NOVELL CANADA, LTD.

Décisions


NOVELL CANADA, LTD.
Dossier no : PR-98-047R

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le jeudi 17 août 2000

Dossier no : PR-98-047R

EU ÉGARD À une décision rendue par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 17 juin 1999 concernant une plainte déposée par Novell Canada, Ltd. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET EU ÉGARD À une décision de la Cour d'appel fédérale de renvoyer la décision susmentionnée au Tribunal canadien du commerce extérieur pour qu'il examine, en ce qui concerne le contrat spécifique, si le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux et le ministère de la Défense nationale ont fractionné le marché afin de se soustraire à leurs obligations aux termes de l'Accord de libre-échange nord-américain et d'autres accords commerciaux et, le cas échéant, de déterminer la mesure corrective qui s'impose.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, à la suite d'une décision rendue par la Cour d'appel fédérale le 26 mai 2000, a examiné le motif de la plainte déposée par Novell Canada, Ltd. concernant le marché public (invitation à soumissionner no W8474-9-QQD8/A) du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux en vue de l'acquisition, pour le ministère de la Défense nationale, de 325 licences Microsoft Windows NT Server 4.0 et de 12 000 licences d'accès client, afin de déterminer si le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux et le ministère de la Défense nationale ont fractionné le marché pour se soustraire à leurs obligations aux termes de l'Accord de libre-échange nord-américain, de l'Accord sur le commerce intérieur et de l'Accord sur les marchés publics.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur, après avoir conclu que l'invitation à soumissionner en question se rapporte à des éléments du projet de rationalisation du système d'exploitation de réseau du ministère de la Défense nationale, recommande, à titre de mesure corrective, que le ministère de la Défense nationale dispose, à l'extérieur du gouvernement fédéral, des 325 licences Microsoft Windows NT Server 4.0 et des 12 000 licences d'accès client qu'il a acquises dans le cadre de l'invitation susmentionnée et, si le besoin existe toujours, qu'il demande de nouvelles propositions pour combler ce besoin, conformément aux accords commerciaux.

Si le ministère de la Défense nationale devait décider de ne pas disposer des licences de serveur et d'accès client, le Tribunal recommande, comme solution de rechange, en plus du versement d'une indemnité pour perte de profits qu'il a recommandée dans sa décision du 17 juin 1999, que le Gouvernement verse une indemnité supplémentaire à Novell Canada, Ltd. d'un montant qui sera arrêté conjointement par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux et Novell Canada, Ltd., et qui sera ensuite soumis à l'examen du Tribunal canadien du commerce extérieur. Ladite indemnité devra tenir compte des conséquences pour Novell Canada, Ltd. de laisser en place le marché passé par le ministère de la Défense nationale dans le cadre d'une procédure limitée et injustifiée d'appel d'offres auprès de Microsoft Corporation pour les licences de serveur et d'accès client, procédure qui a entravé et qui entravera la possibilité pour Novell Canada, Ltd. de soumissionner avec succès en vue des besoins afférents au système d'exploitation de réseau du ministère de la Défense nationale.




Patricia M. Close

Patricia M. Close
Membre présidant


Michel P. Granger

Michel P. Granger
Secrétaire
 
 

Date de la décision :

Le 17 août 2000

   
   

Membre du Tribunal :

Patricia M. Close

   
   

Conseiller pour le Tribunal :

Michèle Hurteau

   
   

Partie plaignante :

Novell Canada, Ltd.

   
   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

 
 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), à la suite d'une décision rendue par la Cour d'appel fédérale (la Cour) le 26 mai 20001 , a examiné la décision2 qui lui a été renvoyée.

L'enquête du Tribunal dans le dossier no PR-98-047 a été menée suivant le dépôt d'une plainte par Novell Canada, Ltd. (Novell) le 18 février 1999. Le 17 juin 1999, le Tribunal a statué que la plainte était fondée puisque le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) avait eu recours à une procédure limitée d'appel d'offres pour adjuger un contrat concernant 325 licences Microsoft NT 4.0 Server et 12 000 licences d'accès client (les licences), pour le compte du ministère de la Défense nationale (MDN), sans avoir correctement établi que les conditions énoncées aux alinéas 1016(2)b) et d) de l'Accord de libre-échange nord-américain 3 et que les dispositions afférentes de l'Accord sur les marchés publics 4 et de l'Accord sur le commerce intérieur 5 autorisant un tel recours avaient été remplies. Le Tribunal a publié son exposé des motifs avec sa décision le 17 juin 1999.

