ARRAY SYSTEMS COMPUTING INC.

Décisions


ARRAY SYSTEMS COMPUTING INC.
Dossier no : PR-95-024

TABLE DES MATIERES


Ottawa, le lundi 25 mars 1996

EU ÉGARD À une plainte déposée par Array Systems Computing Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), modifiée par L. C. 1993, ch. 44;

ET EU ÉGARD À une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée.

Anthony T. Eyton
_________________________
Anthony T. Eyton
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire

Dossier no : PR-95-024

Date de la décision : Le 25 mars 1996

Membre du Tribunal : Anthony T. Eyton

Gestionnaire d’enquête : Randolph W. Heggart

Avocat du Tribunal : Joël J. Robichaud


Plaignant : Array Systems Computing Inc.

Institution fédérale : Ministère des Travaux publics et des Services
gouvernementaux

CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

Introduction

Le 10 janvier 1996, la société Array Systems Computing Inc. (le plaignant) a déposé une plainte aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (la Loi sur le TCCE) concernant le marché public passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) (Numéro de sollicitation W7714-5-9921/A) pour la fourniture d’une étude de la structure d’un système perfectionné de mesure de soutien électronique (MSE) des communications (ACES) pour le compte du Centre de recherches pour la Défense Ottawa (l’autorité scientifique), unité constitutive du ministère de la Défense nationale (MDN).

Le plaignant allègue que les critères d’évaluation techniques, actuellement énoncés dans la demande de proposition (DDP), font partie des spécifications techniques et qu’ils privilégient un entrepreneur unique, la société Applied Silicon Inc. Canada (le titulaire). Plus précisément, le plaignant s’objecte, notamment, à l’importance attribuée aux connaissances générales et spécialisées dans le domaine des communications en guerre électronique (GE) contre l’importance attribuée à l’analyse du traitement des signaux et à l’exigence d’une expérience inutile. À titre de recours, le plaignant a demandé au Ministère d’examiner les critères d’évaluation technique et de les modifier pour qu’ils correspondent aux objectifs du projet, que la date limite de remise des soumissions soit prolongée de 40 jours après la publication de nouveaux critères d’évaluation et que l’autorité scientifique établisse des procédures de gestion qui mettent fin au manque d’impartialité.

Le 15 janvier 1995, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a déterminé que les conditions d’enquête énoncées à l’article 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [2] (le Règlement) avaient été remplies relativement à la plainte et a décidé d’enquêter sur la question pour déterminer si le marché public avait été passé conformément aux exigences du chapitre cinq de l’Accord sur le commerce intérieur [3] (l’ACI).

Enquête

Le 12 février 1996, le Ministère a déposé auprès du Tribunal un rapport de l’institution fédérale (RIF) en application de l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [4] . Les observations du plaignant sur le RIF ont été déposées auprès du Tribunal le 23 février 1996.

Étant donné que les renseignements figurant au dossier permettaient de déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a rendu une décision en se fondant sur les renseignements versés au dossier.

Procédure de passation des marchés publics

Le 26 octobre 1995, le Ministère a reçu de l’autorité scientifique une demande de négocier, avec le titulaire, à titre de fournisseur exclusif, un contrat relatif à l’étude de la structure du système de l’ACES. Le 8 novembre 1995, un Préavis d’adjudication de contrat [5] (PAC) a ét?E9‚ publié par l’entremise du Service des invitations ouvertes à soumissionner (SIOS). Le PAC indiquait que le marché public était régi par l’ACI et précisait, en partie, ce qui suit : [traduction] «En raison de ses travaux antérieurs exécutés dans le cadre de plusieurs marchés, incluant le ‘Développement d’un Prototype de système perfectionné des communications de MSE (ACES)[ [6] ]’, Applied Silicon Inc. Canada a une connaissance unique du matériel et des logiciels qui ont servi à la mise en œuvre du système de l’ACES actuel. Cette société connaît en détail les algorithmes exploités dans les logiciels ainsi que les questions techniques entourant leur représentation dans du matériel de traitement parallèle essentiel à l’exécution de ce travail».

