Enquêtes sur les marchés publics

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Dossiers no PR-2018-014 et PR‑2018-024

KPMG LLP

c.

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Décision et motifs rendus
le vendredi 23 novembre 2018

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par KPMG LLP aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

KPMG LLP

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que les plaintes ne sont pas fondées.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux une indemnité raisonnable pour les frais encourus pour la préparation de la plainte et l’engagement de la procédure, indemnité qui doit être versée par KPMG LLP. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine provisoirement que les degrés de complexité des plaintes correspondent au degré 2 et au degré 1 pour les dossiers nº PR-2018-014 et PR-2018-024, respectivement, et que le montant total de l’indemnité est de 3 900 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui concerne la détermination provisoire du degré de complexité de la plainte ou du montant de l’indemnité, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public. Il relève de la compétence du Tribunal canadien du commerce extérieur de fixer le montant définitif de l’indemnité.

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre présidant


 

Membres du Tribunal :

Randolph W. Heggart, membre présidant

Personnel de soutien :

Peter Jarosz, conseiller juridique

Partie plaignante :

KPMG LLP

Conseillers juridiques pour la partie plaignante :

Gerry Stobo
Marc McLaren-Caux

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques pour l’institution fédérale :

Susan D. Clarke
Ian McLeod
Roy Chamoun
Kathryn Hamill
Peter Osborne
Scott Rollwagen
Brendan Morrison
Zachary Rosen

Partie intervenante :

Deloitte Inc.

Conseillers juridiques pour la partie intervenante :

Vincent DeRose
Jennifer Bradford

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

[1]  Le 13 juillet 2018 et le 29 août 2018, KPMG LLP (KPMG) a déposé des plaintes auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) relatives à une demande de propositions (DP) concernant un marché (invitation no G9292-189325/A) pour la prestation de services de consultation en lien avec la planification, la mise en œuvre, la gestion et la surveillance de la transformation au sein d’Emploi et Développement social Canada (EDSC).

[2]  KPMG allègue ce qui suit :

  • En ce qui concerne le dossier no PR-2018-014, que Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) [1] a évalué de façon incorrecte sa réponse aux critères RT7‑6, « Expérience globale » [traduction], et RT4-1, expérience de l’« Équipe chargée du projet » [traduction], dans le cadre de trois projets « de portée et de produits livrables semblables » [traduction].

  • En ce qui concerne le dossier nPR-2018-024, que TPSGC a omis de conserver des documents au sujet d’un processus de réévaluation engagé relativement au critère RT7-6; que KPMG n’a pas été traitée de la même façon que Deloitte Inc. (Deloitte) en ce qui concerne l’évaluation du critère RT4-1; et que TPSGC a permis, à tort, à Deloitte de clarifier sa soumission.

[3]  KPMG a abandonné le dernier motif de plainte après réception du Rapport de l’institution fédérale (RIF) en réponse au dossier no PR-2018-024.

[4]  Pour les motifs exposés ci-dessous, le Tribunal conclut que ces plaintes ne sont pas fondées. 

CONTEXTE

[5]  Le 4 décembre 2017, TPSGC a publié, au nom d’EDSC, la DP (invitation no G9292-189325/A) pour la prestation de services de consultation relatifs à la planification, à la mise en œuvre, à la gestion et à la surveillance de la transformation au sein d’EDSC. La DP a été émise à certains fournisseurs préqualifiés.

[6]  La période de soumission a pris fin le 13 février 2018. Des soumissions en lien avec la DP ont été reçues de KMPG et de plusieurs autres soumissionnaires.

[7]  Le 3 mai 2018, TPSGC a avisé KMPG que celle-ci n’avait pas obtenu le contrat, et a dévoilé le soumissionnaire retenu (Deloitte) et son prix évalué.

[8]  Le 17 mai 2018, KPMG a envoyé une lettre d’opposition à TPSGC, soulevant les mêmes questions que dans sa plainte déposée auprès du Tribunal et demandant une copie des fiches de notation individuelles des évaluateurs.

