KEYSTONE SUPPLIES COMPANY

Décisions


KEYSTONE SUPPLIES COMPANY
Dossiers nos : PR-98-034 et PR-98-035

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le lundi 19 avril 1999

Dossiers nos : PR-98-034 et PR-98-035

EU ÉGARD À deux plaintes déposées par la société Keystone Supplies Company aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision d’enquêter sur les deux plaintes aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que les plaintes ne sont pas fondées.

Anita Szlazak
_________________________
Anita Szlazak
Membre présidant


Pierre Gosselin
_________________________
Pierre Gosselin
Membre


Raynald Guay
_________________________
Raynald Guay
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire

Les raisons de la décision du Tribunal seront publiées à une date ultérieure.

Date de la décision : Le 19 avril 1999
Date des motifs : Le 8 juillet 1999

Membres du Tribunal : Anita Szlazak, membre présidant
Pierre Gosselin, membre
Raynald Guay, membre

Gestionnaire de l’enquête : Randolph W. Heggart

Avocats pour le Tribunal : Gerry Stobo
Tamra Alexander

Partie plaignante : Keystone Supplies Company

Institution fédérale : Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Ottawa, le jeudi 8 juillet 1999

Dossiers nos : PR-98-034 et PR-98-035

EU ÉGARD À deux plaintes déposées par la société Keystone Supplies Company aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), modifiée;

ET EU ÉGARD À des décisions d’enquêter sur les plaintes aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

Le 4 décembre 1998, la société Keystone Supplies Company (Keystone) de Richmond (Colombie-Britannique) a déposé deux plaintes auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (la Loi sur le TCCE) à l’égard du marché public (numéro d’invitation FP802-8-0361/A) portant sur la fourniture de manilles (dossier no PR-98-034) et du marché public (numéro d’invitation FP802-8-0362/A) portant sur la fourniture de chaînes (dossier no PR-98-035) passés par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) pour la Garde côtière canadienne (la GCC) du ministère des Pêches et des Océans (le MPO).

Keystone a soutenu que les invitations à soumissionner en question sont discriminatoires à l’endroit des fabricants étrangers, en particulier à cause des exigences d’essais qui doivent avoir lieu dans le port d’entrée canadien et du fait que ces essais ne doivent avoir lieu que dans un seul port alors que les délais de livraison sont extrêmement serrés. Cette discrimination, selon Keystone, contrevient à plusieurs dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain [2] (l’ALÉNA), de l’Accord sur les marchés publics [3] (l’AMP) et de l’Accord sur le commerce intérieur [4] (l’ACI).

Keystone a demandé, à titre de mesure corrective, que les références à l’inspection au large ainsi qu’au fait que les essais doivent avoir lieu dans un seul port au Canada soient retirées des invitations à soumissionner. Keystone a également demandé qu’il soit permis de remplacer les essais gouvernementaux, comme le mentionne l’article 1.5.6 de la spécification MA2080-B de la GCC. L’entrepreneur assumerait les frais de tels essais. Keystone a finalement demandé que les délais de livraison soient prolongés.

Aux termes du paragraphe 30.11(3) de la Loi sur le TCCE, le président du Tribunal a désigné un membre pour qu’il dispose des plaintes. Le 9 décembre 1998, le Tribunal a informé les parties que les deux plaintes respectaient les conditions d’enquête énoncées à l’article 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [5] (le Règlement) et que, aux termes de l’article 30.13 de la Loi sur le TCCE, il avait décidé de faire enquête sur les plaintes. Le même jour, le Tribunal a rendu des ordonnances de report d’adjudication de tout contrat relatif aux invitations à soumissionner en litige jusqu’à ce que le Tribunal ait déterminé le bien-fondé des plaintes. Le 17 décembre 1998, le Ministère a écrit au Tribunal pour certifier qu’il était urgent d’acquérir les chaînes, les manilles et les émerillons auxquels les deux invitations à soumissionner se rapportent, et qu’un retard dans l’adjudication de ces marchés publics serait contraire à l’intérêt public. Le 21 décembre 1998, le Tribunal a, par conséquent, abrogé ses ordonnances de report d’adjudication du 9 décembre 1998.

Le 11 janvier 1999, le Ministère a déposé auprès du Tribunal, pour chaque affaire, des requêtes visant à obtenir des ordonnances de rejet des deux plaintes en raison d’absence de compétence et, entre-temps, d’ordonnances prolongeant la période de temps prévue pour le dépôt des rapports de l’institution fédérale (les RIF) dans ces affaires. Le 9 février 1999, Keystone a déposé des observations sur les requêtes du Ministère du 11 janvier 1999. Le 2 mars 1999, le Tribunal a demandé à Keystone de lui fournir des renseignements supplémentaires au sujet de ces requêtes. Le 5 mars 1999, Keystone a déposé d’autres renseignements auprès du Tribunal. Le 8 mars 1999, le Ministère a déposé ses observations sur les renseignements supplémentaires que Keystone a fournis au Tribunal. En réponse, Keystone a fait le même jour d’autres observations. Le 11 mars 1999, le Tribunal a rejeté les requêtes du Ministère, les motifs devant suivre.

Le 11 mars 1999, à la demande du membre devant disposer des plaintes, le président du Tribunal a désigné, en vertu de l’alinéa 7a) de la Loi sur le TCCE, deux membres de plus pour disposer de ces plaintes. Le membre a demandé qu’un jury de trois membres dispose de ces plaintes compte tenu des questions importantes que celles-ci ont soulevées.

Le 22 mars 1999, le Ministère a déposé les RIF auprès du Tribunal en application de l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [6] . Le 31 mars 1999, Keystone a dépos?E9‚ ses observations sur les RIF auprès du Tribunal.