Le 26 mai 2000, suivant l'audience d'une demande d'examen judiciaire présentée par Novell aux termes de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale 6 , la Cour a renvoyé l'affaire au Tribunal. En accueillant l'appel, la Cour a ordonné au Tribunal d'examiner la plainte de Novell concernant le contrat spécifique (les licences de serveur et d'accès client), à savoir si le Ministère et le MDN ont fractionné le contrat afin de se soustraire à leurs obligations aux termes des accords commerciaux et, le cas échéant, de déterminer la mesure corrective qui s'impose.

Les 13 et 27 juillet 2000, le Tribunal a avisé Novell et le Ministère qu'il donnerait suite aux directives de la Cour sur la foi du dossier no PR-98-047, en son état au moment de la décision du Tribunal du 17 juin 1999, et que, par conséquent, il n'accepterait pas de nouveaux exposés des parties.

PORTÉE

À la lumière des directives de la Cour, la seule question que le Tribunal doit trancher consiste à savoir si, en passant le marché concernant les licences, le Ministère et le MDN ont fractionné le marché afin de se soustraire à leurs obligations aux termes des accords commerciaux et, le cas échéant, de décider de la mesure corrective qui s'impose. Le Tribunal tient à préciser qu'il ne procède pas à une nouvelle audience dans cette affaire ni qu'il ne mène une enquête de novo, mais, comme le lui a ordonné la Cour, qu'il exercera pleinement sa compétence en ce qui concerne la question du fractionnement du contrat qui a été soulevée par Novell dans sa plainte du 18 février 1999.

Par conséquent, le Tribunal ne répétera pas toute l'information, liée au contexte et aux conclusions, qui a été énoncée dans son exposé des motifs du 17 juin 1999. Plutôt, le Tribunal limitera l'information et les conclusions à la question à trancher. Sous réserve de cette décision, le Tribunal s'en tient à son exposé des motifs du dossier no PR-98-047.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

Contexte

Durant la période de 1994 à 1996, le MDN a acheté, à l'intention de la Force régulière, quelque 100 serveurs non homologués pour Banyan VINES. En 1996, le MDN a acheté le répertoire « Banyan StreetTalk for NT ». La même année, le MDN a acheté, à l'intention de la Force de réserve, 150 autres serveurs également non homologués pour l'environnement Banyan Native VINES, nonobstant le fait que le système d'exploitation de réseau7 Banyan Native VINES était le produit normalisé pour les Forces terrestres8 .

En septembre 1995, l'équipe de l'informatique au sein de l'équipe de restructuration - Gestion, commandement et contrôle (ERGCC), dans le cadre d'un exposé sur le Plan d'infrastructure et d'investissement stratégique - GI du MDN a déterminé que « la gestion inefficace du réseau » était un problème. Le projet entrepris pour résoudre ce problème a été appelé « Rationalisation de la gestion du réseau ». Le coût du projet a été évalué à 9,9 millions de dollars. L'exposé de septembre 1995, intitulé « Stratégie d'approvisionnement », décrivait le projet de rationalisation du réseau local comme visant essentiellement l'acquisition de licences d'utilisation de logiciel au moyen d'Offres à commandes individuelles et nationales (OCIN) établies en régime de concurrence.

Le 6 février 1996, le MDN a publié son Plan d'immobilisations à long terme (Informatique) qui établit un projet financé, appelé « Rationalisation du système d'exploitation de réseau de MDN/FC-G2746 » [traduction], proposant l'échelonnement des affectations budgétaires sur les années 1996-1997 à 1998-1999. Le Plan d'immobilisations à long terme (Informatique) de 1996 décrit le projet G2746 comme il suit :

Rationalisation des logiciels d'exploitation de réseau de MDN/FC : Ce projet analysera et choisira parmi les diverses options de rationalisation de l'environnement du système d'exploitation de réseau de MDN/FC afin de faciliter l'interopérabilité ministérielle au niveau du système d'exploitation de réseau.