Le 20 novembre 1995, le plaignant a écrit au Ministère pour s’objecter à la décision de faire appel à une source unique d’approvisionnement. Le plaignant a essentiellement fait valoir qu’il était tout à fait capable d’effectuer l’étude de la structure de l’ACES. Il a une nouvelle fois indiqué son opposition le 23 novembre 1995, demandant cette fois-ci que la source unique d’approvisionnement soit remplacée par une DDP, c'est-à-dire par un régime de concurrence, déclarant qu’après avoir lu la description des travaux (DT), il était [traduction] «plus convaincu que jamais du fait que cette étude était directement liée aux compétences particulières de la société Array».

Le 8 décembre 1995, l’Avis de projet de marché relatif à l’appel d’offres en question a été publié par l’entremise du SIOS et la DDP correspondante, incluant la DT, a été mise à la disposition de fournisseurs potentiels. Le 18 décembre 1995, le plaignant a écrit au Ministère pour s’objecter à certains aspects de la DDP qui empêchent un régime de concurrence équitable. En particulier, le plaignant a indiqué que les critères d’évaluation faisaient encore beaucoup allusion aux motifs avancés pour justifier le recours à un fournisseur exclusif, qu’un grand nombre des critères d’évaluation ne se rapportaient que peu ou pas aux objectifs explicites de l’étude, que les critères d’évaluation étaient établis en fonction de l’entrepreneur exclusif envisagé à l’origine et que le délai de remise des soumissions était inapproprié dans les circonstances. Le 19 décembre 1995, le Ministère a publié une DDP modifiée qui prolongeait de deux semaines, jusqu’au 19 janvier 1996, le délai de remise des soumissions. Le 22 décembre 1995, le Ministère a publié une deuxième modification de la DDP, supprimant cette fois la nécessité de présenter un plan de collaboration et mettant à la disposition des fournisseurs intéressés des renseignements supplémentaires sur l’ACES.

La méthode d’évaluation dans la DDP modifiée est présentée, en partie, comme suit :

Points
Maximum Minimum
(A) Proposition technique
1. Compréhension des objectifs et de la portée des travaux. 20,0 14,0
2. Connaissance et compréhension des signaux de
communication analogiques et numériques. 10,0 7,0
3. Connaissance et compréhension des algorithmes de
traitement des signaux pour les MSE en communications. 20,0 14,0
4. Connaissance et compréhension de la technologie du
processeur de signaux numériques, en particulier des
systèmes à très haute performance. 30,0 21,0
5. Compréhension des questions techniques d’interface entre
des receveurs numériques et du matériel de traitement des
signaux numériques. 10,0 7,0
(B) Proposition de services de gestion
1. Le plan de gestion doit donner un plan du projet indiquant
comment les travaux seront organisés et exécutés. Il doit
identifier et étayer les capacités techniques et les
compétences des membres de l’équipe de projet proposée,
relativement aux systèmes à haute performance de traitement
des signaux et de GE en communications. Le plan doit
expliquer comment le projet sera géré, donner le nom du
gestionnaire de projet unique en précisant l’expérience
qu’il/elle a dans les domaines suivants : ingénierie des
systèmes, gestion de projet, systèmes à haute performance
de traitement des signaux et de traitement des signaux en
communications ou de GE en communications. 10,0 7,0
2. Compétences confirmées de l’équipe de personnel proposée
dans le domaine des systèmes à haute performance de
traitement des signaux et des systèmes de GE en
communications. 20,0 14,0
3. Capacités et expérience confirmées du gestionnaire de
projet proposé dans les domaines suivants : ingénierie
des systèmes, gestion de projet, système de traitement
des signaux et de traitement des signaux en communications
ou de GE en communications à haute performance. 15,0 10,5
(C) Plan de collaboration
Entièrement supprimé.

La DDP précisait aussi que [traduction] «le soumissionnaire retenu sera la société offrant la PROPOSITION VALIDE AYANT OBTENU LA PLUS HAUTE COTE à un coût de 100 000 $ ou moins (TPS non comprise) [...] Pour être valide, une soumission doit obtenir une cote de 70 p. 100 au moins dans chacun des deux (2) domaines (technique et gestion) des critères d’évaluation».

