SYBASE CANADA LTD.

Décisions


SYBASE CANADA LTD.
Dossier no : PR-96-037

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le mercredi 30 juillet 1997

Dossier no : PR-96-037

EU ÉGARD À une plainte déposée par la société Sybase Canada Ltd. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes du paragraphe 30.15(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande, à titre de mesures correctives, que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux passe le marché public en cause en conformité avec les dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain, de l’Accord sur les marchés publics et de l’Accord sur le commerce intérieur.

Aux termes du paragraphe 30.16(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Sybase Canada Ltd. le remboursement des frais qu’elle a engagés pour le dépôt et le traitement de sa plainte.

Raynald Guay
_________________________
Raynald Guay
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire






Date de la décision : Le 30 juillet 1997

Membre du Tribunal : Raynald Guay

Gestionnaire de l’enquête : Randolph W. Heggart

Avocat pour le Tribunal : Gerry Stobo

Plaignant : Sybase Canada Ltd.

Avocat pour le plaignant : John F. Blakney

Intervenant : Oracle Corporation Canada Inc.

Institution fédérale : Ministère des Travaux publics et des Services
gouvernementaux

CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

CONTEXTE

Le 17 mars 1997, la société Sybase Canada Ltd. (Sybase) a déposé une plainte aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (la Loi sur le TCCE) concernant l’intention du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) d’obtenir, dans le cadre de l’attribution d’un contrat à un fournisseur exclusif [2] , une licence ministérielle d’un « Relational Database [3] Management System (RDBMS) » (« système de gestion de base de données relationnelles [SGBDR] ») pour jusqu’à 55 000 utilisateurs, y compris l’entretien, pour une période de cinq ans, auprès de la société Oracle Corporation Canada Inc. (Oracle), pour le ministère de la Défense nationale (MDN) (numéro d’invitation W8474-6-QQD7).

Sybase a fait valoir que l’augmentation proposée du nombre d’utilisateurs, soit de 30 000 à 55 000, ne correspond pas à un usage incrémentiel des applications actuelles du logiciel de SGBDR d’Oracle, mais plutôt à des utilisations additionnelles du logiciel susmentionné qui peuvent être satisfaites par les logiciels de concurrents, y compris ceux de Sybase. Elle a soutenu de plus qu’en raison d’un manque de ressources, le MDN n’a procédé à aucune évaluation technique des solutions de rechange. Cette acquisition était prétendument justifiée du fait que les permis d’Oracle seraient gratuits, tandis que l’emploi de logiciels d’autres fournisseurs de bases de données signifierait des coûts d’acquisition pour de nouvelles licences et qu’ainsi le MDN pouvait compter obtenir une certaine valeur en retour de tout l’argent qu’il a déjà dépensé avec Oracle. Pour les raisons susmentionnées, Sybase a fait valoir que le Ministère n’avait pas mené ce marché public en conformité avec les dispositions du paragraphe 1016(1) de l’Accord de libre-échange nord-américain [4] (ALÉNA).

Sybase a demandé, à titre de mesures correctives, que le préavis d’adjudication de contrat [5] (PAC) soit annulé et que l’acquisition de logiciels de base de données supplémentaires fasse l’objet d’une concurrence véritable.

ENQUÊTE

Le 20 mars 1997, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a déterminé que les conditions d’enquête précisées à l’article 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [6] (le Règlement) avaient été remplies relativement à la plainte et a décidé d’enquêter sur la question de savoir si le marché avait été mené en conformité avec les exigences du chapitre 10 de l’ALÉNA, de l’Accord sur le commerce intérieur [7] (ACI) et de l’Accord sur les marchés publics [8] (AMP). Le même jour, le Tribunal a rendu une ordonnance portant le report de l’adjudication de tout marché concernant l’appel d’offres en cause jusqu’à ce qu’il se soit prononcé sur le bien-fondé de la plainte. Le 24 mars 1997, le Tribunal a autorisé Oracle à intervenir dans l’affaire. Le 23 avril 1997, le Ministère a déposé auprès du Tribunal un rapport de l’institution fédérale (RIF) en application de l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [9] . Le 5 mai 1997, Sybase a déposé auprès du Tribunal une motion demandant la production de documents et de renseignements supplémentaires concernant l’affaire ainsi qu’une prorogation de délai pour le dépôt des commentaires sur le RIF. Le 30 mai 1997, le Tribunal a ordonné au Ministère de produire d’autres documents et des renseignements supplémentaires. Les 23 et 27 juin 1997, le Ministère a déposé les documents et les renseignements supplémentaires. Le 9 juillet 1997, Sybase et Oracle ont déposé auprès du Tribunal leurs commentaires sur le RIF. Le 15 juillet 1997, Sybase a déposé auprès du Tribunal ses commentaires sur l’exposé présenté par Oracle et, le 22 juillet 1997, le Ministère a soumis ses commentaires en réponse aux commentaires de Sybase. Le 25 juillet 1997, Sybase a déposé auprès du Tribunal sa réponse aux commentaires soumis par le Ministère le 22 juillet 1997.

Étant donné que les renseignements figurant au dossier permettaient de déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a rendu une décision en se fondant sur le dossier existant.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

Le 9 février 1997, le Ministère a publié un PAC relativement au besoin en cause dans Marchés publics, la date de clôture étant fixée au 26 février 1997. Le PAC décrit la nature du besoin comme suit :

1) [Le ministère de la Défense nationale] a une demande pour convertir les permis actuels de systèmes de gestion de base de données relationnelles (SGBDR) d’Oracle (estimation de 30 000 utilisateurs actuels) à un permis ministériel pour jusqu’à 55 000 utilisateurs. 2) Fournir un service d’entretien pour les permis susmentionnés ainsi que les permis actuels de tous les produits d’Oracle dont [le MDN] a un permis, pour une période de cinq ans qui commence le 1er août 1997. L’entretien sera assuré par cinq contrats d’un an qui seront attribués à chaque année, et qui commenceront le 1er août 1997 ou avant.

Le PAC indique, entre autres, que cet appel d’offres est assujetti aux processus de demande des soumissions établies par l’ALÉNA et l’AMP. Il y est aussi indiqué que la stratégie d’approvisionnement est non concurrentielle en raison de « Droits exclusifs ».

