Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2019-020

Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. et Horizon Maritime Services Ltd.

c.

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Décision rendue
le vendredi 18 octobre 2019

Motifs rendus
le vendredi 1er novembre 2019

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. et Horizon Maritime Services Ltd. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD. ET HORIZON MARITIME SERVICES LTD.

Parties plaignantes

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est en partie fondée.

En raison de la présente décision, le Tribunal recommande que toutes les soumissions soient réévaluées par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux uniquement en ce qui concerne la conformité au critère obligatoire 12 (CO 12), selon les directives du Tribunal énoncées dans les motifs de la présente décision, notamment  en permettant le dépôt de nouveaux renseignements concernant la conformité au CO 12.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal n’accorde aucuns frais en l’espèce.




Peter Burn 
Peter Burn
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.


 

Membre du Tribunal :

Peter Burn, membre présidant

Personnel de soutien :

Peter Jarosz, conseiller juridique
Jessye Kilburn, stagiaire en droit

Parties plaignantes :

Heiltsuk Horizon Maritimes Services Ltd. et Horizon Maritime Services Ltd.

Conseillers juridiques des parties plaignantes :

Frank Metcalf
Seamus Ryder
Gerry Stobo
Marc McLaren-Caux
E. Melisa Celebican

Institution fédérale :

ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques de l’institution fédérale :

Susan D. Clarke
Roy Chamoun
Nick Howard
Benjamin Hiemstra
Peter Osborne
Brendan Morrison
Zachary Rosen

Partie intervenante :

Atlantic Towing Limited

Conseillers juridiques de la partie intervenante :

Robert A. Glasgow
Julie K. Parla
R. Paul Steep
Vivian Ntiri

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

[1]  La présente affaire porte sur deux plaintes déposées par Horizon Maritime Services Ltd./ Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. (Heiltsuk Horizon). Il s’agit des deuxième et troisième de quatre plaintes déposées par Heiltsuk Horizon à propos d’un marché (invitation no F7017-160056/C) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère des Pêches et des Océans. Le marché avait pour objet la prestation de services de deux navires de remorquage d’urgence par affrètement à temps. TPSGC a octroyé le contrat à Atlantic Towing Ltd. (ATL).

[2]  Le 2 janvier 2019, le Tribunal a conclu que la première plainte déposée par Heiltsuk Horizon était fondée en partie, puisque TPSGC avait évalué de façon déraisonnable les réponses à une exigence obligatoire liée à la puissance de traction minimale (critère MR 12) [1] . Le Tribunal a affirmé « qu’il n’était pas raisonnable pour TPSGC de conclure que la soumission d’ATL satisfaisait, de prime abord, au critère MR 12 » et a ordonné que soit réévaluée la réponse au critère MR 12 de toutes les soumissions [2] .

[3]  À la suite d’une réévaluation, la soumission d’ATL a été jugée conforme au critère MR 12 et ATL conservait donc sa place de soumissionnaire retenu. Les deuxième et troisième plaintes portent toutes deux sur cette réévaluation de la réponse au critère MR 12. Le Tribunal a accepté d’examiner les deuxième et troisième plaintes en application du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [3] et en application des conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [4] .

[4]  Le Tribunal a enquêté sur les plaintes, tel que l’exigent les articles 30.13 à 30.15 de la Loi sur le TCCE. Il conclut que les deuxième et troisième plaintes sont toutes deux fondées en partie. Puisque les plaintes portent sur les mêmes faits et qu’elles sont étroitement liées, le Tribunal ne publie qu’un seul exposé des motifs pour les deux décisions.

CONTEXTE ET RÉSUMÉ DES PLAINTES

PR-2018-023 (la « première plainte »)

[5]  La demande de propositions (DP) a été publiée le 5 février 2018. La date de clôture était le 13 avril 2018, et Heiltsuk Horizon a présenté sa soumission à cette date. Au total, neuf soumissions ont été présentées.

[6]  Après l’octroi du contrat à ATL le 9 août 2018, Heiltsuk Horizon a déposé une première plainte (PR‑2018-023) le 20 août 2018. Au sujet de l’évaluation des réponses au critère MR 12, il était allégué, dans la plainte, que la soumission d’ATL ne tenait pas compte des dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur et qu’elle n’était donc pas conforme [5] .

[7]  Le 2 janvier 2019, le Tribunal a conclu que la première plainte était fondée en partie et a recommandé qu’une réévaluation des réponses au critère MR 12 concernant l’exigence liée à la puissance de traction minimale soit faite dans un délai de six mois [6] .

[8]  Le 27 mai 2019, TPSGC a informé le Tribunal et Heiltsuk Horizon qu’après la réévaluation des réponses au critère MR 12, toutes les soumissions avaient été jugées conformes quant au critère MR 12 et qu’ATL conservait sa place de soumissionnaire retenu.

PR-2019-020 (la « deuxième plainte »)

[9]  Heiltsuk Horizon a déposé une deuxième plainte le 7 juin 2019, alléguant que TPSGC avait réévalué de façon déraisonnable la conformité de la soumission d’ATL quant au critère MR 12. Heiltsuk Horizon a affirmé que la réévaluation n’avait pas été faite conformément à la décision du Tribunal dans le dossier PR-2018-023, et qu’il s’agissait essentiellement de la même évaluation que celle jugée déraisonnable par le Tribunal dans le dossier PR-2018-023. Heiltsuk Horizon a aussi allégué qu’il y avait eu modification inadmissible de la soumission et, en apparence, une crainte raisonnable de partialité de la part de TPSGC. Le Tribunal a accepté d’examiner la deuxième plainte le 11 juin 2019.

[10]  Le 21 juin 2019, ATL a déposé une requête en intervention relativement à la deuxième plainte. Le 4 juin 2019, le Tribunal a demandé aux parties de déposer des observations quant à cette requête. Le 7 juin 2019, Heiltsuk Horizon a fait savoir au Tribunal qu’elle contestait certaines des revendications contenues dans la requête en intervention d’ATL, mais qu’elle ne prenait pas position quant à la requête elle-même. Le Tribunal a accueilli la requête en intervention d’ATL le 3 juillet 2019.

[11]  Le 4 juillet 2019, TPSGC a demandé une prorogation du délai pour déposer le Rapport de l’institution fédérale (RIF). Le même jour, ATL a demandé une prorogation du délai pour déposer ses observations. Le Tribunal a accordé les deux prorogations le 5 juillet 2019.