Dix entreprises ont demandé à obtenir une copie du dossier d’adjudication du SIOS et trois entreprises ont présenté des soumissions. Deux entreprises ont demandé des renseignements supplémentaires sur l’ACES. Le plaignant n’a ni demandé de renseignements supplémentaires, ni présenté de soumission. Le 10 janvier 1996, le plaignant a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

Bien-fondé de la plainte

La position du plaignant

Dans les observations qu’il a formulées sur le RIF, le plaignant affirme que le Ministère et l’autorité scientifique n’ont pas justifié les critères d’évaluation présentés dans la DDP et qu’ils contreviennent donc aux dispositions de l’alinéa 3b) de l’article 504 de l’ACI ainsi qu’aux dispositions du Manuel d’approvisionnement (MA) du Ministère (annexe 4.1, article 1007, 1 et 2a), ancien Guide de la politique de l’approvisionnement 3002, 3a) et 15c)). Le plaignant ajoute que, même si les réponses fournies dans le RIF sont très éloquentes et rigoureuses, elles font néanmoins ressortir les exigences cachées des critères qui auraient sérieusement influé sur l’évaluation de n’importe quelle offre. Le plaignant a regroupé ses observations sur le RIF sous trois titres : Violations des dispositions de l’ACI et du MA; Subjectivité technique; et Processus.

En ce qui concerne les violations des dispositions de l’ACI et du MA, le plaignant fait valoir que l’ensemble des critères d’évaluation ainsi que les arguments présentés dans le RIF continuent de renfermer des éléments de preuve indiquant que les points essentiels sur lesquels la justification d’un fournisseur exclusif est fondée, et qui ont été mis en «doute», ont en fait été maintenus et même renforcés par l’autorité scientifique. Cette résurgence des arguments en faveur d’un fournisseur exclusif dans les critères d’évaluation indique clairement que la spécification technique manque d’impartialité. En outre, même si le concept du fournisseur exclusif a été abandonné au profit d’un régime de concurrence, la DT n’a pas fondamentalement été changée. Par exemple, il n’existe toujours pas de lien direct entre de nombreux critères d’évaluation et les travaux à exécuter. Le plaignant soutient également que le Ministère n’a pas présenté d’arguments qui justifiaient les compétences dans les domaines des communications et de la GE en communications, requises de tout le personnel proposé par les fournisseurs, y compris du gestionnaire de programme. Cette exigence est excessive et a été faite uniquement en fonction du profil du titulaire.

Pour ce qui est de la subjectivité technique, le plaignant prétend que, même si la DT avait précisé toutes les interfaces pertinentes au système complet et le signal se propageant par les interfaces (omis dans la DT), il y a d’énormes chances que l’évaluation des connaissances du système de l’ACES d’un entrepreneur comparativement à celles d’un autre entrepreneur soit subjective. En outre, l’image que se fait le Ministère d’un lien non interventionniste existant ou devant exister entre l’entrepreneur et l’autorité technique n’est pas conforme aux faits. En effet, le plaignant souligne que le gouvernement et l’industrie collaborent toujours au niveau de la conception, comme cela est normal lorsque des scientifiques et des ingénieurs talentueux et créateurs se réunissent de part et d’autre. Le fait que le Ministère défende une autre position dans les circonstances ne change rien à l’importance du rôle que l’autorité scientifique et le titulaire jouent ou auront à jouer pendant l’étude de la structure de l’ACES. En outre, l’opinion du Ministère selon laquelle une «expérience similaire» dans le domaine de la mise en œuvre d’algorithmes n’est pas valide et qu’une expérience «identique» est requise exclut, à toutes fins pratiques, l’expérience pertinente de façon injustifiée au moyen de critères d’évaluation énoncés de façon restrictive.

