Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2018-006

Vidéotron Ltée

c.

Services partagés Canada

Ordonnance rendue
le vendredi 5 octobre 2018

Motifs rendus
le lundi 22 octobre 2018

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Vidéotron Ltée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

ET À LA SUITE D’une requête déposée par Services partagés Canada le 15 juin 2018 aux termes de l’article 24 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, en vue d’obtenir une ordonnance du Tribunal canadien du commerce extérieur mettant fin à l’enquête.

ENTRE

VIDÉOTRON LTÉE

Partie plaignante

ET

SERVICES PARTAGÉS CANADA

Institution fédérale

ORDONNANCE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur accueille, par la présente, la requête déposée par Services partagés Canada et, aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, rejette la plainte et met fin à son enquête et à toute procédure connexe.







Jean Bédard                            
Jean Bédard, c.r.
Membre présidant

 

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

1.                  Le 25 mai 2018, Vidéotron Ltée (Vidéotron), de Montréal (Québec), a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) en vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1].

2.                  Dans sa plainte, Vidéotron allègue que Services partagés Canada (SPC) a attribué, sans avoir mené de processus d’appel d’offres, un ou plusieurs contrats à Bell Canada ou à l’une de ses sociétés affiliées (Bell) pour certaines infrastructures de télécommunications en lien avec le Sommet du G7 tenu à La Malbaie (Québec) les 8 et 9 juin 2018, soit des contrats pour :

a.       la mise à niveau de centrales de commutation téléphonique et de réseaux de communication à large bande, y compris l’installation de fibre optique;

b.      la construction et l’installation d’au moins treize tours de téléphonie cellulaire le long des routes 138, 170 et 362, lesquelles relient les villes de Québec, La Malbaie et Bagotville.

3.                  Vidéotron allègue que l’attribution de ces contrats a enfreint le chapitre 5 (y compris les articles 500, 502, 504, 505, 506 et 515) de l’Accord de libre-échange canadien[2] et le chapitre 10 (y compris les articles 1010 et 1013) de l’Accord de libre-échange nord-américain[3].

4.                  Le 29 mai 2018, le Tribunal a accepté d’enquêter sur la plainte, puisque celle-ci répondait aux exigences du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE ainsi qu’aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[4].

5.                  Le 11 juin 2018, Bell a demandé le statut d’intervenant, ce que le Tribunal lui a accordé le 19 juin 2018.

REQUÊTE DÉPOSÉE PAR SPC ET POSITIONS DES PARTIES

6.                  Le 15 juin 2018, SPC a déposé une requête auprès du Tribunal vertu de l’article 24 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur lui demandant de décliner sa compétence par rapport à la plainte et de rendre une ordonnance mettant fin à son enquête.

7.                  Vidéotron et Bell ont pu soumettre des observations concernant cette requête. De plus, SPC a répondu aux observations de Vidéotron et de Bell, et Vidéotron a soumis une réponse aux observations présentées par Bell.

8.                  Dans sa requête, SPC allègue que la plainte déposée par Vidéotron ne concerne pas un processus d’approvisionnement assujetti aux accords commerciaux, mais soulève plutôt des questions liées à l’administration de contrats, une matière qui ne relève pas du mandat du Tribunal. SPC soutient que les travaux visés par les contrats faisant l’objet de la plainte ont été exécutés en vertu de contrats qui ont été octroyés à Bell dans le cadre de processus d’approvisionnement passés et qu’il n’y a pas eu de processus d’approvisionnement ni de contrat spécifique pour les travaux liés au Sommet du G7.

9.                  De plus, SPC allègue ce qui suit :

1.      Vidéotron n’était pas un fournisseur potentiel dans le cadre de ces processus d’approvisionnement passés et n’a donc pas qualité pour agir en l’instance.

2.      Un des marchés était assujetti à l’exception au titre de la sécurité nationale (ESN), ce qui a pour effet d’exempter ce marché des dispositions des accords commerciaux.

