LOTUS DEVELOPMENT CANADA LIMITED, NOVELL CANADA, LTD. ET NETSCAPE COMMUNICATIONS CANADA INC.

Décisions


LOTUS DEVELOPMENT CANADA LIMITED, NOVELL CANADA, LTD. ET NETSCAPE COMMUNICATIONS CANADA INC.
Dossiers nos : PR-98-005, PR-98-006 et PR-98-009

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le vendredi 14 août 1998

Dossiers nos : PR-98-005, PR-98-006 et PR-98-009

EU ÉGARD À des plaintes déposées par les sociétés Lotus Development Canada Limited, Novell Canada, Ltd. et Netscape Communications Canada Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), modifiée;

ET EU ÉGARD À la compétence du Tribunal pour poursuivre ses enquêtes sur les plaintes susmentionnées.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut, par les présentes, qu’il n’a pas compétence pour poursuivre ses enquêtes dans les dossiers nos PR-98-005, PR-98-006 et PR-98-009. Par conséquent, les plaintes sont rejetées.

Richard Lafontaine
_________________________
Richard Lafontaine
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire






Date de la décision : Le 14 août 1998

Membre du Tribunal : Richard Lafontaine

Gestionnaire de l’enquête : Randolph W. Heggart

Avocat pour le Tribunal : Hugh J. Cheetham

Plaignants : Lotus Development Canada Limited, Novell Canada, Ltd. et
Netscape Communications Canada Inc.

Avocats pour les plaignants : Terrance A. Sweeney, Garri B. Hendell et Kevin F. Fritz,
pour Lotus Development Canada Limited
Ronald D. Lunau, pour Netscape Communications Canada Inc.

Institution fédérale : Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

MOTIFS DE LA DÉCISION

CONTEXTE

Le 25 mai 1998, la société Lotus Development Canada Limited (Lotus) a déposé une plainte (dossier no PR-98-005) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (la Loi) concernant l’acquisition par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC), dans le cadre d’un marché de type fournisseur unique passé avec la société Microsoft Corporation, de licences pour le logiciel d’exploitation Microsoft NT pour serveur, pour le logiciel BackOffice pour serveur ainsi que pour le logiciel d’accès des clients pour le logiciel BackOffice. Ces acquisitions (numéro d’invitation 08324-8-0060/A), effectuées pour le compte du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI), ont pour but de maintenir le caractère fonctionnel en l’an 2000 du Réseau de sécurité mondial intégré (SIGNET) du MAECI.

Dans un message envoyé par télécopie à Lotus le 15 mai 1998, TPSGC a déclaré qu’« étant donné l’urgence du présent besoin pour des raisons de sécurité nationale, il est proposé de combler ce besoin par un marché du type à fournisseur unique ainsi qu’il est indiqué dans [le préavis d’adjudication de contrat (PAC) [2] ] » [traduction]. Le PAC prévoit, après avoir fait savoir que le marché public serait retiré du système des invitations ouvertes à soumissionner, ce qui suit : « le paragraphe 1018(1) [de l’Accord de libre-échange nord-américain [3] (ALÉNA)] s’applique parce que le MAECI considère l’acquisition du système de messagerie en question comme une mesure urgente, nécessaire et indispensable pour des raisons de sécurité nationale [...] l’alinéa 1804b) [de l’Accord sur le commerce intérieur [4] (ACI)] et […] le paragraphe 1 de l’article XXIII [de l’Accord sur les marchés publics [5] (AMP) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)] s’appliquent également [6] » [traduction]. Le 26 mai 1998, la société Novell Canada, Ltd. (Novell) a déposé une plainte (dossier no PR-98-006) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi concernant la même invitation à soumissionner.

Dans une lettre du 28 mai 1998, le Tribunal a informé TPSGC, Lotus et Novell que, en conformité avec le paragraphe 30.13(1) de la Loi et l’article 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal du commerce extérieur sur les marchés publics [7] (le Règlement), le Tribunal avait décidé d’enquêter sur chaque plainte. Le Tribunal a aussi soulevé auprès des parties intéressées la question de sa compétence pour enquêter sur lesdites plaintes. Il a informé TPSGC, Lotus et Novell qu’il invitait les parties à présenter leurs observations sur l’applicabilité et l’incidence du paragraphe 1018(1) de l’ALÉNA, de l’article 1804 de l’ACI et de l’article XXIII de l’AMP (collectivement appelés les accords commerciaux). Plus précisément, le Tribunal a demandé aux parties de traiter des questions suivantes :

a) la signification de « sécurité nationale » dans les accords susmentionnés et la question de savoir si le Tribunal a le pouvoir d’enquêter sur les détails particuliers d’une déclaration de « sécurité nationale »;

b) la signification du mot « Partie » au paragraphe 1018(1) de l’ALÉNA et à l’article XXIII de l’AMP et de l’expression « gouvernement fédéral » à l’article 1804 de l’ACI, et la question de savoir qui peut invoquer une exception concernant la sécurité nationale. Autrement dit, un fonctionnaire peut-il invoquer l’exception concernant la sécurité nationale ou y a-t-il un autre mécanisme qui est envisagé ou qui doit déclarer une exception aux termes desdits articles;

c) la question de savoir si l’invocation d’une exception aux termes desdits articles empêche le Tribunal d’enquêter ou si l’exception permet simplement qu’un marché soit passé d’une manière qui pourrait être contraire aux exigences en termes des procédures prévues aux accords, mais qui est nécessaire pour protéger les intérêts essentiels en matière de sécurité nationale;

d) toute autre question connexe qui pourrait avoir une incidence sur l’application desdits articles.

[Traduction]

Le 1er juin 1998, le Tribunal a reçu une troisième plainte concernant l’invitation no 08324-8-0060/A, de la société Netscape Communications Canada Inc. (Netscape) (dossier no PR-98-009). Le 5 juin 1998, le Tribunal a informé TPSGC et Netscape qu’il avait décidé d’enquêter sur la plainte. Le Tribunal a aussi invité TPSGC et Netscape à présenter leurs observations sur les mêmes questions que celles qui avaient été soulevées dans les dossiers nos PR-98-005 et PR-98-006.

