus gros acheteur de produits de la technologie de l’information au Canada et est, par conséquent, un client extrêmement important. Néanmoins, elle soutient que le fait d’obliger tous les fournisseurs à déroger à des pratiques commerciales courantes et prudentes et à fournir une indemnisation illimitée constitue de la part du gouvernement un abus de sa position dominante dans le domaine des achats. L’environnement du gouvernement ne présente rien d’inhabituel ou d’unique appuyant ou justifiant cette condition obligatoire. D’autres administrations au Canada (provinciales et municipales) ainsi que le marché commercial comprennent et acceptent sans difficulté la proposition selon laquelle il n’est pas raisonnable d’insister pour qu’un fournisseur [traduction] «mette en jeu l’ensemble de son entreprise», à toutes fins pratiques, en acceptant une responsabilité illimitée.

Dans son exposé, la société Nuvo Network Management (Nuvo) conteste la condition obligatoire exigeant une indemnisation intégrale et reprend à son compte les arguments avancés par le plaignant. Nuvo soutient, en partie, qu’il n’y a pas de corrélation directe entre la capacité d’un fournisseur d’exécuter le marché et l’obligation d’assurer une indemnisation intégrale à la Couronne. En outre, la Couronne doit être convaincue de la capacité financière de ses fournisseurs et doit vérifier s’ils remplissent les conditions garantissant l’exécution du marché à tous égards. Nuvo soutient qu’absolument aucun fournisseur ne peut satisfaire à l’exigence d’offrir une indemnisation intégrale à la Couronne puisque l’ampleur et la fréquence des réclamations présentées par des tiers et des dommages indirects sont imprévisibles et non assurables. Par conséquent, Nuvo conclut que cette condition ne peut jamais être remplie.

Dans son exposé, l’Association canadienne de la technologie de l’information (l’ACTI) déclare que la politique du gouvernement sur l’indemnisation accordée dans les marchés continue de la préoccuper. Cette politique, à son avis, est à la fois déraisonnable et discriminatoire. L’ACTI soutient qu’une approche équitable de la responsabilité du fournisseur doit reposer sur un partage raisonnable des risques entre les parties. À cet égard, elle déclare que l’assurance n’est pas une réponse pratique parce que les compagnies d’assurance ne peuvent quantifier les risques associés à une responsabilité illimitée et ne peuvent donc établir de primes appropriées. De même, la politique d’indemnisation est discriminatoire, puisque les entreprises ayant des actifs plus importants courent un plus grand risque que les fournisseurs moins importants qui ne sont peut-être pas capables de payer l’indemnité intégrale exigée aux termes du marché. En particulier, l’ACTI soutient que le caractère obligatoire de la clause d’indemnisation intégrale est contraire aux dispositions de l’ALÉNA. Une indemnisation intégrale est en effet rarement, sinon jamais, essentielle à l’exécution d’un marché réalisé pour le compte de la Couronne. Compte tenu de ces explications, l’ACTI indique qu’elle a fait les recommandations suivantes au gouvernement : 1) que le Ministère et les ministères utilisateurs soient habilités à déterminer des niveaux de partage de risques correspondant aux pratiques commerciales courantes; 2) que la Couronne adopte des conditions commerciales qui excluent les dommages indirects et les réclamations présentées par des tiers; 3) que l’obligation de protéger la Couronne soit limitée aux risques assurables; 4) que la responsabilité de l’entrepreneur à l’égard d’autres dommages directs non spécifiés soit limitée à la valeur du marché; 5) que l’indemnisation intégrale à l’égard des produits des tiers, qui sont fournis ou intégrés par un entrepreneur, soit abandonnée, puisque la Couronne dispose de recours normaux dans le cadre des garanties contre le fournisseur des produits.

En résumé, l’ACTI soutient qu’il est dans l’intérêt de toutes les parties de résoudre la question de l’indemnisation de manière à clairement délimiter les responsabilités, tout en fournissant à la Couronne le même niveau de protection que celui exigé par d’autres autorités.