Le 20 février 1997, Sybase a écrit au Ministère et a fait opposition à la démarche entreprise. Elle a déclaré, entre autres, que « l’environnement des SGBDR est extrêmement concurrentiel et nous sommes d’avis que nos produits satisfont ou dépassent les exigences du MDN à tous égards, et qu’ils sont très avantageux. Nous nous préoccupons donc à la fois de l’occasion qui peut nous être offerte et de l’occasion dont le gouvernement pourrait se prévaloir, de bénéficier du régime de concurrence » [traduction]. Le 3 mars 1997, le Ministère a répondu à l’objection de Sybase et a fait savoir qu’il n’était pas pratique, dans ce cas, d’envisager d’autres produits de SGBDR à cause des questions d’interface et d’interchangeabilité associées à la modification des systèmes en place pour les adapter à un autre SGBDR. Le Ministère a aussi fait valoir que l’alinéa 1016(2)d) de l’ALÉNA prévoyait des situations de ce genre.

Le 10 juin 1997, le MDN a obtenu un document (deux pages) du GartnerGroup qui traite, en termes généraux et de façon sommaire, de facteurs tels que les coûts, les risques ainsi que les pressions et les aspects dissuasifs afférents à la conversion d’un SGBDR à un autre.

Les dispositions suivantes de l’article 1016 de l’ALÉNA s’appliquent à la présente affaire :

1. Une entité d’une Partie pourra, dans les circonstances et sous réserve des conditions indiquées au paragraphe 2, utiliser des procédures d’appel d’offres limitées et déroger ainsi aux articles 1008 à 1015, à condition que ces procédures limitées ne soient pas utilisées dans le dessein de ramener la concurrence en deçà du maximum possible, ou d’une manière qui constituerait un moyen de discrimination entre fournisseurs des autres Parties ou de protection des fournisseurs nationaux.

2. Une entité pourra utiliser les procédures d’appel d’offres limitées dans les circonstances et sous réserve des conditions suivantes, le cas échéant :

b) lorsque, du fait qu’il s’agit de travaux d’art ou pour des raisons liées à la protection de brevets, de droits d’auteur ou d’autres droits exclusifs ou de renseignements de nature exclusive, ou en l’absence de concurrence pour des raisons techniques, les produits ou services ne pourront être fournis que par un fournisseur particulier et qu’il n’existera aucun produit ou service de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisant;

d) lorsqu’il s’agira de livraisons additionnelles à assurer par le fournisseur initial et portant sur le remplacement de pièces ou la prestation de services continus à l’égard de fournitures, de services ou d’installations déjà livrés, ou visant à compléter ces fournitures, services ou installations, et qu’un changement de fournisseur obligerait l’entité à acheter des équipements ou des services ne répondant pas à des conditions d’interchangeabilité avec des équipements ou des services déjà existants, y compris les logiciels, dans la mesure où l’achat initial s’inscrit dans le cadre du présent chapitre.

Les dispositions suivantes de l’article XV de l 2'AMP s’appliquent aussi :

1. Les dispositions des articles VII à XIV, qui s’appliquent aux procédures d’appel d’offres ouvertes ou sélectives, ne seront pas nécessairement applicables dans les circonstances définies ci-après, à la condition que l’appel d’offres limité ne soit pas utilisé en vue de ramener la concurrence en deçà du maximum possible, ou d’une manière qui constituerait un moyen de discrimination entre les fournisseurs des autres Parties ou de protection des producteurs ou des fournisseurs nationaux :

b) lorsque, du fait qu’il s’agit de travaux d’art ou pour des raisons liées à la protection de droits exclusifs, tels que des droits de brevet ou de reproduction, ou en l’absence de concurrence pour des raisons techniques, les produits ou services ne pourront être fournis que par un fournisseur particulier et qu’il n’existera aucun produit ou service de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisant;

d) lorsqu’il s’agira de livraisons additionnelles à assurer par le fournisseur initial et portant sur des pièces de rechange pour des fournitures déjà faites ou des installations déjà livrées, ou destinées à compléter ces fournitures, services ou installations, et qu’un changement de fournisseur aboutirait à la livraison de matériel ou de services ne répondant pas à des conditions d’interchangeabilité avec un matériel ou service déjà existant.

BIEN-FONDÉ DE LA PLAINTE

Position de Sybase

Sybase a fait savoir qu’elle n’avait pas pris à la légère la décision de demander le réexamen du projet de marché public du MDN. En vérité, elle considère le MDN comme un client précieux et elle a toujours préféré, et continuera de préférer, obtenir des marchés grâce au mérite reconnu de ses produits. Toutefois, Sybase est d’avis que le MDN méconnaît profondément la nature présentement très concurrentielle du marché des SGBDR. Sybase fait valoir que le marché en cause, simplement de par son ampleur, pourrait, s’il ne fait pas l’objet d’une contestation vigoureuse, établir un précédent inapproprié qui aurait pour effet d’éliminer, à toutes fins utiles, la concurrence dans l’ensemble du gouvernement fédéral concernant les SGBDR.

Dans son exposé, Sybase conteste l’appréciation que donne le Ministère des coûts liés au Système d’information de gestion - Instruction individuelle (SIGII). De même, à la lumière des éléments mis en preuve par le MDN, Sybase affirme que les prétendues 30 000 licences d’utilisation d’Oracle que le MDN propose de remplacer par une licence ministérielle semblent ne se chiffrer dans les faits qu’à 819. Elle fait valoir que la proposition du MDN selon laquelle ce dernier aurait besoin d’ajouter plus de 7 000 licences d’utilisation d’Oracle durant l’exercice financier 1997-1998 est exagérée, dénuée de fondement et non corroborée par quelque élément de preuve que ce soit. De même, la proposition du MDN selon laquelle ce dernier aurait déjà acquis 10 000 licences de développement complet d’Oracle est excessive et déraisonnable, étant donné la taille et la nature du MDN.

Sybase soutient que les considérations financières importantes accordées par le MDN à Oracle dans le cadre du marché en cause confirme que le MDN entend acquérir d’Oracle une fonctionnalité supplémentaire importante dans le domaine des bases de données durant la période visée par l’accord de licence. Ces considérations financières, selon Sybase, constituent pour le MDN un incitatif irrésistible à continuer d’approvisionner tous ses besoins futurs de bases de données exclusivement auprès d’Oracle, sans régime de concurrence. En termes simples, une fois s’être implantée chez le MDN, Oracle sera en relation symbiotique perpétuelle avec le MDN.