Après avoir reçu les exposés de Lotus, de Novell et de Netscape, le Tribunal a demandé à TPSGC d’y répondre et a demandé que TPSGC explique au Tribunal le processus suivi pour arriver à la décision d’invoquer l’exception concernant la sécurité nationale déclarée dans le PAC et indique le pouvoir autorisant une telle décision. Subséquemment, dans une lettre datée du 29 juillet 1998, le Tribunal a demandé que TPSGC indique le pouvoir général ou spécifique en vertu duquel les fonctionnaires, désignés comme ayant invoqué les exceptions concernant la sécurité nationale dans les cas en question, avaient agi et, s’il s’était agi d’un pouvoir délégué, que TPSGC fournisse des copies de l’instrument de délégation.

Les exceptions concernant la sécurité nationale prévues dans les accords commerciaux sont les suivantes :

ALÉNA

Article 1018 : Exceptions

1. Aucune disposition du présent chapitre ne sera interprétée comme empêchant une Partie de prendre des mesures ou de taire des renseignements si elle l’estime nécessaire à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité, relativement à l’achat d’armes, de munitions ou de matériel de guerre, ou aux achats indispensables à la sécurité nationale ou aux fins de la défense nationale.

AMP

Article XXIII

Exceptions à l’accord

1. Aucune disposition du présent accord ne sera interprétée comme empêchant une Partie quelconque de prendre des mesures ou de ne pas divulguer des renseignements si elle l’estime nécessaire à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité, se rapportant aux marchés d’armes, de munitions ou de matériel de guerre, ou aux marchés indispensables à la sécurité nationale ou aux fins de la défense nationale.

ACI

Article 1804 : Sécurité nationale

Le présent accord n’a pas pour effet :

a) d’obliger le gouvernement fédéral à fournir des renseignements dont la divulgation serait, selon lui, contraire à la sécurité nationale, ou à donner accès à de tels renseignements;

b) d’empêcher le gouvernement fédéral de prendre les mesures qu’il juge nécessaires pour protéger les intérêts du Canada en matière de sécurité nationale ou pour respecter ses obligations internationales en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales.

POSITIONS DES PARTIES

TPSGC a soutenu que la portée de la compétence du Tribunal se limite à la procédure d’examen des marchés publics telle qu’elle est prévue à l’article 30.11 de la Loi, au Règlement et aux accords commerciaux connexes. Les obligations prévues aux accords s’appliquent aux entités gouvernementales « visées » de chaque partie relativement aux marchés publics portant sur des biens et services « visés » dépassant les seuils monétaires établis dans les accords. Les accords commerciaux prévoient également que chaque signataire doit adopter et maintenir des procédures de contestation des offres pour les marchés « visés » (voir le paragraphe 1017(1) de l’ALÉNA, l’article XX de l’AMP et le paragraphe 514(2) de l’ACI). Aux termes de l’article 11 du Règlement, lorsque le Tribunal enquête sur une plainte portant sur un marché public, il « détermine si le marché public a été passé conformément aux exigences [des accords commerciaux], selon le cas ». TPSGC a soutenu que, selon le libellé des exceptions pertinentes, ni les règles afférentes aux appels d’offres ouverts prévues aux accords commerciaux ni les procédures de contestation des offres mises en œuvre dans le cadre des lois nationales ne s’appliquent à un marché public au sujet duquel des exceptions concernant la sécurité nationale ont été invoquées. Par conséquent, TPSGC a soutenu que le Tribunal n’a pas compétence en ce qui touche une procédure de passation d’un marché public qui n’est pas assujetti aux règles sur les appels d’offres prévues aux accords commerciaux, c.-à-d. un marché public non « visé ».

TPSGC a aussi soutenu que le pouvoir du présent tribunal établi par une loi nationale n’englobe pas l’examen d’une décision du gouvernement du Canada d’invoquer une exception concernant la sécurité nationale. Le libellé spécifique des exceptions permet au gouvernement du Canada d’exercer son pouvoir discrétionnaire quant à leur application. L’utilisation des mots « Aucune disposition du présent chapitre ne sera interprétée comme empêchant une Partie de prendre des mesures [...] si elle l’estime nécessaire » au paragraphe 1018(1) de l’ALÉNA exprime l’intention et l’accord des Parties que le recours à l’exception relève de la détermination subjective de la Partie et, lorsqu’elle est invoquée, l’exception ne peut faire l’objet d’une révision dans le cadre des procédures de contestation des offres nationales prescrites à l’article 1017 de l’ALÉNA. TPSGC met une telle situation en opposition avec des questions comme celles des procédures portant sur les appels d’offres restreints aux termes de l’article 1016 de l’ALÉNA ou le classement de marchés publics dans une classe de services exclue comprise à l’annexe 1001.1b-2 de l’ALÉNA. Ces dernières dispositions sont assujetties à des critères objectifs et peuvent faire l’objet de l’examen du Tribunal. TPSGC a soutenu que des critères subjectifs similaires sont incorporés aux exceptions concernant la sécurité nationale prévues à l’AMP et à l’ACI.

Quant à la signification de l’expression « sécurité nationale », TPSGC a souligné que l’expression n’est définie dans aucun des accords commerciaux et a soutenu que, dans de telles circonstances, il est présumé que le sens ordinaire de l’expression doit être retenu. TPSGC a avancé diverses définitions que donnent les dictionnaires des mots « sécurité » et « nationale » et a conclu que des inquiétudes relatives à la « sécurité nationale » concernent la sécurité ou la protection du pays ou de la nation dans son ensemble contre une menace internationale ou le règlement d’un état de crise ou d’une urgence affectant l’ensemble de la nation.

Abordant la question de savoir de quelle façon une exception concernant la sécurité nationale peut être invoquée aux termes des accords commerciaux, TPSGC a soutenu que la Couronne est indivisible et que chaque Partie, relativement à l’ALÉNA et à l’AMP, et le gouvernement fédéral, relativement à l’ACI, peut déterminer la manière dont l’exception sera invoquée, et à quel palier de pouvoir elle le sera. Puisque nul autre mécanisme n’a été convenu ni prévu dans les accords commerciaux, le Tribunal ne dispose d’aucun fondement pour examiner le mécanisme interne retenu par le gouvernement fédéral pour l’application de l’exception.

