Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2018-058

Sunny Jaura s/n Jaura Entreprises

Décision prise
le mercredi 30 janvier 2019

Décision rendue
le jeudi 31 janvier 2019

Décision et motifs rendus
le mardi 12 février 2019

 


EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

PAR

SUNNY JAURA s/n JAURA ENTERPRISES

CONTRE

LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DU COMMERCE ET DU DÉVELOPPEMENT

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur décide de ne pas enquêter sur la plainte.











Jean Bédard                            
Jean Bédard, c.r.
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.


EXPOSÉ DES MOTIFS

1.                  En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1], tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[2], déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

CONTEXTE

2.                  Le 24 janvier 2019, Sunny Jaura s/n Jaura Enterprises (Jaura) a déposé une plainte auprès du Tribunal en vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE concernant une demande de proposition (DP) (invitation no 19-145012-PRMNY-MG) publiée par le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (MAECD) pour des services d’hébergement hôtelier.

3.                  La présente plainte fait suite à une plainte initiale déposée par Jaura auprès du Tribunal[3] et jugée fondée. Au terme de son enquête sur cette plainte initiale, le Tribunal avait recommandé au MAECD de réévaluer la proposition technique du soumissionnaire retenu afin de déterminer si la conformité de sa proposition était basée uniquement sur les renseignements fournis (et non pas sur des renseignements additionnels disponibles en ligne). Le Tribunal avait précisé qu’à la suite de cette réévaluation de la proposition, s’il était déterminé que l’autre soumissionnaire était conforme, aucune indemnité ne serait accordée à Jaura. Toutefois, s’il était déterminé, à la suite de la réévaluation, que Jaura est le seul soumissionnaire qui avait respecté les exigences de la DP, Jaura aurait droit à une indemnité pour les profits qu’elle aurait raisonnablement réalisés si le contrat lui avait été adjugé.

4.                  Par conséquent, le MAECD a effectué la réévaluation et a jugé que la proposition du deuxième soumissionnaire était conforme. Ainsi, Jaura n’avait pas droit à une indemnité. Le 12 décembre 2018, le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) a informé le Tribunal et Jaura de ce résultat.

5.                  En l’espèce, Jaura est d’avis que, dans sa réévaluation, le MAECD n’a pas tenu compte des faits et des exigences obligatoires énoncés dans la DP. Jaura allègue que la proposition du deuxième soumissionnaire n’était pas conforme et que la réévaluation du MAECD était injuste. Selon Jaura, le fait que la réévaluation était effectuée par le même organisme (MAECD) a fait en sorte que l’évaluation était injuste et faisait preuve de partialité à l’encontre de Jaura.

ANALYSE

6.                  Diverses conditions doivent être remplies pour que le Tribunal puisse enquêter dans une affaire de marché public. Notamment, la plainte doit démontrer, dans une mesure raisonnable, que la procédure de passation du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables.

7.                  Pour soutenir son allégation, Jaura a déclaré avoir effectué sa « propre évaluation » [traduction], ayant conclu que le deuxième soumissionnaire ne pouvait répondre aux exigences obligatoires, soit par rapport au critère selon lequel il devait y avoir un espace de cuisine contenant au moins deux brûleurs et un réfrigérateur d’au moins neuf pieds cubes.

8.                  Jaura se fonde aussi sur la correspondance du 12 décembre 2018 dans laquelle sont présentés les résultats de la réévaluation, pour souligner qu’« un des évaluateurs avait des doutes » [traduction] au sujet de la proposition du deuxième soumissionnaire.

9.                  Dans sa lettre, le conseiller juridique de TPSGC écrivait ce qui suit :

Selon le Rapport consensuel d’évaluation, un des évaluateurs a noté deux préoccupations lors de son évaluation individuelle des renseignements présentés dans la proposition [du deuxième soumissionnaire] par rapport aux exigences liées aux caméras de sécurité et au matériel de cuisine. (Voir : annexe 2, « Rapport consensuel d’évaluation confidentiel »; annexe 3, « Notes d’évaluation individuelles confidentielles »). Comme il est déclaré dans le Rapport consensuel d’évaluation, les discussions ont permis à tous les trois évaluateurs de conclure que, dans une mesure raisonnable, les renseignements présentés dans la proposition [du deuxième soumissionnaire] répondaient suffisamment à toutes les exigences obligatoires de la DP ; plus particulièrement, les exigences liées aux caméras de sécurité et au matériel dans les cuisines proposées. Par conséquent, les membres de l’équipe d’évaluation se sont entendus pour dire que la proposition [du deuxième soumissionnaire] devait être jugée conforme.

[Traduction]

10.              Jaura ne présente aucune information à l’appui de ses allégations.

11.              Le Tribunal conclut que le dossier ne comprend pas suffisamment d’éléments de preuve qui démontrent soit une indication raisonnable de violation des accords commerciaux, soit une indication quelconque de partialité ou de crainte raisonnable de partialité.

