Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2019-011

eVision Inc., SoftSim Technologies Inc., en coentreprise

c.

Bureau du Conseil privé

Décision et motifs rendus
le jeudi 22 août 2019

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par eVision Inc., SoftSim Technologies Inc., en coentreprise, aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

eVISION INC., SOFTSIM TECHNOLOGIES INC., EN COENTREPRISE

Partie plaignante

ET

BUREAU DU CONSEIL PRIVÉ

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande qu’une compensation soit versée à eVision Inc., SoftSim Technologies Inc., en coentreprise, pour perte d’opportunité d’un montant égal à la moitié des profits que SoftSim aurait raisonnablement réalisés si elle avait été l’adjudicataire.

Le montant de la compensation doit être négocié entre les parties. Les parties feront rapport au Tribunal canadien du commerce extérieur des résultats de leurs négociations dans les 30 jours suivant la date de la présente décision.

Si les parties sont incapables de s’entendre sur le montant de la compensation dans ce délai, la partie plaignante déposera auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, dans les 40 jours suivant la date de la présente décision, des observations sur la question de la compensation. Le défendeur disposera par la suite de sept jours ouvrables après réception des observations de la partie plaignante pour déposer des observations en réponse. La partie plaignante disposera par la suite de cinq jours ouvrables après réception des observations en réponse du défendeur pour déposer des observations supplémentaires le cas échéant.

Il relève de la compétence du Tribunal canadien du commerce extérieur de fixer le montant définitif de la compensation.

Chaque partie assumera ses frais.




Rose Ann Ritcey                     
Rose Ann Ritcey
Membre présidant


Membres du Tribunal :                                        Rose Ann Ritcey, membre présidant

Personnel de soutien :                                         Eric Wildhaber, conseiller juridique
Heidi Lee, conseillère juridique

Partie plaignante :                                                eVision Inc., SoftSim Technologies Inc., en coentreprise

Institution fédérale :                                            Bureau du Conseil privé

Conseillers juridiques pour l’institution fédérale :        Susan D. Clarke
Roy Chamoun
Nick Howard

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

1.                  La présente enquête a trait à une plainte déposée par eVision Inc. et SoftSim Technologies Inc., en coentreprise (ci-après « SoftSim »), concernant une demande de services (contrat no 20182430/A) publiée par le Bureau du Conseil privé (BCP) en vertu de l’arrangement en matière d’approvisionnement no EN578-060502 pour des services d’aide temporaire d’un conseiller spécial à la haute direction (la deuxième demande de services).

2.                  Le Tribunal canadien du commerce extérieur a accepté d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1] et conformément aux conditions énoncées dans le paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[2].

3.                  Le Tribunal a mené une enquête afin de déterminer la validité de la plainte conformément aux articles 30.13 à 30.15 de la Loi. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la plainte est fondée.

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

4.                  La demande de services en cause dans la présente plainte est la deuxième version d’une demande de services pour le même besoin. Le BCP a annulé la première version afin de corriger les incohérences dans la méthode de sélection et a informé les deux entreprises qui avaient soumissionné, dont SoftSim, qu’elles auraient la possibilité de présenter de nouvelles soumissions. Toutefois, le BCP a omis de transmettre la deuxième demande de services à SoftSim. La deuxième demande de services a par la suite pris fin et le contrat a été attribué à un autre soumissionnaire avant que SoftSim ou le BCP n’aient pris connaissance de l’erreur.

5.                  SoftSim soutient que l’erreur du BCP l’a privée d’une occasion équitable de soumissionner et que le BCP a fait preuve de partialité en faveur du soumissionnaire retenu. À titre de mesure corrective, SoftSim demande qu’une nouvelle demande de services soit lancée ou qu’elle soit autorisée à présenter de nouveau sa soumission en réponse à la deuxième demande de services.

CONTEXTE DE LA PROCÉDURE

6.                  Le BCP a lancé la première demande de services le 14 février 2019 et a reçu deux soumissions en réponse, dont une de SoftSim. La période de soumission a pris fin le 20 février 2019.

