3775356 CANADA INC.


3775356 CANADA INC.
Dossiers nos PR-2011-018 et PR-2011-019

Décision prise
le lundi 15 août 2011

Décision et motifs rendus
le vendredi 16 septembre 2011


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À des plaintes déposées aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47

PAR

3775356 CANADA INC.

CONTRE

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur décide de ne pas enquêter sur les plaintes.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur1, tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics2, déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

2. Les plaintes portent sur des marchés publics (invitations nos E60ZN-110001/A, demande d’offre à commandes [DOC], et E60ZN-090002/B, demande d’arrangement en matière d’approvisionnement [DAMA]) passés par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) en vue de la prestation de services professionnels centrés sur les tâches, désignés sous le nom de « Services professionnels centrés sur les tâches et les solutions ». Selon les deux invitations, les services en question comprennent les classes de services suivants : services de ressources humaines, services en affaires et services de gestion de projet.

3. 3775356 Canada Inc. allègue que la DOC et la DAMA, qui contiennent des exigences similaires, sont excessivement restrictives. En outre, 3775356 Canada Inc. allègue que certaines modalités de la DOC et de la DAMA ne sont pas claires et peuvent donner lieu à des conflits d’intérêts apparents. À titre de mesure corrective, 3775356 Canada Inc. demande, entre autres, que le Tribunal ordonne à TPSGC de supprimer des deux invitations en question et de toute autre invitation similaire ultérieure toute référence à des exigences qui empêchent, sans justification appropriée, les experts-conseils constitués en personne morale de soumissionner. 3775356 Canada Inc. demande aussi que toute exigence qui pourrait autoriser des experts-conseils à évaluer leurs pairs ou pourrait leur donner la responsabilité d’évaluer le travail d’experts-conseils de sociétés concurrentes soit aussi supprimée des invitations en question et de toute autre invitation similaire ultérieure.

4. L’alinéa 7(1)c) du Règlement exige que le Tribunal détermine si les renseignements fournis par la partie plaignante démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure des marchés publics n’a pas été suivie conformément au chapitre 10 de l’Accord de libre-échange nord-américain3, au chapitre cinq de l’Accord sur le commerce intérieur4, à l’Accord sur les marchés publics5, au chapitre Kbis de l’Accord de libre-échange entre le Canada et le Chili6, au chapitre 14 de l’Accord de libre-échange entre le Canada et le Pérou7 ou au chapitre quatorze de l’Accord de libre-échange entre le Canada et la République de Colombie8, selon le cas. En l’espèce, l’ALÉNA, l’ACI, l’ALÉCC et l’ALÉCP s’appliquent9.

5. Autrement dit, le Tribunal doit examiner la plainte pour déterminer si les renseignements qu’elle contient démontrent, dans une mesure raisonnable, que l’entité acheteuse a mené le marché public d’une manière contrevenant à l’un des accords commerciaux applicables. Le Tribunal peut décider d’enquêter seulement s’il détermine que cette condition est remplie.

6. Le 15 juillet 2011, TPSGC publiait la DOC et la DAMA. La date limite des invitations était le 30 août 2011.

7. La DOC et la DAMA toutes les deux contiennent les dispositions suivantes :

Annexe A de la section B

Besoin

[...]

2.14 SPÉCIALISTE EN LA MATIÈRE

CETTE CATÉGORIE NE PEUT ÊTRE UTILISÉE QU’AU SEIN D’UNE ÉQUIPE AYANT RECOURS À DES EXPERTS-CONSEILS EN SERVICES D’ÉVALUATION DE LA CATÉGORIE 2.12 OU À DES EXPERTS-CONSEILS EN MESURE DU RENDEMENT DE LA CATÉGORIE 2.13.

[...]

Les services requis peuvent comprendre les suivants, sans toutefois s’y limiter :

[...]

11. Siéger à des comités d’évaluation de pairs ou à des comités d’évaluation similaires ou à titre de tierce partie pour l’examen de documents d’évaluation préliminaires;

[...]

[Nos italiques, traduction]

8. Le 19 juillet 2011, 3775356 Canada Inc. envoyait un courriel à TPSGC au sujet du besoin d’un spécialiste en la matière, énoncé dans la DOC. 3775356 Canada Inc. demandait que soient supprimées les parties en italique de l’exigence citée ci-dessus. 3775356 Canada Inc. soutenait que cette exigence excluait injustement les petits entrepreneurs (les entreprises constituées d’une seule personne, c’est-à-dire les experts brevetés dans leur domaine d’expertise possédant le savoir-faire requis) de la possibilité d’être embauchés à titre de spécialistes en la matière au moyen d’un contrat direct avec le gouvernement. 3775356 Canada Inc. faisait aussi valoir qu’une évaluation de pairs ne devrait pas être déléguée à des tiers spécialistes en la matière en raison du fait qu’évaluer le travail des membres d’une équipe de projet de cette façon peut donner lieu à des conflits d’intérêts apparents entre entreprises travaillant pour le même client. De l’avis de 3775356 Canada Inc., les personnes qui participent à des évaluations de pairs devraient faire partie du même groupe, c’est-à-dire qu’elles devraient être rémunérées par le même employeur et ne pas être des employés de sociétés concurrentes.