De plus, Sybase fait valoir que l’alinéa 1016(2)d) de l’ALÉNA n’autorise pas l’attribution à un fournisseur exclusif dans ce cas parce que le marché va au-delà de ce qui peut raisonnablement être considéré comme étant le remplacement de pièces, la prestation de services continus ou l’approvisionnement pour compléter des fournitures déjà livrées. En outre, les procédures d’appel d’offres limitées ne sont pas autorisées dans le cas présent parce que les produits et services des SGBDR d’Oracle sont interchangeables avec ceux de Sybase et probablement avec ceux de beaucoup d’autres grands fournisseurs de SGBDR. De plus, Sybase fait valoir que les travaux ou les coûts que le MDN suppose liés à l’approvisionnement en produits de SGBDR en provenance de plus d’un seul fournisseur n’entrent pas en ligne de compte dans la détermination de l’absence d’interchangeabilité aux termes de l’ALÉNA. Faire droit à une telle affirmation, selon Sybase, enlèverait à l’alinéa 1016(2)d) tout son pouvoir de restriction et donnerait aux ministères fédéraux carte blanche pour attribuer des contrats à des fournisseurs exclusifs relativement à n’importe quelle catégorie de produits. La question de savoir si le coût des produits et des services de Sybase serait plus élevé que le coût de ceux d’Oracle ne peut être correctement tranchée que par un appel d’offres en régime de concurrence. Sybase fait valoir que, souvent, les fournisseurs assument les coûts de formation ou de transition pour ouvrir l’accès à un client jusqu’alors sous l’emprise d’un autre fournisseur.

En ce qui a trait à l’application de l’alinéa 1016(2)b) de l’ALÉNA dans les circonstances, Sybase soutient que l’alinéa ne constitue pas une justification fondée de l’attribution d’un contrat à un fournisseur unique ou exclusif. En vérité, si la question des droits exclusifs se pose relativement à l’interchangeabilité, Sybase soutient que les autres soumissionnaires, dans le cadre d’un marché soumis à la concurrence, ont le droit de choisir de remplacer les licences exclusives de développement dans le cadre de la procédure de soumission pour que la question des droits exclusifs ne se pose plus. Sinon, chaque fois qu’un concepteur de logiciels serait le « premier à franchir le seuil » quelque part, l’alinéa 1016(2)b) pourrait être invoqué en ce sens à coup sûr. Or, selon Sybase, ce n’est tout simplement pas le cas, et la situation n’en est pas une qui est visée par les mesures de sauvegarde de l’ALÉNA. De plus, Sybase déclare que le MDN dispose maintenant d’au moins un autre outil de développement d’applications de SGBDR, soit PowerBuilder de Sybase, qui permet au MDN de développer des applications de SGBDR destinées à fonctionner sur Oracle 7 et, par exemple, le Sybase System 11 sans autorisation préalable ni licence d’Oracle.

Sybase fait en outre valoir que le marché public en cause, contrairement aux dispositions du paragraphe 1016(1) de l’ALÉNA, vise à permettre au MDN d’éviter non seulement d’étudier la possibilité de recourir à des procédures d’appel d’offres ouvertes pour ses besoins continus de SGBDR, mais aussi, et le fait revêt encore plus d’importance, d’examiner la façon de le faire correctement. La dépendance exclusive et incorrecte du MDN à l’endroit de l’offre à commandes principale et nationale [10] (OCPN) d’Oracle explique l’existence d’une telle situation. En vérité, Sybase soutient de plus que la seule reconduction de l’OCPN d’Oracle comme base d’attribution à un fournisseur exclusif d’un nombre indéterminé de licences individuelles d’utilisation d’Oracle enfreint en soi le paragraphe 1016(1). Dans ce contexte, Sybase soutient que le Tribunal devrait recommander que le MDN ne substitue pas l’attribution continue en exclusivité de produits d’Oracle aux termes de l’OCPN advenant le cas où la licence ministérielle ne serait pas mise en œuvre en totalité ou en partie.

Sybase soutient aussi que le MDN a omis de considérer si l’argument de l’interchangeabilité pouvait correctement être avancé relativement au marché public en cause avant que Sybase ait déposé sa plainte auprès du Tribunal et que, jusqu’à présent, le Ministère a omis de traiter des questions et des options d’interchangeabilité fonctionnelle associées au marché déterminé en cause. Ayant déclaré que la conversion des bases de données à un autre fournisseur (le sujet principal du document de GartnerGroup) n’est pas l’objet de la plainte, Sybase fait valoir que tout ce qu’elle recherche c’est de veiller à ce que le MDN mette en place et maintienne des règles du jeu équitables en ce qui touche les futurs besoins de SGBDR y compris, sans s’y limiter, les nouvelles applications, les nouveaux services et ceux de remplacement, les nouveaux projets et les améliorations.

Dans ses commentaires sur l’exposé d’Oracle déposé auprès du Tribunal, Sybase soutient que le marché public auquel renvoie Oracle dans son exposé est sensiblement différent de celui qui fait l’objet du litige dans la présente affaire. Sybase soutient aussi que le fait qu’un grand nombre de contrats auraient pu être passés conformément aux procédures d’appel d’offres limitées depuis la mise en vigueur de l’ALÉNA n’est pas pertinent en l’espèce, particulièrement si l’un de ces contrats a été adjugé en violation des dispositions pertinentes de l’ALÉNA. De plus, la possibilité que les pratiques d’appel d’offres restreint pour la passation d’autres marchés publics aient dérogé aux dispositions de l’ALÉNA ne devrait pas empêcher un fournisseur potentiel de contester de telles pratiques lorsqu’il juge qu’il convient de le faire.

En réponse aux commentaires du 22 juillet 1997 du Ministère, Sybase soutient que ce dernier n’a jamais produit d’élément de preuve à l’appui de l’affirmation selon laquelle les licences de SGBDR d’Oracle présentement en vigueur au MDN visent 30 000 utilisateurs. Sybase fait de plus valoir que la méthode qui a servi à compter le nombre d’utilisateurs selon chaque application soulève des questions fondamentales relativement à l’acquisition d’une nouvelle fonctionnalité, par exemple. En ce qui a trait à la question de l’ajout de plus de 7 000 licences d’utilisation durant l’exercice financier 1997-1998 et à la question de l’existence de 10 000 licences de développement complet d’Oracle au MDN, Sybase fait valoir que, bien qu’elles soient peut-être liées à d’autres marchés, passés et à venir, ces questions, soulevées par le Ministère, concernent néanmoins la présente affaire. Enfin, en ce qui a trait à l’interchangeabilité, Sybase soutient que le nœud de l’argument de Sybase échappe toujours complètement à la compréhension du Ministère.

Position du Ministère

Le Ministère a résumé l’historique des SGBDR et décrit les divers contrats de licence de tels systèmes [11] . Le Ministère a ajouté que le MDN détient présentement environ 30 000 licences d’utilisation d’Oracle, qui sont soumises aux contraintes imposées par les limites soit du système d’exploitation (SE), soit du nombre de serveurs, soit de l’unité centrale de traitement (UCT), et pour lesquelles Oracle possède tous les droits de propriété intellectuelle (brevets, droits exclusifs et renseignements de nature exclusive). Pour cette raison, le Ministère fait valoir qu’il n’est pas possible d’aller en régime de concurrence pour modifier les termes des licences en vigueur sans négocier avec Oracle. En outre, le Ministère déclare que le MDN détient présentement environ 10 000 licences de développement complet du logiciel de SGBDR d’Oracle et qu’il a présentement besoin de fournir l’accès aux applications en place à plus de 7 000 nouveaux utilisateurs.