[Traduction]

La version de 1996 du rapport Hutchison9 confirme l'intention du MDN de rationaliser son environnement du système d'exploitation de réseau. Le rapport prévoit ce qui suit :

Il nous faut normaliser le système d'exploitation de réseau. Les exigences techniques sont en cours d'élaboration et une DP sera lancée en 1997-1998.

[Traduction]

Le 22 avril 1997, le MDN a publié une version révisée de son Plan d'immobilisations à long terme (Informatique). Dans cette version du plan, le projet G2746 est décrit de la façon suivante :

Rationalisation des logiciels d'exploitation de réseau de MDN/FC : L'objectif initial de ce projet était d'analyser et de choisir parmi les diverses options de rationalisation de l'environnement du système d'exploitation de réseau de MDN/FC en vue de faciliter l'interopérabilité ministérielle au niveau du système d'exploitation de réseau. Après avoir mené plusieurs études, il est devenu évident qu'une démarche différente serait plus indiquée. Un service Intranet acceptant des plates-formes multiples permettrait à la fois de suivre la tendance dans le secteur et d'atteindre les objectifs globaux en matière de systèmes de communication à l'échelle ministérielle.

[Traduction]

Toutefois, le rapport Hutchison de 1997 indique qu'« il faut rationaliser le système d'exploitation de réseau afin de réduire le nombre. À l'heure actuelle, il y a de nombreux produits et versions en usage » et « des logiciels seront nécessaires pour rationaliser le système d'exploitation de réseau » [traduction].

Dans la mise à jour de mars 1998 du projet G2746, « Sommaire du projet de rationalisation des logiciels d'exploitation du réseau de MDN/FC », l'ERGCC signale que : « le DRIGPI [Directeur - Ressources en information (Gestion des produits informatiques)] sera chargé d'analyser les diverses options de rationalisation de l'environnement du système d'exploitation de réseau de MDN/FC et ainsi de faciliter l'interopérabilité ministérielle » [traduction].

La mise à jour de mars 1998 du sommaire se rapportant au projet G2746 établit les échéances, les coûts et les décaissements du projet. Cette mise à jour aborde également la stratégie d'approvisionnement du projet G2746, et précise ce qui suit : « Après que le DRIGPI aura choisi une solution pour le système d'exploitation de réseau, un marché concernant un système d'exploitation de réseau unique pour la RCN (région de la capitale nationale) pourra être octroyé à partir des OCIN actuelles ou, au besoin, lancé en régime de concurrence. Au même moment que sera choisi le système d'exploitation de réseau pour la RCN, une étude de rentabilisation sera préparée afin d'étudier la mise en service possible d'un système d'exploitation de réseau unique pour l'ensemble de MDN/FC » [traduction].

Le 8 octobre 1998, le Ministère a reçu une demande du MDN visant l'acquisition de 325 licences pour le nouveau Microsoft NT 4.0 pour assurer la migration des serveurs Banyan Native VINES à un système Banyan StreetTalk for NT. Le 18 novembre 1998, le MDN a modifié la demande afin d'ajouter une commande de 12 000 licences d'accès client Microsoft pour les 12 000 utilisateurs Banyan afin qu'ils puissent avoir accès aux serveurs Banyan StreetTalk for NT.

Le 12 novembre 1998, les agents du MDN ont confirmé que le projet G2746 avait été annulé et qu'une « solution de rechange » afin de répondre à ce besoin serait mise en oeuvre.

Le 11 décembre 1998, un préavis d'adjudication de contrat (PAC) portant sur les licences a été affiché sur le Service électronique d'appels d'offres canadien (MERX), dont l'échéance avait été fixée au 22 décembre 1998. Le PAC prévoit, notamment, ce qui suit :

PAC - LICENCES DE LOGICIEL POUR NOUVEAUX SERVEURS

ÉNONCÉ DES TRAVAUX :

Commande subséquente proposée à l'offre à commandes de Microsoft visant des licences Microsoft Windows NT Server 4.0[10] (nombre 325) et des licences d'accès client (nombre 12 000). Le MDN fait passer 12 000 de ses utilisateurs Banyan de Banyan Vines à Banyan for NT et, par conséquent, des licences NT sont nécessaires. [...] L'interchangeabilité des produits possibles n'est pas un choix disponible sur le plan technique étant donné l'utilisation continue de Banyan StreetTalk.

Après l'an 2000, le ministère réexaminera ses exigences quant à son système d'exploitation de réseau.