[12]  Le 10 juillet 2019, Heiltsuk Horizon a fait valoir que les prorogations de délai accordées à TPSGC et à ATL avaient entraîné un conflit d’horaire pour son avocat. Elle a donc demandé une prorogation du délai pour déposer sa réponse. Le Tribunal a accordé cette prorogation le 12 juillet 2019.

[13]  TPSGC a déposé le RIF le 16 juillet 2019, et ATL a déposé ses observations le 23 juillet 2019.

[14]  Heiltsuk Horizon a déposé sa réponse le 2 août 2019, laquelle réponse contenait une demande d’audience et de renseignements supplémentaires.

PR-2019-025 (la « troisième plainte »)

[15]  Le 30 juillet 2019, Heiltsuk Horizon a déposé une troisième plainte dans laquelle elle alléguait que les nouveaux renseignements communiqués dans le RIF déposé relativement à la deuxième plainte révélaient que TPSGC avait fait une évaluation déraisonnable de la conformité de toutes les soumissions quant au critère MR 12. Heiltsuk Horizon a également demandé des renseignements supplémentaires dans cinq domaines.

[16]  Le Tribunal a accepté d’examiner la troisième plainte le 6 août 2019. Le 8 août 2019, le Tribunal a enjoint à TPSGC d’inclure dans le RIF des renseignements supplémentaires dans quatre des cinq domaines précisés par Heiltsuk Horizon.

[17]  Le 8 août 2019, le Tribunal a fait savoir à ATL qu’elle était autorisée à déposer une requête en intervention dans le cadre de la troisième plainte et il a demandé à ATL si elle s’opposait à ce que ses renseignements tirés des première et deuxième plaintes soient transférés à la troisième plainte. Le 9 août 2019, ATL a déposé une requête en intervention et a indiqué qu’elle ne s’opposait pas au transfert des dossiers antérieurs à la troisième plainte.

Convergence des deuxième et troisième plaintes (PR-2019-020 et PR-2019-025)

[18]  Le 13 août 2019, TPSGC a demandé l’autorisation de déposer des observations en réponse à ce qu’il considérait être de nouvelles allégations (notamment les allégations concernant la « faute intentionnelle des fonctionnaires ayant pris part à la procédure de passation du marché public » [traduction]) faites par Heiltsuk Horizon dans sa réponse au RIF déposé relativement à la deuxième plainte. Le même jour, Heiltsuk Horizon s’est opposée à cette demande. Le 14 août 2019, le Tribunal a autorisé TPSGC à répondre aux observations de Heiltsuk Horizon datées du 2 août 2019, exigeant que cette réponse soit incluse dans le RIF déposé relativement à la troisième plainte.

[19]  Le 19 août 2019, le Tribunal a accueilli la requête en intervention déposée par ATL dans le cadre de la troisième plainte.

[20]  Le 3 septembre 2019, TPSGC a déposé le RIF relativement à la troisième plainte, dans lequel il a répondu aux observations déposées par Heiltsuk Horizon le 2 août 2019 dans le cadre de la deuxième plainte.

[21]  Le 6 septembre 2019, Heiltsuk Horizon a demandé une prorogation du délai pour déposer ses observations concernant le RIF et la requête en intervention en raison de pannes d’électricité subies par son avocat du fait des mauvaises conditions météorologiques.

[22]  ATL a déposé ses observations sur le RIF le 9 septembre 2019.

[23]  Le 10 septembre 2019, le Tribunal a accordé à Heiltsuk Horizon une prorogation du délai pour déposer ses observations.

[24]  Le 17 septembre 2019, Heiltsuk Horizon a déposé ses observations concernant le RIF et la requête en intervention.

[25]  Comme il a été mentionné précédemment, le Tribunal a décidé de publier un seul exposé des motifs relativement aux deuxième et troisième plaintes, puisqu’elles portent essentiellement sur les mêmes faits et qu’elles soulèvent les mêmes questions.

[26]  Étant donné que les renseignements versés au dossier étaient suffisants pour établir le bien‑fondé des deux plaintes, le Tribunal a décidé qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience et a statué sur les plaintes en se fondant sur ces renseignements.

PR-2019-034 (la « quatrième plainte »)

[27]  Le 17 septembre 2019, Heiltsuk Horizon a déposé la quatrième plainte, dans laquelle elle allègue que les nouveaux renseignements communiqués dans le troisième RIF confirment que toutes les autres soumissions n’étaient pas conformes, ce qui revient à dire que seule la soumission de Heiltsuk Horizon satisfaisait au critère MR 12.

[28]  Le 19 septembre 2019, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la quatrième plainte étant donné qu’elle portait essentiellement sur les mêmes faits et qu’elle soulevait les mêmes questions que la troisième plainte. Le Tribunal se penchera sur les arguments avancés dans la quatrième plainte dans le présent exposé des motifs portant sur les deuxième et troisième plaintes.

ANALYSE

Qualité pour agir

[29]  Le Tribunal conclut que Heiltsuk Horizon a qualité pour déposer les deuxième et troisième plaintes, contrairement aux contestations formulées par TPSGC et ATL quant à la qualité pour agir de Heiltsuk Horizon.

[30]  TPSGC fait valoir que Heiltsuk Horizon n’a pas qualité pour déposer la troisième plainte, puisqu’elle aurait dû contester toutes les soumissions (pas seulement celle d’ATL) dans la première ou la deuxième plainte. TPSGC fait aussi valoir que la troisième plainte est redondante, puisque tous les motifs ont déjà été intégrés dans la deuxième plainte. En outre, ATL conteste la qualité pour agir de Heiltsuk Horizon, soutenant qu’elle n’est pas un fournisseur potentiel. Comme la soumission de Heiltsuk Horizon était la moins bien classée et la plus dispendieuse, ATL soutient que, même si sa soumission est jugée non conforme, Heiltsuk Horizon ne se verrait pas octroyer le contrat.

[31]  De l’avis du Tribunal, le développement des arguments de Heiltsuk Horizon n’est pas lié à sa qualité pour agir et n’invalide pas celle-ci dans les circonstances. Pour le Tribunal, l’issue possible de la DP n’a aucune incidence sur le fait que Heiltsuk Horizon est un fournisseur potentiel. Il n’est pas contesté que Heiltsuk Horizon était l’un des soumissionnaires pour un contrat spécifique et qu’elle est, à ce titre, un « fournisseur potentiel » aux termes de l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE.