La nécessité pour le Ministère d’utiliser du matériel informatique spécialisé constitue un autre exemple de décisions «a priori» qui «mettent la charrue devant les bœufs». Pourquoi, en effet, définir d’emblée la solution en exigeant un matériel spécifique de mise en œuvre alors que le Ministère sait que le plaignant a récemment trouvé des produits commerciaux grand public pour du matériel de traitement des signaux spécialisé, qui figure parmi les «vaches les plus sacrées» du Canada? Sur la question du lieu d’exécution des travaux, notamment le banc d’essai de l’ACES, le plaignant soutient que le Ministère, dans son argumentation, fait de nouveau preuve d’un parti pris inutile en ne tenant compte ni du fait que d’autres approches que celles d’un banc d’essai sont possibles, ni de l’utilisation possible d’un modem pour effectuer ces essais, comme cela a déjà été fait par le plaignant dans le cadre d’autres contrats réalisés pour le MDN.

Quant aux questions de processus et à la déclaration du Ministère selon laquelle la DT a été établie «sans la participation de soumissionnaires», le plaignant soutient qu’il faut pouvoir compter sur beaucoup de crédulité pour nier que, compte tenu de tous les contrats connexes que le titulaire a réalisés en étroite collaboration avec l’autorité scientifique et des compétences requises du titulaire, certains échanges directement reliés à ces travaux ne se soient pas produits. En outre, le plaignant fait remarquer que le Ministère ne dit rien dans le RIF sur les craintes du plaignant selon lesquelles la proposition technique devrait régler la question de l’approche technique à utiliser en vue de satisfaire à la DT comme objectif premier plutôt que secondaire de celle-ci. Le plaignant affirme que le libellé et le contenu des critères d’évaluation subordonnent, en fait, la DT aux critères d’évaluation. Enfin, le plaignant souligne que le Ministère n’a absolument tenu aucun compte, dans le RIF, de sa suggestion de faire examiner la DT et les critères d’évaluation connexes par des homologues totalement indépendants de manière à éliminer toute possibilité de partialité.

Bref, le plaignant affirme que le Ministère n’a pas prouvé le bien-fondé de sa position. Effectivement, [traduction] «un examen insuffisant et une trop grande hâte à publier le RIF [ont] mené à des spécifications techniques qui ne sont pas impartiales». En outre, le Ministère a montré directement, et aussi de façon implicite, qu’il est disposé à interpréter les critères d’évaluation en faveur de l’approche technique, du profil du personnel et de l’emplacement du titulaire. Cette invitation à soumissionner, conclut le plaignant, n’a été ni équitable ni concurrentielle, et il indique qu’il a [traduction] «dès le départ été défavorisé».

La position du Ministère

Le Ministère soutient, dans le RIF, que la DT et les critères d’évaluation relatifs au marché public en question ne manifestent aucun parti pris en faveur d’un fournisseur en particulier. Ils définissent plutôt avec précision la demande en termes génériques et fixent les critères acceptables minimaux en fonction desquels les offres seront évaluées.

Plus précisément, le Ministère conteste l’affirmation du plaignant selon laquelle le Ministère a implicitement reconnu que le délai accordé dans la DDP originale pour préparer une soumission ou les critères d’évaluation énoncés à la section C concernant l’exigence d’un plan de collaboration étaient fautifs. Le délai a été reporté parce qu’un nombre important de renseignements techniques supplémentaires étaient mis à la disposition des soumissionnaires. Par ailleurs, la section sur la collaboration avec l’entreprise a été supprimée du fait qu’il n’existait aucun lien entre la collaboration requise et la demande de fourniture. Le Ministère soutient également que la DT a été établie par des membres du personnel hautement qualifiés de l’autorité scientifique, sans aucune participation d’un soumissionnaire en particulier. En outre, d’autres cadres du personnel technique de l’autorité scientifique ont participé à ce travail, ce qui garantissait l’intégrité des exigences techniques. Enfin, le personnel du Ministère a examiné la DT ainsi que la grille d’évaluation et les a trouvées acceptables.