Novell a soutenu que les exceptions concernant la sécurité nationale sont destinées à donner au gouvernement fédéral la souplesse nécessaire pour s’approvisionner en biens et en services dans des situations d’urgence très inhabituelles qui peuvent exiger une action militaire ou qui mettent en danger des vies humaines et non, comme dans le présent cas, une situation où TPSGC tente de remplacer le système de messages administratifs du MAECI. Novell a souligné que MAECI dispose d’un deuxième système de messagerie hautement protégé qui sert à communiquer les messages classifiés et de nature délicate. Novell a déclaré que le Tribunal doit être convaincu que l’exception concernant la sécurité nationale a correctement été appliquée dans le cas du marché public en question. Selon Novell, une exception concernant la sécurité nationale devrait être invoquée par le Parlement, et non par un fonctionnaire, étant donné la nature extrême de ce type de déclaration et des incidences possibles d’une telle déclaration sur les partenaires commerciaux du Canada. En outre, les accords commerciaux n’empêchent pas explicitement le Tribunal de tenir une enquête lorsque l’exception est invoquée.

L’avocat de Netscape a soutenu que, aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi, les fournisseurs éventuels disposent de très vastes droits pour demander une enquête du Tribunal sur tout aspect de la procédure de passation des marchés publics et que le pouvoir d’enquêter du Tribunal aux termes du paragraphe susmentionné est le plus étendu possible. La raison d’être de droits aussi vastes est de garantir la confiance de la population dans l’équité, l’ouverture et l’impartialité des procédures en matière de marchés publics prévues aux accords commerciaux. Il a soutenu que la position de TPSGC est que les fournisseurs potentiels n’ont aucun droit de présenter une plainte à l’égard d’une décision gouvernementale qui a pour effet de soustraire intégralement un marché public du régime d’appel d’offres ouvert. Il a soutenu que le Tribunal ne doit pas accueillir un argument contraire aux objectifs fondamentaux des accords commerciaux. De plus, le paragraphe 30.11(1) ne comporte aucun terme limitatif qui restreindrait, en aucune façon, le droit de fournisseurs potentiels de présenter une plainte au sujet de « tout aspect » d’un marché public. Donc, la position de TPSGC aurait pour effet d’ajouter au paragraphe une restriction que ne prévoient présentement pas les textes législatifs.

L’avocat de Netscape a également renvoyé le Tribunal au paragraphe 3(1) du Règlement, qui se rapporte à la définition de « contrat spécifique » et a soutenu que rien, ni dans ladite disposition ni dans le paragraphe 30.11(1) de la Loi, n’empêche un fournisseur potentiel de présenter une plainte relative à l’utilisation injustifiable des exceptions concernant la sécurité nationale afin de soustraire un « contrat spécifique » aux procédures de passation des marchés publics.

L’avocat de Netscape a soutenu qu’il n’existe aucune définition de l’expression « sécurité nationale » qui fasse autorité. Il a également soutenu que les exceptions concernant la sécurité nationale ne sont destinées qu’à prévoir les mesures nécessaires strictement à des fins de sécurité et ne visent aucune fin commerciale. À cet égard, il a renvoyé à des définitions que donnent des dictionnaires du mot « sécurité », à la définition de l’expression « menaces envers la sécurité du Canada » énoncée dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité [8] et à l’utilisation du mot « sécurité » dans le Guide des approvisionnements [9] de TPSGC.

L’avocat de Netscape a de plus soutenu que les exceptions concernant la sécurité nationale ou la protection des intérêts essentiels de sa sécurité, énoncées aux accords commerciaux n’ont fait l’objet d’une interprétation faisant autorité ni par une cour ni par un groupe spécial de règlement des différents. Il a soutenu que, cependant, la Convention de Vienne sur le droit des traités [10] (la Convention de Vienne) et les différends relatifs aux exceptions concernant la protection des intérêts essentiels de la sécurité prévues à l’article XXI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce [11] (GATT) pouvaient être utiles pour interpréter les dispositions en question. Quant à la Convention de Vienne, il a fait valoir que l’organe d’appel de l’OMC avait statué que les principes d’interprétation des traités énoncés dans la Convention de Vienne doivent être respectés et appliqués pour interpréter l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce [12] de l’OMC. Il a avancé que le même principe devrait s’appliquer à l’interprétation de l’AMP et de l’ALÉNA et a renvoyé le Tribunal à l’extrait suivant d’une décision récente rendue par un groupe spécial :

Le devoir de celui qui interprète un traité est d’examiner les termes du traité pour déterminer les intentions des parties. Cela devrait se faire conformément aux principes d’interprétation des traités énoncés à l’article 31 de la Convention de Vienne. Mais ces principes d’interprétation ne signifient pas qu’il soit nécessaire ni justifiable d’imputer à un traité des termes qu’il ne contient pas ou d’inclure dans un traité des concepts qui n’y étaient pas prévus [13] .

[Traduction]

Après avoir fait état des commentaires concernant l’article XXI du GATT présenté dans le Guide des règles et pratiques du GATT [14] et à des commentaires connexes, l’avocat de Netscape a soutenu que les exceptions en question ne peuvent faire l’objet d’une interprétation trop libérale et doivent ne viser que les menaces qui sont réelles et qui se rapportent véritablement à la sécurité, c.-à-d. à la protection contre des menaces ou un danger. Toute interprétation plus large menace de saper les objectifs fondamentaux des accords commerciaux. En conformité avec les principes d’interprétation énoncés dans la Convention de Vienne, une exception concernant la sécurité nationale ne peut être interprétée pour permettre au Canada de se soustraire à ses obligations commerciales en permettant que la portée de telles exceptions s’étendent à n’importe quelles circonstances.

Quant à la signification de « Partie » et de « gouvernement fédéral », l’avocat de Netscape a soutenu que le gouvernement du Canada constitue une « Partie » aux termes du paragraphe 1018(1) de l’ALÉNA et du paragraphe 1 de l’article XXIII de l’AMP et le « gouvernement fédéral » aux termes de l’article 1804 de l’ACI.

