M. JOHN C. LUIK

Décisions


M. JOHN C. LUIK
Dossier no : PR-99-035

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le mardi 28 mars 2000

Dossier no : PR-99-035

EU ÉGARD À une plainte déposée par M. John C. Luik aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET EU ÉGARD À une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande, à titre de mesure corrective, que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux présente au Tribunal canadien du commerce extérieur une proposition d’indemnité élaborée conjointement avec M. John C. Luik, qui tienne compte des points suivants : a) l’occasion perdue par M. Luik, celui-ci n’ayant pu présenter une soumission recevable en l’espèce et peut-être remporter le marché; b) le dommage causé à l’intégrité et à l’efficacité du système d’approvisionnement concurrentiel; c) le manque de bonne foi dans l’adjudication de ce marché démontré par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux et le ministère de la Santé. Ladite proposition doit être présentée au Tribunal canadien du commerce extérieur dans les 30 jours suivant la réception de l’exposé des motifs.

Aux termes des paragraphes 30.15(4) et 30.16(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à M. John C. Luik le remboursement des frais raisonnables qu’il a engagés pour le dépôt et le traitement de sa plainte ainsi que les frais liés à sa contestation du préavis d’adjudication de contrat.

Pierre Gosselin
_________________________
Pierre Gosselin
Membre présidant


Zdenek Kvarda
_________________________
Zdenek Kvarda
Membre


Richard Lafontaine
_________________________
Richard Lafontaine
Membre


Susanne Grimes
_________________________
Susanne Grimes
Secrétaire intérimaire






Date de la décision : Le 28 mars 2000

Membres du Tribunal : Pierre Gosselin, membre présidant
Zdenek Kvarda, membre
Richard Lafontaine, membre

Gestionnaire de l’enquête : Randolph W. Heggart

Avocat pour le Tribunal : Gilles B. Legault

Partie plaignante : M. John C. Luik

Avocats pour la partie plaignante : Gordon Cameron
Nancy K. Brooks

Institution fédérale : Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Avocat pour l’institution fédérale : Susan D. Clarke

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le 9 novembre 1999, M. John C. Luik a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] , à l’égard d’un marché public du type à fournisseur unique (numéro d’invitation H4097-9-0014/A) du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) pour le compte du Bureau de contrôle du tabac (BCT), une division du ministère de la Santé (Santé Canada). Le marché public en question portait sur une étude de consommation, qui devait être menée par M. John Liefeld, concernant certains messages relatifs à la santé sur les produits du tabac et leur incidence sur la décision de fumer ou de ne pas fumer.

M. Luik a allégué que l’invitation à soumissionner en question ne satisfaisait aucun des critères qui justifient le choix d’une procédure d’appel d’offres limitée, qui sont prévus à l’Accord de libre-échange nord-américain [2] et à l’Accord sur le commerce intérieur [3] , et que les agents de Santé Canada ont agi de façon à se soustraire aux obligations découlant des accords commerciaux susmentionnés. M. Luik a en outre allégué que Santé Canada et le Ministère ont incorrectement utilisé un préavis d’adjudication de contrat (PAC) de manière à se soustraire à leurs obligations aux termes des accords commerciaux et à tromper les fournisseurs potentiels en laissant croire à ces derniers qu’ils se conformaient auxdites obligations et appliquaient les politiques sur les marchés publics pertinentes, alors que, dans les faits, ils savaient que tel n’était pas le cas. Plus précisément, M. Luik a allégué que le marché public en question a été incorrectement passé, du fait que Santé Canada 1) a recouru à la procédure d’appel d’offres limitée sans justification satisfaisante; 2) a fixé des délais incorrects pour la réception des offres et l’accomplissement du travail; 3) a omis de transmettre les mêmes renseignements à tous les fournisseurs potentiels; 4) a ajouté des critères d’évaluation obscurs et inutiles; 5) s’est délibérément soustrait aux obligations imposées par l’ALÉNA et par l’ACI et a tenté de tromper les fournisseurs potentiels.

M. Luik a demandé, à titre de mesure corrective, les indemnités suivantes : 100 000 $ en reconnaissance de la perte de profits qu’il aurait pu tirer du contrat; 50 000 $ en reconnaissance du dommage causé à sa réputation, à son image et en termes de contrats semblables à décrocher à l’avenir; 50 000 $ en reconnaissance de la conduite déshonorante du Ministère et de Santé Canada dans le cadre du marché public en question; 5 000 $ pour les frais engagés pour la préparation de sa soumission et pour le dépôt et le traitement de sa plainte. M. Luik a aussi demandé que le Tribunal recommande que Santé Canada annule l’exigence selon laquelle tout fournisseur potentiel de services à Santé Canada n’ait pas travaillé pour l’industrie du tabac depuis trois ans et qu’il soit ordonné aux employés de Santé Canada et du Ministère de s’abstenir de tenter d’induire les fournisseurs potentiels en erreur relativement aux détails d’un marché public.

