Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2018-054

Ascent Helicopters Ltd.

Décision prise
le jeudi 17 janvier 2019

Décision rendue
le vendredi 18 janvier 2019

Motifs rendus
le jeudi 31 janvier 2019

 


EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

PAR

ASCENT HELICOPTERS INC. 

CONTRE

LE MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur décide de ne pas enquêter sur la plainte.

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

[1]  En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] , tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [2] , déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

[2]  La plainte concerne une demande de propositions (DP) (invitation no W2215-195004/A) publiée par le ministère de la Défense nationale (MDN) le 22 octobre 2018 pour la prestation de services exclusifs d’un (1) hélicoptère à flotteurs avec pilote pour le déplacement du personnel et de l’équipement à l’appui des opérations des Forces armées canadiennes et de la United States Navy (Force navale des États-Unis) dans la zone d’essai de Nanoose du Centre d’expérimentation et d’essais maritimes des Forces canadiennes à Nanoose Bay, en Colombie‑Britannique. La période de contrat est du 1er janvier 2019 au 31 mars 2022.

[3]  Le 16 novembre 2018, Ascent Helicopters Ltd. (Ascent) a présenté une soumission en réponse à l’appel d’offres et elle a appris, le 19 décembre 2018, que sa soumission avait été jugée non conforme puisqu’elle ne respectait pas la condition selon laquelle elle doit détenir une attestation de sécurité d’organisme valable.

[4]  Ascent a fait parvenir sa plainte au Tribunal le 7 janvier 2019. Toutefois, la plainte ne respectait pas les exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE, et des renseignements supplémentaires étaient requis avant qu’elle soit considérée comme étant déposée. Le 8 janvier 2019, conformément au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a demandé à Ascent de fournir les renseignements requis. Le Tribunal a reçu la plainte complète le 11 janvier 2019.

[5]  Dans sa plainte, Ascent soutient que la période de soumission n’accordait pas suffisamment de temps pour obtenir une attestation de sécurité valable, conformément aux modalités de la DP. Ascent soutient que le délai entre la date de publication de la DP et celle de la clôture des soumissions devrait être adéquat pour permettre l’achèvement du processus d’obtention d’une attestation de sécurité.

ANALYSE

[6]  Le 17 janvier 2019, aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

[7]  Aux termes des articles 6 et 7 du Règlement, le Tribunal peut ouvrir une enquête si les conditions suivantes sont remplies :

[8]  Pour les motifs suivants, le Tribunal conclut que la plainte n’a pas été déposée dans les délais prescrits à l’article 6 du Règlement. Par conséquent, la plainte ne remplit pas la première condition pour l’ouverture d’une enquête.

La plainte n’a pas été déposée dans les délais

[9]  Ascent allègue que la période de soumission ne donnait pas suffisamment de temps pour obtenir une attestation de sécurité valable, conformément aux modalités obligatoires de la DP. Plus particulièrement, elle soutient que le délai entre la date de publication de la DP et celle de la clôture des soumissions était trop court pour permettre aux soumissionnaires d’obtenir l’attestation de sécurité exigée par la DP. Par conséquent, elle soutient que la procédure de passation du marché public n’était ni ouverte ni équitable.

[10]  L’article 6.1.1 de la DP indique que le soumissionnaire doit détenir une attestation de sécurité d’organisme valable, tel qu’indiqué à la Partie 7 – Clauses du contrat subséquent :

6.1.1 À la date de clôture des soumissions, les conditions suivantes doivent être respectées :

(a) le soumissionnaire doit détenir une attestation de sécurité d’organisme valable tel qu’indiqué à la Partie 7 – Clauses du contrat subséquent;

[...]

7.1 Exigences relatives à la sécurité

7.1.1 Les exigences relatives à la sécurité suivantes (LVERS et clauses connexes, tel que prévu par le Programme de sécurité des contrats) s’appliquent et font partie intégrante du contrat.

7.1.1.1 L’entrepreneur ou l’offrant doit détenir en permanence, pendant l’exécution du contrat ou de l’offre à commandes, une cote de sécurité d’installation valable au niveau SECRET, délivrée par la Direction de la sécurité industrielle canadienne (DSIC) de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC).

[11]  Selon Ascent, la DP renvoyait à un site Web indiquant le processus d’obtention d’une attestation de sécurité et selon lequel le processus pouvait prendre jusqu’à six mois. Elle exigeait aussi le parrainage par une source approuvée par le gouvernement du Canada. Le renvoi au site Web indiquant le processus à suivre pour obtenir l’attestation de sécurité requise est effectivement mentionné deux fois dans la DP. Toutefois, la période de soumission n’a duré que 25 jours, soit depuis la date de la publication de la DP le 22 octobre 2018 jusqu’à la date de clôture des soumissions, le 16 novembre 2018.

[12]  À ce titre, le motif de plainte d’Ascent concerne les modalités obligatoires de la DP. Elle conteste le fait que les exigences relatives à la sécurité indiquées dans la DP étaient trop rigoureuses et qu’en accordant un délai insuffisant aux soumissionnaires potentiels pour obtenir l’attestation de sécurité requise, l’entité contractante a essentiellement, et de façon inappropriée, procédé à une passation de marché à un fournisseur unique.

