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Dossier no PR-2020-069

Sourcetec Industries Inc.

c.

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Décision rendue
le vendredi 30 avril 2021

Motifs rendus
le vendredi 14 mai 2021

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Sourcetec Industries Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

SOURCETEC INDUSTRIES INC.

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (Loi sur le TCCE), le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux une indemnité raisonnable pour les frais engagés dans sa réponse à la plainte, indemnité qui doit être versée par Sourcetec Industries Inc. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public (Ligne directrice), le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la présente plainte correspond au degré 1 et que le montant de l’indemnité est de 1 150 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à la détermination provisoire du degré de complexité ou du montant de l’indemnité, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Membre du Tribunal :

Susan D. Beaubien, membre présidant

Conseiller juridique du Tribunal :

Zackery Shaver, conseiller juridique

Partie plaignante :

Sourcetec Industries Inc.

Représentante de la partie plaignante :

Carrie Lennox

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques de l’institution fédérale :

Valérie Arseneault
Sébastien Dubois

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

[1] Sourcetec Industries, Inc. (Sourcetec) a déposé une plainte auprès du Tribunal concernant une demande de propositions (DP) publiée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de la Défense nationale (MDN) [1] . La procédure du marché public en cause découle de l’appel d’offres no W0107-21XC02/C, daté du 5 novembre 2020, en vue de la fourniture et de la livraison de filtres de particules temporaires pour les gaz d’échappement issus de véhicules (filtres de particules) pour les besoins de la Base des forces canadiennes (BFC) Petawawa [2] .

[2] Les filtres à particules servent à filtrer les particules de diesel cancérogènes issues des véhicules qui entrent et sortent de bâtiments, de postes de maintenance et d’ateliers. Ainsi, les filtres à particules réduisent au minimum l’exposition du personnel de la BFC Petawawa aux vapeurs diesel toxiques [3] . La DP comportait une liste d’exigences techniques obligatoires visant les filtres de particules faisant l’objet du marché et permettant de réaliser cet objectif, dont (sans s’y limiter) la taille, la séparation de filtration des particules, le poids, le nombre de révolutions par minute du moteur et la filtration d’oxydes d’azote, des hydrocarbures et du monoxyde de carbone [4] .

[3] Sourcetec est un distributeur canadien de produits de filtration fabriqués par EHC Technik AB (EHC), une entreprise suédoise [5] . Elle approvisionne les Forces canadiennes et fournit des marchandises directement à la BFC Petawa.

[4] Le 17 juillet 2019, dans un courriel envoyé à Sourcetec, la BFC Petawawa lui demandait de soumettre un prix à l’égard de filtres de particules EHC (filtres EHC). À l’examen de cette correspondance, il semble que ce produit avait été fourni à la BCF Petawawa antérieurement par Sourcetec ou que des soumissions avaient déjà été obtenues pour le produit :

Bonjour, veuillez s’il vous plaît nous transmettre une nouvelle soumission pour les articles énumérés en annexe. Nous n’avons pu mettre en œuvre en temps opportun la soumission précédente, mais nous avons toujours besoin des articles [6] .

[Traduction]

[5] Sourcetec a fourni la soumission la même journée, indiquant que le prix demeurait le même [7] .

[6] Ce genre d’échanges est devenu pratique courante au cours de l’année suivante. En août, septembre et octobre 2019, ainsi qu’en février, mars, mai et juillet 2020, la BFC Petawawa a communiqué avec Sourcetec pour lui demander une soumission « actualisée » ou « mise à jour » [traductions] à l’égard des filtres de particules. Sourcetec a répondu le même jour ou le lendemain, son prix demeurant le même pendant toute l’année 2020, malgré l’augmentation du prix du fabricant dans l’intervalle [8] . Ceci semble avoir été un geste en vue de favoriser sa relation avec le client.

