Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2018-061

Davtair Industries Inc.

Décision prise
le mercredi 13 février 2019

Décision rendue
le jeudi 14 février 2019

Motifs rendus
le vendredi 22 février 2019

 


EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

PAR

DAVTAIR INDUSTRIES INC.

CONTRE

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur décide de ne pas enquêter sur la plainte.










Georges Bujold                       
Georges Bujold
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

1.                  En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1], tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[2], déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

2.                  La plainte concerne une demande de proposition (DP) (invitation no W0138-18A041/A) publiée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) pour le compte du ministère de la Défense nationale (MDN) le 13 novembre 2018, dont la date de clôture était fixée au 19 décembre 2018, visant la fourniture d’une (1) unité mobile d’appareils d’exercices et de conditionnement physique.

3.                  Le 19 décembre 2018, la plaignante, Davtair Industries Inc. (Davtair), a présenté une soumission en réponse à l’appel d’offres. Le 22 janvier 2019, TPSGC a informé Davtair que sa soumission avait été jugée non conforme parce qu’elle ne respectait pas le critère obligatoire no 1. TPSGC a ajouté que l’invitation avait été annulée parce qu’il n’avait reçu aucune soumission conforme, et qu’un nouvel appel d’offres serait probablement lancé en avril 2019.

4.                  Le 24 janvier 2019, Davtair a présenté une opposition à TPSGC au motif qu’elle avait déposé une soumission conforme, et a également demandé un compte rendu à TPSGC. En réponse, TPSGC a confirmé que Davtair n’avait pas satisfait à l’exigence obligatoire.

5.                  Le 28 janvier 2019, TPSGC a présenté un compte rendu par téléphone à Davtair, qui a alors appris qu’elle avait été la seule à soumissionner en réponse à la DP. Selon les observations de Davtair, TPSGC a aussi répété qu’un nouvel appel d’offres serait probablement lancé et reconnu que l’exigence obligatoire était peut-être trop restrictive.

6.                  Le 6 février 2019, Davtair a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

ANALYSE

7.                  Conformément aux articles 6 et 7 du Règlement, le Tribunal peut ouvrir une enquête si les conditions suivantes sont remplies :

         La plainte a été déposée dans les délais prescrits à l’article 6[3].

         le plaignant est un fournisseur potentiel[4];

         la plainte porte sur un contrat spécifique[5];

         les renseignements fournis par le plaignant démontrent, dans une mesure raisonnable, que l’institution fédérale n’a pas suivi la procédure du marché public conformément aux accords commerciaux applicables[6].

8.                  Les accords commerciaux applicables en l’espèce comprennent l’Accord de libre-échange nord-américain[7] et l’Accord de libre-échange canadien[8].

9.                  Le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte pour les motifs suivants.

Motif 1 : Y a-t-il indication raisonnable que TPSGC a déterminé à tort que la soumission de Davtair était non conforme?

10.              Davtair soutient avoir présenté une soumission qui était conforme aux modalités de la DP, contrairement à l’évaluation de TPSGC. Davtair demande la réévaluation de sa proposition.

11.              Le litige concerne la réponse de Davtair au critère obligatoire no 1, selon lequel les soumissionnaires doivent avoir réalisé au moins un projet « d’une envergure similaire et du même domaine » que le projet visé dans la demande :

ANNEXE D – CRITÈRES OBLIGATOIRES

[...]

D.1       Critère obligatoire no 1 - Expérience des soumissionnaires

Les soumissionnaires doivent avoir réalisé au minimum un (1) projet d’une envergure similaire et du même domaine à ce qui est requis dans la présente demande. Le projet pertinent doit rencontrer les exigences ci-dessous :

[...]

2.         le projet sera considéré du même domaine si c’était pour la fourniture d’une unité mobile d’appareils d’exercices et de conditionnement physique;

12.              La soumission de Davtair faisait référence à un projet de véhicules de soutien à la plongée pour la Marine royale canadienne, « équipés pour fonctionner selon les spécifications » [traduction].

13.              TPSGC a déterminé que cette réponse ne satisfaisait pas à l’exigence obligatoire et a rejeté la soumission de Davtair sur ce fondement.

14.              Selon ce que semble affirmer Davtair, pour que TPSGC puisse déterminer les fournisseurs techniquement qualifiés pour répondre aux besoins de personnalisation et de transportabilité du projet décrits dans la DP, l’expression « du même domaine » figurant dans le critère obligatoire no 1 devrait être interprétée comme signifiant « similaire ». Davtair affirme que le projet de véhicules de soutien à la plongée mentionné en réponse au critère obligatoire no 1 est plus complexe sur le plan de la portée et de la taille que le projet visé par l’appel d’offres et, par conséquent, démontre nettement que Davtair est en mesure de livrer les biens requis.

15.              Les accords commerciaux applicables exigent que l’institution fédérale évalue les soumissions, et adjuge les marchés, selon les critères énoncés dans la documentation relative à l’appel d’offres[9].

