IBM CANADA LTÉE

Ordonnances


IBM CANADA LTÉE
Dossier no : PR-99-020

TABLE DES MATIÈRES


VERSION PUBLIQUE

Ottawa, le jeudi 7 septembre 2000

Dossier no : PR-99-020

EU ÉGARD À une plainte déposée par IBM Canada Ltée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET EU ÉGARD À une décision aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) et 30.16(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, qui a eu pour effet de recommander, comme il convient, le versement d'une indemnité en reconnaissance des profits perdus et d'accorder à IBM Canada Ltée le remboursement des frais qu'elle a engagés pour le dépôt et le traitement de sa plainte.

ORDONNANCE

INTRODUCTION

Dans une décision rendue le 5 novembre 1999, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a recommandé aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 , que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) évalue de nouveau la proposition reçue d'IBM Canada Ltée (IBM) en réponse à l'invitation no EN869-9-4022/A. Si le Ministère devait ensuite déclarer IBM adjudicataire conformément aux dispositions d'évaluation et d'adjudication énoncées dans les documents de l'appel d'offres, le Tribunal a recommandé, en outre, que le marché adjugé à Amdahl Canada Limitée soit résilié et soit, plutôt, octroyé à IBM.

À titre de solution de rechange, le Tribunal a recommandé que le Ministère présente au Tribunal une proposition d'indemnisation, élaborée conjointement avec IBM, en reconnaissance des profits que cette société aurait pu tirer du marché si ce dernier lui avait été adjugé.

Aux termes du paragraphe 30.16(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a accordé à IBM le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour le dépôt et le traitement de sa plainte.

Le Ministère a de nouveau évalué la proposition présentée par IBM conformément à la directive du Tribunal et a déclaré IBM adjudicataire. Dans le cadre de la nouvelle évaluation, il a été demandé à IBM de confirmer le prix qu'elle avait proposé, soit 808 911 $. Des discussions pour arriver à une proposition d'indemnisation élaborée conjointement ont eu lieu entre le Ministère et IBM au cours des mois de janvier et février 2000. Cependant, les parties n'ont pas pu s'entendre au sujet de l'indemnisation indiquée. Dans une lettre datée du 25 février 2000 adressée à IBM, le Ministère a offert à IBM de lui verser un montant de 255 616 $ pour l'indemniser de ses profits perdus. Cette offre n'a pas été acceptée. Dans une lettre datée du 29 février 2000, le Ministère a avisé le Tribunal de l'offre de règlement présentée par IBM et de la contre-offre du Ministère et a demandé au Tribunal d'accorder à IBM une indemnité au montant de 255 616 $. À la demande du Tribunal, le 3 mars 2000, IBM a présenté au Tribunal sa demande d'indemnité en reconnaissance des profits qu'elle a perdus parce que le marché ne lui a pas été adjugé. IBM a inclus, dans sa demande, des montants pour les contributions aux frais généraux attribuables au projet en cause et pour les dépenses engagées pour retenir les services de conseillers externes. Le Ministère a fait parvenir ses observations sur la demande d'IBM le 21 mars 2000. En réponse à la demande du 31 mars 2000 du Tribunal, IBM a fait parvenir ses observations le 7 avril 2000. Le 18 avril 2000, le Ministère a présenté ses commentaires sur les observations finales d'IBM. Le Tribunal a écrit à IBM, le 7 juillet 2000, et lui a demandé des renseignements à l'appui supplémentaires pour justifier sa réclamation pour pertes de profits, ainsi que le prévoit l'ébauche des Lignes directrices sur les indemnités dans une procédure portant sur un marché public (Lignes directrices sur les indemnités) rédigée par le Tribunal. Le 14 juillet 2000, IBM a répondu à la demande du Tribunal.

TOTAL DES FRAIS

Le Ministère a confirmé le prix de la soumission d'IBM, soit 808 911 $, en réponse à l'invitation à soumissionner. Dans une lettre du 16 février 2000 au Ministère, IBM a demandé [montant supprimé] pour les profits qu'elle aurait pu réaliser sur la vente de son matériel et pour l'entretien, le financement, les frais variables, le coût des conseillers externes, plus les frais qu'elle a engagés pour la préparation de son offre en réponse à l'invitation à soumissionner et pour le dépôt de sa plainte auprès du Tribunal. Dans sa lettre du 3 mars 2000 au Tribunal, le montant susmentionné a été augmenté à [montant supprimé] à cause du travail supplémentaire exigé des conseillers externes d'IBM entre le 16 février et le 3 mars 2000. De ce montant, IBM réclame [montant supprimé] pour les profits perdus, [montant supprimé] pour les frais généraux et 21 661 $ pour les services de conseillers externes.