Enfin, le MDN évalue à environ 25 000 nouveaux utilisateurs ses besoins futurs d’accès aux nouvelles applications de SGBDR d’Oracle développées à l’interne ou à l’externe en régime concurrentiel. Présentement le MDN exploite ou développe des centaines d’applications sur le SGBDR d’Oracle et, selon le Ministère, « un changement consistant à passer à Sybase ou à d’autres fournisseurs de SGBDR obligerait le MDN à se procurer du matériel et des services qui ne satisfont pas les critères d’interchangeabilité avec les applications en place [...] et exigerait des dépenses considérables, de plusieurs millions de dollars, pour adapter les applications actuelles aux nouvelles bases de données, débouchant sur une situation qui ne serait pas pratique, une situation inexploitable » [traduction]. Le Ministère fait de plus valoir que, bien qu’une conversion d’Oracle à Sybase ait été réalisée, à un coût élevé, il y a deux ans relativement à l’application SIGII, il n’existe présentement aucun obstacle technique qui exige d’adapter les applications Oracle à un autre SGBDR, comme c’était alors le cas.

En ce qui a trait à la partie du besoin portant sur l’entretien, le Ministère déclare que l’objectif du MDN est de combiner tous ses besoins d’entretien, afin que toutes ses applications Oracle exploitent les caractéristiques et la fonctionnalité améliorées des produits d’Oracle les plus récents.

Le Ministère soutient que, parce qu’Oracle est propriétaire des brevets, des droits exclusifs et des renseignements de nature exclusive du SGBDR d’Oracle et des licences d’utilisateur que le MDN veut convertir en licence ministérielle, seule Oracle peut fournir cette licence. Il n’existe aucun substitut. Par conséquent, le Ministère fait valoir que le recours aux procédures d’appel d’offres limitées prévues à l’alinéa 1016(2)b) de l’ALÉNA, au paragraphe 1 b) de l’article XV de l’AMP et à l’alinéa 506(12)a) [12] de l’ACI est fondé compte tenu des circonstances. De plus, le Ministère fait valoir que la fourniture d’une licence ministérielle qui autorise d’ajouter jusqu’à 25 000 nouveaux utilisateurs est aussi conforme aux dispositions de l’alinéa 1016(2)d) de l’ALÉNA, du paragraphe 1 d) de l’article XV de l’AMP et de l’alinéa 506(12)a) de l’ACI. En vérité, un changement de fournisseur obligerait le MDN à se procurer du matériel et des services qui exigeraient l’adaptation de centaines d’applications développées ou exploitées sur le SGBDR d’Oracle, du fait de la question très concrète de l’absence d’interchangeabilité et de compatibilité entre les deux systèmes.

En ce qui a trait à l’affirmation de Sybase selon laquelle les nouvelles utilisations pour un logiciel comme le SGBDR d’Oracle peuvent facilement être obtenues par des produits concurrentiels, le Ministère fait valoir que : 1) le développement, par le MDN, de nouvelles applications supplémentaires est prévu aux termes d’environ 10 000 licences de développement complet pour le logiciel de SGBDR d’Oracle déjà détenues par le MDN ou par l’intermédiaire de produits concurrentiels futurs; 2) le besoin de fournir aux nouveaux utilisateurs l’accès à des nouvelles applications exploitées sur le SGBDR d’Oracle doit être comblé par Oracle, la propriétaire des droits de propriété intellectuelle; 3) les nouvelles applications développées sur le SGBDR d’Oracle ne sont pas interchangeables avec d’autres logiciels de SGBDR comme Sybase, sauf si d’importants coûts de conversion sont déboursés.

Le Ministère fait en outre savoir que le déploiement de jusqu’à 25 000 autres utilisateurs du SGBDR d’Oracle n’est pas un besoin immédiat (le besoin présentement connu pour l’exercice 1997-1998 dépasse 7 000 utilisateurs) et ne se concrétisera qu’avec le temps. De plus, le Ministère soutient que, si le MDN était empêché de convertir ses licences actuelles en une licence ministérielle, le MDN devrait débourser des frais considérables de transfert à Oracle en plus d’acheter au moins 7 000 nouvelles licences d’utilisation au cours de l’exercice financier 1997-1998. Le Ministère fait valoir que ce coût équivaudrait au coût total de la licence d’exploitation ministérielle.

En ce qui a trait à l’affirmation de Sybase selon laquelle, en raison d’un manque de ressources, le MDN n’aurait procédé à aucune évaluation technique des solutions de rechange, le Ministère soutient que les conversations dont Sybase fait mention sont citées hors contexte comme l’indiquent les lettres en provenance de deux des représentants du MDN qui ont été cités. Par conséquent, le Ministère soutient que les solutions de rechange possibles ont fait l’objet d’un examen convenable mais que, pour les raisons susmentionnées, ces solutions ont été rejetées.

Dans ses observations sur les commentaires de Sybase, après avoir réitéré que les licences d’Oracle dont dispose présentement le MDN autorisent l’utilisation par environ 30 000 utilisateurs, le Ministère indique que le calcul du nombre d’utilisateurs se fait à raison d’un utilisateur par raccordement à une application. Par exemple, si une personne se sert de six applications, cela représente six utilisateurs. Le Ministère soutient aussi, relativement au nombre de places additionnelles qu’il sollicitera pour l’exercice financier en cours et relativement au nombre de licences de développement complet déjà achetées par le MDN, qu’il s’agit là de questions qui ne tombent pas dans le champ d’application de la plainte. Enfin, le Ministère n’est pas d’accord avec les conclusions de Sybase selon lesquelles il peut être démontré que les produits de SGBDR de Sybase seraient, dans tous les cas, interchangeables avec l’infrastructure de base et les applications de SGBDR présentes et à venir du MDN, et facilement préparés à l’interfonctionnement avec les logiciels de SGBDR d’Oracle 7. L’interchangeabilité des produits de Sybase, selon le Ministère, ne peut être réalisée sans profondément affecter les opérations du MDN.