Les renseignements au dossier permettant de déterminer le bien-fondé des plaintes, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a statué sur les plaintes à partir des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DES MARCHÉS PUBLICS

Le 16 septembre 1998, le Ministère a reçu de la GCC du MPO des demandes d’acquisition de chaînes, de manilles et d’émerillons devant être livrés à différents emplacements de la GCC du MPO partout au Canada. Ces articles sont utilisés pour l’amarrage des bouées de navigation sur les routes maritimes intérieures et dans les eaux au large de chacune des côtes.

Le 6 novembre 1998, le Ministère a publié, pour ces besoins, deux avis de projet de marché sur le Service électronique d’appel d’offres canadien et dans Marchés publics. Ces besoins ont été décrits en détail dans deux demandes de proposition (les DP), dont la date de clôture était le 4 décembre 1998.

Le 13 novembre 1998, Keystone a fait parvenir une lettre au Ministère soulignant ses objections au calendrier de livraison ainsi qu’à l’exigence d’essais finaux dans le port d’entrée canadien.

Le 25 novembre 1998, le Ministère a transmis sa réponse aux objections de Keystone, disant qu’il ne modifierait pas les conditions et donnant les motifs de sa décision.

Le 4 décembre 1998, date limite de la présentation des soumissions, Keystone a déposé ses plaintes auprès du Tribunal. Onze soumissions ont été reçues au total en réponse aux deux DP, y compris une de Keystone pour chacune des DP. Le 22 décembre 1998, deux marchés publics ont été adjugés à Keystone, un pour la totalité des besoins en manilles et en émerillons et un autre pour 12 des 15 besoins de chaînes.

REQUÊTES DU MINISTÈRE

Le 11 janvier 1999, le Ministère a déposé auprès du Tribunal, pour chacune des affaires, des requêtes (les requêtes) d’ordonnances de rejet des deux plaintes en raison d’absence de compétence et, entre-temps, d’ordonnances prolongeant la période de temps prévue pour le dépôt des RIF. Le Ministère a fait valoir que le Tribunal n’avait pas compétence pour entendre la plainte de Keystone, étant donné que la société offrait de fournir des marchandises provenant d’un pays qui n’est signataire d’aucun des accords commerciaux applicables, soit l’ALÉNA, l’AMP et l’ACI. Pour appuyer son exposé, le Ministère a cité des extraits de la publication du Tribunal intitulée Guide du mécanisme d’examen des marchés publics (le Guide) et s’est reporté à certains des paragraphes de chacun des accords commerciaux.

Le 9 février 1999, Keystone a déposé ses observations sur les requêtes du Ministère du 11 janvier 1999, faisant valoir essentiellement que les requêtes n’étaient pas fondées et n’étaient pas appuyées par les éléments de preuve post facto déposés par le Ministère.

En réponse à une demande du Tribunal du 2 mars 1999, Keystone a déposé, le 5 mars 1999, des renseignements confidentiels relatifs à l’origine des marchandises que la société offrait et à la manière dont ces marchandises ont été achetées, expédiées et manipulées avant d’être livrées à la GCC du MPO. Le Ministère a déposé d’autres observations le 8 mars 1999, auxquelles Keystone a répondu le 8 mars 1999.

DÉCISION DU TRIBUNAL CONCERNANT LES REQUÊTES

Voici les motifs de la décision du Tribunal du 11 mars 1999 rejetant les requêtes du Ministère. Le Tribunal est d’avis que les requêtes soulèvent trois questions. Premièrement, un fournisseur dont les marchandises ne proviennent pas d’un pays signataire d’un des accords commerciaux a-t-il qualité pour déposer une plainte auprès du Tribunal? Deuxièmement, si le fournisseur a qualité pour déposer une plainte, les conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sont-elles respectées si le fournisseur fournit des marchandises qui ne proviennent pas d’un pays signataire d’un de ces accords? En particulier, la plainte pourrait-elle révéler qu’il existe des motifs raisonnables de penser que le marché public n’a pas été exécuté conformément à ces accords? Troisièmement, si la réponse à l’une ou l’autre des questions précédentes est « non », les marchandises que Keystone a l’intention de fournir sont-elles des marchandises d’une des parties à un des accords?

Qualité

À titre de question préliminaire, le Tribunal fait remarquer que le Ministère s’appuie, pour présenter la requête de rejet, sur des énoncés tirés du Guide. Ce Guide est simplement un document descriptif qui ne fait pas autorité. Le Guide ne définit pas la compétence du Tribunal et ses énoncés ne lient pas le Tribunal.

Pour déterminer s’il a compétence pour faire droit à ces plaintes, le Tribunal doit considérer les termes de la Loi sur le TCCE et du Règlement. L’article 30.11 de la Loi sur le TCCE établit les conditions dans lesquelles une plainte peut être faite. Il prévoit que :

(1) Tout fournisseur potentiel peut, sous réserve des règlements, déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. [Soulignement ajouté]

L’article 30.1 de la Loi sur le TCCE définit un « fournisseur potentiel » de la façon suivante :

tout soumissionnaire — même potentiel — d’un contrat spécifique.

L’article 30.1 de la Loi sur le TCCE n’exige pas que le fournisseur potentiel fournisse des marchandises provenant d’un pays signataire d’un des accords commerciaux. En outre, la définition de « contrat spécifique » ne prévoit pas que le marché public doit faire l’objet d’une soumission par un fournisseur de marchandises provenant d’un pays signataire d’un des accords. Un « contrat spécifique » est défini de la façon suivante dans la Loi sur le TCCE :

Contrat relatif à un marché de fournitures ou services qui a été accordé par une institution fédérale — ou pourrait l’être —, et qui soit est précisé par règlement, soit fait partie d’une catégorie réglementaire.