IBM a calculé ses profits perdus, [montant supprimé], en soustrayant ses coûts pour l'acquisition du matériel, l'exécution de l'entretien et l'emprunt du montant nécessaire pour financer la location, c'est-à-dire [montant supprimé], d'un montant de [montant supprimé], soit la valeur liquidative du matériel.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Le Tribunal a recommandé que le marché soit adjugé à IBM ou qu'une indemnité lui soit versée, au montant que cette dernière accepte comme étant le montant des profits qu'elle a perdus parce que le marché ne lui a pas été adjugé. Le Tribunal a demandé à IBM et au Ministère de tenter d'arriver à un montant mutuellement acceptable en reconnaissance des pertes de profits d'IBM. Malgré leurs efforts, les deux parties n'ont pu s'entendre. Par conséquent, il incombe au Tribunal de décider d'un montant qui indemnise équitablement IBM de ses pertes de profits.

Le calcul des profits perdus est une tâche complexe, qui doit tenir compte de nombreux facteurs. Pour favoriser une démarche cohérente dans l'étude d'une telle question, le Tribunal a mis au point des Lignes directrices sur les indemnités (ébauche) et il a été demandé à IBM de les appliquer dans la présente cause. L'objet des Lignes directrices sur les indemnités est d'informer les parties à une procédure « de la méthode utilisée [par le Tribunal] pour déterminer le montant indiqué de l'indemnité et des principes fondamentaux qui peuvent le guider dans sa détermination dudit montant »2 . Elles informent les parties du type de renseignements que le Tribunal veut recevoir à l'appui des montants demandés. Les Lignes directrices sur les indemnités prévoient expressément que le Tribunal peut déroger à la méthode et aux principes qui s'y trouvent lorsque les circonstances le justifient.

Aux termes des Lignes directrices sur les indemnités, le Tribunal fonde sa décision sur « des données économiques, financières ou autres éléments probants fiables, et non sur des hypothèses et des conjectures »3 . Malgré qu'on lui ait demandé de suivre les Lignes directrices sur les indemnités, la réclamation d'IBM concernant ses profits perdus ne contient pas suffisamment de documents à l'appui ou de détails se prêtant à une analyse.

Dans ses observations au Tribunal du 7 avril 2000, IBM a exprimé sa réticence à fournir toute ventilation des coûts de revient du matériel, qui composent l'élément le plus important de sa réclamation concernant ses profits perdus, parce qu'elle révélerait des secrets commerciaux si elle le faisait. Même après que le Tribunal ait rappelé, le 7 juillet 2000, par écrit, à IBM que le Tribunal a établi des mesures de protection contre la divulgation non autorisée des renseignements confidentiels, aucunes autres « données économiques ou financières fiables » n'ont été soumises.

Le Tribunal se trouve confronté à deux choix en ce qui a trait au montant de l'indemnité. D'une part, IBM demande [montant supprimé] en reconnaissance des profits perdus, des frais généraux et des honoraires de conseillers. D'autre part, le Ministère offre 255 616,00 $. Le Tribunal est d'avis que ni l'un ni l'autre des deux montants ne résiste à une analyse critique.

IBM soutient que ses profits découlent non des recettes produites aux termes de la location, mais de la valeur du matériel dont elle allait se servir pour fournir les services requis en vertu du marché. En fait, IBM affirme que la rentrée d'argent provenant de la location de deux ans n'est pas pertinente à la détermination des profits qu'elle a perdus4 . IBM veut aussi ajouter un montant à la valeur du matériel, pour l'entretien et le financement, ce qui donnerait un « profit brut » de [montant supprimé]. Le « profit brut » proposé par IBM se calcule par soustraction du coût de revient du matériel de son prix de vente. Le « profit brut » inclurait aussi un montant pour l'entretien, calculé en soustrayant le coût de revient des services d'entretien du prix obtenu. De même, le « profit brut » comprend un montant pour le financement, à savoir la différence entre l'intérêt chargé sur le montant financé et l'intérêt payé par IBM pour emprunter ledit montant. IBM n'a nulle part proposé de montants pour ces trois composantes; un seul montant global a été présenté.

