ACE/CLEAR DEFENSE INC.

Décisions


ACE/CLEAR DEFENSE INC.
Dossier no : PR-99-051

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le vendredi 30 juin 2000

Dossier no : PR-99-051

EU ÉGARD À une plainte déposée par ACE/Clear Defense Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET EU ÉGARD À une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l'article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande, à titre de mesure corrective, que le Musée des beaux-arts du Canada présente au Tribunal canadien du commerce extérieur une proposition d'indemnisation, élaborée conjointement avec ACE/Clear Defense Inc., qui tient compte du fait que ACE/Clear Defense Inc., puisqu'il lui a été impossible de présenter une soumission recevable dans la présente affaire, a perdu une occasion ainsi que la possibilité de se voir adjuger le marché de cet appel d'offres et d'en tirer des profits.

Aux termes des paragraphes 30.15(4) et 30.16(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à ACE/Clear Defense Inc. le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation de sa réponse à l'invitation à soumissionner et pour le dépôt et le traitement de la plainte.



Pierre Gosselin

Pierre Gosselin
Membre présidant


Michel P. Granger

Michel P. Granger
Secrétaire
 
 

Date de la décision :

Le 30 juin 2000

   

Membre du Tribunal :

Pierre Gosselin

   

Gestionnaire de l'enquête :

Randolph W. Heggart

   

Agent d'enquête :

Paule Couët

   

Conseiller pour le Tribunal :

Gilles B. Legault

   

Partie plaignante :

ACE/Clear Defense Inc.

   

Conseillers pour la partie plaignante :

Ronald D. Lunau

 

Mary Rose Ibos

   

Intervenantes :

Ener-Gard Energy Products Inc.

 

3M Canada Company

   

Conseillers pour les intervenantes :

Colin S. Baxter

 

Kris Klein

   

Institution fédérale :

Musée des beaux-arts du Canada

   

Conseiller pour l'institution fédérale :

David M. Attwater

 
 

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

Le 8 mars 2000, ACE/Clear Defense Inc. (ACE) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 à l'égard du marché public (demande de propositions [DP] no 9-C170) relatif à la fourniture et à l'installation d'une pellicule d'atténuation de la fragmentation du verre des fenêtres (pellicule de sécurité), fixée selon une technique de montage à bain complet, sur 125 000 pieds carrés environ de fenêtres de l'édifice du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC).

ACE a soutenu que, à l'encontre de plusieurs dispositions de l'Accord de libre-échange nord-américain 2 et de l'Accord sur le commerce intérieur 3 , le MBAC a établi, pour cette DP, un calendrier et des spécifications techniques qui ne sont pas conformes à ces accords commerciaux. Plus précisément, ACE a allégué que les effets de cette invitation à soumissionner sont discriminatoires en ce qu'elle ne donne pas aux fournisseurs, dont les produits sont fabriqués au Canada, suffisamment de temps pour satisfaire aux conditions obligatoires en matière d'essais. La société a également fait valoir que les spécifications techniques précisées à l'annexe B de la DP ne répondent pas à l'objectif que s'est fixé le gouvernement de créer des chances égales de satisfaire aux exigences des appels d'offres, qu'elles sont discriminatoires et viciées en ce qu'elles ont fait intervenir huit nouvelles normes US qui n'avaient pas antérieurement été utilisées dans des DP canadiennes et qu'elles ne laissent pas suffisamment de temps aux fournisseurs éventuels pour satisfaire aux conditions de la DP. En outre, ACE a soutenu que la DP impose une certaine façon de fixer les pellicules, soit le « montage à bain complet » et, par conséquent, des conditions cachées en matière d'essais aux soumissionnaires qui utilisent une méthode de fixation différente, favorisant ainsi les soumissionnaires qui utilisent déjà cette méthode.

ACE a demandé, à titre de mesure corrective, que le Tribunal reporte l'adjudication du contrat spécifique jusqu'à ce que le bien-fondé de la plainte ait été déterminé. ACE a également demandé que le Tribunal recommande le lancement d'un nouvel appel d'offres pour le contrat spécifique, et que celui-ci soit tenu conformément à l'ALÉNA et à l'ACI. Accesoirement, ACE a demandé que lui soit versée une indemnité parce qu'elle a été privée d'une occasion de soumissionner dans le cadre de ce marché public. La société a également demandé le remboursement des frais qu'elle a engagés pour la préparation de la réponse à la DP et pour le traitement de sa plainte.

Le 15 mars 2000, le Tribunal a avisé les parties qu'il avait décidé d'enquêter sur la plainte, puisqu'elle satisfait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE ainsi qu'aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 4 . Le même jour, le Tribunal a ordonné au MBAC de reporter l'adjudication de tout contrat relatif à cette invitation à soumissionner jusqu'à ce que le Tribunal ait déterminé le bien-fondé de la plainte. Le 22 mars 2000, le MBAC a attesté, par écrit, de l'urgence du besoin et du fait que de retarder l'adjudication du contrat serait contraire à l'intérêt public. Le 24 mars 2000, le Tribunal a, par conséquent, annulé son ordonnance de report d'adjudication du 15 mars 2000. Les 10 et 17 avril 2000, le Tribunal a informé les parties qu'il avait accordé le statut d'intervenantes dans l'affaire à 3M Canada Company (3M) et à Ener-Gard Energy Products Inc. (Ener-Gard). Le 17 avril 2000, le MBAC a déposé un rapport de l'institution fédérale (le RIF) auprès du Tribunal en application de l'article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 5 . Le 8 mai 2000, Ener-Gard a déposé ses observations sur le RIF auprès du Tribunal. Le 9 mai 2000, ACE et 3M ont déposé leurs observations sur le RIF auprès du Tribunal. Le 11 mai 2000, ACE a déposé auprès du Tribunal ses observations sur la réponse de 3M au RIF. Le 15 mai 2000, le MBAC a déposé auprès du Tribunal d'autres observations sur la réponse d'ACE au RIF et, le 24 mai 2000, ACE a déposé auprès du Tribunal ses observations finales.