7.                  Le 26 février 2019, le BCP a annulé la première version de la demande de services afin de corriger des incohérences dans la méthodologie de sélection de la section « Méthode de sélection » [traduction]. (Le BCP n’a pris connaissance de ces incohérences qu’au moment de la réunion de concertation.) Plus précisément, le sous-titre de cette section prévoyait que l’offre recevable la moins-disante serait retenue, alors que le texte du paragraphe indiquait que la soumission retenue serait choisie en fonction de la note combinée la plus élevée pour le mérite technique et le prix, sans présenter une méthodologie ou une formule pour combiner les notes.

8.                  Le 27 février 2019, le BCP a communiqué par téléphone avec SoftSim et l’autre soumissionnaire pour les informer qu’une nouvelle demande de services prévoyant une méthode de sélection révisée serait lancée. Le BCP a informé les deux soumissionnaires qu’elles auraient la possibilité de présenter une nouvelle soumission.

9.                  Le 28 février 2019, le BCP a lancé la deuxième demande de services, qui clarifiait que la soumission retenue serait choisie en fonction de la note combinée la plus élevée pour le mérite technique et le prix, et qui établissait les formules utilisées pour calculer les notes. Le BCP a transmis par courriel la deuxième demande de services aux deux soumissionnaires, mais a entré une adresse électronique incorrecte pour SoftSim[3]. Par conséquent, SoftSim n’a pas reçu la deuxième demande de services. Le BCP reconnaît qu’il a reçu un avis automatique d’échec de remise du courriel, mais ne l’a pas remarqué à ce moment.

10.              Le processus de demande de services a pris fin le 5 mars 2019, et le contrat a été attribué à l’autre soumissionnaire.

11.              Le 29 mars 2019, SoftSim a envoyé un courriel au BCP pour donner suite à la deuxième demande de services et faire le point sur le processus d’approvisionnement. Dans ce courriel, SoftSim a également déclaré ce qui suit : « J’avais compris que vous nous enverriez des instructions ou des changements concernant la sélection des soumissions, ce qui nous permettrait de présenter à nouveau notre offre financière. Néanmoins, nous allons maintenir notre prix proposé. » [traduction] 

12.              Le BCP a répondu le même jour en transférant le courriel du 28 février 2019, et SoftSim a alors constaté l’erreur et a formulé une objection au BCP. Ce faisant, SoftSim a demandé au BCP de remédier à la situation.

13.              Le 7 mai 2019, le BCP a informé SoftSim qu’il avait évalué l’offre de SoftSim, d’après le courriel de l’entreprise du 29 mars 2019, selon les critères de la deuxième demande de services, et qu’il avait conclu que SoftSim n’aurait pas été le soumissionnaire retenu dans le cadre de la deuxième demande de services. Le BCP a rejeté l’objection de SoftSim pour motif que le résultat de la deuxième demande de services aurait été le même. 

14.              Le 16 mai 2019, SoftSim a déposé la présente plainte auprès du Tribunal.

Autres questions de procédure : désignations de confidentialité de SoftSim

15.              SoftSim a déposé un certain nombre de documents dans cette plainte, qu’elle avait tous initialement désignés comme « confidentiels » ou « protégés »[4] [traduction], sauf deux. SoftSim n’a déposé aucune explication justifiant les désignations, ni aucune version publique, ni aucun résumé de ces documents, comme l’exigent l’article 46 de la Loi et la règle 15 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[5].

16.              Le 24 mai 2019, le Tribunal a enjoint SoftSim à déposer les renseignements requis relativement à tous les documents désignés au plus tard le 31 mai 2019. Comme SoftSim ne l’a pas fait, le Tribunal a envoyé une deuxième lettre le 4 juin 2019, indiquant à SoftSim qu’elle devait déposer sans délai les renseignements requis. SoftSim n’a pas répondu à cette correspondance.

17.              Le 25 juin 2019, conformément au paragraphe 47(2) de la Loi, le Tribunal a avisé SoftSim qu’aucun des documents désignés comme « confidentiels » ou « protégés » ne méritait d’être désigné ainsi, à l’exception de ceux concernant le prix proposé par SoftSim, car les renseignements qu’ils contenaient ne se rapportaient ni à des renseignements commerciaux exclusifs ni à tout autre renseignement confidentiel de SoftSim. Le Tribunal a également avisé SoftSim qu’elle contrevenait toujours à l’alinéa 46(1)b) de la Loi parce qu’elle n’avait fourni aucun des renseignements requis au titre de cette disposition. Le Tribunal a informé SoftSim qu’elle devait se conformer au paragraphe 46(1) de la Loi ou retirer les désignations au plus tard le 10 juillet 2019, et que si elle ne le faisait pas, le Tribunal ne tiendrait plus compte des renseignements contenus dans les documents non conformes.

