Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2021-006

Wärtsilä Canada Incorporated

c.

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Décision rendue
le mardi 3 août 2021

Motifs rendus
le lundi 16 août 2021

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Wärtsilä Canada Incorporated aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

WÄRTSILÄ CANADA INCORPORATED

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, le Tribunal canadien du commerce extérieur rejette par les présentes la plainte et met fin à l’enquête et à toute procédure connexe.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal accorde au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux une indemnité raisonnable pour les frais engagés dans sa réponse à la plainte, indemnité qui doit être versée par Wärtsilä Canada Incorporated. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public, le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la plainte correspond au degré 2 et que le montant de l’indemnité est de 2 750 $. Toute partie qui s’oppose à la détermination provisoire du degré de complexité ou du montant de l’indemnité est invitée à déposer des observations auprès du Tribunal dans les 15 jours suivant la publication de l’exposé des motifs du Tribunal. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.

La partie intervenante, Madsen Power Systems Inc., assumera ses propres frais.

Frédéric Seppey

Frédéric Seppey
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Membre du Tribunal :

Frédéric Seppey, membre présidant

Conseillère juridique du Tribunal :

Sarah Shinder, conseillère juridique

Partie plaignante :

Wärtsilä Canada Incorporated

Conseillers juridiques de la partie plaignante :

Marc-Alexandre Hudon
Robert A. Glasgow
Geneviève St-Cyr Larkin
Dan Glover
Martha Harrison

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques de l’institution fédérale :

Peter J. Osborne
Margaret Robbins

Partie intervenante :

Madsen Power Systems Inc.

Conseillers juridiques de la partie intervenante :

Marcia Mills
Andrew D. House
Marcia Mills
Alexandra Logvin
Nabila Abdul Malik
Gabrielle Cyr
David Turgeon

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] La plainte porte sur un marché (invitation no F7049-200079/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère des Pêches et des Océans (MPO). L’appel d’offres visait la mise en cale sèche, l’inspection, la réparation, l’entretien et le réaménagement des navires de la Garde côtière canadienne NGCC Cygnus et NGCC Cape Roger (les navires).

[2] La partie plaignante, Wärtsilä Canada Incorporated (Wärtsilä Canada), allègue que TPSGC a adjugé le contrat à un soumissionnaire non conforme. Wärtsilä Canada demande que le contrat spécifique soit résilié et qu’un nouveau contrat soit adjugé à un soumissionnaire conforme.

[3] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal met fin à son enquête sur la plainte puisqu’il a déterminé que Wärtsilä Canada n’a pas qualité pour agir aux fins de déposer une plainte auprès du Tribunal.

CONTEXTE

[4] Le 7 décembre 2020, TPSGC a publié l’appel d’offres sur le site Web Achatsetventes.gc.ca [1] . L’appel d’offres a fait l’objet de 15 modifications. La date de clôture des soumissions était le 5 mars 2021.

[5] L’appel d’offres englobait un éventail de modifications et de réparations visant les navires, qui comprenait le réaménagement des salles de toilettes, des réparations à apporter aux mâts, des inspections et le nettoyage de diverses parties de chaque navire.

[6] L’appel d’offres comportait une spécification selon laquelle l’entrepreneur devait obtenir les services d’un représentant du fabricant d’équipement d’origine relativement à la supervision et à l’exécution du remaniement des moteurs des côtés bâbord et tribord des navires.

[7] La partie pertinente de cette spécification (H-18) était la suivante :

1.1 La présente spécification explique que l’entrepreneur doit retenir les services d’un représentant [du fabricant d’équipement d’origine] qui supervisera et effectuera la révision de 40 000 heures des moteurs principaux bâbord et tribord des deux navires [2] .

[8] La description des moteurs dans la spécification d’équipement était la suivante :

NGCC Cygnus
Polar Nohab F212V
Numéros de série 3111 et 3112

NGCC Cape Roger
Polar Nohab F212C
Numéros de série 2704 et 2705

[9] Wärtsilä Canada est un fabricant, reconstructeur et fournisseur de moteurs diesels marins, ainsi qu’une filiale de Wärtsilä Corporation. Wärtsilä Corporation, une entreprise établie en Finlande, est l’unique actionnaire de Nohab, un fabricant de moteurs diesels établi en Suède.

[10] Wärtsilä Canada a soumis des propositions à St John’s Dockyard Limited (Newdock) et à d’autres chantiers navals pour la prestation des services d’un fabricant d’équipement d’origine (FEO) requis selon la spécification H‑18 de l’appel d’offres [3] . En fin de compte, Newdock n’a pas retenu les services de Wärtsilä Canada.

