MISTRAL SECURITY INC.


MISTRAL SECURITY INC.
c.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Dossier no PR-2012-035

Ordonnance rendue
le vendredi 3 mai 2013

Motifs rendus
le jeudi 9 mai 2013


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À une plainte déposée par Mistral Security Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET À LA SUITE D'une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

ET À LA SUITE D'une requête déposée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux le 22 mars 2013, aux termes de l'article 24 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, dans laquelle il était demandé que la plainte soit rejetée pour le motif que le Tribunal canadien du commerce extérieur n'a pas compétence pour poursuivre son enquête.

ENTRE

MISTRAL SECURITY INC. Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX Institution fédérale

ORDONNANCE

Aux termes de l'alinéa 10a) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, le Tribunal canadien du commerce extérieur rejette par la présente la plainte.

Aux termes de l'article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Mistral Security Inc. le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux. L'indication provisoire du montant de l'indemnisation donnée par le Tribunal canadien du commerce extérieur est de 10 000 $. Si l'une ou l'autre des parties n'est pas d'accord en ce qui a trait à l'indication provisoire du montant de l'indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur dans les 10 jours ouvrables suivant la date d'émission des motifs de la présente ordonnance. Le Tribunal canadien du commerce extérieur se réserve la compétence de fixer le montant définitif de l'indemnisation.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

L'exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

1. Le 24 décembre 2012, Mistral Security Inc. (Mistral) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur1 concernant un marché public (invitation no W8486-136120/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de la Défense nationale (MDN) pour la fourniture de conteneurs de stockage d'explosifs.

2. Mistral allègue que TPSGC n'a pas respecté ses obligations aux termes de l'Accord sur le commerce intérieur2 et de l'Accord de libre-échange nord-américain3 parce qu'il n'a pas accordé suffisamment de temps aux fournisseurs pour préparer et présenter leur soumission, qu'il n'a pas fourni des critères clairs d'évaluation des propositions et d'adjudication du contrat, qu'il n'a pas assuré un accès égal au marché public à tous les fournisseurs potentiels et qu'il a biaisé les spécifications techniques de la demande de propositions (DP) au profit d'un autre fournisseur. À titre de mesure corrective, Mistral demande au Tribunal de recommander que l'invitation soit annulée, modifiée et lancée à nouveau. Elle demande également au Tribunal d'ordonner à TPSGC de reporter l'adjudication du contrat jusqu'à ce que sa plainte ait fait l'objet d'une enquête. En outre, Mistral demande le remboursement des frais liés à sa plainte.

3. Le 3 janvier 2013, le Tribunal a informé les parties qu'il avait décidé d'enquêter sur la plainte puisqu'elle satisfaisait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics4. Le même jour, aux termes du paragraphe 30.13(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a ordonné à TPSGC de reporter l'adjudication de tout contrat jusqu'à ce que le Tribunal ait déterminé le bien-fondé de la plainte.

4. Le 7 janvier 2013, TPSGC a accusé réception de la plainte et informé le Tribunal qu'aucun contrat n'avait encore été adjugé.

5. Le 14 janvier 2013, TPSGC a affirmé que l'acquisition des biens en question était urgente et qu'un retard dans l'adjudication du contrat était contraire à l'intérêt public. Le 15 janvier 2013, conformément au paragraphe 30.13(4) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a annulé son ordonnance de report d'adjudication de contrat du 3 janvier 2013.

6. Le 29 janvier 2013, TPSGC a déposé un rapport de l'institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal conformément à l'article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur5.

7. Le 6 février 2013, Mistral a déposé un avis de requête, aux termes de l'article 24 des Règles, demandant au Tribunal de rendre une ordonnance enjoignant TPSGC et le MDN de déposer tous les documents ayant trait à la plainte et tout autre élément de preuve ou renseignement pouvant s'avérer nécessaires au règlement de la plainte. Mistral soutenait que le RIF ne comprenait aucun document concernant l'élaboration de la DP, l'établissement des spécifications techniques de celle-ci et la définition des critères d'évaluation, et pratiquement aucun document répondant aux questions précises soulevées dans la plainte. Mistral demandait également une prorogation du délai pour déposer ses observations sur le RIF.