[7] Pendant cette période, il semble qu’au moins sept individus distincts à la PFC Petawawa se soient occupés du dossier à tour de rôle et aient correspondu avec Sourcetec, qui cherchait à obtenir des soumissions à l’égard des filtres EHC [9] . L’achat et l’acquisition des filtres EHC ne pouvaient prétendument se concrétiser étant donné le manque de fonds ou l’absence d’approbation interne. Le processus semblait avoir avancé en octobre 2019 quand Sourcetec a reçu les renseignements suivants :

Nous avons reçu l’approbation pour l’achat des EHC. L’obtention des fonds a été un processus pénible et long, mais grâce à notre comité de santé et sécurité, nous avons réussi. La dernière soumission a été reçue en septembre et est maintenant expirée.

Puis-je obtenir une nouvelle soumission pour enclencher le processus d’achat.

Merci beaucoup. [10]

[Traduction]

[8] Malgré tout, les approbations requises n’ont pas été obtenues et la BFC Petawawa a continué à demander et à recevoir des propositions de prix « actualisées » [traduction] (mais inchangées) de Sourcetec jusqu’au 29 juillet 2020 [11] .

[9] En juillet 2020, le MDN a présenté une demande à TPSGC pour que les filtres à particules soient achetés auprès de Sourcetec dans le cadre d’un contrat à fournisseur unique [12] . Un préavis d’adjudication de contrat (PAC) a été publié sur le site Web Achatsetventes.gc.ca le 27 août 2020. Le PAC reposait sur la prémisse que Sourcetec était « le seul distributeur canadien autorisé connu pour l’EHC Teknik ab capable de fournir le produit et le matériel requis » [13] .

[10] Aux termes du PAC, les fournisseurs potentiels étaient invités à présenter un énoncé de capacités. TPSGC a reçu des réponses au PAC de la part de plusieurs fournisseurs. Le nombre de réponses a vraisemblablement amené TPSGC à informer Sourcetec, le 16 septembre 2020, que la procédure de passation du marché public se déroulerait sous forme d’appel d’offres concurrentiel [14] . Un appel d’offres (W0107-21XC02/B) a été publié le 22 septembre 2020 [15] . Aucune soumission conforme n’a été présentée. Sourcetec n’a pas soumissionné [16] .

[11] TPSGC a ensuite lancé un deuxième appel d’offres, soit la DP en cause dans la présente instance. Selon TPSGC, la DP a été publiée en vertu de l’exception permettant des appels d’offres limités prévue dans l’Accord de libre-échange canadien [17] et envoyée à plusieurs fournisseurs intéressés, y compris Sourcetec [18] .

[12] La date de clôture de la DP a été fixée au 17 octobre 2020, puis a ensuite été reportée au 20 novembre 2020. Quatre modifications ont été apportées à la DP [19] .

[13] Sourcetec a soumissionné [20] . Lors de l’évaluation des soumissions, TPSGC a jugé que la soumission de Sourcetec ne respectait pas certains critères techniques obligatoires de la DP. Le contrat a été attribué à un autre soumissionnaire et Sourcetec en a été informé [21] .

[14] Sourcetec a déposé une plainte auprès du Tribunal le 18 décembre 2020, soulignant que la BFC Petawawa avait expressément recherché des filtres EHC et avait correspondu avec Sourcetec pendant un an pour combler les besoins d’approvisionnement. Comme l’appel d’offres visait des filtres EHC, Sourcetec affirme que sa soumission aurait dû être jugée conforme et qu’elle aurait dû obtenir le contrat puisqu’elle a présenté la soumission conforme la moins-disante [22] .

[15] Dans sa plainte, Sourcetec a demandé que le contrat attribué soit résilié et qu’on lui attribue un nouveau contrat [23] .

[16] Le Tribunal a accepté d’enquêter sur la plainte de Sourcetec le 22 décembre 2020 [24] .

