DISCOVER TRAINING INC.

Décisions


DISCOVER TRAINING INC.
Dossier no : PR-98-042

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le lundi 17 mai 1999

Dossier no : PR-98-042

EU ÉGARD À une plainte déposée par la société Discover Training Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée en partie.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à la société Discover Training Inc. le remboursement des frais qu’elle a engagés pour le dépôt et le traitement de sa plainte aux termes du paragraphe 1015(6) de l’Accord de libre-échange nord-américain.

Raynald Guay
_________________________
Raynald Guay
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire






Date de la décision : Le 17 mai 1999

Membre du Tribunal : Raynald Guay

Gestionnaire de l’enquête : Randolph W. Heggart

Avocat pour le Tribunal : Gilles B. Legault

Partie plaignante : Discover Training Inc.

Institution fédérale : Société canadienne des postes

Avocats pour l’institution fédérale : Randall J. Hofley
Justine Whitehead

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

Le 1er février 1999, la société Discover Training Inc. (Discover) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (la Loi sur le TCCE), concernant un marché public de la Société canadienne des postes (Postes Canada) (demande de propositions no 4 NS 98 WGM U) pour les services suivants : 1) définition, développement et évaluation des besoins de formation en vente au détail; 2) prestation et administration de programmes de formation en vente au détail.

Discover a soutenu que, contrairement au paragraphe 1015(6) de l’Accord de libre-échange nord-américain [2] (l’ALÉNA), Postes Canada a refusé de lui communiquer des renseignements sur l’évaluation des propositions et, contrairement au paragraphe 1014(3) de l’ALÉNA, Postes Canada n’a pas accordé à tous les fournisseurs un traitement équitable ou dénué de discrimination, en promouvant les services d’un concurrent, la société InfoJ.E.D. Inc. (InfoJED), durant la procédure d’appel d’offres en cause.

Discover a demandé, à titre de mesure corrective, une indemnité de 400 000 $, en reconnaissance des profits qu’elle aurait pu tirer du marché, si ce dernier lui avait été adjugé.

Le 12 février 1999, le Tribunal a avisé les parties qu’il avait décidé d’enquêter sur la plainte, puisque cette dernière répondait aux conditions d’enquête énoncées à l’article 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [3] (le Règlement).

REQUÊTE

Le 12 mars 1999, Postes Canada a déposé une requête auprès du Tribunal demandant le rejet d’une partie de la plainte, en rapport, spécifiquement, avec une présumée violation du paragraphe 1014(3) de l’ALÉNA, pour le motif qu’elle n’avait pas été déposée dans les délais prévus à l’article 6 du Règlement. Postes Canada a aussi demandé que le Tribunal l’autorise à déposer le rapport de l’institution fédérale (le RIF) prévu à l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [4] une semaine après la date à laquelle le Tribunal statuerait sur la requête.

Le 16 mars 1999, le Tribunal a reporté la date de remise du RIF dans la présente affaire et a demandé à Discover de faire parvenir ses observations sur la requête de Postes Canada au plus tard le 24 mars 1999. Il a aussi demandé à Postes Canada de soumettre sa réponse aux observations de Discover au plus tard le 26 mars 1999. Cela a été fait.

Dans la requête, Postes Canada a soutenu que Discover n’a pas présenté d’opposition ni déposé de plainte, concernant la présumée violation du paragraphe 1014(3) de l’ALÉNA, dans les 10 jours ouvrables prévus aux paragraphes 6(1) et (2) du Règlement [5] . Comme argument subsidiaire, Postes Canada a soutenu que, si le Tribunal devait conclure que Discover a présenté une opposition dans les délais prescrits, cette dernière n’a cependant pas déposé sa plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où elle a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus de toute réparation relative à son opposition.

Pour l’essentiel, l’affirmation de Discover visée par la requête précise que Postes Canada a contrevenu au paragraphe 1014(3) de l’ALÉNA par ses actions, c.-à-d. lorsque des employés de Postes Canada ont invité ou facilité le recrutement d’employés de Discover en faveur d’InfoJED, empêchant ainsi la tenue d’une évaluation équitable des soumissions.

