ÉBENISTERIE ALFREDO LIMITÉE

Décisions


ÉBENISTERIE ALFREDO LIMITÉE
Dossier no 94N6666-021-0003

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le mercredi 14 septembre 1994

Dossier no 94N6666-021-0003

EU ÉGARD À une plainte déposée par Ébenisterie Alfredo Limitée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), dans sa version modifiée par L.C. 1993, ch. 44;

ET EU ÉGARD À une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Le Tribunal détermine, aux termes de l'article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur et de l'article 10 du Règlement sur les enquêtes sur les marchés publics — Accord de libre-échange nord-américain, que la plainte n'est pas fondée et, en conséquence, la rejette.

Desmond Hallissey
_________________________
Desmond Hallissey
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire






Date de la décision : Le 14 septembre 1994

Membre du Tribunal : Desmond Hallissey

Gestionnaire d'enquête : Randolph W. Heggart

Enquêteur : Estelle Lane

Avocat pour le Tribunal : Shelley Rowe

Plaignant : Ébenisterie Alfredo Limitée

Avocat du plaignant : Ronald C. Lefebvre
Corporation House

Institution fédérale : Ministère des Travaux publics et des Services
gouvernementaux

Intervenant : Les Intérieurs Classiques du Québec Limitée

Avocat de l'intervenant : Joseph Ionata
Ionata, Lazaris

CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

Contexte

Le 13 juin 1994, après avoir signifié son opposition au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère), et après avoir reçu un déni de réparation, Ébenisterie Alfredo Limitée (le plaignant) a déposé une plainte aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (la Loi sur le TCCE), portant sur le lancement par le Ministère, pour son propre compte, d'une offre à commandes individuelle et nationale pour l'acquisition de meubles de bureau modulaires répondant aux spécifications de l'Office des normes générales du Canada (l'ONGC), précisées dans l'invitation no EM 66735-3-S153/00/A datée du 7 mars 1994. La plainte porte plus particulièrement sur des tablettes pour clavier de tables pour ordinateur munies de tablettes coulissantes d'un fini couleur chêne ou noyer pâle. Le plaignant allègue ce qui suit : 1) le Ministère n'a pas offert à tous les fournisseurs potentiels une chance égale de répondre aux spécifications de la Demande d'offre à commandes (la DOC) en fournissant à certains soumissionnaires de l'information privilégiée et 2) le Ministère a accepté des soumissions qui ne répondaient pas aux spécifications de la DOC en acceptant une tablette pour clavier comme équivalent de la tablette pour clavier Jacmorr sans indiquer «ou l'équivalent» dans la DOC. Pour ces motifs, le plaignant a demandé en réparation le lancement d'un nouvel appel d'offres pour l'offre à commandes visant l'acquisition des deux tables pour ordinateur en question.

Le 17 juin 1994, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a accepté la plainte en vue de procéder à une enquête après avoir déterminé que les conditions énoncées à l'article 7 du Règlement sur les enquêtes sur les marchés publics — Accord de libre-échange nord-américain [2] (le Règlement) étaient satisfaites, c'est-à-dire que : 1) le plaignant était un «fournisseur potentiel» aux termes de la Loi sur le TCCE; 2) la plainte portait sur un «contrat spécifique» aux termes de la Loi sur le TCCE et du Règlement; et 3) les renseignements fournis par le plaignant démontraient, dans une mesure raisonnable, que le marché n'avait pas été passé conformément au chapitre 10 de l'Accord de libre-échange nord-américain [3] (l'ALÉNA). Ayant rendu cette détermination, le Tribunal a décidé d'examiner la plainte afin d'établir si le marché a été fait en conformité avec les conditions énoncées dans l'ALÉNA.

Enquête

Les trois parties à cette enquête sont : 1) le plaignant, représenté par M. Ronald C. Lefebvre de la société Corporation House, 2) l'institution fédérale, en l'occurrence le Ministère, et 3) Les Intérieurs Classiques du Québec Limitée (l'intervenant) qui, le 18 juillet 1994, a été autorisée à intervenir et qui était représentée par M. Joseph Ionata de Ionata, Lazaris.

Le 13 juillet 1994, dans le cadre de l'enquête, le Ministère a remis au Tribunal le rapport de l'institution fédérale en application de l'article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [4] , lequel rapport a été mis à la disposition de toutes les parties. Le plaignant a soumis ses observations sur le rapport au Tribunal et celles-ci ont été transmises à toutes les parties.

