ARRAY SYSTEMS COMPUTING INC.

Décisions


ARRAY SYSTEMS COMPUTING INC.
Dossier no : PR-95-023

TABLE DES MATIERES


Ottawa, le mardi 16 avril 1996

EU ÉGARD À une plainte déposée par Array Systems Computing Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), modifiée par L.C. 1993, ch. 44;

ET EU ÉGARD À une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes du paragraphe 30.15(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande, à titre de mesures correctives, que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux lance un appel d’offres concurrentiel relativement à la demande de fourniture conformément aux dispositions de l’Accord sur le commerce intérieur.

Desmond Hallissey
_________________________ Desmond Hallissey
Membre


Michel P. Granger
_________________________ Michel P. Granger
Secrétaire

Dossier no : PR-95-023

Date de la décision : Le 16 avril 1996

Membre du Tribunal : Desmond Hallissey

Gestionnaire d’enquête : Randolph W. Heggart

Avocat pour le Tribunal : Joël J. Robichaud


Plaignant : Array Systems Computing Inc.

Intervenant : Computing Devices Canada Ltd.

Institution fédérale : Ministère des Travaux publics et des Services
gouvernementaux

CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

Introduction

Le 5 janvier 1996, la société Array Systems Computing Inc. (le plaignant) a déposé, aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (la Loi sur le TCCE), une plainte concernant le marché public passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) (numéro de sollicitation QF W8471-5-JWZ1/000/A) avec un fournisseur unique, la société Computing Devices Canada Ltd. (CDC), pour la fourniture de six Sonar AN/SQS-510 et la modification de deux Sonar identiques destinés à équiper les navires de la classe Iroquois du ministère de la Défense nationale (MDN).

Le plaignant allègue que le Ministère entend limiter la réception des offres à un fournisseur, en l’occurrence la CDC, sans satisfaire aux exigences portant sur les appels d’offres restreints énoncées dans l’Accord sur le commerce intérieur [2] (l’ACI). À titre de mesures correctives, le plaignant a demandé que l’approvisionnement auprès du fournisseur exclusif, la CDC, soit annulé. En outre, un appel d’offres juste et en régime de concurrence doit être lancé pour la fourniture des Sonar AN/SQS-510, exploitant une technologie commerciale courante (TCC), qui satisfont à des spécifications et normes militaires essentielles. Enfin, le Ministère doit veiller à ce que tous les soumissionnaires potentiels aient accès à tous les biens de la Couronne se rapportant aux Sonar AN/SQS-510.

Enquête

Le 9 janvier 1996, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a déterminé que les conditions d’enquête précisées à l’article 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [3] (le Règlement) avaient été respectées relativement à la plainte et a décidé d’enquêter sur la question pour déterminer si le marché avait été passé conformément aux exigences énoncées au chapitre cinq de l’ACI.

Le 5 février 1996, le Ministère a déposé auprès du Tribunal un rapport de l’institution fédérale (le RIF) en application de l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [4] . Les observations du plaignant au sujet du RIF ont par la suite été déposées auprès du Tribunal. Le Ministère a déposé ses observations finales auprès du Tribunal le 27 février 1996.

Étant donné que les renseignements au dossier permettaient de déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a rendu une décision en se fondant sur les renseignements au dossier.

Procédure de passation des marchés publics

En juin 1993, le Comité d’examen des acquisitions [5] a recommandé, entre autres, que l’achat des douze Sonar AN/SQS-510 destinés aux frégates de la classe Halifax, avec option d’achat d’un maximum de huit Sonar semblables pour les navires de la classe Iroquois, soit adjugé à la CDC. La demande de fourniture n’était assujettie ni à l’Accord de libre-échange nord-américain [6] (l’ALÉNA), ni à l’ACI, qui n’étaient pas en vigueur à l’époque. En outre, la demande n’était pas visée par l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis [7] (l’ALÉ), en vigueur à l’époque, puisque la valeur estimative des achats était supérieure à la valeur-seuil applicable dans le cadre de l’ALÉ à ce moment-là et que cet achat se rapportait à une catégorie de marchandises (Federal Supply Classification - classification fédérale des approvisionnements - Groupe 58 [équipements de télécommunications, de détection et à rayonnement cohérent]) qui échappent au champ d’application de l’ALÉ et de l’ALÉNA lorsqu’elles sont acquises par le MDN ou au nom de celui-ci. Le Ministère affirme dans le RIF que, pour des raisons budgétaires, le marché passé avec la CDC, le 3 septembre 1993, ne comportait pas d’option d’achat de Sonar supplémentaires pour les navires de la classe Iroquois.