Quant à la question de savoir qui peut invoquer une exception concernant la sécurité nationale, l’avocat de Netscape a soutenu que, aux termes des accords commerciaux, seul le gouvernement du Canada peut entreprendre une telle mesure. Il a soutenu que le gouvernement du Canada agit au moyen de décrets, de lois et de règlements. En l’espèce, il n’a été produit aucune source de pouvoir par laquelle le gouvernement du Canada aurait autorisé qu’il soit fait exception aux procédures d’appel d’offres ouvert des accords commerciaux. L’avocat a soutenu que TPSGC invoque à tort le principe de l’indivisibilité de la Couronne puisque ce dernier signifie simplement qu’une seule personne est au même moment la Couronne. Le postulat est sans rapport avec la question de savoir si les fonctionnaires sont autorisés à entreprendre certaines mesures au nom du gouvernement du Canada. De plus, l’avocat a soutenu que la position de TPSGC semble être que tous les fonctionnaires, peu importe leur rang ou leurs attributions, disposent du pouvoir inhérent d’exercer tous les pouvoirs de la Couronne ou du gouvernement du Canada. Il a ajouté que cela est manifestement absurde et juridiquement erroné et a renvoyé à l’extrait suivant tiré de l’ouvrage Principles of Administrative Law :

In particular, members of the executive (whether the cabinet, the “government” or civil servants) do not possess any inherent power due to their position or office. [15]

(Plus précisément, les membres de l’exécutif [qu’il s’agisse du cabinet, du « gouvernement » ou de fonctionnaires] ne disposent d’aucun pouvoir inhérent en raison de leur poste ou de leur charge.)

Les avocats de Lotus ont soutenu que, comme dans le cas présent, lorsqu’une enquête sur un marché public a été entreprise, l’article 11 du Règlement prescrit que le Tribunal doit déterminer « si le marché public a été passé conformément aux exigences de l’ALÉNA, de [l’ACI] ou de [l’AMP], selon le cas ». Aux termes de la disposition susmentionnée, les dispositions législatives applicables donnent expressément au Tribunal le pouvoir d’interpréter et d’appliquer toutes les dispositions sans exception des accords commerciaux portant sur les marchés publics, y compris les exceptions concernant la sécurité nationale. Les avocats ont fait observer que TPSGC affirme que les procédures de contestation des offres prévues aux accords commerciaux ne s’appliquent plus lorsqu’un gouvernement a invoqué les exceptions concernant la sécurité nationale. Les avocats ont soutenu que rien dans le libellé des accords commerciaux ne laisse croire que les différends concernant l’application des exceptions échappent à la portée des procédures de contestation des offres. Les termes des procédures de contestation des offres indiquent que lesdites procédures s’appliquent à « tout aspect » de la procédure de passation du marché public.

Les avocats de Lotus ont soutenu que l’application des exceptions à un marché public particulier n’a pour effet ni de modifier la portée de la procédure de contestation des offres ni de modifier la portée des accords commerciaux, et qu’il n’était pas prévu non plus qu’elle ait un tel effet. Plutôt, les accords commerciaux visent simplement à permettre, dans des circonstances limitées, la conduite d’un marché public d’une manière qui serait autrement contraire aux exigences des accords commerciaux en termes de procédures. Un marché ne perd pas sa qualité de « contrat spécifique » lorsque les exceptions sont invoquées, et la portée de la procédure de contestation des offres n’est pas diminuée dans de telles circonstances. Par conséquent, la compétence du Tribunal pour enquêter sur l’affaire demeure entière.

Les avocats de Lotus ont soutenu que TPSGC, en adoptant la position que le gouvernement fédéral a le pouvoir discrétionnaire illimité et absolu de se soustraire lui-même aux dispositions des accords commerciaux en estimant qu’un marché public est « indispensable à la sécurité nationale », s’appuie sur une notion dépassée du droit administratif. En droit administratif moderne, même une vaste délégation de pouvoirs du Parlement est soumise au contrôle juridictionnel. Comme Jones et de Villars [les auteurs de Principles of Administrative Law] le déclarent :

unlimited discretion cannot exist. The courts have continuously asserted their right to review a delegate’s exercise of discretion for a wide range of abuses. [16]

(le pouvoir discrétionnaire illimité ne peut exister. Les cours ont continuellement affirmé leur droit d’examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un délégué relativement à un vaste éventail d’abus.)

Tout pouvoir en matière de marchés publics ne peut être exercé de façon abusive par TPSGC; l’abus peut être redressé par le Tribunal, et par la Cour fédérale par l’entremise du Tribunal, en conformité avec le pouvoir qui lui est conféré par la loi.

Les avocats de Lotus ont également soutenu que la position de TPSGC est contraire à la position antérieurement adoptée par le Canada relativement aux dispositions prévues à l’Accord relatif aux marchés publics [17] (le Code des marchés publics) des Accords du Tokyo Round, l’accord qui a précédé l’AMP, et dont les termes de la disposition concernant la sécurité nationale sont identiques à ceux du paragraphe XXIII(1) de l’AMP. Dans une discussion de certains commentaires du groupe spécial du GATT dans l’affaire United States - Trade Measures Affecting Nicaragua [18] , TPSGC, dans un commentaire sur la cause, a déclaré ce qui suit à l’égard des Affaires extérieures :

Given this line of reasoning, and in a case where a Panel’s terms of reference included reviewing a Party’s claim that its actions were necessary under Article VIII.1 of the Code, that Party’s invocation of “national security interests” could be subject to the Panel’s scrutiny. [19]

(Étant donné un tel type de raisonnement, et dans un cas où le mandat du Groupe spécial inclurait l’examen de la déclaration d’une Partie selon laquelle les mesures qu’elle a entreprises étaient nécessaires aux termes du paragraphe VIII.1 du Code, l’invocation par ladite Partie des « intérêts de la sécurité nationale » pourrait être objet de l’examen du Groupe spécial.)

Les avocats de Lotus ont soutenu qu’il n’est ni logique ni souhaitable que le Canada détermine que des tribunaux internationaux sont investis d’une telle compétence et, au même moment, affirme que le Tribunal ne l’est pas.

Quant à la question de savoir qui peut invoquer une exception concernant la sécurité nationale, les avocats de Lotus ont soutenu que la question n’est pas traitée spécifiquement dans les accords commerciaux ni dans la Loi, telle qu’elle a été modifiée. Par conséquent, le Tribunal doit tenter de définir l’intention du Parlement à cet égard. Les avocats ont renvoyé à diverses mesures législatives fédérales où le Parlement a expressément délégué les décisions en matière de sécurité nationale au gouvernement et ont soutenu que, dans de tels cas, la délégation s’était faite aux échelons les plus élevés du gouvernement, c.-à-d. au gouverneur en conseil, à un ministre ou au dirigeant d’une institution fédérale [20] , et, dans deux cas, à un fonctionnaire occupant un poste moins élevé [21] . Les avocats ont exhorté le Tribunal à accepter l’interprétation de « Partie » et de « gouvernement fédéral » qui limite l’invocation d’une exception concernant la sécurité nationale aux fonctionnaires supérieurs.