3.      La plainte déposée par Vidéotron est en partie hors délai.

10.              Pour sa part, Vidéotron demande au Tribunal de rejeter la requête déposée par SPC. Vidéotron soutient que sa plainte vise l’octroi par SPC de deux nouveaux contrats à Bell, et non l’administration de contrats antérieurs octroyés à Bell. Videotron soutient également qu’elle était un fournisseur potentiel pour les travaux requis dans le cadre du G7 et n’a pas pu participer à un processus d’appel d’offres inexistant.

11.              Vidéotron fait valoir que l’ESN générale invoquée par SPC ne s’applique pas aux nouveaux contrats portant sur les tours cellulaires. Subsidiairement, Vidéotron allègue que l’invocation de l’ESN ne peut soustraire la plainte de la compétence du Tribunal. Finalement, Vidéotron réfute les allégations de SPC selon lesquelles sa plainte est en partie hors délai.

12.              Bell appuie la requête déposée par SPC et soutient l’argument de SPC selon lequel la plainte concerne des questions d’administration de contrats. Bell appuie également l’argument de SPC selon lequel Vidéotron n’est pas – et n’était pas – un fournisseur potentiel. Bell soutient également que la plainte de Vidéotron est hors délai.

13.              Tel qu’expliqué plus en détail ci-dessous, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas, en l’espèce, de contrat spécifique et que le Tribunal n’a donc pas compétence pour enquêter sur la plainte.

14.              En effet, il appert que les travaux faisant l’objet de la plainte ont été réalisés en vertu de deux marchés publics antérieurs :

a.       un marché public adjugé par le ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux (TPGSC) à Bell le 22 novembre 2010 (contrat no EN869-091651/001/EF[5]) suite à la publication de demandes de renseignements (invitations no EN869-070215/A et EN869-091651/A[6]) et d’un préavis d’adjudication de contrat (no EN869-091651/001/B[7]), portant sur la fourniture de services d’accès téléphonique local (SAL), c’est-à-dire des services téléphoniques de base au moyen de téléphones fixes traditionnels (services communément appelés « Centrex »);

b.      un marché public adjugé par SPC à Bell le 28 juin 2017 (contrat no 700385683[8]) relativement à une invitation à se qualifier (ISQ) (invitation no 10047830[9]) et à une demande de propositions (DP) auprès des fournisseurs qualifiés (invitation no 10047830[10]), portant sur l’obtention de services et produits cellulaires au Canada ainsi que sur l’itinérance aux États-Unis et à l’étranger (services cellulaires gouvernementaux ou SCG).

ANALYSE DU TRIBUNAL

Principes généraux quant à la compétence du Tribunal

15.              La requête déposée par SPC soulève la question de la compétence du Tribunal pour enquêter sur la plainte déposée par Vidéotron.

16.              Le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE dispose que la compétence du Tribunal est limitée à « une plainte [...] concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique » [nos italiques]. La compétence du Tribunal est donc limitée aux contestations portant sur la procédure de passation des marchés, procédure qui débute au moment où une entité décide des produits ou services à acquérir et qui se poursuit jusqu’à l’adjudication du marché. Les questions subséquentes à l’adjudication d’un contrat, c’est-à-dire les questions d’administration de contrats, ne relèvent pas de la compétence du Tribunal[11].

17.              Ceci dit, le Tribunal a aussi conclu que, si des modifications substantielles sont apportées aux exigences obligatoires, les rendant complètement contradictoires par rapport aux exigences originales, la plainte pouvait être de son ressort dans la mesure où il ne s’agit pas simplement d’une question relevant de l’administration de contrats. Dans ce cas, il s’agit plutôt, dans les faits, d’une nouvelle procédure de passation de marché public[12].