Le 17 novembre 1999, le Tribunal a avisé les parties qu’il avait décidé d’enquêter sur la plainte, puisque cette dernière répondait aux conditions énoncées à l’article 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [4] . Le 21 janvier 2000, le Ministère a déposé un rapport de l’institution fédérale (le RIF) auprès du Tribunal en application de l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [5] . Le 3 février 2000, M. Luik a déposé ses observations sur le RIF auprès du Tribunal indiquant que le Ministère avait négligé d’inclure certains renseignements. Le 9 février 2000, le Tribunal a demandé au Ministère de produire des renseignements complémentaires pertinents à cette affaire. Le Ministère les a produits, le 17 février 2000. Le 24 février 2000, M. Luik a déposé ses observations sur les renseignements complémentaires auprès du Tribunal.

Les renseignements au dossier permettant de déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a statué sur la plainte à partir des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

En juin 1999, le BCT a lancé une étude, devant être men 9‚e par des chercheurs indépendants de Santé Canada, concernant certains messages relatifs à la santé sur les produits du tabac et leur incidence sur la décision de fumer ou de ne pas fumer.

Le 18 juin 1999, M. Liefeld a envoyé une note à Santé Canada contenant ses réflexions préliminaires sur la conception de l’étude.

Un message électronique interne à Santé Canada, daté du 25 juin 1999, indique, notamment, ce qui suit :

Avec l’autorisation nécessaire, M. Liefeld et sa compagnie pourront commencer l’étude dès maintenant et la terminer au plus tard à la fin septembre (peut-être avant si nous agissons tout de suite).

Sur un plan personnel, il s’agira probablement là de la plus importante de nos études de recherche et je recommanderais d’accorder à M. Liefeld autant de soutien et de latitude que possible. Ainsi que je l’ai déjà indiqué ci-dessus, il est le meilleur de tous.

[Traduction]

Le même jour, M. Liefeld a envoyé à Santé Canada un message électronique concernant l’étude en question, qui se lit, notamment, comme suit :

Veuillez examiner le document, et si [. . .] tout est en ordre, vous pouvez vous en servir pour fonder le contrat.

[Traduction]

Un message électronique interne, à Santé Canada, concernant le contrat en question, daté du 7 juillet 1999, mentionne ce qui suit :

***. . . devra vous fournir la justification pertinente à un marché du type à fournisseur unique.

[Traduction]

Un message électronique, à Santé Canada, également daté du 7 juillet 1999, concernant la justification d’un marché du type à fournisseur unique, indique, notamment, ce qui suit :

Le Pr Liefeld est la seule personne ayant l’expérience nécessaire pour accomplir vite et bien le présent projet. En vérité, si ce contrat est soumis au régime de concurrence, aucun autre entrepreneur ne réussira à l’emporter et la date du début du contrat sera retardée inutilement.

[Traduction]

Le 16 juillet 1999, le Ministère a reçu une demande d’achat de Santé Canada concernant l’invitation à soumissionner en question.

Un message électronique entre Santé Canada et le Ministère, daté du 4 août 1999, se lit, notamment, comme suit :

Objet : Justification relative à un marché du type à fournisseur unique

Le présent projet, qui comporte cinq études [. . .] a commencé le 30 juin et doit être achevé au plus tard le 31 septembre.

[Traduction]

Le 10 août 1999, M. Liefeld a envoyé au Ministère une télécopie qui mentionne, notamment, ce qui suit :

Vous trouverez ci-joint un relevé estimatif détaillé des coûts, conformément à votre demande de la semaine dernière. Je devrais souligner que le projet a commencé le 17 juin et que plus de 50 p. 100 du travail est maintenant accompli.

[Traduction]

Le 13 août 1999, un PAC relatif à l’invitation à soumissionner en question fixant la date de clôture au 30 août 1999 a été diffusé par l’intermédiaire du Service électronique d’appel d’offres canadien (MERX). Le PAC indique que le marché n’est assujetti à aucun accord commercial. Il y est également mentionné que le marché ne sera pas passé en application d’une stratégie d’approvisionnement concurrentielle pour motif de droits exclusifs. Il y est aussi indiqué que la valeur estimative de l’invitation est de 100 000 $.

Un autre message électronique entre Santé Canada et le Ministère, daté du 16 août 1999, mentionne ce qui suit :

Je m’excuse d’avoir autant tardé. J’ai reçu un appel téléphonique de John Liefeld concernant vos préoccupations au sujet de son indemnité journalière et de sa présence aux réunions de collecte de données [. . .] nous (Santé Canada) acceptons la proposition de M. Liefeld et recommandons l’établissement définitif du contrat dès que possible.

[Traduction]

Sires Inc. (Sires) a contesté le PAC dans une missive datée du 27 août 1999. Dans une lettre du 29 août 1999, M. Luik a aussi contesté le PAC.

Le 30 août 1999, le Ministère a accusé réception des deux contestations du PAC.

Dans un message électronique entre Santé Canada et M. Liefeld, daté du 31 août 1999, M. Liefeld a déclaré, notamment, ce qui suit :

Une grande partie du rapport final a été rédigée, et je prévois que nous pourrons respecter la date limite du 31 septembre.

[Traduction]

Dans un autre message électronique entre M. Liefeld et Santé Canada, daté du 4 septembre 1999, M. Liefeld a déclaré, notamment, ce qui suit :

L’absence de contrat me rend de plus en plus nerveux! J’espère que vous pouvez résoudre cette question avant d’entreprendre vos nouvelles fonctions.

