TACTICAL TECHNOLOGIES INC.

Décisions


TACTICAL TECHNOLOGIES INC.
Dossier no : PR-97-037

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le jeudi 30 avril 1998

Dossier no : PR-97-037

EU ÉGARD À une plainte déposée par Tactical Technologies Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée en partie.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande, à titre de mesure corrective, que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux mette à la disposition de tous les soumissionnaires participant à ce processus de passation de marché public la version révisée du rapport final sur le projet de logiciel de simulation de défense perfectionnée contre les missiles antinavires qui doit être produit par Atlantis Scientific Inc. et, lorsqu’ils auront obtenu cette information, leur permette de modifier leur proposition en fonction de ces nouveaux renseignements, puis poursuive le présent processus de passation de marché public conformément aux dispositions de l’Accord sur le commerce intérieur.

Charles A. Gracey
_________________________
Charles A. Gracey
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire






Date de la décision : Le 30 avril 1998

Membre du Tribunal : Charles A. Gracey

Gestionnaire de l’enquête : Randolph W. Heggart

Avocat pour le Tribunal : Joël J. Robichaud

Plaignant : Tactical Technologies Inc.

Institution fédérale : Ministère des Travaux publics et des Services
gouvernementaux

CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

INTRODUCTION

Le 23 janvier 1998, Tactical Technologies Inc. (TTI) a déposé une plainte aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (la Loi sur le TCCE) à l’égard du marché public (numéro d’invitation W7714-7-0113/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) relativement à des services de soutien pour le projet de logiciel de simulation de défense perfectionnée contre les missiles antinavires [2] (DPMA) du Centre de recherches pour la défense Ottawa (CRDO) du ministère de la Défense nationale (MDN). Ce marché porte sur la prestation de services actuellement fournis par la société Atlantis Scientific Inc., l’entrepreneur sortant (le titulaire).

TTI allègue que : 1) la demande de proposition (DP) et l’énoncé des travaux reproduisent un produit existant et omettent plusieurs caractéristiques qui, selon TTI, sont critiques à la description appropriée d’un tel marché; 2) la DP favorise le titulaire; 3) il est extrêmement difficile, voire impossible, de rattacher les exigences de la DP aux critères d’évaluation, rendant ainsi pratiquement impossible la préparation d’une soumission. TTI fait valoir qu’il s’agit là d’une infraction aux dispositions des articles 501 et 504 et du paragraphe 506(6) de l’Accord sur le commerce intérieur [3] (ACI).

TTI a demandé, à titre de mesure corrective, que la DP actuelle soit temporairement retirée et qu’il soit effectué un examen indépendant des méthodologies d’analyse et des outils de simulation de TTI en relation avec les objectifs de recherche du CRDO.

Le 26 janvier 1998, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a décidé que les conditions d’enquête énoncées à l’article 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [4] (le Règlement) avaient été satisfaites en ce qui a trait aux allégations 2 et 3 susmentionnées et, conformément à l’article 30.13 de la Loi sur le TCCE, a décidé d’enquêter sur ces assertions. La première allégation a été rejetée puisque, selon le Tribunal, cette situation ne donne pas une indication raisonnable que le Ministère a contrevenu aux dispositions du chapitre cinq de l’ACI. Le 27 janvier 1998, le Tribunal a ordonné le report d’adjudication de tout contrat jusqu’à ce que le Tribunal se soit prononcé sur le bien-fondé de la plainte. Le 23 février 1998, le Ministère a déposé auprès du Tribunal un rapport de l’institution fédérale (RIF) conformément à l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [5] . Le 4 mars 1998, TTI a déposé auprès du Tribunal ses commentaires sur le RIF. Le 24 mars 1998, le Ministère a présenté ses observations sur les commentaires de TTI au sujet du RIF et, le 31 mars 1998, TTI a présenté des commentaires supplémentaires en réponse.

Les renseignements au dossier permettant de déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a statué sur la plainte à partir des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

Le 29 octobre 1997, le Ministère a reçu du CRDO une demande de contrat de services de soutien pour le projet de logiciel de simulation de DPMA. Cette invitation concerne la prestation de services actuellement fournis par le titulaire. Selon les conditions de la demande, le personnel de la compagnie retenue doit entretenir et exploiter le cadre de simulation de DPMA [6] (le Cadre) et mettre en place des modèles de simulation de guerre électronique. Les services de soutien au Cadre comprennent les améliorations du code de source du logiciel pour améliorer l’efficacité opérationnelle du Cadre, les ajouts au code de logiciel pour fournir de nouveaux services aux usagers, ainsi que la modification du code de source de logiciel pour réparer les problèmes de logiciel et effectuer les modifications des programmes et du matériel.

