Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2020-062

Ocalink Technologies Inc.

c.

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Ordonnance rendue

le mercredi 24 février 2021

Motifs rendus
le jeudi 11 mars 2021

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Ocalink Technologies Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

ET À LA SUITE D’une requête déposée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, aux termes des paragraphes 10(2) et 10(3) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, en vue du rejet de la plainte, DORS/93-602.

ENTRE

OCALINK TECHNOLOGIES INC.

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

ORDONNANCE

ATTENDU QUE Ocalink Technologies Inc. (Ocalink) a déposé la présente plainte le 28 novembre 2020, le 2 décembre 2020 et le 7 décembre 2020;

ET ATTENDU QUE, le 14 décembre 2020, le Tribunal canadien du commerce extérieur a accepté d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (Loi sur le TCCE) et du paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics (Règlement);

ET ATTENDU QUE, le 13 janvier 2021, le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) a demandé au Tribunal de rejeter la plainte aux termes des paragraphes 10(2) et 10(3) du Règlement au motif qu’une exception au titre de la sécurité nationale avait été invoquée afin d’exempter le marché public du champ d’application des accords commerciaux;

ET ATTENDU QUE l’exception du champ d’application des accords commerciaux en l’espèce constitue en effet une exception en vue de protéger la vie et la santé des personnes, comme le prévoient l’article III(2)b) de l’Accord révisé sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce et les articles 202 et 501 de l’Accord de libre-échange canadien;

ET ATTENDU QUE, en application de l’exception en vue de protéger la vie et la santé des personnes, le Tribunal n’a pas compétence pour enquêter sur ce marché public;

ET ATTENDU QUE, aux termes du paragraphe 10(1) du Règlement, le Tribunal peut ordonner le rejet d’une plainte si, à la lumière de la Loi sur le TCCE, du Règlement et tout autre accord commercial applicable, il conclut que la plainte ne s’appuie sur aucun fondement valable;

PAR CONSÉQUENT, aux termes du paragraphe 10(1) du Règlement, le Tribunal rejette par la présente la plainte d’Ocalink. Le Tribunal accorde à Ocalink les frais liés à sa plainte, soit 500 $, devant être payés par TPSGC.

Peter Burn

Peter Burn
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.


 


EXPOSÉ DES MOTIFS

VUE D’ENSEMBLE

[1] La présente plainte déposée par Ocalink Technologies Inc. (Ocalink) a trait à un appel d’offres publié par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom de l’Agence de la santé publique du Canada en collaboration avec le ministère de l’Industrie [1] . L’appel d’offres, lancé dans le cadre d’un « Appel à l’action » aux entreprises, portait sur l’acquisition de respirateurs en réponse à la pandémie de COVID-19.

[2] Ocalink soutient que les institutions fédérales qui ont participé à l’appel d’offres n’ont pas agi avec équité et que leur conduite a soulevé une crainte raisonnable de partialité.

[3] TPSGC a déposé une requête demandant au Tribunal de rejeter la plainte d’Ocalink, aux termes des paragraphes 10(2) et (3) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [2] , au motif qu’une exception de sécurité nationale avait été invoquée afin d’exempter le marché public du champ d’application des accords commerciaux, privant ainsi le Tribunal de sa compétence de mener une enquête.

[4] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que l’exception invoquée afin d’exempter le marché public du champ d’application des accords commerciaux en l’espèce constitue dans les faits une exception en vue de protéger la vie et la santé des personnes. Par conséquent, le Tribunal rejette la plainte d’Ocalink aux termes du paragraphe 10(1) du Règlement.

CONTEXTE DE LA PROCÉDURE

[5] Le 31 mars 2020, Ocalink a reçu un Appel à l’action dans le cadre du Programme d’aide à la recherche industrielle du Conseil national de recherches du Canada, à la recherche d’entreprises en mesure de développer et de manufacturer au Canada des respirateurs en réponse à la pandémie de COVID-19.

[6] Le 1er avril 2020, Ocalink a présenté une soumission dans le cadre de l’Appel à l’action.

[7] Le 2 avril 2020, Ocalink a participé à un entretien virtuel avec un panel d’experts évaluateurs.