[17] TPSGC a déposé un Rapport de l’institution fédérale (RIF) le 5 février 2021 [25] .

[18] Même après avoir été avisé par le Tribunal [26] , le soumissionnaire retenu n’a pas demandé l’autorisation d’intervenir dans la procédure et n’y a pas participé.

POSITIONS DES PARTIES

Sourcetec

[19] Sourcetec affirme qu’elle fournit du matériel (y compris les filtres EHC) aux Forces canadiennes partout au Canada, et qu’elle fournit également du matériel sur mesure aux militaires canadiens. Elle soutient que le marché public en cause était axé sur l’acquisition précise de filtres EHC, un produit exclusif à Sourcetec.

[20] De plus, Sourcetec fait valoir que les détails de la DP ont été copiés à partir de la proposition de prix qu’elle avait fournie directement à la BFC Petawawa à la demande de cette dernière. En outre, Sourcetec a maintenu ses prix pendant plus d’un an, en réponse aux demandes répétées du personnel de la BFC Petawawa pour obtenir des prix actualisés et courants.

[21] Sourcetec soutient que TPSGC a jugé à tort que sa soumission n’était pas conforme. La soumission de Sourcetec comprenait une brochure sur le produit visant à exposer les caractéristiques techniques du matériel, comme le permettaient les modalités de la DP. Sourcetec affirme également que seuls les renseignements techniques relatifs aux filtres eux-mêmes étaient requis.

[22] Enfin, Sourcetec soutient que sa soumission était la moins-disante et que TPSGC aurait donc dû lui attribuer le contrat.

TPSGC

[23] TPSGC fait valoir qu’il était tenu d’évaluer la soumission de Sourcetec en respectant strictement les exigences obligatoires de la DP. Comme la soumission de Sourcetec ne contenait pas suffisamment de renseignements permettant de démontrer qu’elle était conforme à tous les critères obligatoires de la DP, elle a été correctement jugée non conforme.

[24] Une fois la soumission de Sourcetec jugée non conforme, TPSGC affirme que la soumission a été rejetée en bonne et due forme, sans être soumise à une évaluation financière.

[25] TPSGC affirme également que les appels d’offres concurrentiels sont la norme présumée et qu’il a correctement procédé par voie de procédure de passation de marché public concurrentiel, même s’il avait initialement pris des mesures pour acquérir des filtres à particules au moyen d’un contrat à fournisseur unique. De plus, TPSGC soutient que le fait que Sourcetec avait déjà fourni du matériel aux Forces canadiennes, ou proposé des prix au MDN, ne faisait pas en sorte qu’elle avait le droit d’obtenir un contrat pour la fourniture des filtres EHC.

[26] Enfin, TPSGC soutient que la plainte de Sourcetec concernant les spécifications techniques redondantes visant les boîtiers pour filtres n’a pas été déposée dans les délais prescrits et qu’elle aurait dû être présentée dès le début de la procédure de passation du marché public.

ANALYSE

[27] Il n’est pas contesté que la DP porte sur un « contrat spécifique » au sens de l’article 30.1 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [27] .

[28] La frustration et la déception de Sourcetec à l’égard de l’issue de la procédure de passation du marché public sont tout à fait compréhensibles. La société a patiemment répondu aux demandes d’approvisionnement de la BFC Petawawa pendant plus d’un an, en maintenant les prix offerts pour les filtres EHC, et ce, malgré une augmentation du coût de fabrication du produit. Malheureusement, ces circonstances ne donnent pas ouverture à une quelconque réparation devant le Tribunal.

[29] La preuve démontre que la BFC Petawawa était intéressée à obtenir des filtres EHC et qu’elle reconnaissait Sourcetec comme un distributeur autorisé de ces produits. En fait, les efforts initiaux du MDN pour obtenir l’autorisation d’acheter les filtres EHC au moyen d’un contrat à fournisseur unique semblent avoir été fondés sur cette prémisse.