Les renseignements au dossier permettant de déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu'une audience n'était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

La construction de la nouvelle ambassade des États-Unis, située à quelque 150 mètres au sud de l'édifice du MBAC, a commencé en 1997. L'ambassade a ouvert ses portes à la fin de 1999. En raison de la proximité de l'ambassade, l'édifice est davantage exposé à des actes terroristes. À la suite de l'attention que les médias ont porté à cette question, le MBAC, à l'automne 1999, a admis qu'il était urgent d'installer un système de protection des fenêtres sur le côté sud de l'édifice. ACE a aussi reconnu qu'il y avait urgence dans un article publié dans le numéro d'octobre - novembre 1999 d'une revue locale. Dans ce contexte, le 6 janvier 2000, le MBAC a fait parvenir un exposé au Conseil du Trésor du Canada (CTC) afin d'obtenir le pouvoir financier nécessaire à la mise en oeuvre d'une contre-mesure consistant à appliquer une pellicule de sécurité. Le 12 janvier 2000, le CTC a approuvé l'affectation de fonds pour l'installation d'une pellicule de sécurité sur les fenêtres de l'édifice. Lorsque la question du financement a été réglée, le MBAC a décidé de mettre le projet en oeuvre de façon urgente afin de protéger la collection d'oeuvres d'art du pays, ainsi que la santé et la sécurité des visiteurs et du personnel de l'édifice. Il a aussi été jugé essentiel que le projet soit terminé avant le début de la haute saison, soit vers le 1er mai 2000.

Vers 1997, l'organisation de la sécurité à la Chambre des communes a dicté l'utilisation d'une pellicule de sécurité sur les édifices de la colline du Parlement. Selon le RIF, avant la rénovation de l'immeuble de la Justice, qui a eu lieu de la fin de 1998 à la fin de 1999, on savait très peu de choses sur les pellicules de sécurité et leurs fabricants. Le seul fournisseur connu à ce moment-là était ACE, et la pellicule de sécurité utilisée pendant les rénovations de l'immeuble de la Justice a donné lieu à de nombreux problèmes. Pour régler la question, des représentants du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux se sont réunis le 7 janvier 1999 pour formuler un devis directeur national (DDN)6 pour les pellicules de sécurité. Le 10 septembre 1999, la nouvelle section proposée pour le DDN - la section 08555 sur les pellicules de sécurité pour le verre - était prête à être publiée. Ce devis inclut une série de normes tirées de la récente expérience américaine. Vers le 28 septembre 1999, ACE a communiqué avec le coordonnateur du DDN afin d'obtenir un exemplaire de la version finale de la section relative aux pellicules de sécurité afin de l'étudier et de faire des commentaires. Au cours d'une réunion tenue le 5 octobre 1999 avec le coordonnateur du DDN, ACE a fait des commentaires sur la section du DDN portant sur les pellicules de sécurité, qui incluait les spécifications maintenant en litige. La version définitive du DDN, qui comportait certaines des modifications proposées par ACE, a été transmise à ACE à titre de renseignement vers le 31 janvier 2000. Il faut noter que cette norme n'était pas censée être publiée avant 2000-2001.

Pour l'aider à déterminer les normes et les critères appropriés en matière d'essais devant être utilisés dans l'appel d'offres en question, pour le conseiller, et pour superviser l'exécution du travail, le MBAC a retenu, le 18 janvier 2000, les services d'une firme d'experts-conseils dans le domaine de la sécurité, soit Weaymouth et Associates, Inc. (Weaymouth). Dès le départ, l'incidence esthétique de la pellicule de sécurité était préoccupante. Dans ce contexte, les architectes de l'édifice ont recommandé l'utilisation d'un cordon d'un produit d'étanchéité, plutôt que de moyens mécaniques, pour fixer la pellicule de sécurité aux fenêtres.

Le 25 janvier 2000, Weaymouth, au nom du MBAC, a fait parvenir une lettre à sept fournisseurs éventuels, y compris ACE, invitant chacun à se préqualifier pour une DP. Chaque fournisseur était invité à présenter son produit en en installant un échantillon sur un panneau de verre existant du côté sud de l'édifice du MBAC. La principale inquiétude était que, une fois installée, la pellicule de sécurité allait nuire aux caractéristiques des fenêtres en matière de transparence et de transmission de la lumière visible. Après avoir indiqué que le MBAC n'avait pas beaucoup de temps pour terminer ce projet, la lettre poursuivait en précisant que « le Musée des beaux-arts désire que ce projet soit terminé avant la fin de mai 2000 » [traduction]. Les sept fournisseurs ont tous participé à cette démonstration, qui a eu lieu du 25 au 28 janvier 2000. Par la suite, tous les soumissionnaires éventuels ont été informés verbalement que les produits dont ils avaient fait la démonstration étaient acceptables pour le MBAC et qu'une DP allait suivre.

Le 3 février 2000, des exemplaires de la DP ont été envoyés par service de messagerie de 24 heures à chacun des soumissionnaires éventuels.

La DP, qui a été publiée le 4 février 2000, inclut les extraits suivants :

3. DATE DE CLÔTURE DES PROPOSITIONS

Le lundi 21 février 2000, à midi, heure d'Ottawa.

7. BUT

La présente demande vise à inviter les firmes préqualifiées à présenter une proposition pour la fourniture et l'installation sur certaines fenêtres d'une pellicule servant à atténuer la fragmentation du verre des fenêtres, conformément aux conditions indiquées figurant à l'Annexe B, spécifications.

8. DURÉE DU CONTRAT

Ce contrat commencera le, ou vers le, 27 février 2000 et se terminera le, ou avant le, 30 mai 2000.

11. RÉCEPTION DES SOUMISSIONS

TOUTE SOUMISSION PRÉSENTÉE EN RETARD
SERA RETOURNÉE SANS AVOIR ÉTÉ DÉCACHETÉE.
AUCUNE EXCUSE NE SERA ACCEPTÉE.

12. QUESTIONS PENDANT LE PROCESSUS D'APPEL D'OFFRES

Pour assurer l'exactitude et le caractère officiel des réponses aux demandes de renseignements et des autres communications, et pour contrôler les échanges d'information concernant cette DP, toutes les demandes de renseignements et les autres communications avec le Musée des beaux-arts pendant la période fixée pour la réception de soumissions (comme l'a défini le document d'appel d'offres) ne doivent être adressées qu'à l'agente de négociation des contrats. Elle acheminera toutes les questions techniques vers le spécialiste de la sécurité.