[8] Le 4 avril 2020, Ocalink a été avisée qu’elle n’avait pas été sélectionnée par le panel d’experts évaluateurs, qui avait choisi les trois entreprises dont les respirateurs étaient considérés comme les plus appropriés à être utilisés avec les patients atteints de la COVID-19 et les plus prêts à être manufacturés et distribués dans un délai de quatre semaines.

[9] TPSGC a adjugé des contrats à fournisseur unique pour l’acquisition de respirateurs à trois entreprises le 10 avril 2020. TPSGC a adjugé un autre contrat à fournisseur unique pour l’acquisition de respirateurs le 22 mai 2020.

[10] Pendant plusieurs mois, Ocalink a continué de communiquer avec divers agents du gouvernement au sujet des respirateurs qu’elle proposait. Le 16 novembre 2020, le ministère de l’Industrie a fourni à Ocalink plus de détails concernant son évaluation dans le cadre de l’Appel à l’action, notamment le nom des membres du panel d’experts évaluateurs.

[11] Ocalink a déposé sa plainte auprès du Tribunal les 28 novembre 2020, 2 décembre 2020 et 7 décembre 2020.

[12] Le 7 décembre 2020, Ocalink a demandé que le Tribunal applique la procédure expéditive énoncée à l’article 107 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [3] .

[13] Le Tribunal a accepté d’enquêter sur la plainte le 14 décembre 2020.

[14] Le 18 décembre 2020, TPSGC s’est opposé à la requête d’Ocalink demandant que la procédure expéditive soit appliquée. Ocalink a répondu à cette objection le 24 décembre 2020.

[15] TPSGC a demandé une prorogation du délai pour le dépôt de son Rapport de l’institution fédérale (RIF) le 24 décembre 2020, et Ocalink s’est opposée à cette prorogation le même jour.

[16] Le 30 décembre 2020, le Tribunal a accueilli la demande de prorogation de délai présentée par TPSGC pour déposer le RIF et a rejeté la requête d’Ocalink ayant trait à l’application de la procédure expéditive.

[17] Le 13 janvier 2021, TPSGC a déposé une requête demandant au Tribunal de rejeter la plainte aux termes des paragraphes 10(2) et (3) du Règlement en raison de l’invocation d’une exception de sécurité nationale.

[18] Le 14 janvier 2021, le Tribunal a accueilli une requête en intervention de FTI Professional Grade Inc. (FTI).

[19] Le 15 janvier 2021, le Tribunal a demandé à Ocalink et à FTI de déposer des observations sur la demande de rejet de la plainte. Le Tribunal a aussi prolongé son enquête à 135 jours, aux termes de l’alinéa 12c) du Règlement, et a suspendu la date limite pour le dépôt du RIF.

[20] Le 22 janvier 2021, Ocalink a déposé des observations s’opposant à la demande de rejet de la plainte, et FTI a déposé des observations à l’appui de la demande.

[21] Le 27 janvier 2021, TPSGC a répondu aux observations d’Ocalink s’opposant à la demande de rejet de la plainte.

PLAINTE D’OCALINK

[22] Ocalink soutient que TPSGC et le ministère de l’Industrie n’ont pas agi avec équité et que leur conduite a soulevé une crainte raisonnable de partialité. Plus particulièrement, Ocalink soutient ce qui suit :

  • - Les critères d’évaluation n’ont pas été communiqués en entier à Ocalink au moment de la publication de l’appel d’offres, et Ocalink a dû satisfaire à des critères additionnels qui n’ont pas été exigés des autres fournisseurs.

  • - Le panel d’experts évaluateurs comprenait des personnes ou des contractuels à l’emploi de groupes représentant l’industrie et de fabricants de pièces de respirateurs, ce qui a soulevé une crainte raisonnable de partialité.

  • - La soumission d’Ocalink a été rejetée en fonction d’une exigence de fabrication et de distribution dans un délai de quatre semaines, tandis que les soumissionnaires retenus n’ont pas a exécuté le contrat dans le même délai.

  • - Les critères d’évaluation étaient inappropriés, n’ont pas été appliqués avec équité, et s’immisçaient dans le processus de réglementation de Santé Canada sans son autorisation.

  • - Le processus d’évaluation manquait de mesures de protection en matière de propriété intellectuelle.