Position du Ministère

Dans sa réponse à la plainte, le Ministère soutient en général que la plainte est sans fondement puisque les dispositions d’indemnisation de la DDP sont conformes à la politique du Conseil du Trésor, s’appliquent également à tous les soumissionnaires et ne représentent rien d’autre que ce qui serait décidé en vertu de la common law. De plus, il déclare que le plaignant a mal interprété l’article 1009 de l’ALÉNA aux fins de cette plainte, puisque les alinéas de cet article invoqué par le plaignant portent sur la qualification des soumissionnaires, alors que l’obligation d’indemnisation est simplement une condition de l’exécution des travaux. De plus, le Ministère estime qu’il a clairement spécifié ce qu’il considère être les dispositions essentielles de cette condition dans la DDP, incluant les dispositions d’indemnisation, et déclare qu’il adjugera le marché conformément à ces dispositions en application de l’alinéa 1015(4)a).

Plus précisément, le Ministère soutient, en partie, que dans son résumé des dispositions d’indemnisation de la DDP, le plaignant a créé un malentendu concernant ce qui est réellement requis. Les soumissionnaires ne sont pas tenus d’accepter, selon le cas, d’indemniser la Couronne de façon illimitée et sans nuances pour toutes les pertes qu’une personne aurait pu infliger à la Couronne à tout moment ou pour toutes les réclamations susceptibles d’être présentées contre celle-ci. Les dispositions d’indemnisation des DSS-MAS 9676 sont essentiellement celles auxquelles le gouvernement ou tout autre acheteur aurait droit aux termes de la common law. Ces dispositions ne rendent pas l’entrepreneur responsable des pertes causées par la Couronne. Le Ministère affirme que le fait d’exiger d’une partie et des entrepreneurs, qu’ils soient responsables des pertes qu’ils causent n’est pas déraisonnable. À cet égard, le Ministère indique que la souscription d’une assurance commerciale n’est qu’une façon de gérer les risques, et que la question de savoir si les risques sont ou non gérés de cette manière est une décision d’affaires qui relève exclusivement de l’entrepreneur.

Le Ministère soutient également que le Conseil du Trésor a toujours eu pour politique de chercher à obtenir une indemnisation intégrale si possible et que cette politique est un reflet de la pratique d’auto-assurance poursuivie de longue date par le gouvernement fédéral. Bien que l’approche fondamentale susmentionnée puisse comporter des exceptions, p. ex. un seul fournisseur des produits ou des services, ou l’existence d’un degré élevé d’incertitude concernant la nature de la demande, elle devrait être la norme en régime de concurrence. Or, le Ministère s’attendait à ce qu’une situation en régime de concurrence existe en l’espèce. À cet égard, le Ministère affirme carrément qu’aucune évaluation des risques n’a été effectuée relativement à cet appel d’offres, puisqu’il a été déterminé à l’étape de la planification de la DDP qu’il existait une forte probabilité que la réponse soit concurrentielle.

Le Ministère déclare en outre que, dans le passé, il a, à l’occasion, obtenu une indemnisation du plaignant conformément aux DSS-MAS 9676. Il est d’avis que, si l’on négociait maintenant les clauses contractuelles relatives à la répartition du risque après que l’observation des conditions de la DDP a été déterminée, comme le propose le plaignant, il serait inutile d’indiquer que les conditions d’indemnisation sont obligatoires, ce qui serait injuste à l’égard d’autres soumissionnaires qui n’ont pas eu l’occasion de soumissionner dans ces conditions. Le Ministère admet qu’au cours du processus d’appel d’offres il a discuté avec le plaignant de la possibilité de modifier ce critère d’évaluation de manière à ce que l’indemnisation intégrale soit un critère souhaitable. À aucun moment, cependant, l’autorité contractuelle du Ministère n’a-t-elle déclaré que les dispositions d’indemnisation seraient modifiées.

