Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2019-038

Avro Bourdeau Aerospace Corp.

 

Décision prise
le mercredi 9 octobre 2019

Décision et motifs rendus
le jeudi 17 octobre 2019

 

 


EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

PAR

AVRO BOURDEAU AEROSPACE CORP.

CONTRE

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur décide de ne pas enquêter sur la plainte.
















Serge Fréchette                       
Serge Fréchette
Membre présidant

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

1.                  En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1], tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[2], déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

2.                  La plainte porte sur une Invitation à la liste des fournisseurs (ILF) et un Avis de projet de marché (APM) pour le Projet de capacité future en matière d’avions de chasse (PCFAC) (invitations W847A-180210/A et W847A-180210/B). Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) avait présenté une demande de soumissions au nom du ministère de la Défense nationale pour l’acquisition de 88 chasseurs sophistiqués.

3.                  La plaignante, la société Avro Bourdeau Aerospace (Avro Bourdeau), décrit son objectif comme « la renaissance durable des secteurs canadiens de l’innovation, de la fabrication de pointe et de l’aérospatiale supersonique »[3] [traduction]. M. Marc Bourdeau est le président et chef de la direction de la société, laquelle plaide en faveur de la mise en place d’un programme d’acquisition de chasseurs fabriqués au Canada depuis au moins 2010.

4.                  La présente plainte comporte différentes critiques sur le processus du PCFAC. Avro Bourdeau fait valoir que les « efforts [qu’elle a] déployés pour rétablir, par l’intermédiaire du PCFAC, les capacités aérospatiales qui ont fait du Canada un chef de file à l’échelle mondiale par le passé »[4] [traduction] ont accusé un « retard sensible » [traduction] au cours des neuf dernières années. En outre, Avro Bourdeau prétend que les critères de sélection pour le marché public relatif au PCFAC ne permettent qu’à des fournisseurs étrangers de se qualifier. Selon ce que comprend le Tribunal, Avro Bourdeau allègue ainsi que les critères de sélection sont discriminatoires à l’endroit des fournisseurs canadiens potentiels.

5.                  Le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte d’Avro Bourdeau au motif qu’elle n’a pas été déposée dans les délais prévus à l’article 6 du Règlement. En outre, il n’y a dans la plainte aucune indication raisonnable que la procédure du marché public ait pu contrevenir aux accords commerciaux, comme l’exige le paragraphe 7(1) du Règlement.

CONTEXTE

6.                  TPSGC a publié l’ILF le 12 décembre 2017 (« invitation A »). L’ILF indiquait que la date limite pour envoyer les réponses était fixée au 9 février 2018, et elle précisait ce qui suit : « Seuls les Fournisseurs figurant sur la liste de fournisseurs au moment de l’avis de demande de soumissions seront invités à participer à l’engagement formel des fournisseurs subséquent et à soumettre des propositions lors du processus d’approvisionnement concurrentiel du PCFAC »[5].

7.                  Avro Bourdeau s’est inscrite sur la « Liste des fournisseurs intéressés » pour le PCFAC et a obtenu une rencontre avec TPSGC à la fin de janvier 2018[6]. Il ressort de la plainte que M. Bourdeau avait indiqué avoir des réserves par rapport aux critères de sélection : selon lui, seuls les fournisseurs étrangers pouvaient se qualifier pour la liste des fournisseurs. Lors de la rencontre, des représentants de TPSGC ont expliqué à M. Bourdeau que les consultations auprès de l’industrie avaient été menées au cours des deux années précédentes et qu’aucune modification ne serait apportée aux critères de sélection du PCFAC[7].

8.                  Le 9 février 2018, Avro Bourdeau a présenté sa « Lettre d’intérêt » pour le PCFAC[8]. Cette lettre comportait le passage suivant : « [N]ous nous devons de conclure, à notre grande déception, qu’il serait plus facile de faire passer un chameau par le trou d’une aiguille que de participer au PCFAC […] L’invitation à présenter une lettre d’intérêt empêche de fait les sociétés canadiennes de mettre sur pied un fabricant de pièces d’origine pour les chasseurs à réaction […] Nous constatons aussi que nous devons faire face à des difficultés supplémentaires pour pouvoir nous qualifier à titre de fournisseur selon les critères du PCFAC » [9] [traduction].

