Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2018-004

Digital Direct Multimedia

c.

Agence canadienne de développement international

Ordonnance et motifs rendus
le vendredi 22 juin 2018

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Digital Direct Multimedia aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE DE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

ET À LA SUITE D’une requête de l’Agence canadienne de développement international de mettre fin à l’enquête au motif que la plainte ne concerne pas un marché public d’une valeur égale ou supérieure au seuil de 101 100 $ prescrit par l’Accord de libre-échange canadien.

ENTRE

DIGITAL DIRECT MULTIMEDIA

Partie plaignante

ET

L’AGENCE CANADIENNE DE DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL

Institution fédérale

ORDONNANCE

La requête de l’Agence canadienne de développement international est accueillie. Aux termes du paragraphe 30.13(5) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur et de l’alinéa 10a) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, le Tribunal canadien du commerce extérieur met fin à son enquête au motif que la plainte ne concerne pas un contrat spécifique car la valeur du marché public qui fait l’objet de la plainte est en deçà du seuil de 101 100 $ (services) prescrit par l’Accord de libre-échange canadien.
















Serge Fréchette                       
Serge Fréchette
Membre présidant

EXPOSÉ DES MOTIFS

SOMMAIRE

1.                  Le 16 mai 2018, Digital Direct Multimedia (DDM) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1], concernant une demande de propositions (DP) (numéro de la demande de soumissions 7384143) publiée par l’Agence canadienne de développement international (ACDI) pour la prestation de services de photographie générale lors du Sommet du G7 de 2018 dans la région de Charlevoix.

2.                  Le 22 mai 2018, le Tribunal a décidé d’enquêter sur la plainte.

3.                  Le 5 juin 2018, l’ACDI a déposé la requête dont il est question dans les présents motifs. L’ACDI demandait au Tribunal de mettre fin à l’enquête au motif que la valeur des services demandés dans la DP n’atteint pas le seuil monétaire prescrit par l’Accord de libre-échange canadien (services : 101 100 $)[2].

4.                  Après examen des observations relativement à la requête de l’ACDI, le Tribunal constate que le seuil monétaire prescrit par l’ALEC n’est pas atteint et met donc fin à l’enquête.

RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE

5.                  Le 25 janvier 2018, l’ACDI a publié sur www.achatsetventes.gc.ca la première version de la DP, dont la date de clôture était le 1er mars 2018, comportant une clause de limitation des dépenses de 75 000 $. N’ayant reçu aucune soumission, l’ACDI a publié le 26 mars 2018 une seconde version de la DP, dont la date de clôture (après modification) était le 16 avril 2018, comportant une clause de limitation des dépenses de 95 000 $. DDM a présenté une soumission. Le Tribunal constate que la seconde version de la DP n’a pas été publiée sur www.achatsetventes.gc.ca, alors qu’elle portait le même numéro de demande de soumissions que la première version et que seuls les fournisseurs ayant participé à une conférence téléphonique, qui a eu lieu dans le cadre du processus non concluant concernant la DP dans sa première version, ont été invités à soumissionner.

6.                  Le 7 mai 2018, DDM a été avisée que sa soumission n’avait pas été retenue et que le soumissionnaire retenu était Keepoint Inc.[3]

7.                  Le 10 mai 2018, DDM a déposé une plainte auprès du Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement[4].

8.                  Le 16 mai 2018, DDM a déposé une plainte auprès du Tribunal.

9.                  Des échanges entre DDM et le Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement, qui sont au dossier, laissent entendre que DDM a décidé de s’adresser au Tribunal pour divers motifs : une incertitude quant à la valeur monétaire des services demandés dans la DP et la question de savoir si le seuil prescrit par l’ALEC était atteint; le fait qu’un contrat n’avait peut-être pas encore été octroyé au soumissionnaire retenu à la date du dépôt de sa plainte au Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement; les mesures correctives prévues par la Loi sur le TCCE – notamment le fait que DDM demandait l’annulation du contrat. Finalement, le Tribunal comprend que le Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement s’est désisté d’enquêter, en partie parce que DDM avait également saisi le Tribunal de sa plainte[5].