[Traduction]

Le 11 janvier 1999, Novell a fait opposition au marché public proposé.

Le 13 janvier 1999, Banyan Systems Inc. a annoncé une alliance stratégique avec Microsoft Corporation (Microsoft). L'objet de l'alliance était décrit dans un communiqué, en partie, comme il suit :

L'alliance visera particulièrement à combler les besoins des clients dans les domaines suivants : [...] service de répertoire et d'interréseautage d'entreprises, y compris l'interopérabilité et le passage de Banyan VINESMD et de StreetTalkMD à Windows NT Server et WindowsMD 2000, ce qui comprend les services de répertoire de Windows NT et le Microsoft Active Directory.

Par le biais de cette entente, les nouveaux clients et les clients existants pourront étendre leurs réseaux de façon rentable et tirer parti des avantages de l'Internet en déployant la plate-forme d'entreprise Microsoft.

[Traduction]

Le 10 février 1999, le Ministère a adjugé un contrat à Microsoft.

POSITION DES PARTIES

Position du Ministère

Le Ministère a soutenu que Novell a présumé à tort que le MDN a toujours eu l'intention d'utiliser le produit Microsoft et qu'il n'a jamais eu l'intention de lancer un marché public concurrentiel pour acquérir la meilleure solution pour ses besoins de système d'exploitation de réseau. Le Ministère a soutenu que les Forces terrestres n'ont pas l'intention de faire la transition à un environnement exclusivement Microsoft NT. Le MDN est déterminé à exploiter le produit Banyan et, en fait, un contrat pour un plan de logistique de maintenance a été passé avec Banyan pour une période de deux ans.

Le Ministère a soutenu que les Forces terrestres font simplement la transition d'un environnement mixte de système d'exploitation de réseau, exploitant Banyan Native VINES et Banyan StreetTalk for NT, à une configuration commune, à savoir Banyan StreetTalk for NT. Cette transition, comme l'a soutenu le Ministère, nécessite le passage du système d'exploitation des serveurs sous-jacent (le noyau) d'un système Unix à un système Microsoft NT. Le Ministère était d'avis que cette transition ne constitue pas un marché public visant à acquérir une solution intégrale Microsoft pour le système d'exploitation de réseau, ni qu'elle ne constitue un changement de système d'exploitation de réseau d'un fabricant à un autre.

Le Ministère a fait valoir que, si l'on tient compte de la valeur du PAC en question, qui est de seulement 350 000 $, et du fait que Novell demande une indemnité monétaire de l'ordre de 1 956 000 $, il est évident que la plainte de Novell ne se rapporte pas à des mesures actuelles, mais à des mesures éventuelles. Ainsi, le Ministère était d'avis que la plainte de Novell est, tout au plus, prématurée.

Position de Novell

Novell a soutenu que l'invitation à soumissionner en question constitue une étape d'un projet précis de rationalisation du système d'exploitation de réseau du MND, qui a été entrepris il y a plusieurs années. Ce projet de rationalisation du système d'exploitation de réseau, comme l'a soutenu Novell, a été mis en oeuvre sans appel d'offres et en fractionnant le projet, ce qui est contraire aux accords commerciaux et, en conséquence, constitue un préjudice à l'endroit de Novell.