L'exposé de l'intervenant concernant la plainte a été déposé auprès du Tribunal le 5 août 1994 et transmis à toutes les parties.

Un rapport provisoire préparé par le personnel du Tribunal en conformité avec le paragraphe 8(1) du Règlement a également été versé au dossier et envoyé à toutes les parties. Les observations reçues par le Tribunal concernant le rapport provisoire ont été transmises à toutes les parties.

Dans une lettre reçue par le Tribunal le 17 août 1994, l'avocat de l'intervenant a demandé au Tribunal de rejeter la plainte parce qu'elle est dénuée de tout intérêt et entachée de mauvaise foi. L'avocat a fait valoir que les arguments du plaignant étaient fallacieux et sans fondement puisqu'il n'a pu fournir aucun élément de preuve relativement à la marque de tablette pour clavier utilisée par des fournisseurs potentiels dans la préparation de leurs soumissions, qu'il a laissé sous-entendre au Ministère que le produit offert par l'intervenant était de qualité inférieure et qu'il a déposé la plainte uniquement après avoir échoué dans sa tentative de convaincre le Ministère de lui adjuger l'offre à commandes pour l'achat des tables pour ordinateur en question. Après avoir examiné ces exposés, le Tribunal a déterminé qu'il disposait de suffisamment de renseignements au dossier pour poursuivre l'enquête en vue d'établir si l'achat a été fait en conformité avec l'ALÉNA et pour statuer sur le bien-fondé de la plainte.

Étant donné que les renseignements figurant au dossier permettent de déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu'une audience n'était pas requise et a statué sur la plainte en se fondant sur les renseignements au dossier.

Processus d'achat

La DOC, qui comprend 28 articles identifiés par un numéro d'approvisionnement en articles stockés (AAS), est rédigée en partie comme suit :

B9010D 01/06/91

Exigences

Fournir et livrer les articles énumérés à l'annexe «A» [du] présent document.

L'annexe «A» en question dresse comme suit la liste des spécifications pour les articles en cause :

(2) SPECIFICATIONS

THE FOLLOWING CANADIAN GENERAL STANDARDS BOARD SPECIFICATIONS APPLY FOR EACH ITEM INDICATED/LES SPÉCIFICATIONS DE L'OFFICE DES NORMES GÉNÉRALES DU CANADA S'APPLIQUENT AUX ARTICLES SUIVANT[S].

[...]

CGSB SPEC. 44.215, (JUNE 1988)/

SPÉC. ONGC 44.215, (JUIN 1988)

-899-3652 -899-7621

La DOC comprend la clause de certification des fournitures suivante :

B4024T 01/06/91

Certifications des fournitures

Les articles offerts sont en tous points conformes aux spécifications, les provisions de l'assurance de la qualité et les normes d'emballages détaillées ci-après.

OUI _____ NON _____.

Les différences sont :

_______________________________________________________________________

La DOC comprend aussi la clause suivante, qui informe les soumissionnaires de la façon dont le Ministère traitera les demandes de renseignements additionnels :

PLUS DE RENSEIGNEMENTS

Afin de maintenir l'égalité de tous les entrepreneurs, l'AAS demande aux soumissionnaires de soumettre les questions par écrit ou par télécopieur. Si une question est considérée importante pour tous les entrepreneurs, la réponse à la question sera envoyée à tous. Les questions doivent être reçues par l'AAS cinq (5) jours ouvrables avant la date de clôture des soumissions.

Veuillez ne pas téléphoner à l'agent de négociations pour plus de renseignements.

Les «Instructions et conditions uniformisées DSS-MAS 9403-6 (08/92)» sont incluses par voie de référence dans la DOC. Le texte intégral de ces instructions et conditions uniformisées se trouve dans un manuel intitulé Clauses et conditions uniformisées d'achat. La section du manuel pertinente dans le cadre de la présente enquête énonce, sous la rubrique «Conditions» :

5. À moins d'indication contraire dans les présentes, le matériel doit être neuf et de fabrication courante, et être conforme aux spécifications, aux normes, aux plans ou aux numéros de pièce applicables en vigueur.