Le 16 novembre 1995, le MDN a présenté au Ministère une demande visant la fourniture de six Sonar AN/SQS-510 et la modernisation de deux autres Sonar acquis antérieurement dans le cadre d’un autre programme.

Le 21 novembre 1995, un Préavis d’adjudication de contrat [8] (PAdC) a été publié par l’entremise du Service des invitations ouvertes à soumissionner et a paru dans l’édition de Marchés publics du 24 novembre 1995. Le PAdC, qui portait la désignation de code 0-3, signifiant que le marché n’est pas assujetti à l’ALÉNA et est en général ouvert à une seule entreprise, identifiait la CDC comme le fournisseur visé. Il y était déclaré, en outre, que l’appel d’offres était restreint aux termes du code 74 du processus d’attribution des contrats (PAC). Le sens du code PAC 74 est entièrement explicité de la manière suivante dans la procédure du Ministère en date du 1er janvier 1996 : «Pour des raisons logistiques (c’est-à-dire lorsqu’il s’agira de livraisons additionnelles à assurer par le fournisseur initial et portant sur des pièces de rechange pour des fournitures déjà faites, des installations déjà livrées ou pour des services continus, ou destinées à compléter ces fournitures, installations ou services, et qu’un changement de fournisseur obligerait le ministère-client à acquérir du matériel ou des services ne répondant pas à des conditions d’interchangeabilité avec un matériel ou des services déjà existants)». Sous l’indication «Code PAC : 74», on peut lire ce qui suit : «Types d’invitations à soumissionner : N, W, I, S, O, L»; le N renvoyant à l’ALÉNA, le W à l’Organisation mondiale du commerce — Accord sur les marchés publics, le I à l’ACI, le S à science et technologie, le O à invitation ouverte à soumissionner et le L aux ententes de revendication territoriale globale.

Le 29 novembre 1995, le plaignant a écrit au Ministère pour lui demander de lui fournir toute l’information justifiant un appel d’offres restreint pour ce marché public. Cette demande a été faite en vue de mieux comprendre les raisons pour lesquelles l’appel d’offres avait été restreint et qui n’auraient pas été fournies dans le PAdC, le cas échéant. Le 30 novembre 1995, le Ministère a envoyé au plaignant la réponse suivante :

JUSTIFICATION DE L’APPEL D’OFFRES RESTREINT CONCERNANT LE [SONAR] AN/SQS-510 POUR LES [NAVIRES DE LA CLASSE] IROQUOIS

La demande actuelle de fourniture de Sonar AN/SQS-510 est un complément au «Projet 510» qui fait l’objet d’un contrat depuis 1993. L’entrepreneur proposé est le fabricant du système initial qui a mené à bien tous les travaux de recherche et de développement connexes pour le compte du ministère de la Défense nationale (MDN). En outre, l’entrepreneur proposé est le seul à avoir les connaissances globales approfondies nécessaires et l’expérience de la conception détaillée du matériel et du logiciel du Sonar AN/SQS-510, et a installé ce système sur deux navires du MDN et sur plusieurs navires de la marine portugaise.