Quant à savoir si la condition obligatoire d’indemnisation intégrale est une «qualification» au sens de l’alinéa 1009(2)b) de l’ALÉNA, le Ministère soutient que tel n’est pas le cas. Pour se conformer à cette condition obligatoire de la DDP [traduction] «il n’est pas nécessaire de prouver son aptitude, sa capacité, sa compétence, son expérience ou autre qualité». La décision de se conformer ou non, selon le Ministère, est une décision d’affaires qui relève entièrement du plaignant et qui n’a rien à voir avec la qualification. En ce qui concerne l’allégation du plaignant selon laquelle le Ministère n’utilise pas une procédure de qualification financière unique et cohérente, contrairement à ce qu’exige le paragraphe 1009(3), le Ministère affirme que la condition d’indemnisation intégrale de la Couronne n’est pas une procédure de qualification financière; [traduction] «[i]l s’agit de l’obligation d’accepter une condition n’exigeant aucune qualification ou preuve connexe de la part du gouvernement».

En ce qui concerne l’allégation du plaignant selon laquelle la condition obligatoire d’indemnisation intégrale de la Couronne constitue une infraction aux alinéas 1015(4)a) et 1009(2)b) de l’ALÉNA lorsqu’ils sont lus ensemble, ainsi qu’une utilisation abusive de la procédure de passation des marchés, le Ministère soutient que l’objet de l’alinéa 1009(2)b) a été respecté dans toute la mesure possible et qu’aucune section de la DDP n’empêcherait les fournisseurs d’une autre partie d’être pris en considération pour cet achat. Le Ministère affirme que la DDP est totalement conforme aux dispositions de l’article 1003, «Traitement national et non-discrimination [8] ».

Pour ce qui est de l’affirmation du plaignant selon laquelle l’indemnisation intégrale obligatoire de la Couronne par l’entrepreneur n’est pas raisonnable, le Ministère soutient qu’il est encore moins raisonnable d’exiger de la Couronne d’assumer la responsabilité de risques dont la gestion relève de l’entrepreneur et qui résultent des actions de ce dernier. L’effet réel d’une telle décision, selon le Ministère, [traduction] «serait d’exiger que la Couronne soit l’assureur non rémunéré de l’entrepreneur, en ayant peu de contrôle sur les risques potentiels, et d’obliger la Couronne à ne pas tenir compte de sa propre politique».

En résumé, le Ministère soutient que cette plainte doit être rejetée, puisqu’elle ne réussit pas à prouver que la procédure de passation des marchés, dans la présente affaire, a de quelque façon contrevenu aux obligations relatives aux procédures du chapitre 10 de l’ALÉNA.

Décision du Tribunal

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal est tenu, lorsqu’il a décidé d’enquêter, de limiter son étude à l’objet de la plainte. En outre, au terme de l’enquête, il doit déterminer le bien-fondé de la plainte en fonction du respect des critères et des procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l’article 11 du Règlement prévoit, entre autres, que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux exigences de l’ALÉNA.

La position du plaignant repose essentiellement sur les propositions suivantes : 1) l’obligation d’accepter les dispositions d’indemnisation de la DDP est clairement une qualification, en ce sens qu’il s’agit d’une condition qui doit être remplie ou satisfaite pour qu’un fournisseur puisse effectivement participer au processus de passation des marchés; 2) les dispositions d’indemnisation telles qu’elles sont énoncées dans la DDP sont injustifiées, puisqu’elles ne sont pas indispensables à l’exécution du marché ; 3) le fait de rendre, dans la présente affaire, les dispositions d’indemnisation une condition obligatoire de la DDP, par elle-même ou en raison de la politique gouvernementale, constitue une utilisation du processus à mauvais escient dans le cas de cet achat; 4) le fait d’insister pour qu’une condition, qui n’est pas essentielle à la participation des soumissionnaires, devienne une condition obligatoire de l’adjudication crée une situation irrégulière qui ne doit pas être invoquée pour déclarer qu’une soumission est conforme ou non. À titre de seconde solution, le plaignant propose que la DDP, même si elle respecte la politique du gouvernement, constitue un document qui, à son avis, a été préparé, élaboré et structuré en vue de se soustraire aux obligations du chapitre 10 de l’ALÉNA.