[13]  Le paragraphe 6(1) du Règlement prévoit que le fournisseur potentiel qui souhaite déposer une plainte auprès du Tribunal « doit le faire dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte ». Le paragraphe 6(2) du Règlement prévoit que le fournisseur potentiel qui a présenté à l’institution fédérale concernée une opposition et à qui l’institution refuse réparation peut déposer une plainte auprès du Tribunal « dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus, s’il a présenté son opposition dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de l’opposition ».

[14]  Autrement dit, une partie plaignante dispose de 10 jours ouvrables suivant la date où elle prend connaissance des faits à l’origine de sa plainte, ou suivant la date où elle aurait dû vraisemblablement les découvrir, soit pour présenter une opposition auprès de l’institution fédérale, soit pour déposer une plainte auprès du Tribunal. Si une partie plaignante présente une opposition auprès de l’institution fédérale dans le délai prévu, celle-ci peut ensuite déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables à partir du moment où elle a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus de réparation de l’institution fédérale.

[15]  Le Tribunal est d’avis que si un fournisseur potentiel croit que les critères énoncés dans une invitation à soumissionner sont d’une rigueur excessive et qu’ils favorisent un fournisseur en particulier, il doit déposer une plainte dans les délais prescrits. Le mécanisme d’examen des marchés publics ne prévoit pas la possibilité d’accumuler des griefs et de les présenter une fois que la soumission est rejetée. À cet égard, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit dans IBM Canada Ltd. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd. [7]  :

[18] Dans les affaires de marchés publics, le temps représente une condition essentielle. [...]

[...]

[20] [...]. Les fournisseurs potentiels ne doivent donc pas attendre l’attribution d’un contrat avant de déposer toute plainte qu’ils pourraient avoir concernant la procédure. On s’attend à ce qu’ils soient vigilants et qu’ils réagissent dès qu’ils découvrent ou auraient vraisemblablement dû découvrir un vice de procédure. [...]

[21] Le Tribunal a précisé clairement, dans le passé, que les plaintes fondées sur l’interprétation des termes d’une [demande de proposition] devaient avoir été présentées dans les dix jours suivant le moment où l’ambiguïté ou le manque de clarté qu’on allègue était devenu ou aurait dû normalement devenir apparent.

[16]  De plus, la Cour a affirmé qu’un soumissionnaire ne doit pas adopter une attitude attentiste et faire connaître son opposition une fois terminée la procédure de passation du marché public. Elle a affirmé que « c’est précisément le genre d’attitude que la procédure de passation des marchés publics et le Règlement tentent de décourager ».

[17]  Comme le problème d’Ascent avec la procédure de passation du marché public découle des critères obligatoires indiqués dans la DP, elle ne pouvait donc pas attendre le rejet de sa proposition avant de présenter une opposition auprès de l’institution fédérale pertinente ou de déposer une plainte auprès du Tribunal. Il revenait à Ascent de le faire dans les 10 jours ouvrables suivant le jour où elle a pris connaissance, ou aurait dû vraisemblablement prendre connaissance, des exigences relatives à la sécurité énoncées dans la DP ainsi que des détails du processus à suivre pour obtenir l’attestation de sécurité requise, y compris le délai nécessaire pour accomplir le processus.

[18]  Dans une telle situation, le Tribunal a déjà considéré, en l’absence d’éléments de preuve au contraire, qu’un plaignant avait pris connaissance des faits à l’origine de sa plainte relativement aux exigences obligatoires d’un appel d’offres, ou aurait dû vraisemblablement les découvrir, à la date où les documents de l’appel d’offres avaient été publiés [8] . Selon ce raisonnement, Ascent aurait dû vraisemblablement découvrir l’impossibilité alléguée de respecter les exigences relatives à la sécurité dès le 22 octobre 2018. Elle aurait ensuite eu jusqu’au 5 novembre 2018 pour s’opposer auprès du MDN ou déposer une plainte auprès du Tribunal, ce qu’elle n’a pas fait.

[19]  Toutefois, en l’espèce, le processus à suivre pour obtenir les attestations de sécurité requises n’a pas été exposé dans la DP. Comme il est indiqué ci-dessus, la DP renvoyait les soumissionnaires potentiels à un site Web où ils pouvaient se renseigner au sujet du processus à suivre pour demander l’attestation de sécurité. Ainsi, Ascent devait examiner davantage que les modalités de la DP pour prendre connaissance de son motif de plainte. Les renseignements joints à la plainte n’indiquent pas exactement à quel moment Ascent a pris connaissance du fait que le processus d’attestation de sécurité pouvait prendre jusqu’à six mois. Dans ces circonstances, le Tribunal est disposé à accorder à Ascent le bénéfice du doute et à conclure qu’il est raisonnable qu’Ascent ait découvert les faits à l’origine de la plainte après le 22 octobre 2018.