[11] Newdock a présenté une soumission en réponse à l’appel d’offres. Dans sa soumission, elle indiquait que Madsen Power Systems Inc. (Madsen) serait retenue aux fins de la spécification H‑18 [4] .

[12] Le 18 mars 2021, le contrat a été attribué à Newdock [5] .

[13] Le 8 avril 2021, Wärtsilä Canada a communiqué avec la Garde côtière canadienne (la GCC) pour lui faire part de certaines préoccupations relatives à la capacité de Newdock de se conformer à la spécification H‑18 [6] . Wärtsilä Canada a été avisée que le soumissionnaire retenu avait sélectionné Madsen pour assurer les services devant être offerts par un représentant du FEO.

[14] Le 9 avril 2021, Newdock a fourni à TPSGC une lettre contenant de l’information quant à sa capacité à répondre à la spécification H‑18 [7] .

[15] Entre le 8 et le 20 avril 2021, Wärtsilä Canada, la GCC et le MPO ont tenu des discussions écrites et orales [8] .

[16] Le 30 avril 2021, Wärtsilä Canada a écrit à TPSGC pour contester l’attribution du contrat à Newdock au motif qu’elle était l’unique FEO pour les moteurs des navires et, par conséquent, le seul fournisseur en mesure de se conformer à la spécification H‑18 [9] .

[17] Le 3 mai 2021, Wärtsilä Canada a déposé la présente plainte.

[18] Le 10 mai 2021, le Tribunal a accepté d’enquêter sur la plainte conformément au paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [10] .

[19] Le 11 juin 2021, Madsen a obtenu l’autorisation d’intervenir après que le Tribunal a eu dûment examiné les facteurs pertinents.

POSITION DES PARTIES

Wärtsilä Canada

Conformité avec les accords commerciaux

[20] Le cœur de la plainte de Wärtsilä Canada concerne la capacité de Madsen de se conformer à la spécification H‑18. Wärtsilä Canada est d’avis que Madsen n’est pas un représentant du FEO pour les moteurs des navires conformément à la spécification H‑18 [11] .

[21] Wärtsilä Canada fait valoir qu’elle est le seul FEO pour les moteurs des navires et, par conséquent, le seul fournisseur en mesure de se conformer à la spécification H‑18. Pour appuyer son affirmation, Wärtsilä Canada soutient qu’elle est le seul fournisseur à détenir les droits de propriété intellectuelle pertinents en tant que filiale de l’unique actionnaire de Nohab, le fabricant suédois des moteurs principaux bâbord et tribord des navires visés par l’appel d’offres [12] .

Qualité pour agir

[22] Wärtsilä Canada soutient qu’elle a qualité pour agir dans l’intérêt public aux fins de déposer la plainte. Elle fait valoir qu’elle respecte le critère relatif à l’intérêt public établi dans les arrêts Delta Air Lines Inc c. Lukács [13] et Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society [14] .

[23] Premièrement, Wärtsilä Canada soutient que la loi lui accorde manifestement le droit de s’assurer que sa propriété intellectuelle est reconnue, protégée et appliquée. Deuxièmement, elle fait valoir qu’à titre d’entreprise citoyenne, elle a un intérêt véritable à veiller à ce que les procédures de passation des marchés publics soient effectuées de manière équitable et légale. Troisièmement, elle soutient que permettre que ce travail soit effectué par une entreprise qui, selon elle, ne représente pas le FEO engendre un risque pour la sécurité publique, ce qui soulève une question d’intérêt public [15] .

Respect des délais

[24] Wärtsilä Canada est d’avis que sa plainte a été déposée en temps opportun. Elle soutient avoir appris que Newdock avait retenu les services de Madsen le 8 avril 2021. Wärtsilä Canada affirme avoir déposé son opposition le 12 avril 2021 et avoir reçu la réponse à cette dernière le 20 avril 2021. Wärtsilä Canada a donc fait valoir qu’elle a déposé sa plainte le 4 mai 2021, à savoir dans les 10 jours ouvrables suivant la réponse de TPSGC à l’opposition [16] .

TPSGC

Conformité avec les accords commerciaux

[25] TPSGC soutient avoir évalué les soumissions de manière équitable. Par conséquent, il fait valoir que la soumission de Newdock satisfaisait aux exigences obligatoires énoncées dans l’appel d’offres et qu’il était raisonnable que sa candidature ait été retenue [17] .