Cette définition est complétée dans le Règlement, qui prévoit au paragraphe 3(1) que :

Pour l’application de la définition de « contrat spécifique » à l’article 30.1 de la Loi, est un contrat spécifique tout contrat ou catégorie de contrats relatif au marché passé par une institution fédérale pour des produits ou des services, ou pour toute combinaison de ceux-ci, visé à l’article 1001 de l’ALÉNA, à l’article 502 de [l’ACI] ou à l’article premier de [l’AMP].

Les marchés publics visés à l’article 1001 de l’ALÉNA, à l’article 502 de l’ACI et à l’article premier de l’AMP sont, en règle générale, tous les marchés publics passés par une entité fédérale énumérée ou tous les marchés publics portant sur des marchandises ou des services spécifiques passés par une entité énumérée. Certaines dispositions excluent, en raison de la source des marchandises ou des services, certains marchés publics du champ d’application des accords. Par exemple, l’AMP exclut les services qui concernent une des parties si celle-ci n’a pas accordé l’accès réciproque à ces services et il exclut certains marchés publics concernant l’Union européenne jusqu’à ce que l’accès réciproque ait 9‚té accordé [7] . Cependant, il s’agit d’exclusions limitées, aucune ne s’appliquant aux plaintes en question [8] .

À la lumière de ce qui précède, la Loi sur le TCCE et le Règlement indiquent que, pour que Keystone ait qualité pour déposer une plainte, il faut uniquement :

1) qu’il y ait une institution fédérale qui est une « entité énumérée » en vertu de l’AMP, de l’ALÉNA ou de l’ACI;

2) que l’institution gouvernementale ait adjugé ou proposé d’adjuger un marché public visé par l’AMP, l’ALÉNA ou l’ACI [9];

3) que Keystone ait été un soumissionnaire ou un soumissionnaire éventuel pour ce marché public.

Dans les circonstances actuelles, Keystone n’a pas à fournir de marchandises à une des parties aux accords commerciaux pour avoir qualité pour déposer une plainte. Le Tribunal conclut, par conséquent, que Keystone avait qualité pour déposer les plaintes.

Conditions du paragraphe 7(1) du Règlement

Le paragraphe 7(1) du Règlement énonce les conditions relatives aux plaintes dont le Tribunal doit déterminer le respect. Il s’agit des conditions suivantes :

a) le plaignant est un fournisseur potentiel;

b) la plainte porte sur un contrat spécifique;

c) les renseignements fournis par le plaignant et les autres renseignements examinés par le Tribunal relativement à la plainte démontrent, dans une mesure raisonnable, que le marché public n’a pas été passé conformément au chapitre 10 de l’ALÉNA, au chapitre cinq de [l’ACI] ou à [l’AMP], selon le cas.

Le Tribunal a conclu que les plaintes respectaient les trois conditions.

Les éléments de preuve dont le Tribunal a été saisi indiquaient que Keystone, au moment du dépôt des plaintes, avait l’intention de déposer des soumissions pour ces appels d’offres. Le Tribunal fait remarquer que Keystone a, de fait, soumissionné et que, pour le numéro d’invitation FP-802-8-0361/A, la totalité du contrat lui a été adjugée et que, en ce qui a trait au numéro d’invitation FP-802-8-0362/A, un contrat lui a été adjugé pour 12 articles. Le Tribunal conclut que Keystone, étant un soumissionnaire potentiel, était un « fournisseur potentiel » aux termes de la Loi sur le TCCE.

Pour que les marchés publics soient des « contrats spécifiques », ils doivent concerner une acquisition par une entité désignée en vertu de l’AMP, de l’ALÉNA ou de l’ACI; ils doivent concerner l’acquisition de marchandises qui ne sont pas exclues en vertu des accords; et la valeur de ces contrats doit dépasser les seuils monétaires établis dans l’AMP, l’ALÉNA ou l’ACI. Les éléments de preuve dont le Tribunal a été saisi indiquaient que les deux marchés publics en cause se rapportaient à des manilles, à des émerillons et à des chaînes (groupe 40 de la Classification fédérale des approvisionnements) devant être acquises pour le compte de la GCC du MPO. L’achat de ces marchandises pour le compte de la GCC du MPO est visé par l’AMP, l’ALÉNA et l’ACI [10] . Les éléments de preuve dont le Tribunal a été saisi indiquaient que la valeur estimative de ces marchés dépassait les seuils monétaires établis dans l’AMP, l’ALÉNA et l’ACI [11] . Le Tribunal a conclu, par conséquent, que ces marchés étaient des « contrats spécifiques ». En fait, le Ministère a déterminé que les deux DP étaient visées par l’AMP, l’ALÉNA et l’ACI.

Enfin, les renseignements au dossier doivent démontrer « dans une mesure raisonnable » que le marché public n’a pas été passé conformément aux accords commerciaux. Le Tribunal a conclu que les plaintes ont indiqué, de façon raisonnable, que les procédures d’essais finaux énoncées dans les DP ont créé une entrave inutile au commerce international. Le Tribunal a donc dû déterminer s’il existait des indications raisonnables que les marchés publics n’ont pas été passés conformément aux accords.

Pour cette décision préliminaire, le Tribunal s’est limité à l’AMP [12] . L’article premier énonce les dispositions relatives à la portée et au champ d’application de l’AMP. L’article I.1 de l’AMP prévoit que l’accord s’applique à « toute loi, tout règlement, ainsi qu’à toute procédure ou pratique concernant tout marché passé par les entités visées par le présent accord ». L’article I.4 prévoit que l’AMP s’applique à tout marché d’une valeur au moins égale à certains seuils monétaires. Il semble donc, au vu de cet article, que l’AMP pourrait viser un marché public effectué par une entité soumise à l’AMP, à condition que ce marché respecte le seuil monétaire, peu importe que le marché public se rapporte à des marchandises d’une des parties à l’AMP. Étant donné que les marchés publics en cause ont été passés par une entité gouvernementale assujettie à l’AMP et que le seuil monétaire établi dans l’AMP a été respecté, le Tribunal a conclu que les faits indiquaient, dans une mesure raisonnable, que l’AMP s’appliquait.