[32]  Il convient de rappeler que le Tribunal recommande une deuxième réévaluation et qu’il est possible que bon nombre des soumissions, voire toutes, soient jugées non conformes quant au critère MR 12. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal n’exprime, à ce moment, aucune opinion à savoir précisément quelles sont les soumissions conformes. Cependant, comme dans le cadre de la première plainte, le Tribunal estime qu’il serait possible que Heiltsuk Horizon devienne le soumissionnaire retenu.

[33]  En ce qui concerne la supposée redondance de la troisième plainte, le Tribunal rappelle que Heiltsuk Horizon n’a obtenu les renseignements détaillés sur les autres soumissions qu’au moment où elle a reçu le deuxième RIF. Même si Heiltsuk Horizon avait déjà fait valoir qu’elle était potentiellement le seul soumissionnaire conforme lorsqu’elle a déposé sa deuxième plainte [7] , elle n’aurait pas pu soutenir avec certitude que les autres soumissionnaires n’étaient pas conformes avant d’avoir vu le deuxième RIF. Puisque Heiltsuk Horizon a déposé les arguments et les éléments de preuve dont elle disposait au moment où elle le pouvait, le Tribunal ne s’oppose pas au dépôt de la troisième plainte. En outre, il ne la juge pas redondante : même si les motifs des deux plaintes se recoupent considérablement, la troisième plainte est fondée sur de nouveaux éléments de preuve qui ont permis à Heiltsuk Horizon d’avancer des arguments plus convaincants.

Crainte raisonnable de partialité

[34]  Dans le cadre de la première plainte, le Tribunal a estimé que les éléments de preuve n’étayaient pas une allégation de crainte raisonnable de partialité [8] . En ce qui concerne les plaintes en l’espèce, le Tribunal en arrive à la même conclusion.

[35]  Heiltsuk Horizon soutient qu’il incombait au Tribunal de réexaminer la question de la partialité en fonction des résultats de la réévaluation. Selon Heiltsuk Horizon, le fait qu’ATL ait été retenue une deuxième fois « confirme que l’institution fédérale a volontairement ignoré toutes les préoccupations formulées à ce jour par Heiltsuk Horizon et par le Tribunal, et ce, dans le but de manipuler une issue qui, à notre avis, était prévue bien avant qu’une réévaluation ne soit ordonnée » [9] [traduction].

[36]  De plus, Heiltsuk Horizon souligne que la première et la deuxième évaluation ont toutes deux été menées par le même chef d’équipe responsable de l’évaluation technique (M. Henri Legros). Heiltsuk Horizon soutient que « la plupart des documents sur lesquels TPSGC s’est appuyé pour expliquer et justifier les résultats des réévaluations semblent avoir été préparés par M. Legros plutôt que par les cinq nouveaux évaluateurs chargés de la réévaluation de TPSGC. Sur plusieurs points importants, les conclusions contenues dans le rapport de réévaluation de M. Legros semblent différer de celles figurant dans les notes individuelles des évaluateurs » [10] [traduction].

[37]  TPSGC répond que la réévaluation a été « menée par une équipe d’évaluateurs chevronnés et indépendants nouvellement affectés à la DP et n’ayant pas pris part à la première évaluation » [traduction]. TPSGC ajoute que Heiltsuk Horizon n’a déposé aucun nouvel élément de preuve ni formulé une nouvelle allégation précise en matière de partialité depuis le dépôt de la première plainte [11] .

[38]  De l’avis du Tribunal, Heiltsuk Horizon n’a pas établi que le comportement de TPSGC soulève une crainte raisonnable de partialité. En l’absence de nouveaux éléments de preuve, le simple fait que la réévaluation ait donné les mêmes résultats ou que le même chef d’équipe responsable de l’évaluation technique ait pris part à la réévaluation ne suffit pas à établir le bien-fondé d’une crainte raisonnable de partialité.

[39]  Le Tribunal constate que la jurisprudence établit qu’il n’est pas nécessairement inapproprié de renvoyer une affaire à un même décideur, à moins que le décideur original soit susceptible de ne pas trancher l’affaire de manière objective ou que son pouvoir discrétionnaire puisse être entravé par la décision originale [12] . La jurisprudence établit également qu’au moment de décider si une affaire doit être renvoyée au même décideur, il est acceptable de tenir compte de l’efficacité [13] , de la connaissance qu’a le décideur de l’affaire [14] et de la possibilité de rendre une nouvelle décision promptement [15] .

[40]  Le Tribunal estime que rien ne prouve que l’équipe chargée de la réévaluation était susceptible de ne pas trancher l’affaire de manière objective ou que son pouvoir discrétionnaire pouvait être entravé par la décision originale. De l’avis du Tribunal, il était loisible à TPSGC de se fier à M. Legros pour mener la réévaluation étant donné son expertise et sa connaissance du marché en question. En outre, le Tribunal souligne que, bien que M. Legros ait pris part aux deux évaluations à titre de chef d’équipe responsable de l’évaluation technique, la réévaluation a été réalisée par de nouveaux évaluateurs.

Modification de la soumission

[41]  Le Tribunal est convaincu qu’il n’y a pas eu modification de la soumission lors de la réévaluation.

[42]  Le deuxième RIF révèle que l’équipe chargée de la réévaluation a consulté les procédures normalisées des sociétés de classification quant à la puissance de traction afin de confirmer que les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur avaient été pris en compte. Pour ce motif, Heiltsuk Horizon soutient que le fait de chercher activement à obtenir de nouveaux renseignements de tiers équivaut à une modification inadmissible de la soumission de la part de TPSGC.