Novell a soutenu, plus précisément, que le MDN avait acquis ou mis à niveau en régime non concurrentiel le répertoire Banyan StreetTalk for NT, nonobstant le fait qu'il s'agit d'un produit tout à fait nouveau. Novell a ajouté que StreetTalk for NT peut servir d'outil de migration pour assurer la transition du service de répertoire StreetTalk d'un environnement Banyan VINES à un environnement Microsoft NT. Le MDN a acheté du logiciel pour serveurs NT et le matériel homologué nécessaire dans le cadre d'Offres à commandes principales et nationales. StreetTalk for NT a ensuite permis au MDN de retirer le service de répertoire de la plate-forme VINES et de l'installer sur la plate-forme Microsoft NT. À ce stade-ci, comme l'a indiqué Novell, le produit NT est entièrement déployé et contrôlé par StreetTalk for NT. Une fois cette transition terminée, il n'est plus nécessaire de conserver ou d'entretenir le système d'exploitation de réseau Banyan VINES. La dernière étape de la migration consistera à remplacer le service de répertoire StreetTalk for NT par le Microsoft Active Directory. À ce stade-là, a soutenu Novell, le MDN aura terminé la transition de Banyan Native VINES au serveur Windows NT.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Dans sa décision, la Cour a indiqué qu'« il est ainsi difficile de comprendre pourquoi le Tribunal peut affirmer que seul le volet du contrat concernant les licences de serveur et d'accès client était en litige et que les activités d'achat antérieures et futures ne l'étaient pas » [traduction]. La Cour a d'ailleurs indiqué qu'« il est difficile d'interpréter les mots "l'invitation à soumissionner en question, qu'elle fasse ou non partie d'un marché plus vaste" comme signifiant autre chose que le refus du Tribunal d'envisager si, en fait, le contrat en question s'inscrivait dans une procédure de passation de marché public plus vaste, ce qui représente l'une des questions soulevées par la partie requérante [Novell] dans le cadre de sa plainte auprès du Tribunal » [traduction]. La Cour a également indiqué qu'« elle ne peut comprendre la différence, s'il en existe une dans les circonstances, entre un "marché global, mis en oeuvre de façon fragmentée" et "le déroulement d'une stratégie de technologie de l'information" » comme le Tribunal l'a indiqué dans son exposé des motifs. La Cour a conclu : « il faut alors se demander si, sur la foi des éléments de preuve déposés par la partie requérante, celle-ci a été empêchée de soumissionner de futurs marchés portant sur le système d'exploitation de réseau du MDN et, si tel est le cas, si l'indemnité recommandée par le Tribunal, au lieu et place de pouvoir soumissionner le contrat spécifique en régime de concurrence, était appropriée » [traduction].

Le Tribunal abordera la question soulevée par la Cour. Plus particulièrement, le Tribunal examinera si le Ministère et le MDN ont fractionné le contrat afin de se soustraire à leurs obligations aux termes des accords commerciaux et si la mesure corrective qu'il a recommandée était adéquate. Ce faisant, le Tribunal clarifiera ce qu'il voulait dire par « l'invitation à soumissionner en question » et la distinction qu'il a faite entre « le déroulement d'une stratégie de technologie de l'information » et un « marché global, mis en oeuvre de façon fragmentée ».

L'alinéa 1017(1)a) de l'ALÉNA définit le « processus de passation des marchés » comme il suit : « débutera au moment où une entité décide des produits ou services à acquérir et se poursuivra jusqu'à l'adjudication du marché ». Le paragraphe 1001(5) de l'ALÉNA définit « marché » comme il suit : « englobent les acquisitions effectuées par des méthodes comme l'achat, le bail ou la location, avec ou sans option d'achat ». Puisque la définition de marché donnée dans l'ALÉNA est tautologique, il est nécessaire d'en donner une définition anglaise claire. Le Webster's Ninth New Collegiate Dictionary définit « procure » (acquérir) de la façon suivante : « prendre possession de : obtenir en employant une vigilance et un effort particuliers » [traduction]11 . De plus, The Canadian Oxford Dictionary définit « procurement » (acquisition) comme il suit : « l'action ou le fait d'acquérir » et « l'action d'acheter, surtout par un gouvernement », et définit « procure » (acquérir) en ces termes : « obtenir en employant une vigilance et un effort; acquérir » [traduction]12 . Une autre source, TermiumMD, définit « approvisionnement » ainsi : « Ensemble des opérations visant à mettre à la disposition d'une organisation les matières, fournitures et services nécessaires à son fonctionnement, notamment l'achat comme tel, la rédaction des devis, la préparation d'appels d'offres, l'inspection, l'entreposage, la distribution, etc. ». Il en découle donc que la procédure de passation du marché public sur laquelle se penche le Tribunal commence lorsqu'un établissement gouvernemental a décidé d'obtenir certains biens ou services en employant des méthodes, telles que la location, le bail ou l'achat, et se poursuit jusqu'à ce qu'un contrat pour ces biens et services soit adjugé.