[26] TPSGC affirme que la spécification H‑18 exigeait que le soumissionnaire retenu ait un contrat avec un FEO en mesure d’offrir les services de remaniement demandés. Il était loisible aux soumissionnaires de préciser à quel sous‑traitant ils comptaient faire appel et, le cas échéant, de présenter à TPSGC les attestations requises à l’égard du statut de FEO.

[27] TPSGC affirme que Newdock a présenté les attestations requises. Il fait valoir qu’il avait le droit de se fier à ces attestations.

[28] TPSGC soutient en outre que, dans la mesure où des problèmes relatifs à l’exécution des travaux survenaient, il s’agit d’une question d’administration des contrats qui ne relève pas de la compétence du Tribunal.

Qualité pour agir

[29] TPSGC soutient que Wärtsilä Canada n’a pas qualité pour agir aux fins de déposer la plainte. TPSGC fait valoir que Wärtsilä Canada, à titre de sous‑traitant potentiel d’un soumissionnaire, ne peut être considérée comme soumissionnaire ou soumissionnaire potentiel puisqu’elle n’a pas la capacité de remplir les conditions du marché public [18] .

[30] TPSGC est d’avis qu’il n’existe pas de qualité pour agir dans l’intérêt public devant le Tribunal.

[31] TPSGC fait valoir que l’arrêt Delta Air Lines de la Cour suprême du Canada ne s’applique pas en l’espèce. Il soutient que, dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu que la qualité pour agir dans l’intérêt public devant un tribunal désigné par la loi dépendait d’une interprétation raisonnable du régime législatif. En appliquant ces principes à la présente plainte, TPSGC soutient que, contrairement à la loi en cause dans l’arrêt Delta Air Lines, la loi habilitante du Tribunal ne lui confère pas un vaste pouvoir discrétionnaire pour entendre des plaintes déposées par des parties qui ne remplissent pas les exigences rigoureuses en matière de qualité pour agir.

[32] Finalement, TPSGC fait valoir que toute reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public devant le Tribunal serait incompatible avec l’objet du régime législatif du Tribunal.

Madsen

Conformité avec les accords commerciaux

[33] Madsen soutient que Newdock est entièrement conforme à la spécification H‑18. Elle invoque des arguments semblables à ceux avancés par TPSGC. Madsen conteste les allégations de Wärtsilä Canada en ce qui concerne ses droits de propriété intellectuelle et fait valoir que cette dernière n’a présenté aucune preuve à l’appui de ses allégations. Madsen fait en outre valoir que British Polar Engines Limited fournit des pièces associées à la spécification H‑18 depuis des décennies [19] .

Qualité pour agir

[34] Madsen soutient que Wärtsilä Canada n’est pas un fournisseur potentiel. Elle invoque des arguments similaires à ceux avancés par TPSGC.

Temps opportun

[35] Madsen soutient aussi que la plainte de Wärtsilä Canada est hors délai. Elle fait valoir que l’entreprise est réputée avoir renoncé à toute contestation si elle ne s’est pas manifestée à la clôture de l’appel d’offres. En l’espèce, l’appel d’offres a pris fin le 5 mars 2021. Par conséquent, Madsen soutient que, pour être réputée avoir été déposée en temps opportun, la plainte de Wärtsilä Canada aurait dû être déposée dans les 10 jours ouvrables suivant la date de clôture de l’appel d’offres (c’est‑à‑dire avant le 19 mars 2021) [20] .

ANALYSE

Question préliminaire : Wärtsilä Canada a‑t‑elle qualité pour agir?

[36] Le cœur de la question dont le Tribunal est saisi consiste à savoir si Wärtsilä Canada a qualité pour agir dans l’intérêt public aux fins de déposer la présente plainte.

[37] Wärtsilä Canada ne soutient pas être un fournisseur potentiel au sens de l’article 30.11 de la Loi sur le TCCE. Elle renvoie plutôt à l’arrêt Delta Air Lines [21] de la Cour suprême du Canada pour faire valoir qu’elle devrait se voir accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[38] TPSGC soutient que l’arrêt Delta Air Lines n’est pas pertinent à l’égard de la présente plainte. Le Tribunal est d’accord.