[43]  TPSGC fait valoir que les procédures des sociétés de classification quant à la puissance de traction ont été incorporées par renvoi aux soumissions afin de permettre aux évaluateurs de chercher des renseignements sur les procédures. TPSGC ajoute que la vérification des soumissions et les demandes de précisions étaient autorisées aux termes des instructions uniformisées intégrées à la DP, lesquelles instructions prévoient ce qui suit :

1. Lorsque le Canada évalue les soumissions, il peut, sans toutefois y être obligé, effectuer ce qui suit :

a. demander des précisions ou vérifier l’exactitude de certains renseignements ou de tous les renseignements fournis par les soumissionnaires relatifs à la demande de soumissions;

[…]

f. vérifier tous les renseignements fournis par les soumissionnaires en faisant des recherches indépendantes, en utilisant des ressources du gouvernement ou en communiquant avec des tiers; [16]

[44]  Selon le Tribunal, il était loisible à TPSGC de consulter les procédures des sociétés de classification quant à la puissance de traction. Les évaluateurs disposaient déjà des certificats de conformité de la puissance de traction fournis par les soumissionnaires. Par conséquent, le fait de consulter les procédures normalisées sur lesquelles reposent les certificats ne constituent rien de plus qu’une « vérification » au sens des instructions uniformisées précitées.

[45]  Le Tribunal ne relève aucune preuve de partialité ou de préjugé dans la manière dont TPSGC a vérifié les procédures quant à la puissance de traction. La vérification a été effectuée d’une manière uniforme, puisque l’équipe responsable de la réévaluation a consulté les procédures quant à la puissance de traction pour d’autres soumissions, pas seulement pour celle d’ATL. TPSGC et ATL affirment qu’aucun nouveau renseignement n’a été fourni par ATL au cours du processus de réévaluation [17] .

[46]  Comme TPSGC était autorisé à vérifier les renseignements contenus dans les soumissions, et comme les autres soumissionnaires n’ont subi aucun préjudice et n’ont pas été traités injustement dans le cadre du processus de vérification, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas eu modification de la soumission de la part de TPSGC.

Interprétation de l’exigence obligatoire no 12

[47]  Il est bien établi que le Tribunal examine la procédure de passation des marchés publics selon la norme de la décision raisonnable, en accordant crédit à l’expertise des évaluateurs et en ne formulant des recommandations que lorsqu’une décision est déraisonnable. Comme le Tribunal l’a maintes fois répété, l’évaluation de la procédure de passation d’un marché « est déraisonnable lorsque les évaluateurs ne se sont pas appliqués à l’évaluation de la proposition d’un soumissionnaire, n’ont pas tenu compte de renseignements d’importance cruciale contenus dans une soumission, ont mal interprété la portée d’une exigence, ont fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou n’ont pas, d’une autre manière, procédé à une évaluation équitable sur le plan de la procédure » [18] .

[48]  Par conséquent, le Tribunal n’accepte pas la demande de Heiltsuk Horizon visant à adopter la norme de la décision correcte, qui accorde moins de déférence à l’expertise des évaluateurs. Selon Heiltsuk Horizon, du fait que la Cour suprême, dans l’arrêt Ledcor Construction, a enjoint aux cours d’appel d’appliquer la norme de la décision correcte dans l’examen de l’interprétation d’un contrat type faite par les tribunaux de première instance [19] , il incombe au Tribunal d’appliquer cette norme dans l’examen de l’interprétation de la DP faite par les évaluateurs.

[49]  L’analogie établie par Heiltsuk Horizon entre un contrôle par une cour d’appel et l’examen des marchés publics par le Tribunal ne décrit pas de façon juste le mandat du Tribunal. Ce dernier est un organisme administratif qui a pour tâche d’examiner des marchés publics complexes et souvent hautement techniques (comme dans le cas présent) selon le cadre de son mandat législatif. Dans ce contexte, le Tribunal ne voit aucune raison de s’écarter de la jurisprudence bien établie qui prévoit l’application de la norme de la décision raisonnable dans le cas de l’évaluation des marchés publics, d’autant plus que la présente affaire nécessite une expertise technique considérable en ce qui concerne la mécanique des navires de remorquage d’urgence. Le Tribunal appliquera donc la norme de la décision raisonnable à la réévaluation faite par TPSGC quant au critère MR 12, en accordant déférence à l’expérience et à l’expertise considérables des évaluateurs dans le domaine maritime.

[50]  Heiltsuk Horizon conteste l’évaluation d’une seule exigence obligatoire, le critère MR 12, qui prévoit ce qui suit :

Les navires du soumissionnaire doivent être dotés d’une puissance de traction minimale continue d’au moins 120 tonnes [métriques] lorsque tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur (génératrices attelées, etc.) sont pris en compte [20] [nos italiques].

[51]  Heiltsuk Horizon soutient que l’évaluation faite par TPSGC du critère MR 12 va à l’encontre du paragraphe 515(4) de l’Accord de libre-échange canadien [21] , qui est ainsi libellé :

Pour être considérée en vue d’une adjudication, une soumission est présentée par écrit et, au moment de son ouverture, est conforme aux prescriptions essentielles énoncées dans les avis d’appel d’offres et dans la documentation relative à l’appel d’offres, et émane d’un fournisseur satisfaisant aux conditions de participation [nos italiques].

[52]  Plusieurs méthodes d’évaluation s’offraient aux soumissionnaires pour démontrer leur conformité au critère MR 12, comme mentionné dans la DP :

Le soumissionnaire doit fournir un certificat de conformité (vérifié de manière indépendante) et des données sur les résultats du test de traction (réf. : circulaire 884 du MSC, section 11.1) de moins de 10 ans qui démontrent que les navires sont dotés d’une puissance de traction minimale continue d’au moins 120 tonnes [métriques] lorsque tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur (génératrices attelées, etc.) sont pris en compte. Selon « Noble Denton Marine Services - Certification for Towing Vessel Approvability (DNVGL-SE-0122) », édition de mars 2017, dans les cas où un certificat de puissance de traction qui remonte à moins de 10 ans ne peut être fourni, alors pour les remorqueurs de moins de 10 ans, la puissance de traction peut être estimée à 1 tonne [métrique]/100 BHP (certifié) des engins principaux, et pour les remorqueurs de plus de 10 ans, avec un certificat de puissance de traction de plus de 10 ans, la puissance de traction peut être acceptée comme supérieure à : – la valeur certifiée réduite de 1 % par année d’âge depuis le test; ou – 1 tonne [métrique] sur 100 BHP (certifié) des engins principaux réduit de 1 % par année d’âge supérieur à 10 [22] .