[Traduction]

L'annexe B, « Spécifications », prévoit, entre autres, ce qui suit :

1.2 [...] Le fournisseur agréé/applicateur installera la pellicule de sécurité transparente sur les fenêtres conformément aux instructions d'installation du fabricant. Il s'agira d'une application après coup sur les lieux, par la technique de montage à bain complet.
1.5 La pellicule de sécurité transparente sera fixée au cadre des fenêtres par un montage « à bain complet » ou par une méthode approuvée équivalente. Compte tenu de la finition de qualité supérieure de cet environnement, une méthode mécanique de montage n'est pas acceptable.
NORMES ET CRITÈRES APPLICABLES
Les normes et [critères] suivants serviront à l'évaluation de la pellicule de sécurité transparente et de [son] acceptabilité à l'intérieur du Musée des beaux-arts du Canada. Les résultats d'analyse effectuée par le fabricant et/ou par un laboratoire d'essai indépendant pour le compte d'un fabricant doivent être présentés au moment de la présentation des propositions.
Nonobstant le paragraphe ci-dessus, un fabricant peut présenter les résultats d'analyse jugés équivalents, mais qui ne sont pas inclus dans les normes et les [critères] énumérés ci-dessous. Si c'était le cas, un laboratoire indépendant reconnu et accrédité doit fournir, au nom du fabricant, une déclaration d'équivalence fondée sur les normes ou les critères appropriés. Il s'agit d'une condition obligatoire pour la poursuite de l'examen . L'analyse indépendante doit confirmer que les produits proposés satisfont aux critères obligatoires en matière d'essais, ou les dépassent.
1.6 Publications de l'American Society for Testing and Materials (ASTM).

A. D882-95A - Standard for Tensile Properties of Thin Plastic Sheeting
B. D1004-93 - Standard Test Method For Initial Tear Resistance of Plastic Film and Sheeting (essai de résistance à la déchirure Graves)
C. D1044 - Standard Method of Test for Resistance of Transparent Plastics to Surface Abrasion (essai d'abrasion de Taber)
D. E84 - Standard Method of Test for Surface Burning Characteristics of Building Materials
E. D1932-93 - Standard Test Method For Tear Propagation Resistance of Plastic Film and Thin Sheeting by a Single Standard
F. D4830-88, Section 7 (résistance à la perforation) - Standard Test Method for Characterizing Thermo Plastic Fabrics Used in Roofing and Waterproofing.

[Traduction]

Dans une lettre datée du 10 février 2000, ACE a demandé au MBAC de repousser la date de clôture des soumissions parce que les normes utilisées dans la DP n'avaient jamais auparavant été utilisées dans les marchés publics fédéraux canadiens portant sur des pellicules pour fenêtre et que, n'ayant pas eu à se conformer à ces normes par le passé, ACE avait besoin de plus de temps pour faire effectuer des essais par rapport à ces normes. Cette lettre précise, entre autres, ce qui suit : « Ayant communiqué avec les organisations qui effectuent des essais de conformité, nous avons été informés par celles-ci que les essais ne pourraient pas être réalisés avant avril 2000, au plus tôt. Si la date de clôture de la DP devait être antérieure au 30 avril 2000, nous ne pourrions respecter les termes de la DP tels qu'ils sont maintenant énoncés » [traduction].

Le 15 février 2000, le MBAC a refusé la demande de prolongation d'ACE, compte tenu du risque et de la menace pour l'édifice du MBAC. La lettre ajoute, entre autres, ce qui suit : « Retarder le projet pour traiter de façon privilégiée un des sept soumissionnaires en lui donnant du temps supplémentaire pour effectuer des tests acceptés par le secteur d'activité empêcherait le projet d'être réalisé pendant la période de temps mentionnée et clairement établie dès le début du projet » [traduction].

Le 17 février 2000, ACE a écrit au directeur du MBAC, demandant de le rencontrer afin de discuter des nombreuses questions relatives à ce marché public soulevées dans une lettre d'ACE datée du 10 février 2000, y compris l'affirmation d'ACE selon laquelle, avec les spécifications utilisées dans la DP, la protection contre les explosions de bombe serait inférieure à la protection accordée antérieurement aux édifices par le gouvernement canadien.

Le MBAC a reçu quatre propositions avant la clôture des soumissions le lundi 21 février 2000, à midi. À 12 h 50 environ, le même jour, ACE, pour les raisons énoncées dans ses observations sur le RIF, a présenté sa soumission, qu'elle a qualifiée dans ses observations sur le RIF de proposition « non conforme ». Le MBAC a refusé d'accepter cette proposition parce que la date limite pour le dépôt des offres avait été dépassée.

Le 22 février 2000, ACE a écrit de nouveau au directeur du MBAC, demandant de le rencontrer d'urgence et mentionnant que la procédure de passation du marché public était pleine de problèmes, dont certains faisaient maintenant l'objet d'une enquête criminelle, et que la santé et la sécurité du public pourraient bien être compromises.

Le 23 février 2000, le directeur du MBAC a répondu à la lettre d'ACE de la veille et a informé la société que le MBAC ne reverrait pas sa position. Cette lettre, précise, entre autres, ce qui suit :

En élaborant les normes et les critères des spécifications, l'équipe de projet a consulté des laboratoires reconnus de mise à l'essai des pellicules pour fenêtre, la section du Devis directeur national de TPSGC ainsi que d'autres installations gouvernementales de pellicules de sécurité pour le verre, y compris celle que vous citez dans votre lettre.
Compte tenu de la nature architecturale particulière de l'édifice du Musée, nous sommes d'avis que la pellicule de sécurité des fenêtres devrait respecter une norme reconnue de protection tout comme l'intégrité architecturale de l'édifice.

[Traduction]

ACE a déposé sa plainte auprès du Tribunal le 8 mars 2000.

POSITIONS DES PARTIES

Position du MBAC

Le MBAC a allégué que la rapidité avec laquelle le CTC a approuvé sa demande de financement atteste de la gravité du risque encouru par l'édifice du MBAC. En raison des circonstances, le MBAC a procédé de manière expéditive, appliquant la politique du Conseil du Trésor pour la passation de marchés publics urgents (la Politique).