12.              Quant à la question de partialité, le Tribunal remarque qu’il ne semble pas qu’une préoccupation concernant une quelconque partialité, lors de la réévaluation du MAECD, ait été soulevée dans le cadre de l’enquête précédente du Tribunal. Dans sa décision au terme de l’enquête, le Tribunal recommande simplement que les évaluateurs réévaluent les soumissions, sans préciser qui devrait le faire et sans soulever de préoccupations liées aux capacités de l’équipe d’évaluateurs ou du MAECD d’accomplir cette tâche de façon impartiale[4].

13.              Il n’est pas contesté que l’obligation d’agir avec équité s’applique à la procédure d’adjudication des marchés publics du gouvernement fédéral. Bien qu’à ce stade le plaignant n’a qu’à démontrer qu’il y a indication raisonnable de crainte raisonnable de partialité, et non de partialité réelle, pour contester la validité de la mesure administrative à laquelle l’obligation d’agir avec équité s’applique, il doit pouvoir présenter des faits ou des circonstances, ou les deux, à l’appui de ses allégations. En d’autres mots, le plaignant ne doit pas seulement indiquer qu’il est d’avis qu’il y avait partialité, mais doit aussi présenter suffisamment d’éléments de preuve à l’appui.

14.              En l’espèce, le plaignant est d’avis que l’évaluation effectuée dans le dossier no PR-2018-020 empêche le MAECD de pouvoir réévaluer la plainte. Toutefois, le fait qu’une erreur s’est produite lors de l’évaluation originale n’empêche pas, de facto, une réévaluation subséquente par l’autorité gouvernementale.

15.              L’erreur originale commise lors de l’évaluation des soumissions, à elle seule, ne justifie pas une crainte de partialité. Il incombe au plaignant de présenter des éléments de preuve à l’appui de sa plainte.

16.              Pour ce qui est de déterminer s’il y a une crainte raisonnable de partialité, le Tribunal applique le critère suivant :

[À] quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [cette personne], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste[5]?

17.              Les éléments de preuve présentés par Jaura à l’appui de son allégation de crainte raisonnable de partialité sont insuffisants et hautement spéculatifs, même à ce stade préliminaire où le plaignant n’a qu’à démontrer une « indication raisonnable » de crainte raisonnable de partialité, ce qui constituerait un motif pour ouvrir une enquête.

18.              Plus précisément, le Tribunal conclut qu’il n’y a aucune indication raisonnable qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait vraisemblablement à la conclusion que les évaluateurs du MAECD n’auraient pas réévalué les soumissions de façon équitable.

19.              En outre, dans sa lettre en date du 12 décembre 2018, le conseiller juridique de TPSGC a inclus une analyse relativement détaillée du processus de réévaluation, démontrant la façon dont TPSGC a abordé les préoccupations soulevées par un des évaluateurs. Le Tribunal est convaincu que l’explication offerte par le conseiller juridique de TPSGC au sujet de la réévaluation démontre que la proposition a été examinée minutieusement à la lumière des recommandations du Tribunal. Le fait qu’un certain aspect de la proposition ait fait l’objet de discussions lors de la réévaluation n’indique pas raisonnablement, en soi, que la réévaluation n’a pas été menée de manière équitable ou que la proposition du soumissionnaire retenu aurait dû être jugée non conforme lors de l’analyse consensuelle définitive. Il n’est pas rare ou inattendu que l’ensemble des évaluateurs ne s’entendent pas sur tous les points au début d’un processus d’évaluation. La question essentielle consiste à savoir si les évaluateurs ont réussi à atteindre un consensus de manière équitable tout en tenant compte des obligations en vertu des accords commerciaux. De plus, s’il y a eu des divergences initialement parmi les évaluateurs, cela ne signifie pas, en l’espèce, qu’il y avait une indication raisonnable de préjudice quelconque envers Jaura.

20.              Ainsi, le Tribunal conclut que la présente plainte ne démontre pas une indication raisonnable de violation des accords commerciaux applicables.

DÉCISION

21.              Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal décide de ne pas enquêter sur la plainte.




Jean Bédard                            
Jean Bédard, c.r.
Membre présidant



[1].     L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].     D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[3].     Sunny Jaura s/n Jaura Enterprises c. Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (21 novembre 2018), PR-2018-020 (TCCE).

[4].      En effet, dans d’autres instances devant le Tribunal, quand il y avait des préoccupations au sujet des capacités d’une équipe à réévaluer une proposition, le Tribunal a fait une recommandation précise à cet égard. Voir, par exemple, CGI Information Systems and Management Consultants Inc. c. Société canadienne des postes et Innovapost Inc. (14 octobre 2014), PR-2014-016 et PR-2014-021 (TCCE).

[5].     Prudential Relocation Canada Ltd. (30 juillet 2003), PR-2002-070 (TCCE).

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