Le ou vers le 31 août 1998, lors d’une réunion convoquée par Discover qui voulait s’informer des raisons pour lesquelles un contrat provisoire, qui n’est pas l’objet de la présente plainte, ne lui avait pas été accordé, Discover a fait savoir à Postes Canada que certains des employés de cette dernière recrutaient des experts-conseils de Discover en faveur d’InfoJED. À la réunion, Discover a fait savoir qu’elle était d’avis qu’une telle pratique mettrait en péril sa position concurrentielle, à l’avantage d’InfoJED, pour la demande de propositions (DP). À la même réunion, Postes Canada, sans reconnaître l’existence de ladite pratique, a affirmé à Discover qu’elle examinerait la question et que, de toute façon, l’équité dans l’évaluation des propositions ne s’en trouverait pas compromise.

Selon Discover, durant la période du 9 septembre au 19 décembre 1998, cette dernière a pris connaissance d’autres cas où ses experts-conseils avaient été approchés ou avaient décidé de travailler pour InfoJED. Selon Discover, des employés de Postes Canada étaient responsables de ces actions.

Discover a déclaré ne pas avoir alors déposé de plainte parce qu’elle se fiait à l’engagement qu’avait pris Postes Canada le 31 août 1998, parce qu’une plainte à ce moment aurait revêtu un caractère spéculatif et parce qu’elle a découvert les faits à l’origine de sa plainte le 23 janvier 1999, « lorsque [Discover] a découvert qu’[InfoJED] avait été choisie, et lorsque [...] un membre du comité d’évaluation a indiqué que nos experts-conseils qui travaillaient pour [InfoJED] avaient joué un rôle dans [la décision d’adjuger le marché à InfoJED] » [traduction]. Cependant, dans sa plainte déposée le 1er février 1999, Discover a déclaré que, « [b]ien que [la présumée pratique] ait émergé au cours des six derniers mois, Discover Training n’était pas en mesure de procéder à une telle déclaration jusqu’à très récemment. Toute action en ce sens de notre part aurait mis en péril notre position vue dans une perspective de soumission concurrentielle. […] Nous avons toujours cru que si nous déposions un appel quelconque, la Société canadienne des postes ne nous accorderait certainement plus d’autres contrats » [traduction].

Le 21 décembre 1998, Postes Canada a avisé Discover, par téléphone, que cette dernière n’avait pas été choisie dans le cadre de l’invitation à soumissionner en cause et que le marché avait été adjugé à InfoJED. Le 23 décembre 1998, Discover a téléphoné au membre susmentionné du comité d’évaluation. Selon Discover, au cours de la conversation téléphonique, le membre du comité d’évaluation « a convenu que le fait que le comité d’évaluation technique croyait qu’[InfoJED] aurait accès aux experts-conseils de Discover n’avait pas aidé à la position concurrentielle de Discover Training dans le cadre de la procédure de soumission » [traduction]. Cependant, dans une déclaration sous serment datée du 25 mars 1999, la personne susmentionnée a indiqué au Tribunal que, durant ladite conversation téléphonique, elle « n’a jamais déclaré ni sous-entendu de quelque façon que ce soit » [traduction] que la présumée pratique avait porté préjudice à la position de Discover dans le cadre de la procédure de soumission.

Le 4 janvier 1999, Discover a avisé Postes Canada de son intention d’interjeter appel de la décision d’adjudication du marché et une rencontre a été fixée avec Postes Canada le 14 janvier 1999 pour examiner la question.

Le motif de la plainte visée dans la requête a fait l’objet de discussion le 14 janvier 1999, lors d’une réunion entre Discover et Postes Canada. La décision finale de Postes Canada de ne pas accorder réparation dans cette affaire a été communiquée à Discover le 21 janvier 1999, notamment, ainsi qu’il suit :

Ainsi que je l’avais promis, j’ai rencontré les personnes pertinentes pour discuter des deux questions importantes non réglées, à savoir […] b) la perception que [l’intégrité de] l’évaluation technique a peut-être été compromise.

Quant à la « perception » que [l’intégrité de] l’évaluation technique a peut-être été compromise, j’ai discuté de vos préoccupations avec les parties pertinentes intéressées et ces dernières m’ont clairement affirmé que de telles préoccupations sont dénuées de tout fondement. Les parties susmentionnées affirment catégoriquement que ladite évaluation technique a été tenue d’une manière conforme à l’équité et à l’éthique et n’a pas été compromise.

