SUNNY JAURA S/N JAURA ENTERPRISES


SUNNY JAURA S/N JAURA ENTERPRISES
c.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Dossier no PR-2012-007

Ordonnance et motifs rendus
le mercredi 5 septembre 2012


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À une plainte déposée par Sunny Jaura s/n Jaura Enterprises aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

EU ÉGARD À D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

SUNNY JAURA S/N JAURA ENTERPRISES Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX Institution fédérale

ORDONNANCE

Aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, le Tribunal canadien du commerce extérieur rejette par la présente la plainte.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Membre du Tribunal : Serge Fréchette, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Alain Xatruch

Agent des dossiers de marchés publics : Josée B. Leblanc

Partie plaignante : Sunny Jaura s/n Jaura Enterprises

Institution fédérale : Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques pour l’institution fédérale : Susan D. Clarke
Ian McLeod
Roy Chamoun

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

1. Le 19 juin 2012, Sunny Jaura s/n Jaura Enterprises (Jaura) déposait une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur1 concernant un marché public (invitation no W847A-120109/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de la Défense nationale (MDN) en vue de la prestation de services d’hébergement temporaire à Mesa, Arizona.

2. Jaura allègue que TPSGC et le MDN ont incorrectement déclaré sa proposition non conforme à l’égard de certaines exigences techniques obligatoires de l’invitation. À titre de mesure corrective, Jaura demande de recevoir une indemnisation d’un montant équivalent à la valeur du contrat qui, selon elle, aurait dû lui être adjugé. Elle demande également le remboursement des frais qu’elle a engagés pour la préparation de sa soumission ainsi que pour sa plainte.

3. Le 26 juin 2012, le Tribunal informait les parties que la plainte avait été acceptée à des fins d’enquête puisqu’elle satisfaisait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics2. Le 28 juin 2012, TPSGC accusait réception de la plainte et informait le Tribunal qu’un contrat avait été adjugé à Oakwood Temporary Housing (Oakwood) de Bellevue, Washington.

4. Le 23 juillet 2012, TPSGC déposait un rapport de l’institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal conformément à l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur3. Le 26 juillet 2012, Jaura déposait ses observations sur le RIF.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

5. Le 6 mars 2012, TPSGC publiait une demande de propositions (DP) pour la prestation de services d’hébergement temporaire à Mesa. Ces services d’hébergement étaient requis pour une période de 10 mois, avec option de renouvellement facultatif de 6 mois supplémentaires, pour les employés des Forces canadiennes en affectation temporaire à l’usine de Boeing située à Mesa, relativement à l’achat prévu par le gouvernement du Canada de 15 hélicoptères de transport moyen à lourd.

6. La date de clôture de l’invitation était le 29 mars 2012. TPSGC a reçu des propositions de Jaura et d’Oakwood, qu’elle a ensuite acheminées aux fonctionnaires du MDN, agissant à titre de responsables techniques, aux fins de l’évaluation technique. Les 11 et 12 mai 2012, le MDN visitait les propriétés proposées par Jaura et Oakwood.

7. Le 31 mai 2012, TPSGC informait Jaura que sa proposition avait été déclarée non conforme à deux exigences techniques obligatoires. Il informait également Jaura qu’un contrat, au montant de 78 432 $US, avait été adjugé à Oakwood.

8. Le même jour, Jaura demandait la tenue d’une séance d’information, laquelle avait lieu avec les fonctionnaires de TPSGC, par téléphone, le 1er juin 2012.

9. Le 7 juin 2012, TPSGC faisait parvenir à Jaura les justifications écrites du MDN appuyant sa conclusion selon laquelle la proposition de Jaura était non conforme à deux exigences techniques obligatoires. Le même jour, Jaura avisait TPSGC que la justification du MDN n’était pas acceptable et qu’elle souhaitait porter cette décision en appel. Le 12 juin 2012, TPSGC renvoyait Jaura au Tribunal.