10.              DDM allègue que le processus de passation du marché public a été entaché de plusieurs irrégularités.

11.              Le 22 mai 2018, le Tribunal a décidé d’enquêter sur la plainte étant donné qu’il avait déterminé sur la foi des renseignements alors au dossier que les conditions pour faire enquête aux termes du paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[6] étaient remplies.

12.              Le 5 juin 2018, l’ACDI a déposé la requête dont il est question dans les présents motifs. Un échange d’observations s’en est suivi.

13.              Le 12 juin 2018, l’ACDI a demandé que des lettres de DDM datées des 8, 10 et 11 juin 2018 soient retirées du dossier parce qu’elles avaient été soumises hors du cadre de la procédure habituelle du Tribunal. Le Tribunal reconnaît que DDM a soumis nombre de documents non sollicités par le Tribunal depuis le dépôt de sa plainte, y compris les lettres des 8, 10 et 11 juin 2018. Par contre, le Tribunal reconnaît aussi que M. Roy n’est pas avocat et qu’il n’est pas un spécialiste de la procédure ayant trait au dépôt de plaintes auprès du Tribunal. Les documents visés par la demande de l’ACDI du 12 juin 2018 ne sont pas pertinents en ce qui concerne l’objet de la présente requête – à savoir si le seuil monétaire prescrit par l’ALEC a été atteint. Ces documents sont néanmoins pertinents pour M. Roy en ce qui a trait aux faits qu’il tente d’élucider dans sa plainte. Par conséquent, les documents spécifiés dans la demande de l’ACDI du 12 juin 2018 demeureront au dossier.

14.              L’ACDI a elle-même déposé des documents au dossier le 20 juin 2018 hors du cadre de la procédure normale – soit une facture de Keepoint datée du 11 juin 2018 et des observations concernant cette facture. DDM a eu l’occasion de fournir des observations sur ces documents, qui ont également été verséeis au dossier du Tribunal.

ANALYSE

15.              Le paragraphe 7(1) du Règlement énonce les conditions qui doivent être réunies pour que le Tribunal puisse enquêter sur une plainte. Une de ces conditions exige que la plainte porte sur un « contrat spécifique » (alinéa 7(1)b)).

16.              En outre, un « contrat spécifique » est un marché public dont la valeur doit être égale ou supérieure aux seuils monétaires prescrits par les accords commerciaux applicables (paragraphe 3(1) du Règlement). En l’espèce, le seul seuil pertinent est celui de 101 100 $ prescrit par l’ALEC pour les « services », car la valeur des services demandés dans la DP avoisine ce seuil et que les seuils spécifiés dans les autres accords commerciaux applicables sont supérieurs à celui de l’ALEC[7].

17.              Au moment du dépôt de la plainte, des éléments de preuve au dossier laissaient entendre que le seuil monétaire prescrit par l’ALEC aurait pu être atteint ou dépassé. Après examen des observations des parties dans le cadre de la requête de l’ACDI, le Tribunal constate que ce n’est pas le cas. Seul un contrat d’une valeur initiale de 83 350 $ appert avoir été adjugé suite à l’appel d’offres[8]. Le montant maximal de dépenses de 95 000 $ demeure la valeur de référence afin de déterminer si le marché est assujetti à l’ALEC. Étant donné que cette valeur est inférieure au seuil de 101 100 $ prévu par l’ALEC pour les « services », la DP n’a pas trait à un « contrat spécifique » au sens de l’alinéa 7(1)b) du Règlement. Le Tribunal n’a donc pas compétence pour examiner la plainte et doit par conséquent mettre fin à l’enquête.

18.              Le Tribunal comprend que DDM a pu penser que le seuil monétaire prescrit par l’ALEC avait été atteint à cause de l’ajout des taxes au montant maximal de dépenses de 95 000 $. Le Tribunal estime qu’une taxe n’est pas une « valeur » et ne doit donc pas être pris en considération dans l’analyse de la valeur totale maximale d’un marché. En effet, l’alinéa 505(1)b) de l’ALEC indique que la valeur totale maximale d’un marché tient compte de toutes les formes de rémunération, y compris les primes, les rétributions, les commissions et les intérêts, ainsi que la valeur totale des options. Le ou les taxes applicables sont un montant obtenu en imposant le pourcentage de la taxe à la valeur d’un marché mais ne constituent pas une « valeur » en soi. Elles ne constituent pas non plus une rémunération pour un cocontractant – plutôt, elles sont de la nature d’une perception qui est remise à l’État[9]. C’est le cas même si c’est l’État qui paie une taxe à un fournisseur de services, comme en l’espèce.