Le Ministère ajoute qu’il a tenu compte des observations du plaignant pendant le processus de soumission et, par exemple, a accepté de supprimer l’obligation de présenter un plan de collaboration et a mis des renseignements techniques supplémentaires à la disposition de tous les soumissionnaires pour satisfaire à certaines de ses demandes. En ce qui concerne les autres demandes du plaignant, [traduction] «[t]ous ont reconnu que les demandes de changement présentées par Array au niveau technique n’étaient ni raisonnables ni acceptables d’un point de vue technique». Quant à la nature restrictive et partiale des critères d’évaluation, le Ministère soutient que ces critères ont été élaborés de manière à assurer que le soumissionnaire retenu ait les connaissances techniques requises pour donner des résultats utiles sans avoir besoin d’une aide excessive de l’autorité scientifique. Les critères traduisent simplement le fait que l’ACES est un système très complexe. Le Ministère soutient également que la structure du processeur de signaux de l’ACES fait partie intégrante de la structure du système et ne peut être traité isolément. La mention dans les critères d’évaluation de connaissances de la GE en communications indique qu’il est très important d’avoir une perspective d’ensemble du système pour exécuter les travaux.

Le Ministère affirme aussi que rien ne supporte l’assertion du plaignant selon laquelle une expérience superflue est requise, par exemple, en ce qui a trait au gestionnaire de projet. Il est vrai que les critères d’évaluation réclament des compétences dans le domaine du traitement des signaux de communications ou de la GE en communications et, par conséquent, il est en fait possible d’obtenir la cote maximale attribuée à ce critère sans avoir de compétences dans le domaine de la GE en communications. Pour ce qui est du lieu d’exécution des travaux, le Ministère déclare que rien dans la DT ou le RIF n’est indiqué sur l’emplacement de l’entrepreneur. L’entrepreneur doit, cependant, utiliser le banc d’essai de l’ACES situé à Ottawa de manière à assurer l’intégration du système. Si le logiciel pour les algorithmes de traitement des signaux de l’ACES ne fonctionne pas sur le système, il est totalement inutile. Cela, de l’avis du Ministère, n’est pas une question sans objet. En ce qui concerne la pertinence des critères d’évaluation par rapport aux objectifs explicites de l’étude, le Ministère soutient que les critères d’évaluation ont été élaborés par des experts dans le domaine, qu’ils sont entièrement conformes à la nature et à la portée des travaux exigés et qu’ils ont été conçus de manière à éliminer les fournisseurs n’ayant pas les capacités requises pour exécuter les travaux. Puisque trois entreprises ont présenté des soumissions, cela confirme que les critères d’évaluation n’étaient pas indûment restrictifs.

Le Ministère fait en outre valoir que l’étude portait sur une analyse de la structure du traitement des signaux, mais pour l’ensemble du système de l’ACES. L’allusion à un système de l’ACES de «deuxième génération» dans le RIF ne contredit pas le renvoi à [traduction] «[un]exercice de conception sur une feuille de papier blanche». Cette dernière affirmation indique que le gouvernement est disposé à examiner des propositions de structure qui proposent plus que des modifications incrémentielles. Pour ce qui est des compétences «similaires» ou «identiques», le Ministère soutient que le système de l’ACES est encore en grande partie un banc d’essai pour le moment et que les algorithmes n’ont pas encore atteint un état de maturité. Le but de l’étude, par conséquent, n’est pas de concevoir des mises en œuvre hautement optimisées de quelques algorithmes comme le plaignant l’a fait dans le passé, mais d’établir une structure permettant la mise en œuvre d’algorithmes plus sophistiqués.

En ce qui concerne la proposition des services de gestion et, en particulier, les qualifications et les compétences exigées du gestionnaire de projet, le Ministère soutient que les compétences dans le domaine de la GE en communications que le gestionnaire de projet doit posséder sont jugées être une capacité importante. Néanmoins, des 45 points attribués à la proposition des services de gestion, pas plus de 10 points sont attribués à cette exigence. Nonobstant toutes les explications qui précèdent, les critères d’évaluation sont assez souples pour que l’une ou l’autre d’un nombre de sociétés aient pu satisfaire à la demande.