L’article VI de l’AMP, « Spécifications techniques », prévoit que :

1. Les spécifications techniques définissant les caractéristiques des produits ou services qui vont faire l’objet d’un marché, telles que la qualité, les propriétés d’emploi, la sécurité et les dimensions, les symboles, la terminologie, l’emballage, le marquage et l’étiquetage, ou les procédés et méthodes de production, ainsi que les prescriptions relatives aux procédures d’évaluation de la conformité définies par les entités contractantes, ne seront pas établies, adoptées, ni appliquées en vue de créer des obstacles non nécessaires au commerce international, ni de telle façon qu’elles aient cet effet. [Soulignement ajouté]

Cette disposition, si elle est lue à la lumière de la disposition sur la portée et le champ d’application de l’AMP, exige que tout marché public passé par une entité gouvernementale assujettie à l’AMP et qui respecte le seuil monétaire établi dans l’AMP ne comporte pas de spécifications techniques établies, adoptées ou appliquées en vue de créer des obstacles inutiles au commerce international, ni de telle façon qu’elles aient cet effet, peu importe que ce marché public se rapporte, ou non, à des marchandises d’une des parties à l’AMP. Étant satisfait que les plaintes indiquaient, dans une mesure raisonnable, que les procédures d’essais finaux énoncées dans les DP créaient une entrave inutile au commerce international, le Tribunal a conclu à l’existence d’indications raisonnables selon lesquelles ces marchés publics n’ont pas été passés conformément à l’article VI de l’AMP. La dernière condition énoncée au paragraphe 7(1) du Règlement a donc été respectée.

Étant donné qu’il est possible de lire l’AMP de cette façon, et que cette lecture révèle des indications raisonnables que le march 9‚ public n’a pas été passé conformément à l’article VI de l’AMP, le Tribunal a décidé qu’une enquête devait avoir lieu. Le Tribunal a conclu que déterminer l’interprétation correcte de l’AMP, de l’ALÉNA et de l’ACI, plutôt que leur interprétation possible, et l’effet de cette interprétation sur les plaintes en question serait plus facile après que les faits ont été complètement et convenablement établis [13] .

Origine des marchandises

Compte tenu de ce que le Tribunal a déterminé au sujet des deux premières questions, il n’était pas nécessaire que le Tribunal établisse, à cette étape de son enquête, l’origine des marchandises que Keystone avait l’intention de fournir.

Pour ces raisons, les requêtes du Ministère ont été rejetées par le Tribunal le 11 mars 1999 et le Tribunal a décidé de continuer ses enquêtes relativement aux deux plaintes.

VALIDITÉ DES PLAINTES

Position du Ministère

Dans les RIF, le Ministère réaffirme sa position selon laquelle le Tribunal n’a pas compétence pour recevoir les plaintes pour le motif que Keystone est un fournisseur de marchandises provenant d’un pays qui n’est pas partie à un des accords commerciaux. À l’appui de son exposé, le Ministère a cité des extraits du Guide et s’est reporté à certains paragraphes de chacun des accords.

En ce qui a trait au bien-fondé des plaintes, le Ministère fait valoir que rien dans les accords commerciaux ne l’oblige à structurer une invitation à soumissionner de manière que l’effet des différences géographiques soit éliminé et que les coûts de l’approvisionnement soient les mêmes pour tous les fournisseurs éventuels peu importe l’origine des marchandises. Le Ministère fait valoir qu’il est tenu par les accords de traiter également tous les fournisseurs et que l’inspection et les essais obligatoires des marchandises à un seul endroit au Canada constitue un traitement égal. Le Ministère fait valoir, en outre, que ces essais constituent une exigence raisonnable destinée à assurer la qualité du produit fourni, de manière à protéger la sécurité des navires et à minimiser la possibilité de dommages écologiques causés par des accidents maritimes.

Le Ministère fait valoir que prolonger les délais actuels de livraison créerait des risques sérieux pour la sécurité et pour l’environnement, étant donné que des stocks importants de ces produits ne sont pas conservés et que le temps de livraison est un facteur critique pour la GCC du MPO.

Finalement, le Ministère fait valoir que les procédures de contestation des soumissions en vertu des accords commerciaux sont conçues de manière à offrir aux soumissionnaires éventuels à qui un marché n’a pas été accordé une occasion de contester la procédure de passation du marché public, non de donner aux soumissionnaires à qui un marché a été adjugé une possibilité de recouvrement des coûts ou de modification des termes et des dispositions des contrats qu’ils ont passés. À ce titre, Keystone a perdu le droit de continuer à contester une soumission en vertu des accords dans le cas des articles pour lesquels un contrat lui a été adjugé.

Position de Keystone

Keystone a désigné ses observations sur les RIF comme confidentielles.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, lorsqu’il a décidé d’enquêter, limiter son étude à l’objet de la plainte. De plus, au terme de l’enquête, le Tribunal doit déterminer le bien-fondé de la plainte en fonction du respect des critères et des procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l’article 11 du Règlement prévoit, notamment, que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux exigences énoncées soit dans l’AMP, l’ALÉNA ou l’ACI, selon le cas. La question ayant été soulevée par le Ministère, le Tribunal doit déterminer si l’AMP, l’ALÉNA ou l’ACI s’appliquent aux marchés publics en question.