18.              Dans l’affaire Eclipsys, le Tribunal a énoncé ainsi les principes qui guident son action :

En règle générale, le Tribunal établi [sic] la ligne de démarcation entre le processus de passation d’un marché et l’administration du contrat en examinant si l’acheteur a effectivement modifié les termes des exigences obligatoires après l’adjudication du contrat, par exemple en acceptant des produits qui sont fondamentalement différents des exigences obligatoires de l’appel d’offres original, ou qui sont en contradiction avec celles-ci. Dans ces cas exceptionnels, le Tribunal a conclu qu’il pouvait enquêter pour déterminer si l’acheteur avait effectivement lancé un nouvel appel d’offres pour l’obtention de biens ou de services différents et ainsi déterminer si la plainte relève de sa compétence[13].

19.              En somme, en présence de changements substantiels aux termes initiaux d’un contrat, l’institution fédérale doit, en règle générale, mener une procédure d’adjudication des marchés conforme aux accords commerciaux.

Le Tribunal a-t-il compétence pour enquêter sur la plainte de Vidéotron?

20.              L’essence de la plainte de Vidéotron repose sur l’allégation selon laquelle SPC aurait octroyé des marchés publics à un fournisseur unique, Bell, et l’aurait fait sans appel d’offres, violant ainsi les accords commerciaux. En réponse à la requête de SPC, Vidéotron soutient que sa plainte vise l’octroi par SPC de deux nouveaux contrats à Bell, et non l’administration des contrats de SAL et de SCG décrits ci-dessus. 

21.              Ayant considéré les faits pertinents et la preuve au dossier, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas eu d’adjudication de nouveaux marchés publics en l’espèce. En effet, les travaux qui font l’objet de la plainte ont été effectués en vertu de deux marchés publics antérieurs, soit les marchés pour les SAL et les SCG, qui ont été adjugés à Bell en 2010 et 2017, respectivement.

22.              Dans les deux cas, les appels d’offres prévoyaient que les besoins du gouvernement du Canada fluctueraient. Ainsi, le préavis de contrat pour les SAL annonçait que les exigences du gouvernement du Canada pourraient augmenter ou diminuer au cours de la période de validité du contrat selon l’évolution de ses besoins[14]. De plus, le contrat octroyé à Bell pour les SAL prévoit la possibilité pour le gouvernement du Canada de requérir, outre les services de base, des services additionnels pour des besoins spéciaux de nature exceptionnelle, des urgences ou des événements spéciaux tels que les Sommets du G7 ou du G8.

23.              La clause en question (clause 1.8(b) du contrat de SAL) dispose que, dans de tels cas, si les besoins exceptionnels ponctuels de TPGSC (maintenant SPC) excèdent la capacité des infrastructures existantes du fournisseur, SPC et le fournisseur peuvent s’entendre, au moyen d’un amendement au contrat, quant aux termes et modalités (y compris le prix), pour mettre en place les infrastructures requises[15].

24.              La DP pour les SCG incluait une clause presque identique, quoique prévoyant que les travaux puissent aussi être autorisés au moyen d’une autorisation de tâches (clause 5.27.1 de la DP)[16]. Cette clause a ensuite été incorporée au contrat de SCG (clause 1.27.1 du contrat de SCG)[17].

25.              C’est dans l’exercice de leurs droits en vertu de ces clauses des contrats de SAL et de SCG que les parties ont convenu des travaux additionnels qui devaient être entrepris par Bell afin de répondre aux besoins de SPC en lien avec le Sommet du G7.

26.              En ce qui concerne le contrat de SAL, les parties se sont entendues au moyen d’une modification de contrat datée du 11 décembre 2017 et intitulée « Construction d’infrastructures de télécommunications requises pour fournir des services durant le Sommet du G7 » [traduction]. La modification de contrat indiquait qu’elle résultait d’un besoin pour environ 2 000 nouvelles lignes Centrex et RNIS (réseau numérique à intégration de services) à La Malbaie, Bagotville et Québec, en raison du Sommet du G7. Cette modification autorisait le remboursement des coûts additionnels engagés par Bell jusqu’à concurrence de 9,508 millions de dollars[18].

