Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2020-035

PricewaterhouseCoopers LLP

c.

Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada

Décision rendue
le mardi 1er décembre 2020

Motifs rendus
le jeudi 17 décembre 2020



EU ÉGARD À une plainte déposée par PricewaterhouseCoopers LLP aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

PRICEWATERHOUSECOOPERS LLP

Partie plaignante

ET

LA COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ DU CANADA

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est en partie fondée.

En ce qui concerne la mesure corrective, le Tribunal recommande que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) indemnise PricewaterhouseCoopers LLP (PwC) pour occasion manquée. Le Tribunal accorde en outre à PwC une indemnité raisonnable pour les frais liés à la préparation de sa soumission, indemnité qui doit également être versée par la CISR.

Le Tribunal encourage les parties à négocier et à parvenir à un accord concernant les montants à verser à PwC à titre de compensation et d’indemnité pour les frais liés à la préparation de la soumission. Si les parties ne parviennent pas à un accord dans les 45 jours suivant la date de la présente décision, les parties sont tenues d’en informer le Tribunal. Le Tribunal déterminera alors le montant de la compensation qui devrait être versé à PwC et évaluera le montant de l’indemnité à accorder à celle-ci pour les frais liés à la préparation de sa soumission, après avoir entendu les autres observations des parties et conformément à un échéancier à fixer.

PwC se voit également accorder une indemnité raisonnable pour ses frais liés à la présente plainte. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public, le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la présente plainte correspond au degré 2 et que le montant de l’indemnité est de 2 750 $. Les parties peuvent présenter des observations au sujet de l’indemnité en même temps que toute autre observation présentée au Tribunal concernant l’évaluation de la compensation et de l’indemnité pour les frais de préparation de la soumission ou dans un délai de 45 jours à compter de la date de la présente décision, selon l’échéance la plus tardive.

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Membre du Tribunal :

Susan D. Beaubien, membre présidant

Personnel de soutien :

Helen Byon, conseillère juridique
Isaac Turner, étudiant en droit

Partie plaignante :

PricewaterhouseCoopers LLP

Conseillers juridiques de la partie plaignante :

Martin G. Masse
Erin E. Brown
Xin Lu Li

Institution fédérale :

Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada

Conseillères juridiques de l’institution fédérale :

Jennifer Harnum
Helene Robertson

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

[1] PricewaterhouseCoopers LLP (PwC) a déposé une plainte auprès du Tribunal concernant le résultat d’un appel d’offres lancé par la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés du Canada (CISR).

[2] La demande de propositions (DP) no 20191483IRB a été publiée le 23 janvier 2020 et devait initialement prendre fin le 11 février 2020 [1] . Elle a été publiée dans le cadre de l’arrangement en matière d’approvisionnement pour les Services professionnels centrés sur les tâches et les solutions (E60ZT‑18TSPS), décrit comme étant le « Volet des services-conseils en affaires et services de gestion du changement » [2] . L’Énoncé des travaux de la DP fournissait des détails supplémentaires concernant la nature des services professionnels à offrir [3] .

[3] L’Énoncé des travaux de la DP décrit la CISR comme étant l’un des plus grands tribunaux administratifs du Canada, dont la mission consiste à trancher les demandes d’asile et les demandes d’immigration de manière efficace, équitable et conforme à la loi. Vu la récente augmentation des demandes d’asile, attribuable en grande partie aux passages irréguliers à la frontière, la CISR a connu une augmentation importante de sa charge de travail et un arriéré sans précédent. Par conséquent, elle s’est fixé certaines priorités opérationnelles, notamment celle de trouver des façons d’améliorer la productivité et de maximiser l’efficacité de ses processus. Afin d’atteindre ces objectifs, la CISR veut mettre en œuvre « [...] des mesures visant à accroître la productivité et à éliminer les remaniements inutiles à chaque étape du continuum de traitement des cas, y compris la réception des cas, le triage, la gestion des cas, la prise de décisions et les recours » [4] [traduction].

[4] L’« objectif global » de la CISR était décrit ainsi dans la DP :

[...] obtenir des services de consultation professionnelle pour aider la CISR à améliorer son efficacité en tirant parti de la technologie et en simplifiant les processus opérationnels, pratiques et ensembles d’outils connexes tout en maintenant et en renforçant le cadre décisionnel [5] .

[Traduction]

[5] La DP comportait certaines exigences techniques obligatoires à l’égard des soumissions. Les soumissions qui ne respectaient pas chacune de ces exigences obligatoires étaient jugées non recevables et étaient rejetées. Les soumissionnaires devaient fournir de la documentation à l’appui pour démontrer qu’ils respectaient les critères techniques obligatoires [6] .

[6] Les soumissions qui respectaient les exigences techniques obligatoires étaient ensuite évaluées et notées pour le mérite technique, selon les critères de notation prescrits; c’est-à-dire les critères techniques cotés (CTC). Une soumission qui n’obtenait pas le nombre de points minimal était jugée non recevable et était rejetée [7] .

[7] Les soumissions qui obtenaient le nombre de points techniques minimal requis faisaient l’objet d’une autre ronde d’évaluation technique. Dans le cadre de cette évaluation supplémentaire, le soumissionnaire devait présenter un exposé oral devant les représentants de la CISR, qui notaient cet exposé. Aux termes de la DP, « [l]’exposé doit inclure une démonstration des solutions existantes du soumissionnaire qui répondent à des exigences semblables à celles décrites dans l’Énoncé des travaux » [8] [traduction].

[8] Après leur évaluation technique, les soumissions faisaient l’objet d’une évaluation financière. La soumission retenue était choisie en fonction de la note combinée pondérée pour le mérite technique (80 p. 100) et le prix (20 p. 100), selon la formule prescrite [9] .

[9] La DP fournissait plusieurs autres renseignements aux soumissionnaires, notamment les suivants :

Dans leur offre technique, les soumissionnaires devraient démontrer leur compréhension des exigences contenues dans la demande de propositions et expliquer comment ils satisferont à ces exigences. Les soumissionnaires devraient démontrer, de manière claire, précise et approfondie, leur capacité à exécuter les travaux et décrire l’approche utilisée.