[30] Les accords commerciaux, y compris l’ALEC, prévoient le recours à un fournisseur unique ou à un appel d’offres limité dans les cas où le fournisseur unique éventuel détient des droits exclusifs ou des droits de propriété intellectuelle [28] .

[31] Du point de vue de Sourcetec, du moins, son statut de distributeur pour EHC donne à penser que la société a l’exclusivité au Canada en tant que fournisseur de filtres EHC [29] . Ce point de vue semble également étayer l’affirmation de Sourcetec selon laquelle elle a présenté la soumission conforme la moins-disante. Si aucun autre soumissionnaire ne peut fournir le produit recherché par la BFC Petawawa, on peut vraisemblablement en déduire, à première vue, que Sourcetec est le seul soumissionnaire capable de fournir des filtres EHC et qu’il est donc le soumissionnaire offrant le prix le plus bas pour ce matériel spécifique.

[32] Cependant, la preuve ne permet pas d’établir que Sourcetec détient des droits exclusifs qui empêcheraient un tiers de fournir des filtres à particules techniquement conformes aux modalités de la DP.

[33] La preuve ne démontre pas que les filtres EHC sont le seul produit commercial qui peut répondre aux exigences techniques obligatoires pour les filtres à particules conformément aux modalités de la DP. À la lumière du dossier, le MDN a effectivement pris des mesures pour se procurer les filtres EHC au moyen d’un contrat à fournisseur unique [30] parce qu’« aucun autre fournisseur [à part Sourcetec/EHC] en Amérique du Nord ou dans le monde ne peut fournir le service pour ce produit » [traduction] et vendre des filtres à particules ayant la taille et les spécifications requises [31] . Toutefois, le MDN et TPSGC ont ensuite changé d’avis à l’issue de la procédure relative au PAC. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce revirement.

[34] La procédure relative au PAC a peut-être permis à TPSGC d’apprendre que EHC a des concurrents qui fabriquent un produit exclusif qui est interchangeable sur les plans technique et opérationnel avec les filtres d’EHC. Par ailleurs, certains fournisseurs potentiels pourraient avoir informé TPSGC qu’ils sont en mesure de fournir les filtres EHC par une autre voie de distribution. Bien qu’EHC ait confirmé par écrit que Sourcetec est un distributeur autorisé au Canada, la lettre n’indique pas explicitement que Sourcetec est le distributeur exclusif ou unique au Canada [32] . Il est donc possible que d’autres soumissionnaires soient en mesure d’obtenir des filtres EHC auprès d’autres sources, même si ces filtres sont des produits du marché gris, c’est-à-dire des produits authentiques qui sont vendus en dehors des voies commerciales prescrites par le fabricant [33] .

[35] De plus, d’autres fournisseurs pourraient avoir manifesté leur intérêt à copier ou à cloner les filtres EHC. Enfin, TPSGC pourrait avoir appris l’existence d’autres produits qui seraient utilisables sur le plan opérationnel, malgré le fait qu’ils ne soient pas identiques aux filtres EHC.

[36] Par conséquent, la raison exacte de la décision de TPSGC de recourir à une procédure d’appel d’offres concurrentiel, plutôt qu’une procédure d’appel d’offres à fournisseur unique, demeure inconnue et conjecturale. Toutefois, le Tribunal passera en revue les raisons possibles abordées ci-dessus afin d’expliquer pourquoi il ne peut pas retenir l’hypothèse sous-tendant la plainte selon laquelle le contrat a été attribué à tort sur la base de la présomption invoquée par Sourcetec, à savoir que sa qualité de distributeur de filtres EHC empêche tout autre soumissionnaire de se voir attribuer un contrat.