Question préliminaire

Grâce à un dossier complet de faits probants sur lequel fonder sa décision, le Tribunal est en mesure de déterminer l’interprétation correcte, en ce qui a trait à ces plaintes, de l’AMP, de l’ALÉNA et de l’ACI, en particulier si une partie plaignante qui fournit des marchandises qui ne proviennent pas d’une des parties à un des accords peut prétendre que le marché concernant ces marchandises n’a pas été passé conformément aux dispositions de ces accords. Le Tribunal conclut que l’AMP, l’ALÉNA et les dispositions pertinentes de l’ACI ne s’appliquent pas à la fourniture de marchandises qui ne sont pas des marchandises d’une des parties aux accords. Par conséquent, Keystone doit fournir des marchandises en provenance d’une des parties aux accords afin de maintenir ses plaintes selon lesquelles les marchés publics en question n’ont pas été effectués conformément aux accords. Le Tribunal formule cette conclusion à partir de son interprétation du but et des dispositions de chacun des accords.

L’AMP

Il est clair que l’AMP est un accord entre les « Parties » [14] . Le préambule prévoit que « Les Parties au présent accord […] [c]onviennent de ce qui suit ». Le préambule mentionne aussi que l’AMP a été établi parce que les parties étaient désireuses « d’élargir et d’améliorer l’Accord sur une base de réciprocité mutuelle ». [Soulignement ajouté] Ce préambule indique également que les parties étaient désireuses d’encourager les gouvernements qui ne sont pas parties à l’accord à l’accepter et à y accéder. Le Tribunal est d’avis qu’il est clair d’après ces dispositions que les avantages et les obligations de l’AMP sont censés être réservés uniquement aux parties. Le Tribunal est d’avis qu’il faudrait que les termes de l’AMP disent très clairement que les avantages sont censés être accordés à des pays qui ne sont pas parties à l’accord (ou à leurs marchandises) avant que le Tribunal ne puisse conclure que de tels avantages non réciproques existent [15] .

En procédant aux enquêtes relatives à ces plaintes, le Tribunal a conclu qu’il semble, si l’article VI de l’AMP est lu à la lumière de la disposition sur la portée et le champ d’application, que l’AMP exige que tout marché public — passé par une entité gouvernementale assujettie à l’AMP, qui respecte le seuil monétaire établi dans l’AMP — ne comporte pas de spécifications techniques établies, adoptées ou appliquées en vue de créer des obstacles inutiles au commerce international, ni de telle façon qu’elles aient cet effet, peu importe que ce marché public se rapporte, ou non, à des marchandises d’une des parties à l’AMP. Le Tribunal fait remarquer qu’il en est venu à cette conclusion en se fondant sur son examen préliminaire des dispositions susmentionnées de l’AMP. Toutefois, le Tribunal est d’avis qu’il faut lire chacune des dispositions de l’AMP en tenant compte du but et du contexte de l’AMP en son entier. Le Tribunal est d’avis qu’une lecture de l’AMP qui accorde des avantages aux pays qui ne sont pas parties à l’accord contreviendrait au principe de « réciprocité mutuelle » qui sous-tend l’AMP et découragerait les pays qui ne sont pas parties à l’accord d’y accéder plutôt qu’elle ne les encouragerait, étant donné qu’ils auraient moins à y gagner si les termes de l’AMP leur conféraient déjà certains des avantages. Pour cette raison, le Tribunal conclut que l’AMP ne s’applique qu’aux parties (et à leurs marchandises), compte tenu de son objectif déclaré.

Cette interprétation de l’application de l’AMP par le Tribunal est soutenue par une analyse de l’absurdité de la situation qui se produirait s’il était dit qu’un fournisseur de marchandises d’un pays qui n’est pas partie à l’accord pouvait bénéficier de certaines dispositions de l’AMP (comme celles qui concernent les spécifications techniques). En général, bien que l’application de l’AMP soit définie en relation aux marchés publics passés par les entités énumérées, certaines marchandises de certaines parties sont nommément exclues de l’AMP. Par exemple, bien que tous les achats effectués par le ministère de l’Agriculture semblent inclus dans l’AMP, en ce qui a trait à l’Union européenne, l’achat de machines de bureau (CFA 74) a été nommément exclu de l’AMP [16] . Un fournisseur de machines de bureau de l’Union européenne ne peut de toute évidence pas tirer avantage d’une des dispositions de l’AMP. Cependant, si un fournisseur de marchandises d’un pays qui n’est pas partie à l’accord pouvait tirer avantage de certaines dispositions de l’AMP, ce fournisseur pourrait offrir des machines de bureau au ministère de l’Agriculture et avoir droit à ces avantages. L’AMP serait donc plus avantageux pour les marchandises d’un pays qui n’est pas partie à l’accord que pour certaines marchandises de l’Union européenne, une des parties. Cet exemple étaye l’opinion du Tribunal selon laquelle l’AMP n’est pas censé conférer des avantages aux marchandises d’un pays qui n’est pas partie.

Le Tribunal décide donc que l’AMP ne s’applique pas à l’achat de marchandises qui ne proviennent pas d’une des parties à l’AMP.

L’ALÉNA

Il est évident que l’ALÉNA est aussi un accord entre ses « Parties » [17] . Le préambule affirme que « [l]e Gouvernement du Canada, le Gouvernement des États-Unis d’Amérique et le Gouvernement des États-Unis du Mexique […] SONT CONVENUS de ce qui suit ». Ce préambule prévoit également que la création de l’ALÉNA vise à « RENFORCER les liens privilégiés d’amitié et de coopération entre leurs nations, […] CRÉER un marché élargi et assuré pour les produits et les services produits sur leurs territoires, […] ÉTABLIR une réglementation […] de leurs échanges commerciaux [et] ACCROÎTRE la compétitivité de leurs entreprises ». [Soulignement ajouté] Le Tribunal est d’avis que ces dispositions montrent clairement que l’ALÉNA est censé ne conférer d’avantages qu’à ses parties et ne supposer d’obligations que pour elles. Le Tribunal est d’avis qu’il faudrait que les termes de l’ALÉNA précisent très clairement que les avantages sont censés être conférés à des pays qui ne sont pas parties à l’accord (ou à leurs marchandises) avant que le Tribunal ne puisse conclure que ces avantages existent.