L’offre technique devrait traiter clairement et de manière suffisamment approfondie des points faisant l’objet des critères d’évaluation en fonction desquels l’offre sera évaluée. Il ne suffit pas de reprendre simplement les énoncés contenus dans la demande de soumissions [10] .

[Traduction]

[10] Bien que plusieurs entreprises aient été invitées à soumissionner dans le cadre de la procédure d’appel d’offres [11] , seulement deux soumissions ont été reçues. Les soumissionnaires étaient PwC et Deloitte LLC (Deloitte) [12] .

[11] Durant la procédure d’appel d’offres, cinq modifications ont été apportées à la DP, dont l’une visait à proroger la date de clôture jusqu’au 26 février 2020 [13] .

[12] PwC a présenté sa soumission le 26 février 2020 [14] . Le 30 juin 2020, PwC a été informée que sa soumission avait été jugée non conforme à deux des quatre critères techniques obligatoires (CTO). Par conséquent, la soumission de PwC a été rejetée, et cette dernière n’a pas été invitée à présenter un exposé devant la CISR. L’aspect financier de sa soumission n’a pas été examiné non plus [15] .

[13] Le contrat a été attribué au seul autre soumissionnaire : Deloitte [16] .

[14] PwC a demandé des précisions à la CISR concernant les motifs du rejet de sa soumission. D’après la correspondance avec la CISR, PwC a estimé que les renseignements fournis n’étaient pas suffisants pour lui permettre de comprendre pourquoi sa soumission avait été rejetée. PwC a demandé une réunion de compte rendu avec la CISR [17] .

[15] Le problème en l’espèce concernait l’évaluation par la CISR du contenu de la soumission de PwC lié aux critères techniques cotés CTC1 et CTC2, lesquels sont tous deux des exigences obligatoires [18] :

CTC1

Chacun des projets présentés pour les exigences CTO1 à CTO4 sera évalué en fonction de sa pertinence par rapport aux exigences des secteurs d’intérêt indiqués dans l’Énoncé des travaux de la CISR.

CTC2

Le soumissionnaire doit démontrer qu’il a mené, au cours des cinq (5) années précédant la clôture de la demande de propositions, sept (7) projets réalisés pour la fonction publique qui sont pertinents par rapport à l’Énoncé des travaux et dont le but était de mettre en œuvre des améliorations visant à rehausser l’efficience et l’efficacité des processus grâce à l’automatisation cognitive avancée, à la robotique ou à la technologie de l’intelligence artificielle (IA).

[Traduction]

[16] Du 1er juillet 2020 au 25 août 2020, PwC et la CISR se sont échangé de la correspondance [19] . Dans une lettre datée du 15 juillet 2020, PwC a prétendu que sa soumission, particulièrement le contenu relatif aux critères CTC1 et CTC2, avait été injustement évaluée par PwC [20] .

[17] Cette correspondance a donné lieu à une réunion de compte rendu le 17 juillet 2020, qui s’est tenue par téléconférence et à laquelle les représentants de PwC et de la CISR ont assisté [21] . PwC n’était pas satisfaite des renseignements et de l’explication fournis par la CISR durant cette réunion ni des feuillets de consensus de groupe pour l’évaluation qui lui ont été remis peu après la réunion de compte rendu [22] . D’autres lettres ont été échangées [23] , dans lesquelles PwC a maintenu son opposition à la manière dont sa soumission avait été évaluée. L’échange s’est terminé par un courriel que PwC a envoyé à la CISR le 25 août 2020, dans lequel elle a dit comprendre que la CISR avait refusé de lui accorder une réparation. La CISR n’a pas répondu à ce courriel [24] .

[18] Le 2 septembre 2020, PwC a déposé la présente plainte [25] auprès du Tribunal.

[19] Le Tribunal a accepté d’enquêter sur la plainte de PwC le 9 septembre 2020 et l’avis prescrit a été publié dans la Gazette du Canada le 19 septembre 2020.

[20] Le Tribunal a avisé Deloitte qu’elle pouvait présenter une demande d’autorisation d’intervenir dans la procédure, mais celle-ci ne l’a pas fait [26] .

[21] La CISR a demandé un traitement accéléré de la plainte de PwC. Le Tribunal a refusé d’abréger le délai de 90 jours prescrit à l’alinéa 12a) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [27] en invoquant la procédure expéditive, c‘est‑à‑dire le délai de 45 jours prévu à l’alinéa 12b) du Règlement, comme l’a demandé la CISR [28] .

[22] La CISR a déposé son rapport de l’institution fédérale (RIF) le 9 octobre 2020 [29] .

[23] PwC a soumis ses commentaires en réponse au RIF le 21 octobre 2020 [30] .

[24] Les deux parties ont convenu qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience [31] .

POSITION DES PARTIES

[25] PwC allègue que la procédure de passation du marché public n’était pas équitable, ouverte et transparente. Elle fonde sa plainte sur les trois motifs principaux suivants :

  • (a) La CISR a évalué la soumission de PwC en se fondant sur une préférence non mentionnée pour les projets fédéraux, ce qui allait à l’encontre de la version modifiée définitive de la DP;

  • (b) Des renseignements importants dans la soumission de PwC concernant les projets qu’elle avait réalisés par le passé n’ont pas été pris en considération parce que la CISR utilisait des critères de pertinence et une justification de la pertinence qui n’étaient pas formulés dans la DP;

  • (c) La CISR n’a pas évalué la soumission de PwC conformément aux critères d’évaluation publiés et/ou n’a pas pris en considération des renseignements importants dans la soumission de PwC.

[26] PwC mentionne [32] que la DP, telle qu’elle a été initialement publiée, prévoyait que les soumissionnaires devaient démontrer, à l’égard des exigences techniques obligatoires, qu’ils avaient réalisé, au cours des cinq années précédant la clôture de la demande de propositions, sept projets « pour le gouvernement du Canada dans le cadre desquels une solution de production de rapports a été élaborée à l’aide d’un outil analytique comme Tableau, Qlikview, SAP ou Cognos, dans le contexte de l’Énoncé des travaux » [33] [traduction]. Vu les questions que des soumissionnaires prospectifs ont posées durant la procédure d’appel d’offres, cette exigence a été modifiée et élargie afin de permettre aux soumissionnaires de présenter des « projets réalisés pour la fonction publique » à titre de référence [34] .