[39] La question en litige dans l’arrêt Delta Air Lines était celle de savoir si l’approche de l’Office des transports du Canada (Office) à l’égard de la qualité pour agir constituait un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi sur les transports au Canada (la LTC) [22] . La Cour suprême a conclu que l’Office avait présumé qu’il pourrait y avoir qualité pour agir dans l’intérêt public, puis elle a appliqué un critère impossible à remplir, lequel ne saurait correspondre à l’intention du législateur [23] . La Cour suprême a conclu que le refus total de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public était incompatible avec une interprétation raisonnable de la LTC, qui conférait à l’Office un vaste pouvoir discrétionnaire pour entendre les plaintes. Par conséquent, la Cour suprême a conclu que l’approche de l’Office à l’égard de la qualité pour agir avait entravé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable.

[40] Compte tenu de ces principes, il est clair que l’arrêt Delta Air Lines ne permet pas d’affirmer que les décideurs administratifs devraient aborder la question de la qualité pour agir comme s’ils étaient liés par le test qui est applicable aux tribunaux civils. En fait, dans l’arrêt Delta Air Lines, la Cour suprême a conclu qu’il était déraisonnable pour l’office d’agir ainsi compte tenu de son pouvoir discrétionnaire conféré par la LTC [24] .

[41] Il est bien établi qu’un tribunal administratif doit respecter les limites que sa loi habilitante impose à sa compétence [25] . L’arrêt Delta Air Lines ne remet pas ce principe en question. Fondamentalement, dans l’arrêt Delta Air Lines, la Cour suprême a examiné la LTC en vue d’établir si l’interprétation qu’en faisait l’Office était raisonnable.

[42] La loi habilitante du Tribunal est la Loi sur le TCCE. L’accès au Tribunal est régi par le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE, qui prévoit que « [t]out fournisseur potentiel peut [...] déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte ».

[43] Le « fournisseur potentiel » est défini ainsi à l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE : « tout soumissionnaire – même potentiel – d’un contrat spécifique ».

[44] Le Tribunal a déjà conclu qu’une lecture simple et ordinaire de la définition de « fournisseur potentiel » à l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE requiert que l’expression « tout soumissionnaire – même potentiel » ne doit pas être prise isolément, mais plutôt considérée par référence à un « contrat spécifique » en particulier [26] . L’article 30.1 de la Loi sur le TCCE définit un « contrat spécifique » comme un « [c]ontrat relatif à un marché de fournitures ou services qui a été accordé par une institution fédérale — ou pourrait l’être —, et qui soit est précisé par règlement, soit fait partie d’une catégorie réglementaire ».

[45] Rien dans ces dispositions n’accorde au Tribunal un vaste pouvoir discrétionnaire pour entendre des plaintes déposées par des parties qui ne satisfont pas aux exigences relatives à la qualité pour agir précisées par le législateur. Au contraire, le législateur a expressément limité la qualité pour agir devant le Tribunal aux « fournisseurs potentiels » au sens de la Loi sur le TCCE.

[46] Par conséquent, on ne peut raisonnablement interpréter la Loi sur le TCCE comme signifiant que les personnes qui ne sont pas des fournisseurs potentiels (c’est‑à‑dire celles qui ne sont pas des soumissionnaires ni des soumissionnaires potentiels à l’égard d’un contrat spécifique) ont qualité pour agir aux fins de déposer des plaintes devant le Tribunal. En adoptant le régime d’examen des marchés publics prévu dans la Loi sur le TCCE, le législateur n’a accordé aucun pouvoir discrétionnaire au Tribunal pour entendre des plaintes présentées par une autre entité qu’un « fournisseur potentiel » au sens de la Loi sur le TCCE. Une interprétation contraire constituerait une application erronée des principes énoncés dans l’arrêt Delta Air Lines et irait à l’encontre du régime législatif qui régit le Tribunal.

[47] Par conséquent, le Tribunal conclut qu’il n’existe aucune qualité pour agir dans l’intérêt public devant le Tribunal compte tenu des dispositions pertinentes de la Loi sur le TCCE. Au contraire, le législateur a expressément et précisément établi un mécanisme permettant aux « fournisseurs potentiels », une expression définie, de porter plainte devant le Tribunal à l’égard de tout volet de la procédure de passation du marché qui se rapporte à un contrat spécifique.

[48] Les arguments qui précèdent permettent de conclure que Wärtsilä Canada n’a pas qualité pour agir aux fins de déposer la présente plainte. Comme mentionné précédemment, Wärtsilä Canada ne soutient pas qu’elle est un fournisseur potentiel au sens de l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE.

[49] Cependant, par souci d’exhaustivité, le Tribunal examinera la question de savoir si Wärtsilä Canada peut être considérée comme un fournisseur potentiel au sens de l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE.