  • - Un contrat a été adjugé à FTI, dont le directeur est M. Frank Baylis, un récent ex-député fédéral.

[23] Dans sa plainte initiale, Ocalink soutient qu’elle croyait qu’aucune exception de sécurité nationale n’avait été invoquée pour cet appel d’offres, car ni les documents de l’appel d’offres ni la correspondance avec les agents du gouvernement n’en avaient fait mention.

[24] Ocalink soutient que sa soumission aurait due être retenue, et par conséquent demande d’être compensée pour sa perte de profit.

REQUÊTE DEMANDANT LE REJET DE LA PLAINTE

[25] TPSGC a déposé une requête demandant le rejet de la plainte d’Ocalink au motif qu’une exception de sécurité nationale avait été dûment invoquée aux termes des paragraphes 10(2) et (3) du Règlement. TPSGC soutient qu’une exception de sécurité nationale est dûment invoquée lorsque le sous-ministre adjoint ou une personne ayant un poste équivalent, responsable de l’adjudication du contrat, a signé une lettre approuvant l’invocation de l’exception avant l’adjudication du contrat.

[26] À l’appui de sa requête, TPSGC a déposé une lettre datée du 14 mars 2020 qui approuve l’invocation de l’exception de sécurité nationale pour les appels d’offres ayant trait à des biens ou services requis afin de faire face à la pandémie de COVID-19. Cette lettre s’applique jusqu’à ce que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) déclare que la pandémie de COVID-19 n’est plus une « urgence de santé publique de portée internationale ». La lettre est signée par trois hauts fonctionnaires de TPSGC : Arianne Reza, sous‑ministre adjointe de la Direction générale des approvisionnements, André Fillion, sous‑ministre adjoint de la Direction générale de l’approvisionnement maritime et de défense, et Stéphan Déry, sous-ministre adjoint chargé des services immobiliers.

[27] Ocalink soutient que l’exception de sécurité nationale ne devrait pas s’appliquer car aucun document n’était disponible publiquement invoquant l’exception au moment où elle a présenté sa soumission ou déposé sa plainte. De plus, aucun agent du gouvernement ne lui a mentionné qu’il y avait une exception de sécurité nationale au cours de la procédure de l’appel d’offres ou dans leur correspondance entre avril et octobre 2020. Ocalink soutient que cela contrevenait à l’exigence d’insérer un énoncé concernant l’exception de sécurité nationale dans tous les avis aux soumissionnaires ainsi que dans les documents de l’appel d’offres, comme prévu à la section 3.105.5.e du Guide des approvisionnements de TPSGC.

[28] En réponse, TPSGC admet ne pas avoir avisé les fournisseurs potentiels qu’une exception de sécurité nationale avait été invoquée. Toutefois, TPSGC soutient que les accords commerciaux n’exigent pas qu’une exception de sécurité nationale soit annoncée publiquement. TPSGC soutient aussi que le mandat du Tribunal ne s’étend pas à l’examen de la conformité aux politiques en matière d’approvisionnement qui n’ont pas été incorporées expressément par référence dans les documents de l’appel d’offres, tel que le Guide des approvisionnements de TPSGC.

ANALYSE DU TRIBUNAL

[29] Les paragraphes 10(2) et (3) du Règlement sont entrés en vigueur le 3 juin 2019 [4] , (modifications de 2019 au Règlement) privant le Tribunal de sa compétence d’enquêter sur les plaintes en matière de marchés publics lorsqu’une exception de sécurité nationale a été dûment invoquée. Le Tribunal n’a pas eu l’occasion de se pencher sur ces modifications jusqu’à tout récemment [5] . En vertu des modifications de 2019 au Règlement, une exception de sécurité nationale est considérée avoir été dûment invoquée lorsque le sous-ministre adjoint (ou une personne ayant un poste équivalent), responsable de l’adjudication d’un contrat, a signé une lettre approuvant l’invocation de l’exception avant la date de l’adjudication du contrat.

[30] Les modifications de 2019 au Règlement visent à modifier le droit canadien en vigueur sur les exceptions de sécurité nationale ayant trait aux plaintes en matière de marchés publics déposées auprès du Tribunal, en enlevant l’exigence selon laquelle une institution fédérale doit justifier l’utilisation d’une exception de sécurité nationale et l’invoquer uniquement dans la mesure nécessaire pour protéger les intérêts de sécurité nationale du Canada [6] .