18.              Le 28 juin 2019, SoftSim a retiré les désignations de confidentialité de deux documents.

19.              Le 4 juillet 2019, le Tribunal a confirmé le retrait des désignations, mais a noté qu’un nombre important de documents de SoftSim n’étaient toujours pas conformes. Plus tard dans la journée, SoftSim a retiré les désignations de confidentialité de tous les documents, sauf ceux relatifs au prix de la soumission.

20.              Le 17 juillet 2019, conformément au paragraphe 48(3) de la Loi, le Tribunal a avisé SoftSim qu’elle ne respectait toujours pas l’alinéa 46(1)b) de la Loi, car elle n’avait pas présenté les versions publiques des documents contenant le prix confidentiel de sa soumission. Le Tribunal a demandé à SoftSim de cerner tous les documents contenant le prix confidentiel de sa soumission et de fournir les versions publiques de ces documents au plus tard le 25 juillet 2019. Le Tribunal a fait remarquer que si SoftSim ne se conformait pas aux exigences, les renseignements confidentiels ne seraient pas pris en compte dans la présente instance.

21.              SoftSim n’a pas répondu à la lettre du Tribunal.

22.              Le 6 août 2019, le Tribunal a informé les parties que l’enquête serait prolongée jusqu’à 135 jours en raison du défaut de SoftSim de se conformer aux directives du Tribunal. Le Tribunal a également reporté au 14 août 2019 la date limite pour que SoftSim se conforme aux directives énoncées dans la lettre du 17 juillet 2019 du Tribunal.

23.              Le 7 août 2019, SoftSim a informé le Tribunal que les noms et les renseignements des ressources proposées par SoftSim étaient également confidentiels. Softsim a donc soumis des versions publiques expurgées de ses documents confidentiels; toutefois, dans la version publique d’un document, Softsim a expurgé d’autres renseignements. De plus, elle n’a pas fourni de versions publiques pour sept documents, composés des curriculum vitae et des références de ses ressources.

24.              Le Tribunal fait remarquer que SoftSim n’a pas expliqué pourquoi ces renseignements sont confidentiels ni pourquoi elle n’a pas soulevé la question en réponse à la lettre du Tribunal du 25 juin 2019. Néanmoins, le Tribunal reconnaît que les curriculum vitae et les renseignements personnels sont généralement considérés comme étant confidentiels, comme le prévoient ses Lignes directrices sur la confidentialité. Ainsi, malgré l’absence d’explication de la part de SoftSim, le Tribunal reconnaît qu’en plus du prix de la soumission, les noms et les renseignements des ressources de SoftSim sont confidentiels. Le Tribunal note également que les expurgations qui vont au-delà des désignations de confidentialité n’ont pas d’importance dans la présente plainte. Par conséquent, compte tenu des circonstances en l’espèce, dans un souci d’efficacité et d’économie, le Tribunal accepte les expurgations.

ACCORDS COMMERCIAUX

25.              Les accords commerciaux applicables à la présente demande de services sont l’Accord de libre-échange nord-américain[6] et l’Accord de libre-échange canadien[7], dont les dispositions pertinentes sont les suivantes :

ALEC

Article 502 : Principes généraux

1.    Chaque Partie accorde un accès ouvert, transparent et non discriminatoire aux marchés couverts de ses entités contractantes.

[...]

Article 503 : Règles générales concernant les marchés publics

[...]

5.    Sauf disposition contraire du présent chapitre, y compris de l’article 513, la liste qui suit énumère, à titre indicatif, les pratiques considérées comme incompatibles avec les articles 502.1 [...] :

[...]

g)    fournir des renseignements à un fournisseur de façon à lui donner un avantage sur d’autres fournisseurs;

[...]

Article 509 : Spécifications techniques et documentation relative à l’appel d’offres

[...]

7.    Une entité contractante met à la disposition des fournisseurs la documentation relative à l’appel d’offres qui contient tous les renseignements nécessaires pour qu’ils puissent préparer et présenter des soumissions valables. [...]