La version de juin 1988 de la spécification 44.215 de l'ONGC (la spécification), intitulée «TABLE MODULAIRE MUNIE DE TABLETTES», ne faisait pas partie de la DOC et n'a, par conséquent, pas été envoyée aux soumissionnaires. Il était cependant possible de l'obtenir en s'adressant à l'ONGC. Les «EXIGENCES GÉNÉRALES» sont précisées à la section 3 et sont rédigées, en partie, comme suit :

3.3 Les tables doivent être conformes aux dessins qui accompagnent la présente spécification et qui sont énumérés à l'annexe A.

3.5 Interchangeabilité -- Tous les éléments des tables définis dans la présente spécification et dans les dessins qui l'accompagnent (annexe A) sont conçus pour être interchangeables, indépendamment du lieu de fabrication.

L'annexe A mentionnée au paragraphe 3.3 de la spécification est une «LISTE DES DESSINS INCORPORÉS À LA SPÉCIFICATION 44.215 pour TABLE MUNIE DE TABLETTES COULISSANTES 4824» et comprend le dessin numéro «C.484 Mobilier modulaire» ainsi que les titres et numéros de neuf autres dessins. L'article 10 de la liste des éléments du dessin no C.484, datée de juin 1988, porte la mention «JACK MORR [sic] KEY'BD ARM» ([traduction] TABLETTE POUR CLAVIER JACMORR) et, dans la zone réservée aux révisions, on trouve l'indication suivante : «A1 REDRAWN WAS D-484» ([traduction] A1 DESSINÉ DE NOUVEAU, PRÉCÉDEMMENT D-484). Selon une deuxième version du dessin obtenue de l'ONGC, l'article 10 porte la mention «MIANDA K1-F KEY'BD ARM» ([traduction] TABLETTE POUR CLAVIER MIANDA K1-F) et comprend la révision suivante :«A2 KEY'BD ARM WAS JACKMORR [sic] PANEL P-18 REF. REMOVED FROM DWG ... 89-08-08» ([traduction] TABLETTE POUR CLAVIER A2 PRÉCÉDEMMENT JACMORR P-18 RÉF. ÉLIMINÉE DU DESSIN [...] 89-08-08). Sur une troisième version du dessin, elle aussi obtenue de l'ONGC, l'article 10 de la liste des éléments porte la mention «WATERLOO KEY'BD ARM» ([traduction] TABLETTE POUR CLAVIER WATERLOO) et la révision suivante est ajoutée «A3 KEY'BD ARM WAS MIANDA K1-F ... 90-02-20» ([traduction] TABLETTE POUR CLAVIER A3 PRÉCÉDEMMENT MIANDA K1-F [...] 90-02-20).

L'article 4 de la spécification «EXIGENCES PARTICULIÈRES» est rédigé en partie comme suit :

4.2 Construction

4.2.5 Mécanisme de réglage de la tablette pour clavier -- Le mécanisme de réglage de la tablette pour clavier doit être peu encombrant afin de laisser suffisamment d'espace pour les jambes de l'utilisateur. Il doit permettre de régler la hauteur de la tablette d'au moins 4 po (100 mm) et l'angle d'inclinaison de 15° (remarque 2).

La remarque 2 mentionnée à l'alinéa 4.2.5 est ainsi formulée :

REMARQUE 2 : La tablette pour clavier fabriquée par The Jacmoor [sic] Manufacturing Ltd. convient à cette fin.

D'après le Ministère, l'intervenant était de passage à Ottawa (Ontario) le 8 avril 1994. À l'occasion d'une visite à l'organisation de l'AAS, le gestionnaire de produits de l'AAS lui a dit que la tablette pour clavier Waterloo répondait à la spécification. L'agent de négociation des marchés affirme ne pas avoir eu connaissance de cette discussion avant la date limite de réception des soumissions le 18 avril 1994. L'intervenant soutient avoir demandé au gestionnaire de produits de l'AAS si la tablette pour clavier Waterloo était acceptable, ce à quoi le gestionnaire a répondu qu'il devait vérifier cette possibilité. L'intervenant soutient ne pas avoir reçu de réponse avant la date limite de remise des soumissions.

Selon les dossiers de l'ONGC, un des soumissionnaires, soit l'intervenant, a demandé et reçu la spécification avant la date limite de remise des soumissions. D'après l'intervenant, il a reçu une version révisée à la main de la spécification datée de juin 1992. Cette version était accompagnée de deux copies du dessin, l'original avec la révision A1 ainsi que la troisième version avec les révisions A1, A2 et A3.