En réponse à l’exposé de Novell selon lequel seul le Parlement a le pouvoir d’invoquer une exception concernant la sécurité nationale, TPSGC a soutenu que les décisions portant sur l’application des exceptions à un marché public particulier relèvent nécessairement de la responsabilité des fonctionnaires et ne sont pas correctement l’objet de débats parlementaires. Rien dans les accords commerciaux ne fonde l’opinion que l’invocation des exceptions doit être le fait du Parlement. De plus, les textes législatifs par lesquels le Parlement a mis en œuvre les dispositions sur la contestation des offres contenues dans les accords commerciaux ne désignent aucun représentant comme étant chargé d’invoquer les exceptions et ne prévoient aucun organisme de réglementation chargé d’une telle désignation. Ils n’incluent pas non plus, dans le mandat du Tribunal, la compétence à l’endroit de la décision d’invoquer les exceptions.

En réponse à l’exposé de Netscape selon lequel la compétence du Tribunal en l’espèce découle du paragraphe 30.11(1) de la Loi et du paragraphe 3(1) du Règlement, TPSGC a soutenu qu’une telle affirmation est erronée, puisque la compétence du Tribunal relativement aux enquêtes sur les marchés publics se limite uniquement à déterminer si un marché public a été passé conformément aux exigences des accords commerciaux [22] . Le Tribunal n’a pas compétence non plus pour appliquer les règles des marchés publics à un processus qui, en application des exceptions concernant la sécurité nationale, a été soustrait aux dispositions des accords commerciaux.

Quant aux renvois à l’Organe d’appel de l’OMC et à l’article XXI du GATT, TPSGC a soutenu que ces renvois n’ont pas rapport avec la question à l’étude, puisque la compétence du Tribunal émane uniquement des lois et règlements nationaux. TPSGC a aussi contesté l’argument selon lequel la compétence du Tribunal inclut nécessairement le pouvoir d’examen d’une décision d’invoquer les exceptions concernant la sécurité nationale afin de protéger contre le recours abusif à de telles exceptions. TPSGC a déclaré que Netscape n’a présenté aucun élément de preuve qui montre que les exceptions ont été invoquées pour échapper aux obligations prévues aux accords commerciaux. De plus, étant donné que la compétence du Tribunal en matière de marchés publics ne découle uniquement que des marchés publics visés dans les accords commerciaux, et s’y limite nécessairement, il n’est pas raisonnable d’avancer que le Tribunal devrait examiner les marchés publics que les Parties aux accords commerciaux ont prévu soustraire du régime desdits accords.

En réponse à l’exposé de Lotus selon lequel l’application d’une exception concernant la sécurité nationale à un marché public donné ne modifie pas la portée des procédures de contestation des offres prévues aux accords commerciaux, TPSGC a de nouveau soutenu que la compétence du Tribunal, dans le contexte des enquêtes relatives aux marchés publics, se limite uniquement à déterminer si un marché public a été passé conformément aux exigences des accords commerciaux. Par conséquent, il n’est pas raisonnable d’avancer que le Tribunal a compétence pour examiner les marchés publics qui ont été soustraits à l’application des règles énoncées dans lesdits accords commerciaux.

Quant à l’argument selon lequel, d’après les principes de droit administratif, le Tribunal a le pouvoir d’examiner le recours que fait le gouvernement aux exceptions, TPSGC a soutenu que l’argument n’est pas pertinent dans le cas de la compétence pour examiner les marchés publics nationaux d’un tribunal établi par une loi, c.-à-d. le Tribunal. Quant à la position de Lotus selon laquelle les mots « Partie » et « gouvernement fédéral » devraient être interprétés d’une manière qui limite l’invocation des exceptions aux cadres supérieurs du gouvernement pour « minimiser les frictions commerciales entre le Canada et ses partenaires commerciaux internationaux », TPSGC a soutenu qu’il revient aux Parties ou aux pays signataires de déterminer la meilleure façon de répondre à leurs obligations aux termes des accords commerciaux. De plus, chaque accord renferme des mécanismes de règlement des différends pour régler les différends relatifs à l’interprétation des obligations d’une Partie aux termes de l’accord applicable.

En réponse à la demande du Tribunal pour une explication du processus qui a mené à la décision d’invoquer les exceptions énoncées dans le PAC en question et la nature du pouvoir en vertu duquel la décision avait été prise, TPSGC a expliqué le processus qui a mené à la décision dans le cas présent. L’explication comportait des copies de pièces finales de correspondance entre des fonctionnaires du MAECI et de TPSGC occupant des postes au niveau de sous-ministre adjoint (SMA). Ce faisant, TPSGC a réitéré sa position selon laquelle le Tribunal n’a pas compétence pour examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Couronne à cet égard.

Pour ce qui est de la demande subséquente du Tribunal voulant que TPSGC indique le pouvoir général ou spécifique en vertu duquel les fonctionnaires, désignés comme ayant invoqué les exceptions concernant la sécurité nationale dans le cas présent, avaient agi, TPSGC a soutenu que, aux termes de l’article 6 de la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux [23] (la Loi sur les Travaux publics), le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministre) a le pouvoir de passer au nom du gouvernement du Canada des marchés publics en général et le marché public spécifique en question. Ce pouvoir est exercé en conformité avec les règlements pertinents du Conseil du Trésor et les règles sur les marchés publics prévues aux accords commerciaux.

TPSGC a soutenu que le pouvoir du Ministre d’exécuter des fonctions administratives aux termes de la Loi sur les Travaux publics peut être exercé par les fonctionnaires pertinents au sein du ministère du Ministre. À cet égard, TPSGC a soutenu que le SMA responsable de la Direction générale du service des approvisionnements de TPSGC était la personne pertinente aux termes de l’alinéa 24(2)d) de la Loi d’interprétation [24] , qui prévoit, notamment, que « [l]a mention d’un ministre par son titre ou dans le cadre de ses attributions vaut mention : [...] de toute personne ayant, dans le ministère ou département d’État en cause, la compétence voulue ». Lorsqu’il a décidé d’invoquer les exceptions concernant la sécurité nationale dans le cas présent, le SMA exerçait le pouvoir du Ministre aux termes de la Loi sur les Travaux publics, qui donne au Ministre la responsabilité de l’acquisition de biens et de services au nom des autres ministères. TPSGC a aussi déposé une copie de la description de poste du SMA, Service des approvisionnements.