Cette demande comprend les éléments obligatoires suivants, sans en exclure d’autres :

a. L’entrepreneur doit avoir les compétences et connaissances techniques éprouvées lui permettant de produire l’actuel AN/SQS-510(V)4 dans les délais requis dès que possible, avec le minimum de risque aux niveaux du calendrier et des coûts.

b. L’entrepreneur doit avoir les compétences et connaissances techniques éprouvées lui permettant de moderniser deux systèmes 510 actuellement en service sur les NCSM NIPIGON et TERRA NOVA pour les amener au niveau de base du système 510(V)4 avec le minimum de risque aux niveaux du calendrier et des coûts.

c. Le marché public relatif au Sonar 510 pour les navires IROQUOIS doit être tout à fait compatible avec le marché public visant les navires de la classe HALIFAX, en ce sens que, à mesure que les systèmes seront livrés dans le cadre des deux contrats, ils seront installés sur les navires disponibles - soit ceux de la classe IROQUOIS, soit ceux de la classe HALIFAX. Il est, par conséquent, essentiel que le système 510 destiné aux navires IROQUOIS soit identique, du point de vue de l’adaptation, de la forme et des fonctions, à celui qui a déjà été acquis dans le cadre du marché public visant les navires de la classe HALIFAX, et soit pleinement interchangeable avec celui-ci.

d. L’entrepreneur doit être titulaire d’un certificat ISO 9001 [Organisation internationale de normalisation] et respecter les pratiques spécifiques du MDN et de la MIL-STD [norme militaire] concernant la documentation technique et logistique, le conditionnement, les spécifications et l’élaboration du matériel et du logiciel destinés au système, ainsi que la configuration et le contrôle des changements.

e. L’équipement fourni par le gouvernement (EFG) comprenant un système cible 510, le Centre de génération de programmes est en ce moment situé dans les installations de l’entrepreneur proposé et est utilisé en exécution de la demande FCP 510. Cet EFG est absolument requis pour la demande IROQUOIS.

Voici quelques exemples d’exigences essentielles auxquelles des points seraient attribués selon des critères d’évaluation :

a. Le marché public relatif au Sonar 510 pour les navires IROQUOIS doit être vu comme un complément du marché des systèmes 510 et CANTASS [Système canadien de surveillance par réseaux remorqués] destinés à la marine canadienne. L’interopérabilité avec d’autres systèmes installés sur les navires de la flotte est essentielle pour réduire les coûts du SLI [soutien logistique intégré], surtout des pièces de rechange, de la documentation, de la formation et de la R et R [réparation et révision].

b. Le AN/SQS-510(V)4 répond à des normes spécifiques satisfaisant aux exigences environnementales et opérationnelles requises pour utilisation à bord d’un navire. Ces exigences sont essentielles.

[Traduction]

Le 1er décembre 1995, le plaignant s’est objecté au fait que le Ministère ait l’intention de passer un marché avec un fournisseur unique. En résumé, le plaignant a fait valoir qu’il pouvait satisfaire à toutes les conditions posées par le Ministère, sauf celle qui exige de l’entrepreneur qu’il ait les compétences et les connaissances techniques éprouvées lui permettant de produire le Sonar actuel, et que, par conséquent, il n’était pas justifié de recourir à un fournisseur unique dans ce cas. En fait, le plaignant a déclaré qu?92'il pouvait répondre aux besoins du MDN tout en assurant la compatibilité avec le matériel existant et qu’il pouvait le faire en utilisant une TCC supérieure (TCC renforcée) qui serait mise au point et à l’essai de manière à satisfaire aux exigences militaires dans un délai et selon des risques acceptables, et à un coût du cycle de vie moins élevé. Pour ce qui est du recours au mot «actuel» dans le contexte susmentionné, le plaignant a affirmé que l’emploi de ce mot semble avoir pour unique but d’exclure la mise en œuvre améliorée que le plaignant prévoit offrir. Quoi qu’il en soit, il faudrait laisser libre cours au jeu de la concurrence. Le fait de ne pas le permettre minera sérieusement et inutilement le pouvoir d’achat du gouvernement.

Le 20 décembre 1995, le Ministère a, dans une lettre, répondu aux objections soulevées par le plaignant à l’égard du PAdC en déclarant, entre autres, ce qui suit :

L’offre présentée par Array Systems propose un projet de développement à la suite duquel un logiciel 510 serait adapté à des logiciels offerts dans le commerce. La proposition indique que cette approche comporte peu de risques et permettrait de réaliser d’importantes économies sur la vie utile du système. Le portage du logiciel 510 de traitement des signaux (UYS-501) sur la technologie disponible dans le commerce est un exercice non trivial dont la réussite est loin d’être garantie. Le préavis d’adjudication de contrat (PAdC) porte sur la production de huit Sonar AN/SQS-510(V)4 supplémentaires. Ce marché public ne comporte aucun aspect de développement.