De l'avis du Tribunal, la distinction qu'il a faite entre le « déroulement d'une stratégie de technologie de l'information » et un « marché global, mis en oeuvre de façon fragmentée » s'appuie fondamentalement sur la différence entre les notions de planification et de stratégie, d'une part, et la notion d'achat ou d'acquisition, d'autre part, telle qu'elles sont comprises dans la définition d'« approvisionnement ». Les éléments de preuve montrent clairement que le MDN a, depuis le milieu des années 1990, déterminé le besoin de rationaliser son environnement du système d'exploitation de réseau, l'un de plusieurs éléments de sa « stratégie de technologie de l'information » à long terme. De nombreux plans et documents de projets s'inscrivent dans le cadre de cette stratégie, qui décrivent ce projet de rationalisation du système d'exploitation de réseau. Il est de l'avis du Tribunal, bien que ces documents établissent que le MDN a clairement décidé de rationaliser son environnement du système d'exploitation de réseau, que ces documents « comme tels » ne constituent pas un marché ou le lancement d'une procédure de passation de marché public, puisque ces documents, par eux-mêmes, ne donnent pas lieu à une « action d'acheter » des biens ou des services, ou les deux. En autres mots, ces documents ne sollicitent ni ne déclenchent de réponses de la part de fournisseurs. Leur objectif principal est d'élaborer une stratégie ainsi que des plans et des projets connexes au sein du gouvernement.

De façon générale, l'avis d'achat proposé (AAP) déclenche les réponses de fournisseurs et, par conséquent, une procédure de passation de marché public. Dans le cas actuel, l'AAP concernant les licences a pris la forme d'un PAC, numéro d'invitation W8474-9-QQD8/A « l'invitation à soumissionner en question ». Le Tribunal conclut que l'invitation à soumissionner en question se rapporte à la fourniture de certains composants nécessaires au projet de rationalisation du système d'exploitation de réseau du MDN. Les licences acquises dans le cadre du contrat spécifique (c.-à-d. l'invitation à soumissionner en question) sont de toute évidence des composants du système d'exploitation de réseau. Toutefois, de l'avis du Tribunal, on ne peut dire qu'un « marché global » concernant un système d'exploitation de réseau ait été lancé, puisque les fournisseurs n'ont pas été invités à répondre à un tel AAP. De toute évidence, des éléments du projet de rationalisation du système d'exploitation de réseau du MDN sont mis en place suivant l'acquisition des licences, mais le marché portant sur le système d'exploitation de réseau, dans son entier, n'a pas été lancé. Le Tribunal est donc d'avis qu'il n'y a aucun élément de preuve montrant qu'une procédure de passation de marché public concernant le système d'exploitation de réseau, selon l'esprit des accords commerciaux, a été amorcée.

En ce qui concerne la question du fractionnement du contrat soulevée par Novell, il est évident pour le Tribunal qu'un certain nombre de marchés ont été adjugés (p. ex. quelque 250 serveurs non homologués pour Banyan VINES et des licences StreetTalk for NT ont été achetés par le MDN entre 1994 et 1996) lesquels, au même titre que les licences, peuvent raisonnablement être considérés comme des composants du projet de rationalisation du système d'exploitation de réseau. Il est également évident que certains autres marchés qui n'ont pas encore été entrepris (p. ex. le Microsoft Active Directory) devront l'être afin de compléter le projet de rationalisation du système d'exploitation de réseau du MDN, du moins comme l'a soutenu Novell. Bien que de tels marchés antérieurs et éventuels mentionnés dans la plainte de Novell, en plus de l'invitation à soumissionner en question, puissent être considérés comme des composants du même projet ou de la même stratégie de rationalisation du système d'exploitation de réseau, ces marchés constituent néanmoins des marchés distincts (c.-à-d. des contrats spécifiques différents) au sens de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 13 et du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 14 . Le délai prévu pour le dépôt d'une plainte concernant les marchés liés aux serveurs qui se sont déroulés de 1994 à 1996 est échu depuis longtemps, et lorsque le Tribunal a pris sa décision, il était trop tôt pour déposer une plainte au sujet d'éventuels marchés envisagés par le MDN concernant le Microsoft Active Directory. C'est en ce sens que le Tribunal a indiqué dans sa décision du 17 juin 1999 que « [l]e bien-fondé des actions de passation de marchés publics passées ou à venir, dont il a été fait mention ci-dessus ou dans les observations des parties versées au dossier de la présente procédure, ne font pas l'objet de l'examen du Tribunal »15 .

Le Tribunal se penchera maintenant sur la question qui consiste à savoir si l'acquisition d'un système d'exploitation de réseau, de façon fragmentée, constitue de fait un « fractionnement du contrat », du type qui est interdit par les accords commerciaux.