Bref, le Ministère déclare que ce marché public, d’abord lancé en faisant appel à un fournisseur exclusif, a été transformé en marché public concurrentiel après que le plaignant a démontré qu’il pourrait, de façon potentielle, satisfaire à la demande. Une fois cette conversion faite, toutes les occasions ont été données au plaignant de présenter une soumission recevable. Les critères d’évaluation ont été établis et ont fait l’objet d’un examen critique par le personnel du Ministère et du MDN. Les critères sont propres au projet et représentent, de l’avis de l’autorité scientifique, les exigences acceptables minimales à satisfaire sans compromettre l’achèvement du projet.

Décision du Tribunal

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal est tenu, lorsqu’il a décidé d’enquêter, de limiter son étude à l’objet de la plainte. En outre, aux termes de l’enquête, il doit déterminer le bien-fondé de la plainte en fonction du respect des critères et des procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l’article 11 du Règlement stipule, entre autres, que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux exigences de l’ACI.

L’alinéa 3b) de l’article 504 de l’ACI prévoit, entre autres ce qui suit :

3. Sauf disposition contraire du présent chapitre, sont comprises parmi les mesures incompatibles avec les paragraphes 1 et 2 :

b) la rédaction des spécifications techniques de façon soit à favoriser ou à défavoriser des produits ou services donnés, [...] soit à favoriser ou à défavoriser des fournisseurs de tels produits ou services, en vue de se soustraire aux obligations prévues par le présent chapitre.

L’article 501 de l’ACI prévoit, entre autres, que l’objet du chapitre «vise à établir un cadre qui assurera à tous les fournisseurs canadiens un accès égal aux marchés publics, de manière à réduire les coûts d’achat et à favoriser l’établissement d’une économie vigoureuse, dans un contexte de transparence et d’efficience».

Le paragraphe 506(6) de l’ACI prévoit que «[d]ans l’évaluation des offres, une Partie peut tenir compte non seulement du prix indiqué, mais également de la qualité, de la quantité, des modalités de livraison, du service offert, de la capacité du fournisseur de satisfaire aux conditions du marché public et de tout autre critère se rapportant directement au marché public et compatible avec l’article 504. Les documents d’appel d’offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l’évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d’évaluation des critères».

Après avoir examiné les éléments de preuve et les arguments présentés par les deux parties et tenu compte des obligations énoncées dans l’ACI, le Tribunal a conclu que la plainte n’est pas fondée.

La plainte peut être examinée sous trois aspects distincts : premièrement, l’argument que la spécification technique ou la DT est restrictive; deuxièmement, l’argument que les critères d’évaluation favorisent injustement le titulaire et, troisièmement, l’argument que l’évaluation, compte tenu des motifs avancés pour les premier et deuxième aspects, ne peut qu’être partiale.

En ce qui concerne la spécification technique ou la DT, le Tribunal n’est pas en mesure de reconsidérer le jugement de l’autorité scientifique lorsqu’elle établit le besoin ou la demande relativement à ce marché public. La procédure suivie pour établir la DT prévoyait certaines vérifications pour assurer que la demande n’était pas formulée de manière à exclure délibérément certains fournisseurs. En fait, dix entreprises ont demandé d’obtenir une copie des documents d’invitation à soumissionner du SIOS et trois entreprises ont présenté des offres.

Le Tribunal tient cependant à souligner que l’autorité scientifique aurait avantage à mettre sur pied un comité permanent chargé d’examiner et de vérifier les spécifications techniques des marchés publics projetés, c.-à-d. veiller à ce que la demande ne soit pas libellée de façon à exclure une réelle concurrence. Le Tribunal fait cette suggestion pour atténuer les craintes des fournisseurs potentiels voulant qu’un marché public puisse être passé de manière non conforme à l’objet de l’ACI. Cela semble particulièrement s’appliquer dans les situations où l’intention du gouvernement de recourir à un fournisseur exclusif pour satisfaire à une demande est contestée avec succès, comme dans la présente cause. De faire en sorte que les demandes donnent lieu à une plus grande concurrence est à l’avantage du gouvernement et du contribuable parce que cela peut se traduire en de meilleures décisions d’adjudication et des solutions de remplacement moins coûteuses.