Le Tribunal reconnaît la possibilité pour un fournisseur de services de faire des profits de diverses façons. Il serait possible de présenter des renseignements qui convainquent le Tribunal qu'il convient d'accepter une méthode donnée de calcul des profits. Cependant, l'information soumise à l'appui d'une méthode donnée doit être suffisamment fiable pour permettre au Tribunal d'arriver à une décision raisonnée. Une telle information n'a pas été produite dans la présente cause.

Même si IBM avait présenté des renseignements fiables relativement à une méthode particulière de calcul des profits, le Tribunal aurait dû être convaincu que la perte subie est la conséquence naturelle de la violation par le Ministère des dispositions applicables. Autrement dit, la perte subie doit présenter un lien de connexité suffisant. Le Tribunal n'a cependant pas à considérer une telle question en l'espèce puisqu'il a conclu à l'absence de données fiables justifiant la réclamation d'IBM pour les profits perdus.

IBM demande aussi une indemnité en reconnaissance des frais généraux, ou des frais variables, qu'elle a calculés au taux de 8,05 p. 100, ajoutant un autre [montant supprimé] à sa demande. IBM reconnaît qu'une partie du montant pour les frais généraux se rapporte à la préparation de sa soumission ainsi qu'aux « frais liés aux édifices où elle loge son personnel, à l'entretien de tels édifices, à la fourniture à son personnel de l'équipement dont il a besoin pour exécuter son travail, à la rémunération du personnel, à la fourniture aux conseillers externes des renseignements requis pour les audiences des plaintes déposées auprès du Tribunal... [et aux coûts afférents aux] nombreuses heures consacrées par le personnel d'IBM à des démarches de négociations au cours desquelles la bonne foi manifestée par le [Ministère] ne peut être qualifiée [d'exemplaire] »5 [traduction].

Présentés de cette façon, il est manifeste que nombre des frais susmentionnés ne sont pas recouvrables. En premier lieu, les coûts de préparation de la soumission ne font pas partie des frais accordés par le Tribunal en l'espèce. En général, le Tribunal accorde les frais liés à la préparation de la soumission lorsqu'une partie plaignante dont la plainte est fondée n'a obtenu ni le marché ni une indemnité en lieu et place de l'adjudication du marché, par exemple, l'indemnisation en reconnaissance des profits perdus. Cependant, IBM n'a pas procédé à la ventilation de ses frais. Si elle l'avait fait, dans la mesure où les frais engagés pour la préparation de la soumission font partie du montant de [montant supprimé], il ne lui aurait pas été permis de les inclure.

Il semble que les autres facteurs dont IBM a fait mention se rapportent aux frais engagés pour défendre sa plainte auprès du Tribunal. Le Tribunal a effectivement accordé à IBM le remboursement des frais liés à sa plainte. Selon les Lignes directrices sur les frais dans une procédure portant sur un marché public (les Lignes directrices sur les frais), les frais de la plainte sont censés englober les frais pour le dépôt et le traitement d'une plainte en matière de marché public. De façon générale, les frais de la plainte sont accordés afin de rembourser les dépenses qui dépassent les frais fixes et les frais variables de la partie plaignante, par exemple les coûts des immobilisations, les salaires, etc. Il semble qu'IBM tente d'obtenir le remboursement de certains frais qui, selon les Lignes directrices sur les indemnités, ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'une indemnité.

La plupart du temps, le remboursement des frais d'une plainte, qui est accordé à une partie plaignante dont la plainte est reconnue fondée, vise les honoraires de conseillers, les frais d'experts et les débours engagés pour présenter sa cause. En l'espèce, IBM a demandé un montant de 21 661,58 $ pour les honoraires de conseillers. Ce montant comprend 80 heures pour les services de conseillers externes, à 250 $ l'heure, pour un total partiel de 20 000 $, des débours de 244,47 $ et un montant de 1 417,11 $ pour la TPS. Le Tribunal, après avoir examiné la complexité de la présente affaire, est d'avis que le nombre d'heures demandé est raisonnable en l'espèce. Cependant, selon le Tribunal, le tarif horaire demandé par IBM pour les services de conseillers externes est excessif.