[...]

Article 515 : Traitement des soumissions et adjudication des marchés

Traitement des soumissions

1.    Une entité contractante reçoit, ouvre et traite toutes les soumissions selon des procédures qui garantissent l’équité et l’impartialité du processus de passation des marchés, ainsi que la confidentialité des soumissions. 

[...]

ALÉNA

Article 1008 : Procédures de passation des marchés

1.    Chacune des Parties fera en sorte que les procédures de passation des marchés suivies par ses entités

a)    soient appliquées de façon non discriminatoire,

[...]

2.    À cet égard, chacune des Parties fera en sorte que ses entités

a)    ne communiquent pas à un fournisseur des renseignements se rapportant à tel ou tel marché, d’une manière qui aurait pour effet d’empêcher la concurrence, et

[...]

POSITION DES PARTIES

SoftSim

26.              SoftSim soutient qu’elle a été privée d’une occasion équitable de participer au processus d’invitation à soumissionner en raison de l’erreur du BCP. SoftSim fait également valoir que l’évaluation de sa soumission par le BCP selon les critères de la deuxième demande de services n’était pas légitime. Elle ajoute que si elle avait eu l’occasion de prendre connaissance des conditions de la deuxième demande de services, elle n’aurait pas présenté la même soumission.

27.              SoftSim soutient également que l’erreur du BCP démontre la partialité du BCP envers le soumissionnaire retenu. Plus précisément, SoftSim prétend que, puisqu’elle aurait remporté le contrat dans le cadre de la première demande de services (à titre de plus bas soumissionnaire conforme), le BCP a délibérément changé la méthode de sélection de façon à favoriser le soumissionnaire retenu et a délibérément omis de lui transmettre la deuxième demande de services.

BCP

28.              Le BCP admet que la deuxième demande de services n’a pas été transmise correctement à SoftSim et qu’il n’a pas remarqué l’avis automatique d’échec de remise dans sa boîte de réception de courriels. Toutefois, elle soutient qu’il s’agit d’une erreur involontaire qui a tout simplement été détectée trop tard.

29.              Bien que le BCP admette l’erreur, il fait valoir qu’aucune mesure corrective n’est appropriée dans les circonstances. Le BCP soutient qu’il s’est fondé, et ce à juste titre, sur le courriel de SoftSim du 29 mars 2019, dans lequel SoftSim indiquait qu’elle allait « maintenir [son] prix proposé » [traduction], pour évaluer l’offre de SoftSim pour la deuxième demande de services et déterminer ainsi que SoftSim n’aurait pas obtenu le contrat attribué dans le cadre de la deuxième demande de services.

ANALYSE

30.              Pour commencer, le Tribunal se penchera sur les allégations de partialité de la part du BCP soutenues par SoftSim. Il ne fait aucun doute que l’obligation d’agir avec équité s’applique à la procédure d’adjudication des marchés publics du gouvernement fédéral, et il est bien établi qu’un plaideur n’est tenu d’établir que l’existence d’une crainte raisonnable de partialité pour pouvoir contester la validité de la mesure administrative à laquelle une obligation d’agir avec équité s’applique, de sorte qu’une décision puisse être annulée[8]. Pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité, le Tribunal doit tenir compte de ce que conclurait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique[9]. Selon les éléments de preuve, le Tribunal conclut que SoftSim n’a pas rempli ce critère.

31.              Le Tribunal fait remarquer que la première version de la demande de services ne prévoyait pas de méthode de sélection claire et qu’il n’y a donc aucune raison de conclure que SoftSim aurait remporté le marché. À cet égard, SoftSim n’a présenté aucun autre élément de preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle elle aurait gagné le contrat. De plus, il n’y a aucun élément de preuve étayant l’allégation de SoftSim selon laquelle la façon dont le BCP a modifié la méthode de sélection dans la deuxième demande de services a favorisé l’autre soumissionnaire.

32.              De plus, aucun élément de preuve n’établit que le BCP a délibérément caché la deuxième demande de services à SoftSim. Le Tribunal accepte l’affirmation du BCP selon laquelle son omission de transmettre la deuxième demande de services à SoftSim était une erreur involontaire. Le BCP soutient qu’il a reçu un avis automatique d’échec de remise du courriel, mais que celui-ci n’a pas été remarqué. Comme le BCP l’a expliqué, l’avis a été envoyé à une boîte de réception générale qui est utilisée et surveillée par de nombreux utilisateurs. Le Tribunal note également que le BCP a pris des mesures pour prévenir ce type d’erreur à l’avenir.