Le Sonar AN/SQS-510 est le Sonar standard pour la marine canadienne et est fourni aux actifs de la flotte capables de participer à la GASM [guerre anti-sous-marine], c.-à-d. les navires des classes HALIFAX et IROQUOIS. Des essais de performance et de qualification étendus ont prouvé que le Sonar 510 était capable de satisfaire à ces exigences. En 1993, un contrat a été adjugé pour la fourniture de douze Sonar AN/SQS-510 destinés aux frégates de la classe Halifax. La présente demande qui porte sur huit Sonar pour les navires de la classe Iroquois s’inscrit dans le prolongement de la demande déposée par la marine canadienne en vue de fournir des Sonar 510 à l’ensemble des navires de la flotte. Le choix du modèle 510 pour la marine canadienne est conforme à l’objectif de réduction des coûts d’exploitation et de maintenance de la marine, étant donné que les mêmes pièces de rechange, maintenance, formation, soutien logiciel et infrastructure de réparation et de révision servent pour ces Sonar et pour le Système canadien de surveillance par réseaux remorqués.

La Couronne ira de l’avant avec l’achat de huit Sonar AN/SQS-510(V)4 auprès d’un fournisseur unique, la soci?E9‚té Computing Devices Canada Ltd., étant donné que cela satisfait aux besoins opérationnels du ministère de la Défense nationale.

[Traduction]

Le 5 janvier 1996, le plaignant a déposé la présente plainte auprès du Tribunal.

Bien-fondé de la plainte

Position du plaignant

Dans ses observations sur le RIF, le plaignant affirme que les raisons données par le Ministère pour faire appel à un fournisseur unique ne sont pas valables. Il fait valoir que, compte tenu des économies éventuelles pour le contribuable, il n’est pas justifié que le Ministère abandonne le pouvoir d’achat, inhérent à toute invitation ouverte à soumissionner, en faveur de l’option du fournisseur unique. Le RIF renferme un grand nombre d’éléments superflus qui n’ont aucun lien avec les justifications données à l’origine dans le PAdC. En outre, dans le RIF, le Ministère n’avance que deux arguments qui s’appuient sur l’ACI, notamment les dispositions de l’alinéa 506.12 a) concernant la «compatibilité» et les «droits exclusifs». Le plaignant ajoute qu’un seul de ces deux arguments, à savoir celui de la compatibilité, a un rapport avec la justification donnée dans le PAdC. Il soutient donc que le Tribunal ne devrait pas examiner la question des droits exclusifs dans la présente cause. Le plaignant prétend enfin que les arguments du Ministère, et l’interprétation qu’il donne de l’alinéa 506.12 a) de l’ACI en particulier, violent les dispositions de l’alinéa 504.3 b) de l’ACI qui traitent de la partialité des spécifications techniques.

Plus précisément, le plaignant soutient, en partie, qu’en redéfinissant le terme «compatible» pour qu’il corresponde au terme «identique», le Ministère a indûment restreint la spécification technique. La compatibilité prévue à l’ACI vise uniquement les marchandises, non pas les services, l’infrastructure et tout ce qui n’est pas un produit. Les droits de propriété ne sont pas un facteur limitatif dans la présente cause. Même si le Ministère soutient qu’il n’a pas justifié le recours à un fournisseur unique en invoquant la condition du «non-développement», l’argumentation du Ministère, dans son ensemble, manifeste un parti pris contre tout travail de développement. Contrairement à ce qu’affirme le Ministère, le contrat proposé n’exige pas de certificat ou de qualification ISO 9001 officiel. Bien que le Ministère semble vouloir diminuer l’importance des réalisations et de la compétence du plaignant, des projets vérifiables prouvent que, en réalité, il est à la pointe du progrès pour ce qui est de la mise en œuvre d’une TCC renforcée dans les véhicules opérationnels du MDN et de l’analyse et de l’évaluation de la logistique, du soutien et des implications au niveau des coûts. En ce qui concerne le risque, le plaignant soutient qu’il s’agit d’un facteur subjectif et que, de toute façon, le Ministère n’a pas prouvé qu’il a des exigences de tolérance à l’égard du risque que le plaignant serait incapable de respecter. Les arguments fondés sur l’établissement des prix sont, par nature m?EAˆme, spéculatifs à cette étape et ne peuvent être utilisés comme facteur de limitation. Le plaignant peut respecter le calendrier total de 33 mois prévu à l’origine pour la CDC. Enfin, le plaignant soutient que le Ministère a évalué de façon inéquitable certains facteurs générateurs de coût (c.-à-d. l’examen technique, les essais, incluant les essais en mer, la documentation et la modification du matériel) applicables aux Sonar AN/SQS-510 comme si ces facteurs générateurs de coût ne touchaient que la solution 510 TCC qu’il proposait. En fait, ces facteurs de coût s’appliquent également, dans une certaine mesure, à la CDC.