[Traduction]

Une note au dossier, datée du 7 septembre 1999, faisant rapport d’une conversation téléphonique tenue le même jour entre Santé Canada et le Ministère, indique que Santé Canada avait reçu les deux contestations. La note indique, notamment, ce qui suit :

Il (agent de Santé Canada) nous a avisé que la première chose qu’il nous faut apprendre des deux fournisseurs, c’est s’ils ont travaillé pour l’industrie du tabac depuis trois ans – cela les placerait dans une situation de conflit d’intérêts possible et ils ne seraient pas admissibles pour ce projet.

[Traduction]

Le 9 septembre 1999, le Ministère a envoyé une télécopie à M. Luik et à Sires, demandant d’autres détails concernant leur expérience à mener un projet semblable, y compris le nom du client pour qui ledit projet a été réalisé. La télécopie faisait également mention que le BCT avait donné avis que « tout fournisseur qui a effectué des travaux pour l’industrie du tabac depuis trois ans est réputé être en situation de conflit d’intérêts possible et n’est donc pas admissible pour ce projet » [traduction].

Une lettre de Sires, datée du même jour, adressée au Ministère, mentionne, notamment, ce qui suit :

En prenant connaissance des renseignements demandés et des conditions posées par le « Bureau de contrôle du tabac », je constate qu’il existe deux poids, deux mesures : ceux qui ont déjà travaillé pour les contrôleurs du ministère de la Santé ne seraient pas en conflit d’intérêt au même titre que ceux qui auraient conseillé des entreprises ou organismes privés œuvrant dans l’industrie du tabac. D’un point de vue économique et ethnologique, c’est un fait important que je vous remercie de m’avoir fait découvrir.

J’ai aussi été intéressé de constater que le gouvernement confie des contrats à ses petits copains avant de les annoncer publiquement.

Vous comprendrez que, dans ces conditions, et pour appeler un chat un chat, il m’apparaîtrait immoral de travailler pour votre tyrannie administrative — même si, d’autre part, celle-ci paie ses conseillers avec l’argent qu’elle m’oblige par la force à payer en impôts.

Le 17 septembre 1999, M. Luik a répondu au Ministère, exprimant son désaccord sur l’élimination proposée d’un fournisseur à cause d’un « conflit d’intérêts possible par opposition à un conflit d’intérêts réel » [traduction] et a indiqué qu’il avait travaillé pour l’industrie du tabac au cours des trois années précédentes. Le 21 septembre 1999, des discussions ont été tenues entre Santé Canada et le Ministère au sujet du travail en cours de M. Liefeld et de l’adjudication de ce contrat. Le 4 octobre 1999, M. Luik a communiqué avec le Ministère au sujet de l’état de la procédure en question. Le Ministère a informé M. Luik que les choses étaient présentement dans les mains de Santé Canada et que le Ministère attendait les directives de Santé Canada sur la façon de procéder. Le 12 octobre 1999, Santé Canada a annulé la procédure de marché public que le Ministère avait entreprise et a annoncé qu’il effectuerait lui-même la rémunération de M. Liefeld. Cela a été confirmé dans un message électronique daté du 22 octobre 1999.

Le 27 octobre 1999, M. Luik a téléphoné au Ministère, pour s’informer à nouveau de l’évolution de la situation. À cette occasion, M. Luik a été avisé que Santé Canada avait annulé la procédure et que toute autre question devrait être adressée au BCT.

BIEN-FONDÉ DE LA PLAINTE

Position du Ministère

Le Ministère a indiqué, en premier lieu, que la plainte se rapporte à un marché public du type à fournisseur unique comme tel, ainsi qu’à un contrat passé entre Santé Canada et M. Liefeld, et que, pour la préparation du RIF, le Ministère a abondamment consulté Santé Canada.

Le Ministère a soutenu que M. Luik n’a pas qualité de « fournisseur potentiel » au sens des articles 30.1 et 30.11 de la Loi sur le TCCE, puisqu’il a travaillé pour l’industrie du tabac au cours des trois dernières années. Étant donné de telles circonstances, M. Luik ne serait donc pas admissible à titre de chercheur convenable pour mener une étude de consommation indépendante pour le compte du BCT. Le Ministère a soutenu que l’évitement d’un conflit d’intérêts, ainsi que de l’apparence ou de la possibilité d’un conflit d’intérêts, est un élément important de l’intégrité de toute procédure d’adjudication d’un contrat portant sur des études indépendantes. Cela explique pourquoi les considérations relatives au conflit d’intérêts s’appliquent au contrat en question.

En outre, le Ministère a soutenu que les considérations relatives au conflit d’intérêts s’appliquent à tous les marchés publics et que, en l’espèce, l’interdiction de situations de conflit d’intérêts énoncée dans les clauses contractuelles concernant le conflit d’intérêts s’appliquait même si lesdites clauses ne sont pas expressément mentionnées par renvoi dans le PAC. De même, le Ministère a soutenu que l’intégrité de la création de politiques réglementaires gouvernementales est protégée lorsque ceux qui fournissent des avis d’expert ou mènent des études indépendantes pour le gouvernement ne sont pas, dans les faits ou en apparence, liés avec l’industrie qui fait l’objet des règlements sur le conflit d’intérêts. En outre, le Ministère a soutenu que la désapprobation juridique de « la simple apparence d’un conflit d’intérêts » dans la profession juridique s’appliquait à la situation présente et justifiait de prendre des précautions pour empêcher les conflits d’intérêts dans le contrat en question.