33.              Dans l’ensemble, le Tribunal conclut que l’allégation de partialité soutenue par SoftSim repose uniquement sur des conjectures. De l’avis du Tribunal, une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne conclurait donc pas qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du BCP.

34.              Indépendamment de ce qui précède, le Tribunal conclut que le BCP a néanmoins manqué à ses obligations en vertu du paragraphe 509(7) de l’ALEC.

35.              D’après les faits, il est clair que l’erreur du BCP a directement privé SoftSim de sa capacité de participer de façon significative au processus d’approvisionnement. Après avoir annulé la première demande de services, le BCP a informé les deux soumissionnaires qu’il transmettrait la deuxième demande de services et que chaque soumissionnaire pourrait présenter une nouvelle soumission. Par suite de l’erreur du BCP, SoftSim ne savait pas que la deuxième demande de services avait été émise et n’a pas eu l’occasion de présenter une soumission recevable. De plus, parce que SoftSim n’a pas eu l’occasion de consulter la deuxième demande de services, le Tribunal conclut que le courriel de SoftSim du 29 mars 2019 ne peut se substituer à une soumission réelle. Ainsi, le Tribunal n’accorde aucun poids à l’évaluation ultérieure de la soumission de SoftSim par le BCP, ni à la conclusion du BCP selon laquelle le résultat de la deuxième demande de services aurait été le même.

36.              Le Tribunal conclut également que le BCP contrevient à l’alinéa 1008(2)a) de l’ALÉNA, qui prévoit que les entités ne communiquent pas à un fournisseur des renseignements se rapportant à tel ou tel marché, d’une manière qui aurait pour effet d’empêcher la concurrence. Bien que le Tribunal reconnaisse que le défaut de transmettre la deuxième demande de services à SoftSim était une erreur involontaire, le Tribunal conclut que l’erreur du BCP a eu pour effet d’empêcher la concurrence de SoftSim.

37.              Par conséquent, le Tribunal conclut que la plainte de SoftSim est fondée et se penchera maintenant sur la question de la mesure corrective.

MESURE CORRECTIVE ET FRAIS

38.              Le BCP soutient qu’aucune mesure corrective n’est appropriée dans les circonstances, car il n’y avait aucune possibilité que SoftSim soit le soumissionnaire retenu dans le cadre de la deuxième demande de services.

39.              Comme le Tribunal l’a conclu ci-dessus, SoftSim n’a pas eu l’occasion de répondre à la deuxième demande de services. Ainsi, le Tribunal n’est pas en mesure de déterminer si SoftSim aurait été ou non le soumissionnaire retenu et, par conséquent, le Tribunal n’est pas convaincu par les arguments du BCP selon lesquels aucune réparation n’est appropriée dans les circonstances.

40.              Subsidiairement, le BCP soutient que si le Tribunal conclut qu’une mesure corrective est requise, la mesure appropriée serait le versement d’une compensation pour perte d’opportunité. Comme mentionné ci‑dessus, SoftSim demande qu’un nouvel appel d’offres soit lancé ou qu’elle puisse présenter à nouveau sa soumission en réponse la deuxième demande de services.

41.              Dans sa décision sur la mesure corrective appropriée, le Tribunal tient compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché en question, tel qu’énoncé au paragraphe 30.15(3) de la Loi, dont les suivants : 1) la gravité des irrégularités qu’il a constatées; 2) l’ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé; 3) l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication; 4) la bonne foi des parties; 5) le degré d’exécution du contrat.

42.              Les éléments de preuve indiquent que la violation des accords commerciaux en l’espèce était attribuable à une erreur commise par inadvertance, ce qui vient minimiser le préjudice à l’intégrité et à l’efficacité du mécanisme d’adjudication. Rien n’indique que l’une ou l’autre des parties ait agi de mauvaise foi. Toutefois, le Tribunal conclut que l’erreur du BCP a causé un préjudice important à SoftSim en empêchant la concurrence. En ce qui concerne le degré d’exécution du contrat, le Tribunal note que le contrat a été attribué le 13 mars 2019 et qu’il a été exécuté en grande partie. Le Tribunal accepte l’argument du BCP selon lequel perturber le contrat à ce stade aurait une incidence négative sur le soumissionnaire retenu et les exigences opérationnelles du BCP, serait inefficace et fournirait une mince réparation à SoftSim.