Le 16 décembre 1997, un Avis de projet de marché et une DP ont été diffusés par l’intermédiaire du système électronique d’appel d’offres du gouvernement (MERX). La date de clôture du 12 janvier 1998 de la DP a été reportée au 30 janvier 1998 en raison d’une importante tempête de verglas survenue dans la région d’Ottawa-Hull.

La DP et l’énoncé des travaux se lisent en partie comme suit :

SECTION I - A : DESCRIPTION DES BESOINS

2.0 ÉNONCÉ DES TRAVAUX

Le soumissionnaire choisi devra exécuter le travail « de la façon et au moment prescrits » conformément aux objectifs décrits dans l’énoncé des travaux ci-joint à l’Annexe « B ».

SECTION II - A : DIRECTIVES DE PRÉPARATION DE LA PROPOSITION

3.0 PROPOSITION CONCERNANT LES SERVICES TECHNIQUES ET DE GESTION

d) L’exigence vise la fourniture de trois catégories de personnel de soutien. Il s’agit des catégories suivantes :

Gestionnaire de projet

Analyste des systèmes principal

Programmeur analyste

4.0 PROPOSITION DE PRIX

Les [soumissionnaires] doivent fournir des taux de main-d’œuvre fermes pour toute la durée du contrat.

SECTION III : CLAUSES DU CONTRAT ÉVENTUEL ET MODALITÉS ET CONDITIONS SUPPLÉMENTAIRES APPLICABLES À TOUT CONTRAT ÉVENTUEL

9.0 TÂCHES EXÉCUTÉES « DE LA FAÇON ET AU MOMENT PRESCRITS » - AUTORISATION DE PROCÉDER

[Cet article décrit la procédure visant l’élaboration de tâches définies aux termes du contrat.]

Annexe « B »

Énoncé du travail

2.0 OBJECTIF

2.1 Le présent contrat vise à fournir les services de soutien au cadre de simulation, l’entretien, la mise en place d’un modèle et l’opération du cadre de simulation.

[Traduction]

En plus, l’article 3.0 de l’énoncé des travaux, CATÉGORIES DE SOUTIEN, décrit en détail les trois catégories de soutien et l’article 4.0, EXEMPLES DE TÂCHE, donnent des exemples de tâches. L’annexe « C », CRITÈRES D’ÉVALUATION ET MÉTHODE DE SÉLECTION DE L’ENTREPRENEUR, énonce, en partie, trois exigences cotées : « Personnel », pour 70 p. 100 du total des points disponibles; « Compréhension des exigences », pour 15 p. 100 des points; « Société » (expérience, profondeur et diversité du personnel d’appoint) pour les autres 15 p. 100.

Le Ministère a mis à la disposition de tous les soumissionnaires, pour consultation à ses bureaux, l’information contextuelle concernant la conception du Cadre original. TTI a examiné les documents le 6 janvier 1998. En réponse à des questions soulevées pendant la période de soumission, le Ministère a informé TTI que, puisque l’invitation à soumissionner visait la prestation de services de soutien « de la façon et au moment prescrits », l’énoncé des travaux et les critères d’évaluation afférents mettaient l’accent sur les qualifications du personnel proposé plutôt que sur l’exécution de tâches précises. TTI a aussi été informé du fait qu’aucune autre documentation existante ne pouvait être fournie aux soumissionnaires.

Selon le Ministère, neuf entreprises ont demandé à recevoir la trousse de soumission pendant la période de soumission et, au 30 janvier 1998, trois soumissions avaient été reçues, dont celle de TTI. Selon le Ministère, l’évaluation technique et financière des soumissions n’avait pas encore commencé au 23 février 1998.

BIEN-FONDÉ DE LA PLAINTE

Position de TTI

TTI fait valoir que la présente plainte vise principalement à faire en sorte que la définition et l’adjudication du contrat en litige fassent l’objet d’un examen indépendant. TTI veut s’assurer que le présent processus concurrentiel et l’adjudication subséquente se déroulent conformément aux politiques, procédures et règlements de la Couronne et à ses obligations résultant des ententes internationales, plus particulièrement l’ACI et la Politique sur les marchés du Conseil du Trésor du Canada, notamment en ce qui a trait aux marchés portant sur des services de recherche et développement.