[37] Dans la mesure où l’une ou l’autre des circonstances susmentionnées peut donner lieu à une quelconque réparation, celle-ci ne relève pas de la compétence du Tribunal. S’il était avéré que les filtres à particules fournis à TPSGC violent des droits exclusifs ou des droits de propriété intellectuelle détenus par Sourcetec ou EHC, il est possible que ces droits puissent donner lieu à des réclamations ou à des mesures d’exécution devant une autre juridiction.

[38] Une entité contractante, comme TPSGC dans le cas qui nous occupe, a le pouvoir discrétionnaire de définir les conditions d’une DP afin de répondre à des exigences opérationnelles légitimes, tant que ce pouvoir discrétionnaire est exercé de façon raisonnable. Ce pouvoir s’étend à l’imposition d’exigences techniques obligatoires pour l’achat de biens et services [34] .

[39] Par conséquent, il était loisible à TPSGC de rédiger la DP en y incluant des spécifications techniques suffisamment larges pour englober les filtres EHC ainsi que d’autres produits que le MDN pourrait considérer comme équivalents ou substituables sur le plan opérationnel, si TPSGC décidait de procéder ainsi.

[40] Aucune des parties n’a présenté de preuve d’expert indépendant auprès du Tribunal. Par conséquent, rien ne permet au Tribunal de conclure, à la lumière du dossier dont il dispose, que les spécifications de l’appel d’offres ont été rédigées de façon déraisonnable.

[41] Le Tribunal se penche maintenant sur l’argument de Sourcetec selon lequel sa soumission a été jugée à tort non conforme.

[42] Sourcetec fait remarquer que la DP indiquait que les soumissionnaires pouvaient présenter des brochures pour démontrer les caractéristiques techniques du produit à fournir [35] .

[43] Cependant, suivant une interprétation contextuelle de la DP, les soumissionnaires devaient fournir tous les renseignements techniques prescrits, les brochures étant présentées comme un exemple de support pour fournir ces renseignements [36] :

Toute soumission qui ne satisfait pas aux critères techniques obligatoires sera jugée non recevable et sera rejetée.

  • a) Le soumissionnaire doit fournir des brochures, des spécifications ou une explication écrite concernant la façon dont l’équipement proposé satisfait à chacun des critères techniques obligatoires décrits à l’annexe « E » – Critères techniques obligatoires d’évaluation.

  • b) La soumission doit traiter, clairement et de manière suffisamment approfondie, des points faisant l’objet de critères d’évaluation des soumissions. Il ne suffit pas de reprendre simplement les énoncés contenus dans la demande de soumissions, ou d’indiquer que le produit est conforme [37] .

[Traduction]

[44] Le Tribunal a déjà statué qu’il incombe aux soumissionnaires de démontrer que leur offre répond aux exigences obligatoires d’une DP [38] .

[45] Le document d’appel d’offres présenté par Sourcetec renfermait une brochure sur les filtres EHC [39] . Toutefois, le contenu de cette brochure ne fournissait pas toutes les spécifications techniques obligatoires prescrites par la DP. Le simple fait de fournir une brochure, sans plus, ne suffit pas pour répondre aux conditions de la DP si la brochure ne contient pas tous les renseignements requis.

[46] La norme de la décision raisonnable s’applique à l’examen de l’évaluation des soumissions dans le cadre d’un marché public [40] . Comme le Tribunal l’a souligné dans l’affaire Samson & Associates :

Le Tribunal fait généralement preuve de déférence à l’égard des évaluateurs pour ce qui est de leur évaluation des propositions. Par conséquent, il a indiqué à maintes reprises qu’il interviendra relativement à une évaluation uniquement dans les cas où elle serait réputée déraisonnable et qu’il ne substituera pas son jugement à celui des évaluateurs à moins que les évaluateurs ne se soient pas appliqués à évaluer la proposition d’un soumissionnaire, qu’ils aient donné une interprétation erronée de la portée d’une exigence, qu’ils n’aient pas tenu compte de renseignements cruciaux fournis dans une soumission, qu’ils aient fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou que l’évaluation n’ait pas été effectuée d’une manière équitable du point de vue de la procédure. En outre, le Tribunal a déjà indiqué que la décision d’une entité publique sera jugée raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux du Tribunal [41] .