[Traduction]

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal a conclu que Discover a découvert, pour la première fois, les faits à l’origine de la plainte qui est l’objet de la requête au milieu d’août 1998. Discover a présenté à Postes Canada une opposition relative à la situation le ou vers le 31 août 1998, et cette dernière, à ce moment-là, sans reconnaître l’existence de cette pratique, a indiqué qu’elle examinerait la question et veillerait à ce qu’elle ne porte pas préjudice à l’évaluation de la proposition de Discover. Le Tribunal a aussi conclu que, durant la période de septembre à décembre 1998, Discover a découvert plusieurs nouveaux incidents de la même nature que ceux qu’elle avait soulevés dans l’opposition présentée à Postes Canada le 31 août 1998. Cependant, pour les raisons qui ont déjà été indiquées, Discover n’a pas présenté d’opposition à Postes Canada et n’a pas alors déposé de plainte auprès du Tribunal.

Lorsqu’il a décidé d’enquêter sur la plainte de Discover, le 8 février 1999, le Tribunal, à ce moment-là, en se fondant sur la plainte de Discover, était d’avis que cette dernière avait découvert les faits à l’origine de sa plainte le ou vers le 23 décembre 1998, lorsqu’elle a censément appris d’un membre du comité d’évaluation de Postes Canada que le fait qu’InfoJED avait, dans le cadre de sa propre proposition, proposé certains experts-conseils de Discover avait eu une incidence négative sur l’évaluation de la proposition de Discover. En se fondant sur la plainte, le Tribunal était aussi d’avis que Discover avait présenté une opposition écrite à Postes Canada le 4 janvier 1999, que Postes Canada avait avisé Discover, le 21 janvier 1999, que l’opposition de cette dernière avait été refusée et, par conséquent, que l’opposition du 4 janvier 1999 et la plainte du 1er février 1999 auprès du Tribunal avaient toutes deux été déposées dans les 10 jours ouvrables, soit dans les délais prescrits pour présenter une opposition et pour déposer une plainte.

Après avoir examiné avec soin tous les éléments de preuve, y compris les témoignages sous serment d’employés de Postes Canada, qui ont été déposés après que la plainte ait été acceptée aux fins d’enquête, le Tribunal a constaté que Discover a simplement découvert, les 21 et 23 décembre 1998, qu’un marché avait été adjugé à InfoJED et non que la présumée pratique de Postes Canada en faveur d’InfoJED avait porté préjudice à l’évaluation des propositions. Le Tribunal est d’avis que le fait d’apprendre qu’un marché a été adjugé à un concurrent ne constitue pas, à lui seul, la découverte d’une violation de l’ALÉNA. Le Tribunal a constaté que Discover a, pour la première fois, découvert les faits à l’origine de la plainte qui s’appuie sur le paragraphe 1014(3) de l’ALÉNA au milieu d’août 1998. Le 31 août 1998, Discover a présenté une opposition à Postes Canada au sujet de ladite pratique. Sans reconnaître l’existence de la pratique dénoncée, Postes Canada a affirmé à Discover que la présumée pratique ne compromettrait pas l’équité de l’évaluation des propositions. Le Tribunal est d’avis que Discover n’a pas agi au mieux de ses intérêts lorsqu’elle a décidé de ne pas soulever de nouveau la question auprès de Postes Canada ou directement auprès du Tribunal durant la période de septembre à décembre 1998, une période durant laquelle, selon Discover, il y a eu d’autres incidents qui indiquaient clairement que la présumée pratique persistait. Lorsqu’un motif de plainte est découvert ou, comme dans le cas présent, découvert de nouveau, une partie plaignante n’a pas le droit de garder sa plainte en réserve en attendant de voir comment les choses vont tourner avant de déposer celle-ci. La plainte doit être déposée dans les délais prescrits à l’article 6 du Règlement. Cela n’a pas été fait et, par conséquent, le Tribunal a conclu que la plainte à ce motif a été présentée en retard. Par conséquent, le 31 mars 1999, le Tribunal a accueilli la requête de Postes Canada. Le motif de plainte de Discover qui s’appuyait sur le paragraphe 1014(3) de l’ALÉNA a donc été rejeté.

Le 31 mars 1999, le Tribunal a avisé les parties de sa décision et a demandé à Postes Canada de déposer auprès du Tribunal le RIF portant sur l’autre motif de plainte et ce, au plus tard le 9 avril 1999. Le RIF a été déposé dans le délai fixé. Le 16 avril 1999, Discover a déposé ses observations sur le RIF auprès du Tribunal.