[53]  Dans le cadre de la première plainte, le Tribunal a conclu « qu’il n’y avait aucune indication explicite de la conformité aux modalités de la DP qui figurait sur les deux [certificats de conformité de la puissance de traction d’ATL] » [23] . La soumission d’ATL contenait un certificat de conformité vérifié de manière indépendante datant de moins de 10 ans, conformément à ce que le Tribunal a appelé la « méthode d’évaluation a) » [24] . Relativement à la première plainte, le Tribunal a exprimé les préoccupations suivantes quant à l’évaluation faite par TPSGC des certificats de conformité de la puissance de traction d’ATL :

Les certificats accompagnant la soumission datent de 2013 et indiquent que la puissance de traction continue des deux navires est supérieure à 120 tonnes métriques : elle est de 158,00 tonnes métriques pour le Atlantic Eagle et de 162,60 tonnes métriques pour le Atlantic Raven. Les deux certificats indiquent aussi que la puissance de propulsion des moteurs du Atlantic Eagle est de 10 600 kW et que celle du Atlantic Raven est de 10 738 kW, en indiquant que « la puissance de propulsion des moteurs est la somme de la puissance effective des moteurs entraînant les hélices » [traduction] et que « sont déduits des moteurs à combustion pour la propulsion mécanique la prise de force [PTO power], les moteurs électriques du propulseur [propulsion thruster], les moteurs électriques entraînant le réducteur [PTI], etc. » [traduction]. Toutefois, aucun des certificats n’apparaît déduire les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur, comme l’indique le fait que la valeur de la « puissance des moteurs » et celle de la « puissance de propulsion des moteurs » sont les mêmes [25] [nos italiques].

[54]  Un élément crucial de la première décision du Tribunal est sa conclusion selon laquelle l’expression « required engine driven consumers » (« dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur ») utilisée dans la version anglaise du critère MR 12 faisait référence aux « dispositifs consommateurs d’énergie requis dans les “conditions normales de fonctionnement” des remorqueurs d’urgence » [26] . Cependant, lors de la réévaluation, les évaluateurs ont interprété « required engine driven consumers » comme signifiant « les dispositifs consommateurs d’énergie requis pour faire fonctionner le navire de façon sécuritaire en mer et aux fins du test de traction conformément à la procédure de vérification de la puissance de traction de la société de classification » [27] [traduction].

[55]  En l’espèce, le Tribunal conclut que l’interprétation faite par les nouveaux évaluateurs de l’expression « required engine driven consumers » est déraisonnable, puisqu’elle n’est pas conforme à la formulation explicite du critère MR 12 ni à la décision rendue par le Tribunal dans le cadre de la première plainte. TPSGC a jugé toutes les soumissions conformes au critère MR 12 en s’appuyant sur une interprétation déraisonnable d’une exigence obligatoire. Ainsi, en ne vérifiant pas adéquatement que la soumission retenue (ou n’importe laquelle des soumissions) satisfaisait à une exigence obligatoire, TPSGC a contrevenu au paragraphe 515(4) de l’ALEC.

[56]  La première décision du Tribunal et la formulation du critère MR 12 lui-même indiquent clairement que les soumissionnaires devaient démontrer une puissance de traction d’au moins 120 tonnes métriques lorsque tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur sont pris en compte. La logique qui sous-tend cette exigence est évidente – si les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur ne sont pas pris en compte dans le calcul de la puissance de traction, la puissance de traction disponible dans une situation d’urgence réelle sera moindre que la puissance certifiée lors des essais. La norme établie par le critère MR 12 vise à s’assurer que les navires de remorquage d’urgence auront la puissance nécessaire pour remorquer un navire en détresse, de façon à veiller à la sécurité maritime et à protéger le littoral de la Colombie-Britannique. Comme le fait valoir Heiltsuk Horizon, un navire de remorquage d’urgence qui ne disposerait pas de la puissance de traction ou de propulsion nécessaire pour aider un navire en détresse risquerait de mettre en danger le milieu marin et la sécurité des équipages et des passagers, ce qui irait à l’encontre de l’objectif du marché [28] .

[57]  La réévaluation indique clairement que TPSGC a évalué les réponses au critère MR 12 de manière inadéquate depuis le début. Les nouveaux évaluateurs se sont fondés sur les certificats de conformité de la puissance de traction sans examiner quels dispositifs consommateurs d’énergie sont requis pour mener les opérations de remorquage d’urgence et sans déduire leur consommation d’énergie de la puissance de traction certifiée. Le Tribunal avait déjà, dans le cadre de la première plainte, rejeté l’argument de TPSGC selon lequel « il appartenait à l’organisme de certification de déterminer quels dispositifs consommateurs d’énergie devaient être pris en compte pour qu’un navire en particulier réponde aux exigences du critère MR 12 en matière de puissance de traction » [29] . Faisant fi de cette directive du Tribunal, les nouveaux évaluateurs ont interprété l’expression anglaise « required engine driven consumers » comme signifiant « les dispositifs consommateurs d’énergie requis pour faire fonctionner le navire de façon sécuritaire en mer et aux fins du test de traction conformément à la procédure de vérification de la puissance de traction de la société de classification » [traduction] [30] .

[58]  De l’avis du Tribunal, TPSGC a réellement tenté de concevoir une réévaluation adéquate et s’attendait à ce que les seuls certificats de conformité de la puissance de traction suffisent à satisfaire aux exigences du critère MR 12. Le Tribunal ne relève aucune preuve de partialité ou de mauvaise foi de la part de TPSGC. Néanmoins, la tentative de réévaluation de TPSGC était mal avisée. L’interprétation faite par TPSGC du critère MR 12, qui exige de faire entièrement abstraction de l’exigence de l’acheteur public selon laquelle « tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur (génératrices attelées, etc.) » doivent être pris en compte, n’est pas raisonnable.

[59]  Par conséquent, le Tribunal conclut que TPSGC a appliqué une interprétation déraisonnable du critère MR 12 non seulement à la soumission d’ATL, mais à toutes les soumissions.

MESURE CORRECTIVE

[60]  Les plaintes de Heiltsuk Horizon étant fondées en partie, le Tribunal doit décider de la mesure corrective qu’il convient de prendre au titre des paragraphes 30.15(2) à 30.15(4) de la Loi sur le TCCE.

[61]  Dans la deuxième plainte, Heiltsuk Horizon demande la résiliation du contrat, suivie d’une réévaluation de toutes les soumissions à l’exception de celle d’ATL. Subsidiairement, Heiltsuk Horizon demande une compensation pour perte d’opportunité et, subsidiairement encore, une compensation pour les frais engagés lors de la préparation de la soumission [31] . Dans la troisième plainte, la mesure corrective demandée par Heiltsuk Horizon est la résiliation du contrat et que celui-ci lui soit octroyé, ainsi que le versement d’une compensation pour perte de profits (ou, subsidiairement, le versement d’une compensation pour perte d’opportunité) [32] .