Le Tribunal fait remarquer que, comme pour l’AMP, il semble au vu de certaines dispositions du chapitre dix de l’ALÉNA qu’aucun marché public, passé par une entité gouvernementale assujettie à l’ALÉNA, qui respecte le seuil monétaire établi dans l’ALÉNA, ne peut comporter de spécifications techniques établies, adoptées ou appliquées en vue de créer des obstacles inutiles au commerce, ni de telle façon qu’elles aient cet effet, peu importe que le marché concerne des marchandises des parties à l’ALÉNA [18] . Le Tribunal est d’avis que les dispositions particulières de l’ALÉNA ne devraient pas être lues isolément, mais qu’il faut plutôt tenir compte du but et du contexte de l’ALÉNA dans son ensemble. Le Tribunal conclut que l’ALÉNA ne s’applique qu’aux parties (et à leurs marchandises), conformément à son but déclaré mentionné ci-dessus.

L’interprétation par le Tribunal du champ d’application de l’ALÉNA s’appuie sur l’article 1005 de l’ALÉNA, qui prévoit qu’une partie peut refuser les avantages du chapitre dix aux fournisseurs de services d’une autre partie lorsqu’il est possible d’établir que ces services sont fournis par une entreprise propriété de personnes d’un pays qui n’est pas partie à l’accord et qui n’exerce pas d’activités commerciales importantes dans le territoire d’une des parties, ou qui est chapeautée par de telles personnes. Cet article montre l’intention des parties de limiter l’application du chapitre dix à la fourniture de services qui sont véritablement des services d’une des parties. De même, le Tribunal conclut que l’application du chapitre dix est limitée à la fourniture de marchandises d’une partie.

Le Tribunal décide donc que l’ALÉNA ne s’applique pas à la fourniture de marchandises autres que celles d’une des parties à l’ALÉNA.

L’ACI

Les dispositions de l’ACI sur la façon de rédiger des spécifications techniques de manière qu’elles favorisent ou défavorisent des produits ou des services donnés sont rédigées différemment des dispositions connexes de l’AMP et de l’ALÉNA. Le paragraphe 504(2) de l’ACI prévoit que le gouvernement fédéral ne doit pas exercer de discrimination :

entre les produits ou services d’une province ou d’une région, y compris entre ceux inclus dans les marchés de construction, et les produits ou services d’une autre province ou région.

Il est clair que cette disposition ne défend la discrimination qu’au sujet de marchandises d’une province partie à l’accord ou d’une région dans une province.

Le paragraphe 504(3) de l’ACI prévoit, entre autres, que parmi les mesures incompatibles avec le paragraphe 504(2) sont comprises :

la rédaction des spécifications techniques de façon soit à favoriser ou à défavoriser des produits ou services donnés, y compris des produits ou services inclus dans des marchés de construction, soit à favoriser ou à défavoriser des fournisseurs de tels produits ou services, en vue de se soustraire aux obligations prévues par le présent chapitre;

la fixation de quantités et de calendriers de livraison à l’égard desquels il est raisonnable de considérer que, vu l’ampleur des quantités ou la fréquence des livraisons, ils ont été délibérément conçus pour empêcher des fournisseurs de satisfaire aux exigences du marché public.

Ainsi, les dispositions de l’ACI que Keystone invoque sont citées en exemple des dispositions générales contre la discrimination du paragraphe 504(2), dont l’application est spécifiquement limitée à la discrimination contre les marchandises d’une province partie à l’accord.

Le Tribunal décide donc que, pour que Keystone établisse que les marchés publics n’ont pas été passés conformément à ces dispositions de l’ACI, Keystone doit prouver qu’il avait l’intention de fournir les marchandises à une province partie à l’accord.

Origine des marchandises

Étant donné les décisions précédentes du Tribunal, le Tribunal doit examiner si les marchandises que Keystone offre de fournir sont des marchandises d’une des parties aux accords commerciaux.

L’AMP

L’article IV de l’AMP prévoit qu’une « Partie n’appliquera pas, à des produits importés ou à des services fournis aux fins d’un marché public visé par le présent accord et en provenance d’autres Parties, des règles d’origine différentes de celles qui s’appliqueront, dans des opérations commerciales normales et au moment de la transaction en question, aux importations des mêmes produits […] en provenance des mêmes Parties ». Étant donné que toutes les parties à l’AMP sont parties à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 [19] (le GATT de 1994), les règles d’origine qui s’appliquent en vertu du GATT de 1994 sont applicables à l’AMP. Le Tribunal doit, par conséquent, tenir compte du Règlement sur les règles d’origine (tarif de la nation la plus favorisée) [20] pour décider si les marchandises que Keystone a l’intention de fournir proviennent d’une des parties à l’AMP.

L’article 1 du Règlement sur les règles d’origine (tarif de la nation la plus favorisée) précise que les marchandises proviennent d’un pays bénéficiant du tarif de la nation la plus favorisée si ce sont des marchandises :

a) dont au moins 50 % du coût de production a été engagé par l’industrie d’un ou de plusieurs pays bénéficiaires de ce tarif ou par l’industrie du Canada;

b) dont la finition a été effectuée dans un pays bénéficiaire de ce tarif et qui sont importées au Canada dans cet état fini.

Ainsi, pour déterminer d’où les marchandises proviennent, il faut déterminer à quel endroit au moins 50 p. 100 de leur coût de production a été engagé et à quel endroit leur finition a été faite.

Dans son exposé confidentiel, le Ministère a indiqué que les marchandises en question étaient fabriquées dans un pays nommément désigné qui n’est pas partie à l’AMP. Keystone reconnaît se procurer les marchandises dans ledit pays. En se fondant sur les éléments de preuve au dossier, le Tribunal conclut que, pour l’AMP, les marchandises proviennent du pays nommément désigné.