Le MBAC a soutenu que des procédures d'appel d'offres sélectives avaient été utilisées pour l'invitation à soumissionner en question et qu'elles étaient conformes aux articles 1011 et 1012 de l'ALÉNA et au paragraphe 506(5) de l'ACI en ce que la période de 17 jours accordée aux fournisseurs éventuels pour présenter une offre était raisonnable dans les circonstances et dépassait la période minimale de 10 jours prévue dans l'ALÉNA pour les marchés publics urgents. En outre, le MBAC a fait remarquer que, si ACE avait exercé une diligence raisonnable, elle aurait réussi à présenter sa soumission à temps, comme elle a essayé de le faire à 12 h 50 le 21 février 2000.

Le MBAC a fait valoir que les spécifications techniques indiquées dans la DP ne favorisaient ni ne défavorisaient de marchandises en particulier ou les fournisseurs de ces marchandises, ce qui irait à l'encontre de l'alinéa 504(3)b) de l'ACI. En fait, le MBAC a allégué que l'adoption de ces spécifications visait à assurer la tenue d'un processus d'appel d'offres concurrentiel.

Faisant remarquer que, en vertu de l'article 1007 de l'ALÉNA, les spécifications techniques indiquées dans la DP doivent être fondées, le cas échéant, sur des normes internationales, des règlements techniques nationaux, des normes nationales reconnues ou des codes du bâtiment, le MBAC a souligné que, au moment de la préparation de la DP, il n'existait pas de règlements techniques publiés canadiens, de normes canadiennes reconnues ni de codes du bâtiment visant les pellicules de sécurité. Les spécifications techniques utilisées dans la DP, selon le MBAC, étaient fondées sur des « normes internationales » qui ont été reconnues au cours des deux dernières années. Le MBAC a soutenu que, en leur absence, le DDN relatif aux pellicules de sécurité, dont les spécifications ont été tirées, constituait une « norme nationale reconnue » ou, si cette allégation n'était pas admise par le Tribunal, était fondé sur ces normes objectives les plus généralement approuvées et utilisées par le secteur d'activité et le gouvernement.

Le MBAC a soutenu en outre qu'ACE savait, dès octobre 1999, que lesdites spécifications, ou un équivalent, seraient utilisées dans les projets de construction à venir tant dans le secteur public que privé. Le MBAC a soutenu que, ACE se targuant d'être un chef de file de l'élaboration, de la mise à l'essai et de la mise en marché des pellicules de sécurité, c'est à elle qu'il incombait d'être prête pour de futurs appels d'offres. Le MBAC a soutenu qu'il n'était pas raisonnable de la part d'ACE, comme a semblé l'indiquer ACE, d'attendre jusqu'à ce que les spécifications du DDN soient utilisées pour demander une prolongation du délai afin de faire effectuer des essais sur les pellicules de sécurité en fonction des spécifications de la DP. Aucun processus de passation de marché ne peut être tenu en otage par un soumissionnaire éventuel, peu importe qu'il s'agisse du « seul fournisseur canadien, dans la procédure de passation de marché dont le produit est fabriqué au Canada » [traduction].

Le MBAC a allégué que, étant donné l'expérience de travail d'ACE aux États-Unis, ses produits auraient dû être mis à l'essai pour les normes utilisées par les autorités américaines, qui sont identiques ou équivalentes aux normes du DDN. Le MBAC a fait valoir que, tout au moins, ACE était au courant de ces normes et de la nécessité de faire effectuer des essais en fonction de ces normes pour ses produits afin de soutenir la concurrence pour les ventes futures.

En ce qui a trait à la technique de montage à bain complet, le MBAC a fait valoir qu'il avait été précisé pendant la réunion des soumissionnaires tenue le 10 février 2000, à laquelle assistait ACE, que l'on se servirait, pour la méthode d'installation prévue, d'un produit standard du commerce (adhésif structural au silicone 995 de Dow Corning), ou de son équivalent, appliqué comme un simple calfeutrage autour des fenêtres, et qui n'exige pas de compétences particulières à un seul fournisseur. En outre, il n'était pas nécessaire de procéder à d'autres essais.

Renvoyant aux motifs de la décision du Tribunal dans l'affaire Flolite Industries 7 , le MBAC a mentionné que les circonstances de ce cas et les actions d'ACE dans la présente affaire justifient le remboursement des frais engagés par MBAC pour répondre à cette plainte.

Dans son exposé du 15 mai 2000, le MBAC a soutenu que le syntagme « à compter de la publication d'un avis en conformité avec l'article 1010 », de l'alinéa 1012(3)c) de l'ALÉNA, n'impose pas de condition préalable au recours à cet article dans les moments d'urgence. Le MBAC a soutenu que cette phrase est plutôt une disposition temporelle qui délimite le début de la période de réception des propositions. En ce qui a trait à l'affirmation d'ACE voulant que le MBAC n'ait pas publié d'avis conformément à l'article 1010 de l'ALÉNA, le MBAC a fait savoir qu'il s'agissait d'une question nouvelle qui ne faisait pas partie de la plainte et que, conformément au paragraphe 1010(5) de l'ALÉNA, la lettre du MBAC du 25 janvier 2000 constitue un avis à tous les soumissionnaires éventuels connus portant sur la façon de se qualifier qui sera utilisée dans le cas présent et que, de toute manière, il était trop tard pour qu'ACE porte plainte sur cette prétendue violation de l'ALÉNA.

En outre, le MBAC a allégué que l'état d'urgence était dûment justifié, comme le montrent les éléments de preuve versés au dossier, et il a soutenu que, contrairement à l'affirmation d'ACE, le MBAC n'a pas retardé l'invitation à soumissionner en question pour effectuer un examen de la procédure de passation du marché.

En ce qui concerne l'affirmation selon laquelle il y a eu discrimination aux termes de l'ACI, le MBAC a soutenu que la procédure accélérée de passation du marché qu'il a utilisé n'est en rien discriminatoire à l'égard de biens, de services et de fournisseurs de différentes régions du Canada. Le MBAC a soutenu qu'il n'a pas utilisé de procédures d'appel d'offres limitées pour effectuer ce marché, mais plutôt les procédures sélectives prévues aux paragraphes 506(1) à (10) de l'ACI. Convenant avec ACE que le Tribunal n'a pas compétence pour enquêter sur l'observation de la Politique, le MBAC a soutenu que l'article 10.2.8 de la Politique ne s'applique pas dans la présente affaire, étant donné que le MBAC n'a pas utilisé de procédures d'appel d'offres limitées.