[27] Malgré cette modification, PwC prétend que la CISR a continué à préférer les projets réalisés pour le gouvernement du Canada et que cette préférence a entaché l’évaluation de la soumission de PwC.

[28] Lorsqu’elle a évalué les soumissions, la CISR a analysé la pertinence des projets fournis en référence par rapport à l’Énoncé des travaux. Ainsi, PwC soutient que la CISR a utilisé des critères de pertinence qui n’étaient pas formulés dans la DP et qu’elle exigeait une justification particulière de la pertinence, notamment que les soumissionnaires fournissent des éléments de preuve qui n’étaient pas formulés dans la DP.

[29] PwC affirme que les évaluateurs de la CISR se sont concentrés à vérifier si elle avait démontré la pertinence de ses projets d’une manière particulière et ont tenu compte de la quantité d’éléments de preuve à l’appui plutôt que de la qualité des projets de référence décrits dans sa soumission. Ce processus d’évaluation a fait en sorte que la CISR n’a pas pris en considération les renseignements contenus dans la soumission de PwC et qui, selon cette dernière, étaient importants pour assurer une évaluation équitable de sa soumission.

[30] En outre, PwC fait valoir que la CISR a tenu compte et appliqué d’autres critères non formulés dans la DP [35] .

[31] PwC soutient également que la CISR a évalué le contenu de sa soumission en le comparant à celui de la soumission du seul autre soumissionnaire, Deloitte, plutôt que de l’évaluer par rapport aux critères publiés dans la DP.

[32] Selon PwC, le fait que la CISR n’a pas évalué sa soumission conformément aux critères publiés et qu’elle n’a pas tenu compte de certains renseignements contenus dans sa soumission a eu un effet cumulatif et a empêché la réalisation d’une évaluation juste et transparente de la soumission de PwC.

[33] PwC allègue que la procédure de passation du marché public n’est donc pas conforme aux exigences de l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce, de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne et de l’Accord canadien de libre-échange, selon lesquels les soumissions doivent être évaluées équitablement et en conformité avec les critères formulés dans la documentation relative à l’appel d’offres [36] .

[34] PwC demande les mesures correctives suivantes :

  • (a) que le Tribunal conclut que la plainte de PwC est fondée;

  • (b) que le Tribunal ordonne à la CISR de résilier le contrat spécifique attribué à Deloitte et de mettre fin aux travaux en cours d’exécution par Deloitte dans le cadre du contrat;

  • (c) que le Tribunal ordonne à la CISR de faire réévaluer les soumissions de PwC et de Deloitte par une nouvelle équipe d’évaluation, conformément aux directives du Tribunal et aux critères d’évaluations énoncés dans la DP;

  • (d) que si, après la réévaluation des soumissions, la CISR conclut que la soumission de PwC est celle qui obtient la note la plus élevée, PwC se voit attribuer le contrat ou qu’elle soit indemnisée pour perte de profits;

  • (e) que PwC se voit adjuger les frais liés à l’engagement de la présente procédure ;

  • (f) sinon, que PwC se voit accorder une indemnité pour les frais associés à la préparation de sa soumission;

  • (g) toute autre mesure que le Tribunal juge indiquée [37] .

[35] La CISR a déposé un bref RIF qui contient des observations écrites [38] et des copies de chaque feuille d’évaluation individuelle préparée par les évaluateurs [39] .

[36] La CISR soutient que la soumission de PwC a été évaluée équitablement et raisonnablement, d’une manière conforme aux critères d’évaluation publiés. Elle ajoute que dans de telles circonstances, le Tribunal devrait faire preuve de déférence envers les évaluateurs de la CISR et ne pas substituer son évaluation à la leur.

[37] Dans ses observations écrites, la CISR affirme également que les soumissions ont été évaluées individuellement par trois évaluateurs dans le cadre d’une réunion de consensus.

[38] En ce qui concerne le fait que PwC se plaint de critères d’évaluation vagues ou indéfinis pour l’évaluation de la pertinence des projets de référence, la CISR soutient que les plaintes de PwC n’ont pas été déposées à temps. Elle ajoute que si PwC avait des préoccupations concernant les critères d’évaluation de la pertinence, elle aurait dû demander des précisions durant la procédure d’appel d’offres.

[39] La CISR fait valoir que les exigences établies pour les soumissions, y compris les critères d’évaluation, doivent être lues dans leur ensemble et dans le contexte de la DP. Les soumissionnaires ont l’obligation de faire preuve d’une diligence raisonnable lors de la préparation de leur soumission. Il incombe aux soumissionnaires de démontrer qu’ils satisfont aux exigences de la DP. Essentiellement, la CISR prétend que le problème dont se plaint PwC est de sa propre faute et découle de son omission à inclure des renseignements adéquats et suffisants dans sa soumission.

[40] Selon la CISR, le fondement de l’évaluation était énoncé clairement dans la documentation relative à l’appel d’offres, et l’interprétation relevait des évaluateurs de la CISR. Même si les paramètres d’évaluation de la pertinence n’étaient pas explicitement énoncés dans la DP, ils pouvaient raisonnablement être inférés. On ne peut s’attendre à ce que les entités acheteuses soient tenues de décrire toutes les nuances de l’évaluation des soumissions dans la DP.

[41] Lorsqu’elle a évalué les soumissions reçues durant la procédure d’appel d’offres, la CISR a « [...] évalué la pertinence des projets présentés par rapport à l’Énoncé des travaux et aux exigences prévues dans la DP » [40] [traduction]. Elle n’a pas accordé de préférence aux projets réalisés pour le gouvernement du Canada, et PwC a mal interprété les renseignements fournis dans la DP concernant le processus d’évaluation. La CISR souligne que la pertinence de chaque projet a été évaluée sur le fond et que l’allégation de PwC selon laquelle l’évaluation des soumissions reposait sur des critères non formulés dans la DP n’est pas fondée.

[42] PwC a fourni de nombreuses observations en réponse au RIF [41] .

ANALYSE

[43] Personne ne conteste le fait que la DP concerne un « contrat spécifique » au sens de l’article 30.1 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (Loi sur le TCCE).