REMARQUES

19.              Le Tribunal regrette que l’ACDI semble avoir pu, sciemment ou non, contribuer, aux yeux de DDM, à une confusion concernant l’applicabilité ou non des accords commerciaux – et de la compétence du Tribunal, étant donné une valeur contractuelle qui est en définitive en deçà des seuils monétaires. Le fait que l’ACDI ait initialement invoqué l’exception de la sécurité nationale a également été une source de confusion.

20.              En effet, le Tribunal comprend parfaitement que des photographes présents à une réunion des leaders du G7 soient soumis à des exigences de sécurité. Par contre, le Tribunal comprend très mal comment l’invocation de l’exception de la sécurité nationale pour soustraire l’ensemble des droits prévus par l’ALEC (y compris le recours au Tribunal) a pu être justifiée pour ce qui est de la première version de la DP, dès lors que des photographes canadiens pouvaient faire preuve d’une cote de sécurité adéquate[10]. Le Tribunal souligne que l’exigence d’une cote de sécurité « Secret » semble avoir été abandonnée dans la seconde version de la DP.

21.              Également, l’exception de la sécurité nationale n’étant envisageable que dans le contexte de l’applicabilité d’un accord, pourquoi donc avoir invoqué, à l’origine, cette exception si le seuil monétaire prescrit par l’ALEC est supérieur à la valeur maximale initiale des besoins envisagés pour les services photographiques (75 000 $ par opposition à 101 100 $) : à 75 000 $, les règles de l’ALEC n’allaient forcément pas être applicables; celles des autres accords commerciaux non plus étant donné que leurs seuils monétaires sont supérieurs à celui de l’ALEC. Le Tribunal prend toutefois acte que l’exception à la sécurité nationale a été abandonnée dans une modification apportée à la première version de la DP.

22.              Dès lors que l’exception à la sécurité nationale ait été abandonnée, pourquoi alors ensuite avoir choisi d’indiquer que plusieurs accords commerciaux étaient applicables? La situation demeurait inchangée : aucun des seuils monétaires des accords commerciaux n’allait être atteint. Le Tribunal constate que cette incongruité a été reprise dans la seconde version de la DP alors qu’elle spécifiait encore une fois un montant maximal de valeur contractuelle en deçà du seuil prescrit par l’ALEC (95 000 $ par rapport à 101 100 $).

23.              De plus, si l’ACDI croyait que plusieurs accords commerciaux s’appliquaient, pourquoi alors s’est-elle retenue de publier la seconde version de la DP sur www.achatsetventes.gc.ca, un élément fondamental des accords commerciaux étant la publication des appels d’offres? Également, pourquoi l’ACDI s’est-elle donc limitée à inviter à soumissionner seulement des fournisseurs ayant participé à une conférence téléphonique qui a eu lieu dans le cadre du processus abandonnée de la DP dans sa première version? Le Tribunal s’étonne d’autant plus que des changements significatifs, notamment quant à la valeur maximale du contrat et la cote de sécurité, avaient été apportés d’une version à l’autre.

24.              Enfin, le Tribunal constate une irrégularité non expliquée quant à l’utilisation du même numéro de demande de soumissions pour la DP dans ses première et seconde versions.

25.              Malgré sa façon de faire parfois particulière, le Tribunal ne doute pas de la sincérité du représentant de DDM, M. Roy, qui est photographe et qui représente sa compagnie lui-même. Le Tribunal croit comprendre eu égard à ses observations qu’il soupçonne, à tort ou à raison, que le montant maximal de la DP a peut-être été dépassé ou qu’il y ait eu fractionnement de contrats pour les besoins en services photographiques lors du Sommet du G7, de telle sorte que le seuil monétaire prescrit par l’ALEC aurait été dépassé. Il n’y a, par contre, aucune preuve tangible à cet effet au dossier, et le Tribunal n’a aucune raison de douter de la véracité des affirmations de l’ACDI quant au montant des sommes engagées.

