Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2020-001

LDC Solutions Inc.

Décision prise

le mardi 7 avril 2020

 

Décision rendue

le mercredi 8 avril 2020

Motifs rendus
le jeudi 23 avril 2020

 


EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

PAR

LDC SOLUTIONS INC.

CONTRE

RESSOURCES NATURELLES CANADA

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur décide de ne pas enquêter sur la plainte.

Peter Burn

Peter Burn
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

[1]  En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] , tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [2] , déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

[2]  La plainte concerne une demande de propositions (DP) (invitation no RNCan-5000049827) publiée par Ressources naturelles Canada (RNCan) pour retenir les services d’experts pour participer au groupe d’experts de l’Initiative de foresterie Autochtone.

[3]  La partie plaignante, LDC Solutions Inc. (LDC), affirme que RNCan a incorrectement omis de réserver obligatoirement l’invitation aux entreprises autochtones, contrairement à ce que prévoit la Stratégie d’approvisionnement auprès des entreprises autochtones (SAEA). LDC soutient également que les modalités de la DP ne prêtaient pas suffisamment attention à la culture autochtone et aux efforts de vérité et de réconciliation.

[4]  En outre, LDC soutient que le soumissionnaire retenu, Stratos in Joint Venture with First Peoples Group, aurait dû être écarté pour avoir faussement prétendu être une entreprise autochtone. LDC affirme que lorsque les soumissions ont fait l’objet d’une nouvelle évaluation, il a été erronément conclu que sa propre soumission ne répondait pas aux critères obligatoires de la DP. LDC soutient que les tableaux d’évaluation financière et l’énoncé des travaux fournis dans la DP n’étaient pas formulés en termes clairs. Enfin, LDC prétend que RNCan ne lui a pas accordé les réunions de compte rendu demandées.

[5]  À titre de mesure corrective, LDC demande que le contrat spécifique soit résilié, qu’une nouvelle invitation à soumissionner soit lancée pour répondre au besoin, et que le plaignant reçoive une compensation d’un montant à être déterminé par le Tribunal. LDC demande également que le Tribunal recommande que la nouvelle invitation à soumissionner soit obligatoirement réservée aux Autochtones, qu’une formation de sensibilisation à la culture autochtone ait lieu à RNCan et que le soumissionnaire retenu soit exclu du nouveau processus d’invitation à soumissionner, au motif qu’il a faussement prétendu être une entreprise autochtone. LDC a également demandé le remboursement des frais liés à la préparation de sa soumission et de sa plainte.

CONTEXTE

[6]  La DP a été publiée le 17 décembre 2019 et la date limite pour présenter une soumission était le 27 janvier 2020 [3] .

[7]  Le 21 décembre 2019, LDC a écrit à RNCan pour s’enquérir de la raison pour laquelle l’invitation à soumissionner n’avait pas été réservée aux entreprises autochtones et pour savoir si RNCan pouvait envisager la publication d’une nouvelle demande de propositions obligatoirement réservée aux Autochtones [4] .

[8]  Le 8 janvier 2020, RNCan a répondu qu’un marché obligatoirement réservé aux Autochtones avait été envisagé, mais qu’après consultation de la division de Services publics et Approvisionnement Canada responsable de la participation autochtone aux marchés publics, il avait été conclu que l’invitation à soumissionner ne répondait pas aux critères de recours à un marché obligatoirement réservé aux Autochtones. RNCan avait également envisagé un marché réservé facultatif, mais craignait de ne pas recevoir assez de soumissions conformes dans cette éventualité. RNCan a informé LDC qu’il souhaitait néanmoins accorder une reconnaissance aux soumissionnaires autochtones et qu’il ajouterait ainsi un critère à l’évaluation, de sorte que 15 points supplémentaires seraient accordés aux soumissionnaires inscrits au répertoire des entreprises autochtones. RNCan a également dit envisager la possibilité de modifier l’invitation à soumissionner pour que le marché soit réservé « conditionnellement » [5] .