Sept propositions ont été reçues en réponse à la DOC et un tableau comparatif a été préparé. Dans leurs soumissions, le plaignant et l'intervenant certifiaient tous deux que les articles étaient entièrement conformes à la spécification, tel que l'exige la clause sur la certification des fournitures.

À la suite de l'examen des soumissions par l'équipe d'évaluation du Ministère, l'intervenant s'est classé premier au terme de l'évaluation par cote numérique alors que le plaignant est arrivé au deuxième rang. On a alors proposé d'adjuger une offre à commandes à chacun des deux soumissionnaires les moins disants, soit 23 articles à l'intervenant, le moins disant pour ces 23 articles, et 5 articles au plaignant, qui avait été le moins disant pour 3 des articles et qui était arrivé ex aequo avec des soumissionnaires autres que l'intervenant pour 2 autres articles. Les 5 articles que l'on proposait attribuer au plaignant ne comprenaient pas les tables pour ordinateur avec tablettes coulissantes qui représentaient près du tiers de la valeur estimative totale de l'achat et qui font l'objet de la présente plainte. Le 11 mai 1994, pendant une visite des usines des deux fournisseurs éventuels, ceux-ci ont été informés du résultat de l'évaluation de la DOC.

Bien-fondé de la plainte

L'article 30.14 de la Loi sur le TCCE stipule que, dans son enquête, le Tribunal doit limiter son étude à l'objet de la présente plainte et, à la conclusion de l'enquête, déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement. Aux termes de l'article 11 du Règlement, le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux exigences de l'ALÉNA.

Le plaignant allègue que [traduction] «l'agent de l'Approvisionnement en articles stockés acceptait des soumissions non conformes à la spécification». Il soutient que si d'autres marques de tablettes pour clavier moins dispendieuses [traduction] «qui ne sont pas mentionnées dans la spécification» sont acceptées, cela nuira à son aptitude à concurrencer et que le Ministère [traduction] «aurait dû en aviser tous les soumissionnaires». D'après le plaignant, le problème engendré par cette situation a permis [traduction] «aux soumissionnaires utilisant d'autres marques de tablettes pour clavier de réduire leurs prix». Le plaignant réitère sa principale allégation en affirmant que [traduction] «les acheteurs de l'Approvisionnement en articles stockés acceptent d'acheter quelque chose qui n'était pas précisé dans la spécification de l'ONGC mentionnée dans la demande de propositions». D'après le plaignant, si des tablettes pour clavier autres que les Jacmorr étaient acceptables [traduction] «il aurait suffi d'utiliser l'expression "ou l'équivalent", ce qui signifie que plus d'une marque sera acceptée».

Le plaignant soutient en outre que le processus d'appel d'offres était injuste parce que certains soumissionnaires ont [traduction] «obtenu de l'information privilégiée». Cette allégation reposait initialement sur la lettre envoyée le 27 mai 1994 au plaignant par l'agent de négociation des marchés qui indiquait, selon le plaignant, [traduction] «qu'il avait répondu par l'affirmative à d'autres fournisseurs qui lui avaient demandé s'ils pouvaient fournir une tablette autre que celle de la spécification de l'ONGC».

Le Ministère a adopté la position suivante en réponse aux allégations du plaignant :

1) «il n'est pas indiqué dans la spécification que [une tablette pour clavier Jacmorr non précisée] est la seule tablette acceptable;»

2) «l'AAS n'a pas avisé officiellement tous les fournisseurs qui ont demandé une copie de la DOC de cette demande d'information» par l'intervenant concernant l'acceptabilité d'une tablette pour clavier Waterloo «parce que la demande n'a pas été faite de façon officielle et [...] qu'il était entendu que l'AAS accepterait d'autres tablettes répondant aux exigences»;

3) il «n'acceptait que les produits offerts par les fournisseurs qui répondaient aux exigences fonctionnelles de la page 7 de la spécification»;

4) le prix le moins disant, soit celui de l'intervenant, comprenait une «tablette pour clavier qui répond aux exigences fonctionnelles» et l'intervenant a «présenté une facture de la tablette [utilisée dans un prototype de la table pour clavier] et indiqué que la tablette Jacmorr, modèle F350, était celle utilisée et comprise dans le prix proposé pour l'article»;

5) «l'expression "ou l'équivalent" n'a pas été utilisée dans aucune des mentions à la spécification de l'ONGC» puisque la spécification n'exige pas de marque particulière de tablette pour clavier, mais fournit uniquement un exemple de tablette acceptable;

6) le plaignant et l'intervenant «offrent la même tablette pour clavier et cette tablette est conforme à la spécification».