10. Le 19 juin 2012, Jaura déposait sa plainte auprès du Tribunal.

ANALYSE DU TRIBUNAL

Question de compétence

11. Dans son RIF, TPSGC a soulevé comme question préliminaire la compétence du Tribunal. TPSGC soutient que chacun des accords commerciaux prévus dans le Règlement (c.-à-d. l’Accord de libre-échange nord-américain4, l’Accord sur le commerce intérieur5, l’Accord sur les marchés publics6, l’Accord de libre-échange entre le Canada et le Chili7, l’Accord de libre-échange Canada-Pérou8, et l’Accord de libre-échange Canada-Colombie9) prévoit que l’accord en question ne s’applique qu’aux marchés publics dont la valeur est égale ou supérieure aux seuils spécifiés. Il soutient que ces accords commerciaux prévoient également que la valeur d’un marché public doit, à cette fin, être établie en fonction de la valeur estimative du marché public à la date de publication de l’avis de projet de marché (APM), en tenant compte de tous les renouvellements facultatifs.

12. TPSGC soutient qu’au début de la procédure de passation du marché public, le MDN lui a remis une demande d’achat de services, datée du 2 mars 2012, dans laquelle il estimait la valeur totale du marché public proposé à 56 500 $, en tenant compte de la période initiale de 10 mois et du renouvellement facultatif de 6 mois, ainsi que des taxes applicables. TPSGC soutient que puisque ce montant n’est pas équivalent aux seuils spécifiés pour les services aux termes de l’ALÉNA, de l’ACI, de l’AMP, de l’ALÉCC, de l’ALÉCP et de l’ALÉCCO, aucun de ses accords commerciaux ne s’applique au présent marché public et que, par conséquent, le Tribunal n’a pas compétence pour enquêter sur la plainte.

13. TPSGC soutient de plus que l’ALÉNA, l’ALÉCP et l’ALÉCCO ne s’appliquent pas au présent marché public, car les services fournis au MDN tombent dans une catégorie de services expressément exclus de l’application de ces accords commerciaux. Il soutient de plus que l’ACI ne s’applique pas au présent marché public, car celui-ci vise la prestation de services aux États-Unis.

14. Dans ses observations sur le RIF, Jaura soutient qu’il appert clairement du libellé de la DP que tout contrat en découlant, et les relations entre les parties, sont régis par la loi en vigueur au Québec, et que tout tel contrat doit être interprété conformément à celle-ci. Elle soutient que la DP ne prévoit aucunement que le contrat est régi par les lois des États-Unis.

15. Le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE prévoit que « [t]out fournisseur potentiel peut [...] déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. »

16. L’article 30.1 de la Loi sur le TCCE définit un « contrat spécifique » comme un « [c]ontrat relatif à un marché de fournitures ou services qui a été accordé par une institution fédérale — ou pourrait l’être —, et qui soit est précisé par règlement, soit fait partie d’une catégorie réglementaire. »

17. Le paragraphe 3(1) du Règlement prévoit ce qui suit : « [...] est un contrat spécifique tout contrat relatif à un marché de fournitures ou services ou de toute combinaison de ceux-ci, accordé par une institution fédérale — ou qui pourrait l’être — et visé, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie, à l’article 1001 de l’ALÉNA, à l’article 502 de l’[ACI], à l’article premier de l’[AMP], à l’article Kbis-01 du chapitre Kbis de l’[ALÉCC], à l’article 1401 du chapitre quatorze de l’[ALÉCP] ou à l’article 1401 du chapitre quatorze de l’[ALÉCCO]. »

18. Les contrats devant mener à l’acquisition de services par des entités publiques fédérales sont décrits dans les dispositions susmentionnées comme ayant une valeur égale ou supérieure à 78 500 $ (l’ALÉNA, l’ALÉCC, l’ALÉCP et l’ALÉCCO), 100 000 $ (l’ACI) et 205 100 $ (l’AMP).