[31] Les modifications de 2019 au Règlement sont non seulement contraires à la récente jurisprudence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), mais aussi à la propre position du Canada tenue devant l’OMC. En avril 2019, l’OMC a rendu une décision selon laquelle un État désirant avoir recours aux exceptions de sécurité nationale doit démontrer l’existence d’une appréhension valable en matière de sécurité nationale, et que toute mesure prise sous le couvert d’une question de sécurité doit réellement être nécessaire à la protection des intérêts de la sécurité de l’État invoquant cette disposition [7] . Au cours de cette procédure, la Russie et les États-Unis ont affirmé que des États souverains pouvaient invoquer l’exception de sécurité nationale à leur seule discrétion (c’est-à-dire que le recours à l’exception « s’autojustifie »), mais le Canada a soutenu que les États doivent donner les motifs qui justifient le recours à l’exception, et que ces motifs doivent résister à un examen approfondi [8] .

[32] Il y a donc un écart flagrant entre la position du gouvernement du Canada devant l’OMC (qui a prévalu et qui par conséquent constitue l’état actuel du droit international), et la position du Canada sur le plan national lorsque, seulement quelques semaines après que l’OMC eut rendu sa décision, la gouverneure générale en conseil a adopté les modifications de 2019 au Règlement.

[33] L’Accord révisé sur les marchés publics de l’OMC et l’Accord de libre-échange canadien prévoient des exceptions de sécurité nationale. Toutefois, ils prévoient aussi des exceptions pour protéger la vie et la santé des personnes [9] .

[34] De l’avis du Tribunal, l’état actuel du droit ne reconnaît la validité d’une invocation de sécurité nationale uniquement dans des circonstances où la sécurité nationale (par exemple lorsque les frontières d’un État sont concernées, ses forces armées, son infrastructure en technologie de l’information, ou sa souveraineté en général) est réellement en jeu [10] . En revanche, parce que l’actuelle pandémie de COVID-19 est un état d’« urgence de santé publique de portée internationale » déclaré par l’OMS, elle devrait être correctement reconnue à ce titre. Il s’ensuit que toute exception aux règles commerciales reconnues appliquée à l’achat de fournitures liées à la pandémie devrait être invoquée, non sous le couvert d’une exception de sécurité nationale, mais plutôt en vertu des exceptions aux accords commerciaux ayant trait à la protection de la vie et de la santé des personnes.

[35] Les respirateurs en question en l’espèce ont été acquis en réponse à la pandémie de COVID‑19. La situation n’a rien à voir avec la sécurité nationale au sens où l’entend le droit international [11] .

[36] La pandémie de COVID-19 est une menace à la vie et à la santé de la population canadienne. L’appel d’offres en question en l’espèce a été conçu de façon à obtenir des respirateurs aussi rapidement que possible afin de protéger la vie et la santé des personnes.

[37] Il s’ensuit que l’exception applicable la plus appropriée des accords commerciaux invoquée par les institutions fédérales en l’espèce concerne celle ayant trait à la protection de la vie et de la santé des personnes, et non celle ayant trait à la sécurité nationale. Quoi qu’il en soit, il demeure que les institutions fédérales concernées en l’espèce ont choisi de retirer cet appel d’offres de l’examen du Tribunal, même en ce qui concerne des fournisseurs canadiens qualifiées qui autrement auraient pu bénéficier de l’Accord de libre-échange canadien et du mécanisme de contestation des procédures de marchés publics devant le Tribunal.

[38] En réponse à l’argument d’Ocalink selon lequel TPSGC devait aviser les soumissionnaires qu’une exception de sécurité nationale avait été invoquée, le Tribunal ne peut que conclure que son rôle ne va pas jusqu’à faire respecter les procédures en matière d’avis aux soumissionnaires énoncées dans le Guide des approvisionnements de TPSGC. Comme le Tribunal l’a précédemment affirmé, « le non-respect de la part d’une institution fédérale des lignes directrices énoncées dans ce guide ne constitue pas, en soi, une violation des accords commerciaux, sauf si les documents d’appel d’offres exigent que les procédures précisées dans les lignes directrices soient respectées » [12] . Néanmoins, l’absence d’avis est reflétée dans l’indemnité accordée par le Tribunal, comme expliqué ci-dessous.