TTI fait valoir que, dans le cadre de son examen du RIF, il a constaté que la DP, telle que rédigée, contrevenait de façon substantielle aux dispositions de la Politique sur les marchés du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et de l’ACI. De plus, et peut-être plus important encore, le TTI soutient qu’il détient la preuve de violations substantielles sur le plan de l’adjudication et de l’exécution du contrat précédent (daté du 31 août 1995) relativement aux services de soutien au développement du logiciel de simulation de DPMA, contrat actuellement exécuté par le titulaire.

Plus précisément, TTI fait valoir que l’assertion du Ministère, selon laquelle la DP pour le contrat actuellement détenu par le titulaire insistait davantage sur la modélisation que la demande actuelle, est fausse. Il est vrai que l’objectif du contrat actuellement exécuté par le titulaire consistait uniquement à élaborer des modèles. Toutefois, selon TTI, les éléments de preuve présentés par le Ministère dans le RIF montrent au contraire que, même si l’énoncé des travaux prévoyait que toutes les tâches seraient consacrées à la codification des modèles de systèmes physiques, l’exécution actuelle du contrat a surtout porté sur l’élaboration du Cadre. TTI fait valoir que cette situation peut, en partie, découler de l’absence d’énoncé clair des exigences dans la DP. Quoi qu’il en soit, le RIF révèle que le contrat actuel est mal géré, ce qui se manifeste, entre autres, par l’absence apparente d’avant-projets devant être livrés pour chaque tâche individuelle complétée selon les exigences du contrat. TTI fait valoir que ces documents auraient été très utiles aux soumissionnaires participant au présent appel d’offres.

Quant à l’argument du Ministère, selon lequel il n’est pas nécessaire qu’un plan de travail définitif soit fourni pour formuler des propositions, TTI ayant réussi à fournir une soumission en l’occurrence, TTI fait remarquer qu’il aurait été illogique d’une part de déposer une plainte auprès du Tribunal et, d’autre part, de ne pas s’efforcer de présenter la meilleure proposition possible. Toutefois, si les exigences relatives aux tâches avaient été clairement décrites dans la DP, TTI aurait pu présenter une proposition beaucoup plus étoffée.

TTI soutient également que l’énoncé des travaux compris dans la DP n’indique pas les étapes précises du travail, leur ordonnance et la place de chacune dans le projet global. De plus, l’énoncé des travaux ne décrit pas avec précision les tâches à exécuter, les objectifs à atteindre et les délais à respecter. En dernier lieu, l’invitation à soumissionner n’a pas été suffisamment bien décrite à l’avance pour ne pas dépendre d’une série de tâches accessoires pendant la durée du marché. Selon TTI, tout ce qui précède contrevient à la Politique sur les marchés du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (article 16.1.2, Marchés de services - généralités [7] , article 16.1.3, Marchés de services - généralités [8] et l’article 16.4, Marchés de services - Marchés portant sur la recherche et le développement [9] ) et au paragraphe 506(6) [10] de l’ACI.

De plus, TTI fait valoir que l’absence d’exigences techniques claires dans la DP rend extrêmement difficile l’établissement d’un lien entre les critères d’évaluation et les exigences. Selon TTI, le RIF s’efforce d’établir (pièces 7, 8 et 9 jointes au RIF) une corrélation entre les qualifications du gestionnaire de projet et des analystes, telles que décrites dans l’énoncé des travaux, et les critères d’évaluation. En l’absence d’un énoncé clair des besoins, selon TTI, une telle corrélation est sans fondement ou justification. Une telle description des compétences du personnel constitue un simple énoncé des caractéristiques individuelles souhaitées et ne s’appuie pas sur le travail à être effectué. La création subséquente des points d’évaluation et des pondérations est essentiellement arbitraire, et l’application subséquente de critères d’évaluation à de telles qualifications du personnel est également sans fondement ou justification et est arbitraire. TTI ajoute que l’aspect arbitraire qui est introduit à cause de l’absence d’une description claire des exigences techniques, des compétences du personnel et des critères d’évaluation équivaut à un préjugé contre TTI, en faveur du titulaire. TTI soutient que cette situation contrevient à l’alinéa 504(3)b) [11] de l’ACI et à l’article 2 (Énoncé de la politique) de la Politique sur les marchés.