9.                  Le 22 février 2018, Paula Folkes-Dallaire (la directrice principale du PCFAC) a informé Avro Bourdeau que sa soumission était incomplète et qu’elle ne satisfaisait pas à l’exigence suivante : « Le Fabricant doit présentement avoir un chasseur en cours de production qui : peut soutenir un vol de niveau supersonique; permet le ravitaillement air-air; et peut transporter et utiliser des armes air-air et air-surface dans un environnement contesté »[10].

10.              Le 22 février 2018, TPSGC a publié la liste des fournisseurs (c’est-à-dire les résultats de l’invitation A). Le nom d’Avro Bourdeau n’y figurait pas.

11.              Le 16 juillet 2019, M. Bourdeau a envoyé une lettre au premier ministre Justin Trudeau. Le bureau de ce dernier a transmis la lettre à Carla Qualtrough, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement et de l’Accessibilité, le 23 juillet 2019. Dans sa lettre, M. Bourdeau s’opposait à différents aspects du processus du PCFAC et demandait que le gouvernement verse quatre milliards de dollars au programme aérospatial de sa société[11].

12.              Le 23 juillet 2019, TPSGC a publié l’APM (« invitation B »), laquelle correspond à la deuxième étape du processus d’approvisionnement relatif au PCFAC et ne comprend que les fournisseurs qui se sont qualifiés pour la liste des fournisseurs par l’intermédiaire de l’invitation A.

13.              Le 17 septembre 2019, M. Bourdeau a envoyé un courriel à la ministre Qualtrough pour s’opposer au fait qu’Avro Bourdeau n’avait pas pu participer au processus d’approvisionnement lié au PCFAC[12]. La lettre précisait ce qui suit : « [S]i je ne reçois pas de réponse officielle et sérieuse au présent courriel d’ici 17 h, le lundi 23 septembre 2019, je présumerai que vous avez officiellement rejeté notre programme de chasseurs construits au Canada pour le PCFAC […] »[13] [traduction].

14.              Avro Bourdeau a déposé la présente plainte le 7 octobre 2019.

ANALYSE

15.              Le 9 octobre 2019, aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte. Il a conclu que celle-ci n’avait pas été déposée dans les délais prévus dans le Règlement. En outre, il a jugé que, dans la plainte, il n’y avait aucune indication raisonnable que la procédure du marché public avait enfreint les accords commerciaux. Par conséquent, le Tribunal n’enquêtera pas sur la plainte.

16.              Selon les paragraphes 6(1) et 6(2) du Règlement, un plaignant doit présenter une opposition à l’institution fédérale concernée ou déposer une plainte auprès du Tribunal dans les dix jours ouvrables suivant la date où il a pris connaissance (ou aurait dû vraisemblablement prendre connaissance) des faits à l’origine de la plainte. Le paragraphe 6(2) exige du plaignant qui a présenté une opposition à l’institution fédérale concernée qu’il dépose une plainte auprès du Tribunal dans les dix jours ouvrables suivant la date où il a appris, directement ou par déduction, que ladite institution refusait de lui accorder la réparation demandée.

17.              Avro Bourdeau fait valoir qu’elle a déposé sa plainte auprès du Tribunal en temps opportun, puisqu’elle l’a fait dans les dix jours ouvrables suivant le 23 septembre 2019, date du délai fixé par M. Bourdeau à la ministre Qualtrough pour répondre à sa lettre.

18.              Le Tribunal est d’avis que le 23 septembre 2019 n’est pas la date à partir de laquelle il faut calculer le délai de dix jours ouvrables. Aux termes du paragraphe 6(2) du Règlement, le délai de dix jours ouvrables suivant le refus de réparation par une institution fédérale ne s’applique que si l’opposition a été présentée à cette institution dans les dix jours suivant la date à laquelle le plaignant a pris connaissance des faits à l’origine de sa plainte. Cependant, la lettre à l’intention de la ministre Qualtrough a été envoyée bien après le délai de dix jours ouvrables suivant la date à laquelle Avro Bourdeau a été informée des faits qui ont donné lieu à sa plainte.

19.              Comme l’indique la chronologie présentée ci-dessus, TPSGC a informé Avro Bourdeau qu’elle n’était pas admissible à la liste des fournisseurs en janvier 2018. Le Ministère a ensuite avisé la société que sa proposition était inadmissible le 22 février 2018. Ces deux événements démontrent qu’Avro Bourdeau connaissait ou aurait raisonnablement dû connaître, au plus tard en février 2018, les faits à l’origine de sa plainte. Avro Bourdeau n’a pas déposé de plainte auprès du Tribunal à cette époque, et ce, même si TPSGC avait rejeté ses oppositions et que le délai de dix jours ouvrables prévu à l’article 6 du Règlement avait commencé à courir. La société a plutôt attendu plus d’un an et demi avant de déposer sa plainte. À ce titre, la plainte d’Avro Bourdeau est frappée de prescription.