[9]  Le 29 juin 2018, TPSGC a envoyé une lettre à KPMG rejetant ses oppositions et maintenant son évaluation de la soumission de KPMG. (Par ailleurs, le 4 juillet 2018, TPSGC a envoyé à KPMG, entre autres choses, les fiches de notation individuelles des évaluateurs.)

[10]  Le 13 juillet 2018, KPMG a déposé sa première plainte auprès du Tribunal. Le Tribunal a accepté cette plainte le 18 juillet 2018, et a commencé son enquête (PR-2018-014). KPMG alléguait que TPSGC avait évalué de façon incorrecte sa réponse aux critères RT7-6, « Expérience globale » [traduction], et RT4‑1, expérience de l’« Équipe chargée du projet » [traduction], dans le cadre de trois projets « de portée et de produits livrables semblables » [traduction].

[11]  Après examen du RIF de TPSGC dans le cadre du dossier no PR-2018-014, KPMG a déposé une deuxième plainte le 28 août 2018. Le Tribunal a accepté cette plainte pour enquête le 30 août 2018 (PR‑2018-024). Cette deuxième plainte alléguait notamment ce qui suit :

a) TPSGC a omis de conserver des documents en général et, plus particulièrement, au sujet d’un processus de réévaluation engagé relativement au critère RT7-6 [2] ;

b) KPMG n’a pas été traitée de la même façon que Deloitte en ce qui concerne l’évaluation du critère RT4-1, plus précisément en ce qui concerne deux éléments précis [3] .

[12]  Deloitte a demandé, et s’est vu accorder, le statut de partie intervenante dans le cadre des dossiers no PR-2018-014 et PR-2018-024, et a déposé ses commentaires au sujet du RIF dans les deux enquêtes.

[13]  Puisque les renseignements au dossier étaient suffisants pour statuer sur le bien-fondé de la plainte, le Tribunal n’a pas jugé nécessaire de tenir une audience et a ainsi rendu sa décision en se fondant sur les documents versés au dossier.

QUESTIONS DE PROCÉDURE

[14]  Au cours de l’enquête, le Tribunal a reçu deux demandes liées à la procédure dignes de mention.

[15]  KPMG a demandé au Tribunal d’examiner certains documents qui ont été déclarés comme étant privilégiés. Le Tribunal a consenti à cette demande, et le président du Tribunal (qui n’était pas le membre présidant dans le cadre de la présente enquête) a examiné les documents et a conclu qu’ils étaient protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client et par le privilège relatif au litige, et qu’ils n’étaient donc pas admis à titre d’éléments de preuve en l’espèce [4] .

[16]  Dans une autre demande déposée par TPSGC, celui-ci a demandé l’autorisation de déposer des observations en réponse à la réplique concernant des déclarations faites relativement aux agissements des représentants de TPSGC au cours du processus de passation du marché public. Le Tribunal n’a pas consenti à la demande puisqu’il a estimé que toute observation serait inutile aux fins de sa prise de décision sur le bien‑fondé des plaintes. Le Tribunal est conscient, et les parties devraient l’être également, que les allégations de partialité, de conflit d’intérêts et de toute autre mauvaise conduite sont indéfendables sans l’appui d’éléments de preuve probants. Faire de telles allégations indéfendables ne fera pas avancer les causes des parties et peut avoir des conséquences pour ce qui est des frais et dépens [5] .

EXIGENCES DES ACCORDS COMMERCIAUX

[17]  Le paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur dispose que, dans le cadre de son enquête, le Tribunal doit limiter son étude à l’objet de la plainte [6] . Au terme de l’enquête, le Tribunal détermine la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour un contrat spécifique. Aux termes de l’article 11 du Règlement, le Tribunal détermine si la procédure du marché public a été suivie conformément aux dispositions des accords commerciaux applicables [7] .