Le Ministère a soutenu que, d’une façon générale, les codes et les politiques concernant les conflits d’intérêts n’établissent pas de distinction entre les restrictions qui s’appliquent à un conflit d’intérêts « réel » et à un conflit d’intérêts « possible » ou apparent. Le Ministère a soutenu que, si le Tribunal devait déterminer que le « caractère imprécis » de l’exigence en matière de conflit d’intérêts dans la présente affaire est susceptible de donner lieu à l’application d’une mesure discriminatoire, en violation du paragraphe 1008(1) de l’ALÉNA, ou que ladite exigence limite indûment la concurrence, en violation de l’alinéa 1009(2)b) de l’ALÉNA et des alinéas 504(3)b) et g) de l’ACI, une telle détermination remettrait en question le bien-fondé de l’application des lignes directrices générales en matière de conflit d’intérêts à tous les marchés publics, ce qui compromettrait la possibilité du gouvernement d’examiner attentivement les soumissionnaires et les entrepreneurs en fonction des considérations pertinentes à la question du conflit d’intérêts.

En ce qui a trait à l’allégation de M. Luik selon laquelle son droit à la liberté d’association, garanti par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés [6] , a été violé par la déclaration du Ministère qu’il ne serait pas admissible à effectuer le travail en question puisqu’il a travaillé pour l’industrie du tabac au cours des trois dernières années, le Ministère a soutenu que le Tribunal n’a pas compétence pour statuer sur cette question constitutionnelle, sur l’interprétation de la Charte et sur son application à la procédure de passation du marché public en question.

Pour ce qui est des accusations d’inconduite délibérée de la part des agents du gouvernement formulées par M. Luik, le Ministère a soutenu qu’il n’existe pas de fondement dans les faits ni de raison d’accuser d’inconduite ou de « malveillance » délibérée qui que ce soit dans les circonstances. Selon le Ministère, les agents étaient d’avis que le marché en question n’était pas assujetti aux exigences des accords commerciaux parce que, selon eux, le service à exécuter n’était pas visé par les accords commerciaux. En outre, il était nécessaire d’exécuter le contrat de façon urgente étant donné les délais serrés liés à la procédure réglementaire. De toute façon, le Ministère a soutenu que, étant donné l’urgence et l’importance du besoin, il n’aurait pas été dans l’intérêt public de lancer un appel d’offres.

Par conséquent, le Ministère a soutenu que, bien qu’une erreur puisse avoir été commise lorsqu’il a été déterminé que le marché public n’était pas assujetti aux règles des accords commerciaux relatives aux marchés publics, ce qui a donné naissance à certains problèmes et à des erreurs de communication avec M. Luik, rien ne démontre de quelque manière que ce soit que les agents ont fait preuve d’une « malveillance » délibérée.

En outre, le Ministère a soutenu que l’affirmation de M. Luik, selon laquelle l’adjudication d’un contrat du type à fournisseur unique à M. Liefeld revient à avoir « été jugé devant ses pairs comme incompétent pour effectuer un travail dans son propre pays », est dénuée de tout fondement. En fait, le Ministère a fait observer que l’intérêt de M. Luik à l’endroit du marché public en question n’était pas connu avant le dépôt de sa plainte.

De même, le Ministère a soutenu que les dommages liés à une perte d’occasion d’améliorer sa réputation ne s’appliquent que dans des circonstances très limitées, soit lorsque la réputation joue une importance capitale dans la tâche exécutée. Les scientifiques ou les chercheurs ne font pas partie du petit groupe de personnes ainsi visées.

Finalement, le Ministère a dit dénuée de tout fondement la demande de remboursement de M. Luik pour la perte d’occasion de contrats semblables futurs, puisqu’une telle demande est non motivée, non spécifique, lointaine et, par conséquent, non remboursable.

Le Ministère a demandé d’avoir l’occasion de présenter des observations sur le remboursement des frais dans la présente affaire.

Position de M. Luik

M. Luik a soutenu que les faits incontestés de la plainte ne montrent pas une confusion innocente de la part des responsables de l’administration du marché public. « Ils démontrent une action délibérément trompeuse à l’endroit de M. Luik et une manipulation cynique de la procédure du PAC, produisant une situation où M. Luik tentait de bonne foi d’obtenir le contrat et où Santé Canada prétendait examiner sa candidature potentielle en vue du travail, au moment où, dans les faits, Santé Canada savait très bien que le contrat avait déjà été adjugé » [traduction]. Il est remarquable, selon M. Luik, que le Ministère, dont le mandat comprend le fait de veiller à ce que les obligations et les politiques pertinentes aux marchés publics du gouvernement fédéral soient respectées, n’ait rien trouvé de répréhensible à une telle conduite.