[Traduction]

L'intervenant soutient ne pas avoir obtenu avant la date limite de remise des soumissions de renseignements que d'autres fournisseurs ne pouvaient obtenir. Il affirme que la spécification mentionne la tablette pour clavier Jacmorr uniquement à titre d'exemple d'une tablette qui répond aux exigences qualitatives et fonctionnelles et que le plaignant n'a pas fourni d'éléments de preuve incontestables pour démontrer qu'il a utilisé une tablette pour clavier autre que la Jacmorr pour établir sa soumission. L'intervenant affirme ne pas avoir utilisé un produit autre qu'un produit approuvé par l'ONGC pour préparer sa soumission.

Le Tribunal a examiné les dispositions du chapitre 10 de l'ALÉNA intitulé «Marchés publics» et a déterminé que les allégations formulées dans la plainte soulèvent des questions à savoir si le Ministère s'est conformé aux articles suivants de l'ALÉNA : l'article 1008, «Procédures de passation des marchés», l'article 1013, «Documentation relative à l'appel d'offres» et l'article 1015, «Présentation, réception et ouverture des soumissions et adjudication des marchés».

Procédures de passation des marchés et documentation relative à l'appel d'offres

L'article 1008 de l'ALÉNA énonce les exigences suivantes : 1) le Ministère doit s'assurer que les procédures de passation des marchés sont appliquées de façon non discriminatoire et conforme aux articles 1009 à 1016; 2) le Ministère ne doit pas communiquer à un fournisseur des renseignements se rapportant à tel ou tel marché, d'une manière qui aurait «pour effet d'empêcher la concurrence» et 3) le Ministère doit ouvrir à tous les fournisseurs le même accès aux renseignements concernant un marché, au cours de la période précédant la publication de tout avis ou de toute documentation relative à l'appel d'offres. Le paragraphe 1013(2) de l'ALÉNA stipule que le Ministère doit répondre dans les moindres délais à toute demande raisonnable d'explications ou de renseignements pertinents concernant la documentation relative à l'appel d'offres par un fournisseur participant, à condition que ces renseignements ne donnent pas à ce fournisseur un avantage sur ses concurrents dans la procédure d'adjudication. Le plaignant a allégué que le Ministère n'a pas offert à tous les fournisseurs potentiels la même possibilité de soumettre une proposition acceptable qui réponde aux spécifications de la DOC en fournissant de l'information privilégiée à certains soumissionnaires. Le Tribunal estime que cette allégation est recevable uniquement si les éléments de preuve au dossier montrent que le Ministère a fourni à l'intervenant de l'information concernant la DOC à laquelle l'ensemble des fournisseurs n'ont pas eu le «même accès» avant la publication de tout avis ou de toute documentation concernant l'appel d'offres, ce qui a eu «pour effet d'empêcher la concurrence» et de donner à l'intervenant «un avantage sur ses concurrents dans la procédure d'adjudication [de l'offre à commandes]».

Le Tribunal, après avoir examiné les éléments de preuve au dossier, n'est pas convaincu que le Ministère a omis de se conformer à l'une de ces exigences, comme l'a prétendu le plaignant. Selon les renseignements au dossier, l'intervenant a bel et bien reçu de l'ONGC une spécification corrigée à la main et datée de juin 1992 ainsi que deux versions du dessin no C.484, une datée de juin 1988 et une autre avec les révisions apportées après cette date. Tous les fournisseurs avaient accès à ces renseignements; il suffisait d'en faire la demande à l'ONGC. Par conséquent, le Tribunal conclut qu'il ne s'agissait pas d'information privilégiée à laquelle un seul fournisseur a eu accès.

Conformément aux instructions et conditions uniformisées qui sont incorporées à la DOC, la version courante des spécifications s'applique, sauf indication contraire dans la DOC. Le Tribunal en vient à la conclusion que l'inclusion de la date de juin 1988 dans la spécification de la DOC oblige les fournisseurs à utiliser cette version lorsqu'ils présentent une soumission concernant la présente exigence. Étant donné que la spécification est la source citée pour le dessin «C.484 Mobilier modulaire», le Tribunal conclut, de plus, que la spécification renvoie à une version du dessin datée de juin 1988 ou d'une date antérieure.