[62]  Aux termes du paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, au moment de recommander une mesure corrective appropriée, le Tribunal tient compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché visé, notamment des suivants :

a)  la gravité des irrégularités qu’il a constatées dans la procédure des marchés publics;

b)  l’ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

c)  l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication;

d)  la bonne foi des parties;

e)  le degré d’exécution du contrat.

[63]  Compte tenu des facteurs précités du paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal conclut que l’interprétation faite par TPSGC du critère MR 12 était déficiente, qu’un préjudice pourrait avoir été causé aux soumissionnaires non retenus et qu’un préjudice a été causé à l’efficacité du mécanisme d’adjudication, lesquelles conclusions pèsent toutes en faveur de la recommandation d’une réévaluation. Cependant, le Tribunal est d’avis que les motifs ne sont pas suffisants pour recommander que le contrat soit résilié ou qu’ATL soit exclue de la réévaluation. En outre, le Tribunal ne recommanderait pas la résiliation du contrat avant que la réévaluation n’ait été réalisée, puisque les eaux au large des côtes de la Colombie‑Britannique ne seraient pas protégées par les navires de remorquage d’urgence durant la période de réévaluation.

[64]  Ainsi, le Tribunal recommande qu’une nouvelle réévaluation des réponses au critère MR 12 soit réalisée par TPSGC dans les plus brefs délais et au plus tard dans les six mois suivant la date de la présente décision. Cependant, le Tribunal ne recommande pas qu’ATL soit exclue de la réévaluation par TPSGC ni que celui-ci résilie le contrat avant que la réévaluation n’ait été réalisée. Si la réévaluation révèle que la réponse d’ATL au critère MR 12 n’était pas conforme, le Tribunal recommande que le contrat d’ATL soit résilié par TPSGC et que le marché soit octroyé au nouveau soumissionnaire classé au premier rang. Si ce soumissionnaire est Heiltsuk Horizon, le Tribunal recommande qu’une compensation soit versée par TPSGC à Heiltsuk Horizon pour les profits, s’il y a lieu, que l’entreprise aurait réalisés si le marché lui avait été octroyé, et ce, pour la période allant de l’octroi du contrat à ATL jusqu’à l’octroi d’un nouveau contrat à Heiltsuk Horizon.

[65]  Heiltsuk Horizon soutient que sa réponse au critère MR 12 était conforme puisque tous les dispositifs consommateurs d’énergie de ses navires sont entraînés par un moteur diesel-électrique à usage exclusif et, par conséquent, qu’aucune génératrice attelée ni aucun autre dispositif consommateur d’énergie ne consomme l’énergie des moteurs de propulsion principaux [33] . Heiltsuk Horizon soutient aussi que toutes les autres soumissions étaient non conformes, puisque même si une autre des soumissions contenait un graphique montrant le lien entre la puissance de traction et l’utilisation des dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur, cette soumission ne tenait pas compte des déductions requises pour les certificats de conformité de la puissance de traction datant de plus de 10 ans [34] . Toutefois, étant donné que le Tribunal effectue le contrôle selon la norme de la décision raisonnable, et compte tenu de la nature de l’expertise du Tribunal, celui-ci ne peut trancher la question de savoir quelles soumissions sont conformes à une interprétation raisonnable du critère MR 12.

[66]  Heiltsuk Horizon fait valoir que « les renseignements sont plus que suffisants pour conclure que toutes les soumissions ont été mal évaluées » [35] [traduction]. Le Tribunal souligne que Heiltsuk Horizon a déposé des déclarations sous serment de trois témoins dotés d’une expertise dans le domaine maritime relativement aux prétendues lacunes contenues dans la soumission d’ATL [36] , ainsi qu’un tableau détaillé indiquant les prétendues lacunes de chacune des soumissions, exception faite de la sienne [37] . Cependant, le travail factuel et hautement technique qui consiste à évaluer ces renseignements afin d’établir la conformité de chaque soumission va au-delà de l’expertise et du rôle du Tribunal, et doit être laissée aux évaluateurs de l’acheteur public. Compte tenu de la nature complexe et technique des faits en jeu, le Tribunal ne substituera pas (et ne peut substituer) sa propre évaluation de la soumission de Heiltsuk Horizon ou de n’importe laquelle des autres soumissions à celle des évaluateurs de l’acheteur public puisqu’il ne possède pas l’expertise technique pour le faire.

[67]  Par conséquent, plutôt que de substituer sa propre évaluation de la conformité de chacune des soumissions à celle des évaluateurs, le Tribunal recommande que TPSGC réévalue les réponses au critère MR 12 conformément au présent exposé des motifs. En outre, le Tribunal recommande cette approche en gardant à l’esprit le large pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 30.15(2) de la Loi sur le TCCE, soit le droit de « recommander que soient prises des mesures correctives », en tenant particulièrement compte de l’efficacité de la mesure corrective pour toutes les autres parties intéressées (non seulement pour le plaignant) et en s’efforçant de maintenir l’efficacité du mécanisme d’adjudication [38] . Le Tribunal a particulièrement à cœur, compte tenu des biens et services visés en l’espèce, que le soumissionnaire le mieux qualifié soit retenu afin d’éviter les répercussions environnementales et économiques que pourrait avoir le choix de navires de remorquage inadéquats.

[68]  En résumé, le Tribunal conclut que pour mener une évaluation raisonnable des réponses au critère MR 12, les évaluateurs doivent se demander quels dispositifs consommateurs d’énergie sont entraînés par moteur, lesquels sont requis pour les opérations de remorquage d’urgence et à quoi correspond la déduction de la puissance de traction certifiée pour chacun des dispositifs consommateurs d’énergie requis.