[Notes de bas de page omises]

[47] Le Tribunal a examiné les feuilles d’évaluation des soumissions qui ont été préparées pendant l’examen de la soumission de Sourcetec effectué par TPSGC; durant ce processus, la soumission a été étudiée séparément par trois personnes qui ont par la suite présenté leurs évaluations par écrit au MDN et à TPSGC [42] .

[48] Au cours de l’évaluation de la soumission de Sourcetec, il semble que les évaluateurs aient tenté de faire le rapprochement entre le contenu technique de la soumission de Sourcetec et les exigences techniques obligatoires, lesquelles sont présentées dans la DP sous forme de grille [43] . Bien que la brochure d’EHC contienne une quantité importante de renseignements techniques, d’autres éléments qualifiés d’exigences techniques obligatoires dans la DP n’étaient pas abordés dans la brochure ni ailleurs dans le document de soumission. Compte tenu de ces lacunes dans les renseignements techniques, les évaluateurs ont conclu que l’offre de Sourcetec n’était pas conforme [44] .

[49] Il est fort possible que Sourcetec ait présumé que le MDN (et, par extension, TPSGC) connaissait déjà les filtres EHC et qu’elle n’avait donc pas à expliquer toutes les caractéristiques techniques du produit dans sa soumission, de sorte que le contenu technique de sa soumission pouvait reposer uniquement sur les renseignements contenus dans la brochure du produit d’EHC.

[50] Le Tribunal examine les plaintes découlant d’un processus d’approvisionnement afin de s’assurer que l’approvisionnement, y compris l’évaluation des soumissions reçues, est mené de façon équitable, ouverte et transparente, conformément aux modalités des documents d’appel d’offres fournis aux soumissionnaires potentiels. Toutefois, ce faisant, il ne peut pas reformuler les exigences de l’appel d’offres ou les critères d’évaluation [45] .

[51] La DP définissait explicitement les exigences quant au contenu technique d’une offre pour que celle-ci soit jugée conforme. Elle prescrivait aussi clairement qu’une soumission qui ne répondait pas à ces critères serait rejetée et jugée non conforme.

[52] Conclure que TPSGC aurait dû ignorer les lacunes de la soumission de Sourcetec puisqu’il connaissait vraisemblablement bien le produit devant être fourni reviendrait à accorder à un soumissionnaire une dérogation à certaines des exigences de la DP. De plus, pareille renonciation aurait lieu après coup, c’est-à-dire, après la clôture de l’appel d’offres, et serait donc injuste pour les autres soumissionnaires.

[53] Le Tribunal estime que les évaluateurs de TPSGC se sont appliqués à trouver dans la soumission de Sourcetec des renseignements qui répondraient à chacune des exigences techniques obligatoires de la DP. La soumission de Sourcetec a été jugée non conforme parce que certains des renseignements requis n’étaient pas présents. À titre d’exemple, les évaluateurs ont constaté que le contenu de la deuxième exigence obligatoire (MTC-2) n’avait pas du tout été abordé dans l’offre de Sourcetec.

[54] Une évaluation sera jugée raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux du Tribunal [46] .

[55] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal ne voit aucun fondement lui permettant conclure que l’évaluation de la soumission était injuste ou que les évaluateurs n’ont pas raisonnablement tenu compte et appliqué les critères d’évaluation prescrits relativement à la soumission de Sourcetec.

[56] Dans sa plainte, Sourcetec affirme également que certaines des exigences techniques obligatoires de la DP se rapportant au matériel périphérique qui sert à stocker les filtres à particules ou qui est utilisé conjointement avec les filtres sont inutiles [47] . Elle suggère que ces exigences techniques sont extrinsèques ou non pertinentes à l’égard des filtres et donc superflues en tant qu’exigences techniques obligatoires de la DP.