20.              Le Tribunal constate que l’invitation B a été publiée le 23 juillet 2019. Pour qu’un fournisseur potentiel puisse participer à l’invitation B, il devait se qualifier pour une inscription à la liste des fournisseurs par l’intermédiaire de l’invitation A. Étant donné qu’Avro Bourdeau n’a pas été inscrite sur la liste des fournisseurs par l’intermédiaire de l’invitation A, elle n’était pas un « fournisseur potentiel » pour les fins de l’invitation B aux termes de l’alinéa 7(1)a) du Règlement. Il s’ensuit encore une fois qu’Avro Bourdeau ne peut se plaindre maintenant à propos de l’invitation B si les motifs de se plaindre de son exclusion de l’invitation A étaient connus depuis plus d’un an et demi.

21.              Le Tribunal n’enquête pas sur les processus d’approvisionnement dans leur ensemble, non plus qu’il ne s’immisce dans les décisions stratégiques d’acquisition. La compétence du Tribunal ne peut être engagée en l’absence d’éléments de preuve indiquant de façon raisonnable que les accords commerciaux ont été violés. En l’espèce, le Tribunal conclut que la plainte n’établit pas une telle violation.

22.              Si le Tribunal comprend bien les faits allégués et les motifs de la plainte, Avro Bourdeau conteste les critères de sélection du PCFAC parce qu’ils seraient discriminatoires. Il est bien établi qu’une institution fédérale peut définir ses « exigences opérationnelles légitimes et raisonnables et [y] répondre, pourvu que le marché public ne soit pas élaboré de façon à favoriser un fournisseur potentiel en particulier »[14]. Le Tribunal constate qu’à première vue, la liste des fournisseurs comporte les noms de plusieurs fournisseurs qualifiés et que le processus d’approvisionnement ne démontre pas, par ailleurs, de favoritisme à l’égard d’un fournisseur en particulier, en dépit des allégations figurant dans la plainte. Il n’y a pas davantage de circonstance exceptionnelle qui justifierait l’intervention du Tribunal à cet égard. Les faits allégués par Avro Bourdeau ne révèlent tout simplement pas le moindre début de preuve de violation des accords commerciaux.

23.              Enfin, le Tribunal constate qu’une exception au titre de la sécurité nationale a été invoquée dans l’invitation de façon à ce que l’approvisionnement ne soit pas visé par les exigences de tout accord commercial autrement applicable. Étant donné que la plainte ne respecte pas les exigences des articles 6 et 7 du Règlement, le Tribunal n’a pas à décider si l’exception au titre de la sécurité nationale a été correctement invoquée.

DÉCISION

24.              Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal décide de ne pas enquêter sur la plainte.




Serge Fréchette                       
Serge Fréchette
Membre présidant



[1]      L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2]      DORS/93-602 [Règlement].

[3]      Pièce PR-2019-038-01, vol. 1 à la p. 41.

[4]      Pièce PR-2019-038-01, vol. 1 à la p. 1.

[5]      Invitation W847A-180210/A, en ligne : https://buyandsell.gc.ca/cds/public/2017/12/12/958a31560119eea161b1dd72c3e9591a/ABES.PROD.PW_NGF.B002.F26574.EBSU000.PDF

[6]      Pièce PR-2019-038-01, vol. 1 aux p. 66, 85.

[7]      Pièce PR-2019-038-01, vol. 1 à la p. 85.

[8]      Pièce PR-2019-038-01, vol. 1 à la p. 98.

[9]      Pièce PR-2019-038-01, vol. 1 aux p. 98-99.

[10]     Pièce PR-2019-038-01, vol. 1 à la p. 74.

[11]     Pièce PR-2019-038-01, vol. 1 à la p. 84.

[12]     Pièce PR-2019-038-01, vol. 1 aux p. 16-18.

[13]     Pièce PR-2019-038-01, vol. 1 à la p. 18.

[14]     J.K. Engineering Ltd. (15 décembre 2015), PR-2015-045 (TCCE) au par. 37.

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