[18]  KPMG soutient (et TPSGC ne conteste pas) que les accords commerciaux applicables sont l’Accord de libre-échange canadien [8] , l’Accord de libre-échange nord-américain [9] , l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne [10] et l’Accord révisé sur les marchés publics [11] .

[19]  Les accords commerciaux indiquent que, pour être considérée en vue de l’adjudication, une soumission doit être conforme aux conditions essentielles énoncées dans la documentation relative à l’appel d’offres, et que l’entité contractante adjuge le marché en se fondant sur les critères d’évaluation et les prescriptions essentielles précisées dans la documentation relative à l’appel d’offres.

[20]  Lorsqu’il examine la façon dont les soumissions sont évaluées, le Tribunal applique le critère du caractère raisonnable. Comme la Cour suprême du Canada l’a souligné à maintes reprises, « le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » [12] .

[21]  Par conséquent, le Tribunal ne substitue généralement pas son jugement à celui des évaluateurs, sauf si ces derniers ne se sont pas appliqués à bien évaluer une proposition, n’ont pas tenu compte de renseignements d’importance cruciale contenus dans une proposition, ont fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou bien n’ont pas procédé à une évaluation équitable sur le plan de la procédure [13] . De plus, le Tribunal est d’avis qu’il revient en dernier ressort au soumissionnaire de vérifier qu’une proposition est conforme à tous les critères essentiels d’un appel d’offres [14] .

[22]  Pour ce qui est des exigences en matière de conservation de documents, L’ALÉNA et l’AMP révisé exigent également que l’entité contractante conserve des documents complets sur tous les marchés [15] . La conservation adéquate de documents fait partie intégrante d’une procédure équitable de passation de marchés publics. Elle permet de vérifier que la procédure de passation du marché public a été menée conformément aux accords commerciaux.

[23]  Toutefois, le Tribunal a précisé qu’une telle exigence « [...] respecte le droit de chaque soumissionnaire à une évaluation équitable et transparente de sa soumission sans pour autant créer de norme indûment rigoureuse et impossible à respecter pour les acheteurs et, en particulier, pour les évaluateurs. L’atteinte d’un tel équilibre dépend des faits particuliers de chaque affaire. » [16] Cet énoncé confirme que de tels documents ne doivent pas satisfaire à des exigences particulières quant au format ou au contenu.

ANALYSE DES PLAINTES

[24]  L’énoncé des travaux pour ce marché public prévoyait ce qui suit :

EDSC fait appel à l’expertise et à la capacité du secteur privé pour offrir des solutions en vue de soutenir la planification, la mise en œuvre, la gestion et la surveillance de la transformation des services à l’échelle du Ministère à travers une gamme d’investissements, de projets, d’initiatives et d’activités interconnectés définis dans une feuille de route afin d’atteindre les objectifs de la Stratégie de service d’EDSC. Le but est d’assurer une intégration transparente de tous les travaux de transformation grâce à la fourniture de diverses solutions décrites dans l’EDT afin d’atteindre ces objectifs de la Stratégie de service. EDSC est à la recherche d’un entrepreneur ayant démontré qu’il pouvait assurer des transformations réussies de services et ayant prouvé qu’il possédait une approche réussie en matière de gestion du changement ainsi que de l’expérience dans la navigation des processus gouvernementaux, la sensibilisation et le soutien aux initiatives importantes [17] .

[Traduction]

[25]  Afin d’évaluer quel soumissionnaire était le mieux placé pour réaliser le travail, la DP énonçait un certain nombre d’exigences à titre de critères d’évaluation des soumissions. Cinq évaluateurs ont noté les différentes propositions. Leur évaluation en ce qui concerne deux des critères cotés est en cause dans la présente enquête.