19. L’article 5 du Règlement prévoit que la valeur d’un contrat est présumée être la valeur établie par l’institution fédérale à la date de publication de l’APM ou au moment où l’appel d’offres a été mis à la disposition des fournisseurs potentiels10. Tous les accords commerciaux prévoient, de façon similaire, que la valeur d’un contrat est la valeur estimée par l’institution fédérale à la date de publication de l’APM ou au début de la procédure de passation du marché public11. Les accords commerciaux prévoient également que pour estimer la valeur d’un contrat, l’institution fédérale doit tenir compte de tous les renouvellements facultatifs12.

20. Lorsque le Tribunal a accepté la plainte de Jaura aux fins d’enquête le 26 juin 2012, il l’a fait en tenant compte de la valeur du contrat adjugé à Oakwood et du montant total de la soumission de Jaura, qui étaient tous deux supérieurs à 78 500 $13. Le Tribunal ne disposait alors que de ces renseignements, puisque l’APM publié sur MERX14 par TPSGC n’indiquait aucune valeur estimative du contrat.

21. Toutefois, le Tribunal dispose à présent d’une copie de la demande d’achat de services fournie à TPSGC par le MDN, dans laquelle la valeur totale estimative du marché est établie à 56 500 $, en tenant compte du renouvellement facultatif de 6 mois et des taxes applicables15. Le Tribunal remarque que la demande d’achat est datée du 2 mars 2012, soit moins d’une semaine avant la publication de la DP et de l’APM.

22. Bien que le Tribunal dispose d’éléments de preuve indiquant clairement qu’à la date de la publication de l’APM ou vers cette date, la valeur estimative du marché était inférieure aux seuils monétaires spécifiés dans les accords commerciaux, ce seul fait n’empêche pas le Tribunal d’enquêter sur la plainte. Les accords commerciaux prévoient l’interdiction pour les entités publiques de choisir un mode d’évaluation ayant pour but d’éviter les obligations découlant des accords16. Par conséquent, si le Tribunal est d’avis qu’un mode d’évaluation a été choisi dans le but d’éviter les obligations découlant des accords commerciaux, il peut avoir compétence pour enquêter sur une plainte, même si les seuils monétaires spécifiés dans les accords commerciaux ne sont pas atteints.

23. En l’espèce, le Tribunal n’a aucune raison de croire que le MDN a choisi un mode d’évaluation dans le but d’éviter les obligations découlant des accords commerciaux. Bien que la valeur du contrat adjugé à Oakwood et le montant total de la soumission de Jaura soient tous deux supérieurs à la valeur du marché estimée par le MDN, cela peut découler du fait que TPSGC n’a reçu que des propositions de deux soumissionnaires. Enfin, le Tribunal est satisfait que la valeur estimative de 56 500 $ pour le contrat n’est pas déraisonnable.

24. Puisque la valeur estimative du contrat est inférieure aux seuils monétaires spécifiés dans l’ALÉNA, l’ACI, l’AMP, l’ALÉCC, l’ALÉCP et l’ALÉCCO, le Tribunal conclut qu’aucun de ces accords ne s’applique et que, par conséquent, la plainte ne porte pas sur un « contrat spécifique ». Par conséquent, le Tribunal n’a pas compétence pour enquêter sur la plainte. Dans ces circonstances, la plainte n’est pas fondée et doit, par conséquent, être rejetée conformément à l’alinéa 10a) du Règlement.

25. Puisque le Tribunal a déjà conclu qu’aucun des accords commerciaux ne s’applique, il n’est pas tenu d’examiner les autres arguments soulevés par TPSGC à l’égard de l’applicabilité de l’ALÉNA, de l’ACI, de l’ALÉCP et de l’ALÉCCO.