[44] Après avoir examiné le dossier, le Tribunal est convaincu que la plainte de PwC est en partie fondée. Les documents censés illustrer les paramètres de l’évaluation des soumissions et la façon dont le processus a été mené indiquent que l’application par la CISR des critères techniques cotés de la DP était incohérente et indûment fluide.

[45] Le Tribunal limite son examen aux critères CTC1 et CTC2, car il s’agit d’exigences techniques obligatoires pour lesquelles la soumission de PwC n’a pas reçu la note minimale requise, ce qui l’a empêché de passer à la phase suivante du concours (exposé oral).

[46] Le point de départ de cette analyse est la DP. Le CTC1 est énoncé ainsi :

Chacun des projets présentés pour les exigences CTO1 à CTO4 sera évalué en fonction de sa pertinence par rapport aux exigences des secteurs d’intérêt indiqués dans l’Énoncé des travaux de la CISR [42] .

[Traduction]

[47] Le CTO1 est énoncé ainsi :

Le soumissionnaire doit démontrer qu’il a mené, au cours des cinq (5) années précédant la clôture des soumissions, cinq (5) projets réalisés pour la fonction publique dans le cadre desquels une solution de production de rapports a été élaborée à l’aide d’un outil analytique comme Tableau, Qlikview, SAP ou Cognos, dans le contexte de l’Énoncé des travaux [43] .

[Traduction]

[48] Les CTO2 et CTO3 prévoient également qu’un soumissionnaire doit démontrer qu’il a mené des « projets réalisés pour la fonction publique », bien que pour une différente gamme de services particuliers [44] .

[49] L’expression « projets réalisés pour la fonction publique » se définit comme « [...] tout projet réalisé pour le compte d’un ministère, d’un organisme ou d’un office d’un gouvernement au Canada ou d’une société d’État. Cela inclut les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux [...] [45] » [traduction].

[50] L’Énoncé des travaux définit la portée des travaux à réaliser dans des termes très larges et généraux [46] . Bien qu’il y ait une brève description du travail et du mandat de la CISR, la nature des services à fournir n’est pas circonscrite et aucun lien n’est établi avec l’un des aspects particuliers des activités de la CISR. À titre d’exemple, le rôle de l’entrepreneur est exprimé ainsi :

L’entrepreneur fournira une expertise et des services professionnels à la CISR pour favoriser la réussite de la transformation des services ainsi que l’élaboration et la mise en œuvre de la transformation numérique. L’entrepreneur doit pouvoir bien s’orienter au sein des processus gouvernementaux, faire connaître les grandes initiatives de la CISR et rallier les appuis à cet égard. Ces services seront fournis « sur demande » et incluront essentiellement les responsabilités suivantes :

a) Aider la CISR à organiser, à planifier, à diriger et à mettre en œuvre des activités tout en veillant à ce que le travail, les investissements et les activités demeurent en harmonie avec les priorités stratégiques, la stratégie numérique et les feuilles de route de la CISR, en vue poursuivre l’atteinte des résultats souhaités par la CISR et d’obtenir les avantages recherchés;

b) Aider la CISR à mobiliser les employés et les intervenants pour appuyer le programme de transformation, fournir une expertise pour diriger le changement conformément aux priorités stratégiques globales et à la stratégie numérique de la CISR, et contribuer à l’élaboration et à la mise en œuvre de stratégies et de plans de communication à l’appui du programme [47] .

[Traduction]

[51] La portée des travaux est définie ainsi :

5.0 PORTÉE DES TRAVAUX

Afin de répondre aux besoins de la CISR, les services professionnels des consultants opérationnels et des consultants en gestion du changement sont requis pour exécuter diverses tâches axées sur les solutions afin d’appuyer l’exécution des programmes de la CISR et de contribuer à la planification, à la préparation, à l’exécution, et à la gestion de ces programmes afin de faciliter l’atteinte des objectifs de la stratégie de service. Il faut veiller notamment à ce que les éléments suivants soient atteints ou fournis :

  • Miser sur les processus opérationnels existants et les examiner, déterminer les améliorations possibles, formuler des recommandations et collaborer avec la direction pour mettre en œuvre des améliorations visant à augmenter l’efficience et l’efficacité des processus.

  • Orienter et faciliter la gestion du changement culturel, la gestion du changement organisationnel et l’intégration des changements.

  • Cerner des possibilités d’amélioration opérationnelle [48] .

[Traduction]

[52] Trois « secteurs d’intérêt » sont également mentionnés dans la section sur la portée des travaux, soit l’analytique, l’efficience, l’efficacité et l’automatisation des processus, et la gestion du changement. Une liste de tâches représentatives est fournie pour chaque secteur d’intérêt. Par exemple :

a) Analytique : Initiatives visant à mesurer le rendement et à en améliorer la gestion, et à appuyer la prise de décisions par l’utilisation de techniques et d’outils d’analyse et de visualisation avancés.

À titre d’exemples, les tâches peuvent comprendre notamment les suivantes :

  • Élaborer des ensembles de données, des outils et des compétences en matière d’analyse de données afin d’appuyer l’analyse continue des données et la prise de décisions par la direction;

  • Cerner les lacunes en matière de données et recommander des méthodes pour combler les lacunes;

  • Évaluer la pertinence et l’accessibilité de renseignements pour appuyer la prise de décisions;

  • Cerner et recommander des améliorations aux données aux fins de la prise de décisions, y compris la conception et l’utilisation de technologies de soutien (p. ex. logiciel de visualisation de données);

  • Cerner des pratiques exemplaires et des technologies habilitantes afin d’optimiser les opérations et les fonctions de gestion, et faciliter l’harmonisation avec les processus communs qui appuient l’amélioration de la qualité des renseignements aux fins de la prise de décisions;

  • Fournir des conseils et de l’aide à l’égard de la structuration, de l’intégration, du forage et de l’extraction de données, et déterminer les principales tendances liées aux données et aux données aberrantes;

  • Fournir des conseils et de l’aide à l’égard de façons de tirer des idées exploitables d’ensembles de données complexes par l’utilisation d’outils d’analyse et de visualisation de données;

  • Fournir des recommandations pour une analytique efficace [49] .