En ce qui a trait à l’exigence obligatoire de la DP relative à une expérience de programmation « Smalltalk/ENVY », TTI soutient que cette condition a pour objet de l’empêcher d’être un soumissionnaire conforme. Selon TTI, le CRDO sait très bien que le gestionnaire de projet prévu par TTI n’est pas un programmeur Smalltalk. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas d’une condition essentielle du projet. En réalité, le gestionnaire de projet choisi de TTI a géré avec succès le développement d’une gamme de logiciels de simulation, y compris le logiciel de simulation de défense contre les missiles antinavires en Simulink bien qu’il ne soit pas un programmeur Simulink. L’expérience de programmation « Smalltalk/ENVY » ne devrait pas constituer une exigence obligatoire de cette DP.

Quant aux questions de l’égalité d’accès au processus de passation de marché public et à la possibilité d’offrir la meilleure valeur à la Couronne, lesquelles sont régies par l’article 501 de l’ACI et par les articles 2 et 9 de la Politique sur les marchés, TTI fait valoir que les divers énoncés du Ministère dans le RIF à l’égard de l’existence de renseignements techniques ou descriptifs supplémentaires divergent considérablement. De plus, TTI affirme qu’il existe des éléments de preuve (pièce 11 jointe au RIF) que le titulaire a remis une telle documentation au CRDO. Selon TTI, la Couronne possède, ou devrait posséder, des documents descriptifs et d’autres renseignements techniques pertinents à la préparation d’une réponse à la DP. TTI ajoute que les descripteurs « préliminaire » et « finalisé » [traduction] semblent avoir une incidence sur la décision de la Couronne de ne pas rendre les documents disponibles. Toutefois, si le contrat actuel avait été convenablement géré, de tels documents techniques auraient pu être mis à la disposition de fournisseurs potentiels, ce qui aurait stimulé la concurrence.

TTI soutient que le non-accès à des documents décourage la concurrence et constitue un déni d’équité dans la dépense de fonds publics et ne satisfait pas au critère de la meilleure valeur. En conclusion, TTI fait remarquer que, même si la procédure de passation de marché public est considérée comme étant ouverte et équitable, il se peut qu’elle ne le soit qu’en théorie.

Dans ses derniers commentaires en réponse aux observations du Ministère, déposés le 24 mars 1998, TTI souligne que ses allusions au contrat actuellement exécuté par le titulaire sont pertinentes en l’occurrence, car elles illustrent une tendance de la part du CRDO à adjuger des contrats en contravention du paragraphe 506(6) de l’ACI. Quant à la diffusion des rapports techniques, TTI fait valoir que sa demande de document technique ne concernait pas uniquement des documents finalisés, mais qu’elle visait aussi les notes techniques préliminaires mentionnées par le Ministère. De plus, TTI soutient que, contrairement à l’assertion du Ministère, la DP à la suite de laquelle le contrat actuel a été adjugé au titulaire exigeait que ce dernier produise des rapports sur les tâches.

Selon TTI, les arguments du Ministère en ce qui a trait à la clarté de la description des besoins dans la DP sont vagues et disparates et, en réalité, étayent l’allégation de TTI selon laquelle ils n’étaient pas clairement énoncés dans la DP. Quant à la question du préjugé positif ou négatif à l’endroit d’un fournisseur particulier, TTI soutient que le CRDO connaissait son intention de participer à cet appel d’offres et il ajoute que, en ce qui a trait à la nature restrictive des spécifications de la DP, il a dû contester ladite spécification pendant la période de soumission. Quoi qu’il en soit, il incombe au Ministère de publier des conditions claires et non biaisées. Quant au lien entre les critères d’évaluation et les exemples de tâche, la soi-disant méthodologie « d’autorisation de tâches », TTI fait remarquer que la Politique sur les marchés du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, le Guide des approvisionnements et l’ACI ne renferment aucune mention de cette méthode.

Position du Ministère

Le Ministère fait valoir que la condition primordiale de ce marché consiste à fournir des taux quotidiens fermes de rémunération du personnel proposé afin de fournir les services de soutien au Cadre. Compte tenu de cette exigence, les compétences et l’expérience du personnel proposé en ce qui a trait au soutien de systèmes semblables au Cadre ont obtenu une pondération plus importante que les compétences et l’expérience associées à l’élaboration de modèles informatiques. Le Ministère mentionne également que, même si TTI semble posséder une expertise particulière dans le domaine de la modélisation, ce facteur ne peut modifier l’exigence énoncée dans la DP ni rendre le critère d’évaluation discriminatoire.