Évaluation du critère RT7-6

[26]  Le critère RT7 précisait ce qui suit :

La proposition du soumissionnaire devrait démontrer la portée de l’expérience de ses pratiques de manière globale dans la transformation opérationnelle et son application dans la prestation de services conformément aux exigences décrites à la section 6.0 (6.3), Exigences relatives aux services de soutien, de l’énoncé des travaux. Le soumissionnaire devrait tenir compte de la section 7.0, Produits livrables, de l’énoncé des travaux.

Le soumissionnaire devrait démontrer son expérience en matière de pratiques d’entreprise globales et décrire ce qui suit :

[...]

6. Expérience globale

o Portée de l’expérience (par exemple, le nombre de clients nationaux ou internationaux du soumissionnaire);

o Étendue de l’expérience (par exemple, le nombre d’années du soumissionnaire dans l’industrie globale);

o Capacité du soumissionnaire à tirer directement profit de son expérience et de son expertise.

[Traduction]

[27]  KPMG a fait valoir trois motifs concernant la réévaluation du critère RT7, plus précisément le fait que la soumission de Deloitte n’aurait pas dû être réévaluée en raison d’une opposition présentée par KPMG eu égard à l’évaluation de sa soumission, que la réévaluation en ce qui concerne les deux soumissions n’a pas été faite de façon correcte (tant sur le fond que sur la forme), et que TPSGC n’a pas conservé de documents relatifs aux réévaluations.

[28]  TPSGC et Deloitte ont tous deux soutenu que l’évaluation était nécessaire et juste.

[29]  Premièrement, le Tribunal est convaincu que TPSGC, après avoir établi qu’il avait peut-être mal interprété une exigence de la DP, avait l’obligation d’apporter une correction à l’évaluation (qui peut être qualifiée de réévaluation) de toutes les soumissions. Si TPSGC avait seulement réévalué la proposition de KPMG, cela aurait entraîné une situation où les soumissionnaires n’étaient pas traités de la même façon, allant ainsi à l’encontre des accords commerciaux [18] .

[30]  Deuxièmement, en ce qui concerne le fond de l’évaluation, le Tribunal n’estime pas l’évaluation des réponses relatives au critère RT7 comme étant déraisonnable, que ce soit en ce qui concerne la soumission de KPMG ou celle de Deloitte. En l’espèce, le Tribunal est convaincu que la méthodologie utilisée pour en arriver aux résultats obtenus par les soumissionnaires a été guidée par une interprétation raisonnable de la DP et par une application uniforme des critères à l’égard du contenu des deux soumissions. Par conséquent, le Tribunal ne modifiera pas les conclusions des évaluateurs sur ce point.

[31]  Troisièmement, le Tribunal n’est pas convaincu que des mesures de procédures supplémentaires étaient nécessaires en l’espèce. Les évaluations peuvent changer avant d’être déclarées comme étant « définitives ». Une correction ou des changements apportés au cours d’une réévaluation après qu’une opposition a été présentée sont semblables et font également dûment partie du processus global d’évaluation. KPMG a tenté de distinguer les scénarios sur le plan du processus requis pour choisir l’un plutôt que l’autre, comme les « garanties procédurales » supplémentaires requises dans le cadre d’une réévaluation. En réalité, ces arguments signifient que, étant donné que la réévaluation a eu lieu après la première évaluation et l’adjudication, un processus et des documents plus rigoureux peuvent être automatiquement exigés. Le Tribunal est d’avis qu’au contraire, il aurait été difficile pour TPSGC d’exiger une méthodologie et une documentation différentes aux fins de la réévaluation des réponses au critère RT7 par rapport à ce qui était requis dans le cadre de la première évaluation de ce critère.

[32]  Le Tribunal n’est pas convaincu qu’il y a eu violation des accords commerciaux à cause de la réévaluation, tant sur le fond que sur la forme.

[33]  Par conséquent, le Tribunal conclut que ce motif de plainte n’est pas fondé.