TPSGC a aussi soutenu que le pouvoir en question n’est pas un pouvoir délégué, mais plutôt le pouvoir ministériel qui peut être exercé par les fonctionnaires compétents [25] .

ANALYSE DU TRIBUNAL

Le Tribunal estime qu’il est utile d’amorcer la discussion de sa compétence dans la présente affaire en discutant, d’une manière générale, de la façon dont fonctionnent les procédures de contestation des offres prévues aux accords commerciaux. Une telle discussion suppose la définition du rôle du Tribunal au sein du système de contestation des offres et de la manière dont il est ordonné au Tribunal d’examiner une plainte déposée aux termes de la Loi.

Aux termes de l’alinéa 1017(1)a) de l’ALÉNA, le gouvernement du Canada est tenu de permettre aux fournisseurs de présenter des contestations des offres sur tout aspect du processus de passation des marchés. Aux termes de l’alinéa 1017(1)g), le gouvernement du Canada est tenu d’établir ou de désigner un organisme d’examen qui sera chargé de recevoir les contestations relatives aux offres et de faire des recommandations. Le Tribunal est l’organisme canadien désigné pour recevoir ces contestations. Par conséquent, le Tribunal a le pouvoir d’examiner les contestations des offres et de déterminer si un marché public visé a été passé conformément aux obligations énoncées au chapitre 10. D’une manière similaire, le Tribunal est l’organisme d’examen indépendant aux fins de l’article XX de l’AMP et l’organisme d’examen aux fins de l’article 514 de l’ACI.

Ainsi que l’ont fait observer les parties, le paragraphe 30.11(1) de la Loi prévoit que :

Tout fournisseur potentiel peut, sous réserve des règlements, déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte.

Bien que [dans sa version anglaise] la disposition susmentionnée indique qu’une plainte puisse concerner « any aspect » (« tout aspect ») de la procédure des marchés publics, la disposition ne définit pas spécifiquement quel peut être l’objet de l’enquête du Tribunal, lorsqu’une plainte est déposée correctement. Pour répondre à la question, il faut considérer le paragraphe 30.13(1) de la Loi, qui prévoit que :

Après avoir jugé la plainte conforme [c.-à-d. correctement déposée] et sous réserve des règlements, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter. L’enquête peut comporter une audience.

L’'article 7 du Règlement, pour sa part, précise que le Tribunal doit déterminer si trois conditions sont remplies avant d’accueillir une plainte aux fins d’enquête. Ces conditions sont les suivantes :

a) le plaignant est un fournisseur potentiel;

b) la plainte porte sur un contrat spécifique;

c) les renseignements fournis par le plaignant et les autres renseignements examinés par le Tribunal relativement à la plainte démontrent, dans une mesure raisonnable, que le marché public n’a pas été passé conformément au chapitre 10 de l’ALÉNA, au chapitre cinq de [l’AIT] ou à [l’AMP], selon le cas.

Pour ouvrir une enquête, le Tribunal doit donc déterminer que chacune des conditions susmentionnées est remplie. L’enquête ne traite pas nécessairement de toutes les questions soulevées dans la plainte si le Tribunal, après avoir tenu compte du Règlement, est d’avis qu’une ou plusieurs des questions soulevées dans la plainte ne font pas correctement l’objet d’une enquête. En l’espèce, il n’est pas contesté que Lotus, Novell et Netscape sont toutes des « fournisseurs potentiels » et que le marché en question est, si ce n’est de l’invocation des exceptions concernant la sécurité nationale, un « contrat spécifique ». La question consiste à déterminer si les renseignements dont dispose le Tribunal démontrent, dans une mesure raisonnable, que le marché a enfreint un ou plus d’un accord commercial. L’invocation des exceptions concernant la sécurité nationale prévues aux accords commerciaux, telle que communiquée dans le PAC, force le Tribunal à examiner l’incidence des exceptions concernant la sécurité nationale prévues aux accords commerciaux sur sa compétence pour enquêter.

La question que le Tribunal doit trancher consiste à déterminer si le présent marché public a effectivement été soustrait à l’application des procédures de contestation des offres prévues à chacun des accords commerciaux. Cette question soulève celle de savoir quels effets ont les exceptions concernant la sécurité nationale par rapport à la procédure de contestation des offres des accords commerciaux. Le Tribunal conclut qu’il est utile de discuter d’abord de la question susmentionnée dans le contexte de l’ALÉNA. Ce faisant, le Tribunal est d’accord avec les parties sur le fait que le gouvernement du Canada constitue une « Partie » aux fins du paragraphe 1018(1) de l’ALÉNA et du paragraphe 1 de l’article XXIII de l’AMP et le « gouvernement fédéral » aux fins de l’article 1804 de l’ACI. Le Tribunal fait également observer que les parties n’ont fait aucune mention au Tribunal, et que le Tribunal n’en connaît aucune non plus, d’interprétations des exceptions en question faites par d’autres organismes d’examen aux termes des accords commerciaux.

De par son libellé, le paragraphe 1018(1) de l’ALÉNA indique que la Partie pertinente, en l’espèce le gouvernement du Canada, peut déterminer que certaines questions sont indispensables à sa sécurité nationale et, étant ainsi arrivé à une telle détermination, peut prendre des mesures ou taire des renseignements relativement à de telles questions. Autrement dit, le gouvernement du Canada a le pouvoir discrétionnaire de déclarer que la question qui fait l’objet d’un marché public particulier se rapporte à la sécurité nationale et, de ce fait, peut soustraire la question des exigences du processus de contestation des offres prévues aux accords commerciaux applicables. En l’espèce, il a été donné avis dans le PAC de la décision d’invoquer les exceptions concernant la sécurité nationale prévues aux accords commerciaux.