En ce qui a trait à l’argument du Ministère selon lequel M. Luik n’avait pas qualité pour déposer une plainte parce qu’il n’est pas un fournisseur potentiel au sens de l’article 30.11 de la Loi sur le TCCE, M. Luik a soutenu que cet argument est tautologique. S’il était accepté, cela signifierait que la décision d’une entité fédérale de déclarer une soumission irrecevable signifierait, ipso facto, que le fournisseur en cause n’aurait jamais qualité devant le Tribunal. Un tel état des choses saperait la procédure de contestation des offres.

Pour ce qui est de l’affirmation du Ministère selon laquelle les agents du gouvernement ignoraient que le marché public en question était assujetti aux accords commerciaux, M. Luik a soutenu que l’ignorance de la loi n’excuse personne et a dit trouver un tel argument répréhensible de la part du Ministère. En outre, M. Luik a soutenu qu’aucun élément de preuve mis à la disposition du Tribunal ne démontre que Santé Canada n’a pas suffisamment été averti des exigences de la procédure réglementaire et que, par conséquent, le Ministère n’était nullement justifié d’utiliser, dans le RIF, l’urgence comme excuse d’un acte fautif.

En ce qui concerne les dispositions sur la question du « conflit d’intérêts », M. Luik a soutenu que les paragraphes 506(4) et (6) de l’ACI interdisent expressément l’imposition d’exigences qui ne sont pas énoncées dans les documents d’appel d’offres. En outre, si une condition portant sur le conflit d’intérêts doit faire partie des critères d’évaluation dans un appel d’offres, elle doit être énoncée clairement, y compris la méthode d’évaluation de la conformité des soumissions. M. Luik a ajouté que le RIF ne contient aucun élément de preuve qu’il existait une telle condition obligatoire au moment où on a adjugé le contrat à M. Liefeld, ni qu’on ait vérifié si M. Liefeld satisfaisait à une telle exigence.

M. Luik a soutenu que la déclaration comprise dans le RIF, selon laquelle la question du conflit d’intérêts imposée au cours de la procédure de contestation du PAC « était conforme à la politique de Santé Canada sur les conflits d’intérêts », est incorrecte. En outre, M. Luik a soutenu que la limite de trois ans assortie à la condition sur le conflit d’intérêts était arbitraire et n’avait aucun lien logique avec un quelconque objectif raisonnable.

Toute condition portant sur le conflit d’intérêts, selon M. Luik, doit viser à garantir à la fois l’impartialité et l’indépendance de la personne retenue pour exécuter la tâche. Il s’agit là d’un objectif raisonnable. Toute condition liée au conflit d’intérêts qui vise à n’éliminer que les personnes qui ont travaillé au cours des trois dernières années pour l’industrie du tabac, et non celles qui ont travaillé pour Santé Canada dans des dossiers liés au tabac au cours des trois dernières années, est discriminatoire et ne garantit ni l’impartialité ni l’indépendance.

La condition liée au conflit d’intérêts, selon M. Luik, a été appliquée d’une manière absolue par Santé Canada, qui n’a pas tenté de déterminer s’il était effectivement partial, ou non, ou s’il était insuffisamment indépendant, ou non, en l’absence de toute évaluation du type ou de l’étendue du travail qu’il a exécuté pour « l’industrie du tabac » ou d’analyse de l’existence d’un conflit. M. Luik a soutenu que la condition est vague et qu’il est impossible de l’appliquer d’une manière rationnelle et, par conséquent, qu’elle est susceptible d’être appliquée de façon discriminatoire.

Quant à son affirmation selon laquelle la condition portant sur le conflit d’intérêts contrevient au droit de liberté d’association enchâssé dans la Charte, M. Luik a soutenu que le Tribunal est un « tribunal compétent » et qu’il a autorité sur les parties, la question en litige et les mesures correctives recherchées. Il a ajouté qu’il ne demande pas au Tribunal de faire annuler ou déclarer invalide une loi. Plutôt, il demande une décision selon laquelle la condition liée au conflit d’intérêts, en l’espèce, n’est pas rationnellement liée à l’objectif d’impartialité et d’indépendance recherché, que l’atteinte qu’elle porte n’est pas négligeable et que l’effet néfaste d’une telle atteinte l’emporte sur son effet salutaire. Par conséquent, selon M. Luik, le Tribunal devrait en l’espèce déclarer inconstitutionnelle l’application, par Santé Canada, de ladite disposition sur le conflit d’intérêts et ordonner à Santé Canada de renoncer et mettre fin à l’utilisation des dispositions concernant le conflit d’intérêts en vue d’empêcher des fournisseurs potentiels d’exécuter des services scientifiques et professionnels pour Santé Canada.

Pour ce qui est de l’affirmation du Ministère contenue dans le RIF selon laquelle il n’y aurait pas de fondement à l’allégation de M. Luik, que le marché public a été passé de mauvaise foi de manière à éviter les obligations découlant des accords commerciaux, M. Luik a soutenu qu’il n’y a aucune autre manière d’interpréter les faits liés à l’adjudication du contrat par Santé Canada à M. Liefeld, alors que Santé Canada affirmait à tout le monde (y compris peut-être au Ministère) que le marché public allait de l’avant aux termes d’un PAC.