En résumé, le Ministère soutient que le besoin n’a en aucune façon été conçu dans le but d’éviter une concurrence libre et équitable. Il a été fait appel aux dispositions des procédures d’appel d’offres limitées pour les motifs suivants : 1) les droits exclusifs d’Oracle; 2) le besoin de consolider les licences d’Oracle actuelles en une licence ministérielle plus efficiente et efficace; 3) les besoins du MDN relativement à l’accroissement des services actuels pour ajouter de nouveaux utilisateurs et de nouvelles applications au SGBDR; 4) le besoin de garantir l’interchangeabilité et la compatibilité relativement aux produits actuels développés sur le SGBDR d’Oracle. Le Ministère fait valoir que toute autre façon de procéder entraînerait des coûts prohibitifs, ne serait ni pratique, ni efficiente et ne fonctionnerait pas.

Position d’Oracle

Dans son exposé, Oracle est d’accord sur le fond et le détail de la description présentée dans le RIF au sujet de ses produits et services en place au MDN. Oracle confirme les définitions et les termes juridiques associés aux licences d’Oracle en vigueur au MDN et déclare que le RIF constitue une représentation précise et fidèle de l’investissement actuel du MDN dans la technologie de base de données d’Oracle.

Oracle affirme que, tout comme les grandes entreprises d’analyse du secteur de l’industrie de l’informatique, elle reconnaît que toute organisation qui envisage de convertir à un nouveau système Sybase ses applications rédigées sur Oracle, comme c’est le cas au MDN, doit prévoir des efforts et des coûts considérables. En fait, Oracle soutient que les estimés des coûts présentés dans le RIF sont très prudents à cet égard. Ce fait, selon Oracle, corrobore directement le raisonnement du Ministère sur le bien-fondé des procédures d’appel d’offres limitées dans les circonstances.

Oracle fait en outre valoir que Sybase, qui a contesté le bien-fondé des motifs qu’avait le Ministère de procéder par appel d’offres restreint dans la présente affaire est néanmoins présentement en négociation avec le Ministère en vertu d’un accord d’approvisionnement par appel d’offres restreint où le Ministère invoque des motifs sensiblement identiques aux motifs invoqués dans la présente affaire, c.-à-d. l’évitement des coûts relatifs aux travaux de réaménagement, la nouvelle formation et la perturbation des niveaux actuels des services. Oracle fait valoir que Sybase, ce faisant, agit en contradiction avec le principal argument qu’elle avance dans la présente affaire.

Oracle soutient que les principes et les questions qui font l’objet d’examen dans la présente affaire touchent les fondements de ses opérations dans le marché du gouvernement fédéral. Le recours à des procédures d’appel d’offres limitées est une pratique acceptée de longue date en matière d’approvisionnement, et Oracle a à cœur de respecter ses obligations et ses engagements visant le maintien et la prestation d’une valeur pour la Couronne. Enfin, Oracle affirme que la décision du Ministère de lui adjuger un marché sur la base d’un appel d’offres restreint « est du même type que celles qui ont mené à l’adjudication de centaines de contrats similaires à Oracle et à d’autres sociétés depuis l’entrée en vigueur des dispositions de l’ALÉNA » [traduction]. Il n’y a donc rien de reprochable à cet égard ni dans le marché déterminé en cause ni dans les façons courantes de faire du MDN.

Décision du Tribunal

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal est tenu, lorsqu’il a décidé d’enquêter, de limiter son étude à l’objet de la plainte. En outre, au terme de l’enquête, il lui faut déterminer le bien-fondé de la plainte en fonction du respect des critères et des procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l’article 11 du Règlement prévoit, entre autres, que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux exigences de l’ALÉNA et de l’AMP.

Le paragraphe 1016(1) et les alinéas 1016(2)b) et 1016(2)d) de l’ALÉNA ainsi que les paragraphes 1 b) et d) de l’article XV de l’AMP prévoient certaines conditions et circonstances qui justifient le recours aux procédures d’appel d’offres limitées. Plus précisément, l’alinéa 1016(2)b) de l’ALÉNA et le paragraphe 1 b) de l’article XV de l’AMP, entre autres, autorisent les procédures d’appel d’offres limitées pour des raisons liées à la protection de droits exclusifs ou à l’absence de concurrence pour des raisons techniques, ces deux conditions faisant qu’il n’existera aucun produit ou service de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisant. De même, l’alinéa 1016(2)d) de l’ALÉNA et le paragraphe 1 d) de l’article XV de l’AMP autorisent les procédures d’appel d’offres limitées lorsqu’il s’agit de livraisons additionnelles à assurer par le fournisseur initial et portant sur le remplacement de pièces ou la prestation de services continus à l’égard de fournitures, de services ou d’installations déjà livrés ou visant à compléter ces fournitures, services ou installations, et qu’un changement de fournisseur obligerait l’entité à acheter du matériel ou des services ne répondant pas à des conditions d’interchangeabilité avec du matériel ou des services déjà existants.

Il importe de prendre note que les dispositions du paragraphe 1016(1) de l’ALÉNA et du paragraphe 1 de l’article XV de l’AMP, selon lesquelles personne ne peut déroger aux procédures d’appel d’offres ouvertes ou sélectives (articles 1008 à 1015 de l’ALÉNA ou articles VII à XIV de l’AMP) dans le dessein de ramener la concurrence en deçà du maximum possible. Autrement dit, une entité ne peut éviter de recourir à l’appel d’offres ouvert que dans certains cas limités. Cependant, si quelqu’un tente de s’appuyer sur ces exceptions pour ramener « la concurrence en deçà du maximum possible », alors son comportement ne sera pas autorisé. Le Tribunal est d’avis qu’il convient d’interpréter au sens étroit les exceptions à la procédure d’appel d’offres en régime de concurrence. S’il est déposé des éléments de preuve qui indiquent qu’un appel d’offres restreint n’est pas justifié, il incombe aux ministères du gouvernement de démontrer qu’il est correct, en fait et en droit, de recourir à de telles exceptions. Comme l’énonce une décision de la Commission de révision des marchés publics du Canada [13] , Enconaire (1984) Inc. et Environmental Growth Chambers, Ltd. [14] : « Il n’appartient pas au plaignant de prouver qu’un cas doit faire l’objet d’un appel d’offres. Les appels d’offres sont la norme — la condition essentielle normale de la règle. C’est au gouvernement de prouver qu’il doit avoir recours à un appel d’offre[s] unique ». C’est la position qu’adopte le Tribunal pour étudier le bien-fondé de la présente affaire. Avant d’examiner cette disposition du paragraphe 1016(1) de l’ALÉNA, le Tribunal doit d’abord examiner la question de savoir si les exceptions invoquées par le MDN et le Ministère sont pertinentes.