Quant à l’avantage possible dont bénéficie le titulaire parce qu’il comprend mieux les objectifs du contrat (une exigence cotée), le Ministère fait valoir qu’il s’agit là d’une évidence puisque c’est le titulaire qui a conçu et développé le Cadre. Toutefois, ce fait en soi n’est pas discriminatoire dans les circonstances [12] . De plus, le Ministère soutient que, dans le but d’atténuer tout avantage perçu dont bénéficiait le titulaire, le document conceptuel du Cadre a été distribué à tous les soumissionnaires pour leur examen. De plus, la DP contenait un mémoire sommaire de la configuration actuelle du Cadre décrivant les améliorations de haut niveau apportées au Cadre original. Quant à l’évaluation du personnel de relève (une autre exigence cotée), le Ministère explique que la DP ne précisait pas le nombre d’employés requis et n’exigeait pas de ceux-ci une familiarisation ou une expérience avec le Cadre. Selon le Ministère, les critères d’évaluation ont été élaborés uniquement dans le but de refléter les besoins actuels du CRDO en matière de services de personnel. De plus, la pondération relative de chaque élément a été établie en tenant compte des objectifs, des exemples de tâche et des exigences relatives à chaque catégorie de main-d’œuvre identifiée dans la DP. L’énoncé des travaux et les critères d’évaluation ont été élaborés sans tenir compte d’aucun soumissionnaire particulier et ont été conçus dans le but de fournir au CRDO un personnel compétent apte à combler ses besoins en matière de soutien.

Quant à l’obligation pour le personnel de posséder une expérience en matière de logiciel « Smalltalk/ENVY » et au contenu des tâches données en exemple, qui consiste à faire passer le programme de simulation d’une implémentation Smalltalk/C++ à une implémentation strictement C++, le Ministère explique que ce logiciel, qui n’appartient en exclusivité ni au titulaire ni à aucun autre soumissionnaire potentiel du présent marché, a été spécifié bien avant que le premier contrat de développement du Cadre ait été adjugé au titulaire. De plus, le Ministère fait valoir que Smalltalk est régulièrement utilisé en recherche et développement. Il s’agit d’un langage qui n’est ni obscur ni limité à une seule source d’expertise ou d’approvisionnement. De plus, aucune restriction n’interdisait à un soumissionnaire de s’adjoindre quiconque il jugeait capable d’exécuter le travail advenant que cette solution s’avère nécessaire pour satisfaire aux exigences de la DP.

Relativement à l’argument de TTI selon lequel le regroupement des exigences relatives à la maintenance du Cadre et à l’élaboration de modèles individuels élimine presque toute concurrence, le Ministère explique qu’étant donné que les modèles doivent fonctionner parfaitement au sein du Cadre, il est préférable qu’il n’y ait qu’un seul fournisseur qualifié capable d’assurer la compatibilité du Cadre et des modèles et vice versa. Selon le Ministère, la séparation des fonctions de modélisation et de soutien conduirait au dédoublement inefficace et inutilement coûteux des services et des efforts.

Quant à l’allégation de TTI selon lequel l’énoncé des travaux est vague au point de ne pouvoir être relié aux critères d’évaluation et que la préparation d’une proposition devient pratiquement impossible, le Ministère signale qu’une comparaison préparée pour répondre à cette plainte montre clairement que tel n’est pas le cas. De plus, le fait que trois entreprises, y compris TTI, aient présenté des propositions tend à minimiser la valeur de cet argument. Le Ministère ajoute qu’une comparaison entre la présente DP et celle concernant le contrat présentement exécuté par le titulaire — TTI avait également participé à cet appel d’offres et sa soumission sur le plan technique avait été jugée inférieure de quelques points seulement à celle du titulaire — montre que la DP originale était beaucoup moins détaillée que la demande actuelle puisqu’elle ne renfermait pas de catégories définies de main-d’œuvre, de normes d’utilisation et d’exemples de tâches. Néanmoins, TTI avait tout de même réussi à ce moment-là à présenter une soumission qui n’a pas été retenue uniquement à cause du prix proposé.

Le Ministère signale également que la DP précédente insistait davantage sur la modélisation que la demande actuelle. Néanmoins, TTI considère que l’attribution des points à la modélisation dans la DP actuelle est insuffisante. En réalité, dans la DDT précédente, la modélisation ne comptait que pour 7,1 p. 100 de l’évaluation du personnel, tandis que dans la présente DP, dont le contenu de modélisation est plus faible, la modélisation compte pour 21,4 p. 100 de l’évaluation du personnel. Dans les circonstances, on ne peut soutenir que la pondération a été établie dans le but de favoriser le titulaire.