Les parties conviennent que les dispositions d’indemnisation en litige sont celles des articles 19, 20 et 23 des DSS-MAS 9676. Les parties conviennent également que lesdites dispositions d’indemnisation étaient des conditions obligatoires de la DDP.

Toutes les parties s’entendent également pour dire que la question de l’indemnisation dans les marchés publics est un sujet difficile et complexe. Ce que le Tribunal doit décider, cependant, c’est de savoir si les dispositions d’indemnisation des articles 19, 20 et 23 des DSS-MAS 9676, intégrées par renvoi dans la DDP comme des conditions obligatoires, enfreignent les alinéas 1009(2)b), 1009(2)d), 1015(4)a) ou le paragraphe 1001(4) de l’ALÉNA. Le Tribunal doit également décider si le Ministère agit conformément aux dispositions de l’ALÉNA lorsqu’il demande aux fournisseurs d’accepter les dispositions d’indemnisation pour déterminer la recevabilité des soumissions. Enfin, le Tribunal doit décider s’il y a ou non des éléments de preuve indiquant que cet appel d’offres a été préparé, élaboré ou structuré en vue de se soustraire aux obligations de l’ALÉNA.

La Section B du chapitre 10 de l’ALÉNA traite des procédures de passation des marchés. L’article 1009, intitulé «Qualification des fournisseurs», énumère toute une série de procédures sur le sujet en rubrique. Plus précisément, le paragraphe 1009(2) prévoit, en partie, ce qui suit :

b) les conditions de participation des fournisseurs aux procédures d’appel d’offres, y compris les garanties financières, les qualifications techniques et les renseignements nécessaires pour établir leur capacité financière, commerciale et technique, ainsi que la vérification des qualifications, se limiteront aux conditions qui sont essentielles pour s’assurer que le fournisseur est en mesure d’exécuter le marché visé;

d) la procédure de qualification des fournisseurs et le temps nécessaire à cet effet ne seront pas utilisés par une entité pour exclure d’une liste de fournisseurs les fournisseurs d’une autre Partie ou empêcher qu’ils soient pris en considération pour un achat particulier.

De l’avis du Tribunal, l’article 1009 de l’ALÉNA traite longuement de la qualification des fournisseurs et non pas des soumissions que des fournisseurs qualifiés pourraient présenter. Cet article énumère les conditions de participation des fournisseurs et non les conditions qui doivent être remplies pour qu’une soumission puisse être déclarée, sur le fond, recevable ou conforme. Cela ressort clairement, de l’avis du Tribunal, du libellé des alinéas 1009(2)b) et 1009(2)d) ainsi que de tous les autres alinéas des paragraphes (2) et (3) de l’article 1009.

Il importe de bien distinguer les expressions «qualifications des fournisseurs» et «conditions des appels d’offres». L’alinéa 1009(2)b) de l’ALÉNA exige que les conditions de participation des fournisseurs soient limitées à celles qui sont essentielles à l’exécution d’un marché donné. L’énoncé de qualifications s’appliquant aux fournisseurs a pour unique but de donner l’assurance que seuls les fournisseurs qui sont réellement capables d’exécuter le marché soient considérés dans l’adjudication de celui-ci. Dans le cas de certains marchés du gouvernement, les soumissionnaires peuvent être qualifiés à l’avance ou évalués en fonction des critères de qualification distincts de ceux du mécanisme d’appel d’offres. Dans d’autres cas, comme dans celui-ci, les qualifications des fournisseurs peuvent être évaluées dans le cadre du processus de passation des marchés. Dans l’un ou l’autre cas, les fournisseurs potentiels qui ne remplissent pas les qualifications établies ne seront pas pris en considération pour le marché. Puisque l’objet de la qualification est de donner au gouvernement l’assurance qu’un soumissionnaire est capable d’exécuter un marché donné, il importe que la qualification des fournisseurs se limite aux qualités essentielles à l’exécution dudit marché. L’imposition de qualifications sans rapport avec l’exécution du marché ou qui imposent aux fournisseurs un fardeau plus lourd que cela n’est requis pour que les travaux soient exécutés ou que le service soit fourni pourrait créer un obstacle au commerce.