16.              Le Tribunal fait habituellement preuve de déférence dans une large mesure à l’égard des évaluateurs pour ce qui est de leur évaluation des soumissions. Dans l’affaire Excel Human Resources Inc., le Tribunal a réitéré qu’il n’interviendra relativement à une évaluation que dans le cas où elle est déraisonnable et qu’il ne substituera pas son jugement à celui des évaluateurs, sauf lorsque les évaluateurs ne se sont pas appliqués à bien évaluer la proposition d’un soumissionnaire, qu’ils n’ont pas tenu compte de renseignements cruciaux fournis dans une soumission, qu’ils ont mal interprété la portée d’une exigence, qu’ils ont fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou qu’ils n’ont pas procédé à une évaluation équitable sur le plan de la procédure[10].

17.              Autrement dit, le Tribunal ne substituera pas son opinion à celle des évaluateurs s’il juge que ces derniers se sont appliqués adéquatement à la tâche d’évaluer la soumission et qu’ils ont appliqué les critères d’évaluation conformément aux modalités de l’appel d’offres.

18.              Il est également bien établi que le fardeau de démontrer la conformité aux critères obligatoires incombe aux soumissionnaires. Le Tribunal a affirmé qu’il revient en dernier ressort au soumissionnaire de vérifier qu’une proposition est conforme à tous les éléments essentiels d’une invitation[11].

19.              En l’espèce, le Tribunal ne voit pas d’indication raisonnable que TPSGC a fait une interprétation déraisonnable du sens et de la portée du critère obligatoire no 1, à la lumière de la définition de l’expression « du même domaine à ce qui est requis dans la présente demande » fournie au point 2, section D.1, de l’annexe D de la DP.

20.              Aux termes de la DP, le soumissionnaire devait démontrer qu’il avait réalisé au moins un projet visant la fourniture d’une unité mobile d’appareils d’exercices et de conditionnement physique. À première vue, la soumission de la plaignante ne démontre pas qu’elle se conforme à cette exigence, car elle fait référence à un projet visant un autre type de produit. Les modalités de la DP indiquent quel type de projet serait considéré « du même domaine » et, en l’absence d’ambiguïté, rien ne permettait à la plaignante ou à TPSGC d’interpréter l’exigence comme signifiant un projet qui serait simplement « semblable à » une unité mobile d’appareils d’exercices et de conditionnement physique.

21.              Le Tribunal conclut donc à l’absence d’indication raisonnable que TPSGC a omis d’évaluer la soumission de la plaignante en fonction des critères énoncés et ne voit aucun fondement lui permettant de modifier l’évaluation faite par TPSGC de la proposition de la plaignante.

Motif 2 : La DP impose-t-elle une exigence obligatoire non essentielle à la réalisation du contrat?

22.              Davtair n’a pas expressément soulevé ce deuxième motif dans la plainte qu’elle a déposée auprès du Tribunal. Toutefois, le Tribunal remarque que, dans sa correspondance avec TPSGC, Davtair semble également alléguer que le critère obligatoire no 1, par suite de la définition donnée au point 2, est une condition de participation non essentielle pour assurer la réalisation du contrat en cause.

23.              Dans la mesure où Davtair entendait soulever cet argument à titre de motif de plainte distinct devant le Tribunal, sa plainte à cet égard n’a pas été déposée dans les délais prescrits à l’article 6 du Règlement.

24.              Le Tribunal et la Cour d’appel fédérale ont affirmé à plusieurs reprises que les soumissionnaires doivent être vigilants et réagir dès qu’ils découvrent ou auraient dû vraisemblablement découvrir un vice de procédure[12]. En d’autres mots, les plaintes fondées sur l’interprétation des modalités d’une invitation à soumissionner doivent être déposées lorsque le problème allégué concernant la modalité en question devient ou aurait raisonnablement dû devenir apparent. Le mécanisme d’examen des marchés publics ne prévoit pas la possibilité d’accumuler des griefs et de les présenter une fois qu’une proposition est rejetée.

25.              Plus précisément, l’article 6 du Règlement prévoit des délais stricts pour le dépôt d’une plainte. Le fournisseur potentiel doit soit présenter une opposition à l’institution fédérale responsable du marché, soit déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte[13]. Le fournisseur potentiel qui a d’abord présenté une opposition à l’institution fédérale sans obtenir réparation peut alors déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la réception du refus de réparation[14].

26.              Par conséquent, si Davtair estimait que cette exigence obligatoire, telle qu’elle était définie, était une condition de participation non essentielle ou trop rigoureuse, elle devait présenter une opposition à TPSGC ou déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où elle avait pris connaissance de ce motif de plainte (c’est-à-dire les modalités de la DP).

27.              Le Tribunal souligne que, en l’espèce, la plaignante a déposé sa soumission à la date de clôture de l’appel d’offres, à savoir le 19 décembre 2018. Même si le Tribunal donnait à Davtair le bénéfice du doute et déterminait qu’elle avait pris connaissance des modalités de la DP le 19 décembre 2018 seulement, Davtair aurait dû déposer une plainte auprès du Tribunal ou présenter une opposition à TPSGC au plus tard le 7 janvier 2019[15].