27.              De façon similaire, en prévision de la tenue du Sommet du G7, en novembre et décembre 2017, SPC a émis treize autorisations de tâches pour que Bell procède à la construction et à l’amélioration de tours cellulaires afin d’augmenter la capacité du réseau cellulaire existant et d’offrir une plus grande couverture dans les régions de Charlevoix et du Saguenay. Ces autorisations de tâches totalisent un montant de plus de près de 15 millions de dollars, plus taxes[19].

28.              En somme, la possibilité pour SPC de requérir des services additionnels pour assurer la pérennité des services dans le cadre du Sommet du G7, et le fait que ces besoins ponctuels donneraient lieu à une rémunération additionnelle, étaient déjà prévus dans le cadre des processus d’appel d’offres initiaux. Il s’agissait, en l’espèce, ni plus ni moins que de l’exercice de clauses contractuelles qui impliquaient un dédommagement par SPC à Bell pour la mise à niveau des infrastructures nécessaires pour fournir les services requis – lesquels avaient été acquis au terme d’un processus compétitif – dans des circonstances exceptionnelles.

29.              Le Tribunal ne considère pas déraisonnable que SPC ait voulu, lors de la procédure d’adjudication des contrats de SCG et de SAL, inclure dans chacun des contrats une clause lui permettant de pourvoir à des besoins ponctuels d’envergure. Cette façon de faire s’inscrit dans le contexte de processus d’appels d’offres visant à satisfaire les besoins d’approvisionnement du gouvernement du Canada au moyen d’un nombre limité de contrats, adjugés par province.

30.              De même, le Tribunal ne trouve pas déraisonnable que les clauses prévoient que les modalités précises pour assurer les services requis par SPC dans des contextes de besoins ponctuels restent sujettes à une entente avec le fournisseur. Essentiellement, ces clauses prévoient que SPC ne peut obliger le fournisseur choisi à construire des infrastructures additionnelles à ses propres frais lorsque de telles infrastructures s’avèrent nécessaires à la fourniture de services requis par SPC au vu de besoins ponctuels pouvant se présenter pendant la durée du contrat. SPC s’engageait plutôt, dans ces cas, à compenser Bell pour la construction ou la mise à niveau d’infrastructures rendues nécessaires par ces besoins.

31.              En ce sens, les contrats donnent à Bell la possibilité de poursuivre la fourniture de services prévus dans un contexte exceptionnel. La modification au contrat de SAL et les autorisations de tâches en vertu du contrat de SCG ne constituent donc pas des contrats de fourniture de services ou de biens nouveaux à SPC. De plus, en définitive, le gouvernement du Canada n’a rien acquis par l’entremise de la modification au contrat de SAL ou des autorisations de tâches en vertu du contrat de SCG : les centrales de commutation, les réseaux de fibre optique et les tours cellulaires dont il est question ici demeurent la propriété de Bell.

32.              Vidéotron fait valoir que Bell bénéficie « unilatéralement et gratuitement » d’infrastructures lui permettant de concurrencer ses compétiteurs. Le Tribunal fait cependant remarquer que même si la compensation consentie à Bell pour la mise à niveau de ses infrastructures était vue sous la lorgnette d’une subvention ou contribution du gouvernement du Canada, il n’en résulterait pas que l’on soit, de ce fait, en présence d’un processus d’approvisionnement ou d’un contrat spécifique sur lequel le Tribunal puisse enquêter.

33.              En somme, la modification au contrat de SAL et les autorisations de tâches en vertu du contrat de SCG associées aux besoins de SPC pour le Sommet du G7 ne peuvent raisonnablement être considérées comme ayant donné lieu à de nouveaux processus d’appel d’offres. Dans les deux cas, il n’y a pas eu attribution d’un nouveau marché public ayant des exigences différentes de celles du marché original.

34.              Pour cette raison, le Tribunal rejette l’argument de Vidéotron selon lequel SPC devait procéder à de nouveaux processus d’appel d’offres pour obtenir les services de téléphonie locale et de téléphonie cellulaire qu’elle requérait pour le Sommet du G7. Le Tribunal considère plutôt que SPC n’avait pas à lancer de nouveaux appels d’offres puisque SPC n’a acquis aucun bien ou service n’ayant pas précédemment fait l’objet d’un processus d’appel d’offres compétitif.