Étant donné que les renseignements figurant au dossier permettaient de déterminer le bien-fondé du deuxième motif de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a rendu une décision fondée sur les renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

Le 5 mai 1998, Postes Canada a publié une DP portant sur le besoin en question. La date limite de présentation des propositions, fixée au 15 juin 1998, a subséquemment été reportée au 31 juillet 1998.

La DP inclut, notamment, ce qui suit :

PARTIE II

MODALITÉS ET CONDITIONS

ET

BESOIN COMMERCIAL

1.0 Modalités et conditions

1.3 La Société se réserve le droit de ne pas divulguer aucun renseignements sur l’évaluation.

1.4 Il est entendu que la soumission la moins disante ne sera pas nécessairement acceptée ni sera-t-elle nécessairement la soumission retenue.

[Traduction]

Diverses propositions ont été reçues en réponse à l’invitation à soumissionner en question, y compris celles de Discover et d’InfoJED. Entre les 21 et 25 septembre 1998, le comité d’évaluation technique a procédé à l’évaluation technique des propositions. Selon le RIF, les propositions de Discover et d’InfoJED ont toutes deux été jugées techniquement recevables quant à la partie de la DP portant sur les produits à livrer. Le 1er octobre 1998, le groupe d’achat a procédé à l’évaluation commerciale des propositions de Discover et d’InfoJED. L’évaluation commerciale comprenait une étude comparative des taux offerts pour la vaste gamme des services requis dans la DP. Le coût de la proposition d’InfoJED étant inférieur à celui de Discover, le marché a été adjugé à InfoJED.

Le 21 décembre 1998, Postes Canada a avisé Discover qu’InfoJED était le soumissionnaire retenu. Le 4 janvier 1999, Discover a demandé à Postes Canada d’organiser un entretien final au sujet de sa proposition. Une réunion a eu lieu à cette fin le 14 janvier 1999. Selon Postes Canada, à la réunion, Discover a demandé une copie des rapports de l’évaluation technique portant sur le volet des produits à livrer de la DP. Postes Canada, à ce moment, a accepté d’étudier la question et de faire savoir à Discover quels renseignements, le cas échéant, pouvaient être divulgués. Le 21 janvier 1999, Postes Canada a envoyé à Discover un message par courriel qui précisait, notamment, ce qui suit :

En ce qui a trait à la divulgation de renseignements sur l’évaluation technique, Postes Canada ne divulgue jamais de renseignements sur l’évaluation des offres, quelles qu’elles soient. L’offre en question ne fera pas exception à la règle.

[Traduction]

Discover a déposé sa plainte auprès du Tribunal le 1er février 1999.

Le 11 mars 1999, Postes Canada a écrit à Discover au sujet de la divulgation de renseignements sur l’évaluation des soumissions. Dans la lettre susmentionnée, Postes Canada a avisé Discover que « les soumissions de Discover et d’InfoJED ont toutes deux été jugées techniquement recevables relativement au volet des produits à livrer de la DP. Il peut être fait mention que le comité d’évaluation technique a attribué une note plus élevée à InfoJED. […] En bout de ligne, le marché a été attribué à InfoJED en raison du prix. Le coût de la proposition de Discover était sensiblement plus élevé que celui de la proposition d’InfoJED » [traduction].

BIEN-FONDÉ DE LA PLAINTE

Position de Postes Canada

Postes Canada a dit avoir satisfait à ses obligations aux termes de l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA et a déjà communiqué à Discover les renseignements pertinents concernant les raisons du rejet de la soumission de cette dernière ainsi que les caractéristiques et avantages relatifs pertinents de la soumission retenue, à savoir celle d’InfoJED. Postes Canada a soutenu que Discover a été informée, tant avant qu’après le dépôt de la plainte auprès du Tribunal, que le marché avait été adjugé, conformément à l’article 1015(4)c) de l’ALÉNA, au soumissionnaire qui avait présenté la proposition techniquement recevable la moins disante. Postes Canada a soutenu que l’ALÉNA ne prévoit pas, ni n’est censé prévoir, la communication de renseignements détaillés sur l’évaluation commerciale ou technique concernant l’un des soumissionnaires. De toute façon, Postes Canada a soutenu que les soumissions d’InfoJED et de Discover avaient toutes deux été jugées techniquement recevables au plan de la prestation des services et que le marché a été adjugé uniquement en fonction du prix. Les rapports de l’évaluation technique ne sont donc pas pertinents pour savoir pourquoi le marché n’a pas été adjugé à Discover.