[9]  Le 9 janvier 2020, RNCan a publié la modification no 001 de la DP. Cette modification avait pour effet d’ajouter le critère C7 aux critères cotés contenus dans la DP et prévoyait, comme l’avait mentionné RNCan, que les soumissionnaires qui étaient en mesure de faire la preuve de leur inscription au répertoire des entreprises autochtones tenu par Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC) ou à un autre répertoire d’entreprises autochtones du gouvernement canadien se verraient accorder 15 points supplémentaires au moment de l’évaluation. La preuve d’inscription pouvait être faite en fournissant une capture d’écran de l’inscription ou au moyen d’une attestation par courriel, et RNCan se réservait le droit d’en faire la vérification [6] .

[10]  Le 6 février 2020, RNCan a demandé à LDC de fournir des précisions sur le prix qu’elle avait soumissionné. À l’étape no 5 du formulaire de proposition financière, pièce jointe 2 de la DP, la soumission de LDC énonce que « les frais de déplacement sont en sus et seront facturés sans majoration » [traduction]. LDC avait également présenté un prix par expert pour le jalon no 5 ainsi qu’un prix par demande pour les jalons no 3 et no 6 [7] .

[11]  RNCan a fait remarquer que, dans le cas des jalons no 3 et no 6, le prix devait être fourni pour un nombre de demandes allant jusqu’à 20 et pour un nombre d’experts allant jusqu’à quatre. Ainsi, il serait entendu que le prix soumissionné par LDC correspondait au prix par demande multiplié par le nombre de demandes (20) et par le nombre d’experts (4). RNCan a également affirmé qu’« il n’y a pas de déplacement lié au contrat, de sorte que [le prix soumissionné] doit couvrir tous les frais de déplacement et de subsistance des experts en plus des travaux à réaliser. Autrement, les experts assumeront leurs propres dépenses » [8] .

[12]  Le 7 février 2020, LDC a répondu que les frais de déplacement étaient inclus dans le prix soumissionné pour le jalon no 5 et confirmait que les prix par demande proposés pour les jalons no 3 et no 6 devaient être multipliés par le nombre de demandes et par le nombre d’experts pour calculer le prix total de la soumission. Elle précisait aussi que le prix proposé pour le jalon no 5 était un tarif par personne qu’il devait être multiplié par quatre, étant donné le nombre maximum requis de quatre experts pour chaque groupe, pour obtenir le prix total exact de la soumission [9] .

[13]  Le 12 février 2020, RNCan a informé LDC que sa soumission n’avait pas été retenue et que le marché avait été attribué à Stratos Inc. RNCan précisait que la soumission de LDC répondait à tous les critères obligatoires, sans toutefois avoir récolté le meilleur pointage. Les pointages que le soumissionnaire retenu avait obtenus sur les plans technique et financier étaient fournis à des fins de comparaison [10] .

[14]  Le 12 février 2020, LDC a communiqué avec RNCan par téléphone et par courriel pour lui signaler qu’elle n’arrivait pas à trouver d’inscription au nom de Stratos Inc. dans le répertoire des entreprises autochtones. LDC se demandait comment Stratos Inc. pouvait avoir obtenu le pointage technique mentionné dans la lettre de refus de RNCan autrement qu’en s’étant vu accorder 15 points supplémentaires au critère C7. LDC demandait également la tenue d’une réunion de compte rendu [11] .

[15]  Le 12 février 2020, RNCan a répondu par courriel que Stratos Inc. ne s’était pas vu accorder 15 points pour l’inscription au répertoire des entreprises autochtones. RNCan informait également LDC qu’une réunion de compte rendu serait planifiée [12] . LDC a répondu qu’il était mathématiquement impossible que Stratos Inc. ait pu obtenir un tel pointage technique sans s’être vu attribuer 15 points au critère C7. RNCan a ensuite informé LDC que ses préoccupations feraient l’objet d’une enquête interne [13] .

[16]  Le 13 février 2020, RNCan a informé tous les soumissionnaires qu’il y aurait une nouvelle évaluation des soumissions à la suite de « préoccupations signalées par l’industrie » [14] [traduction].

[17]  Le 19 février 2020, dans le cadre de la nouvelle évaluation, RNCan a demandé à LDC de confirmer à nouveau que tous les prix proposés dans sa soumission étaient des prix fermes tout inclus. Dans sa demande, RNCan citait un extrait de l’annexe 2 de la DP (Formulaire de proposition financière), qui prévoyait expressément que « [t]ous les frais de déplacement et de subsistance et autres frais divers doivent être inclus dans le prix ferme » [15] .