35.              De plus, dans les deux cas, les faits au dossier démontrent que Vidéotron n’était pas un fournisseur potentiel en ce qu’elle n’a pas tenté de participer aux deux appels d’offres et que, pour les raisons suivantes, elle ne satisfaisait vraisemblablement pas aux exigences imposées aux fournisseurs potentiels dans le cadre de ces deux appels d’offres.

36.              D’une part, en ce qui concerne l’appel d’offres pour les SAL, la deuxième demande de renseignements indiquait que le gouvernement du Canada désirait s’assurer du niveau de compétition existant sur le marché et que, dans la mesure du possible, c’est-à-dire lorsqu’un marché compétitif existait, les fournisseurs seraient sélectionnés par le biais d’un processus compétitif[20]. Selon SPC, TPSGC a ensuite évalué que Bell continuait d’être le seul fournisseur à avoir la capacité de fournir les services pour les lignes du gouvernement du Canada requises en Ontario et au Québec (excluant la région de la Capitale nationale (fédérale)). Il appert donc de la preuve au dossier que Bell était le seul fournisseur qualifié pour le contrat de SAL.

37.              De même, en ce qui concerne l’appel d’offres pour les SCG, chaque fournisseur intéressé à soumettre une proposition en réponse à l’ISQ pour les SCG devait démontrer qu’il répondait à certaines exigences obligatoires, dont des exigences portant sur l’expérience de fourniture de services cellulaires à une organisation cliente ayant 20 000 abonnés, la couverture cellulaire et la présence dans certains emplacements au Canada, ainsi que la couverture cellulaire dans certains emplacements internationaux. SPC allègue que Vidéotron ne satisfaisait pas à ces exigences, ce que Vidéotron ne conteste pas directement[21]. De toute façon, Vidéotron n’a pas déposé de proposition et n’a donc pu se qualifier pour ce marché public.

38.              Finalement, le Tribunal prend note de l’argument de Vidéotron selon lequel les modalités, y compris le prix et la portée et la nature du travail requis par SPC dans le cadre d’événements tels que le Sommet du G7, n’étaient pas visées par les marchés publics initiaux et n’étaient pas déterminées dans le cadre des contrats de SCG et de SAL, ces termes et modalités devant faire l’objet de négociation entre les parties. Vidéotron soutient qu’il n’y a pas de contrat si une condition essentielle, qui n’a pas été convenue, ne peut être déterminée que par un accord futur entre les parties. Vidéotron invoque également l’article 503 de l’ALÉC, qui prévoit qu’une entité contractante ne peut utiliser des options de manière à contourner ses obligations.

39.              Contrairement aux prétentions de Vidéotron, la situation en l’espèce n’en est pas une où les conditions essentielles du contrat ne sont pas fixées. Les deux clauses permettent de satisfaire à des besoins ponctuels de SPC. Il ne s’agit pas, en l’espèce, de l’octroi de nouveaux contrats présentant des exigences ou caractéristiques essentielles différentes de celles du contrat initial, mais bien d’événements extraordinaires expressément prévus à ces contrats. En définitive, tel que relaté plus haut, puisqu’il ne s’agissait pas d’acquisition de biens ou services nouveaux, il n’y a pas eu de marché public et, par conséquent, le Tribunal ne peut enquêter puisqu’aucun « contrat spécifique » n’est en cause. En outre, le Tribunal n’est devant aucun fait démontrant une tentative par SPC de contourner ses obligations aux termes de l’ALÉC.

40.              Au vu de cette conclusion, le Tribunal n’est pas tenu de se prononcer sur les autres arguments soulevés par SPC dans sa requête. Le Tribunal souligne cependant l’argument de Vidéotron selon lequel, dans ses observations sur la requête de SPC, Bell soulève de nouveaux motifs non soulevés dans cette requête[22]. Le Tribunal est d’accord avec Vidéotron à ce sujet. Ces motifs soulevés par Bell et auxquels s’objectait Vidéotron n’ont pas été pris en compte par le Tribunal lors du délibéré.