Quant au caractère général de l’énoncé des travaux, le Ministère explique que cela a été fait intentionnellement et non par omission afin de refléter l’aspect « de la façon et au moment prescrits » de l’invitation à soumissionner. Il est vrai que l’énoncé des travaux définit les qualifications et l’expérience jugées nécessaires pour le personnel proposé, mais ne précise pas de tâches particulières. Le personnel devra exécuter les tâches telles que définies au cours de la durée du contrat, à la suite de la remise d’autorisations de tâche à l’entrepreneur par le CRDO. De plus, le niveau de détail pour chacune des catégories de main-d’œuvre figurant dans l’énoncé des travaux est comparable à celui des définitions de catégories de main-d’œuvre publiées par le Ministère pour le groupe des services professionnels en informatique, lesquelles sont régulièrement utilisées par les sociétés privées pour catégoriser leur personnel au moment de la présentation de soumissions pour la prestation des services informatiques au gouvernement fédéral.

En dernier lieu, en ce qui a trait aux renseignements contextuels mis à la disposition des soumissionnaires, le Ministère soutient que le document conceptuel initial du Cadre, les améliorations de haut niveau subséquentes et les exemples de tâches ont été fournis pour donner une chance équitable à tous les soumissionnaires. De plus, ni les critères d’évaluation ni l’énoncé des travaux ne renferment une exigence de familiarisation avec le Cadre. Selon le Ministère, cela indique que le Ministère et le CRDO n’ont pas agi de façon discriminatoire et qu’ils n’ont pas refusé l’accès au marché.

En réponse aux commentaires de TTI sur le RIF, le Ministère explique que TTI, dans ses commentaires, a présenté un bon nombre d’arguments obliques et des extraits de la politique à l’appui qui tendent à déplacer l’objectif de la plainte initiale. De plus, les commentaires de TTI sont hautement spéculatifs et, dans plusieurs cas, complètement erronés.

En ce qui a trait à la question soulevée par TTI au sujet du contrat actuellement exécuté par le titulaire, le Ministère fait valoir que cette question vise l’administration du contrat et non l’examen des marchés publics et qu’elle n’a aucun lien avec le bien-fondé de la plainte actuelle ni conséquence sur celle-ci.

Relativement à l’hypothèse de TTI selon laquelle le CRDO a empêché les soumissionnaires d’avoir accès à des documents conceptuels du projet de logiciel de simulation de DPMA, le Ministère déclare que cette assertion est entièrement fausse. Le CRDO n’a en sa possession aucun autre avant-projet finalisé. De plus, le Ministère fait valoir que TTI a tenu pour acquis à tort que chaque tâche donnerait lieu à un avant-projet distinct. En réalité, un seul rapport final doit être produit à la fin du contrat. En ce qui a trait à la Politique sur les marchés du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, le Ministère explique que cette dernière est promulguée en tenant compte des obligations du Canada aux termes des différents accords commerciaux et que TTI n’a fourni aucune preuve établissant que la Politique n’a pas été appliquée convenablement en l’occurrence.

Quant à savoir si l’énoncé des travaux constitue un document d’appel d’offres valable, le Ministère soutient que, puisque la principale exigence contenue dans cette DP visait à fournir le personnel nécessaire pour exécuter les services visés par l’énoncé des travaux, le mode de réalisation par autorisation de tâche ne constitue pas une passation de marché sur une base ponctuelle. En réalité, la méthode d’autorisation de tâche permet l’élaboration de tâches définies dans un contexte plus large d’énoncé des travaux.

Compte tenu de ce qui précède, le Ministère demande que la plainte soit rejetée et que le remboursement des coûts afférents à la défense de la présente plainte lui soit accordé.

Décision du Tribunal

L’article 30.14 de la Loi sur le TCCE exige que le Tribunal, lorsqu’il mène une enquête, se limite à l’objet de la plainte. De plus, au terme de l’enquête, le Tribunal doit se prononcer sur le bien-fondé de la plainte en déterminant si la procédure et les autres exigences prescrites à l’égard du contrat en question ont été respectées. L’article 11 du Règlement précise également, en partie, que le Tribunal est tenu de déterminer si l’appel d’offres s’est déroulé en conformité avec les conditions énoncées dans l’ACI.

TTI a fondé sa plainte originale sur un certain nombre de prémisses dont seulement deux ont été retenues par le Tribunal aux fins de l’enquête, notamment, 1) que, contrairement à l’article 504 de l’ACI, la DP favorisait le titulaire par rapport aux autres soumissionnaires et 2) que contrairement au paragraphe 506(6) de l’ACI, les exigences n’étaient pas clairement définies dans les documents d’appel d’offres de sorte qu’il était extrêmement difficile pour les soumissionnaires de rattacher les critères d’évaluation aux exigences dans la formulation d’une proposition.