8. Le 8 février 2013, TPSGC a fourni ses observations sur l'avis de requête. Il soutenait que certains des documents techniques que Mistral demandait contenaient des renseignements sensibles et classifiés dont la divulgation pourrait nuire à la sécurité nationale du Canada6. TPSGC affirmait également que, quoi qu'il en soit, les documents en question n'étaient pas pertinents à l'égard de l'objet principal de la plainte, à savoir si les spécifications techniques et les critères de l'invitation reflètent les besoins opérationnels légitimes de la Couronne.

9. Le 11 février 2013, Mistral a répondu aux observations de TPSGC. Mistral soutenait que TPSGC et le MDN étaient en possession de documents, de renseignements et d'éléments de preuve concernant les questions soulevées dans la plainte ou pouvant s'avérer nécessaires au règlement de la plainte et que les allégations de TPSGC concernant la sécurité nationale étaient trop générales et ne devaient pas être prises en compte. De plus, Mistral soutenait que la pertinence est une question que le Tribunal doit trancher par la voie de son processus d'enquête et que TPSGC doit produire les documents demandés afin que les parties et le Tribunal puissent les examiner.

10. Le 14 février 2013, le Tribunal a ordonné à TPSGC de lui fournir une liste de tous les documents en sa possession qui pourraient répondre à la demande de Mistral et d'inclure, pour chaque document, une brève explication de la raison pour laquelle le Tribunal ne devrait pas ordonner la divulgation de ce document.

11. Le 19 février 2013, TPSGC a répondu à la demande du Tribunal. Il a désigné cinq catégories possibles de documents dans sa réponse. Il convient de noter que TPSGC a affirmé que le gouvernement du Canada et le MDN ne détenaient aucun document concernant la première catégorie. Il a également affirmé que cinq des documents désignés comme faisant partie de la troisième catégorie étaient assujettis au secret pour raisons de sécurité nationale.

12. Le 22 février 2013, Mistral a présenté ses observations sur la liste de documents fournie par TPSGC. En ce qui concerne la première catégorie de documents, Mistral soutenait, contrairement à l'affirmation de TPSGC, que le dossier contenait des renseignements indiquant que des documents pertinents étaient en la possession de TPSGC ou du MDN. En ce qui a trait aux cinq documents pour lesquels le secret pour raisons de sécurité nationale a été invoqué, elle a affirmé que les documents semblaient contenir des renseignements pertinents à l'égard des questions soulevées dans sa plainte et que TPSGC n'avait pas suffisamment expliqué les raisons pour lesquelles il avait eu recours au secret pour raisons de sécurité nationale. Mistral demandait que ces documents soient produits ou, subsidiairement, qu'ils ne soient divulgués qu'au Tribunal afin que celui-ci puisse déterminer si une partie de ces documents devait être divulguée.

13. Le 27 février 2013, le Tribunal a demandé à TPSGC de lui fournir une liste des documents ou communications en sa possession ou en la possession du MDN concernant la première catégorie de documents. En ce qui a trait aux documents pour lesquels le secret pour raisons de sécurité nationale a été invoqué, le Tribunal a demandé à TPSGC de lui donner une explication du fondement juridique de ce recours, son avis à savoir si les documents pouvaient être présentés au Tribunal pour examen et évaluation et si une version expurgée de ces documents pouvait être produite et divulguée à la partie plaignante.

14. Le 4 mars 2013, TPSGC a répondu à la demande du Tribunal. Pour ce qui est de la première catégorie de documents, TPSGC soutenait ne pas avoir été en mesure de trouver de correspondance ou de communications internes. En ce qui a trait aux documents pour lesquels il a invoqué le secret pour raisons de sécurité nationale, TPSGC affirmait que la communication de ces documents pouvait entraîner, directement ou indirectement, la divulgation de la nature et les détails des activités du MDN, ce qui nuirait aux intérêts du Canada en matière de sécurité nationale. Il soutenait que le processus concernant la divulgation de ces renseignements est prévu à l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada7.

15. Le 7 mars 2013, Mistral a fourni ses observations sur la réponse de TPSGC quant à la demande du Tribunal. En ce qui concerne les documents pour lesquels le secret pour raisons de sécurité nationale a été invoqué, Mistral proposait que le Tribunal procède par déduction défavorable à l'égard de TPSGC et qu'il conclue que TPSGC refuse de produire ces documents parce qu'ils appuient la position de Mistral.