[69]  De l’avis du Tribunal, il pourrait être impossible d’effectuer une réévaluation adéquate des réponses au critère MR 12 sans obtenir de renseignements supplémentaires auprès des soumissionnaires. Conformément aux instructions uniformisées intégrées aux modalités de la DP, les évaluateurs sont autorisés à « demander des précisions ou vérifier l’exactitude de certains renseignements ou de tous les renseignements fournis par les soumissionnaires relatifs à la demande de soumissions » et à « vérifier tous les renseignements fournis par les soumissionnaires en faisant des recherches indépendantes, en utilisant des ressources du gouvernement ou en communiquant avec des tiers » [39] . Le Tribunal autorise expressément les évaluateurs à demander des précisions et des renseignements supplémentaires aux soumissionnaires afin d’évaluer la conformité de leur réponse au critère MR 12.

[70]  Par souci de clarté, dans le cadre de cette nouvelle réévaluation, les évaluateurs pourront s’appuyer sur les certificats de conformité de la puissance de traction comme point de départ, mais ils devront évaluer les déductions pour tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur requis pour mener les opérations de remorquage d’urgence. Cela signifie que les évaluateurs doivent utiliser leur expertise pour évaluer les soumissions afin de déterminer quels dispositifs consommateurs d’énergie sont entraînés par moteur, lesquels sont requis pour les opérations de remorquage d’urgence et à quoi correspond la déduction de la puissance de traction certifiée pour chacun de ces dispositifs. Ces facteurs doivent être évalués pour chaque navire, en tenant compte de la conception particulière de l’alimentation électrique de chacun et de l’utilisation faite par tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur, s’il y a lieu [40] . Les évaluateurs doivent garantir qu’un navire disposerait d’une puissance de traction fonctionnelle d’au moins 120 tonnes métriques, et ce, même durant une opération de remorquage d’urgence alors qu’une partie de l’énergie du moteur pourrait être dirigée vers d’autres dispositifs.

[71]  Qui plus est, les évaluateurs ne sont pas nécessairement tenus de prendre en compte chaque dispositif consommateur d’énergie qui pourrait éventuellement utiliser de l’énergie du moteur à un moment donné. Cependant, ils sont tenus d’utiliser leur expertise pour établir quels dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur d’un navire en particulier sont nécessaires dans les « “conditions normales de fonctionnement” des remorqueurs d’urgence » [41] . Cela signifie que les évaluateurs doivent expressément tenir compte des conditions qui seraient présentes en mer lors d’opérations normales de remorquage d’urgence dans la zone géographique où les navires patrouilleront. Le Tribunal laisse aux évaluateurs le soin d’établir quelles pourraient être ces conditions, mais il souligne la proposition de Heiltsuk Horizon de tenir notamment compte des contre-courants, des vents forts, des mers agitées ou des couloirs de navigation restreints ou achalandés, qui nécessiteraient l’utilisation continue et simultanée de treuils, de propulseurs, de systèmes de positionnement dynamiques ou d’autres pièces d’équipement auxiliaires [42] .

[72]  Enfin, les évaluateurs doivent faire en sorte que les déductions adéquates ont été appliquées à la puissance de traction certifiée dans les cas où le navire ou le certificat de conformité de la puissance de traction date de plus de 10 ans, conformément à l’une des quatre méthodes d’évaluation contenues dans la DP [43] .

FRAIS

[73]  Selon l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, les frais ayant trait au dépôt d’une plainte liée à un marché public – même provisionnels – sont laissés à l’appréciation du Tribunal [44] .

[74]  Afin de déterminer le montant de l’indemnité en l’espèce, le Tribunal a tenu compte de sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public (la Ligne directrice), laquelle fonde le classement du niveau de complexité des causes sur trois critères : la complexité du marché public, la complexité de la plainte et la complexité de la procédure.

[75]  Malgré le fait que la deuxième plainte ait été jugée fondée en partie, le Tribunal n’accorde pas d’indemnité à Heiltsuk Horizon dans le dossier PR-2019-020. Heiltsuk Horizon a fait de nombreuses allégations de partialité non étayées, et ce, même si le Tribunal avait conclu dans sa décision liée à la première plainte qu’il n’existait aucune preuve de partialité [45] . Le Tribunal est d’avis que la manière dont Heiltsuk Horizon a conduit cette affaire a inutilement compliqué la procédure (comme il est expliqué plus haut) et était inappropriée compte tenu des circonstances.

[76]  Le Tribunal accorde une indemnité à Heiltsuk Horizon dans le dossier PR-2019-025. Compte tenu du degré de complexité de la troisième plainte, le Tribunal accorde une indemnité correspondant au degré de complexité 1 (1 150 $).

DÉCISION

[77]  Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal conclut que les plaintes sont fondées en partie.

[78]  Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande que toutes les soumissions soient réévaluées par TPSGC uniquement en ce qui concerne la conformité au critère MR 12, selon les directives du Tribunal énoncées dans les motifs de la présente décision, notamment en permettant le dépôt de nouveaux renseignements concernant la conformité au critère MR 12.

Peter Burn

Peter Burn
Membre présidant

 



[1]   Horizon Maritime Services Ltd./Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. (2 janvier 2019), PR-2018-023 (TCCE) [Heiltsuk Horizon I].

[2]   Heiltsuk Horizon I aux par. 69, 98.

[3]   L.R.C. 1985, ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[4]   DORS/93-602 [Règlement].

[5]   Pièce PR-2018-023-01, vol. 1 à la p. 28.

[6]   Heiltsuk Horizon I au par. 98.

[7]   Voir la pièce PR-2019-020-01, vol. 1 à la p. 25, où Heiltsuk Horizon affirme que « TPSGC a manqué à son obligation manifeste de rejeter les soumissions non conformes suivant les accords commerciaux et a autorisé une modification inadmissible d’une soumission. La mesure corrective qui s’applique est la résiliation du contrat suivie d’une réévaluation technique adéquate des autres soumissions déposées conformément à la demande de propositions, laquelle réévaluation démontrera une fois de plus que la soumission de Heiltsuk Horizon est parfaitement conforme au critère MR 12 et est potentiellement la seule soumission conforme » [traduction].

[8]   Heiltsuk Horizon I aux par. 72-79.

[9]   Pièce PR-2019-020-01, vol. 1 à la p. 23.

[10]   Pièce PR-2019-020-20, vol. 1 à la p. 22.

[11]   Pièce PR-2019-020-18, vol. 1 à la p. 6.

[12]   Balazuntharam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 607 [Balazuntharam], aux par. 18-20; Edmonton (Police Service) c. Furlong, 2013 ABCA 177 [Furlong], au par. 3.

[13]   Furlong au par. 3.