Évaluation du critère RT4-1

[34]  Le critère RT4-1 précisait ce qui suit :

Le soumissionnaire devrait proposer une équipe chargée du projet de solutions qui possède une vaste expérience dans la transformation et l’intégration, comme suit :

Le directeur de projet a géré avec succès trois projets concernant des contrats de portée et de produits livrables semblables. Ces projets devraient englober la transformation de services de soutien et formuler des recommandations concernant la livraison numérique de programmes ou de services destinés au public. Le soumissionnaire devrait décrire l’environnement et le ou les programmes en plus de la valeur et de la durée du contrat.

[Traduction]

[35]  KPMG allègue qu’en ne reconnaissant pas l’un des projets énumérés dans sa soumission, les évaluateurs ont examiné des facteurs qui ne faisaient pas réellement partie du critère « de portée et de produits livrables semblables » [traduction] du critère RT4. Ces facteurs prétendument incorrects comprenaient divers aspects précis du projet. KPMG a également soutenu que le critère relatif à la « portée semblable » [traduction] a été appliqué de façon incorrecte à l’égard des faits communiqués dans sa soumission et de ceux communiqués dans la soumission de Deloitte. Chacun de ces motifs de plainte sera abordé à tour de rôle. Enfin, KPMG allègue que sa soumission n’a pas reçu le même traitement en ce qui a trait au critère RT4‑1; plus précisément, que TPSGC n’a pas exigé que les projets de Deloitte englobent la gamme complète de « planification, de surveillance et de gestion » [traduction], alors que cette norme a été appliquée aux projets de KPMG, et que, même si les projets de KPMG et ceux de Deloitte étaient en fait semblables, ils n’ont pas été traités de la même façon.

[36]  TPSGC et Deloitte ont tous deux soutenu que l’évaluation était juste et raisonnable, et que toute différence dans les notes était attribuable au contenu des soumissions.

[37]  Le Tribunal fait remarquer que l’opinion générale des cinq évaluateurs était que deux projets sur lesquels KPMG se fondait pour présenter sa soumission répondaient bien aux exigences susmentionnées du critère RT4, mais que le troisième projet n’y répondait pas [19] . Cette entente semble avoir été unanime, du moins en ce qui concerne la note globale pour le critère RT4 [20] . Le RIF relatif au dossier no PR-2018-014 indiquait de nombreuses raisons pour lesquelles les évaluateurs auraient pu arriver à cette conclusion [21] . Il est important de souligner que les évaluateurs ont conclu que le projet n’« englobait pas de services de soutien à la transformation » [traduction] et que, par conséquent, il n’était pas admissible comme étant « de portée et de produits livrables semblables » [traduction] à ceux en question dans la DP [22] . Ils pouvaient raisonnablement tirer cette conclusion en se fondant sur la soumission de KPMG.

[38]  De la même façon, en ce qui concerne la soumission de Deloitte, les évaluateurs ont conclu que les projets sur lesquels s’était fondé Deloitte répondaient aux exigences du critère RT4. Le Tribunal conclut que cette évaluation était raisonnable et, par conséquent, il ne modifiera pas les conclusions des évaluateurs sur ce point.

[39]  En fin de compte, le Tribunal conclut que l’évaluation du critère RT4 est raisonnable. Bien que certaines des explications concernant les raisons pour lesquelles la soumission de KPMG a obtenu une note inférieure à celle de Deloitte aient peut-être été données après le fait, cela ne change pas la norme d’examen appliquée soit aux raisons concomitantes enregistrées par les évaluateurs soit à l’explication donnée après le fait. Étant donné l’exigence selon laquelle les projets devaient être « de portée et de produits livrables semblables » [traduction] et compte tenu du fait que les soumissionnaires devaient décrire la valeur et la durée du contrat, il était raisonnable que les évaluateurs examinent les questions relatives à la taille, à la valeur et à la durée dans le cadre de leur évaluation. Le Tribunal conclut que, en exerçant un degré de retenue approprié à l’égard des évaluateurs et en tenant compte de toutes les explications et de tous les arguments présentés, la proposition de KPMG et celle de Deloitte ont été traitées de façon juste et équitable au cours de leur évaluation.