[Traduction]

[53] Des exemples sont également fournis pour les deux autres secteurs d’intérêt, à savoir l’efficience, l’efficacité et l’automatisation des processus, et la gestion du changement [50] .

[54] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que la DP indiquait aux soumissionnaires qu’ils pouvaient satisfaire à la norme de pertinence applicable au critère CTC1 en démontrant dans leurs descriptions de projet qu’ils possèdent de l’expérience à l’égard des trois « secteurs d’intérêt ». Cependant, cette expérience devrait être acquise en réalisant des projets pour l’administration publique.

[55] Toutefois, selon les documents d’évaluation, la CISR a accordé la priorité et de l’importance aux descriptions de projet qui démontraient que l’expérience avait été acquise dans un contexte en particulier. Plus particulièrement, lors de l’évaluation du contenu des soumissions, il semble que les évaluateurs de la CISR cherchaient la preuve que les soumissionnaires utilisent une approche privilégiant la résolution de problèmes et que des liens avaient été faits avec les problèmes opérationnels auxquels la CISR est confrontée, alors qu’ils ignoraient la preuve ou la confirmation que les soumissionnaires avaient déjà effectué le type de tâches qui s’inscrivent dans la portée des trois secteurs d’intérêt énumérés dans la DP.

[56] Bien que la DP précise que les soumissionnaires doivent fournir de la documentation à l’appui pour démontrer leur conformité aux critères [51] , une interprétation contextuelle de la DP appuie l’interprétation selon laquelle il leur suffirait de fournir des documents confirmant qu’ils ont acquis de l’expérience dans le cadre de projets antérieurs où ils ont exécuté les tâches décrites dans l’Énoncé des travaux.

[57] Cependant, d’après les documents d’évaluation des soumissions, les évaluateurs cherchaient, ou attendaient, quelque chose de plus qu’une confirmation de l’expérience acquise dans le cadre de projets antérieurs. La deuxième étape de l’évaluation (la réunion de consensus du groupe) démontre que les évaluateurs cherchaient bien plus qu’une confirmation; ils cherchaient en fait une preuve. Dans la feuille d’évaluation, il est souligné [52] que, tant pour le critère CTC1 que pour le critère CTC2, la « qualité des données probantes » [traduction] est un facteur qui doit être évalué en fonction « du caractère applicable, juste, approprié et convenable, de la pertinence, de l’importance, de la valeur, de l’applicabilité, de la portée, de la justesse et de la relativité » [53] [traduction]. Or, la DP ne désigne aucun de ces facteurs comme un critère d’évaluation et elle ne laisse pas entendre qu’ils pourraient être considérés comme tels.

[58] Selon les documents d’évaluation, la qualité des données probantes n’a pas été évaluée en fonction des types de compétences ou d’expériences qui s’inscrivent dans la portée des trois secteurs d’intérêt [54] , mais plutôt en fonction d’un cadre plus vaste, soit le type d’organisation. En concluant que la soumission de PwC n’a pas obtenu la note minimale requise à l’évaluation technique, le groupe d’évaluation par consensus a formulé des commentaires dans lesquels il a fait observer ce qui suit :

La grande majorité des projets présentés n’a, au mieux, qu’une pertinence relative par rapport aux exigences et aux objectifs de la CISR [55] .

[Traduction]

[59] Cette conclusion démontre que les évaluateurs de la CISR ont évalué la pertinence des projets présentés par rapport aux critères CTC1 et CTC2 en ne comparant pas le type de tâches et de travaux prévus dans la DP (notamment dans l’Énoncé des travaux) avec les travaux effectués par PwC dans le cadre de projets antérieurs, mais plutôt en évaluant l’expérience décrite en fonction de l’infrastructure opérationnelle, des exigences et des objectifs organisationnels de la CISR.

[60] Les observations suivantes figurent également dans les commentaires contenus dans le rapport de consensus :

Conclure que les projets sont tout à fait « pertinents » serait exagéré étant donné que la note obtenue (2,5 points) indique que les projets sont « quelque peu pertinents ». De façon générale, l’incapacité du soumissionnaire à présenter et à justifier son expérience, si ce n’est qu’en reprenant les termes utilisés dans l’Énoncé des travaux et la description des secteurs d’intérêt, a fait en sorte que peu ou pas de renseignements ont été fournis pour confirmer, au moyen d’une évaluation, que les projets sont plus que quelque peu pertinents. Je dirais même que certains projets pourraient être jugés « non pertinents » en leur attribuant une note de 0 point en raison du manque de renseignements fournis.

Compte tenu de la qualité des données probantes fournies pour démontrer la pertinence des projets (en démontrant leur caractère applicable, juste, approprié et convenable, leur pertinence, leur importance, leur valeur, leur applicabilité, leur portée et leur justesse), ainsi que de l’absence de mise au point, les caractéristiques suivantes ont été prises en compte lors de l’évaluation :

  • Nature de l’organisation‑cliente : FPT/M, mandat, règlements, surveillance

  • Portée et activités réalisées : analytique, robotique, etc.

  • Conformité aux exigences et réalisation des résultats escomptés : dépasse les exigences de l’Énoncé des travaux

  • Adoption d’approches et de méthodes pertinentes : dépasse les exigences de l’Énoncé des travaux [56]

[Traduction]

[61] D’après ces commentaires, les évaluateurs ont accordé de l’importance à la nature de l’organisation-cliente pour laquelle des travaux ont été effectués par le passé, plus particulièrement aux caractéristiques suivantes : « mandat, règlements, surveillance » [traduction]. Le Tribunal conclut que ces observations appuient la conclusion selon laquelle les évaluateurs ont mis l’accent sur les travaux et les projets qui ont été réalisés par le passé pour des organisations du secteur public qui ressemblent à la CISR [57] , et non pas sur les travaux et les projets qui démontrent la prestation de services axés sur l’analytique, l’efficience, l’efficacité et l’automatisation des processus, et la gestion du changement qui sont décrits dans l’Énoncé des travaux.