Le paragraphe 1001(4) de l'ALÉNA prévoit que, aucune des parties ne pourra préparer, élaborer ou autrement structurer un projet d'achat dans l'intention de se soustraire aux obligations du Chapitre 10. Le paragraphe 1002(4) prévoit également que, en complément du paragraphe 1001(4), une entité ne pourra ni choisir une méthode d'évaluation, ni répartir les quantités à acquérir entre plusieurs marchés, dans l'intention de se soustraire aux obligations du Chapitre 10. L'AMP et l'ACI comprennent des dispositions similaires. Les dispositions ci-dessus établissement clairement que les entités ne peuvent séparer, c'est-à-dire fractionner les contrats, afin de se soustraire aux obligations des accords commerciaux. De l'avis du Tribunal, le « fractionnement d'un contrat », selon l'esprit des accords commerciaux, signifie « la répartition entre plusieurs marchés », c.-à-d. la séparation entre plusieurs actions d'acquisition distinctes, telles que définies ci-dessus (c.-à-d. un besoin qui a fait l'objet d'un AAP sollicitant les soumissions de fournisseurs). Le Tribunal est d'avis que cette définition ne comprend pas le fractionnement d'une stratégie de technologie d'information ainsi que des plans et projets connexes, comme l'a soutenu Novell, puisque ces stratégies, plans et projets ne constituent pas, à proprement dit, des marchés aux termes des accords commerciaux. Comme il a déjà été indiqué, de telles stratégies, plans et projets sont essentiellement des instruments de planification conçus à l'usage interne du gouvernement et ne sollicitent pas de réponses de la part des fournisseurs.

Puisque l'invitation à soumissionner concernant les licences (l'invitation à soumissionner en question/le contrat spécifique) s'inscrivait dans l'esprit des accords commerciaux (c'est en vertu de ces accords commerciaux que le Tribunal, dans le dossier no PR-98-047, a décidé que le Ministère et le MDN avaient indûment recouru à une procédure limitée d'appel d'offres), on ne peut dire que ce marché a été « fractionné » afin que les entités puissent « se soustraire » aux obligations des accords commerciaux. En effet, la procédure limitée d'appel d'offres utilisée par le Ministère et le MDN, dans ce cas-ci, est comprise dans les accords commerciaux et son recours constitue un aspect de la procédure de passation de marchés publics qui peut être arbitrée par le Tribunal. Si, par exemple, en fractionnant l'invitation à soumissionner en question en marchés plus petits, le Ministère et le MDN avaient fait en sorte que la valeur estimative des marchés éventuels aurait été inférieure aux seuils monétaires établis dans les accords commerciaux applicables et, ainsi, que ces marchés ne seraient plus visés par les obligations prévues dans les accords commerciaux, alors, de l'avis du Tribunal, il serait possible de soutenir que le Gouvernement a fractionné les contrats afin de se soustraire à ses obligations aux termes des accords commerciaux. Or, ce n'est pas ce qui s'est passé.

Le Tribunal est d'avis, dans la présente affaire, que le Ministère et le MDN n'ont pas fractionné un présumé contrat se rapportant au système d'exploitation de réseau afin de se soustraire à leurs obligations aux termes des accords commerciaux et ce, pour deux raisons. Tout d'abord, un marché se rapportant à un système d'exploitation de réseau, conformément à l'esprit des accords commerciaux, n'existait pas et ne pouvait donc être fractionné et, en second lieu, de toute façon, l'invitation à soumissionner en question a, en tout temps, été visée par les dispositions des accords commerciaux.

Toutefois, en mettant au point son exposé sur la mesure corrective au dossier no PR-98-047, le Tribunal s'est rendu compte que l'invitation à soumissionner en question n'était qu'un composant du projet de rationalisation d'un système d'exploitation de réseau, et c'est pourquoi le Tribunal a limité son étude à l'invitation à soumissionner en question (le contrat spécifique). La Cour a indiqué qu'en limitant son étude du préjudice, aux termes du paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, au contrat spécifique, le Tribunal peut ne pas avoir déterminé une mesure corrective appropriée à l'endroit de Novell.