28.              Tel que souligné ci-dessus, Davtair a présenté une opposition à TPSGC le 24 janvier 2019 seulement. Ainsi, Davtair ne pourrait invoquer ce motif de plainte, qui est forclos.

29.              En outre, le Tribunal souligne qu’une institution fédérale a le droit d’établir les critères d’évaluation et de sélection qu’elle juge pertinents, dans la mesure où les critères choisis sont raisonnables, qu’ils ne favorisent ni ne défavorisent des fournisseurs particuliers, et qu’ils ne contreviennent pas aux exigences des accords commerciaux[16]. La plainte ne contient pas de renseignements indiquant que l’exigence obligatoire en cause déroge à ces obligations.

30.              Comme commentaire final, le Tribunal souligne ce qui suit. TPSGC a annulé l’appel d’offres en cause parce qu’il n’avait reçu aucune soumission conforme. TPSGC a également indiqué son intention de lancer un nouvel appel d’offres dans un proche avenir et, dans sa correspondance avec la plaignante, TPSGC a laissé entendre qu’il était ouvert à l’idée de discuter de la possible modification de l’exigence obligatoire en cause. Dans ces circonstances, une enquête sur cette plainte aurait une valeur théorique limitée et peu d’effets concrets. L’annulation de l’appel d’offres et le lancement subséquent d’un nouveau, y compris l’examen de l’exigence obligatoire, donneront à Davtair une autre occasion de présenter une proposition aux fins d’évaluation par TPSGC.

31.              En d’autres mots, les éléments de preuve versés au dossier indiquent que les circonstances ont évolué de manière à offrir essentiellement à la plaignante la mesure corrective demandée au Tribunal, à savoir la réévaluation de sa soumission. Par conséquent, même si le Tribunal avait déterminé que la plainte satisfaisait aux conditions pour l’ouverture d’une enquête, il aurait conclu qu’elle était dénuée de tout intérêt au sens du paragraphe 30.13(5) de la Loi sur le TCCE et aurait décidé de ne pas enquêter sur ce fondement.

DÉCISION

32.              Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal décide de ne pas enquêter sur la plainte.




Georges Bujold                       
Georges Bujold
Membre présidant

 



[1].     L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].     DORS/93-602 [Règlement].

[3].     Paragraphe 6(1) du Règlement.

[4].     Alinéa 7(1)a) du Règlement.

[5].     Alinéa 7(1)b) du Règlement.

[6].     Alinéa 7(1)c) du Règlement.

[7].     Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://international.gc.ca/‌trade-commerce/‌trade-agreements-accords-commerciaux/‌agr-acc/nafta-alena/fta-ale/index.aspx?lang=fra> (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

[8].     Accord de libre-échange canadien, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2017/06/CFTA-Consolidated-Text-Final-Print-Text-French-.pdf> (entré en vigueur le 1er juillet 2017) [ALÉC].

[9].     Voir les alinéas 1013(1)h) et 1015(4)d) de l’ALÉNA et les paragraphes 509(7) et 515(4) l’ALÉC.

[10].   Excel Human Resources Inc. c. Ministère de l’Environnement (2 mars 2012), PR-2011-043 (TCCE) au par. 33.

[11].   Voir, par exemple, Le Groupe de traduction Masha Krupp Ltée (25 août 2011), PR-2011-024 (TCCE); Bell Canada (26 septembre 2011), PR-2011-031 (TCCE); Legacy Products Corporation c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (2 avril 2014), PR-2013-031 (TCCE).

[12].   IBM Canada Ltd. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., 2002 CAF 284 (CanLII).

[13].   Paragraphes 6(1) et 6(2) du Règlement.

[14].   Paragraphe 6(2) du Règlement.

[15].   Si Davtair a assurément pris connaissance des modalités de la DP et, par conséquent, de l’exigence obligatoire en cause lorsqu’elle a présenté sa soumission à la date de clôture de l’appel d’offres, la jurisprudence permet au Tribunal de conclure que Davtair a découvert les faits à l’origine de la plainte avant cette date. Par exemple, dans Re Brent Moore & Associates (4 mai 2000), PR-99-040 (TCCE), le Tribunal a conclu que, en l’absence d’éléments de preuve au contraire, le soumissionnaire potentiel prend connaissance, ou aurait dû vraisemblablement prendre connaissance, des modalités d’un appel d’offres à la date de sa publication. L’application de ce raisonnement à la présente affaire signifierait que Davtair aurait dû présenter son opposition à TPSGC ou déposer sa plainte auprès du Tribunal au plus tard 10 jours ouvrables après le 13 novembre 2018.

[16].   Voir Aviva Solutions Inc. (29 avril 2002), PR-2001-049 (TCCE); MTS Allstream Inc., Call-Net Enterprises Inc. et TELUS Communications Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (5 août 2005), PR-2004-061 (TCCE); ISE Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (25 mai 2009), PR‑2008-049 (TCCE).

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