[40]  Par conséquent, le Tribunal conclut que l’évaluation des réponses en ce qui concerne le critère RT4 n’était pas déraisonnable et n’interviendra pas quant aux conclusions des évaluateurs sur ce point.

[41]  En conséquence, ce motif de plainte n’est pas fondé.

Exigences relatives à la conservation de documents

[42]  KPMG a soutenu que TPSGC n’a pas conservé de documents relatifs à la réévaluation, comme l’exigent les accords commerciaux.

[43]  Il faut préciser que les premiers résultats et les résultats corrigés aussi bien pour KPMG que pour Deloitte ont été consignés dans les fiches de notation individuelles et consensuelles [23] , et que les premiers résultats et les résultats corrigés ont été communiqués à KPMG, ce sur quoi celle-ci s’est fondée pour formuler sa première plainte [24] .

[44]  Les documents conservés par TPSGC en l’espèce, bien que n’étant pas exhaustifs, ont permis à KPMG de faire part de ses préoccupations quant à ces évaluations au moyen d’une plainte déposée auprès du Tribunal, et le Tribunal a pu régler le différend; c’est ce que les exigences relatives à la conservation de documents prévues dans les accords commerciaux sont censées permettre.

[45]  Pour ces raisons, le Tribunal conclut que ce motif de plainte n’est pas fondé.

CONCLUSION

[46]  Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal conclut que les plaintes ne sont pas fondées.

FRAIS RELATIFS À LA PLAINTE

[47]  Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, les frais relatifs à une enquête – même provisionnels – sont laissés à l’appréciation du Tribunal.

[48]  Ayant eu gain de cause, TPSGC a droit aux frais raisonnables qu’il a encourus.

[49]  Pour déterminer le montant de l’indemnité en l’espèce, le Tribunal s’est fondé sur sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public (la Ligne directrice), qui prévoit trois critères pour évaluer le degré de complexité d’une affaire : la complexité du marché public, la complexité de la plainte et la complexité de la procédure.

[50]  En l’espèce, il ne s’agissait pas d’un marché public complexe. La DOC ne s’étalait pas sur des centaines de pages, et les services à fournir concernaient un besoin général, quoiqu’unique, de services de consultation en lien avec la transformation au sein d’un ministère du gouvernement fédéral.

[51]  La première plainte (PR-2018-014) était complexe, s’étalant sur plusieurs centaines de pages de texte et de documents portant sur plusieurs motifs de plainte. La deuxième plainte (PR-2018-024) était plus simple.

[52]  La procédure qui a suivi était également complexe. Elle comprenait deux enquêtes qui ont été regroupées après le dépôt de la deuxième plainte. Elle comprenait une requête en production de documents, une requête demandant l’examen de documents privilégiés, des interventions (qui, comme cela a été énoncé ci-dessus, ont été permises et ont entraîné le dépôt de plusieurs documents supplémentaires dans le cadre de l’enquête conjointe) et deux ensembles de RIF et de commentaires sur le RIF. Il a également été nécessaire d’avoir recours au calendrier prolongé de 135 jours pour rendre une décision dans le cadre du dossier no PR‑2018-014.

[53]  Compte tenu de ce qui précède, l’indication provisoire du niveau de complexité est le degré 2 (2 750 $) et le degré 1 (1 150 $) pour les dossiers no PR-2018-014 et PR-2018-024, respectivement. Le Tribunal accordera deux indemnités étant donné qu’il s’agit de deux enquêtes, bien que celles-ci aient été traitées conjointement. Conformément à l’annexe A de la Ligne directrice, l’indication provisoire du Tribunal du montant total de l’indemnité se chiffre à 3 900 $.

DÉCISION

[54]  Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que les plaintes ne sont pas fondées.