Dans ses observations du 24 février 2000, M. Luik a soutenu que les renseignements complémentaires divulgués par le Ministère le 17 février 2000 montrent clairement que le Ministère « était en complète complicité avec Santé Canada durant toute la procédure en question » [traduction]. M. Luik a soutenu que les circonstances de l’affaire sont encore plus troublantes qu’il ne l’a décrit dans sa plainte, ce qui renforce sa demande de redressement. En conclusion, M. Luik a soutenu que le défaut du Ministère de reconnaître le caractère répréhensible de sa conduite — en vérité, son insistance à prétendre que la plainte est frivole — fait qu’il est d’une importance capitale que le Tribunal protège l’intégrité de la procédure de passation des marchés publics en condamnant d’autant plus vigoureusement la conduite du Ministère et de Santé Canada.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, lorsqu’il a décidé d’enquêter, limiter son étude à l’objet de la plainte. En outre, à la fin de l’enquête, le Tribunal doit déterminer le bien-fondé de la plainte en fonction du respect des critères et des procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l’article 11 du Règlement prévoit notamment que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux exigences énoncées dans l’ALÉNA et l’ACI.

En premier lieu, le Tribunal trouve non fondée l’affirmation du Ministère selon laquelle M. Luik n’a pas qualité à titre de « fournisseur potentiel » au sens des articles 30.1 et 30.11 de la Loi sur le TCCE parce qu’il a effectué des travaux pour l’industrie du tabac au cours des trois dernières années. Le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE prévoit qu’un fournisseur potentiel (défini à l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE comme étant « tout soumissionnaire — même potentiel — d’un contrat spécifique ») peut déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure de passation d’un marché public. Le Tribunal est d’avis que la qualification des fournisseurs en conformité avec les termes d’une invitation à soumissionner est clairement un aspect de la procédure de passation du marché public qu’un fournisseur potentiel a droit de contester devant le Tribunal. Priver quelqu’un de ce droit, pour les mêmes raisons que celles visant la contestation, serait permettre au Ministère de juger à la place du Tribunal et faire naître un simple simulacre de mécanisme de contestation des offres. En outre, le Tribunal est d’avis que les éléments au dossier montrent clairement que M. Luik est un expert internationalement reconnu dans le domaine des études de consommation et qu’il possède une connaissance approfondie de l’industrie du tabac. Le Ministère et Santé Canada n’ont jamais contesté ces titres et qualités dans leur réponse au PAC. De même, il est clair que M. Luik avait l’intention de présenter une offre dans le cadre de l’invitation à soumissionner en question, comme le démontre le fait qu’il ait contesté le PAC et qu’il ait déposé une plainte. Par conséquent, il était un soumissionnaire éventuel et un fournisseur potentiel.

Pour ce qui est de la question de savoir si le marché public en question se rapporte à un contrat spécifique, le Tribunal fait observer que, le 16 novembre 1999, il a accepté d’enquêter sur la plainte de M. Luik sur la foi, notamment, d’une décision portant que l’invitation à soumissionner en question visait la fourniture de services prévus dans le code B3, « Études de soutien administratif », du Système commun de classification, et plus précisément dans les catégories B301, « Analyses de données (autres que scientifiques) » et B304, « Études de la réglementation ». Il s’agit de deux catégories de services qui ne sont pas exclues de la portée de l’ALÉNA ou de l’ACI lorsqu’ils sont achetés par Santé Canada ou en son nom. De même, le Tribunal a déterminé, étant donné la valeur estimative de 100 000 $ annoncée dans le PAC, que l’appel d’offres en question satisfaisait les limites financières tant de l’ALÉNA que de l’ACI pour la fourniture de services. Les parties n’ont pas contesté les décisions susmentionnées. De fait, le Ministère a reconnu dans le RIF avoir commis une erreur lorsqu’il a conclu que le « contrat spécifique » en question n’était assujetti à aucun accord commercial.

En ce qui a trait au bien-fondé de la présente affaire, le Tribunal déterminera si la justification invoquée par le Ministère et par Santé Canada pour expliquer le recours à une procédure d’appel d’offres limitée en l’espèce est valide aux termes de l’ALÉNA et de l’ACI et si le Ministère et Santé Canada ont clairement énoncé dans le PAC, et dans les documents d’appel d’offres connexes, tous les critères d’évaluation et la méthode d’évaluation de ces critères.