Les autres allégations formulées par TTI dans sa plainte relative au présent appel d’offres, ainsi qu’à un appel d’offres précédent concernant le contrat actuellement exécuté par le titulaire, n’ont pas été retenues aux fins d’enquête par le Tribunal. Par conséquent, elles ne seront pas examinées davantage dans la présente décision en dépit du fait que TTI les a commentées abondamment dans ses diverses observations au Tribunal et ce, même après que le Tribunal eut déclaré qu’elles ne feraient pas l’objet d’une enquête.

Sur la question de l’existence d’un biais en faveur du titulaire, le Tribunal fait d’abord remarquer qu’il ne voit rien de répréhensible au fait que les exigences, telles qu’énoncées dans la DP, insistent sur la maintenance du Cadre par opposition à l’élaboration de modèles. Puisque le Cadre existe déjà, le Tribunal estime qu’il n’est pas anormal que l’évaluation soit pondérée en fonction de la maintenance, du service et de l’amélioration du Cadre existant. De plus, considérant que le marché vise des fins de recherche et de développement et qu’il s’agit d’un type de contrat « de la façon et au moment prescrits », le Tribunal est convaincu que la façon dont les exigences ont été décrites dans la DP et la méthode d’évaluation des soumissions, c’est-à-dire des ressources déterminées par opposition à des exemples de tâche (la méthode d’autorisation de tâche), sont appropriées et en soi ne constituent pas un biais en faveur du titulaire. De fait, hormis la question de la mise à la disposition des soumissionnaires de certains documents techniques, une question abordée ci-après, le Tribunal est d’avis que les exigences ont été décrites dans la DP d’une façon qui permet la présentation de soumissions concurrentielles par des soumissionnaires qualifiés.

La conclusion susmentionnée ne repose pas sur le fait que TTI ait pu présenter une soumission dans le cadre de l’appel d’offres actuel ou précédent qui portaient sur le projet de logiciel de simulation de DPMA, comme le soutient le Ministère. Selon le Tribunal, cet argument n’a aucune valeur dans les circonstances, puisqu’il n’établit d’aucune façon la qualité et la clarté inhérentes des documents d’appel d’offres.

Le Tribunal est d’avis que la plainte de TTI semble concerner davantage l’exécution du contrat actuel par le titulaire, ou peut-être des contrats précédents, que la présente DP. Quelles que soient les lacunes, réelles ou autres, qui ont pu être révélées dans l’exécution du contrat actuel, le Tribunal estime que ces soi-disant lacunes constituent des questions d’administration de contrat qui débordent la portée de la présente plainte et la compétence du Tribunal en matière d’examen des marchés publics.

Il reste toutefois la question de la mise à la disposition des soumissionnaires de certains documents techniques pour les aider à formuler leur proposition.

Le Tribunal est d’avis que, dans la mesure du possible, tous les soumissionnaires ont le droit de recevoir tous les renseignements susceptibles d’atténuer l’avantage naturel dont bénéficie un titulaire à cet égard. Le Tribunal n’est pas convaincu que le Ministère a atteint cet objectif en l’occurrence. En réalité, le Tribunal croit que le titulaire disposait de certains renseignements qui n’ont pas été mis à la disposition des autres soumissionnaires. Lorsque des marchés publics concurrentiels se déroulent dans le domaine de la recherche et du développement, où les nouveaux développements sont déterminés par les progrès récents, il est essentiel que ceux-ci soient raisonnablement bien documentés et mis à la disposition de tous les fournisseurs éventuels. Le Tribunal fait remarquer qu’une telle information constitue un des produits à livrer aux termes du contrat du titulaire. L’expérience et le savoir-faire auxquels le Tribunal faisait allusion dans l’affaire Array, où il est déclaré que « le titulaire bénéficie peut-être d’un avantage en raison de l’expérience qu’il a acquise dans le cadre de ses contrats antérieurs, mais cela est, en soi, normal et n’est pas jugé être injuste » [13] , ne comprend pas les renseignements contenus dans les produits à livrer. Selon le Tribunal, un marché public concurrentiel, comme celui-ci, ne devrait pas se dérouler immédiatement avant la production du rapport final par le titulaire, ce qui a pour effet de priver les soumissionnaires éventuels du bénéfice des mêmes informations. Cette question est particulièrement importante lorsque le titulaire, auteur de l’information, se trouve également sur les rangs.