[62] Selon la CISR, ce commentaire laisse entendre qu’une évaluation préliminaire a été effectuée en tenant notamment compte du fait que l’organisation-cliente est une entité du secteur public [58] . Le Tribunal estime que cette explication n’est pas convaincante. Ce facteur ne se limite pas au nom ou à l’identité de l’organisation-cliente en tant qu’entité du secteur public, mais s’applique également à la nature de l’organisation, qui est déterminée en fonction des trois caractéristiques qui permettent de définir ses activités, à savoir son mandat, ses règlements et son rôle de surveillance. Prises ensemble, ces caractéristiques établissent un point de référence pour évaluer la mesure dans laquelle l’organisation-cliente ressemble à la CISR.

[63] De plus, le rapport de l’évaluation par consensus indique que la « pertinence » [59] [traduction] ne peut pas être démontrée par le simple fait de satisfaire aux conditions de l’Énoncé des travaux. Autrement dit, le soumissionnaire doit démontrer qu’il « dépasse les exigences de l’Énoncé des travaux » [60] [traduction].

[64] Il se peut que la CISR se soit appuyée sur le contenu et la structure de la soumission de Deloitte pour évaluer la soumission de PwC, ce qui l’a amenée à comparer les soumissions des deux entreprises. Il est certes vrai que la CISR cherchait un fournisseur de services qui répondrait le mieux à ses besoins, mais la procédure de passation du marché utilisée pour atteindre cet objectif comportait des irrégularités.

[65] De l’avis du Tribunal, la DP a été rédigée de façon très générale afin de donner aux soumissionnaires la latitude voulue en espérant qu’ils proposent une approche privilégiant la résolution de problèmes qui est spécifiquement adaptée aux problèmes organisationnels particuliers de la CISR ou, à titre subsidiaire, les évaluateurs se sont éloignés de la procédure établie en comparant les deux soumissions au lieu de les comparer à la DP. Si la première hypothèse est juste, la DP comportait des irrégularités dès le départ parce qu’elle reposait sur une grille d’évaluation qui n’a pas été fournie aux soumissionnaires éventuels et qui n’aurait raisonnablement pas pu être déduite compte tenu de la description de l’Énoncé des travaux et du fait que les soumissionnaires n’ont pas été informés qu’on s’attendait à ce qu’ils produisent des données probantes convaincantes plutôt que des documents confirmant leur expérience [61] .

[66] En ce qui a trait à la deuxième hypothèse, le Tribunal fait remarquer que l’évaluation des soumissions s’est faite en deux étapes : une première évaluation a été effectuée par trois évaluateurs individuels, puis une réunion au cours de laquelle un « consensus » a été établi a eu lieu. Les notes attribuées aux soumissions de PwC et de Deloitte figurent sur la même page de la feuille d’évaluation par consensus [62] , et le Tribunal n’est pas convaincu qu’aucune comparaison n’a été effectuée. Comme cette étape du processus d’évaluation est décrite comme une « réunion de consensus », il peut être déduit que le mérite des deux soumissions et les notes qui leur ont été attribuées ont été comparés et ont fait l’objet de discussions. Si les soumissions avaient été évaluées en s’appuyant sur les notes attribuées de façon indépendante par les évaluateurs individuels, une réunion de « consensus » n’aurait pas été nécessaire. Les évaluateurs auraient alors simplement compilé les notes qu’ils avaient attribuées, ce qui est un exercice mathématique simple.

[67] Par conséquent, le Tribunal estime qu’il est possible, sinon probable, que la soumission de PwC a été évaluée en effectuant une comparaison avec le contenu technique de la soumission de Deloitte au lieu de l’évaluer uniquement en fonction des exigences de la DP.

[68] Le Tribunal fait remarquer que le RIF ne contenait aucune copie des documents d’évaluation à l’égard de la soumission de Deloitte [63] ni aucune déclaration écrite sous serment d’un employé de la CISR qui aurait pu expliquer les procédures suivies par la CISR durant l’évaluation des soumissions.

[69] Compte tenu de la nature de la procédure portant sur un marché public et des délais prescrits pour une telle procédure, on s’attend au moins à ce qu’une partie, comme une institution fédérale qui dépose un RIF, présente ses meilleurs arguments. On s’attend généralement à ce qu’une partie puisse prouver des faits relevant de ses connaissances ou de ses moyens de connaissance, surtout lorsque les faits ou l’information nécessaires ne sont pas en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie adverse, c’est-à-dire la partie plaignante, à défaut de quoi une conclusion défavorable pourrait être tirée [64] .

[70] En l’espèce, seuls les employés de la CISR avaient une connaissance directe du processus d’évaluation des soumissions. Puisque la CISR n’a présenté aucun élément de preuve convaincant pour expliquer ou réfuter les énoncés figurant dans les documents d’évaluation des soumissions en ce qui concerne les critères CTC1 et CTC2, le Tribunal conclut que la plainte de PwC selon laquelle sa soumission a été évaluée à l’aide de critères qui sont différents de ceux de la DP ou qui n’ont pas été mentionnés dans la DP est fondée.

[71] Par conséquent, le Tribunal rejette également l’argument de la CISR selon lequel la plainte de PwC n’a pas été déposée dans les délais prescrits. Les critères d’évaluation de la pertinence établis dans la DP n’étaient pas intrinsèquement vagues et PwC n’a donc pas été obligée de demander des précisions. Le problème réside plutôt dans le fait que ces critères ont été modifiés ou restreints durant l’évaluation des soumissions. PwC s’est plainte du résultat de la procédure de passation du marché auprès de la CISR et a déposé une plainte auprès du Tribunal dans les délais prescrits après que la CISR l’a prétendument informée qu’aucune indemnité ne lui serait versée [65] .

[72] Dans sa plainte, PwC formule des observations concernant les notes qui, à son avis, auraient dû être attribuées à sa soumission [66] . Le Tribunal rejette cet argument de la plainte de PwC, ainsi que sa prétention selon laquelle des notes plus élevées auraient dû être attribuées à sa soumission, car si cet argument et cette prétention étaient acceptés, le Tribunal devrait alors évaluer le contenu de la soumission et y attribuer des points.

[73] Par conséquent, le Tribunal conclut que la plainte de PwC est en partie fondée.