Pour ce qui est de l'affirmation d'ACE selon laquelle le MBAC a accepté des conseils qui contrevenaient aux dispositions du paragraphe 1007(4) de l'ALÉNA, le MBAC a soutenu que ce nouveau motif de plainte est tardif et sans fondement. De plus, le MBAC a ajouté que l'allégation selon laquelle il a utilisé des critères non divulgués pour l'évaluation des propositions est également un nouveau motif de plainte, à propos duquel le Tribunal n'a pas compétence.

Position d'Ener-Gard

Ener-Gard s'est dit complètement d'accord avec tous les aspects du RIF, ses énoncés et ses conclusions. Après avoir déclaré que l'urgence de la situation avait entraîné le raccourcissement de la période habituelle de préparation et de présentation des propositions, Ener-Gard a indiqué que la plupart des fabricants ont pu, cependant, travailler dans les délais spécifiés. Ener-Gard a allégué que les paramètres des essais et les spécifications énoncés dans la DP représentent définitivement la norme pour ce type d'application et que les grands fabricants avaient déjà fait effectuer les essais nécessaires pour satisfaire à toutes ces conditions. Qu'ACE n'ait jamais fait effectuer les essais qui constituent la norme au sein de l'industrie pour l'application de pellicules de sécurité ne dépend que d'elle et, a soutenu Ener-Gard, le MBAC et ses visiteurs ne devraient pas être pénalisés à cause de cela.

Position de 3M

3M a soutenu que les spécifications et les conditions connexes relatives aux essais spécifiés dans la DP sont impartiales. Elles sont raisonnables et adéquates, compte tenu de la nécessité d'assurer la sécurité du public. 3M a soutenu plus précisément que les normes de l'American National Standards Institute (ANSI) et de l'ASTM, et maintenant les normes de la General Services Administration (GSA), sont acceptées et utilisées par l'industrie dans toute l'Amérique du Nord. 3M a en outre fait valoir que la plupart des fabricants de pellicules de sécurité pour fenêtre ont déjà fait effectuer des essais pour attester que leurs produits sont conformes à la norme GSA, utilisant pour cela des laboratoires d'essai indépendants accrédités, situés au Canada et aux États-Unis, et qui sont mondialement reconnus. 3M a allégué que les spécifications de la DP incorporent les normes de sécurité disponibles les plus appropriées afin de protéger les personnes qui se trouvent dans l'édifice du MBAC et autour de celui-ci d'une attaque terroriste contre l'ambassade américaine située tout près. Elles sont considérées dans l'industrie comme des exigences fondamentales pour toute pellicule de sécurité, peu importe l'endroit où la pellicule est fabriquée. 3M a fait valoir qu'il serait contraire à l'intérêt d'une entreprise, ou de ses clients éventuels, de ne pas tenir compte des meilleurs essais internationaux existant de nos jours, réalisés à travers le monde par des laboratoires indépendants.

Position d'ACE

ACE a soutenu que le MBAC n'a pas satisfait aux conditions des accords commerciaux pour la passation d'un marché public urgent en ce que le Ministère, à l'encontre de l'article 1010 de l'ALÉNA, n'a pas publié d'avis de projet de marché, une condition, selon ACE, préalable au recours à l'alinéa 1012(3)c) de l'ALÉNA, qui permet, en cas d'urgence, de réduire à 10 jours au minimum la durée de la période pour la présentation des propositions. ACE a de plus allégué que la seule circonstance permettant à l'autorité contractante d'éviter ses obligations en vertu de l'article 1010 de l'ALÉNA est lorsque l'autorité contractante s'appuie sur l'article 1016 de l'ALÉNA, « procédures d'appel d'offres limitées », et, selon ACE, nulle part dans la DP ni dans le RIF, le MPAC n'a-t-il prétendu s'appuyer sur l'article 1016 de l'ALÉNA pour ce marché public. De toute manière, ACE a ajouté que le MBAC n'a pas observé les conditions particulières du paragraphe 1016(3) de l'ALÉNA, qui exige qu'un rapport écrit soit préparé sur chacun des contrats adjugés en vertu de l'article 1016 de l'ALÉNA.

ACE a de plus soutenu que la deuxième condition préalable à la réduction de la période de présentation des propositions en vertu de l'alinéa 1012(3)c) de l'ALÉNA est que l'état d'urgence soit « dûment justifié ». ACE a soutenu que les faits de la présente affaire et les éléments de preuve sur lesquels le MBAC s'est appuyé dans le RIF ne prouvent pas qu'un état d'urgence existait dans la présente affaire. En fait, selon ACE, le MBAC aurait pu raisonnablement savoir dès 1997, soit dès le début de la construction de la nouvelle ambassade, que la sécurité de l'édifice du MBAC était menacée en raison de la proximité de l'ambassade. En outre, ACE a allégué que les éléments de preuve présentés par le MBAC semblent indiquer que les « pressions politiques »8 [traduction] étaient le motif réel et que les considérations esthétiques étaient jugées peut-être plus importantes que le fait de succomber à ces « pressions politiques ». En outre, ACE a fait remarquer que le MBAC a, de fait, repoussé le marché en question jusqu'au 6 mars 2000 pour permettre la réalisation d'un examen interne de la procédure de passation du marché public par une firme d'experts-conseils.

ACE a fait valoir que le calendrier de la DP l'avait empêchée en fait de fournir une proposition qui serait conforme, en ce qu'elle n'a pu faire effectuer les essais pour les spécifications ASTM de la DP au cours de la période de 10 jours allouée par la DP pour la préparation et la présentation des propositions. Cela, a soutenu ACE, est contraire à l'alinéa 504(3)c) et au paragraphe 506(5) de l'ACI. ACE a de plus fait remarquer que, nulle part dans la lettre d'intention, la DP ou le RIF, le MBAC a-t-il mentionné s'appuyer sur l'alinéa 506(11)a) de l'ACI pour éviter les obligations des paragraphes (1) à (10) de l'ACI.

ACE a également soutenu que le fait qu'un, ou plusieurs, des soumissionnaires concurrents considèrent que la durée de la période allouée pour la présentation des propositions est adéquate n'est pas pertinent. L'objectif des accords commerciaux, selon ACE, est l'établissement de règles objectives d'application universelle, de manière que la processus de passation du marché public soit équitable et accessible pour tous les soumissionnaires, et non seulement pour certains.