16. Le 18 mars 2013, le Tribunal a rendu une ordonnance de production de certains documents, y compris ceux pour lesquels TPSGC a invoqué le secret pour raisons de sécurité nationale. Dans son ordonnance, le Tribunal a reconnu que la divulgation des documents pour lesquels le secret pour raisons de sécurité nationale a été invoqué était assujettie à toute mesure prise par TPSGC ou le MDN aux termes de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada.

17. Le 22 mars 2013, date jusqu'à laquelle TPSGC avait pour obtempérer à l'ordonnance du Tribunal de production de documents, TPSGC a déposé une requête dans laquelle il demandait le rejet de la plainte pour le motif que le Tribunal n'a pas compétence pour enquêter sur la plainte, puisque le gouvernement du Canada avait invoqué l'exception au titre de la sécurité nationale prévue à l'article 1804 de l'ACI, à l'article 1018(1) de l'ALÉNA, au paragraphe XXIII(1) de l'Accord sur les marchés publics8 et au paragraphe Kbis 16(1) de l'Accord de libre-échange entre le Canada et le Chili9 par rapport au marché public en question. Selon TPSGC, une fois que le gouvernement du Canada a invoqué ces dispositions des accords commerciaux, cela a pour conséquence d'exempter le marché public en question du champ d'application des accords commerciaux. En l'espèce, puisque Mistral est un fournisseur situé aux États-Unis, l'ALÉNA et l'AMP sont les seuls accords commerciaux qui s'appliquent10.

18. À l'appui de sa requête, TPSGC a déposé une lettre datée du 20 mars 2013 provenant d'un sous-ministre adjoint du MDN, M. John Turner, adressée à M. Tom Ring, le sous-ministre adjoint de la Direction générale des approvisionnements de TPSGC, ainsi qu'une lettre datée du 21 mars 2013 adressée à M. Turner de la part de M. Ring. La lettre de M. Turner demandait que soit invoquée l'exception au titre de la sécurité nationale concernant l'acquisition de conteneurs de stockage d'explosifs destinés à deux emplacements du MDN. La lettre de M. Ring du 21 mars 2013 constitue une réponse à la demande de M. Turner. Dans cette lettre, M. Ring a convenu d'invoquer l'exception au titre de la sécurité nationale et d'exempter du champ d'application des accords commerciaux, y compris de l'ALÉNA et de l'AMP, l'acquisition de « conteneurs de stockage d'explosifs » [traduction].

19. Dans son avis de requête, TPSGC faisait remarquer que la Couronne en était venue à la conclusion d'invoquer l'exception au titre de la sécurité nationale prévue dans les accords commerciaux du Canada en réponse à l'ordonnance du Tribunal concernant la production de certains documents classifiés.

20. Mistral a présenté ses observations sur la requête de TPSGC le 27 mars 2013. Elle soutenait que le recours de TPSGC à l'exception au titre de la sécurité nationale n'était pas valable et allait au-delà des mesures nécessaires à la protection des intérêts essentiels en matière de sécurité désignés par TPSGC. Mistral demandait au Tribunal de rejeter la requête et de poursuivre son enquête sur la plainte. Subsidiairement, si le Tribunal accordait la requête de TPSGC, Mistral demandait une indemnisation d'un montant suffisant pour couvrir tous les frais juridiques et les débours, y compris les taxes applicables, qu'elle avait engagés dans le cadre de la plainte.

21. Le 3 avril 2013, TPSGC a informé le Tribunal qu'il n'avait aucun commentaire à faire relativement aux observations présentées par Mistral.

ANALYSE DU TRIBUNAL

22. L'article 1018 de l'ALÉNA et l'article XXIII de l'AMP prévoient des exceptions aux dispositions des accords commerciaux lorsqu'il est question de la sécurité nationale. L'article 1018(1) de l'ALÉNA prévoit expressément ce qui suit :

Aucune disposition du présent chapitre ne sera interprétée comme empêchant une Partie de prendre des mesures ou de taire des renseignements si elle l'estime nécessaire à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité, relativement à l'achat d'armes, de munitions ou de matériel de guerre, ou aux achats indispensables à la sécurité nationale ou aux fins de la défense nationale11.