Le Tribunal fait observer que le PAC ne fait aucune mention de la question d’interchangeabilité au sens de l’alinéa 1016(2)d) de l’ALÉNA et du paragraphe 1 d) de l’article XV de l’AMP. Le Ministère a invoqué le motif d’interchangeabilité pour la première fois dans sa réponse du 3 mars 1997 à l’opposition de Sybase; la notion d’interchangeabilité a fait l’objet d’une discussion en profondeur dans le RIF. En outre, le Tribunal fait observer que la réponse du Ministère à l’opposition de Sybase constitue la seule documentation que détient le Ministère qui comprenne, définisse et discute de l’expression « condition d’interchangeabilité ». En outre, la réponse susmentionnée constitue la seule documentation dont dispose le Ministère qui dégage une conclusion au sujet du produit de Sybase en ce qui a trait au critère d’interchangeabilité. Le Tribunal s’étonne de l’absence de toute documentation et d’élément de preuve concernant l’interchangeabilité des produits. En dépit d’une telle lacune, le Ministère a correctement expliqué la situation lorsqu’il a déclaré, dans son exposé en réponse à la motion du 5 mai 1997 de Sybase sollicitant des renseignements et des documents supplémentaires, que : « [l]a question de l’interchangeabilité des produits de Sybase et d’Oracle n’est pas pertinente dans le contexte du présent marché public si ce n’est relativement à la question de l’octroi de licences. La position du [Ministère] est que les licences de Sybase ne peuvent être substituées aux licences d’Oracle dans l’environnement d’exploitation actuel composé de produits d’Oracle [soulignement ajouté]. Par conséquent, la documentation relative à l’interchangeabilité des produits n’est pas pertinente à la présente enquête » [traduction]. Le Tribunal accueille le raisonnement du Ministère sur ce point. Il semble donc que le Ministère n’ait jamais eu l’intention d’invoquer, ni ne l’a-t-il fait, les considérations d’interchangeabilité au sens de l’alinéa 1016(2)d) de l’ALÉNA et du paragraphe 1 d) de l’article XV de l’AMP à titre de justification du recours aux procédures d’appel d’offres limitées en l’espèce.

Étant donné la position susmentionnée sur laquelle le Ministère s’est appuyé pour décider d’invoquer les procédures d’appel d’offres limitées, les seules raisons qui s’appliquent dans les circonstances sont celles que permettent l’alinéa 1016(2)b) de l’ALÉNA et le paragraphe 1 b) de l’article XV de l’AMP. Du fait d’une telle admission, le Tribunal n’a pas besoin d’évaluer la question de savoir si les exceptions prévues à l’alinéa 1016(2)d) de l’ALÉNA et au paragraphe 1 d) de l’article XV de l’AMP ont été correctement invoquées dans la présente affaire.

Il reste au Tribunal à considérer la question de la non-substituabilité du matériel et des services pour des raisons liées à la protection des droits exclusifs (accords de licence) ou à l’absence de concurrence pour des raisons techniques. Les droits exclusifs, aux termes des accords commerciaux établis, sont censément destinés à protéger un marché en cours entre une partie et un ministère du gouvernement visant la fourniture de biens et de services définis. Il importe de protéger la certitude issue d’un tel accord. Il existe cependant une grande différence entre ce qui précède et l’assurance que la prestation des biens et des services pourra continuer ad infinitum en application de l’accord visant les droits exclusifs. Le Tribunal est d’avis que l’acquisition de nouveaux biens et services, non visés dans le marché initial qui a donné lieu à l’accord portant sur des droits exclusifs, devrait se faire au moyen d’un appel d’offres en régime de concurrence. Il se peut que, pour d’autres raisons, un appel d’offres ouvert ne soit pas nécessaire, mais il doit s’agir de raisons authentiques.

Le Tribunal reconnaît qu’il importe de protéger les droits exclusifs, plus précisément lorsque brimer de tels droits peut avoir une incidence sur des accords commerciaux conclus légitimement entre diverses parties. Il importe également, particulièrement dans le monde de la technologie de l’information, de protéger les droits exclusifs ou droits d’auteur. Il se peut fort bien, cependant, qu’une tierce partie, comme Sybase, soit en mesure d’offrir à un prix concurrentiel un produit compatible au plan technologique sans enfreindre les contrats de licence présentement en vigueur entre Oracle et le MDN. Il se pourrait même que des parties, comme Sybase et Oracle, puissent convenir de renoncer à toute opposition dans le cadre d’une entente réciproquement profitable. Le Tribunal ne sait pas si une telle option, ou d’autres, est réaliste, mais, sans un appel d’offres ouvert, personne ne le saura jamais.

Par ailleurs, dans le cadre d’une invitation ouverte à soumissionner, Sybase pourrait choisir de remplacer le produit sous licence par certains de ses propres produits compatibles au plan technologique. Un tel remplacement entraînerait probablement des coûts supplémentaires dont un fournisseur pourrait tenir compte en soumissionnant un prix.

Comme Sybase l’a indiqué dans son exposé, il arrive que les fournisseurs assument des coûts de transition ou de formation pour ouvrir l’accès à un nouveau client jusque-là sous l’emprise d’un fournisseur concurrent. En tout état de cause, de l’avis du Tribunal, la décision de tenir compte de ces coûts dans la proposition, le cas échéant, revient strictement aux fournisseurs et constitue une partie intégrante essentielle des offres en régime de concurrence. Le Tribunal est d’avis que des considérations de coût hypothétique ne devraient, en aucune circonstance et à aucune condition, servir de motif à l’attribution d’un contrat à un fournisseur exclusif. Pour des raisons évidentes, l’ALÉNA et l’AMP n’autorisent pas une telle pratique.

Existe-t-il d’autres raisons, y compris des « raisons techniques », empêchant le recours à la concurrence dans cette affaire ? Le Tribunal a déjà fait observer que le Ministère n’a soumis que peu d’éléments de preuve, sinon aucun, démontrant que les systèmes d’Oracle et de Sybase ne sont pas interchangeables au sens de l’alinéa 1016(2)b) de l’ALÉNA et du paragraphe 1 b) de l’article XV de l’AMP. De fait, si ce n’est de sa citation de la disposition de l’alinéa 1016(2)d) de l’ALÉNA dans sa réponse à l’opposition de Sybase, le Ministère admet qu’aucun autre document, y compris celui de GartnerGroup, n’a servi à guider sa décision sur la question de l’interchangeabilité. Le Tribunal fait observer que la position du Ministère à cet égard est la suivante : « [D]ans le présent cas, l’examen d’autres produits de SGBDR est jugé non pratique en raison des questions d’interface et d’interchangeabilité liées à la modification des systèmes en place pour les adapter à un SGBDR différent » [traduction]. De l’avis du Tribunal, « non pratique » n’est pas une condition suffisante pour justifier une dérogation aux procédures d’appel d’offres ouvertes. Dans son intervention, Oracle (reprenant les dires de GartnerGroup et d’autres principaux analystes de l’industrie de l’informatique) souligne que la conversion d’applications d’un SGBDR à un autre exige normalement des efforts et des coûts considérables. Cependant, de l’avis du Tribunal, aucune des sources susmentionnées n’affirme qu’une telle conversion est impossible. Il se peut qu’un tel coût de conversion rende sans intérêt une soumission par les sociétés comme Sybase, mais il s’agit là de quelque chose qui peut se règler dans le cadre d’un appel d’offres ouvert.