Postes Canada a soutenu, dans un argument subsidiaire, que les renseignements détaillés sur l’évaluation demandés par Discover étaient soustraits à l’obligation de divulgation conformément au paragraphe 1015(8) de l’ALÉNA, puisque la communication de ces renseignements porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes des concurrents (actuels et à venir) de Discover, ainsi que ceux de Postes Canada, et pourrait nuire à une concurrence loyale entre fournisseurs.

En outre, Postes Canada a soutenu que les renseignements, tels que les propositions soumises en réponse à une DP, sont considérés comme des renseignements commerciaux confidentiels sur des soumissionnaires donnés et que toute information provenant desdites propositions, comme les rapports d’évaluation commerciale et d’évaluation technique, doit aussi être tenue pour des renseignements commerciaux confidentiels spécifiques à Postes Canada et à l’entreprise soumissionnaire.

En ce qui a trait à la question de concurrence loyale, Postes Canada a soutenu que la divulgation des rapports d’évaluation technique permettrait à Discover d’analyser, d’une manière générale, les points forts et les points faibles relatifs des offres de ses concurrents. Fournir à Discover des renseignements sur l’évaluation commerciale, comme les prix soumis ou l’écart entre les prix soumis par les soumissionnaires (soit sous forme de montant soit sous forme de pourcentage), permettrait à Discover de calculer les marges bénéficiaires de ses concurrents et de calculer le prix auquel elle devrait offrir ses services pour être raisonnablement certaine d’offrir un prix inférieur à celui de ses concurrents. Postes Canada a soutenu qu’un tel résultat porterait clairement préjudice aux intérêts commerciaux légitimes des soumissionnaires donnés, et pourrait aussi nuire à une concurrence loyale. Postes Canada a de plus soutenu que la communication de tels renseignements en même temps à tous les soumissionnaires ne serait pas avantageuse et aurait probablement un effet contraire à celui visé par le régime de concurrence, en abaissant la pression exercée au niveau des prix dans le cadre des DP à venir.

Postes Canada a de plus soutenu que le fait de donner à Discover accès à des renseignements détaillés sur sa propre proposition tout en ne faisant pas la même chose pour les autres concurrents, par exemple, sur la pondération des catégories incluses dans l’évaluation et les facteurs fixés pour chaque catégorie d’évaluation, et de mettre à la disposition de Discover une analyse détaillée de ses propres points forts et de ses propres points faibles placerait les concurrents de cette dernière en position de désavantage et entacherait de partialité les appels d’offres à venir. Même si chaque soumissionnaire devait être informé de ses propres résultats à l’évaluation technique et à l’évaluation commerciale, cela porterait préjudice à une concurrence loyale entre fournisseurs, présentement et à l’avenir, parce que les soumissionnaires actuels auraient eu accès à des renseignements dont ne disposeraient pas les nouveaux concurrents.

Postes Canada a en outre soutenu que la communication de tels renseignements porterait aussi préjudice à ses propres intérêts commerciaux, du fait que, si les fournisseurs étaient informés du prix auquel des services similaires ont été fournis à Postes Canada antérieurement, les soumissionnaires tenteraient de maximiser les profits et n’auraient pas intérêt à soumettre une proposition au meilleur prix qu’ils peuvent offrir. D’une façon similaire, la divulgation de renseignements sur l’évaluation technique n’inciterait pas les futurs soumissionnaires à soumettre leurs meilleures spécifications techniques, puisque les caractéristiques précédemment acceptées par Postes Canada seraient connues.

Postes Canada a soutenu qu’une indemnité financière n’est pas fondée relativement à la plainte de Discover aux termes de l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA, puisque Discover n’a pas subi de préjudice issu d’une communication insuffisante de renseignements. Comme argument subsidiaire, Postes Canada a soutenu que, si le Tribunal devait accorder des frais, lesdits frais devraient être limités à ceux de la défense du motif de plainte lié à l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA.

Position de Discover

Le 16 avril 1999, dans une télécopie au Tribunal, Discover a fait savoir qu’elle n’avait pas d’observation sur le RIF et a demandé que le Tribunal statue sur l’affaire à la lumière des renseignements au dossier.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, lorsqu’il a décidé d’enquêter, limiter son étude à l’objet de la plainte. En outre, à la fin de l’enquête, le Tribunal doit déterminer le bien-fondé de la plainte en fonction du respect des critères et des procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l’article 11 du Règlement prévoit, notamment, que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux dispositions de l’ALÉNA.