23. Le Tribunal a précédemment indiqué que, lorsque le gouvernement du Canada décide qu'un marché public se rapporte à la sécurité nationale et invoque l'exception au titre de la sécurité nationale avant de lancer un appel d'offres, le Tribunal n'a pas compétence pour instruire une plainte liée à ce marché public12. Autrement dit, le Tribunal n'a pas le pouvoir de remettre en cause une détermination par le gouvernement fédéral qu'une question particulière se rapporte à la sécurité nationale :

Le Tribunal est d'avis qu'il ressort de la discussion ci-dessus, concernant [...] l'article 1804 de l'ACI, que le Tribunal n'a aucune compétence relativement à la détermination par le gouvernement qu'une question particulière se rapporte à la sécurité nationale13.

24. Cependant, en tant qu'autorité en matière de contestation des marchés publics aux termes des accords commerciaux, le Tribunal peut s'assurer que l'exception au titre de la sécurité nationale a effectivement été invoquée en bonne et due forme. Ainsi, le rôle du Tribunal, c'est-à-dire son pouvoir d'examen relativement aux exceptions concernant la sécurité nationale, est restreint. Il se limite à la question de savoir si l'invocation de l'exception au titre de la sécurité nationale a été effectivement et valablement faite dans le contexte d'une plainte particulière. Comme il a été établi dans Lotus Development et Opsis, le Tribunal doit être convaincu que l'exception concernant la sécurité nationale a été dûment invoquée par le gouvernement fédéral. Si ces conditions n'ont pas été remplies, alors le Tribunal n'assumerait pas sa responsabilité de veiller à ce que les marchés publics assujettis aux accords commerciaux soit passé conformément aux dispositions de ces accords commerciaux14.

25. Par conséquent, la question que le Tribunal doit trancher pour disposer de la requête de TPSGC consiste à déterminer si l'exception au titre de la sécurité nationale a été invoquée correctement et en temps voulu par le gouvernement du Canada. À cet égard, le Tribunal fait remarquer que ni l'ALÉNA ni l'AMP ne précise la manière dont l'exception au titre de la sécurité nationale doit être invoquée par le gouvernement fédéral. Autrement dit, il n'y a pas de règles qui établissent que l'invocation de l'exception doit être faite dans les documents d'appel d'offres ou qui imposent au gouvernement l'obligation de le faire à un moment précis ou à dans un délai particulier.

26. Le Tribunal est d'avis que le gouvernement n'est pas tenu de faire cette invocation et de l'annoncer publiquement au moment de la publication des documents d'appels d'offres15. La jurisprudence du Tribunal indique plutôt que l'exception au titre de la sécurité nationale peut être invoquée par le gouvernement à tout moment avant la fin de la procédure de passation d'un marché public et communiquée aux parties intéressées seulement après le dépôt d'une plainte auprès du Tribunal16.

27. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal doit s'assurer que l'invocation de l'exception au titre de la sécurité nationale vise le marché public en question et qu'elle a été faite en temps voulu. Le Tribunal doit aussi être convaincu que cette invocation de l'exception a été faite par une personne dûment autorisée.

28. En ce qui a trait à la première question, le Tribunal constate que l'exception au titre de la sécurité nationale invoquée dans la lettre de M. Ring datée du 21 mars 2013 concerne « [...] l'acquisition de conteneurs de stockage d'explosifs ». Le Tribunal est d'avis que cette déclaration renvoie clairement au marché public qui est l'objet de la plainte de Mistral et de l'enquête du Tribunal. Le Tribunal constate également qu'au moment de la rédaction de la lettre de M. Ring, aucun contrat n'avait encore été adjugé et que, par conséquent, cette exception a été invoquée avant la fin de la procédure de passation du marché.

29. En ce qui concerne la deuxième question de savoir si l'invocation de l'exception a été faite par une personne dûment autorisée, le Tribunal constate que M. Ring a invoqué l'exception au titre de la sécurité nationale le 21 mars 2013 à titre de sous-ministre adjoint de la Direction générale des approvisionnements de TPSGC. De l'avis du Tribunal, M. Ring exerce une fonction qui lui confère l'aptitude d'invoquer l'exception au titre de la sécurité nationale des accords commerciaux, en raison du pouvoir délégué par le gouvernement du Canada au ministre de TPSGC aux termes de l'article 6 de la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux17, conjointement avec l'alinéa 24(2)d) de la Loi d'interprétation18. De toute façon, le Tribunal constate que Mistral n'a pas contesté l'autorité de M. Ring pour invoquer l'exception au titre de la sécurité nationale au nom du gouvernement du Canada.