[18]  Le 19 février 2020, LDC a confirmé les prix proposés en réponse à la demande de précisions de RNCan. LDC mentionnait également certaines préoccupations concernant la structure de la proposition financière, qui ne tenait pas compte des honoraires des aînés qui animeraient les cérémonies d’ouverture et de clôture des réunions, ainsi que le manque de clarté des libellés dans le formulaire de proposition financière et l’énoncé des travaux [16] .

[19]  Le 20 mars 2020, LDC a été informée que sa soumission avait été jugée irrecevable et qu’un contrat avait été attribué à Stratos in Joint Venture with First Peoples Group. RNCan mentionnait que la soumission de LDC avait été jugée non recevable parce qu’elle ne respectait pas les critères obligatoires de la DP. En particulier, la soumission de LDC énonçait expressément que les frais de déplacement n’étaient pas inclus dans le prix pour le jalon no 5, alors que les prix devaient être présentés tout inclus, comme mentionné ci-dessus. RNCan expliquait également que LDC n’avait pas fourni de « prix ferme tout inclus », ayant proposé un prix pour l’évaluation d’une demande par un seul expert plutôt qu’un prix total pour un nombre d’experts allant jusqu’à quatre. En réponse aux préoccupations de LDC, RNCan soulignait également que 15 points avaient été retranchés à la soumission de Stratos in Joint Venture with First Peoples Group, celle-ci ne répondant pas aux exigences du critère C7 [17] .

[20]  Le 21 mars 2020, LDC a demandé une réunion de compte rendu [18] . Le 23 mars 2020, RNCan informait LDC que toutes les réunions de compte rendu auraient lieu par courriel et il invitait LDC à transmettre ses questions par écrit [19] .

[21]  Le 31 mars 2020, LDC a soumis les deux questions suivantes : 1) Pourquoi le soumissionnaire retenu était-il appelé Stratos Inc. dans la lettre de refus du 12 février, et Stratos in Joint Venture with First Peoples Group dans celle du 20 mars? 2) Pourquoi le soumissionnaire retenu avait-il obtenu un pointage inférieur lors de la nouvelle évaluation [20] ?

[22]  Le 31 mars 2020, RNCan a répondu que le soumissionnaire s’était toujours appelé Joint Venture with First Peoples Group, et que les références antérieures au nom Stratos Inc. étaient des erreurs. RNCan confirmait également qu’à l’origine, le soumissionnaire retenu s’était vu accorder 15 points à titre de coentreprise avec First Peoples Group, mais que ces points lui avaient été retirés lors de la nouvelle évaluation, quand RNCan a conclu que l’entreprise ne répondait pas aux exigences du critère C7 [21] .

[23]  Le 31 mars 2020, LDC a répondu qu’elle transmettrait une demande d’accès à l’information (AIPRP) pour s’assurer que le nom du soumissionnaire retenu avait toujours été Stratos in Joint Venture with First Peoples Group, et qu’elle déposerait une plainte auprès du Tribunal car elle avait des doutes sur le processus et les évaluations [22] . 

[24]  Le 1er avril 2020, LDC déposait sa plainte auprès du Tribunal.

ANALYSE

[25]  Aux termes des articles 6 et 7 du Règlement, après avoir reçu une plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit déterminer si les quatre conditions suivantes sont satisfaites avant d’entamer une enquête :

i.  la plainte a été déposée dans les délais prescrits à l’article 6 du Règlement;

ii.  la partie plaignante est un fournisseur potentiel;

iii.  la plainte porte sur un contrat spécifique;

iv.  les renseignements fournis démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure de passation du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux pertinents.

[26]  Pour les motifs qui suivent, le Tribunal a conclu que ces conditions ne sont pas remplies et a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

Le marché public aurait dû être réservé aux Autochtones

[27]  LDC soutient qu’étant donné que l’invitation à soumissionner concerne le contrôle de ressources autochtones et que les utilisateurs finaux sont autochtones, et qu’étant donné que le marché a une valeur de plus de 5 000 $, celui-ci aurait dû être réservé obligatoirement aux Autochtones conformément à la Stratégie d’approvisionnement auprès des entreprises autochtones. De plus, selon LDC, le fait que l’adjudicataire n’est pas autochtone va à l’encontre des efforts de réconciliation économique.