[50] Wärtsilä Canada n’a présenté aucune soumission relativement au contrat spécifique en cause; elle n’est donc pas un soumissionnaire. Elle n’est pas non plus un soumissionnaire potentiel. À cet égard, le Tribunal a conclu que deux exigences devaient être remplies pour qu’une entreprise soit considérée comme un soumissionnaire potentiel à l’égard d’un contrat spécifique en particulier. D’abord, le plaignant doit avoir la capacité technique et financière de répondre à l’exigence faisant l’objet du marché public. Ensuite, le plaignant doit être en mesure de présenter une proposition pour le marché public en cause [27] .

[51] Le Tribunal a également conclu que les sous‑traitants ou fournisseurs qui sont en mesure de remplir seulement une partie des exigences n’ont pas la qualité pour agir en tant que fournisseurs potentiels aux fins de déposer une plainte devant le Tribunal [28] .

[52] Nul ne conteste que Wärtsilä Canada n’a pas la capacité technique et financière de remplir les exigences du contrat en cause, qui prévoit un large éventail de travaux qui, d’après ce que le Tribunal comprend, peuvent être effectués par les chantiers navals avec l’aide de divers sous‑traitants. Dans cette optique, Wärtsilä Canada ne demande pas, à titre de réparation, de se voir attribuer le contrat spécifique.

[53] Le Tribunal ne considère pas Wärtsilä Canada, à titre de sous‑traitant potentiel du soumissionnaire retenu, comme un « fournisseur potentiel » au sens de la Loi sur le TCCE. Quoi qu’il en soit, puisque l’appel d’offres est terminé, Wärtsilä Canada ne serait pas en mesure de présenter une proposition pour le marché public en cause.

[54] En réponse aux arguments de TPSGC et de Madsen, Wärtsilä Canada a fait valoir que TPSGC ne peut contester sa qualité pour agir [29] . Selon le Tribunal, Wärtsilä Canada soutient essentiellement que, puisque TPSGC ne s’est pas opposé à ce que Madsen obtienne le statut d’intervenant, et que, ayant reconnu que Madsen était une partie intéressée relativement à l’objet de la plainte, TPSGC ne peut s’opposer au fait que Wärtsilä Canada a qualité pour agir dans l’intérêt public aux fins de déposer une plainte. Le Tribunal n’est pas d’accord.

[55] L’article 30.17 de la Loi sur le TCCE prévoit qu’une partie intéressée peut demander au Tribunal l’autorisation d’intervenir dans la procédure de plainte que celui‑ci instruit. Le terme « intéressée » est défini de la façon suivante à l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE : « S’appliquant à partie”, le terme vise tout potentiel ou toute personne ayant un intérêt économique direct dans l’affaire en cause dans une plainte » [nos italiques].

[56] Par conséquent, les expressions « fournisseur potentiel » et partie « intéressée » ne sont pas définies de la même façon dans la loi. La définition de partie « intéressée » prévue par la loi comprend les fournisseurs potentiels, mais pas l’inverse. La définition de partie « intéressée » est plus large que celle de « fournisseur potentiel ».

[57] Selon le Tribunal, le fait que TPSGC n’ait pas contesté le statut de Madsen à titre de partie « intéressée » au sens de la Loi sur le TCCE n’a aucune incidence sur la question de savoir si TPSGC avait le droit de contester le statut de Wärtsilä Canada en tant que « fournisseur potentiel ». Par conséquent, le Tribunal conclut que rien n’empêchait TPSGC de contester la qualité pour agir de Wärtsilä Canada.

[58] En réponse aux arguments de TPSGC et de Madsen, Wärtsilä Canada a également fait valoir que la question de savoir si elle avait qualité pour agir aux fins de déposer la présente plainte est irrémédiablement « sans objet » [traduction] au motif que le Tribunal a ouvert une enquête [30] . Wärtsilä Canada soutient que conformément à l’article 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [31] , le Tribunal devait établir si la partie plaignante avait qualité pour agir avant de décider de mener une enquête.

[59] Le Tribunal ne souscrit pas à cet argument. Par le passé, le Tribunal a conclu qu’une décision initiale selon laquelle les conditions relatives à l’ouverture d’une enquête, qui sont énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement, ont été remplies ne constitue pas une décision définitive quant à la question de savoir si une partie plaignante est un « fournisseur potentiel [32] ». De plus, comme mentionné précédemment, le Tribunal est un tribunal créé par la loi. Par conséquent, si le Tribunal établit, à n’importe quel moment, sur la foi de la preuve et des arguments dont il dispose, que la partie plaignante ne satisfait pas à la définition de « fournisseur potentiel » prévue par la loi, il est tenu, en droit, de rejeter la plainte pour défaut de compétence [33] .