[74] Pour recommander une mesure corrective, comme le prévoit le paragraphe 30.15(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit tenir compte des facteurs énoncés au paragraphe 30.15(3) de la Loi :

(3) Dans sa décision, le Tribunal tient compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché de fournitures ou services visé par le contrat spécifique, notamment des suivants :

a) la gravité des irrégularités qu’il a constatées dans la procédure des marchés publics;

b) l’ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

c) l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication;

d) la bonne foi des parties;

e) le degré d’exécution du contrat.

[75] Le Tribunal conclut que l’irrégularité constatée dans la procédure de passation du marché en question était importante, mais que les circonstances particulières du marché en atténuent l’importance. Les irrégularités dans le processus d’évaluation résultent probablement du fait que seulement deux soumissions ont été reçues. Compte tenu de ces circonstances, il était plus facile de comparer les soumissions entre elles au lieu de les évaluer en fonction des critères de la DP. Bien que cette façon de faire ait causé un préjudice à PwC, elle n’a eu aucun préjudice et aucune incidence sur une autre partie.

[76] La nature du préjudice est également pertinente. En l’espèce, les irrégularités dans le processus d’évaluation des soumissions ne permettent pas au Tribunal de conclure que PwC n’a pas obtenu un contrat qu’elle aurait autrement obtenu. Au moins deux autres facteurs, soit la note attribuée à l’exposé et le prix de la soumission, sont susceptibles d’avoir eu une incidence importante, voire déterminante, sur le résultat de la procédure de passation du marché. On ne peut présumer que ces facteurs auraient nécessairement joué en faveur de PwC, compte tenu particulièrement de la formule pondérée qui devait être appliquée à la note attribuée au mérite technique et au prix.

[77] Compte tenu de ces faits, le Tribunal conclut donc que tout préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication est minime. Rien n’indique qu’il y a eu mauvaise foi. Le Tribunal est convaincu que la CISR cherchait le meilleur fournisseur de service qui soit pour répondre à ses besoins opérationnels.

[78] La CISR a déjà informé PwC et le Tribunal que les travaux à réaliser dans le cadre du contrat sont urgents sur le plan opérationnel et qu’ils seront en grande partie exécutés à l’automne 2020, concurremment à la présente instance [67] .

[79] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal ne juge pas indiqué de recommander l’annulation du contrat, d’autant plus que les travaux qui y sont prévus seront sans doute substantiellement achevés lorsque le Tribunal rendra sa décision. De plus, ce ne serait qu’hypothèse que de conclure que PwC aurait obtenu le contrat, car l’attribution du contrat aurait été subordonnée à l’évaluation d’un exposé que PwC aurait présenté et au prix de sa soumission, ainsi qu’à la révision de la note accordée au mérite technique. Le Tribunal n’est pas non plus en mesure de tirer cette conclusion en procédant lui‑même à l’évaluation technique et financière de la soumission de PwC à titre de mesure corrective.

[80] Lorsqu’il recommande le versement d’une indemnité à titre de mesure corrective, l’objectif du Tribunal est de placer la partie plaignante dans la position où cette dernière se serait trouvée, n’eût été les irrégularités dans la procédure de passation du marché et la violation des accords commerciaux qui en a découlé [68] . Les recommandations ne doivent pas représenter une aubaine, mais doivent plutôt refléter les pertes réelles subies en raison de l’infraction du gouvernement. Le principe applicable est donc généralement conforme aux principes de la common law relatifs aux dommages-intérêts [69] . Compte tenu de ce qui précède, le versement d’une indemnité pour perte de profits parce que le contrat n’a pas été attribué à PwC n’est pas justifié. En l’espèce, PwC a plutôt été privée de l’occasion de passer à l’étape de l’exposé de la procédure de passation du marché. Par conséquent, le Tribunal recommande que la CISR verse une indemnité à PwC pour la perte de cette occasion [70] .

[81] Le Tribunal accorde en outre à PwC une indemnité raisonnable pour les frais liés à la préparation de sa soumission, indemnité qui doit également être versée par la CISR. Si les critères relatifs à la pertinence avaient été formulés plus clairement dans la DP ou si l’importance de démontrer la pertinence par rapport à la CISR elle-même en fournissant des documents justificatifs avait été indiquée de manière plus transparente dans la DP, PwC aurait très bien pu décider de ne pas présenter de soumission.

[82] Puisque les frais suivent habituellement l’issue de l’affaire et que la plainte de PwC a été jugée fondée à la lumière d’au moins un des motifs à l’appui invoqués, le Tribunal accorde à PwC une indemnité raisonnable pour les frais liés à la présente instance et détermine provisoirement que le montant de l’indemnité correspond au degré 2.

[83] Le Tribunal encourage les parties à négocier et à parvenir à un accord concernant les montants à verser à titre de compensation et d’indemnité raisonnable pour les frais liés à la préparation de la soumission et les frais liés à la présente instance. Si les parties ne parviennent pas à un accord, le Tribunal déterminera les montants à verser après avoir entendu les autres observations des parties, conformément à la décision ci-après.

DÉCISION

[84] Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est en partie fondée.

[85] En ce qui concerne la mesure corrective, le Tribunal recommande que la CISR indemnise PwC pour occasion manquée. Le Tribunal accorde en outre à PwC une indemnité raisonnable pour les frais liés à la préparation de sa soumission, indemnité qui doit également être versée par la CISR.

[86] Le Tribunal encourage les parties à négocier et à parvenir à un accord concernant les montants à verser à PwC à titre de compensation et d’indemnité pour les frais liés à la préparation de sa soumission. Si les parties ne parviennent pas à un accord dans les 45 jours suivant la date de la présente décision, elles sont tenues d’en informer le Tribunal. Le Tribunal déterminera alors le montant de la compensation qui devrait être versée à PwC et évaluera le montant de l’indemnité à lui accorder pour les frais liés à la préparation de sa soumission, après avoir entendu les autres observations des parties et conformément à un échéancier à fixer.

[87] Le Tribunal accorde également une indemnité raisonnable à PwC pour les frais liés à la présente plainte. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public [71] , le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la présente plainte correspond au degré 2 et que le montant de l’indemnité est de 2 750 $. Les parties peuvent présenter des observations au sujet de l’indemnité en même temps que toute autre observation présentée au Tribunal concernant l’évaluation de la compensation et de l’indemnité pour les frais de préparation de la soumission ou dans un délai de 45 jours à compter de la date de la présente décision, selon l’échéance la plus tardive.