Quant à elle, Sybase a déclaré qu’elle n’a pas comme objectif, ni n’a l’intention, que le MDN convertisse son SGBDR actuel à des produits de Sybase. Sybase dit être uniquement intéressée à obtenir des chances égales de faire concurrence relativement aux besoins de SGBDR du MDN lorsqu’ils visent de nouvelles applications, des services nouveaux ou de remplacement, de nouveaux projets et des améliorations, etc. Sybase affirme que le MDN n’a pas besoin de se servir d’outils de développement et du logiciel de base de données Oracle 7 pour répondre à ses besoins de base de données, y compris lorsque ce sont les produits d’Oracle qui y répondent. À l’appui de son affirmation, Sybase cite des données de marché qui indiquent que de nombreuses entreprises se procurent des logiciels de SGBDR auprès de plus d’un seul fournisseur. En outre, de tels produits, étant donné la normalisation dans l’industrie, fonctionnent les uns avec les autres. Selon Sybase, bien que le MDN puisse à juste titre vouloir se servir des licences qu’il a déjà payées pour l’outil de développement Oracle 2000, cela ne peut justifier une politique qui viserait à attribuer uniquement à Oracle tous les marchés concernant des applications de SGBDR alors que Sybase offre des outils de développement comme « PowerBuilder » qui peuvent bien fonctionner avec Oracle, Sybase et d’autres programmes de SGBDR de base. En fait, Sybase affirme que le MDN a déjà des outils PowerBuilder qui lui permettent de développer des applications de SGBDR destinées à fonctionner avec Oracle 7 et, par exemple, Sybase System 11, sans qu’il ne soit nécessaire d’obtenir au préalable l’autorisation ou une licence d’Oracle.

Sybase a avancé d’autres arguments pour démontrer comment d’autres fournisseurs de services, comme elle-même, pourraient être capables de répondre aux besoins à venir du MDN sans brimer les accords présentement en vigueur avec Oracle. Les arguments en ce sens comprennent les suivants : 1) Sybase offre des logiciels standard personnalisés, comme OmniCONNECT, capables d’exécuter la conversion des codes SQL (Structure Query Language) de façon transparente; 2) Oracle est aussi un fournisseur de logiciels standard personnalisés qui contribue aussi à l’ouverture des systèmes et des environnements de SGBDR; 3) les outils de développement de la série Oracle 2000 et les outils de développement du logiciel PowerBuilder agissent directement avec les outils de développement et le SGBDR des autres sociétés, évitant ainsi les nuances exclusives de codage SQL; 4) l’adaptation d’une application de base de données développée avec des outils Oracle est possible lorsque l’application est déterminée par l’acheteur en termes fonctionnels; 5) les programmes de base Sybase et Oracle relativement aux bases de données (Sybase System 11 et Oracle 7) sont dans une grande mesure conformes à la même norme américaine présentement en vigueur pour les SGBDR (l’American National Standards Institute).

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal n’a pas été convaincu que le Ministère a prouvé qu’il était justifié de procéder par appel d’offres restreint en application des dispositions de l’alinéa 1016(2)b) de l’ALéNA et du paragraphe 1 d) de l’article XV de l’AMP. Le Tribunal ne statuera pas sur la question de savoir si, en l’occurrence, les produits et les licences de Sybase constituent un choix de rechange raisonnable ou peuvent se substituer aux produits d’Oracle. Une telle décision revient au Ministère et au MDN.

Ayant déterminé que le Ministère a incorrectement invoqué l’alinéa 1016(2)d) de l’ALÉNA et le paragraphe 1 d) de l’article XV de l’AMP pour arriver à la décision de recourir aux procédures d’appel d’offres limitées, il n’est pas nécessaire d’examiner les dispositions du paragraphe 1016(1) de l’ALÉNA et du paragraphe 1 de l’article XV de l’AMP.

Sybase a exprimé sa préoccupation que le MDN et le Ministère pourraient en venir à appliquer l’OCPN concernant les produits de SGBDR et les services d’entretien comme position de repli pour combler les besoins du MDN en SGBDR. Une telle possibilité préoccupe Sybase puisque la version préliminaire de l’accord entre le MDN et Oracle, concernant le projet de licence ministérielle du SGBDR par le MDN et les services accessoires d’entretien, revêt la forme d’une commande subséquente à une offre à commandes et renvoie explicitement à l’OCPN d’Oracle présentement en vigueur portant sur les licences, les services de soutien, la formation, l’installation et la documentation en matière de logiciels. Sybase déclare que sa préoccupation découle de ce que le MDN a adopté cette démarche à maintes reprises dans le passé. Sybase est aussi préoccupée du fait que la reconduction de l’OCPN, comme fondement de l’attribution à un fournisseur exclusif d’une commande pour un nombre indéterminé de licences individuelles d’utilisation d’Oracle, est « en soi » contraire au paragraphe 1016(1) de l’ALÉNA.

À cet égard, le Tribunal fait observer que l’approvisionnement au moyen d’une offre à commandes est une stratégie d’approvisionnement correcte qui découle de marchés légitimes aux termes de l’ALÉNA et de l’AMP. Cependant, comme c’est le cas pour tous les autres outils et pratiques d’approvisionnement, les offres à commandes peuvent faire l’objet d’un recours abusif. Le Tribunal n’a pas l’intention d’énoncer une déclaration générale selon laquelle la totalité de l’OCPN d’Oracle est contraire à l’ALÉNA. Si une partie s’estime lésée par l’usage que fait une institution fédérale des offres à commandes, il lui est alors possible de solliciter le recours pertinent.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Compte tenu des explications qui précèdent, le Tribunal détermine, relativement à l’objet de la plainte, que le marché public n’a pas été passé conformément à l’ALÉNA, à l’AMP et à l’ACI et que, par conséquent, la plainte est fondée.

Aux termes du paragraphe 30.15(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesures correctives, que le Ministère passe le marché public en cause en conformité avec les dispositions des accords applicables.