9. Le 25 juillet 2011, 3775356 Canada Inc. envoyait un autre courriel à TPSGC demandant à nouveau que soient supprimées les parties en italique de l’exigence citée ci-dessus. Le 29 juillet 2011, à la demande de TPSGC, 3775356 Canada Inc. clarifiait sa demande de modification de la catégorie « spécialiste en la matière » telle qu’énoncée dans son courriel du 25 juillet 2011 et ajoutait que la question concernait à la fois la DOC et la DAMA.

10. Le 29 juillet 2011, TPSGC indiquait dans la modification no 005 apportée à la DOC qu’il n’envisageait pas supprimer le passage suivant de l’invitation : « Cette catégorie ne peut être utilisée qu’au sein d’une équipe ayant recours à des experts-conseils en services d’évaluation de la catégorie 2.12 ou à des experts-conseils en mesure du rendement de la catégorie 2.13. » Il ajoutait dans la même modification qu’il n’envisageait pas non plus de supprimer le paragraphe 11 de la catégorie 2.14 concernant la participation de spécialistes en la matière à des évaluations de pairs. Ainsi, il est clair que TPSGC a refusé la réparation demandée par 3775356 Canada Inc.

11. Le Tribunal remarque que les 29 juillet et 1er août 2011, 3775356 Canada Inc. envoyait des courriels additionnels à TPSGC dans lesquels elle lui demandait de lui expliquer sa décision et de clarifier le sens des termes « équipe » et « pairs » figurant dans l’exigence en question. Selon les renseignements fournis dans les plaintes, TPSGC n’a pas répondu à ces courriels. Toutefois, la modification no 005 apportée à la DOC énonçait clairement que TPSGC ne modifierait pas ni ne clarifierait cette exigence.

12. Le 8 août 2011, 3775356 Canada Inc. déposait ses plaintes auprès du Tribunal.

13. L’article 403 de l’ACI, qui s’applique au chapitre 5 en vertu de l’article 500, prévoit que, « [s]ous réserve de l’article 404, chaque Partie s’assure que les mesures qu’elle adopte ou maintient n’ont pas pour effet de créer un obstacle au commerce intérieur. »

14. L’article 506(6) de l’ACI prévoit en partie ce qui suit : « Les documents d’appel d’offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l’évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d’évaluation des critères. »

15. L’article 1007(1) de l’ALÉNA prévoit que « [c]hacune des Parties fera en sorte que les spécifications techniques établies, adoptées ou appliquées par ses entités n’aient pas pour but ni pour effet de créer des obstacles non nécessaires au commerce. »

16. En ce qui concerne la documentation relative à l’appel d’offres, l’article 1013(1) de l’ALÉNA prévoit en partie ce qui suit :

1. La documentation relative à l’appel d’offres [...] devra contenir tous les renseignements nécessaires pour [...] permettre [aux fournisseurs] de présenter des soumissions valables [...]. La documentation contiendra également :

[...]

g) une description complète des produits ou services demandés et de toutes autres exigences [...].

17. L’AMP, l’ALÉCC et l’ALÉCP contiennent des dispositions similaires.

18. Tel que le Tribunal l’a affirmé par le passé, en général, l’entité acheteuse a le pouvoir de définir ses propres besoins en matière d’approvisionnement10. Cependant, le Tribunal a aussi indiqué que, même si une entité acheteuse a le droit de définir les paramètres d’une DP, elle doit le faire d’une façon raisonnable. Par exemple, les entités acheteuses ne sont pas autorisées à établir des conditions impossibles à satisfaire11.

19. 3775356 Canada Inc. allègue que l’exigence qu’un spécialiste en la matière fasse partie d’une équipe empêche des experts qualifiés constitués en personne morale (c’est-à-dire des entreprises constituées d’une seule personne) de soumettre une offre en réponse aux invitations. 3775356 Canada Inc. allègue en outre qu’il y a un manque de clarté dans les invitations, car les expressions « Composition de l’équipe » [traduction] et « Évaluation de pairs » [traduction] ne sont pas définies dans les exigences ayant trait à la catégorie « spécialiste en la matière ». 3775356 Canada Inc. allègue aussi qu’un expert-conseil ne devrait pas avoir la responsabilité d’évaluer ou de vérifier le travail d’autres experts-conseils qui travaillent pour des concurrents parce que cela pourrait donner lieu à des conflits d’intérêts apparents.

20. En ce qui concerne l’allégation de 3775356 Canada Inc. selon laquelle les expressions « Composition de l’équipe » et « Évaluation de pairs » ne sont pas bien définies dans les invitations, le Tribunal remarque que ni la DOC ni la DAMA ne contiennent ces expressions. De toute façon, le Tribunal conclut que les termes de l’exigence 2.14 en ce qui concerne les spécialistes en la matière dans les deux invitations sont suffisamment clairs pour permettre aux soumissionnaires potentiels de comprendre la nature et l’étendue des services qu’ils avaient à offrir.