[28]  La compétence du Tribunal se rapporte uniquement aux violations prétendues des accords commerciaux. La décision de réserver un marché aux Autochtones n’est pas liée aux dispositions des accords commerciaux, mais repose plutôt sur des politiques gouvernementales, dont fait partie la Stratégie d’approvisionnement auprès des entreprises autochtones. Le mandat du Tribunal ne s’étend pas à l’application ou à l’exécution de ces politiques [23] .

[29]  Par conséquent, le Tribunal ne peut enquêter pour savoir si la décision de RNCan était conforme à la Stratégie d’approvisionnement auprès des entreprises autochtones ou à une autre initiative gouvernementale comme celle visant la réconciliation économique, pas plus qu’il ne peut ordonner l’annulation de l’invitation à soumissionner et la publication d’une nouvelle invitation réservée aux Autochtones. Cela dit, même si le Tribunal avait compétence sur ce motif de plainte, celui-ci n’a pas été soulevé en temps opportun.

[30]  Selon les paragraphes 6(1) et 6(2) du Règlement, un plaignant doit présenter une opposition à l’institution fédérale concernée ou déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte. Le paragraphe 6(2) du Règlement prévoit qu’un fournisseur potentiel qui a présenté une opposition à l’institution fédérale concernée et à qui l’institution refuse réparation peut déposer une plainte auprès du Tribunal « dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus, s’il a présenté son opposition dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de l’opposition ».

[31]  Le 21 décembre 2019, LDC a reproché à RNCan de ne pas avoir réservé le marché aux Autochtones. Le 8 janvier 2020, elle a reçu une réponse de RNCan qui, comme mentionné ci-dessus, soulignait que le marché ne serait pas obligatoirement réservé, mais que le critère coté C7 serait ajouté à l’invitation afin d’accorder une reconnaissance aux fournisseurs autochtones. Pour invoquer ce motif de plainte en temps opportun, il aurait fallu que LDC dépose sa plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours suivant le 8 janvier 2020, soit la date à laquelle elle a reçu le refus de réparation de la part de RNCan.

Les tableaux d’évaluation financière et l’énoncé des travaux n’étaient pas formulés en termes clairs et leurs modalités ne prêtaient pas suffisamment attention à la culture autochtone

[32]  LDC soutient que la DP ne tenait pas compte des exigences particulières à remplir lorsque l’on traite avec des Autochtones. En particulier, le recrutement d’Autochtones faisait partie des exigences, mais les aspects particuliers qui entrent en jeu dans le recrutement et le maintien en poste des Autochtones, qui nécessitent une formation spécialisée, n’étaient pas pris en compte. En outre, la proposition financière ne permettait pas aux soumissionnaires de tenir compte des honoraires versés aux aînés et aux gardiens du savoir qui animent les cérémonies d’ouverture et de clôture.

[33]  LDC soutient également que le libellé du formulaire de proposition financière présenté à l’annexe 2 de la DP et le libellé de l’énoncé des travaux n’étaient pas clairs, de sorte qu’il était difficile de savoir comment présenter les prix.

[34]  Comme mentionné ci-dessus, conformément aux paragraphes 6(1) et 6(2) du Règlement, pour déposer une plainte auprès du Tribunal ou présenter une opposition à l’institution fédérale concernée, le plaignant dispose de 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte.

[35]  Le Tribunal et la Cour d’appel fédérale ont invariablement affirmé que les soumissionnaires doivent demeurer vigilants et réagir dès qu’ils découvrent ou auraient vraisemblablement dû découvrir un vice de procédure [24] . Le mécanisme d’examen des marchés publics ne prévoit pas la possibilité d’accumuler des griefs et de les présenter une fois que la soumission est rejetée. En particulier, les plaintes concernant l’interprétation des modalités d’un appel d’offres doivent être déposées lorsque le problème allégué est devenu ou aurait dû devenir manifeste, ce que le Tribunal considère généralement comme étant le moment auquel le soumissionnaire prend connaissance des documents de l’invitation [25] . 