[39] Enfin, bien que le Tribunal ne soit pas directement saisi de la question compte tenu de sa conclusion en l’espèce, le Tribunal s’interroge à savoir si les modifications de 2019 au Règlement sont correctement intra vires [13] des pouvoirs confiées par le législateur au gouverneur en conseil, lorsque examiné d’après les dispositions en vertu desquelles ces modifications ont été adoptées [14] et les principes généraux de la common law [15] .

[40] En outre, le Tribunal se rappelle que « [l]a souveraineté du Parlement permet au législateur de contrevenir au droit international, mais seulement expressément » [16] . Cependant, le Tribunal ne peut que faire remarquer (comme exposé ci-dessus) que l’état du droit international au moment de l’adoption des modifications de 2019 au Règlement était et demeure que l’utilisation d’une exception de sécurité nationale doit être rationnellement liée à d’authentiques préoccupations en matière de sécurité nationale; invoquer cette exception ne peut non plus constituer une restriction déguisée au commerce [17] . Le Tribunal s’interroge à savoir si les modifications de 2019 au Règlement ont l’effet de restreindre le commerce, en empêchant en bloc les fournisseurs nationaux canadiens titulaires d’attestations de sécurité d’avoir recours au Tribunal. À ce titre, le Tribunal s’interroge également à savoir si les modifications de 2019 au Règlement sont conformes aux obligations fédérales-provinciales du Canada aux termes de l’ALEC.

FRAIS

[41] Ocalink n’a pas été informée qu’une exception aux accords commerciaux s’appliquait à cet appel d’offres avant de déposer sa plainte auprès du Tribunal. Par conséquent, le Tribunal accorde à Ocalink une indemnité symbolique de 500 $, indemnité qui doit être versée par TPSGC.

CONCLUSION

[42] Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal par la présente rejette la plainte.

Peter Burn

Peter Burn
Membre présidant

 



[1] Le ministère de l’Industrie est l’appellation légale pour Innovation, Sciences et Développement économique Canada.

[2] DORS/93-602 [Règlement].

[3] DORS/91-499.

[4] DORS/2019-162, art. 1, 3 juin 2019, Gazette du Canada, Partie II, volume 153, numéro 12, en ligne : <https://gazette.gc.ca/rp-pr/p2/2019/2019-06-12/html/sor-dors162-fra.html>.

[5] Le Tribunal s’est penché pour la première fois sur ces dispositions dans Vesta Health Systems Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (6 janvier 2021), PR-2020-057 (TCCE) [Vesta]. Le membre présidant en l’espèce ne partage pas l’avis du membre présidant énoncé dans Vesta concernant l’applicabilité de l’exception de sécurité nationale à des situations essentiellement identiques.

[6] Voir Harris Corporation (23 août 2018), PR-2018-001 (TCCE) aux par. 57-60, 80; Canada (Procureur général) c. Harris Corporation, 2018 CAF 130 [Harris CAF]; Hewlett-Packard (Canada) Co. (20 mars 2017), PR-2016-043 (TCCE) [Hewlett-Packard] aux par. 54-68; Eclipsys Solutions Inc. (4 février 2016), PR-2015-039 (TCCE) [Eclipsys] aux par. 18-21.

[7] Russie – Mesures concernant le trafic en transit (5 avril 2019), WT/DS512/R, online at: <https://docs.wto.org/dol2fe/Pages/SS/directdoc.aspx?filename=r:/WT/DS/512R.pdf&Open=True>.

[8] Voir Marcia Mills, Because We Said So: Invoking the National Security Exception to Reduce Access to Dispute Processes for Government Suppliers, Institut canadien des affaires mondiales, octobre 2019, en ligne : <https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/cdfai/pages/4292/attachments/original/1571785929/Because_We_Said_So_Invoking_the_National_Security_Exception_to_Reduce_Access_to_Dispute_Processes_for_Government_Suppliers.pdf?1571785929>.