Étant donné que le pays nommément désigné n’est pas partie à l’AMP, le Tribunal conclut que l’AMP ne s’applique pas à l’achat des marchandises que Keystone proposait de fournir.

L’ALÉNA

De façon similaire à l’AMP, l’article 1004 de l’ALÉNA prévoit qu’une partie n’appliquera pas aux marchandises importées par une autre partie, dans le cadre d’un marché public visé par le chapitre dix de l’ALÉNA, des règles d’origine différentes des règles d’origine que cette partie applique dans le cours des opérations commerciales normales, ou qui sont incompatibles avec ces règles. Les règles d’origine énoncées dans l’ALÉNA doivent par conséquent être appliquées. Le Tribunal doit tenir compte du Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA) [21] pour décider si les marchandises que Keystone avait l’intention de fournir sont des marchandises d’une des parties à l’ALÉNA.

Essentiellement, l’article 4 du Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA) prévoit que les marchandises proviennent du territoire d’un pays de l’ALÉNA lorsqu’elles sont complètement obtenues ou complètement produites dans le territoire d’au moins un des pays de l’ALÉNA, subissent un changement de classement tarifaire applicable dans le territoire d’un des pays de l’ALÉNA et satisfont à la prescription applicable sur la teneur en valeur régionale. Comme cela a été mentionné ci-dessus, les éléments de preuve confidentiels indiquent que les marchandises ont été fabriquées dans un pays nommément désigné. Ce pays nommément désigné n’est pas une des parties à l’ALÉNA. Le Tribunal conclut, par conséquent, que les marchandises ne proviennent pas d’une des parties à l’ALÉNA au sens du chapitre dix de l’ALÉNA.

Les marchandises ne provenant pas d’une des parties à l’ALÉNA, le Tribunal conclut que le chapitre dix de l’ALÉNA ne s’applique pas aux marchés publics relatifs aux marchandises que Keystone avait l’intention de fournir.

L’ACI

L’ACI contient sa propre définition du « produit d’une Partie ». L’article 200 précise ce qui suit :

« produit d’une Partie » Produit fabriqué, construit, cultivé, obtenu ou utilisé à des fins commerciales sur le territoire d’une Partie ou distribué à partir de ce territoire.

Comme cela a été mentionné ci-dessus, les éléments de preuve indiquent que les marchandises ont été fabriquées dans un pays nommément désigné autre que le Canada. Selon les éléments de preuve confidentiels de Keystone, les marchandises sont expédiées de ce pays vers le port d’inspection en Colombie-Britannique. Le Tribunal conclut que les opérations qui ont eu lieu au Canada pour permettre l’inspection ne constituent pas une « utilisation » par Keystone, pour des raisons commerciales ou autres, des marchandises dans le territoire d’une des parties. Il ne s’agit donc plus maintenant que de savoir ce que signifie être « distribué à partir » du territoire d’une des parties.

Le Tribunal est d’avis qu’il y a trois volets à la question de savoir si les marchandises en question sont « distribué[es] à partir [du] territoire » d’une des parties. Premièrement, les marchandises sont-elles « distribuées » par un fournisseur? Deuxièmement et troisièmement, les marchandises sont-elles distribuées à partir d’un territoire qui est le territoire d’une des parties? La Colombie-Britannique étant le territoire d’une des parties, s’il est possible de montrer que les marchandises ont été distribuées et qu’elles ont été distribuées à partir de la Colombie-Britannique, il semblerait que ces marchandises sont celles d’une des parties.

Les éléments de preuve indiquent que Keystone avait l’intention de vendre les marchandises en question au Ministère si les marchés publics lui étaient adjugés. Un examen de la jurisprudence pertinente révèle que la vente peut être une « distribution », la vente n’étant qu’un des nombreux moyens par lesquels les marchandises sont distribuées [22] . Cependant, elle révèle également que toutes les ventes ne sont pas des distributions. Par exemple, si un seul livre est vendu à une seule personne, cela ne semble pas constituer une « distribution ».

The Oxford English Dictionary [23] définit « distribute » « distribuer » de la façon suivante :

To deal out or bestow in portions or shares among a number of recipients; to allow or apportion as his share to each person of a number . [24]

(Répartir ou accorder en portion ou en parts entre plusieurs destinataires; allouer ou donner, comme s’il s’agissait de leur part, à chacune des personnes d’un ensemble.) [Soulignement ajouté]

Cette définition précise clairement que, tout au moins, pour que des marchandises soient distribuées, elles doivent être allouées ou données à un certain nombre de bénéficiaires, ou réparties entre ceux-ci [25] . S’il applique cette définition aux affaires en question, le Tribunal conclut que Keystone doit vendre les manilles et les chaînes en litige à plus d’un client pour que ces marchandises soient « distribuées ». Cette interprétation est compatible avec la déclaration suivante du juge en chef Anglin de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Marino [26] :

Comment peut-il y avoir distribution à moins que plus d’une vente n’ait été prouvée? Une seule vente ne correspond probablement pas à la signification du mot « distribution », tel qu’il est utilisé dans le Code criminel [27] . [Traduction]

Les éléments de preuve confidentiels dont dispose le Tribunal indiquent que la vente proposée des marchandises en question ne respecte pas les conditions qui se rattachent aux mots « distribution », « distribuer » ou « distribué », telles qu’elles ont été établies ci-dessus. Le Tribunal conclut, par conséquent, que les marchandises ne sont pas « distribuées » par Keystone. Étant donné cette décision, il n’est pas nécessaire que le Tribunal examine si les marchandises sont distribuées « [à partir du] territoire d’une partie ».