[36]  Selon la correspondance déposée au dossier du Tribunal, LDC n’a jamais dit à RNCan qu’elle se préoccupait du fait que la DP ne tenait pas compte des connaissances et de la formation spécialisées qu’impliquaient le recrutement et le maintien en poste d’Autochtones. LDC a plutôt soulevé cette question dans la plainte déposée auprès Tribunal le 1er avril 2020, soit plus de 10 jours après qu’elle aurait dû découvrir les lacunes éventuelles dans les documents de l’invitation.

[37]  Selon le plaignant, l’omission de tenir compte des honoraires et le manque de clarté du formulaire de proposition financière et de l’énoncé des travaux ont été signalés à RNCan le 19 février 2020. Cette question n’a pas non plus été portée à l’attention de l’institution fédérale ou du Tribunal dans les 10 jours suivant la date à laquelle le plaignant aurait dû être au courant des lacunes alléguées dans les documents de l’invitation.

Le soumissionnaire retenu aurait dû être écarté pour avoir faussement prétendu être une entreprise autochtone

[38]  LDC soutient que le soumissionnaire retenu, appelé Stratos Inc. dans la lettre de refus datée du 12 février 2020 et Stratos in Joint Venture with First Peoples Group dans la lettre de refus datée du 21 mars 2020, aurait dû être écarté après la première évaluation. LDC affirme que le soumissionnaire retenu a faussement prétendu être une entreprise inscrite au répertoire des entreprises autochtones pour pouvoir avoir droit aux 15 points supplémentaires prévus au critère coté C7.

[39]  Il semble y avoir eu confusion de la part de RNCan concernant le nom du soumissionnaire retenu et la question de savoir si celui-ci s’était vu accorder ou non des points au critère C7 lors de la première évaluation. Cela dit, la correspondance au dossier confirme en définitive que le soumissionnaire retenu s’est vu accorder 15 points au critère C7 à la première évaluation, mais qu’il a été réputé ne pas remplir les exigences de ce critère à la nouvelle évaluation (pour ce critère, il était demandé de fournir une preuve ou une attestation d’inscription à un répertoire d’entreprises autochtones tenu par AANC ou un autre ministère du gouvernement canadien).

[40]  La plainte de LDC suppose que le soumissionnaire retenu a délibérément falsifié la preuve ou l’attestation d’inscription au répertoire des entreprises autochtones. Le Tribunal souligne que faute d’avoir accès à la soumission retenue, il ne peut confirmer si c’est le cas ou si l’adjudication est attribuable à une simple erreur de la part du soumissionnaire ou des évaluateurs. Quoiqu’il en soit, rien dans la DP ne prévoit l’exclusion du soumissionnaire qui aurait faussement prétendu avoir un statut donné aux fins du critère C7. Ce critère était coté, et non obligatoire, si bien que le non-respect de ses exigences n’avait pas pour effet de rendre la soumission irrecevable, et donc de l’exclure. Le Tribunal souligne que la partie 5 de la DP prévoit que, « [à] moins d’indication contraire, le Canada déclarera une soumission non recevable, ou à un manquement de la part de l’entrepreneur s’il est établi qu’une attestation du soumissionnaire est fausse, sciemment ou non, que ce soit pendant la période d’évaluation des soumissions, ou pendant la durée du contrat ». Cela dit, cette disposition vise seulement les attestations exigées à la partie 5, et non l’attestation du statut d’entreprise autochtone pour les besoins du critère coté C7 [26] .

[41]  Le Tribunal a conclu précédemment que lorsque des erreurs sont découvertes durant le processus d’évaluation, l’autorité contractante doit prendre les mesures appropriées pour corriger ces erreurs en respectant les modalités de l’appel d’offres et de manière à garantir l’intégrité de la procédure de passation de marché public concurrentielle [27] . En conséquence, lorsque les évaluateurs sont au courant d’une erreur dans leur évaluation initiale et qu’ils prennent des mesures appropriées pour les corriger, ils veillent à ce que la procédure de passation de marché soit exécutée en conformité avec les accords commerciaux [28] . En l’espèce, le Tribunal est d’avis que RNCan a pris des mesures appropriées après avoir conclu que le soumissionnaire retenu ne répondait pas aux exigences du critère C7, en ce qu’il a fait une nouvelle évaluation et a retranché du pointage total les 15 points qui avaient d’abord été attribués au soumissionnaire retenu, au critère C7.