[14]   Balazuntharam aux par. 20, 23; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harvey, 2013 CF 717, au par. 75.

[15]   Balazuntharam aux par. 20-23; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Liu, 2013 CF 639, au par. 1.

[16]   Pièce PR-2019-020-18, vol. 1 à la p. 11. « Instructions uniformisées - biens ou services - besoins concurrentiels - 2017-04-27, paragraphe 16 (2008-05-12) Déroulement de l’évaluation ». En ligne : https://achatsetventes.gc.ca/‌politiques-et-lignes-directrices/guide-des-clauses-et-conditions-uniformisees-d-achat/1/2003/24#deroulement-de-l-evaluation.

[17]   Pièce PR-2019-020-18, vol. 1, à la p. 6; pièce PR-2019-020-19, à la p. 9.

[18]   Voir BRC Business Enterprises Ltd. (27 septembre 2010), PR-2010-012 (TCCE) au par. 43; Kileel Developments Ltd. (4 avril 2019), PR-2018-042 (TCCE) au par. 56.

[19]   Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37.

[20]   Pièce PR-2019-020-01B, vol. 1 à la p. 1298.

[21]   L’article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit décider si la procédure du marché public a été suivie conformément aux exigences des accords commerciaux applicables et à leurs dispositions. La section 1.2 de la DP dresse la liste de tous les accords commerciaux applicables. Pour les besoins de la présente instance, le Tribunal renverra principalement aux dispositions de l’Accord de libre-échange canadien (en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2017/06/CFTA-Consolidated-Text-Final-Print-Text-French-.pdf>, entré en vigueur le 1er juillet 2017 [ALEC]), étant donné que les plaintes ne renvoyaient qu’à l’ALEC. Le Tribunal souligne que les autres accords commerciaux contiennent des dispositions semblables.

[22]   Pièce PR-2019-020-01B, vol. 1 aux p. 1298-1299.

[23]   Heiltsuk Horizon I au par. 62.

[24]   Heiltsuk Horizon I aux par. 52, 61.

[25]   Heiltsuk Horizon I aux par. 59-60.

[26]   Heiltsuk Horizon I au par. 64.

[27]   Pièce PR-2019-020-18A, vol. 2 aux p. 55-56.

[28]   Voir l’argument de Heiltsuk Horizon à la pièce PR-2019-020, vol. 1 à la p. 5. Le Tribunal souligne que TPSGC a décrit l’objectif du marché comme suit : « Tous les ports maritimes canadiens, notamment ceux de la Colombie‑Britannique, tels que le port de Burnaby, le port de Vancouver et le port de Prince Rupert, vont gagner en importance à mesure que la circulation mondiale du transport maritime s’intensifiera. Plus le trafic augmente et plus le risque de voir un navire en panne de propulsion ou à la dérive est important. Un navire désemparé pourrait être victime d’une collision ou s’échouer et provoquer un déversement, ce qui pourrait représenter un danger significatif pour l’équipage, d’autres navires et le milieu marin, y compris pour la population résidente d’épaulards du Sud qui est en voie de disparition et pour d’autres espèces en péril. Pour atténuer ce risque et d’autres, ainsi qu’améliorer la sécurité maritime, le gouvernement du Canada a établi le Plan de protection des océans (PPO). Ce plan prévoit l’augmentation immédiate de la capacité de la Garde côtière canadienne (GCC) à atténuer les risques présentés par de grands navires commerciaux désemparés au large des côtes du Canada, en lui donnant la possibilité d’affréter à temps, en collaboration avec Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), deux navires de remorquage d’urgence (NRU) extracôtière pour les opérations sur la côte ouest. » Voir la DP F7017-160056/C en ligne : https://achatsetventes.gc.ca/donnees-sur-l-approvisionnement/appels-d-offres/‌PW-MB-003-26699.

[29]   Heiltsuk Horizon I au par. 64.

[30]   Pièce PR-2019-020-18A, vol. 2 aux p. 55-56.

[31]   Pièce PR-2019-020-20, vol. 1 aux p. 37-38.

[32]   Pièce PR-2019-025-17, vol. 1 aux p. 41-44.

[33]   Pièce PR-2019-020-01D, vol. 1 à la p. 41; pièce PR-2019-025-17A, vol. 2 à la p. 46.

[34]   Pièce PR-2019-025-17, vol. 1 à la p. 22.

[35]   Pièce PR-2019-020-20 à la p. 30.

[36]   Pièce PR-2019-020-01 aux p. 78-103.

[37]   Pièce PR-2019-025-17A, vol. 2 aux p. 44-52.

[38]   Voir les alinéas 30.15(3)b) et 30.15(3)c) de la Loi sur le TCCE.

[39]   Pièce PR-2019-020-18, vol. 1 aux p. 11-12. Voir les « Instructions uniformisées - biens ou services - besoins concurrentiels - 2017-04-27, paragraphe 16 (2008-05-12) Déroulement de l’évaluation » en ligne : https://‌achatsetventes.gc.ca/politiques-et-lignes-directrices/guide-des-clauses-et-conditions-uniformisees-d-achat/1/2003/‌24#deroulement-de-l-evaluation.

[40]   Par exemple, Heiltsuk Horizon soutient que la conception de son navire ne nécessite pas de génératrices attelées puisqu’il utilise trois moteurs pour la propulsion et qu’il dispose d’un moteur à l’usage exclusif des dispositifs consommateurs d’énergie qui ne sont pas liés à la propulsion (voir la pièce PR-2019-025-17, vol. 1 aux p. 13-14). Le Tribunal confie l’évaluation de la validité de cette observation aux nouveaux évaluateurs chargés de la réévaluation.

[41]   Heiltsuk Horizon I au par. 64.

[42]   Pièce PR-2019-020-20, vol. 1 à la p. 9.

[43]   Heiltsuk Horizon I au par. 52; pièce PR-2019-020-01B, vol. 1 aux p. 1298-1299.

[44]   Heiltsuk Horizon a demandé une indemnité pour les frais de préparation de sa soumission, par application du paragraphe 30.15(4) de la Loi. Une indemnité des frais de préparation d’une soumission n’est généralement pas accordé lorsqu’une mesure corrective a été recommandée, comme dans le cas présent. Voir, par exemple, IBM Canada Ltée (7 septembre 2000), PR-99-020 (TCCE).

[45]   Heiltsuk Horizon I aux par. 72-79.

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