Il est compréhensible que l'intervenant, le seul fournisseur qui a reçu le document de l'ONGC, ait été déconcerté comme il l'a indiqué dans ses observations au sujet de la plainte reçue par le Tribunal le 5 août 1994. L'intervenant a déclaré que cette confusion est à l'origine de la question posée le 8 avril 1994 relativement à l'acceptabilité de la tablette pour clavier Waterloo. Les éléments de preuve, à savoir si une réponse a été donnée à l'intervenant et en présence de qui, sont contradictoires.

D'après le rapport de l'institution fédérale, une réponse a été donnée de vive voix à l'intervenant par le gestionnaire de produits de l'AAS, indiquant que la tablette pour clavier Waterloo était acceptable. L'agent de négociation des marchés a affirmé ignorer qu'une telle réponse avait été fournie. L'intervenant a déclaré ne pas avoir obtenu de réponse à la question. Si l'intervenant avait obtenu de l'information du gestionnaire de produits de l'AAS avant la date limite de remise des soumissions, il aurait pris un risque en utilisant cette information sans la faire confirmer par l'agent de négociation des marchés puisque les conditions de la DOC énoncent clairement que les demandes de renseignements doivent être adressées, par écrit, à l'agent de négociation des marchés.

De l'avis du Tribunal, l'intervenant n'a pas obtenu, avant la date limite de remise des soumissions, de renseignements sur la tablette pour clavier qui lui auraient conféré un avantage par rapport au plaignant et qui auraient pour effet d'empêcher la concurrence. L'intervenant soutient ne pas avoir obtenu de réponse à sa demande concernant l'acceptabilité de la tablette pour clavier Waterloo avant la date limite de remise des soumissions, ce dont le Tribunal est convaincu. Il est peu probable que le gestionnaire de produits de l'AAS (qui n'est pas l'agent de négociation des marchés) ait été en mesure de fournir une réponse définitive à une telle question le 8 avril 1994 puisque, d'après le rapport de l'institution fédérale, l'AAS a dû commander un exemplaire de la spécification de l'ONGC le 10 juin 1994 [traduction] «afin de savoir ce qui avait été envoyé aux fournisseurs». Ni l'intervenant, ni qui que ce soit d'autre, ne s'est enquis auprès de l'agent de négociation des marchés, la seule personne, conformément à la DOC, autorisée à répondre aux demandes de renseignements concernant le marché, de l'acceptabilité de la tablette pour clavier Waterloo avant la date limite de remise des soumissions. La possibilité que l'intervenant ait soumis un prix inférieur à celui du plaignant pour les articles qui font l'objet de la plainte, même s'ils utilisaient tous deux la tablette pour clavier Jacmorr, est justifiable en raison du fait qu'il a proposé un prix inférieur pour 21 des 26 autres articles de la même DOC.

Pour les raisons susmentionnées, le Tribunal conclut qu'il n'y pas eu violation de l'alinéa 1008(2)a) ou du paragraphe 1013(2) de l'ALÉNA. Le Tribunal estime, toutefois, que le Ministère est à l'origine d'un nombre important de complications inutiles qui auraient pu être évitées si un peu de temps avait été consacré à la vérification des spécifications au préalable.

Appel d'offres, réception et ouverture des soumissions et adjudication des marchés

Quant à la dernière allégation, à savoir que le Ministère a accepté ou est sur le point d'accepter une soumission non conforme à la spécification, le Tribunal note que le paragraphe 1015(4) de l'ALÉNA stipule que pour être considérée en vue de l'adjudication par un Ministère, une soumission doit être conforme «aux conditions essentielles spécifiées dans les avis ou dans la documentation relative à l'appel d'offres» et que l'adjudication doit être faite conformément «aux critères et aux conditions essentielles spécifiées dans la documentation relative à l'appel d'offres».