[9] L’article III(2)b) de l’Accord révisé sur les marchés publics stipule que, « [s]ous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les Parties où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent accord ne sera interprété comme empêchant une Partie d’instituer ou d’appliquer des mesures [...] nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ». Organisation mondiale du commerce <https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/rev-gpr-94_01_f.htm> (entré en vigueur le 6 avril 2014) [AMP-OMC].

L’article 202 de l’Accord de libre-échange canadien prévoit une exception pour des mesures nécessaires à la réalisation d’un objectif légitime. Au chapitre 13, la définition d’« objectif légitime » comprend « la protection de la vie ou de la santé des personnes ou des animaux ou la préservation des végétaux ». L’article 501 stipule que « [...] l’article 202 (Objectifs légitimes) s’applique aux mesures ayant trait aux marchés couverts ». En ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2020/09/CFTA-Consolidated-Text-Final-French_September-24-2020.pdf> (entré en vigueur le 1er juillet 2017) [ALEC].

[10] Voir Russie – Mesures concernant le trafic en transit au par. 7.130, où le Groupe spécial a défini « intérêts essentiels de [...] sécurité » comme « les intérêts liés aux fonctions primordiales de l’État, à savoir la protection de son territoire et de sa population contre les menaces extérieures et le maintien de la loi et de l’ordre public à l’intérieur de cet État », et souligne (à la note 211) que l’expression « sécurité nationale » figure dans l’AMP‑OMC.

[11] Voir Russie – Mesures concernant le trafic en transit au par. 7.130.

[12] ML Wilson Management c. Agence Parcs Canada (6 juin 2013), PR-2012-047 (TCCE) au par. 41.

[13] La Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit : « Il est un principe bien établi du droit administratif qu’une législation subordonnée peut être contestée pour plusieurs motifs. La législation déléguée doit se situer à l’intérieur des limites de l’attribution législative accordée, tant au contenu qu’en ce qui concerne l’objectif [...]. L’étiquette succincte pour ce type de contestation est le motif de contrôle ultra vires. La législation déléguée peut aussi être contestée par voie de contrôle judiciaire lorsque le gouverneur en conseil n’a pas respecté les conditions légales préalables à la promulgation [...]. Même les décisions concernant des questions stratégiques générales d’ordre social ou économique sont susceptibles d’un examen limité en alléguant la mauvaise foi, l’absence de fondement factuel raisonnable ou le fait que le règlement est motivé par ou axés sur des objectifs accessoires ou ultérieurs [...]. La législation déléguée peut être attaquée pour en déterminer le caractère raisonnable, même si elle accorde au décideur une grande marge d’appréciation [...]. Comme l’a souligné la Cour [...] le fait que la législation déléguée puisse refléter une décision stratégique ou économique plus générale conduit à une certaine déférence, et non à la question de savoir si le règlement est susceptible d’un examen. » Goodyear Canada Inc. c. Canada (Environnement), 2017 CAF 149 aux par. 51-52. Voir aussi Paul Daly, Regulations and Reasonableness Review (29 janvier 2021), en ligne : <https://www.administrativelawmatters.com/blog/2021/01/29/regulations-and-reasonableness-review/>.

[14] Selon l’annonce de la modification proposée à la réglementation parue dans la Gazette du Canada, la nouvelle réglementation a été adoptée en vertu des alinéas 40a) and i) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur. Voir DORS/2019-162, art. 1, 3 juin 2019, Gazette du Canada, Partie II, volume 153, numéro 12, en ligne : <https://gazette.gc.ca/rp-pr/p2/2019/2019-06-12/html/sor-dors162-fra.html>.

[15] Les principes de la common law comprennent, par exemple, le principe de la souveraineté du Parlement, selon lequel les pouvoirs de prérogative de l’exécutif ne peuvent être utilisés pour modifier l’état du droit du pays. Voir R (Miller) v. Prime Minister, [2019] UKSC 41 au par. 41, citant le Case of Proclamations (1611) 12 Co Rep 74. L’état du droit canadien en ce qui concerne l’utilisation d’exceptions de sécurité nationale est celle exposée dans, comme indiqué ci-dessus, Harris FCA, Hewlett-Packard et Eclipsys.

[16] R. c. Hape, 2007 CSC 26 au par. 39.

[17] Russie – Mesures concernant le trafic en transit.

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