[55]  Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde À TPSGC une indemnité raisonnable pour les frais encourus pour la préparation de la plainte et l’engagement de la procédure, indemnité qui doit être versée par KPMG. Conformément à la Ligne directrice, le Tribunal détermine provisoirement que les degrés de complexité des plaintes correspondent au degré 2 et au degré 1 pour les dossiers nº PR-2018-014 et PR-2018-024, respectivement, et que le montant total de l’indemnité est de 3 900 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui concerne la détermination provisoire du degré de complexité de la plainte ou du montant de l’indemnité, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre présidant

 



[1] .  Le 4 novembre 2015, le gouvernement du Canada a donné avis que le nom du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux changeait pour Services publics et Approvisionnement Canada. Le marché public en question a été passé sous l’ancien nom.

[2] .   Dans son explication détaillée de ce motif de plainte, KPMG a aussi allégué que TPSGC n’avait pas effectué la réévaluation avec suffisamment de garanties procédurales.

[3] .  Un autre motif de plainte relatif à la modification de soumission a été abandonné par KPMG après le dépôt du RIF dans le cadre du dossier no PR-2018-024 : pièce PR-2018-014-38A, vol. 1A au par. 5.

[4] .  Dans sa décision, le Tribunal s’est inspiré des principes énoncés dans Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821 et dans Oleynik c. Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2016 CF 1167 (CanLII).

[5] .  Bodnarchuk (Re), [1995] 3 CF 300, 1995 CanLII 3516 (CF).

[6] .  Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE], art. 30.14.

[7] .  Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, D.O.R.S./93-602 [Règlement], art. 11.

[8] .  Accord de libre-échange canadien, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2017/06/CFTA-Consolidated-Text-Final-Print-Text-French-.pdf> (entré en vigueur le 1er juillet 2017) [ALEC].

[9] .  Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/nafta-alena/fta-ale/index.aspx?lang=fra> (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

[10] .  Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://www.international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/ceta-aecg/text-texte/toc-tdm.aspx?lang=fra> (entré en vigueur provisoirement le 21 septembre 2017).

[11] .  Accord révisé sur les marchés publics, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/‌french/docs_f/legal_f/rev-gpr-94_01_f.htm> (entré en vigueur le 6 avril 2014) [AMP révisé].

[15] .  Voir l’alinéa 1017(1)p) de l’ALÉNA et l’alinéa XVI(3)a) de l’AMP révisé.

[16] .  Almon Equipment Limited (1 mars 2011), PR-2008-048R (TCCE) au par. 32.

[17] .  Pièce PR-2018-014-14, vol. 1 à la p. 99.

[18] .  Francis H.V.A.C. Services Ltd. c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux) 2017 CAF 165 (CanLII) au par. 33.

[19] .  Pièce PR-2018-014-14A (protégée), vol. 2D à la p. 623 (du fichier PDF).

[20] .  Ibid. aux p. 646, 659-660, 674 et 688 (du fichier PDF). Le fait que certains évaluateurs puissent avoir changé leurs évaluations après l’étape du consensus est un attribut utile des discussions consensuelles et ne constitue donc pas une violation des accords commerciaux.

[21] .  Pièce PR-2018-014-14A (protégée), vol. 2B aux p. 17 et 29-34.

[22] .  Le RIF relatif au dossier nº PR-2018-014 précise que la soumission de KPMG, contrairement à celle de Deloitte, ne décrivait pas les six domaines de solution qui permettraient une comparaison détaillée du projet avec la portée des travaux : pièce PR-2018-014-14, vol. 1 aux par. 83, 87; pièce PR-2018-014-35, vol. 1A aux p. 2-3.

[23] .  Pièce PR-2018-014-01A (protégée), vol. 2B aux annexes 3-4 et 6-7; pièce PR-2018-014-14A (protégée), vol. 2E.

[24] .  Pièce PR-2018-014-01A (protégée), vol. 2B aux annexes 3-4 et 6-7.

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