À la lumière de la décision de la Cour, le Tribunal comprend que sa compétence n'est pas aussi limitée qu'il l'entendait et que, en fait, une interprétation correcte de l'alinéa 30.15(3)b) de la Loi sur le TCCE prévoit que le Tribunal prenne pleinement en considération l'ampleur du préjudice causé à la partie plaignante ou à toute autre partie. Le Tribunal, dans sa décision du 17 juin 1999, a recommandé que Novell reçoive une indemnité d'un montant équivalant à la perte des bénéfices parce qu'elle a été privée de la possibilité de participer à l'invitation à soumissionner en question, d'obtenir le contrat et d'en tirer des profits. Le Tribunal est convaincu que l'invitation à soumissionner en question se rapporte à des composants du projet de rationalisation du système d'exploitation de réseau. À la lumière de cette constatation et parce que, par exemple, les 250 serveurs non homologués pour Banyan VINES achetés de 1994 à 1996 et les licences acquises par le MDN dans le cadre de l'invitation à soumissionner en question auront un effet direct, considérable, durable et contraignant sur la tentative de Novell de soumissionner les marchés concernant le système d'exploitation de réseau du MDN, dans la mesure où une telle occasion se présente, le Tribunal recommandera, advenant que le MDN décide de ne pas disposer des licences et parce que ces licences, comme l'a déterminé le Tribunal dans le dossier no PR-98-047, ont été acquises en violation des accords commerciaux, que Novell reçoive une indemnité supplémentaire dont le montant sera arrêté dans le cadre du processus indiqué ci-dessous.

DÉCISION DU TRIBUNAL

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que l'invitation à soumissionner en question se rapporte à des composants du projet de rationalisation du système d'exploitation de réseau du MDN. Puisque les licences acquises dans le cadre de l'invitation à soumissionner en question auront un effet direct, considérable, durable et contraignant sur la tentative de Novell de se voir adjuger le contrat concernant les besoins pour le système d'exploitation de réseau du MDN, le Tribunal recommande que le MDN dispose des licences à l'extérieur du gouvernement fédéral et, si le besoin existe toujours, qu'il lance un nouvel appel d'offres pour combler ce besoin, conformément aux accords commerciaux.

À titre de solution de rechange, le Tribunal recommande que, en plus du versement d'une indemnité d'un montant égal à la perte des profits qu'il a recommandée dans sa décision du 17 juin 1999, le Gouvernement verse une indemnité supplémentaire à Novell d'un montant qui sera arrêté conjointement par le Ministère et Novell, et qui sera ensuite soumis à l'examen du Tribunal. L'indemnité devra tenir compte des conséquences pour Novell de laisser en place l'acquisition irrégulière des licences par le MDN, ce qui a entravé et ce qui entravera la possibilité pour Novell de soumissionner avec succès en vue des besoins afférents au système d'exploitation de réseau du MDN.

1 . Novell Canada, Ltd. c. Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada et Microsoft Corporation (26 mai 2000), A-440-99.

2 . (17 juin 1999), PR-98-047 (TCCE).

3 . 32 I.L.M. 289 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ci-après ALÉNA].

4 . 15 avril 1994, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/final_f.htm>.

5 . Signé à Ottawa (Ontario) le 18 juillet 1994 [ci-après ACI].

6 . L.R.C. 1985, c. F-7.

7 . Le système d'exploitation de réseau gère le réseau et les ressources comme les ordinateurs, les fichiers, le courrier et les applications, les services de répertoire, les services d'impression, ainsi de suite. Ainsi, il permet l'interconnexion des ordinateurs aux fins du partage des données et des périphériques. Il est le pivot central de l'infrastructure de la technologie de l'information d'une organisation.

8 . Les Forces terrestres, élément des Forces canadiennes, comprennent la Force régulière et la Force de réserve.

9 . Rapport Hutchison, Canadian Federal Government Information Technology Market Report.

10 . Sur la page Web de Microsoft, on décrit le produit NT de la façon suivante : « Depuis sa parution en 1993, le produit Windows NTMD Server de MicrosoftMD est devenu le système d'exploitation de réseau de choix » [traduction].

11 . 1983, s.v. « procure ».

12 . 1998, s.v. « procurement » et « procure ».

13 . L.R.C. 1985 (4e suppl.), c. 47 [ci-après Loi sur le TCCE].

14 . D.O.R.S./93-602.

15 . Supra note 2 à la p. 12.


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Publication initiale : le 18 septembre 2000