La seule question que doit trancher le Tribunal dans la présente affaire consiste à savoir si Postes Canada a communiqué à Discover les renseignements auxquels cette dernière avait droit conformément à l’ALÉNA en ce qui a trait à l’évaluation des propositions et l’adjudication du marché.

L’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA prévoit qu’une entité devra « sur demande, communiquer aux fournisseurs dont la soumission n’a pas été retenue des renseignements pertinents concernant les raisons du rejet, et les informer des caractéristiques et des avantages relatifs de la soumission retenue, ainsi que du nom de l’adjudicataire ».

Le paragraphe 1015(7) de l’ALÉNA prévoit, notamment, qu’au plus tard 72 jours après l’adjudication d’un marché, une entité devra faire paraître un avis contenant, notamment, les renseignements sur la valeur du marché, ou la soumission la plus élevée et la soumission la plus basse prises en considération dans l’adjudication du marché.

Le paragraphe 1015(8) de l’ALÉNA prévoit, notamment, que « [n]onobstant les paragraphes 1 à 7, une entité pourra décider de ne pas divulguer certains renseignements relatifs à l’adjudication, si la communication de ces renseignements : b) porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d’une personne donnée [6] ; ou c) pourrait nuire à une concurrence loyale entre fournisseurs ».

Le Tribunal est convaincu que Postes Canada s’est maintenant acquittée de ses obligations à l’endroit de Discover relativement au paragraphe 1015(6) de l’ALÉNA. Cependant, selon le Tribunal, cela n’a pas été fait avant le 11 mars 1999, lorsque Postes Canada a écrit à Discover pour lui communiquer des renseignements supplémentaires sur l’évaluation des offres et sur la position relative de la proposition de Discover par rapport à celle d’InfoJED, l’adjudicataire. Discover avait droit à une telle information sur demande et n’aurait pas dû être contrainte de déposer une plainte auprès du Tribunal pour l’obtenir. Pour le motif susmentionné, le Tribunal détermine que la plainte est fondée et accorde à Discover le remboursement des frais qu’elle a engagés pour le dépôt et le traitement de ce motif de plainte.

Le Tribunal est d’avis que les déclarations de portée générale avancées par Postes Canada relativement à la communication de renseignements doivent être interprétées avec circonspection. À tout le moins, l’obligation de protéger les intérêts commerciaux légitimes des soumissionnaires et la concurrence loyale entre fournisseurs doit toujours être soigneusement mise en équilibre avec l’obligation d’atteindre à la transparence, un des principes clés énoncés au paragraphe 102(1) de l’ALÉNA.

DÉCISION DU TRIBUNAL

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal détermine, relativement à l’objet de la plainte, que le marché public n’a pas été passé conformément aux exigences de l’ALÉNA et que, par conséquent, la plainte est fondée en partie.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à Discover le remboursement des frais qu’elle a engagés pour le dépôt et le traitement de sa plainte aux termes du paragraphe 1015(6) de l’ALÉNA.


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. Signé à Ottawa (Ontario) les 11 et 17 décembre 1992, à Mexico, D.F., les 14 et 17 décembre 1992 et à Washington, D.C., les 8 et 17 décembre 1992 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1994).

3. DORS/93-602, le 15 décembre 1993, Gazette du Canada Partie II, vol. 127, no 26 à la p. 4547, modifié.

4. DORS/91-499, le 14 août 1991, Gazette du Canada Partie II, vol. 125, no 18 à la p. 2912.

5. Les paragraphes 6(1) et (2) du Règlement prévoient ce qui suit : 6. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), le fournisseur potentiel qui dépose une plainte auprès du Tribunal en vertu de l’article 30.11 de la Loi doit le faire dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte. (2) Le fournisseur potentiel qui a présenté à l’institution fédérale concernée une opposition concernant le marché public visé par un contrat spécifique et à qui l’institution refuse réparation peut déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus, s’il a présenté son opposition dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de l’opposition.

6. S'entend d'une personne physique ou d'une entreprise. Voir le paragraphe 201(1) de l'ALÉNA, « Définitions générales ».


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Publication initiale : le 1 juin 1999