L’Énoncé canadien des mesures de mise en œuvre accompagnant la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain [26] prévoit ce qui suit relativement à l’article 1018 :

L’article 1018 présente des exceptions d’ordre général au chapitre 10. En vertu du chapitre, il n’est demandé à aucune des Parties de compromettre ses intérêts essentiels [...] Les exceptions d’ordre général établies à l’article VIII de l’Accord relatif aux marchés publics du GATT [maintenant l’article XXIII de l’AMP] sont largement intégrées à cet article [27] .

L’énoncé susmentionné indique que c’est la « Partie » qui détermine quand ses intérêts essentiels en matière de sécurité pourraient être compromis, mais ne décrit aucun processus qui s’appliquerait pour invoquer une exception. Outre l’énoncé même du gouvernement, plusieurs commentateurs ont discuté de la finalité du paragraphe 1018(1) de l’ALÉNA. L’énoncé suivant illustre de tels commentaires :

Les exigences concernant les marchés publics de l’ALÉNA ne s’appliquent pas à l’achat d’armes, de munitions ou de matériel de guerre et aux autres achats concernant la sécurité nationale [28] .

[Traduction]

Le Tribunal est porté à croire que le but des exceptions concernant la sécurité nationale est de soustraire l’objet de l’exception des exigences relatives aux marchés publics établies au chapitre 10 de l’ALÉNA.

Quant à l’AMP, l’accord qui a succédé au Code des marchés publics, les professeurs Jackson, Davey et Sykes, au sujet des exceptions concernant la sécurité en général, déclarent que ces exceptions représentent « une exception classique aux politiques et règles libérales du commerce » [traduction] et observent que le problème qu’elles suscitent en termes d’accords internationaux est qu’il est pratiquement impossible d’en définir les limites [29] . Ce problème se reflète dans l’histoire de l’exception générale concernant la sécurité incluse dans le GATT, à l’article XXI, qui est le modèle des exceptions concernant la sécurité du Code des marchés publics, de l’AMP et de l’ALÉNA. L’histoire de ladite disposition est résumée dans le Guide des règles et pratiques du GATT. En bref, cette histoire porte à croire qu’il n’y a pas de limites à la fréquence d’invocations de telles exceptions, si ce n’est que chacune des Parties à un accord particulier reconnaît que le fréquent recours à l’exception remettra en question l’efficacité de l’accord applicable. Comme il ressort de la discussion des affaires liées au GATT, une fois invoquée, l’exception concernant la sécurité du GATT semble soustraire l’objet de l’exception de la portée de l’accord. Cela dit, il est généralement reconnu que l’application généralisée des exceptions concernant la sécurité pourrait menacer l’efficacité des accords commerciaux. De plus, en ce qui a trait à la manière d’invoquer de telles exceptions, le GATT a décidé en 1982 de demander qu’un Membre qui invoque l’article XXI avise le GATT, dans certaines circonstances, des mesures prises aux termes de l’exception [30] .

Quant à l’article 1804 de l’ACI, le Tribunal est d’avis que la portée du libellé de ladite disposition est plus large que celle de l’ALÉNA et de l’AMP et qu’il est possible de prétendre que le pouvoir discrétionnaire qu’elle confère est également plus étendu.

Le Tribunal est d’avis qu’il ressort de la discussion ci-dessus, concernant le paragraphe 1018(1) de l’ALÉNA, le paragraphe 1 de l’article XXIII de l’AMP et l’article 1804 de l’ACI, que le Tribunal n’a aucune compétence relativement à la détermination par le gouvernement qu’une question particulière se rapporte à la sécurité nationale. À cet égard, le Tribunal est d’accord avec TPSGC que, si un plaignant se préoccupe de l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le gouvernement du Canada lorsque ce dernier invoque les exceptions concernant la sécurité nationale, le plaignant peut alors tenter un recours auprès d’autres instances, comme la Cour fédérale du Canada. De même, les accords commerciaux eux-mêmes disposent de mécanismes de règlement des différends liés à l’interprétation des obligations d’une Partie aux termes de chaque accord.

Cependant, ce qui précède ne signifie pas que le Tribunal n’a aucun pouvoir d’examen relativement aux exceptions concernant la sécurité nationale des accords commerciaux. Ainsi qu’il a été fait observer au début de la présente analyse, le Tribunal a le pouvoir d’examiner les contestations des offres pour déterminer si un marché public visé a été passé conformément aux exigences sur les marchés publics prévues aux accords commerciaux. Pour accomplir son mandat d’organisme d’examen, le Tribunal doit, par conséquent, interpréter et appliquer lesdites dispositions, c.-à-d. les analyser pour déterminer si un marché public a été passé conformément aux accords applicables. Le Tribunal est d’avis que cette activité comprend la détermination de la question de savoir si des exceptions concernant la sécurité nationale ont été invoquées dans le contexte d’une plainte particulière.

Le Tribunal, à titre d’organisme chargé d’examiner les contestations des offres aux termes des accords commerciaux, doit être convaincu qu’une exception concernant la sécurité nationale a de fait été invoquée et qu’elle a été invoquée par une Partie, pour l’application de l’ALÉNA et de l’AMP, et par le gouvernement fédéral, pour l’application de l’ACI. Si les conditions susmentionnées n’ont pas été remplies, alors le Tribunal n’assumerait pas sa responsabilité, aux termes des accords commerciaux, de veiller à ce que le marché public assujetti aux accords soit passé conformément aux dispositions desdits accords. De plus, le Tribunal doit également examiner si une exception concernant la sécurité nationale a été entièrement invoquée. Dans certaines circonstances, la mesure qui est prise ou les renseignements qui sont tus par le gouvernement peuvent être tels que l’exception a été invoquée relativement à un aspect particulier uniquement d’un marché public donné. Dans de telles circonstances, le Tribunal peut avoir compétence relativement à la partie du marché public qui n’est pas objet de l’exception. Le Tribunal est d’avis que, étant donné leur caractère exceptionnel, de telles questions doivent uniquement être déterminées individuellement.

À l’examen des renseignements dont dispose le Tribunal dans la présente affaire, ainsi qu’il a déjà été indiqué, la décision d’invoquer les exceptions concernant la sécurité nationale prévues aux accords commerciaux a été indiquée dans le PAC. Le Tribunal est donc convaincu que les exceptions concernant la sécurité nationale des accords commerciaux ont, en l’espèce, été invoquées. Le Tribunal est également convaincu qu’il était prévu que la mesure prise dans la présente affaire s’applique à la totalité de l’invitation à soumissionner.