Aux termes du paragraphe 30.16(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à Sybase le remboursement des frais qu’elle a engagés pour le dépôt et le traitement de sa plainte.


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. Aux fins de la présente décision, les expressions « attribution d’un contrat à un fournisseur exclusif » et « appel d’offres restreint ou limité » sont interchangeables.

3. « A database that is organized and accessed according to relationships between data items. A relational database consists of tables, rows and columns. In its simplest conception, a relational database is actually a collection of data files that “relate” to each other through at least one common field. For example, one’s employee number can be the common thread through several data files — payroll, telephone directory, etc. One’s employee number might thus be a good way of relating all the files together in one gigantic data base management system (DBMS) » (« Une base de données structurée et accessible en fonction des relations entre les données élémentaires qu’elle contient. Une base de données comprend des tableaux, des rangées et des colonnes. Dans sa conception la plus simple, une base de données est en fait un regroupement de fichiers de données “ liés ” entre eux par au moins un champ commun. Par exemple, le numéro d’employé d’une personne peut être le dénominateur commun de plusieurs fichiers de données — liste de paye, annuaire téléphonique, etc. Le numéro d’employé d’une personne pourrait donc être un bon moyen de relier tous les fichiers ensemble dans un système de gestion de base de données (SGBD) »). Newton’s Telecom Dictionary, 9e éd., New York, Flatiron Publishing, 1995 à la p. 948.

4. Signé à Ottawa (Ontario) les 11 et 17 décembre 1992, à Mexico, D.F., les 14 et 17 décembre 1992 et à Washington, D.C., les 8 et 17 décembre 1992 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1994).

5. Un avis de l’intention de ne s’adresser qu’à une seule société pour solliciter une soumission et négocier. Il ne s’agit pas là d’un avis d’appel d’offres. Les fournisseurs peuvent, cependant, au plus tard à la date de clôture indiquée, exprimer leur intérêt et démontrer leur capacité d’exécuter le marché.

6. DORS/93-602, le 15 décembre 1993, Gazette du Canada Partie II, vol. 127, no 26 à la p. 4547, modifié.

7. Signé à Ottawa (Ontario) le 18 juillet 1994.

8. Signé à Marrakech le 15 avril 1994 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1996).

9. DORS/91-499, le 14 août 1991, Gazette du Canada Partie II, vol. 125, no 18 à la p. 2912, modifiées.

10. Une offre à commandes d'un offrant potentiel permet à la Couronne d'acheter souvent et directement auprès de fournisseurs des biens ou des services disponibles ou non sur le marché à des prix préétablis et à des conditions fixes, selon les besoins. L'OCPN est un type particulier d'offre à commandes à l'usage de plusieurs utilisateurs identifiés partout au Canada.

11. Le MDN a acheté son premier logiciel de SGBDR Oracle au début des années 80. Il a acquis environ 35 p. 100 de ses installations Oracle entre 1980 et 1985. Au cours des 17 dernières années, le MDN s'est procuré pour plus de 30 millions de dollars de logiciels Oracle, pour environ 30 000 utilisateurs finals, dans le cadre de procédures d'appel d'offres limitées et concurrentielles. Au début des SGBDR, les contrats de licence étaient accordés en termes d'UCT ou de postes de travail spécifiques. Ces licences liées à un poste déterminé limitaient le nombre d'utilisateurs. Avec l'augmentation de la popularité des réseaux, les fournisseurs ont commencé à adapter leur licence en fonction des systèmes d'exploitation (SE) plutôt que simplement en fonction d'un poste ou ordinateur déterminé. Un inconvénient majeur du recours aux licences pour SE était qu'elles étaient normalement limitées par le nombre et le type de serveurs autorisés et comportaient un paiement pour chaque serveur particulier. Ainsi, des frais de transfert s'appliquaient chaque fois qu'un ministère devait transférer les licences à un autre type de serveur ou de SE. Ces frais de transfert ont coûté des millions de dollars à la Couronne au cours des quelques dernières années. Il y a environ sept ans, Oracle a commencé à vendre des licences pour utilisateurs désignés et des licences pour utilisateurs concurrents. Un inconvénient des licences pour utilisateurs désignés est qu'il faut identifier les utilisateurs par leur nom et faire état à l'entrepreneur de toute modification de la base d'utilisateurs. À cet égard, les licences pour utilisateurs concurrents ont l'avantage d'autoriser l'exploitation du logiciel par un nombre préétabli d'utilisateurs concurrents, sans qu'il soit nécessaire de les désigner par leur nom. Cependant, le nombre total d'utilisateurs d'un réseau peut être limité. Par exemple, le rapport normal entre les utilisateurs concurrents et les utilisateurs désignés autorisés par Oracle dans le cadre des achats normaux découlant de l'offre à commandes principale et nationale est de 2,5/1. Cependant, dans le cas d'une licence ministérielle de type serveur de réseau, le rapport convenu (avec Oracle) est de 4/1. En ce qui a trait à un SGBDR, une licence de développement complet permet de développer complètement ou d'exploiter n'importe quelle application, y compris de nouvelles applications. Une licence de programmes exécutables– de développement permet aux utilisateurs d'exécuter des applications développées en application de la licence de développement complet, plus coûteuse, mais les utilisateurs qu'elle vise ne peuvent développer de nouvelles applications. Depuis deux ou trois ans, le Ministère a étudié la possibilité de procéder différemment dans l'acquisition de SGBDR et d'autres types de logiciels en s'intéressant à des licences dites « licences ministérielles », « licences d'entreprise », « accords de licences d'entreprise » ou « options serveur réseau ». Cette méthode autorise un plus grand nombre, parfois un nombre illimité, de serveurs et élimine les frais de transfert et le besoin d'aviser l'entrepreneur des modifications à condition que le rapport utilisateurs concurrents– utilisateurs désignés soit maintenu. Elle donne plus de souplesse. Enfin, si une application est développée aux termes d'une licence ministérielle et que le Ministère en cause est déjà titulaire d'une licence de programmes exécutables, le Ministère peut alors simplement retarder ses utilisateurs de programmes exécutables, sans avoir à acheter de places d'utilisateurs supplémentaires pour la base de données.

12. « [P]our assurer la compatibilité avec des produits existants [...], de droits exclusifs tels des droits d'auteur ou des droits fondés sur une licence ou un brevet, ou encore pour l'entretien de produits spécialisés, lorsque cet entretien doit être effectué par le fabricant ou son représentant ».

13. L'organe d'arbitrage précédent chargé de recevoir les contestations des offres, de mener enquête et de statuer à leur endroit aux termes de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis.

14. No du greffe de la Commission E90PRF6601-021-0020, le 28 janvier 1991 à la p. 19.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 15 août 1997