En conclusion, le plaignant soutient que, si un nouveau fournisseur peut satisfaire aux besoins opérationnels du MDN à un coût moins élevé, même avec un nouveau développement, alors c’est le choix qu’il faudrait faire. Une invitation ouverte à soumissionner est la façon la plus efficace de trouver l’offre qui correspond le mieux à la demande, au meilleur coût, et la procédure de contestation des offres ne devrait pas remplacer celle d’une invitation ouverte à soumissionner pour en arriver au choix des fournisseurs.

Position du Ministère

Dans sa réponse au plaignant et dans son exposé subséquent, le Ministère soutient que l’achat des Sonar AN/SQS-510 auprès d’un fournisseur unique, à savoir la CDC, ne contrevient pas aux dispositions de l’ACI, puisqu’il s’agit d’obtenir des fournitures supplémentaires du fournisseur initial afin de garantir la compatibilité. Un changement de fournisseur obligerait le MDN à acquérir du matériel qui ne satisferait pas aux conditions, imposées par la marine, de compatibilité et d’interchangeabilité avec le matériel existant et de communité pour la flotte. Le Ministère soutient que c’est la principale raison invoquée dans le PAdC, mais que ce n’était pas là la seule justification. Les droits de propriété sur les données, par exemple, étaient une autre raison. Le Sonar proposé par le plaignant n’existe pas et, par conséquent, ne peut être considéré comme compatible ou interchangeable. En outre, le Sonar proposé par le plaignant aurait à être développé et à faire l’objet d’essais étendus, incluant des essais en mer, pour en vérifier la performance. Par ailleurs, la fourniture de l’ensemble du logiciel AN/SQS-510 n’est pas réalisable puisque la propriété en est partagée par la Couronne et par la CDC. Le Ministère avance, en outre, que le Sonar AN/SQS-510 a été mis au point par le MDN pour répondre à des besoins opérationnels rigoureux et uniques qu’il est indispensable de satisfaire pour que le Sonar fonctionne avec efficacité et fiabilité dans des situations environnementales et de combat difficiles. Le Sonar doit également être vu comme partie intégrante du système de soutien logistique naval qui comporte : 1) des sous-composants de rechange pour réparer le Sonar; 2) l’infrastructure de réparation et de fourniture de pièces de rechange; 3) une formation particulière des opérateurs et des spécialistes de la maintenance; 4) des données techniques complètes et précises, comme des manuels et des dessins; 5) une capacité de générer des changements et des mises à jour de logiciels; 6) du matériel d’essai et de mesure propre aux Sonar AN/SQS-510.