Frais

26. L’article 30.16 de la Loi sur le TCCE permet au Tribunal d’accorder le remboursement des frais aux parties plaignantes ou aux institutions fédérales. Quant à savoir si des frais doivent être accordés en l’espèce, le Tribunal considère que même si la plainte est rejetée pour les motifs énoncés ci-dessus, sur le plan pratique, la procédure de plainte aurait pu prendre fin plus tôt si TPSGC, avant de déposer son RIF, avait déposé une requête pour demander le rejet de la plainte au motif que le Tribunal n’avait pas compétence pour enquêter sur celle-ci. En fait, si TPSGC avait indiqué une valeur estimative du contrat dans l’APM, le Tribunal n’aurait peut-être pas accepté la plainte aux fins d’enquête17. Par conséquent, dans les circonstances de l’espèce, aucuns frais ne sont accordés.

ORDONNANCE DU TRIBUNAL

27. Aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement, le Tribunal rejette par la présente la plainte.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

3 . D.O.R.S./91-499.

4 . Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

5 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/index_fr/ait.htm> [ACI].

6 . 15 avril 1994, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/final_f.htm> [AMP].

7 . Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République du Chili, R.T.C. 1997, no 50 (entré en vigueur le 5 juillet 1997) [ALÉCC]. Le chapitre Kbis, intitulé « Marchés publics », est entré en vigueur le 5 septembre 2008.

8 . Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Pérou, en ligne : le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 1er août 2009) [ALÉCP].

9 . Accord de libre-échange entre le Canada et la République de Colombie, en ligne : le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 15 août 2011) [ALÉCCO].

10 . Le Tribunal remarque qu’il est tout à fait logique de se fonder sur la valeur estimative d’un contrat à la date de publication d’un APM puisque, dans les faits, l’institution fédérale ne connaîtra la valeur finale du contrat adjugé qu’à la fin de la procédure de passation du marché public et que l’institution fédérale, ainsi que les soumissionnaires potentiels, doivent savoir dès le début de la procédure si les accords commerciaux s’appliquent ou non.

11 . Voir le paragraphe 1002(2) de l’ALÉNA, le paragraphe 505(1) de l’ACI et la note 2 du paragraphe II(1) de l’AMP. Le paragraphe Kbis-01(5) de l’ALÉCC, le paragraphe 1401(5) de l’ALÉCP et le paragraphe 1401(5) de l’ALÉCCO sous-entendent que l’estimation doit être faite au début de la procédure de passation du marché public.

12 . Voir le paragraphe 1002(7) de l’ALÉNA, le paragraphe II(6) de l’AMP, le paragraphe Kbis-01(5) de l’ALÉCC, le paragraphe 1401(5) de l’ALÉCP et le paragraphe 1401(5) de l’ALÉCCO. La définition de l’expression « valeur du marché public » énoncée à l’article 518 de l’AMP prévoit qu’on ne doit tenir compte des renouvellements facultatifs que lorsque la partie obligatoire du marché s’étend sur une durée de moins d’un an.

13 . Le contrat adjugé à Oakwood était d’un montant de 78 432 $US. Après conversion en dollars canadiens, ce montant excédait 78 500 $.

14 . Service électronique d’appel d’offres du Canada.

15 . RIF, pièce 1.

16 . Voir le paragraphe 1002(4) de l’ALÉNA, le paragraphe 505(3) de l’ACI, le paragraphe II(3) de l’AMP, le paragraphe 1401(5) de l’ALÉCP et le paragraphe 1401(5) de l’ALÉCCO. Le paragraphe Kbis-01(4) de l’ALÉCC interdit indirectement de tels actes.

17 . Le Tribunal remarque que bien que l’APM indique qu’aucun des accords commerciaux ne s’applique, le Tribunal ne peut s’appuyer sur cet énoncé, car les motifs qui sous-tendent leur inapplicabilité ne sont pas évidents et que les APM contiennent parfois certaines erreurs.