La soumission de LDC a été jugée irrecevable à tort à la suite de la nouvelle évaluation

[42]  LDC affirme que sa soumission n’aurait pas dû être jugée irrecevable à la suite de la nouvelle évaluation, parce qu’à la première évaluation, RNCan avait accepté ses réponses aux demandes de précisions et avait conclu que sa soumission remplissait les critères obligatoires.

[43]  Comme mentionné ci-dessus, pour le jalon no 5 du formulaire de proposition financière, la soumission de LDC précisait que les frais de déplacement n’étaient pas inclus dans le prix soumissionné et seraient facturés à part. LDC présentait également un prix par demande pour les jalons no 3 et no 6. Cela dit, dans sa réponse à la première demande de précisions de RNCan, LDC affirmait que les frais de déplacement étaient inclus et elle présentait de nouveaux prix pour les jalons no 5, no 3 et no 6.

[44]  Dans sa deuxième demande de précisions, RNCan soulignait que les instructions figurant dans le formulaire de proposition financière prévoient que « [t]ous les frais de déplacement et de subsistance et autres frais divers doivent être inclus dans le prix ferme » et que le prix soumissionné doit être un « prix ferme tout inclus [...] pour l’exécution des travaux » [29] . Dans les deux demandes de précisions, il était mentionné que les soumissionnaires n’étaient pas autorisés à se servir de leur réponse pour modifier leur proposition ou y ajouter des éléments [30] .

[45]  La lettre de refus du 20 mars 2020 soulignait également que la DP exigeait des soumissionnaires qu’ils incluent tous les frais de déplacement dans les prix soumissionnés, lesquels prix devaient être fermes tout inclus. Par conséquent, puisque les frais de déplacement n’étaient pas inclus dans le prix soumissionné par LDC et que ce prix n’était pas présenté comme étant un prix ferme tout inclus, mais plutôt comme un prix par demande et par expert, la soumission de LDC a été jugée irrecevable au regard des exigences obligatoires de la DP.

[46]  Les accords commerciaux exigent des acheteurs publics qu’ils évaluent les soumissions conformément aux critères essentiels spécifiés dans la documentation relative à l’appel d’offres. Les accords commerciaux prévoient aussi généralement que, pour être prise en considération en vue de l’adjudication d’un marché public, une soumission doit être conforme aux exigences obligatoires énoncées dans la documentation relative à l’appel d’offres, et que les acheteurs publics doivent adjuger les marchés publics conformément aux exigences obligatoires et aux critères spécifiés dans la documentation relative à l’appel d’offres [31] .

[47]  Lorsqu’il examine si ces procédures ont été suivies, le Tribunal fait preuve de déférence à l’égard des évaluateurs et n’intervient que si une évaluation est déraisonnable, par exemple dans les cas où les évaluateurs ne se sont pas appliqués à évaluer une soumission, ont mal interprété la portée d’une exigence, n’ont pas tenu compte de renseignements cruciaux fournis dans une soumission, ont fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou n’ont pas, de toute autre façon, effectué l’évaluation d’une manière équitable du point de vue de la procédure [32] .

[48]  Enfin, il est bien établi qu’il incombe aux soumissionnaires de démontrer que leur soumission satisfait aux critères obligatoires d’un appel d’offres au moment où celui-ci prend fin [33] . Le Tribunal a également souligné par le passé qu’il incombe aux soumissionnaires de préparer leurs soumissions avec diligence, conformément aux instructions énoncées dans l’appel d’offres, en veillant à ce que les renseignements fournis démontrent clairement leur conformité aux exigences [34] .

[49]  Comme mentionné ci-dessus, les évaluateurs qui découvrent avoir fait une erreur dans leur évaluation doivent prendre des mesures pour corriger l’erreur de manière à assurer le maintien de l’équité de la procédure de passation du marché public, conformément aux accords commerciaux applicables.