30. Ainsi, le Tribunal est convaincu qu'en l'espèce l'exception au titre de la sécurité nationale a été invoquée correctement et en temps voulu par le gouvernement du Canada.

31. Quelle que soit la décision du Tribunal quant à l'invocation de l'exception au titre de la sécurité nationale, le Tribunal tient à exprimer son opinion selon laquelle, si une exception prévue dans les accords commerciaux était vraiment nécessaire à la protection des intérêts essentiels du Canada en matière de sécurité dans le cadre de l'acquisition de conteneurs de stockage d'explosifs, cette exception aurait dû être invoquée beaucoup plus tôt dans la procédure de passation du marché public. L'invocation de l'exception au titre de la sécurité nationale en ce qui a trait à l'ensemble du marché public à ce stade avancé de la procédure semble aller au-delà des mesures nécessaires à la protection des intérêts essentiels en matière de sécurité désignés par TPSGC. TPSGC avait certainement accès à des recours moins draconiens.

32. À titre d'exemple, dans son avis de requête, TPSGC a indiqué que seule la divulgation de quelques documents particuliers était contraire aux intérêts du Canada en matière de sécurité nationale. Cependant, au lieu d'avoir recours au processus prévu à l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada ou d'invoquer une application plus étroite de l'exception au titre de la sécurité nationale qui n'aurait visé que les documents dont la publication était contraire aux intérêts du Canada en matière de sécurité nationale, TPSGC a choisi de procéder selon une méthode qui a gravement porté atteinte aux droits de Mistral.

33. Étant donné le moment de l'invocation de l'exception au titre de la sécurité nationale, ainsi que l'accessibilité à des voies de recours moins extrêmes qui auraient permis à TPSGC d'atteindre son objectif déclaré (par exemple la non-divulgation de quelques documents), les circonstances de l'invocation de l'exception au titre de la sécurité nationale en l'espèce laissent entendre au Tribunal qu'il puisse y avoir eu abus de l'exception.

34. Le Tribunal reconnaît n'avoir aucune compétence pour remettre en cause une détermination par le gouvernement fédéral qu'une question particulière se rapporte à la sécurité nationale. Le Tribunal est également conscient qu'il n'a aucune compétence pour rendre une décision quant à l'objectif de l'invocation à condition que l'exception ait été invoquée correctement et en temps voulu. Néanmoins, le Tribunal conclut que l'invocation de l'exception au titre de la sécurité nationale en l'espèce est douteuse.

35. La Cour d'appel fédérale a affirmé ce qui suit dans Opsis, Gestion d'infrastructure inc. c. Canada (Travaux publics et des Services gouvernementaux) en ce qui a trait aux possibilités d'abus de l'exception au titre de la sécurité nationale et aux voies de recours en cas d'abus :

[...] par ses effets, l'invocation de l'exception concernant la sécurité nationale contient les germes redoutables d'un abus. Lorsqu'invoquée, l'exception a pour effet de mettre un marché public d'offres à l'abri de toute contestation devant le Tribunal spécialisé en la matière. Or, elle peut receler des motifs obliques ou impropres qui la détournent de sa véritable finalité et justifient une révision judiciaire. Je m'empresse d'ajouter qu'il n'y a pas de preuve en ce sens dans le cas qui nous est soumis19.

36. En l'espèce, le Tribunal conclut, nonobstant les circonstances inhabituelles entourant l'invocation de l'exception au titre de la sécurité nationale, que le marché public en question est exempt du champ d'application de l'ALÉNA et l'AMP pour des raisons de sécurité nationale. Étant donné qu'aucun des accords commerciaux ne s'applique, le Tribunal conclut que la plainte ne vise pas un « contrat spécifique », tel que prévu au paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE. Par conséquent, le Tribunal n'a pas compétence pour enquêter sur la plainte.