[57] Le Tribunal n’est pas d’accord avec TPSGC pour dire que cet aspect de la plainte de Sourcetec ne respecte pas les délais prescrits. La preuve ne démontre pas que Sourcetec avait des réserves particulières en lien avec cette exigence lorsqu’elle a préparé sa soumission. Au contraire, elle a apparemment supposé que le produit et la brochure EHC, tout comme le fait que le MDN connaissait vraisemblablement bien les filtres EHC, étaient suffisants pour satisfaire pleinement aux exigences de la DP.

[58] Comme il est indiqué précédemment, l’entité contractante a le pouvoir discrétionnaire de définir les exigences techniques obligatoires d’un document d’appel d’offres. Le Tribunal s’en remettra à l’expertise et au jugement de l’entité contractante quant à la définition des exigences opérationnelles et du matériel nécessaire pour répondre à ces exigences, aux fins du marché public, à moins que l’entité contractante n’ait exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable.

[59] Étant donné que l’objectif des filtres à particules est de réduire, pour les fins de la santé et de la sécurité au travail, l’exposition du personnel aux substances toxiques générées par les moteurs diesel, on peut s’attendre à ce que les filtres viennent compléter d’autres pièces de matériel ou y soient intégrés ou encore que les filtres nécessitent des accessoires pour que leur utilisation et leur fonctionnement soient sécuritaires. Bien qu’il y ait matière à désaccord, le critère à appliquer est celui du caractère raisonnable. Dans ces circonstances, rien ne permet au Tribunal de conclure que TPSGC a agi de façon déraisonnable en définissant les exigences techniques obligatoires.

[60] Pour tous les motifs qui précèdent, la plainte doit être rejetée.

FRAIS

[61] La loi confère au Tribunal un vaste pouvoir discrétionnaire concernant l’attribution de frais dans un litige en matière de marché public [48] .

[62] Le principe général veut que les frais suivent l’issue de l’affaire [49] . Comme TPSGC a eu gain de cause, le Tribunal lui accorde le remboursement des frais raisonnables relatifs à l’instance.

[63] Il ne s’agit pas d’une instance particulièrement complexe. Les questions en litige étaient relativement simples, et les parties n’ont pas déposé un volume particulièrement élevé de documentation. Par conséquent, le Tribunal détermine provisoirement que les frais liés à l’enquête correspondent au degré 1 de la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public du Tribunal canadien du commerce extérieur.

[64] Le Tribunal invite les parties à discuter entre elles et à conclure une entente sur le paiement des frais à la lumière des présents motifs.

[65] Si elles ne parviennent pas à s’entendre, les parties peuvent présenter des observations au sujet des frais dans les 15 jours suivant la date du présent exposé des motifs.

 

Susan D. Beaubien
Membre présidant

 



[1] Pièce PR-2020-069-01.

[2] Pièce PR-2020-069-05 aux p. 47-69.

[3] Ibid. à la p. 61.

[4] Ibid. aux p. 62-63, 67-69.

[5] Pièce PR-2020-069-07.

[6] Pièce PR-2020-069-01 aux p. 45-46.

[7] Ibid. à la p. 45.

[8] Ibid. aux p. 41-61.

[9] Ibid.

[10] Ibid. à la p. 53.

[11] Ibid. à la p. 41.

[12] Pièce PR-2020-069-11 aux p. 40-44; pièce PR-2020-069-07 aux p. 2-5.

[13] Ibid. à la p. 5; voir aussi les p. 22-27.

[14] Ibid. à la p. 46.

[15] Pièce PR-2020-069-05 à la p. 70.

[16] Pièce PR-2020-069-11 aux p. 6, 48-49.

[17] En ligne: Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2017/06/CFTA-Consolidated-Text-Final-Print-Text-French.pdf> (entré en vigueur 1 juillet 2017) [ALEC].