43.              Compte tenu de ce qui précède, aux termes du paragraphe 30.15(2) de la Loi et conformément à ses Lignes directrices sur les indemnités dans une procédure portant sur un marché public, le Tribunal conclut que la mesure corrective appropriée est le versement d’une compensation pour perte d’opportunité.

44.              En règle générale, pour calculer le montant d’une compensation pour perte d’opportunité, le Tribunal divise les profits qu’un contrat aurait rapportés à la plaignante par le nombre de soumissionnaires potentiels. L’objectif consiste à quantifier la valeur de la perte d’opportunité en raison de la violation commise par le gouvernement, et non d’accorder une rentrée d’argent imprévu à la plaignante. Par conséquent, SoftSim devrait être compensée pour perte d’opportunité d’un montant représentant les profits qu’elle aurait raisonnablement réalisés à titre d’adjudicataire divisés par le nombre total de fournisseurs, en l’espèce deux.

45.              Le BCP soutient que la marge bénéficiaire appropriée est 10 pour cent de la valeur du contrat, tandis que SoftSim n’a fait aucune observation à cet égard. Par conséquent, avant de permettre le dépôt d’observations supplémentaires sur le montant de la compensation, le Tribunal demande aux parties de premièrement tenter de négocier un règlement, comme indiqué ci-dessous.

46.              Puisque aucune des parties n’a demandé d’être indemnisée pour les frais engagés, le Tribunal n’accorde pas d’indemnité aux parties en l’espèce[10].

DÉCISION

47.              Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée.

48.              Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi, le Tribunal recommande qu’une compensation soit versée à SoftSim pour perte d’opportunité d’un montant égal à la moitié des profits que SoftSim aurait raisonnablement réalisés si elle avait été l’adjudicataire.

49.              Le montant de la compensation doit être négocié entre les parties. Les parties feront rapport au Tribunal des résultats de leurs négociations dans les 30 jours suivant la date de la présente décision.

50.              Si les parties sont incapables de s’entendre sur le montant de la compensation dans ce délai, SoftSim déposera auprès du Tribunal, dans les 40 jours suivant la date de la présente décision, des observations sur la question de la compensation. Le BCP disposera par la suite de sept jours ouvrables après réception des observations de SoftSim pour déposer des observations en réponse. SoftSim disposera par la suite de cinq jours ouvrables après réception des observations en réponse du BCP pour déposer des observations supplémentaires le cas échéant. Les parties doivent communiquer simultanément leurs observations au Tribunal et à l’autre partie.

51.              Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de la compensation.




Rose Ann Ritcey                     
Rose Ann Ritcey
Membre présidant



[1].     L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].     D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[3].     Le BCP a entré une mauvaise adresse courriel pour SoftSim, soit « @softsims.ca » plutôt que la bonne adresse, « @softsim.ca ».

[4].     Le Tribunal fait remarquer que même si la désignation « Protégé » n’est pas inscrite dans le cadre de confidentialité du Tribunal, il a néanmoins traité cette désignation comme étant une désignation de confidentialité.

[5].     D.O.R.S./91-499 [Règles].

[6].     Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/nafta-alena/fta-ale/index.aspx?lang=fra> (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

[7].     Accord de libre-échange canadien, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2017/06/CFTA-Consolidated-Text-Final-Print-Text-French-.pdf> (entré en vigueur le 1er juillet 2017) [ALEC].

[8].     Voir CGI Information Systems and Management Consultants Inc. c. Société canadienne des postes et Innovaposte Inc. (14 octobre 2014), PR-2014-016 et PR-2014-021 (TCCE) au par. 161.

[9].     Sunny Jaura s/n Jaura Enterprises (30 janvier 2019), PR-2018-058 (TCCE) au par. 16.

[10].   Voir Exeter c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 134 (CanLII), décision dans laquelle la Cour d’appel fédérale a conclu que les parties doivent réclamer les dépens pour les obtenir.

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