Le Tribunal doit ensuite déterminer si des exceptions concernant la sécurité nationale ont été invoquées par une Partie, aux fins de l’ALÉNA et de l’AMP, et par le gouvernement fédéral, aux fins de l’ACI. Le Tribunal est d’accord que les textes législatifs qui ont mis en œuvre les accords commerciaux en termes des lois canadiennes ne désignent aucun fonctionnaire qui serait chargé d’invoquer les exceptions et ne prévoient aucune autorité statutaire aux fins d’une telle désignation. Le Tribunal est aussi d’avis que, pour soustraire un marché public donné aux règles des accords commerciaux sur les marchés publics et à l’examen du Tribunal, il ne suffit pas de simplement affirmer que, en invoquant les exceptions concernant la sécurité nationale, le pouvoir discrétionnaire de la Couronne est exercé.

Les renseignements dont dispose le Tribunal dans la présente affaire indiquent que c’est le SMA, Service des approvisionnements, qui a de fait invoqué les exceptions concernant la sécurité nationale dans la présente affaire, selon le pouvoir conféré au Ministre aux termes de l’article 6 de la Loi sur les Travaux publics, de concert avec l’alinéa 24(2)d) de la Loi d’interprétation. Les renseignements indiquent aussi que, dans de telles circonstances, TPSGC agit en tant qu’organisme de services communs pour le gouvernement du Canada, aux fins de l’acquisition des logiciels dénommés dans le PAC [31] . De plus, la description de poste du SMA, Service des approvisionnements, décrit le titulaire du poste comme étant le « niveau le plus élevé de formulation et de conseil en matière de politiques de fond au ministère sur la totalité de l’activité d’approvisionnement au Canada et à l’étranger [32] » [traduction]. Selon le Tribunal, les renseignements établissent dans une mesure raisonnable que le SMA, Service des approvisionnements, exécute les fonctions pertinentes pour invoquer les exceptions concernant la sécurité nationale prévues aux accords commerciaux. Par conséquent, le Tribunal est convaincu que les exceptions concernant la sécurité nationale ont été invoquées par une Partie, aux fins de l’ALÉNA et de l’AMP, et le gouvernement fédéral, aux fins de l’ACI.

Pour les raisons qui précèdent, le Tribunal est convaincu que les renseignements dont il dispose établissent que, relativement à l’invitation no 08324-8-0060/A, les exceptions concernant la sécurité nationale de l’ALÉNA et de l’AMP ont été invoquées par une Partie auxdits accords, à savoir, le gouvernement du Canada, et que l’exception concernant la sécurité nationale de l’ACI a été invoquée par le gouvernement fédéral. Le Tribunal est donc d’avis qu’il n’a pas compétence pour poursuivre ses enquêtes dans les dossiers nos PR-98-005, PR-98-006 et PR-98-009. Par conséquent, les plaintes sont rejetées.


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. Un PAC est un avis qui annonce l’intention de demander une soumission et de négocier auprès d’un seul entrepreneur. Il ne s’agit pas d’un avis d’invitation à soumissionner en régime concurrentiel. Les fournisseurs, cependant, peuvent, au plus tard à la date indiquée dans l’avis, faire connaître leur intérêt et démontrer leur capacité d’exécuter le contrat.

3. Signé à Ottawa (Ontario) les 11 et 17 décembre 1992, à Mexico, D.F., les 14 et 17 décembre 1992 et à Washington, D.C., les 8 et 17 décembre 1992 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1994).

4. Signé à Ottawa (Ontario) le 18 juillet 1994.

5. Signé à Marrakech le 15 avril 1994 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1996).

6. Voir les pièces jointes à la plainte de Lotus. Voir également la pièce A de la plainte de Netscape.

7. DORS/93-602, le 15 décembre 1993, Gazette du Canada Partie II, vol. 127, no 26 à la p. 4547, modifié.

8. L.R.C. (1985), ch. C-23.

9. Août 1994, modifié.

10. Recueil des traités des Nations Unies, no 37. Fait à Vienne le 23 mai 1969.

11. Genève, mars 1969, GATT IBDD, vol. IV.

12. Signé à Marrakech le 15 avril 1994.

13. Inde - Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l'agriculture (AB-1997-5) (WT/DS50/AB/R), le 19 décembre 1997 aux p. 17-18.

14. Organisation mondiale du commerce, Genève, 1995 aux p. 600-610.

15. D.P. Jones et A.S. de Villars, 2e éd., Scarborough, Thomson Canada, 1994 à la p. 24.

16. Ibid. à la p. 146.

17. Textes des accords du Tokyo Round, Genève, août 1986.

18. L/6053, daté du 13 octobre 1986 (non adopté), paragr. 5.1-5.3.

19. Annuaire canadien de Droit international, vol. XXXI, Vancouver, UBC Press, 1993 à la p. 351.

20. Exposé de Lotus Development Canada Limited, le 23 juin 1998 à la p. 9.

21. Ibid.

22. Voir l'article 11 du Règlement.

23. L.C. 1996, ch. 16.

24. L.R.C. (1985), ch. I-21, modifiée par L.C. 1992, ch. 1, paragr. 89(3).

25. Citant Carltona Ltd. v. Commissioners of Works (1943), 2 All E.R. 560 (C.A.) à la p. 563.

26. L.C. 1993, ch. 44.

27. Le 1er janvier 1994, Gazette du Canada Partie I, vol. 128, no 1 à la p. 145.

28. B. Appleton, Navigating NAFTA, Scarborough, Thomson Publishing, 1994 à la p. 69. Voir aussi Baker & McKenzie, NAFTA Handbook, Chicago, CCH, 1994 à la p. 121; R.G. Lipsey, D. Schwanen et R.J. Wonnacott, The NAFTA, Toronto, C.D. Howe à la p. 87.

29. J.H. Jackson, W.J. Davey et A.O. Sykes, Jr., Legal Problems of International Economic Relations, 3e éd., St. Paul, West Publishing, 1995 à la p. 983. Voir également Guide des règles et pratiques du GATT, Organisation mondiale du commerce, Genève, 1995 aux p. 600-610.

30. Supra note 14 aux p. 605-606.

31. Voir les articles 5 et 6 de la Loi sur les Travaux publics.

32. Voir la pièce jointe no 2 à la lettre de TPSGC datée du 30 juillet 1998.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 8 octobre 1998