Exception au titre de la sécurité nationale (contrat de SCG)

41.              SPC allègue que l’approvisionnement pour le contrat de SCG et ce contrat sont assujettis à une ESN générale invoquée par SPC en 2012[23]. L’ISQ du marché public pour les SCG indiquait que le gouvernement du Canada invoquait l’ESN et que, par conséquent, aucun des accords commerciaux ne s’appliquait à ce processus d’approvisionnement[24]. SPC soutient que le Tribunal n’a par conséquent pas compétence pour enquêter sur la plainte de Vidéotron en ce qu’elle concerne le contrat de SCG.

42.              Vidéotron, quant à elle, fait valoir que l’ESN générale ne s’applique pas aux nouveaux contrats pour la construction de tours cellulaires, et que même si elle l’était, cela n’aurait pas pour conséquence de soustraire au Tribunal sa compétence quant à ces contrats.

43.              Le Tribunal a considéré l’ESN générale invoquée par SPC dans le cadre d’enquêtes précédentes[25].

44.              Dans la présente affaire, étant donné la conclusion du Tribunal qu’il n’y avait pas contrats spécifiques et qu’il n’a pas compétence pour enquêter sur la plainte de Vidéotron, le Tribunal n’a pas à se prononcer sur l’invocation de l’ESN par SPC.

45.              Cependant par souci de clarté sur ce sujet, le Tribunal souligne que dans le cadre d’enquêtes précédentes sur des marchés publics, il a affirmé que lorsqu’il est question de sécurité nationale, les accords commerciaux ne soustraient pas automatiquement un appel d’offres aux obligations prévues dans ces derniers, et que la simple invocation de la sécurité nationale ne justifie pas automatiquement, sans examen minutieux, l’exclusion intégrale d’un appel d’offres de toutes les obligations prévues dans les accords commerciaux[26].

Frais

46.              SPC n’a pas demandé le remboursement des frais relativement à sa requête, et le Tribunal ne lui en adjugera donc pas. De plus, le Tribunal considère que Vidéotron ne pouvait, sans le bénéfice des informations et documents – notamment les contrats en cause – déposés par SPC dans le cadre de la présente procédure, être à même d’évaluer si les motifs qu’elle soulève dans sa plainte relevaient de la compétence du Tribunal. Par conséquent, chaque partie assumera ses propres frais.

ORDONNANCE

47.              Le Tribunal accueille la requête déposée par SPC et, aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement, rejette la plainte et met fin à son enquête sur la plainte et à toute procédure connexe.




Jean Bédard                            
Jean Bédard, c.r.
Membre présidant



[1].     L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].     Accord de libre-échange canadien, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2017/06/CFTA-Consolidated-Text-Final-Print-Text-French-.pdf> (entré en vigueur le 1er juillet 2017) [ALÉC].

[3].     Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://international.gc.ca/‌trade-commerce/‌trade-agreements-accords-commerciaux/‌agr-acc/nafta-alena/fta-ale/index.aspx?lang=fra> (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

[5].     Pièce PR-2018-006-15, annexe 22. Le contrat de SAL est entré en vigueur le 31 décembre 2010. Il avait une durée initiale de cinq ans et comportait des options permettant de le prolonger. Ces options ont été exercées, prolongeant la durée du contrat jusqu’au 30 décembre 2020. Ibid., annexes 25 et 26.

[6].     Ibid., annexes 18 et 19.

[7].     Ibid., annexe 21. Le préavis indiquait que, s’agissant de la fourniture de services de télécommunications, le marché public n’était pas assujetti à l’Accord sur les marchés publics, l’ALÉNA, l’Accord de libre-échange Canada-Chili et l’Accord de libre-échange Canada-Pérou, et que seul l’Accord sur le commerce intérieur s’appliquait.