21. En ce qui concerne l’allégation de 3775356 Canada Inc. selon laquelle les invitations excluent injustement les petites entreprises de la procédure des marchés publics en question, les plaintes ne contiennent aucun renseignement indiquant que l’exigence selon laquelle les soumissionnaires doivent proposer une équipe de spécialistes en la matière n’est pas une exigence opérationnelle légitime. Le Tribunal est d’avis que TPSGC avait le droit de formuler tout besoin réel et raisonnable qu’il pouvait avoir et que les accords commerciaux n’imposent pas aux institutions fédérales l’obligation de compromettre leurs besoins opérationnels légitimes afin de tenir compte des circonstances particulières d’un fournisseur potentiel en tant qu’entreprise. À cet égard, le Tribunal remarque qu’il y a des précédents concernant le fait qu’une institution fédérale puisse faire l’acquisition de biens ou services au moyen d’une invitation qui peut avoir pour résultat d’exclure certains fournisseurs ou d’être plus exigeante à l’égard d’un fournisseur potentiel12.

22. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que les allégations de 3775356 Canada Inc. n’indiquent pas, dans une mesure raisonnable, que la procédure des marchés publics n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables. Plus précisément, le Tribunal conclut que l’exigence selon laquelle le spécialiste en la matière doit faire partie d’une équipe n’apparaît pas être excessivement restrictive et, par conséquent, le Tribunal s’en remet à l’entité acheteuse pour ce qui est de définir les paramètres des invitations en question.

23. Enfin, en ce qui concerne l’allégation de 3775356 Canada Inc. selon laquelle l’exigence que le spécialiste en la matière ait la responsabilité d’évaluer ou de vérifier le travail d’autres experts-conseils qui pourraient travailler pour des concurrents, de façon à donner lieu à des conflits d’intérêts apparents, le Tribunal conclut que les plaintes n’indiquent pas, dans une mesure raisonnable, que les invitations, telles que rédigées, contreviennent à aucune des dispositions des accords commerciaux applicables. De l’avis du Tribunal, cette allégation n’est fondée que sur des suppositions. Il n’y a aucune indication, et encore moins d’éléments de preuve, qui suggère que le simple fait qu’on puisse demander aux spécialistes en la matière proposés par les soumissionnaires gagnants, dans le cadre des services requis, de siéger à des comités d’évaluation de pairs ou à des comités d’évaluation similaires ou à titre de tierce partie pour l’examen de documents d’évaluation puisse donner lieu à des conflits d’intérêts apparents. De toute façon, le Tribunal remarque que si une question de pratique répréhensible était soulevée eu égard à un spécialiste en la matière par rapport à l’exécution de son travail, il s’agirait d’une affaire d’administration de contrat ou d’exécution de contrat, ce qui ne relève pas de sa compétence13.

24. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal n’enquêtera pas sur la plainte et tient la question pour réglée.

DÉCISION

25. Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal décide de ne pas enquêter sur la plainte.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

3 . Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

4 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/index_fr/ait.htm> [ACI].

5 . 15 avril 1994, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/final_f.htm> [AMP].

6 . Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République du Chili, 4 décembre 1996, R.T.C. 1997, no 50 (entré en vigueur le 5 juillet 1997) [ALÉCC]. Le chapitre Kbis, intitulé « Marchés publics », est entré en vigueur le 5 septembre 2008.

7 . Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Pérou, en ligne : le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 1er août 2009) [ALÉCP].

8 . Accord de libre-échange entre le Canada et la République de Colombie, en ligne : le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 15 août 2011) [ALÉCCO].

9 . La DOC et la DAMA ont été publiées avant l’entrée en vigueur de l’ALÉCCO. De plus, les plaintes ont été déposées avant l’entrée en vigueur de l’ALÉCCO. Ainsi, l’ALÉCCO ne s’applique pas en l’espèce.

10 . Voir, par exemple, Re plainte déposée par FLIR Systems Ltd. (25 juillet 2002), PR-2001-077 (TCCE).

11 . Voir, par exemple, Re plainte déposée par MTS Allstream Inc. (5 août 2005), PR-2004-061 (TCCE).

12 . Voir, par exemple, Re plainte déposée par CAE Inc. (7 septembre 2004), PR-2004-008 (TCCE); Re plainte déposée par Eurodata Support Services Inc. (30 juillet 2001), PR-2000-078 (TCCE); Re plainte déposée par Bajai Inc. (7 juillet 2003), PR-2003-001 (TCCE).

13 . Aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE, une plainte déposée auprès du Tribunal doit porter sur la « procédure des marchés publics » relativement à un contrat spécifique. L’ALÉNA et l’ACI prévoient de façon similaire que la « procédure des marchés publics » débute au moment où une entité décide des produits ou services à acquérir et se poursuit jusqu’à l’adjudication du marché.