En ce qui concerne la justification du marché du type à fournisseur unique énoncée dans le PAC, c.-à-d. « Droits exclusifs », le Tribunal conclut qu’une telle justification n’est pas fondée dans les faits. L’alinéa 1016(2)b) de l’ALÉNA [7] et l’alinéa 506(12)a) de l’ACI [8] , qui traitent des circonstances dans lesquelles une entité peut utiliser les procédures d’appel d’offres limitées, font tous deux mention de la protection des « droits exclusifs » dans le contexte de brevets, de droits d’auteur, d’autres droits exclusifs et de renseignements de nature exclusive. En fait, ni le Ministère ni Santé Canada n’ont présenté d’affirmation à cet égard relativement à cette condition. Le Ministère n’a jamais prouvé une telle justification devant le Tribunal. Le Ministère et Santé Canada ont plutôt recouru à des arguments selon lesquels il n’y avait « personne de meilleur » que M. Liefeld pour exécuter les travaux (les termes utilisés dans le PAC sont que M. Liefeld est « dans la meilleure position pour garantir que le présent projet sera mené à terme avec succès et rapidement » [traduction]) ou qu’il était urgent que le contrat soit adjugé et le travail exécuté. Quant au premier argument, le Tribunal fait observer qu’être la « meilleure » personne ou « la personne qui est dans la meilleure position pour exécuter un travail spécifique » n’est pas un motif admissible du recours à une procédure d’appel d’offres limitée. En fait, le Tribunal est d’avis que le terme « meilleur » implique l’existence d’autres personnes compétentes capables d’exécuter le travail requis et qu’un jugement subjectif a été rendu pour déterminer quelle personne était la plus compétente pour réaliser le travail. Cela revient à tenir un concours secret sans diffuser d’avis. Quant au motif d’urgence dont il est fait mention à l’alinéa 1016(2)c) de l’ALÉNA et à l’alinéa 506(11)a) de l’ACI, le Tribunal conclut qu’il s’agit là d’un argument qui a été invoqué post facto dans le RIF et qu’il est dénué de tout fondement. Le besoin de nouveaux règlements et de leur évaluation dans le cadre du processus d’étude d’impact de la réglementation gouvernementale était connu depuis l’adoption par le Parlement de la nouvelle législation sur le tabac il y a environ deux ans; en outre, les éléments de preuve au dossier montrent que Santé Canada a commencé à parler de ce besoin à M. Liefeld au début de 1999.

Quant à la question de l’évaluation, le Tribunal fait observer que l’alinéa 506(4)c) de l’ACI prévoit que l’avis d’appel d’offres doit comporter « les conditions d’obtention des documents d’appel d’offres ». L’alinéa 1009(2)a) de l’ALÉNA prévoit également que les conditions de participation des fournisseurs aux procédures d’appel d’offres seront publiées assez longtemps à l’avance pour permettre aux fournisseurs d’accomplir les formalités de qualification. De même, le paragraphe 1008(1) de l’ALÉNA prescrit que les procédures de passation des marchés seront appliquées de façon non discriminatoire. Le Tribunal fait observer que, en l’espèce, le PAC énonçait expressément qu’« aucune copie de la demande de proposition ni des autres documents d’appel d’offres n’est disponible ». Le Tribunal est d’avis qu’il était d’une importance cruciale dans de telles circonstances que le PAC comporte un énoncé clair de tous les critères qui pouvaient empêcher la qualification d’un fournisseur potentiel, tels que les contraintes liées à « l’expérience antérieure — au conflit d’intérêts » utilisées par Santé Canada pour éliminer Sires et M. Luik. Cependant, il n’est nulle part fait mention de telles contraintes dans le PAC, et encore moins de la façon dont le Ministère et Santé Canada les appliqueraient pour déterminer l’admissibilité des fournisseurs potentiels. Le Tribunal est d’avis que le PAC a complètement omis de signaler qu’un travail antérieur au service de l’industrie du tabac au cours des trois années précédentes donnerait naissance à une situation de conflit d’intérêts possible suffisante pour éliminer un fournisseur potentiel et que le PAC n’a pas fourni quelque indication que ce soit sur la manière dont le critère lié au conflit d’intérêts serait appliqué. Le PAC a aussi omis de publier un tel critère assez longtemps à l’avance pour permettre aux fournisseurs d’accomplir les formalités de qualification. De plus, rien ne prouve que le critère a été appliqué dans le cadre de la sélection de M. Liefeld.

Le Tribunal est d’avis que, si une entité a l’intention d’inclure des conditions obligatoires dans son appel d’offres ou, le cas échéant, dans un PAC, elle est tenue de veiller à ce que de telles conditions soient énoncées d’une façon claire et transparente, qu’il soit possible de les évaluer et de les appliquer de façon non discriminatoire, qu’elles soient essentielles à l’exécution du contrat et qu’elles ne soient pas modifiées au cours de la procédure d’invitation à soumissionner sans la diffusion d’un avis satisfaisant et sans l’octroi d’un délai suffisant pour que les fournisseurs potentiels puissent réagir à la modification. Le Tribunal est d’avis que la condition se rapportant au travail antérieur pour l’industrie du tabac et la présumée apparence de conflit d’intérêts qui s’y rattache, en l’espèce, ne satisfaisait à aucun des critères susmentionnés. Le Ministère et Santé Canada ont soutenu que les dispositions en matière de conflit d’intérêts étaient implicites, puisqu’elles font partie des procédures normales de Santé Canada. Le Tribunal n’est pas convaincu par cet argument. Mis à part le fait qu’elles ne répondaient pas aux critères susmentionnés, le Ministère ou Santé Canada n’ont pas présenté d’éléments de preuve pour établir que de telles procédures étaient destinées à d’autres personnes que les conseillers externes des comités techniques et, même alors, les termes en étaient différents et laissaient place à une certaine forme d’arbitrage.

Pour les motifs ci-dessus, le Tribunal conclut que le marché public n’a pas été passé conformément aux accords commerciaux et que, par conséquent, la plainte est fondée.