[8].     Pièce PR-2018-006-15, annexe 4.

[9].     Plainte, annexe 13 et pièce PR-2018-006-15, annexes 1A et 1B. SPC a publié trois modifications à l’ISQ. Plainte, annexe 13 et pièce PR-2018-006-15, annexes 2A et 2B.

[10].   Ibid., annexe 3.

[11].   Voir, par exemple, Aerospace Facilities Group, Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (12 octobre 2017), PR-2017-015 (TCCE) au par. 31; Valcom Consulting Group Inc. c. Ministère de la Défense nationale (14 juin 2017), PR-2016-056 (TCCE) au par. 32; HDP Group Inc. (28 décembre 2016), PR-2016-047 (TCCE) au par. 10; ML Wilson Management c. Agence Parcs Canada (6 juin 2013), PR-2012-047 (TCCE) au par. 36.

[12].   Voir, par exemple, Eclipsys Solutions Inc. c. Agence des Services frontaliers du Canada (21 mars 2016), PR‑2015-038 (TCCE) [Eclipsys I] aux par. 37-39; AdVenture Marketing Solutions Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (31 mars 2011), PR-2010-074 (TCCE) aux par. 37-46; Canyon Contracting c. Agence Parcs Canada (19 septembre 2006), PR-2006-016 (TCCE) aux par. 25-26; Bell Mobilité c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (14 juillet 2008), PR-2008-008 et PR‑2008‑009 (TCCE) aux par. 25-44.

[13].   Eclipsys I au par. 39.

[14].   Pièce PR-2018-006-15, annexe 21, p. 2.

[15].   Ibid., annexe 22, clause 1.8 (b)(i).

[16].   Ibid., annexe 3, article 5.27.1.

[17].   Ibid., annexe 4, article 1.27.1.

[18].   Ibid., annexe 23.

[19].   Ibid., annexes 5-17. SPC allègue que ces autorisations de tâches étaient nécessaires étant donné que la capacité du réseau existant dans la région de Charlevoix était nettement insuffisante vu le nombre important d’employés de la GRC, militaires, fonctionnaires de différents ministères, dignitaires étrangers et médias devant s’y rendre pour le Sommet du G7. De plus, selon SPC, les SCG fournis étaient non seulement requis afin d’assurer les communications usuelles entre les fonctionnaires fédéraux travaillant dans le cadre du Sommet du G7, mais également pour une question de sécurité nationale, afin d’assurer la fiabilité du service pour certaines communications entre les employés de la GRC et les militaires, notamment en ce qui a trait à la protection du premier ministre et des chefs d’État étrangers.

[20].   Requête de SPC, pièce PR-2018-006-15, annexe 19, annexe A, article 2.0.

[21].   Vidéotron soutient plutôt qu’elle ne pouvait être un fournisseur qualifié dans le cadre d’un processus d’appel d’offres inexistant.

[22].   Bell soutient entre autres que la plainte doit être rejetée parce que l’objection qui a été présentée à SPC a été formulée par Québecor Média Inc., et non par sa filiale, Vidéotron, et que les mesures correctives demandées par Vidéotron ne relèvent pas de la compétence du Tribunal. De plus, Bell présente divers arguments selon lesquels la plainte de Vidéotron est hors délai.

[23].   Pièce PR-2018-006-15, annexe 24.

[24].   Ibid., annexes 1A et 1B au par. 1.2(c).

[25].   Voir Hewlett-Packard (Canada) Co. c. Services partagés Canada (20 mars 2017), PR-2016-043 (TCCE) [Hewlett-Packard]; Eclipsys Solutions Inc. c. Services partagés Canada (4 février 2016), PR-2015-039 (TCCE) [Eclipsys II].

[26].   Voir, entre autres, Hewlett-Packard aux par. 21-75; Eclipsys II aux par. 16-21; M.D. Charlton Co. Ltd. c. Ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux (10 août 2016), PR-2015-070 (TCCE) aux par. 20‑29.

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