ACE a aussi fait remarquer que le RIF ne fournit pas la preuve que l'autorisation appropriée, c'est-à-dire l'autorisation de niveau supérieur, a été obtenue avant que le MBAC ne se prévale de la procédure d'urgence et que cela constitue une infraction aux accords commerciaux.

En ce qui a trait à la question des normes utilisées dans la DP, ACE a soutenu que le MBAC a omis d'identifier les normes internationales sur lesquelles les normes techniques étaient fondées et d'expliquer comment elles constituent des « normes internationales » acceptables. ACE a fait valoir que le DDN n'a pas encore été approuvé et n'est pas publié et que le fait qu'elle a participé à sa rédaction ne devrait pas être retenu contre elle. Dans ce contexte, ACE a précisé que, contrairement à l'affirmation du MBAC contenue dans le RIF, selon laquelle la société n'avait pas fait d'observations sur les normes spécifiques en cause, elle a néanmoins fait des observations générales qui allaient être prises en compte pour la rédaction finale du DDN. ACE a fait valoir que, de toute manière, la connaissance du contenu du projet de DDN ne résout pas, en elle-même, la question des essais ASTM effectués aux termes de la DP. Plus précisément, ACE a soutenu que la mise à l'essai équivalente permise par la DP était inéquitable et discriminatoire parce que le temps alloué pour les essais équivalents était insuffisant et que le MBAC n'était pas tenu d'accepter ces essais même s'ils avaient pu être réalisés.

ACE a allégué que 3M et les autres fabricants qui ont recommandé des évaluateurs au spécialiste en sécurité étaient des fournisseurs éventuels dans cette DP et que le résultat de la DP les intéressait sur le plan commercial. Dans ce contexte, ACE a soutenu que les conseils et les recommandations au spécialiste de la sécurité contrevenaient au paragraphe 1007(4) de l'ALÉNA.

ACE a de plus soutenu que l'établissement pour chacun des domaines d'évaluation de sous-critères qui n'étaient pas énoncés dans les documents d'appel d'offres, comme c'est le cas dans la présente affaire, contrevenait aux paragraphes 1013(1) et 1015(4) de l'ALÉNA et au paragraphe 506(6) de l'ACI.

En ce qui concerne la technique de « montage à bain complet », ACE a soutenu que cette condition était apparue tardivement dans la DP, avait annulé sa préqualification à soumissionner et qu'elle avait biaisé la DP en faveur des soumissionnaires qui connaissaient déjà cette technique.

Dans son exposé du 11 mai 2000, ACE a allégué que 3M n'avait pas réussi à montrer comment le MBAC avait observé les dispositions des accords commerciaux applicables. Plus précisément, ACE a soutenu que 3M n'a pas fourni d'éléments de preuve à l'appui de son affirmation selon laquelle : 1) la seule norme d'essai internationale existant sur la capacité d'atténuation des effets d'une explosion et les pellicules de sécurité est la norme ASTM F1642-96, l'ASTM n'étant, de toute manière, pas une organisation accréditée par l'ANSI; 2) les normes de l'ASTM que contient la DP sont des normes internationales appropriées comme les définit l'ALÉNA; 3) les normes de l'ASTM ont été approuvées et accréditées par le gouvernement canadien ou par le Conseil canadien des normes, lequel est approuvé par l'Organisation internationale de normalisation.

Dans ses observations finales du 24 mai 2000, ACE a soutenu, en ce qui concerne la violation de l'article 1010 de l'ALÉNA alléguée par le MBAC, que cette question n'a pas été soulevée comme motif de plainte, mais faisait plutôt partie de la réponse d'ACE à la défense du MBAC pour s'être prévalu de l'alinéa 1012(3)c) de l'ALÉNA. ACE a refusé de reconnaître que la lettre du MBAC du 25 janvier 2000 constituait une « invitation à participer » comme la définit le paragraphe 1010(5) de l'ALÉNA. Peu importe, a soutenu ACE, il reste que le MBAC n'a pas publié d'avis d'invitation, comme l'exigent l'article 1010 de l'ALÉNA et l'article 506 de l'ACI, et cela, selon ACE, s'applique même lorsque les procédures d'appel d'offres sélectives sont utilisées.

ACE a de plus soutenu qu'elle ne conteste pas l'existence d'une menace pour la sécurité publique à l'édifice du MBAC en raison de la possibilité d'activités terroristes dirigées contre l'ambassade des États-Unis. Elle conteste toutefois le choix d'un processus de passation de marché public qui fait fi des accords commerciaux, particulièrement compte tenu de l'absence de toute démonstration des raisons pour lesquelles les limites de temps minimales normales prévues par l'ALÉNA n'étaient pas appropriées dans la présente affaire.

En ce qui concerne l'introduction par le MBAC de critères d'évaluation non divulgués, ACE a fait valoir qu'elle n'a découvert ce motif de plainte que dans le RIF et que, par conséquent, elle était en droit de fournir une réponse à cette nouvelle information dans ses observations du 9 mai 2000.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l'article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, lorsqu'il a décidé d'enquêter, limiter son étude à l'objet de la plainte. En outre, à la fin de l'enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. L'article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux dispositions des accords commerciaux applicables.

Le Tribunal détermine, d'abord, que l'appel d'offres en question se rapporte à un marché de services de construction au sens de l'article 5189 de l'ACI et des codes 5171 (Travaux de vitrerie et pose de vitrages) et 5169 (Autres travaux de pose d'installations) de l'appendice 1001.1b-3-A10 . Le Tribunal conclut en outre que la valeur estimée de ce marché public est entre un million et trois millions de dollars. Le sous-alinéa 1001(1)c)(ii) de l'ALÉNA prévoit que, pour les entreprises publiques (le MBAC est une entreprise publique mentionnée à l'annexe 1001.1a-2 de l'ALÉNA), les marchés des services de construction ne sont visés par le chapitre dix de l'ALÉNA que si la valeur de ces marchés égale ou dépasse 12,9 millions de dollars. La valeur du marché public en question étant inférieure à ce seuil, le Tribunal conclut que cet appel d'offres n'est pas un contrat spécifique en vertu de l'ALÉNA. Étant donné que le Tribunal n'a pas compétence pour traiter du bien-fondé d'une plainte en vertu de l'ALÉNA, le Tribunal ne déterminera le bien-fondé de la plainte qu'en vertu de l'ACI, qui vise les marchés de services de construction d'une valeur égale ou supérieure à 100 000 $.