Dans la présente affaire, l’article 21.0 de la DDP prévoit un exemple de qualification du fournisseur selon laquelle celui-ci doit non seulement satisfaire aux autres conditions obligatoires énoncées dans la DDP, mais convaincre la Couronne qu’il a la capacité financière d’exécuter les travaux conformément au marché. Dans la présente affaire, le Ministère n’a jamais contesté le fait que le plaignant soit un fournisseur qualifié pour cet achat. Le plaignant était autorisé à présenter une soumission, et aucun fait ou argument n’a été avancé par le Ministère ou par le plaignant donnant à penser que ce dernier pourrait ne pas se voir adjuger le marché pour le motif qu’il n’était pas qualifié.

Le Tribunal est convaincu que les dispositions d’indemnisation énoncées dans la DDP ne sont pas des conditions de participation exigeant une preuve d’aptitude, de capacité, de compétence ou d’expérience, comme cela est envisagé à l’alinéa 1009(2)b) de l’ALÉNA. La décision de se conformer aux «conditions essentielles» énumérées dans la documentation relative à l’appel d’offres relève strictement du fournisseur. Compte tenu de cette conclusion, le fait de limiter les conditions de participation à celles qui sont essentielles à l’exécution du marché ne constitue pas une considération pertinente. Par conséquent, le Tribunal n’a pas à examiner les nombreux arguments avancés par les parties sur la question qui consiste à déterminer si les dispositions d’indemnisation énoncées dans la DDP sont des conditions essentielles de qualification pour cet achat.

En ce qui concerne l’alinéa 1009(2)d) de l’ALÉNA, le Tribunal est également convaincu que la procédure qui y est mentionnée porte uniquement sur la qualification des fournisseurs. De l’avis du Tribunal, la capacité du plaignant de présenter une soumission et de se voir adjuger le marché n’est pas en cause et, par conséquent, l’alinéa 1009(2)d) ne s’applique pas. En d’autres termes, l’article 1009 n’a pas été enfreint dans la présente affaire, puisque le plaignant n’a pas été rejeté en vertu de ses qualifications comme fournisseur.

L’article 1015 de l’ALÉNA traite des procédures entourant la présentation, la réception et l’ouverture des soumissions et l’adjudication d’un marché. L’alinéa 1015(4)a) prévoit notamment ce qui suit : «pour être considérée en vue de l’adjudication, une soumission devra être conforme, au moment de son ouverture, aux conditions essentielles spécifiées dans les avis ou dans la documentation relative à l’appel d’offres, et avoir été présentée par un fournisseur remplissant les conditions de participation». C’est dans cet article que l’on trouve le critère servant à évaluer la recevabilité et la valeur de la soumission.

L?92'article 1015 de l’ALÉNA présente clairement deux séries de conditions qui doivent être remplies pour qu’un marché soit adjugé. La première série traite des conditions de participation des fournisseurs et porte sur la question de leur «responsabilité»; la deuxième porte sur les conditions essentielles de la DDP ainsi que sur la «recevabilité» des soumissions. En partant de cette analyse, quatre possibilités fondamentales se présentent : 1) le fournisseur n’est pas qualifié et sa soumission n’est pas recevable; 2) le fournisseur est qualifié, mais sa soumission n’est pas recevable; 3) le fournisseur n’est pas qualifié, mais sa soumission est recevable; 4) le fournisseur est qualifié et sa soumission est recevable. Selon l’ALÉNA, les deux séries de conditions susmentionnées doivent être remplies par le fournisseur et par sa soumission respectivement pour que cette dernière puisse être considérée en vue de l’adjudication.