[50]  Compte tenu de ces principes, et à la lumière des modalités de la DP, le Tribunal est d’avis qu’il était raisonnable de la part de RNCan de conclure que la soumission de LDC était irrecevable à la suite de la deuxième évaluation. La section 4.1.2 de la DP, intitulée « Évaluation financière », prévoit que « [l]es critères financiers obligatoires sont inclus dans la Pièce Jointe « 2 » – Proposition financière », et la section 4.2 énonce que les soumissions qui ne satisfont pas à tous les critères obligatoires seront déclarées non recevables [35] . Ainsi, les instructions données dans le formulaire de proposition financière ont été considérées à juste titre comme étant des critères obligatoires, et leur non-respect a eu pour résultat que la soumission de LDC a été jugée irrecevable.

[51]  Malencontreusement pour LDC, les évaluateurs ont fait erreur en lui permettant de modifier sa soumission lorsqu’elle a été invitée à fournir des précisions à la première évaluation, et ils ont corrigé cette erreur à la deuxième évaluation. Il incombait aux évaluateurs de corriger l’erreur lorsqu’ils s’en sont rendu compte. L’équité et la justesse de l’évaluation étant fondamentales dans le régime de passation de marchés publics, les erreurs commises lors de l’évaluation des soumissions du soumissionnaire retenu et de LDC devaient être corrigées. LDC ne peut obtenir gain de cause en invoquant que l’erreur aurait dû pouvoir jouer en sa faveur.

LDC n’a pas obtenu les réunions de compte rendu qu’elle avait demandées

[52]  Enfin, LDC affirme avoir demandé des réunions de compte rendu le 12 février et le 21 mars 2020, et qu’elles lui ont été refusées.

[53]  LDC a bel et bien demandé une réunion de compte rendu après avoir reçu la première lettre de refus, le 12 février 2020. Or, le Tribunal conclut que cette demande a perdu tout intérêt pratique quand RNCan a décidé de procéder à une nouvelle évaluation des soumissions, le 13 février 2020. De fait, comme un nouvel examen aurait lieu, il n’était pas utile que RNCan entame une analyse des points forts et des lacunes de la soumission de LDC.

[54]  En ce qui a trait à la deuxième demande de compte rendu faite le 21 mars 2020, le Tribunal souligne que le 23 mars 2020, RNCan a informé LDC que toutes les réunions de compte rendu se dérouleraient par courriel et a invité LDC à lui transmettre ses questions. Le 31 mars 2020, LDC a envoyé deux questions, lesquelles portaient toutes deux sur le statut d’entreprise autochtone du soumissionnaire retenu. RNCan a répondu à ces questions le 31 mars 2020. Le 1er avril 2020, LDC a fait savoir qu’elle présenterait une demande AIPRP et déposerait une plainte auprès du Tribunal.

[55]  En vertu des accords commerciaux, les institutions fédérales sont tenues, sur demande, de communiquer aux fournisseurs dont la soumission n’a pas été retenue les raisons du rejet de leur soumission ainsi que des renseignements concernant la soumission retenue [36] . Le Tribunal conclut que RNCan n’a pas manqué à ces obligations.

[56]  La raison pour laquelle LDC juge que la réunion de compte rendu qu’elle avait demandée lui a été refusée n’est pas claire. S’il est vrai qu’il n’y a pas eu de réunion de vive voix (en personne ou par téléphone), la DP précise toutefois, à la section 1.4, que les comptes rendus peuvent être fournis par écrit [37] . Par ailleurs, le compte rendu fourni ne signalait pas d’éventuels problèmes liés à la soumission de LDC, mais visait plutôt à répondre aux questions de cette dernière concernant le soumissionnaire retenu. LDC avait le loisir de transmettre à RNCan, par courriel, des questions supplémentaires concernant sa propre soumission. Or, selon la preuve au dossier, elle ne l’a pas fait. Par conséquent, le Tribunal conclut que RNCan a fourni toute l’information que demandait LDC et ne s’est pas soustrait aux exigences des accords commerciaux au regard des réunions de compte rendu.

DÉCISION

[57]  Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal décide de ne pas enquêter sur la plainte.

Peter Burn

Peter Burn
Membre présidant

 



[1]   L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2]   DORS/93-602 [Règlement].

[3]   Pièce PR-2020-001-01, p. 33, vol. 1.

[4]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 41, vol. 1.

[5]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 43, vol. 1.

[6]   Pièce PR-2020-001-01, p. 67, vol. 1.

[7]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 45, vol. 1; pièce PR-2020-001-01A (protégée), p. 5, vol. 2.