Selon l'article 501 de l'ACI, l'objectif du chapitre cinq est l'établissement d'un cadre grâce auquel tous les fournisseurs canadiens auront également accès aux marchés publics. Dans ce contexte, le paragraphe 506(5) prévoit expressément que « [c]haque partie accorde aux fournisseurs un délai suffisant pour présenter une soumission compte tenu du temps nécessaire pour diffuser l'information et de la complexité du marché public ». Le paragraphe 506(11) prévoit de plus que, dans certaines circonstances limitées, une entité peut utiliser des procédures de marché public différentes de celles qui sont décrites aux paragraphes 506(1) à (10), pourvu que cela ne soit pas fait pour empêcher la concurrence entre les fournisseurs ou pour favoriser certains fournisseurs ou toute autre partie. Une des circonstances mentionnées à l'alinéa 506(11)a) est la suivante : « lorsqu'il existe une situation d'urgence imprévue et que des produits, des services ou des travaux de construction ne peuvent être obtenus en temps utile par l'application de procédures ouvertes de passation des marchés publics » [soulignement ajouté].

Le Tribunal est d'avis que la question déterminante est celle de l'existence d'une « situation d'urgence imprévue » en l'espèce, permettant au MBAC de se servir de procédures utilisés en matière de marchés publics autres que celles qui sont décrites aux paragraphes 506(1) à (10) de l'ACI. Si la réponse à cette question est négative, le Tribunal devra alors déterminer si, dans le cadre du présent marché public, le MBAC s'est conformé à la disposition du paragraphe 506(5) et, compte tenu de la complexité du marché public en question, si la période de temps allouée aux fournisseurs pour présenter une proposition était raisonnable.

Le Tribunal conclut que, dans la mesure où une situation d'urgence aurait pu exister à l'édifice du MBAC, cette situation n'était pas imprévisible. Les éléments de preuve dont dispose le Tribunal montrent clairement que le MBAC étaient au courant de telles circonstances exceptionnelles dès octobre ou novembre 1999, soit plusieurs mois avant le lancement de cet appel d'offres. Le Tribunal est d'avis qu'il n'y avait rien d'imprévisible dans l'accroissement des risques aux abords de l'ambassade des États-Unis en raison d'actes terroristes dirigés contre l'ambassade. La planification et la construction de l'ambassade ont duré plusieurs années et sa proximité de l'édifice du MBAC était connue de tous pendant cette période. En outre, il est de notoriété publique que, au fil des années, les propriétés américaines ont été la cible d'attaques terroristes, et l'accroissement des risques pour l'édifice du MBAC était, par conséquent, prévisible. La condition énoncée à l'alinéa 506(11)a) de l'ACI n'a donc pas été respectée dans la présente affaire.

Le Tribunal conclut que, en établissant une période de 17 jours pour répondre à l'appel d'offres et en refusant de prolonger cette période à la demande expresse d'ACE pour lui permettre de faire effectuer les essais nécessaires, le MBAC a mal évalué la complexité de ce marché public (plus précisément les conditions relatives aux essais ayant trait à l'utilisation de nouvelles normes) et a, pour cette raison, établi une période de temps déraisonnable pour la présentation de soumissions recevables. En résumé, ces conditions étaient contraires au paragraphe 506(5) de l'ACI et ne pouvaient être justifiées en vertu de l'alinéa 506(11)a).

Les parties ne contestent pas le droit du MBAC de se servir de normes reconnues pour combler le besoin en cause. Selon le Tribunal, même les parties admettent qu'il n'existe pas à l'heure actuelle de normes canadiennes largement reconnues pour l'application des pellicules de sécurité. Les éléments de preuve dont dispose le Tribunal montrent que, aux États-Unis, au cours des dernières années, les normes relatives aux pellicules de sécurité sont devenues de plus en plus acceptées, et que, au Canada, le travail devant conduire à l'adoption d'un nouveau DDN pour les pellicules de sécurité est très avancé. Le Tribunal est d'avis que le MBAC a reconnu cet état de chose lorsqu'il a élaboré la DP, puisqu'il a permis des équivalents aux normes mentionnées dans la DP. Dans les circonstances, et compte tenu de la conclusion précédente du Tribunal, le Tribunal estime qu'il incombait au MBAC de fournir une période de temps raisonnable pour que les fournisseurs éventuels puissent faire la preuve, au besoin, de l'équivalence de leurs produits.

Le Tribunal est d'avis qu'il n'était pas raisonnable de la part du MBAC de reconnaître, d'un côté, qu'un « équivalent » pourrait être proposé, tout en ne donnant pas suffisamment de temps pour établir, au besoin, cette équivalence.

Le MBAC a allégué qu'ACE savait, ou aurait dû savoir, avant même le début de la procédure de passation du marché public, que les normes énoncées dans la DP, qui étaient utilisées pour la première fois pour un marché public du gouvernement fédéral, seraient utilisées pour ce marché public en particulier. Le MBAC a allégué, par conséquent, qu'ACE aurait dû commencer à faire effectuer des essais pour montrer que son produit respectait des normes équivalentes à celles qui sont précisées dans la DP avant la publication de l'appel d'offres. Le Tribunal fait remarquer que, en insistant longuement sur le fait qu'ACE aurait dû faire effectuer les essais avant le début du processus d'appel d'offres, le MBAC reconnaît implicitement que la période allouée dans la DP pour la préparation et la présentation des réponses était trop courte pour que les soumissionnaires puissent faire effectuer les essais sur des équivalents qui pouvaient être nécessaires pour la présentation de soumissions recevables. L'argument du MBAC est difficile à accepter aussi parce qu'ACE ne pouvait pas savoir de façon certaine : 1) quelles normes le MBAC adopterait pour cet appel d'offres avant que la DP ne soit publiée; 2) que le MBAC adopterait des normes qui n'ont pas auparavant été utilisées dans les marchés publics fédéraux; 3) à quel moment l'invitation à soumissionner serait publiée, sans parler de ce que serait la durée de la période accordée aux fournisseurs éventuels pour la préparation de soumissions recevables.