[18] Ibid.

[19] Pièce PR-2020-069-05 aux p. 7-69 (DP), 5-8 (modification 1), 9-12 (modification 2), 13-19 (modification 3) et 20-21 (modification 4).

[20] Pièce PR-2020-069-01 aux p. 14-40; pièce PR-2020-069-1B (protégée); pièce PR-2020-069-1C.

[21] Pièce PR-2020-069-01 aux p. 62-63.

[22] Ibid. à la p. 10.

[23] Ibid. à la p. 7.

[24] Pièce PR-2020-069-03.

[25] Pièce PR-2020-069-11.

[26] Pièce PR-2020-069-06.

[27] L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[28] Par exemple, voir l’article 513 de l’ALEC et Papp Plastics & Distributing Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (18 juillet 2002), PR-2001-066 (TCCE).

[29] Par exemple, dans sa plainte, Sourcetec souligne le fait que BFC Petawawa cherche à obtenir « notre matériel EHC ».

[30] Du moins au début, le MDN semblait être satisfait que les filtres EHC provenant de Sourcetec étaient les seuls qui convenaient à ses besoins opérationnels. Ceci fut la justification utilisée pour obtenir l’autorisation de conclure un marché avec un fournisseur exclusif. Voir la pièce PR-2020-069-11 aux p. 40, 43-44.

[31] Pièce PR-2020-069-11 aux p. 40, 43.

[32] Pièce PR-2020-069-11.

[33] Voir Mars Canada Inc. c. Bemco Cash & Carry Inc., 2016 ONSC 7201 au par. 7.

[34] NISIT International Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (4 août 2020), PR‑2019‑067 (TCCE) au par. 68 [NISIT]; 723186 Alberta Ltd. c. Agence de la santé publique du Canada (12 septembre 2011), PR-2011-028 (TCCE) aux par. 19-21; Daigen Communications c. Agence canadienne d’inspection des aliments (23 août 2011), PR-2011-021 (TCCE) aux par. 16-17; Almon Equipment Limited c. Canada (Travaux publics et des Services gouvernementaux) (3 janvier 2012), PR-2011-022 (TCCE) aux par. 52-55.

[35] Pièce PR-2020-069-01 à la p. 10.

[36] Pièce PR-2020-069-05 aux p. 54, 97-99, 14, 17-19.

[37] Ibid. à la p. 57.

[38] Madsen Power Systems Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (29 avril 2016), PR‑2015‑047 (TCCE) aux par. 64-65; Francis H.C.A.C. Services Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (2 septembre 2016), PR-2016-003 (TCCE) aux par. 36, 40.

[39] Pièce PR-2020-069-01 aux p. 37-40.

[40] NISIT au par. 75; Samson & Associates c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (13 avril 2015), PR-2014-050 au par. 35 [Samson & Associates].

[41] Samson & Associates au par. 35.

[42] Pièce PR-2020-069-11A aux p. 87-104.

[43] Pièce PR-2020-069-05 aux p. 97-99.

[44] Ibid.

[45] Valley Associates Global Security Corporation c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (23 juillet 2020), PR-2019-060 (TCCE) aux par. 75-77.

[46] Joint Venture of BMT Fleet Technology Limited et Notra Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (5 novembre 2008), PR-2008-023 (TCCE) au par. 25. Voir aussi C3 Polymeric Limited c. Galerie nationale du Canada (14 février 2013), PR-2012-020 (TCCE) au par. 38.

[47] C’est-à-dire les boîtiers pour filtres; voir la pièce PR-2020-069-01 à la p. 10.

[48] Article 30.16, Loi sur le TCCE; Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, 2003 CAF 199, [Georgian College] au par. 26.

[49] Georgian College au par. 28; Canada (Procureur général) c. Educom TS Inc., 2004 CAF 130, au par. 11.

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