[8]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 45, vol. 1.

[9]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 46-47, vol. 1.

[10]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 49, vol. 1.

[11]   Pièce PR-2020-001-01, p. 16, vol. 1; pièce PR-2020-001-01B, p. 51, vol. 1.

[12]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 51, vol. 1.

[13]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 58, vol. 1.

[14]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 63, vol. 1.

[15]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 64, vol. 1.

[16]   Pièce PR-2020-001-01, p. 23, vol. 1; pièce PR-2020-001-01B, p. 23, vol. 1.

[17]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 108-109, vol. 1.

[18]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 108, vol. 1.

[19]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 112, vol. 1.

[20]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 111, vol. 1.

[21]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 115, vol. 1.

[22]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 114, vol. 1.

[23]   Derouard Motor Products Ltd. (24 juillet 2008), PR-2008-022 (TCCE), par. 5.

[24]   IBM Canada Ltd. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., 2002 CAF 284 (CanLII).

[25]   Davco Welding Ltd. (29 juin 2017), PR-2017-018 (TCCE), par. 24; Joli Distribution F. Hendel Inc. (18 avril 2017), PR-2016-067 (TCCE), par. 12.

[26]   Pièce PR-2020-001-01, p. 44, vol. 1.

[27]   Madsen Power Systems Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (29 avril 2016), PR-2015-047 (TCCE), par. 64-65; Francis H.V.A.C. Services Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux  (2 septembre 2016), PR-2016-003 (TCCE), par. 36, 40.

[28]   Valcom Consulting Group Inc. c. Ministère des la Défense nationale (14 juin 2017), PR-2016-056 (TCCE), par. 52.

[29]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 64, vol. 1.

[30]   Pièce PR-2020-001-01B, p. 64, vol. 1; pièce PR-2020-001-01B, p. 45, vol. 1.

[31]   Le paragraphe 509(7) de l’Accord de libre-échange canadien prévoit qu’un acheteur public donne aux fournisseurs tous les renseignements nécessaires, y compris les critères d’évaluation, pour qu’ils puissent présenter des soumissions valables et l’article 515(4) stipule que pour être considérée en vue d’une adjudication, une soumission doit, au moment de son ouverture, être conforme aux prescriptions essentielles énoncées dans la documentation relative à l’appel d’offres. Les alinéas 1015(4)a) et d) de l’Accord de libre-échange nord-américain stipulent ce qui suit : « a) pour être considérée en vue de l’adjudication, une soumission devra être conforme, au moment de son ouverture, aux conditions essentielles spécifiées dans les avis ou dans la documentation relative à l’appel d’offres [...] d) l’adjudication des marchés sera conforme aux critères et aux conditions essentielles spécifiées dans la documentation relative à l’appel d’offres. »

[32]   Comme l’a affirmé le Tribunal dans Entreprise commune de BMT Fleet Technology Limited et NOTRA Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (5 novembre 2008), PR-2008-023 (TCCE), par. 25, la détermination du gouvernement « sera jugée raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux du Tribunal ». Voir aussi Excel Human Resources Inc. c. Ministère de l’Environnement (2 mars 2012), PR-2011-043 (TCCE), par. 33; Northern Lights Aerobatic Team, Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (7 septembre 2005), PR-2005-004 (TCCE), par. 52.

[33]   Accipiter Radar Technologies Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (26 avril 2019), PR‑2018-049 (TCCE), par. 71; Raymond Chabot Grant Thornton Consulting Inc. et PricewaterhouseCoopers LLP c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (25 octobre 2013), PR-2013-005 et PR-2013-008 (TCCE), par. 37.

[34]   CGI Information Systems and Management Consultants Inc. c. Société canadienne des postes et Innovaposte Inc. (9 octobre 2014), PR-2014-015 et PR-2014-020 (TCCE), par. 150; ADR Education c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (18 octobre 2013), PR-2013-011 (TCCE), par. 59.

[35]   Pièce PR-2020-001-01, p. 42, vol. 1.

[36]   CGI Information Systems and Management Consultants Inc. c. Société canadienne des postes et Innovaposte Inc. (27 août 2014), PR-2014-006 (TCCE), par. 43.

[37]   Pièce PR-2020-001-01, p 37, vol. 1.

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