Pour déterminer la mesure corrective appropriée, le Tribunal doit examiner toutes les circonstances pertinentes au marché public, énoncées au paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE. Dans ce contexte, le Tribunal rend les conclusions de fait ci-après. Santé Canada a adjugé le marché public en question à M. Liefeld en juin 1999. En juillet 1999, Santé Canada a demandé au Ministère d’entreprendre une procédure de passation d’un marché public pour le même besoin en publiant un PAC, tout en sachant pertinemment à ce moment que l’action décrite dans le PAC n’était pas à venir, mais passée. Au moment de la publication du PAC, le Ministère et Santé Canada savaient tous deux que le contrat était déjà bien en voie d’exécution, puisque, selon les termes mêmes de M. Liefeld, plus de 50 p. 100 du travail avait déjà été accompli.

Deux fournisseurs potentiels, Sires et M. Luik, ont fait opposition au PAC et ont affirmé qu’ils pouvaient exécuter le travail. Le Tribunal est d’avis que, d’après les conditions d’admissibilité décrites dans le PAC, les deux fournisseurs potentiels susmentionnés étaient crédibles.

Nonobstant le fait que le projet arrivait à son terme et qu’un n’aurait pas pu être adjugé de façon réaliste à un nouveau fournisseur, le Ministère et Santé Canada ont poursuivi la procédure du PAC comme s’il s’agissait d’une procédure valide. De plus, Santé Canada a présenté de nouvelles conditions obligatoires qui ont poussé Sires à retirer son opposition et qui ont retardé encore plus la qualification de M. Luik, le plaçant pratiquement dans l’impossibilité de participer. Finalement, Santé Canada a fait savoir qu’il annulait le besoin pour cacher mieux encore le fait que le marché public était achevé.

Le Tribunal est d’avis que les actions susmentionnées du Ministère et de Santé Canada sont contraires tant à la lettre qu’à l’esprit des accords commerciaux. Que le Ministère et Santé Canada ont continué à induire les fournisseurs potentiels en erreur, alors que le Ministère et Santé Canada savaient qu’il était impossible auxdits fournisseurs potentiels de participer au marché public en question, démontre clairement un manque de bonne foi. Le Tribunal est d’avis qu’il est particulièrement regrettable que le Ministère ait été impliqué dans de telles manœuvres trompeuses, étant donné qu’il incombe au Ministère de protéger l’efficience et l’intégrité de la procédure de passation des marchés publics.

À la lumière de ce qui précède et étant donné le fait que le contrat avait déjà été exécuté en grande partie, le Tribunal recommande que le Ministère indemnise M. Luik en reconnaissance de sa perte d’une occasion de tirer des profits du contrat en question. De plus, le Tribunal, pour établir définitivement le quantum de l’indemnité destiné à M. Luik, examinera les mémoires du Ministère et de Santé Canada au sujet du dommage causé à l’intégrité et à l’efficacité du mécanisme d’adjudication, étant donné surtout le manque de bonne foi démontré par Santé Canada et le Ministère.

DÉCISION DU TRIBUNAL

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal détermine que le marché public n’a pas été passé conformément aux exigences de l’ALÉNA et de l’ACI et que, par conséquent, la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, que le Ministère présente au Tribunal une proposition d’indemnité élaborée conjointement avec M. Luik, qui tienne compte des points suivants : a) l’occasion perdue par M. Luik, celui-ci n’ayant pu présenter une soumission recevable en l’espèce et peut-être remporter le marché; b) le dommage causé à l’intégrité et à l’efficacité du système d’approvisionnement concurrentiel; c) le manque de bonne foi dans l’adjudication de ce marché démontré par le Ministère et Santé Canada. Ladite proposition doit être présentée au Tribunal dans les 30 jours suivant la réception de l’exposé des motifs.

Aux termes des paragraphes 30.15(4) et 30.16(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à M. Luik le remboursement des frais raisonnables qu’il a engagés pour le dépôt et le traitement de sa plainte ainsi que les frais liés à sa contestation du PAC.


1. L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [ci-après Loi sur le TCCE].

2. 32 I.L.M. 289 ( entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ci-après ALÉNA].

3. Signé à Ottawa (Ontario) le 18 juillet 1994 [ci-après ACI].

4. D.O.R.S. /93-602 [ci-après Règlement].

5. D.O.R.S. /91-499.

6. (Loi constitutionnelle de 1982, R.-U., partie I) [ci-après Charte].

7. b) lorsque, du fait qu’il s’agit de travaux d’art ou pour des raisons liées à la protection de brevets, de droits d’auteur ou d’autres droits exclusifs ou de renseignements de nature exclusive, ou en l’absence de concurrence pour des raisons techniques, les produits ou services ne pourront être fournis que par un fournisseur particulier et qu’il n’existera aucun produit ou service de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisant.

8. a) pour assurer la compatibilité avec des produits existants, pour assurer le respect de droits exclusifs tels des droits d’auteur ou des droits fondés sur une licence ou un brevet, ou encore pour l’entretien de produits spécialisés, lorsque cet entretien doit être effectué par le fabricant ou son représentant.


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Publication initiale : le 13 avril 2000