37. Puisque le Tribunal, après avoir pris en considération les dispositions de l'ALÉNA, l'AMP et de la Loi sur le TCCE, a déterminé qu'il n'a pas compétence pour enquêter sur la plainte, il doit conclure que la plainte ne s'appuie sur aucun fondement valable et mettre fin à son enquête. Par conséquent, le Tribunal accorde la requête de TPSGC et rejette la plainte conformément au paragraphe 10a) du Règlement.

FRAIS

38. L'article 30.16 de la Loi sur le TCCE permet au Tribunal d'accorder le remboursement des frais aux parties plaignantes ou aux institutions fédérales. Quant à savoir si des frais doivent être accordés en l'espèce, le Tribunal considère que même si la plainte est rejetée pour les motifs énoncés ci-dessus, les circonstances exceptionnelles de l'espèce justifient l'attribution de frais à Mistral. Le Tribunal conclut que Mistral lui a présenté sa plainte de bonne foi, à un moment où l'exception au titre de la sécurité nationale n'avait pas encore été invoquée par TPSGC. De plus, comme indiqué en détail dans les motifs qui précèdent, l'enquête sur la présente plainte comprend de nombreuses soumissions, y compris une requête de production de documents déposée par Mistral, que le Tribunal a fini par lui accorder.

39. En outre, le Tribunal est d'avis que l'invocation de l'exception au titre de la sécurité nationale par TPSGC à un stade aussi avancé du processus d'enquête, en particulier lorsqu'il pouvait prendre des mesures moins draconiennes, a gravement porté atteinte aux droits de Mistral et obligé celle-ci à consacrer des ressources considérables pour exercer un recours auquel elle n'a plus accès.

40. Dans les circonstances, le Tribunal considère qu'il est juste qu'il fasse usage de son pouvoir discrétionnaire et qu'il s'écarte de sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public. Par conséquent, l'indication provisoire du montant de l'indemnisation donnée par le Tribunal est de 10 000 $.

ORDONNANCE DU TRIBUNAL

41. Aux termes de l'alinéa 10a) du Règlement, le Tribunal rejette par la présente la plainte.

42. Aux termes de l'article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à Mistral le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par TPSGC. L'indication provisoire du montant de l'indemnisation donnée par le Tribunal est de 10 000 $. Si l'une ou l'autre des parties n'est pas d'accord en ce qui a trait à l'indication provisoire du montant de l'indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date d'émission des motifs de la présente ordonnance. Le Tribunal se réserve la compétence de fixer le montant définitif de l'indemnisation.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur< http://www.ait-aci.ca/index_fr/ ait.htm> [ACI].

3 . Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

4 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

5 . D.O.R.S./91-499 [Règles].

6 . TPSGC a fait remarquer que la nature de ces documents était telle que l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada pouvait s'appliquer.

7 . L.R.C. 1985, c C-5.

8 . 15 avril 1994, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/final_f.htm> [AMP].

9 . Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République du Chili, R.T.C. 1997, no 50 (entré en vigueur le 5 juillet 1997). Le chapitre Kbis, intitulé « Marchés publics », est entré en vigueur le 5 septembre 2008.

10 . Bien qu'il n'y ait aucun renseignement dans le dossier de l'enquête concernant la valeur estimée du contrat à être adjugé, TPSGC n'a pas indiqué que les seuils monétaires aux termes de l'ALÉNA et de l'AMP n'avaient pas été atteints.

11 . L'article XXIII(1) de l'AMP contient une disposition quasiment identique.

12 . International Safety Research Inc. (14 juin 2006), PR-2006-007 (TCCE) [International Safety Research] à la p. 1.

13 . Lotus Development Canada Limited, Novell Canada, Ltd. et Netscape Communications Canada Inc. (14 août 1998), PR-98-005, PR-98-006 et PR-98-009 (TCCE) [Lotus Development] à la p. 13; Opsis, Gestion d'infrastructures Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (10 juin 2011) PR-2010-090 (TCCE) [Opsis] au para. 13.

14 . Lotus Development à la p. 13; Opsis au para. 14.

15 . Voir par exemple International Safety Research à la p. 1; Foundry Networks Inc. (19 mars 2003), PR-2002-064 (TCCE) [Foundry Networks] à la p. 2.

16 . International Safety Research à la p. 1; Foundry Networks à la p. 2; Opsis au para. 17.

17 . L.C. 1996, c. 16.

18 . L.R.C. 1985, c. I-21.

19 . 2012 CAF 42 (CanLII) au para. 16.