En ce qui concerne les critères d’évaluation favorisant injustement le titulaire, ici encore le Tribunal ne trouve aucune violation de l’ACI dans l’établissement de ces critères. Les compétences spécifiques exigées de la part de certains membres de l’équipe proposée, par exemple, dans les domaines des communications ou du traitement des signaux de GE en communications, ne sont pas déraisonnables. En fait, le Tribunal est d’avis que les exigences particulières requises du gestionnaire de projet ne s’écartent pas des exigences énoncées dans la DT. En outre, le Tribunal souligne qu’un fournisseur potentiel peut bâtir une proposition faisant appel à des compétences internes et (ou) externes et, en ce sens, le fait d’exiger certaines compétences ne peut être vu comme visant une entreprise en particulier. Sur la question du parti pris en faveur d’une région, le Tribunal est d’avis que le fait d’exiger que le travail soit confirmé sur le banc d’essai existant n’empêche nullement un fournisseur d’effectuer un grand nombre de travaux ailleurs.

Bien que l’application de ce genre de critères d’évaluation puisse être entachée d’une certaine subjectivité, cela n’est pas interdit par l’ACI et, en fait, de l’avis du Tribunal, le jugement professionnel est parfaitement normal et est même prévisible pour tout type de marché public. Reste la question de savoir si le titulaire jouit ou non d’un avantage injuste dans ce marché public ou d’autres marchés similaires. Le Tribunal estime qu’effectivement le titulaire bénéficie peut-être d’un avantage en raison de l’expérience qu’il a acquise dans le cadre de ses contrats ant 9‚rieurs, mais cela est, en soi, normal et n’est pas jugé être injuste. Le fait d’être un titulaire constitue parfois un inconvénient, un fournisseur risquant de s’enfermer dans un mode particulier de fonctionnement assorti des coûts connexes, ce qui l’empêche de réagir lorsqu’un nouveau fournisseur soumet à l’examen une approche innovatrice.

Quant au risque de partialité injuste dans l’évaluation, le Tribunal est d’avis que, compte tenu de la position qu’il a prise à l’égard des motifs avancés par le plaignant en défense des premier et deuxième aspects, cette partie de la plainte est purement spéculative dans les circonstances. Le Tribunal ne peut déterminer à l’avance et le plaignant ne peut prévoir avec certitude que l’évaluation sera faite de façon à enfreindre l’ACI. Le processus d’évaluation doit d’abord se dérouler avant que le Tribunal ne puisse être saisi d’une plainte relative à l’application injuste des critères d’évaluation. Dans la présente cause, le plaignant a choisi de ne pas présenter de soumission, même si les démarches qu’il a faites au début du processus ont eu pour résultat d’ouvrir le marché public à la concurrence. Le Tribunal fait remarquer que deux autres fournisseurs potentiels ont profité de l’occasion pour faire concurrence au titulaire en vue de décrocher le marché.

Le Tribunal est d’avis que le Ministère a su équilibrer ses exigences et les préoccupations exprimées par le plaignant avant ainsi qu’après la publication de l’Avis de projet de marché jusqu’à la date limite de présentation des soumissions.

Décision du Tribunal

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal décide, relativement à l’objet de la plainte, que la procédure de passation des marchés publics a été suivie conformément à l’ACI et que, par conséquent, la plainte n’est pas fondée.


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. DORS/93-602, le 15 décembre 1993, Gazette du Canada Partie II, vol. 127, no 26 à la p. 4547, modifié.

3. Signé à Ottawa (Ontario), le 18 juillet 1994.

4. DORS/91-499, le 14 août 1991, Gazette du Canada Partie II, vol. 125, no 18 à la p. 2912, modifiées.

5. Avis qui informait les fournisseurs potentiels que le gouvernement avait l’intention de restreindre les appels d’offres en général à un seul fournisseur et qui en donnait la justification.

6. Les services de communications en GE, dont l’ACES est une partie, sont des services liés au Federal Supply Classification (classification fédérale des approvisionnements) (FSC), Groupe 58 (équipements de télécommunications, de détection et à rayonnement cohérent). Cette catégorie de marchandises du FSC et les services qui s’y rapportent ne sont pas visés par l ’Accord de libre-échange nord-américain lorsqu’ils sont achetés par le MDN ou en son nom.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 28 août 1996