Le plaignant soutient que l'intervenant a fondé le prix de sa soumission sur un produit non spécifié, c.-à-d. une tablette pour clavier autre que le modèle Jacmorr, et présente à l'appui de sa position une lettre datée du 22 juin 1994, qui lui a été envoyée par Jacmorr International Inc. et qui énonce notamment :

APRES NOTRE DISCUSSION DU JEUDI 2 JUIN DERNIER, ET SUITE A NOTRE RENCONTRE AVEC «INTERIEUR CLASIQUE», CELUI CI NOUS A CONFIRMER QU'IL AVAIT OBTENU LE CONTRAT DU GOUVERNEMENT FEDERAL. [Les Intérieurs Classiques du Québec Limitée] MA CONFIRMER QUE DEUX AUTRES MANUFACTURIERS SONT INSCRITS AUX SPECIFICATIONS DU FEDERAL, ET QUE NOTRE BRAS RETRACTABLE EST LE PLUS DISPENDIEUX, ET QUE SON CHOIX SE TOURNERA VERS LA COMPETITION. (sic)

Dans sa réponse au rapport de l'institution fédérale, l'avocat du plaignant allègue ce qui suit au sujet de la soumission de l'intervenant :

Cela a permis à la société Les Intérieurs Classiques de soumissionner soi-disant avec une tablette Jacmorr (le prototype) alors qu'en fait sa soumission était fondée sur l'utilisation prévue de la tablette Waterloo qui est [...] moins coûteuse.

[Traduction]

Cette allégation n'est étayée d'aucun élément de preuve autre que la lettre mentionnée antérieurement envoyée par Jacmorr International Inc. au plaignant.

L'intervenant, par ailleurs, a soutenu dans une télécopie datée du 30 mai 1994, envoyée en réponse à une demande du Ministère, que :

les prix des tables pour clavier (-3652 & -7621) étaient fondés sur l'utilisation de la tablette Jacmorr. Toutefois, nous vous avions demandé, ainsi qu'à Bob Simard, de confirmer l'approbation de la tablette Waterloo ou d'une autre tablette pour clavier (selon les dessins) afin que nous disposions d'autres options en cas de problèmes.

[Traduction]

L'intervenant a réitéré sa position le 9 juin 1994 dans une télécopie à l'agent de négociation des marchés en déclarant notamment :

Je tiens à profiter de l'occasion pour confirmer de nouveau notre engagement d'utiliser les tablettes pour clavier Jacmorr pour les tables pour ordinateur (-3652 & -7621). Le prototype que vous avez vu lors de votre visite à notre usine a été fabriqué à l'aide de la tablette Jacmorr.

[Traduction]

Dans une autre télécopie envoyée le même jour par l'intervenant à l'agent de négociation des marchés, l'intervenant indique qu'il a [traduction] «utilisé ce prototype dans le calcul du prix de la soumission».

De l'avis du Tribunal, la lettre envoyée par Jacmorr International Inc. au plaignant ne suffit pas à démontrer que l'intervenant avait fondé sa proposition et le prix demandé sur un article autre que le prototype construit à l'aide de la tablette pour clavier Jacmorr, puisque l'intervenant soutient qu'il a préparé sa soumission avec la tablette Jacmorr et qu'il a attesté du fait que les articles proposés étaient conformes aux spécifications. Toutes les parties conviennent que la tablette pour clavier Jacmorr répond à la spécification. Par conséquent, le Tribunal conclut que le Ministère n'a pas violé les dispositions du paragraphe 1015(4) de l'ALÉNA en déterminant que la soumission de l'intervenant était acceptable et que l'intervenant devrait obtenir l'offre à commandes pour les tables pour ordinateur en question en tant que soumissionnaire le moins-disant.

Décision du Tribunal

Par conséquent, conformément à l'article 30.14 de la Loi sur le TCCE et à l'article 10 du Règlement, le Tribunal détermine, compte tenu de ce qui précède, que la plainte n'est pas fondée et, en conséquence, la rejette.


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. DORS/93-602, le 15 décembre 1993, Gazette du Canada Partie II, vol. 127, no 26 à la p. 4547.

3. Accord de libre-échange nord-américain, fait à Ottawa (Ontario) les 11 et 17 décembre 1992, à Mexico, D.F., les 14 et 17 décembre 1992 et à Washington, D.C., les 8 et 17 décembre 1992 (entré en vigueur au Canada le 1er janvier 1994).

4. DORS/91-499, le 14 août 1991, Gazette du Canada Partie II, vol. 125, no 18 à la p. 2912.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 29 août 1997