Plus précisément, tout en reconnaissant que le plaignant a la capacité d’adapter le logiciel de traitement des signaux pour qu’il fonctionne avec des logiciels disponibles dans le commerce, le Ministère déclare que cette capacité n’a été mise à l’essai que dans un «environnement de bureau» peu exigeant avec des systèmes non «essentiels à l’atteinte de la mission». Certains des droits de propriété intellectuelle étant partagés avec la CDC, la Couronne n’est pas libre de communiquer au plaignant toute l’information dont celui-ci a besoin pour exécuter la demande. Bien que le risque soit un facteur pertinent dans la présente cause, il n’était pas la raison principale invoquée pour justifier un appel d’offres restreint. En fait, le Ministère déclare que c’est l’obligation d’«assurer la comptabilité avec les produits existants dont l’entretien doit être effectué par le fabricant ou son représentant» qui est la justification de l’appel d’offres restreint. Le Ministère affirme aussi que le «non-développement» n’est pas une condition de cette sollicitation et qu’il s’est servi de ces mots uniquement pour indiquer que la solution proposée par le plaignant visait un «concept», non un produit éprouvé et que, cela étant, le plaignant ne pouvait prouver que cette solution répondait aux exigences de la marine.

Ce marché public, selon le Ministère, est «un complément de fournitures en vue d’assurer la compatibilité». Un changement de fournisseur obligerait le MDN à acquérir du matériel et des services qui ne répondent pas aux conditions de communité, de compatibilité et d’interchangeabilité avec le matériel et les services existants. En outre, la compatibilité comporte une dimension humaine importante (c.-à-d. structure et mobilité du personnel, charges de travail, formation, optimisation de la doctrine et tactique) qui ne peut être passée sous silence. Selon le Ministère, le plaignant semble, en quelque sorte, vouloir que le MDN révise et modifie ses exigences pour qu’elles conviennent au plaignant. À cet égard, le Ministère soutient que les spécifications techniques relatives aux Sonar AN/SQS-510 n’ont pas été établies pour éliminer la concurrence, mais plutôt pour faire en sorte que le Sonar r 9‚ponde au besoin opérationnel du MDN et que les navires des classes Halifax et Iroquois soient équipés de manière semblable. De plus, puisque le Sonar proposé par le plaignant n’existe pas encore, il ne peut être considéré comme un «produit du commerce». Le Sonar AN/SQS-510, quant à lui, intègre des composants commerciaux renforcés, p. ex. des écrans BARCO, et peut, dans une certaine mesure, être considéré comme un système TCC. Le Ministère soutient également que l’assertion du plaignant selon laquelle le coût du cycle de vie serait grandement réduit s’il acceptait que le système TCC proposé soit développé est clairement insatisfaisante parce qu’elle ne tient pas compte, par exemple, des coûts irrécupérables. Le Ministère ajoute que, même si le Sonar proposé pouvait être mis au point pour s’adapter aux interfaces des systèmes des navires, c.-à-d. que sa conception soit compatible sur les plans mécanique et électrique, il comporterait du matériel et des logiciels uniques qui le rendraient du même coup non interchangeable et non compatible avec l’infrastructure de soutien.

Le Ministère soutient que le plaignant a mal interprété de nombreux aspects de la demande de proposition (la DDP), par exemple le calendrier de livraison et l’obligation de mener des essais et des examens techniques. Le Ministère fait valoir que, dans ces domaines, le plaignant a été incapable de reconnaître que le projet de contrat mentionné dans le RIF était celui du contrat antérieur relatif aux navires de la classe Halifax et que ce contrat n’a été utilisé, dans ce cas, qu’à titre d’exemple.

En résumé, le Ministère déclare que le MDN a le droit et l’obligation de fixer ses propres besoins opérationnels et exigences techniques. En l’occurrence, le besoin du MDN porte sur un certain nombre de Sonar AN/SQS-510, qui sont déjà pleinement développés, ont fait l’objet d’essais complets, constituent des systèmes intégrés et éprouvés, et sont fabriqués par un entrepreneur pouvant respecter la norme ISO 9001. [Traduction] «Ce besoin ne peut être satisfait par le concept non encore élaboré d’Array».

Décision du Tribunal

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal est tenu, lorsqu’il a décidé d’enquêter, de limiter son étude à l’objet de la plainte. En outre, à la conclusion de l’enquête, le Tribunal doit déterminer le bien-fondé de la plainte en fonction du respect des critères et des procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l’article 11 du Règlement prévoit, entre autres, que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux exigences de l’ACI.