En dépit des demandes insistantes du plaignant, le Tribunal est d’avis que la disposition de l’alinéa 1009(2)b) de l’ALÉNA, selon laquelle les conditions de participation doivent être limitées à celles qui sont essentielles à l’exécution d’un marché donné, ne doit pas être confondue avec l’alinéa 1015(4)a) ni remplacer cet alinéa qui exige que les soumissions se conforment aux conditions essentielles des avis ou de la documentation relative aux appels d’offres. Ces dispositions présentent deux concepts distincts, et le fait de lire les alinéas 1009(2)b) et 1015(4)a) ensemble n’a pas pour effet d’élargir la portée du critère «essentielles pour [...] [l’exécution du] marché visé» applicable aux conditions de participation (alinéa 1009(2)b)) de manière à ce qu’il s’applique aussi aux conditions essentielles ou obligatoires de la DDP (alinéa 1015(4)a)). Par conséquent, de l?92'avis du Tribunal, le Ministère n’enfreint pas l’alinéa 1015(4)a) en utilisant dans la DDP les dispositions d’indemnisation comme critère d’évaluation de la recevabilité des soumissions.

Le Tribunal s’est également demandé si les décisions prises par le Ministère à l’égard des dispositions d’indemnisation dans la DDP contrevenaient au paragraphe 1009(3) de l’ALÉNA sur l’utilisation d’une seule procédure de qualification, à l’article 1003 sur le traitement national et la non-discrimination ainsi qu’au paragraphe 1001(4).

Le Tribunal a déterminé que les dispositions d’indemnisation sont des conditions de la soumission et ne constituent pas une procédure de qualification financière comme celle envisagée à l’article 1009 de l’ALÉNA. Par conséquent, leur application ne peut constituer une infraction au paragraphe 1009(3) qui porte exclusivement sur les procédures de qualification.

Le plaignant a soutenu que les dispositions d’indemnisation énoncées dans la DDP établissent une discrimination entre les soumissionnaires en fonction de leurs actifs, des risques qu’ils doivent courir et de leur capacité d’être tenus responsables. Le Tribunal fait remarquer que les motifs de discrimination mentionnés à l’article 1003 de l’ALÉNA renvoient à une discrimination ou à un traitement préférentiel des soumissionnaires fondé sur la nationalité, le degré d’affiliation étrangère, la propriété ou la résidence. Le Tribunal conclut que, dans la présente affaire, aucun élément de preuve ne confirme l’existence d’une discrimination ou d’un traitement préférentiel reposant sur ces motifs. Tous les soumissionnaires ont été assujettis aux mêmes dispositions, même si celles-ci peuvent avoir sur chacun d’eux des effets différents selon leur situation particulière.

Enfin, le Tribunal conclut également qu’aucun élément de preuve n’appuie l’allégation selon laquelle le Ministère, en invoquant la politique du Conseil du Trésor sur l’indemnisation accordée dans les marchés, a préparé, élaboré et structuré cet achat en vue de se soustraire aux obligations du chapitre 10 de l’ALÉNA. En effet, le Tribunal n’a constaté aucune infraction des dispositions de l’ALÉNA relatives au traitement national et à la non-discrimination, aux spécifications techniques, aux procédures d’appels d’offres en particulier, à la qualification des fournisseurs et à l’adjudication des marchés. De plus, le Tribunal n’a découvert absolument aucun élément de preuve appuyant l’idée selon laquelle le Ministère a cherché à se soustraire aux obligations de l’ALÉNA en recourant aux conditions d’indemnisation. Ces conditions caractérisent depuis longtemps l’adjudication des marchés publics et cette DDP était conforme à cette pratique ainsi qu’à la politique pertinente du Conseil du Trésor en vigueur aux moments qui s’appliquent.