En outre, considérant les coûts que suppose la réalisation d'essais pour respecter de nouvelles normes et la publication imminente du DDN pour les pellicules de sécurité, le Tribunal est d'avis qu'il n'était pas déraisonnable de la part d'ACE, en l'absence de marché public concret, de ne pas procéder aux essais de ses produits avant qu'il n'existe quelques certitudes sur ces questions importantes. De plus, le Tribunal n'est pas persuadé qu'ACE aurait pu se conformer aux délais rigoureux pendant lesquels soumissionner dans la présente affaire en raison de son expérience antérieure dans des projets américains, parce que les normes énoncées dans la DP n'avaient pas antérieurement servi pour des marchés publics fédéraux, et rien n'indiquait de façon certaine qu'elles seraient utilisées dans la présente affaire, jusqu'à ce que la DP soit publiée.

Maintenant, en ce qui a trait à l'affirmation d'ACE selon laquelle le choix d'une technique particulière de montage par le MBAC (« à bain complet ») a imposé un fardeau supplémentaire et inacceptable à ACE, le Tribunal est d'avis que cette affirmation est sans fondement. Il se peut que, en raison de la situation prévalant chez ACE, cette technique particulière ait représenté de plus grandes difficultés pour ACE. Cependant, compte tenu des préoccupations esthétiques du MBAC, et de la simplicité et de la banalité de la technique de fixation, le Tribunal ne considère pas qu'il s'agisse d'une condition déraisonnable dans les circonstances.

ACE a également soutenu que le fait que le MBAC ait exigé dans la DP un montage à bain complet équivaut à ne pas tenir compte du fait qu'ACE s'est qualifiée le, ou vers le, 28 janvier 2000. Cependant, le Tribunal est d'avis que l'exercice de qualification qui a eu lieu du 25 au 28 janvier 2000 portait sur la transparence et la transmission de la lumière visible de la pellicule de sécurité et non sur une technique de montage en particulier. De l'avis du Tribunal, ACE n'a donc jamais été préqualifiée, dans la présente affaire, pour une technique de montage particulière, et cette allégation n'est pas fondée.

En ce qui a trait à l'affirmation d'ACE selon laquelle, en violation du paragraphe 506(6) de l'ACI, le MBAC a fait intervenir, dans l'évaluation des offres, des sous-critères qui ne sont pas mentionnés dans la DP, le Tribunal note qu'ACE n'a déposé aucun élément de preuve pour appuyer ce motif de plainte, et le Tribunal n'a pas étudié la question plus avant.

Compte tenu du fait que ce marché a été exécuté en grande partie, le Tribunal, pour déterminer une mesure corrective, a tenté, dans toute la mesure du possible, de replacer ACE dans la position où elle se trouvait avant le début du présent appel d'offres. Le Tribunal accorde donc à ACE le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour le dépôt et la préparation de la plainte ainsi que pour la préparation d'une réponse à cet appel d'offres. En outre, considérant que, en raison de la brièveté déraisonnable du délai, ACE n'a pas pu présenter une proposition recevable, le Tribunal recommande qu'ACE soit indemnisée pour l'occasion qu'elle a perdue de tirer profit dudit marché.

DÉCISION DU TRIBUNAL

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal détermine que le marché public n'a pas été passé conformément aux exigences de l'ACI et que, par conséquent, la plainte est fondée.

En vertu des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, que le MBAC présente au Tribunal une proposition d'indemnisation élaborée conjointement avec ACE, qui prenne en compte l'occasion qu'a perdue ACE du fait de n'avoir pas pu présenter une proposition recevable dans la présente affaire ainsi que la possibilité que ce marché public lui soit adjugé et qu'elle en tire profit.

Aux termes des paragraphes 30.15(4) et 30.16(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à ACE le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation de la réponse à cet appel d'offres et pour le dépôt et le traitement de la plainte.

1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [ci-après Loi sur le TCCE].

2 . 32 I.L.M. 289 (entré en vigueur le 1 janvier 1994) [ci-après ALÉNA].

3 . Signé à Ottawa (Ontario) le 18 juillet 1994 [ci-après ACI].

4 . D.O.R.S./93-602 [ci-après Règlement].

5 . D.O.R.S./91-499.

6 . Les devis directeurs nationaux sont rédigés et utilisés par le gouvernement du Canada et par le secteur privé et servent à définir les caractéristiques et les spécifications des projets de construction.

7 . Addenda (le 7 août 1998), PR-97-045.

8 . Source : RIF, onglet 9, lettre de Moshe Safdie, 13 mars 2000.

9 . « [T]ravaux de construction » La construction, la reconstruction, la démolition, la réparation ou la rénovation d'un bâtiment, d'une structure ou d'un autre ouvrage de génie civil ou d'architecture. Sont également visés par la présente définition la préparation du chantier, les travaux d'excavation et de forage, les études sismiques, la fourniture des produits et des matériaux, la fourniture du matériel et de la machinerie si ceux-ci sont inclus dans les travaux de construction et accessoires à ceux-ci, ainsi que l'installation et la réparation des accessoires fixes du bâtiment, de la structure ou de l'autre ouvrage de génie civil ou d'architecture. Ne sont toutefois pas visés par la présente définition les services professionnels d'experts-conseils se rapportant aux marchés de travaux de construction sauf s'ils sont inclus dans le marché public. »

10 . « Définition de travaux de construction : Travaux de préparation des sites et chantiers de construction; travaux de construction de bâtiments et ouvrages neufs et travaux de réfection, de transformation, de restauration et d'entretien d'immeubles et de bâtiment d'habitation ou autres ainsi que d'ouvrages de génie civil. La réalisation de ces travaux peut être confiée soit à des entreprises générales qui se chargent d'effectuer l'ensemble des travaux de construction pour le compte du maître de l'ouvrage ou pour leur propre compte, soit à des entreprises sous-traitantes spécialisées (par exemple dans les travaux d'installation) à qui sont concédées certaines parties des travaux; dans ce cas, la valeur des travaux réalisés par les sous-traitants fait partie intégrante des travaux confiés à l'entrepreneur principal. »


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Publication initiale : le 17 juillet 2000