Les Lignes directrices sur les frais énoncent les taux que le Tribunal, d'une façon générale, accepte pour les services de conseillers juridiques et autres. Dans le cas d'un conseiller juridique, les Lignes directrices sur les frais indiquent que, en général, le Tribunal accordera un remboursement d'honoraires variant de 150 $ à 200 $ l'heure pour les services d'un conseiller juridique principal. Le Tribunal ne trouve aucun motif qui justifierait de s'écarter du barème susmentionné dans la présente cause. La plainte elle-même n'était ni particulièrement complexe ni unique, ce qui aurait pu justifier un écart aux dispositions des Lignes directrices sur les frais. À la lumière des années d'exercice du conseiller d'IBM, à titre d'expert-conseil et, plus particulièrement, de ses antécédents dans le domaine des marchés publics, le Tribunal estime qu'un taux de 150 $ l'heure est indiqué. Les débours de 224,47 $ semblent raisonnables en l'occurrence, même si IBM n'a pas fourni de sommaire des débours, comme le prévoient les Lignes directrices sur les frais, et ces débours sont donc accordés. Par conséquent, le montant total accordé pour les frais de la plainte est de 13 101,58 $. Outre le montant susmentionné, le Tribunal est d'avis qu'il ne convient pas d'accorder d'autres montants afférents aux frais généraux demandés par IBM.

Ayant considéré la proposition d'IBM relativement à l'indemnisation, le Tribunal analysera maintenant la proposition du Ministère visant à accorder à IBM un montant de 255 616 $. Le montant susmentionné est fondé sur la marge brute d'IBM dans le secteur du matériel tel qu'il ressort des états financiers de 1998 de cette dernière. Les observations du Ministère vont dans le sens qu'une telle proposition équivaudrait à un profit de 31,6 p. 100 des recettes brutes qu'IBM aurait touchées dans le cadre du marché public en cause.

Le Tribunal est d'avis que le montant susmentionné est fondé sur des hypothèses et des conjectures. Le Tribunal n'a pas reçu de renseignements pour justifier le bien-fondé du montant susmentionné. En outre, le Tribunal a du mal à comprendre comment le renvoi à des états financiers peut permettre d'établir, d'une façon fiable, un juste niveau d'indemnisation pour un contrat visant une location de deux ans.

Le Tribunal ne peut conclure qu'une telle démarche est à l'abri des hypothèses et des conjectures. Bien qu'il s'agissait d'une tentative visant à déterminer un point de référence pour tirer une décision raisonnée, le Tribunal ne croit pas que la démarche du Ministère doive être retenue.

Les meilleurs renseignements mis à la disposition du Tribunal se rapportent à la valeur du marché en cause, déterminée en fonction du montant des recettes qu'il aurait dégagées pour IBM. Ce montant aurait été de 808 911 $. Bien qu'IBM ait affirmé, dans une lettre envoyée au Tribunal, que la location aurait vraisemblablement été prorogée pour une période pouvant atteindre trois autres années (et donc produire des recettes additionnelles), le Tribunal n'est pas convaincu qu'il devrait considérer plus que les deux années initialement envisagées dans la demande de proposition. Par conséquent, le Tribunal considère que la valeur totale du marché était de 808 911 $.

Le Tribunal sait que le Ministère a établi une ligne directrice pour déterminer un niveau de profit indiqué dans le cadre de la négociation de marchés relatifs à l'acquisition de biens commerciaux. Ce montant correspond à 10 p. 100 du prix du marché. Tout en reconnaissant que la question dont le Tribunal est saisi en l'espèce ne porte pas sur un marché négocié, le Tribunal est d'avis qu'un montant équivalant à 10 p. 100 du prix du marché en cause est un montant équitable aux fins de l'indemnité.

CONCLUSION

Le Tribunal accorde par la présente à IBM des frais au montant de 13 101,58 $ relativement au traitement de sa plainte et ordonne au Ministère de prendre les dispositions nécessaires pour que le paiement en soit effectué rapidement. De plus, le Tribunal recommande par la présente le versement à IBM d'une indemnité de 80 891 $.


Arthur B. Trudeau

Arthur B. Trudeau
Membre présidant


Michel P. Granger

Michel P. Granger
Secrétaire

1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [ci-après Loi sur le TCCE].

2 . Par. 1.3.

3 . Par. 2.2.

4 . Exposé confidentiel d'IBM, 7 avril 2000 à la p. 2.

5 . Exposé confidentiel d'IBM, 7 avril 2000 à la p. 5.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 25 septembre 2000