[20]  Ascent a présenté sa proposition le 16 novembre 2018 et n’a pas soulevé ses préoccupations quant aux modalités de la DP auprès du MDN. Selon la plainte, au moment de la présentation de sa proposition, Ascent ne détenait que deux des trois types d’attestations de sécurité requises par la DP. Ainsi, lorsqu’Ascent a présenté sa proposition, elle savait qu’elle ne respectait pas les exigences relatives à la sécurité de la DP et qu’elle avait besoin de plus de temps pour achever le processus d’attestation de sécurité afin d’obtenir une cote de sécurité d’installation, comme l’exigeait la DP. À la lumière de ces faits, le Tribunal ne peut que conclure qu’Ascent a pris connaissance des faits à l’origine de la plainte, ou aurait dû vraisemblablement les découvrir, avant le dépôt de sa soumission. En d’autres termes, le Tribunal conclut qu’Ascent a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte au plus tard le 16 novembre 2018 (la date de clôture des soumissions).

[21]  Le 21 novembre 2018, le MDN a envoyé un courriel à Ascent pour s’enquérir de l’attestation de sécurité manquante. Ascent soutient qu’une conversation téléphonique s’est déroulée cette journée-là, après quoi elle a envoyé un courriel le 23 novembre 2018 dans lequel elle a mis en évidence ses préoccupations quant à l’exigence de détenir certaines attestations de sécurité alors que la DP ne donnait pas suffisamment de temps pour les obtenir. Il comprenait une demande pour qu’un représentant du MDN la parraine pour sa demande, comme l’exigeait le processus obligatoire d’attestation de sécurité. Le 26 novembre 2018, le MDN a indiqué à Ascent que même s’il acceptait de la parrainer pour des besoins futurs, le processus d’appel d’offres en question était clos et qu’il ne pouvait donc pas la parrainer pour ce processus.

[22]  Le 28 novembre 2018, Ascent a répondu au MDN et elle s’est plainte du fait que le processus n’était pas ouvert, ce à quoi le MDN a répondu simplement en déclarant qu’il ne discuterait du problème d’Ascent qu’après la clôture du processus, qui en était encore à l’étape de l’évaluation. À la même date, Ascent a répondu et a réitéré sa position selon laquelle le processus n’était ni ouvert ni juste. Elle a aussi officiellement demandé une prorogation de délai pour lui permettre de présenter une soumission qui respecterait les exigences relatives à la sécurité de la DP.

[23]  Le Tribunal conclut que les courriels d’Ascent du 28 novembre 2018 envoyés au MDN constituent une opposition qui a été faite dans les 10 jours ouvrables suivant la date où Ascent a vraisemblablement découvert les faits à l’origine de la plainte (c’est-à-dire le 16 novembre 2018), comme le prévoit le paragraphe 6(2) du Règlement.

[24]  Le 30 novembre 2018, le MDN a répondu à la demande d’Ascent en déclarant qu’il ne pouvait pas discuter de la préoccupation d’Ascent et que les soumissionnaires seraient invités à une réunion de compte rendu une fois que le processus d’évaluation serait terminé et que les soumissionnaires seraient informés des résultats du processus. Par conséquent, le Tribunal conclut que le MDN a clairement indiqué qu’il ne modifierait pas les modalités de la DP pour donner plus de temps à Ascent afin qu’elle obtienne les attestations de sécurité requises ou ne prorogerait pas par ailleurs le délai pour présenter des propositions. À ce titre, le Tribunal conclut que le MDN a refusé la réparation demandée par Ascent le 30 novembre 2018. Ascent a pris connaissance, directement ou par déduction, de ce refus de réparation à cette date.

[25]  Par conséquent, en vertu du paragraphe 6(2) du Règlement, Ascent disposait 10 jours ouvrables suivants le 30 novembre 2018 pour déposer sa plainte auprès du Tribunal, soit jusqu’au 14 décembre 2018. Toutefois, le Tribunal n’a reçu la plainte que le 7 janvier 2019, et elle n’a été considérée comme étant déposée que le 11 janvier 2019, au moment où certains renseignements permettant de combler les lacunes de la plainte ont été reçus [9] . La plainte a donc été déposée au-delà du délai prescrit par le Règlement.

[26]  Le Tribunal souligne également que même s’il devait considérer qu’Ascent a découvert les faits à l’origine de la plainte à la date où elle a reçu sa lettre de refus du MDN (c’est-à-dire le 19 décembre 2018), la plainte n’aurait quand même pas été déposée dans le délai prescrit. Dans ce scénario hypothétique, Ascent aurait dû déposer sa plainte auprès du Tribunal au plus tard le 8 janvier 2019 afin de respecter l’article 6 du Règlement. Comme il est indiqué ci-dessus, la plainte n’a été considérée comme étant déposée que le 11 janvier 2019.

[27]  À ce titre, le Tribunal conclut que cette plainte n’a pas été déposée dans le délai prescrit par le Règlement.

DÉCISION

[28]  Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal décide de ne pas enquêter sur la plainte.

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre présidant

 



[1] .  L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2] .  D.O.R.S./93-602 [Règlement].

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