L’article 506.12 de l’ACI prévoit, en partie, ce qui suit :

Lorsqu’un seul fournisseur est en mesure de satisfaire aux conditions du marché public, une entité peut utiliser des procédures de passation des marchés publics différentes de celles décrites aux paragraphes 1 à 10, dans les circonstances suivantes :

a) pour assurer la compatibilité avec des produits existants, pour assurer le respect de droits exclusifs tels des droits d’auteur ou des droits fondés sur une licence ou un brevet, ou encore pour l’entretien de produits spécialisés, lorsque cet entretien doit être effectué par le fabricant ou son représentant;

L’article 504.3 de l’ACI prévoit, entre autres, que :

Sauf disposition contraire du présent chapitre, sont comprises parmi les mesures incompatibles avec les paragraphes 1 et 2 :

b) la rédaction de spécifications techniques de façon soit à favoriser ou à défavoriser des produits ou services donnés [...] soit à favoriser ou à défavoriser des fournisseurs de tels produits ou services, en vue de se soustraire aux obligations prévues par le présent chapitre.

Par ailleurs, l’article 501 de l’ACI précise, en partie, que le chapitre cinq vise à «établir un cadre qui assurera à tous les fournisseurs canadiens un accès égal aux marchés publics, de manière à réduire les coûts d’achat et à favoriser l’établissement d’une économie vigoureuse, dans un contexte de transparence et d’efficience».

Après avoir soigneusement examiné les éléments de preuve et les arguments qui lui ont été présentés, le Tribunal détermine que la plainte est fondée. Le Tribunal rend cette conclusion parce qu’il a établi que la procédure de passation des marchés publics n’a pas été menée conformément aux dispositions de l’ACI. En particulier, le Ministère n’a pas respecté les dispositions de l’article 506 de l’ACI qui s’appliquent à la passation du présent marché public.

L’article 506.12 de l’ACI autorise le Ministère à ?AB®utiliser des procédures de passation des marchés publics différentes de celles décrites aux paragraphes 1 à 10, dans» certaines circonstances. Le Ministère fait remarquer que l’obligation d’«assurer la compatibilité avec des produits existants [...] [dont] l’entretien doit être effectué par le fabricant ou son représentant» est ce qui justifie un appel d’offres restreint pour ce marché. Le Tribunal est d’avis que, même si dans sa lettre au plaignant en date du 30 novembre 1995, le Ministère a présenté de nombreuses considérations valables susceptibles d’être prises en compte dans l’évaluation des propositions en régime de concurrence, ces considérations n’exigeaient pas nécessairement, en elles-mêmes, que tous les fournisseurs sauf un soient écartés de la passation de ce marché public. Le Ministère soutient aussi qu’il existe une autre raison justifiant un appel d’offres restreint, puisque certains droits de propriété sont partagés entre le gouvernement et le fournisseur proposé. Des droits exclusifs, comme des licences exclusives, des droits d’auteur et des droits de brevet, sont prévus dans l’ACI comme des raisons permettant de recourir à des «procédures de passation des marchés publics différentes de celles décrites aux paragraphes 1 à 10». Cette raison n’a été invoquée ni dans le PAdC initial ni dans la lettre du 30 novembre 1995 du Ministère, qui a expliqué longuement les raisons pour lesquelles le Ministère recourait à un appel d’offres restreint. Quoi qu’il en soit, le Tribunal est d’avis que le Ministère n’a pas réussi, dans la présente cause, à montrer que les droits de propriété intellectuelle partagés empêcheraient le plaignant de satisfaire aux exigences. Les premiers mots de l’article 506.12 de l’ACI sont les suivants : «Lorsqu’un seul fournisseur est en mesure de satisfaire aux conditions du marché public». Le Tribunal est d’avis que cette condition est très rigoureuse et, puisque l’appel d’offres restreint constitue une exception à la règle générale qui est de donner un accès égal aux marchés publics, le Ministère a la lourde responsabilité de prouver que cette condition s’applique, en particulier lorsqu’un fournisseur, autre que celui qui a été choisi, soutient qu’il peut satisfaire aux exigences.