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre présidant

 



[1] Pièce PR-2020-035-01 à la p. 78.

[2] Ibid. à la p. 82.

[3] Ibid. aux p. 122-127.

[4] Ibid. à la p. 122.

[5] Ibid. aux p. 122-123.

[6] Ibid. aux p. 96-97.

[7] Ibid. aux p. 98-101.

[8] Ibid. aux p. 101-103.

[9] Ibid. aux p. 94-95.

[10] Ibid. à la p. 90.

[11] Ibid. à la p. 85.

[12] Ibid. à la p. 412.

[13] Ibid. aux p. 141-179.

[14] Ibid. aux p. 2, 187-380.

[15] Ibid. aux p. 3-4.

[16] Ibid. à la p. 412.

[17] Ibid. aux p. 390-391.

[18] Ibid. aux p. 4-5, 170-173, 403-404.

[19] Ibid. aux p. 381-448.

[20] Ibid. aux p. 403-406.

[21] Ibid. aux p. 5, 408-414.

[22] Ibid. aux p. 416-431.

[23] Ibid. aux p. 433-447.

[24] Ibid. à la p. 447.

[25] Ibid. à la p. 1.

[26] Pièce PR-2020-035-08.

[27] DORS/93-602 [Règles].

[28] PricewaterhouseCoopers LLP c. Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (16 octobre 2020), PR-2020-035 (TCCE).

[29] Pièce PR-2020-035-12.

[30] Pièce PR-2020-035-15.

[31] Pièce PR-2020-035-18; pièce PR-2020-035-19.

[32] Pièce PR-2020-035-01 à la p. 15.

[33] Ibid. à la p. 96.

[34] Ibid. à la p. 170.

[35] Selon PwC, ces critères sont : « i) l’exigence voulant qu’une description distincte indiquant la pertinence soit donnée à l’égard de CRT1; ii) l’exigence CRT4 voulant que soit démontrée la connaissance des “lignes directrices ou normes en place au niveau du gouvernement du Canada”, et iii) l’application d’un système de notation binaire à CRT2 » [traduction]. Pièce PR-2020-035-01 à la p. 38.

[36] Ibid. à la p. 5.

[37] Ibid. à la p. 42.

[38] Pièce PR-2020-035-12 aux p. 3-18.

[39] Ibid. aux p. 20-43.

[40] Ibid. à la p. 8.

[41] Pièce PR-2020-035-15.

[42] Pièce PR-2020-03-01 à la p. 172.

[43] Ibid. à la p. 170.

[44] Ibid. à la p. 171.

[45] Ibid. à la p. 170.

[46] Ibid. aux p. 122-127.

[47] Ibid. à la p. 123.

[48] Ibid. à la p. 124.

[49] Ibid. à la p. 125.

[50] Ibid. aux p. 125-126.

[51] Ibid. à la p. 170.

[52] L’utilisation de majuscules et de caractère gras.

[53] Pièce PR-2020-035-01 à la p. 426.

[54] À savoir, capacités analytiques, efficacité du processus, efficacité et automatisation et gestion du changement tel que ces compétences sont décrites dans l’énoncé des travaux.

[55] Pièce PR-2020-035-01 à la p. 426.

[56] Ibid. à la p. 427.

[57] Bien que ces remarques indiquent possiblement une préférence envers des entités fédérales, le Tribunal conclut qu’elles ne sont pas déterminantes.

[58] Pièce PR-2020-035-12, par. 25.

[59] Qui obtiendrait le maximum de points possible.

[60] Pièce PR-2020-035-01 à la p. 427.

[61] Voir par. 46-58, infra.

[62] Pièce PR-2020-035-01 à la p. 423.

[63] Il va de soi que, pour protéger la confidentialité, IRB n’a pas fourni à PwC des copies de ses documents d’évaluation à l’égard de la soumission de Deloitte. Toutefois, cette restriction n’existe pas dans le cadre de procédures du Tribunal, lequel reçoit, étudie et protège les renseignements confidentiels de façon régulière.

[64] Voir par exemple Snell c. Farrell, 1990 CanLII 70 (CSC), [1990] 2 RCS 311; Canadian Northern Quebec R. Co. c. Pleet, 1921 CanLII 518 (ON CA), 50 O.L.R. 223, affd 1921 CanLII 564 (CSC), [1923] 4 DLR 1112; Hoffmann‑La Roche Ltd. c. Apotex Inc. (1984), 1984 CanLII 1883 (ON CA), 47 O.R. (2d) 287 à la p. 288; Les Systèmes Equinox Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (12 mars 2009), PR‑2006‑045R (TCCE) au par. 74. Les conclusions défavorables du Tribunal ont été confirmées par la Cour d’appel fédérale. Voir Procureur général du Canada c. Les Systèmes Equinox Inc., 2009 CAF 304 au par. 3.

[65] Pièce PR-2020-035-01 à la p. 447.

[66] Par exemple, Pièce PR-2020-035-01 aux p. 15-26.

[67] Pièce PR-2020-035-06 à la p. 2.

[68] Conair Aviation (30 janvier 1997), PR-95-039 (TCCE).

[69] Maritime Fence Ltd. (1er avril 2011), PR-2009-027 (TCCE) au par. 5; Oshkosh Defense Canada Inc. (29 décembre 2017), PR-2015-051 et PR-2015-067 (TCCE) [Oshkosh] au par. 71; Spacesaver Corp. (27 avril 1999), PR‑98‑028 (TCCE); Mechron Energy Ltd. (26 octobre 1995), PR-95-001 (TCCE).

[70] Lignes directrices sur les indemnités dans une procédure portant sur un marché public (2014), art. 3.1.4, art. 3.1.5, <https://citt-tcce.gc.ca/fr/types-de-ressources/lignes-directrices-indemnites-procedure-portant-marche-public.html>.

[71] <https://www.citt-tcce.gc.ca/fr/types-de-ressources/ligne-directrice-fixation-frais-procedure-plainte-portant-marche-public.html.

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