Dans son RIF, le Ministère a informé le Tribunal que, eu égard au dépôt de la plainte de TTI auprès du Tribunal, l’évaluation technique et financière des soumissions n’était pas commencée. Le Tribunal est heureux de cette initiative du Ministère puisqu’elle lui laisse un plus vaste éventail de mesures correctives.

DÉCISION DU TRIBUNAL

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal détermine, relativement à l’objet de la plainte, que le processus de passation de marché public n’a pas été entièrement suivi conformément à l’ACI et que, par conséquent, la plainte est fondée en partie.

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée en partie.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, que le Ministère mette à la disposition de tous les soumissionnaires participant à ce processus de passation de marché public la version révisée du rapport final sur le projet de logiciel de simulation de DPMA qui doit être produit par le titulaire et, lorsqu’ils auront reçu cette information, leur permette de modifier leur proposition en fonction de ces nouveaux renseignements, puis poursuive le présent processus de passation de marché public conformément aux dispositions de l’ACI.


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. Le projet consiste à fournir une capacité améliorée de simulation d’une attaque au missile contre un navire qui utilise des contre-mesures électroniques contre une telle attaque. Les contre-mesures électroniques visent à confondre ou à tromper l’autodirecteur radar et à éloigner le missile du navire fournissant ainsi la défense souhaitée contre les missiles antinavires.

3. Signé à Ottawa (Ontario) le 18 juillet 1994.

4. SOR/93-602, le 15 décembre 1993, Gazette du Canada Partie II, vol. 127, no 26 à la p. 4547, modifié.

5. SOR/91-499, le 14 août 1991, Gazette du Canada Partie II, vol. 125, no 18 à la p. 2912, modifiées.

6. Il s’agit d’un programme élaboré par le titulaire pour le CRDO pour lui permettre d’effectuer diverses simulations de guerre électronique. Le Cadre coordonne la communication des données entre les modèles au sein du système de simulation et fournit des services pour l’entrée et la sortie des données de simulation. Le CRDO utilise le Cadre en conjonction avec divers modèles de guerre électronique afin de déterminer les résultats d’engagements simulés de missiles antinavires et pour valider et comparer l’efficacité des tactiques de guerre électronique. Le titulaire a mis au point le Cadre en vertu d’un contrat qui lui a été accordé dans le cadre d’un processus concurrentiel. Une fois le Cadre mis au point, des services de soutien et d’amélioration se sont avérés nécessaires. Ce besoin a également été comblé à la suite d’un processus concurrentiel auquel TTI et le titulaire ont participé, et le contrat a été adjugé en faveur du titulaire en raison d’un meilleur prix. Le processus concurrentiel qui fait l’objet du présent marché vise à renouveler les services de soutien et d’amélioration qui avaient antérieurement fait l’objet d’un appel d’offres.

7. « L'énoncé des travaux ou la description des besoins devrait énumérer avec prévision les travaux à exécuter, les objectifs à atteindre et les délais à respecter. Tel énoncé ou description : a) devrait préciser exactement les besoins du client et les responsabilités de l'entrepreneur, afin de ne pas laisser place à l'interprétation. »

8. « L'énoncé des travaux devrait indiquer les étapes précises du travail, leur ordonnancement, la place de chacune dans le projet global et les rapports existant entre elles. »

9. « On peut conclure des marchés de services portant sur la recherche et le développement lorsque : b) le besoin peut être défini à l'avance suffisamment bien pour ne pas dépendre d'une série de tâches accessoires pendant la durée du marché. »

10. « Les documents d'appel d'offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l'évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d'évaluation des critères. »

11. « Sauf disposition contraire du présent chapitre, sont comprises parmi les mesures incompatibles avec les paragraphes 1 et 2 : la rédaction des spécifications techniques de façon soit à favoriser ou à défavoriser des produits ou services donnés, y compris des produits ou services inclus dans des marchés de construction, soit à favoriser ou à défavoriser des fournisseurs de tels produits ou services, en vue de se soustraire aux obligations prévues par le présent chapitre. »

12. Voir l'affaire Array Systems Computing Inc., Tribunal canadien du commerce extérieur, dossier no PR-95-024, Décision du Tribunal, le 25 mars 1996. Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que, effectivement, le titulaire bénéficiait peut-être d'un avantage en raison de l'expérience qu'il avait acquise dans le cadre de ses contrats antérieurs, mais que cela était, en soi, normal et ne pouvait être jugé injuste.

13. Supra note 12 à la p. 9.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 28 mai 1998