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal détermine que la plainte n’est pas fondée.

Même si le Ministère s’est conformé à la politique et aux articles de l’ALÉNA, les objectifs de l’ALÉNA, tels qu’ils sont formulés dans le préambule de cet accord, visent, en partie, à assurer un environnement commercial prévisible favorisant la concurrence en vue de renforcer la compétitivité des entreprises sur un marché mondial. De l’avis du Tribunal, la politique d’indemnisation est un volet important de la compétitivité des entreprises. Même si le Tribunal a conclu que, tenant compte des circonstances entourant la présente affaire, l’ALÉNA n’a pas été enfreint, il estime néanmoins gênant que des dispositions de responsabilité ou d’indemnisation illimitées soient appliquées sans que leur pertinence ait été évaluée dans un appel d’offres donné. Il semble au Tribunal que les entreprises et les particuliers qui se font concurrence pour obtenir du travail du gouvernement devraient pouvoir évaluer, le mieux possible, à quels risques légaux et financiers ils s’exposent de manière à pouvoir soumissionner et planifier en conséquence. Le Tribunal prend note du fait que la politique gouvernementale actuelle d’indemnisation accordée dans les marchés fait l’objet d’un réexamen. Ce réexamen est opportun. Tant le monde des affaires, qui a formulé de nombreuses observations sur cette question, que le gouvernement bénéficieraient d’une résolution de cette question qui favoriserait au maximum la compétitivité conformément à nos obligations internationales, sans renoncer au principe de la protection financière nécessaire de la population canadienne.

Décision du Tribunal

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal détermine, relativement à l’objet de la plainte, que la procédure de passation des marchés a été suivie conformément à l’ALÉNA et que, par conséquent, la plainte n’est pas fondée.


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4 e suppl.).

2. Signé à Ottawa (Ontario), les 11 et 17 décembre 1992, à Mexico, D.F., les 14 et 17 décembre 1992, et à Washington, D.C., les 8 et 17 décembre 1992 (en vigueur au Canada le 1 er janvier 1994).

3. DORS/93 - 602, le 15 décembre 1993, Gazette du Canada Partie II, vol. 127, n o 26 à la p. 4547, modifié.

4. DORS/91 - 499, le 14 août 1991, Gazette du Canada Partie II, vol. 125, n o 18 à la p. 2912, modifiées.

5. Chapitre 2 - 7, «Matériel, risques et services communs» du Manuel du Conseil du Trésor.

6. Le terme «fournisseur» sera, aux fins de la présente décision, réputé être interchangeable avec les termes «soumissionnaire» et «entrepreneur», sauf indication contraire.

7. Alinéa 102(1)b) de l'ALÉNA.

8. L'article 1003 de l'ALÉNA prévoit, en partie, ce qui suit : 1. En ce qui concerne les mesures visées par le présent chapitre, chacune des Parties accordera aux produits d'une autre Partie, aux fournisseurs de ces produits et aux fournisseurs de services d'une autre Partie un traitement non moins favorable que celui qu'elle accorde : a) à ses propres produits et fournisseurs; et b) aux produits et aux fournisseurs d'une autre Partie. 2. En ce qui concerne les mesures visées par le présent chapitre, aucune des Parties ne pourra : a) traiter un fournisseur local moins favorablement qu'un autre fournisseur local, au motif que le premier aurait des liens avec une entreprise étrangère ou appartiendrait à des intérêts étrangers; ou b) exercer de discrimination à l'égard d'un fournisseur local, au motif que les produits ou les services qu'il propose sont des produits ou des services d'une autre Partie.


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Publication initiale : le 18 décembre 1996