Dans la présente cause, le Ministère n’a pas prouvé qu’il n’y a qu’un seul fournisseur capable de satisfaire à l’exigence de compatibilité avec les produits existants. Le Tribunal est d’avis que, lorsqu’un fournisseur présente des arguments raisonnables indiquant qu’il est capable de satisfaire aux exigences du Ministère et qu’il est prêt à assumer les coûts et les risques inhérents à son intention de l’emporter contre le titulaire, la meilleure façon de déterminer la validité de telles assertions est d’appliquer une procédure de passation des marchés publics concurrentielle. Cela ne signifie pas que le Ministère doit atténuer ses exigences, mais bien qu’il doit examiner ce que le milieu des fournisseurs a à offrir. Lorsque vient le temps de passer des marchés publics, la concurrence fondée sur un accès égal doit être considérée par le Ministère comme la norme et l’appel d’offres restreint être vu comme une exception.

Dans la lettre que le Ministère a envoyée au plaignant le 20 décembre 1995, des phrases comme [traduction] «l’offre présentée par Array Systems» et [traduction] «la proposition donne à penser» semblent impliquer que les objections que le plaignant a soulevées contre le PAdC étaient évaluées comme s’il s’agissait d’une proposition en réponse à une DDP. Le plaignant soutient que le processus de contestation des soumissions ne devrait pas remplacer le processus de la concurrence ouverte dans le choix des fournisseurs. Le Tribunal appuie cette déclaration et ajoute que la procédure du PAdC ne doit pas remplacer le processus des invitations ouvertes à soumissionner dans la sélection des fournisseurs.

Le Ministère soutient qu’un changement de fournisseur obligerait le MDN à acquérir du matériel et des services qui ne satisfont pas aux conditions de communité, de compatibilité et d’interchangeabilité avec le matériel et les services existants. Tout en tenant compte du fait que les notions de communité et d’interchangeabilité ne se retrouvent pas dans l’ACI, le Tribunal est d’avis qu’une passation de marché public effectuée correctement et qui reflète les vraies exigences opérationnelles et techniques du MDN ne peut avoir pour résultat d’obliger le Ministère à acquérir du matériel et des services qui ne correspondent pas à ses besoins, notamment la compatibilité avec les produits existants.

Décision du Tribunal

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée et, aux termes du paragraphe 30.15(2) de la Loi sur le TCCE, recommande, à titre de mesures correctives, que le Ministère lance un appel d’offres concurrentiel relativement à la demande de fourniture conformément aux dispositions de l’ACI.


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. Fait à Ottawa (Ontario) le 18 juillet 1994.

3. DORS/93-602, le 15 décembre 1993, Gazette du Canada Partie II, vol. 127, no 26 à la p. 4547, modifié.

4. DORS/91-499, le 14 août 1991, Gazette du Canada Partie II, vol. 125, no 18 à la p. 2912, modifiées.

5. Le mécanisme d’examen des achats dirigé par le Comité d’examen des acquisitions comprend un processus d’examen des achats interministériel permettant de repérer, dans les régions et dans l’industrie, les occasions de marchés de biens et de services de plus de 2 millions de dollars ou dont l’impact socio-économique est réputé être important indépendamment de leur valeur. Le mécanisme doit être conforme aux obligations du Canada dans le cadre de divers accords internationaux sur les marchés publics. Voir : Manuel du Conseil du Trésor - Plan d’investissement, projets et acquisition, chapitre 3.2, Politique sur l’examen des acquisitions.

6. Signé à Ottawa (Ontario) les 11 et 17 décembre 1992, à Mexico, D.F., les 14 et 17 décembre 1992 et à Washington, D.C., les 8 et 17 décembre 1992 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1994).

7. Recueil des traités du Canada , 1989, no 3 (R.T.C.), signé le 2 janvier 1988.

8. Avis informant les fournisseurs potentiels que le gouvernement a l’intention de restreindre les appels d’offres en général à un fournisseur et qui en donne la justification. Cette approche a pour but d’informer le milieu des fournisseurs de l’intention du gouvernement et de donner aux fournisseurs potentiels l’occasion d’indiquer au gouvernement l’existence ou non d’une autre source d’approvisionnement.


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Publication initiale : le 28 août 1996