26.              Le Tribunal croit également comprendre que DDM allègue que l’ACDI songeait à se réserver l’option d’invoquer l’exception de la sécurité nationale dans le seul cas où ses besoins en services de photographie allaient s’avérer être supérieurs au seuil monétaire prescrit par l’ALEC – et ce afin d’échapper aux règles de cet accord. Le Tribunal précise qu’il n’a pas eu à examiner cette allégation étant donné la fin de l’enquête, mais indique qu’aucun élément de preuve au dossier ne semble l’étayer.

27.              En principe, une décision du Tribunal est finale. Une exception à ce principe survient lorsqu’une décision est fondée sur des faits erronés. Si une enquête éventuelle du Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement devait avoir lieu et/ou des informations supplémentaires obtenues par M. Roy indépendamment de l’intervention du Tribunal devaient révéler, malgré les affirmations de l’ACDI dans sa requête, que les dépenses engagées en services de photographie générale atteignaient le seuil monétaire prescrit par l’ALEC, le Tribunal pourrait réexaminer la présente ordonnance et reprendre l’enquête à laquelle il met présentement fin.

28.              Le Tribunal précise bien qu’il ne peut s’engager lui-même dans la recherche de telles informations, le cas échéant, étant donné qu’il doit mettre fin à la présente procédure sur la foi des éléments de preuve au dossier. Ces éléments de preuve ne permettent pas au Tribunal d’être saisi de cette affaire présentement puisque rien n’indique que le seuil monétaire prescrit par l’ALEC ait été atteint. Mais s’il devait y avoir une preuve des allégations de DDM, ce serait à M. Roy de déposer des éléments de preuve tangibles et convaincants; de simples allégations non étayées ne suffisent pas.

29.              Par conséquent, hormis une preuve établissant que le seuil monétaire prescrit par l’ALEC a été dépassé (et donc que l’ACDI a erronément prétendu le contraire), le Tribunal considère que la présente affaire est close.

30.              Si DDM en fait la demande, le Tribunal transférera l’ensemble du présent dossier non confidentiel au Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement. Une copie du dossier confidentiel de la plainte pourra également être remise à DDM pour faciliter toute démarche éventuelle de la part de M. Roy.

DÉCISION

31.              La requête de l’ACDI est accueillie. Aux termes du paragraphe 30.13(5) de la Loi sur le TCCE et de l’alinéa 10a) du Règlement, le Tribunal met fin à son enquête au motif que la plainte ne concerne pas un contrat spécifique, car la valeur du marché public qui fait l’objet de la plainte est en deçà du seuil de 101 100 $ (services) prescrit par l’ALEC.




Serge Fréchette                       
Serge Fréchette
Membre présidant



[1].     L.R.C. 1985, c. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].     Accord de libre-échange canadien, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2017/06/CFTA-Consolidated-Text-Final-Print-Text-French-.pdf> (entré en vigueur le 1er juillet 2017) [ALEC].

[3].     Pièces jointes à la plainte (pièce PR-2018-004-01, vol. 1 à la p. 23 de 180).

[4].     Pièces jointes à la plainte (pièce PR-2018-004-01A, vol. 2 à la p. 4 de 728). À noter que l’historique cité par DDM indique de manière erronée le 10 avril 2018, et que le formulaire de l’ombudsman indique plutôt le 14 mai 2018. Pièces jointes à la plainte (pièce PR-2018-004-01E, vol. 2A à la p. 6 de 15).

[5].     Pièces jointes à la plainte (pièce PR-2018-004-01A, vol. 2 aux p. 40-41, 50 et 66 de 728).

[6].     DORS/93-602 [Règlement].

[7].     Les seuils pour la période du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2019 sont énoncés dans l’avis suivant sur la politique des marchés : https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/avis-politique/2017-6.html.

[8].     L’ACDI a déposé au dossier une facture du soumissionnaire gagnant démontrant une prestation de services pour un montant de 94 167,50 $ (avant taxes). L’ACDI a indiqué que la valeur initiale du contrat a été revue à la hausse après sa signature.

[9].     PTI Services (28 novembre 2001), PR-2001-027 (TCCE).

[10].   Voir première version de la DP, article 6.1 et annexe C (cote « Secret » cochée).

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