Le Tribunal décide, par conséquent, que les marchandises que Keystone offrait de fournir ne sont pas les marchandises d’une des parties à l’ACI et que les dispositions de l’ACI invoquées par Keystone ne s’appliquent pas à l’achat de ces marchandises.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Compte tenu du fait que l’AMP, l’ALÉNA et les dispositions de l’ACI que Keystone invoque ne s’appliquent pas aux marchés publics relatifs aux marchandises que Keystone proposait de fournir, le Tribunal conclut que la passation des marchés publics relatifs à ces marchandises ne peut pas avoir été contraire aux exigences énoncées dans les accords commerciaux. Le Tribunal conclut, par conséquent, que les plaintes ne sont pas fondées.

Le Ministère a demandé, dans les RIF, qu’on lui donne l’occasion de présenter d’autres exposés sur les frais dans la présente affaire. Le Tribunal décide que les circonstances de ces affaires ne justifient pas que Keystone ait à payer les dépens. Bien que les plaintes ne soient pas fondées, elles ne sont pas sans fondement [28] .


1. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

2. Signé à Ottawa (Ontario) les 11 et 17 décembre 1992, à Mexico, D.F., les 14 et 17 décembre 1992 et à Washington, D.C., les 8 et 17 décembre 1992 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1994).

3. Signé à Marrakech le 15 avril 1994 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1996).

4. Signé à Ottawa (Ontario) le 18 juillet 1994.

5. DORS/93-602, le 15 décembre 1993, Gazette du Canada Partie II, vol. 127, no 26 à la p. 4547, modifié.

6. DORS/91-499, le 14 août 1991, Gazette du Canada Partie II, vol. 125, no 18 à la p. 2912, modifiées.

7. Voir l'AMP, Canada, Notes générales, art. 4 et 8.

8. Dans les plaintes en question, la fourniture de manilles et de chaînes, groupe 40 de la Classification fédérale des approvisionnements, à la GCC du MPO est visée par chacun des accords commerciaux, sans qu'il y ait d'exception fondée sur la source de l'approvisionnement.

9. Sous réserve d'exclusions spécifiques limitées de marchandises ou de services selon leur provenance qui sont énoncées explicitement dans les accords commerciaux, les marchés publics ne sont pas décrits en fonction de l'origine des marchandises ou des services qui en font l'objet.

10. Voir l'AMP, Canada, annexe 1; l'ALÉNA, annexe 1001.1a-1, Liste du Canada; l'ACI, annexe 502.1A.

11. Voir l'AMP, Canada, annexe 1; l'ALÉNA, par. 1001(1); l'ACI, par. 502(1).

12. Étant donné que le Tribunal a conclu que les renseignements démontraient, dans une mesure raisonnable, que le marché public n'avait pas été passé conformément à l'AMP, il n'a pas examiné l'application de chaque accord à cette étape. Voir ci-dessous pour l'examen par le Tribunal de chacun des accords.

13. Le Tribunal fait remarquer les déclarations de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Dumont c. Canada (Procureur général) [1990] 1 R.C.S. à la p. 280, qui confirment le principe selon lequel les lois ne doivent pas être interprétées dans l'abstrait : Il semblerait que les questions relatives à l'interprétation qu'il faut donner aux dispositions applicables de la Loi de 1870 sur le Manitoba et de la Loi constitutionnelle de 1871 et à l'effet qu'a sur elles la mesure législative accessoire seraient mieux tranchées en première instance où il est possible d'établir un bon fondement factuel.

14. Les Parties à l'AMP sont l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Canada, la Corée, le Danemark, l'Espagne, les États-Unis, la Finlande, la France, la Grèce, Hong Kong, l'Irlande, Israël, l'Italie, le Japon, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, les Pays-Bas pour Aruba, le Portugal, le Royaume-Uni, Singapour, la Suède, la Suisse et l'Union européenne.

15. Par exemple, il y a dans l'AMP des dispositions qui prévoient explicitement que l'AMP accordera certains avantages limités à des pays en voie de développement qui ne sont pas parties à l'AMP. Voir article V.

16. Voir l'AMP, Canada, annexe 1, Liste des entités et Notes générales, art. 8.

17. Les Parties à l'ALÉNA sont le Canada, le Mexique et les États-Unis.

18. Voir l'article 1001 (Portée et champ d'application) et l'article 1007 (Spécifications techniques).

19. Signé à Marrakech le 15 avril 1994.

20. DORS/98-33, le 29 décembre 1997, Gazette du Canada Partie II, vol. 132, no 2 à la p. 154.

21. DORS/94-14, le 29 décembre 1993, Gazette du Canada Partie II, vol. 128, no 1 à la p. 60.

22. R. c. Fraser (1965), 51 D.L.R. (2d) 408 (B.C.C.A.), affirmant [1967] R.C.S. 38. À la Cour d'appel, le juge Bull a indiqué son désaccord en soutenant que « distribution » dénotait l'approvisionnement en gros de choses devant finalement être vendues et que, par conséquent, le détaillant ne « distribuait » pas ses articles mais les « vendait ». La majorité a conclu qu'une vente au détail pouvait être une distribution. La Cour suprême du Canada s'est dite d'accord avec la position de la majorité.

23. Deuxième éd., Oxford, Clarendon Press, 1989.

24. Ibid. à la p. 867.

25. R. c. McNiven (1943), 81 C.C.C. 166 (Sask. Q.B.), la Cour a fait remarquer que « le verbe distribuer vient du mot latin distribuere. Dis signifie dans diverses directions et tribuere signifie assigner, accorder, livrer. Dans la présente affaire, la livraison du prospectus n'a été faite qu'à une seule personne. Le mot distribuer dénote la livraison de quelque chose à plusieurs personnes » [traduction].

26. [1931] R.C.S. 482.

27. Ibid. à la p. 483.

28. Tribunal canadien du commerce extérieur, Flolite Industries, dossier no PR-97-045, Addendum, le 7 août 1998.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 19 août 1999