[60] Enfin, Wärtsilä Canada soutient également que le comportement de TPSGC ne peut être soustrait à l’examen du public pour des motifs procéduraux. Encore une fois, cet argument ne peut être retenu. L’accès à un tribunal créé par la loi est régi par la législation applicable [34] . Quoi qu’il en soit, le Tribunal souligne que sa décision de mettre fin à la présente enquête ne prive pas nécessairement Wärtsilä Canada de tout recours. Dans la mesure où Wärtsilä Canada soutient qu’il y a atteinte à ses droits de propriété intellectuelle ou à tout autre droit, elle pourrait intenter un recours devant les tribunaux de droit commun.

[61] En résumé, le Tribunal conclut que Wärtsilä Canada n’a pas qualité pour agir aux fins de déposer la présente plainte, puisqu’elle n’est pas un fournisseur potentiel au sens de l’article 30.11 de la Loi sur le TCCE.

[62] Compte tenu de cette conclusion, le Tribunal estime qu’il n’est pas justifié d’examiner la question du respect des délais et celle du bien‑fondé des motifs de la plainte.

DÉCISION

[63] Aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement, le Tribunal rejette par les présentes la plainte et met fin à l’enquête et à toute procédure connexe.

[64] Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à TPSGC une indemnité raisonnable pour les frais engagés dans sa réponse à la plainte, indemnité qui doit être versée par Wärtsilä Canada Incorporated. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public, le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la plainte correspond au degré 2 et que le montant de l’indemnité est de 2 750 $. Toute partie qui s’oppose à la détermination provisoire du degré de complexité ou du montant de l’indemnité est invitée à déposer des observations auprès du Tribunal dans les 15 jours suivant la publication de l’exposé des motifs du Tribunal. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.

[65] La partie intervenante, Madsen Power Systems Inc., assumera ses propres frais.

Frédéric Seppey

Frédéric Seppey
Membre présidant

 



[1] Pièce PR-2021-006-07.

[2] Pièce PR-2021-006-01 à la p. 231.

[3] Pièce PR-2021-006-01 à la p. 10.

[4] Pièce PR-2021-006-12.C à la p. 8.

[5] Pièce PR-2021-006-01 à la p. 814.

[6] Ibid. à la p. 822.

[7] Pièce PR-2021-006-12.C à la p. 9; pièce PR-2021-006-17 à la p. 2.

[8] Pièce PR-2021-006-01 à la p. 816.

[9] Pièce PR-2021-006-12.C à la p. 9.

[10] L.R.C. (1985) ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[11] Pièce PR-2021-006-01 à la p. 14.

[12] Ibid. à la p. 13.

[13] 2018 CSC 2, [2018] 1 RCS 6 [Delta Air Lines].

[14] 2012 CSC 45, [2012] 2 RCS 524 [Downtown Eastside].

[15] Pièce PR-2021-006-01 à la p. 13.

[16] Ibid. à la p. 15.

[17] Pièce PR-2021-006-12.C aux p. 15-17.

[18] Ibid. aux p. 12-14.

[19] Pièce PR-2021-006-17 aux p. 3-5.

[20] Ibid. aux p. 2-3.

[21] Dans ses commentaires relatifs au rapport de l’institution fédérale, Wärtsilä Canada renvoie aussi à l’arrêt Downtown Eastside de la Cour suprême du Canada. Le Tribunal signale que l’arrêt Delta Air Lines renvoie au critère relatif à la qualité pour agir dans l’intérêt public énoncé dans l’arrêt Downtown Eastside.

[22] Delta Air Lines au par. 13.

[24] Ibid. au par. 14.

[25] Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 SCR 854 [Cooper] aux par. 45 et 57. Dans l’arrêt Cooper, la Cour suprême du Canada a confirmé que le paragraphe 52(1) de la Constitution ne constitue pas une source indépendante de compétence pour les tribunaux administratifs. La Cour suprême a également conclu qu’au moment d’établir si une plainte relève de sa compétence, un tribunal administratif doit respecter les limites que sa loi habilitante impose à cette compétence. Ce principe a été adopté dans l’arrêt Northrop Grumman Overseas Services Corp c. Canada (Procureur général), 2009 SCC 50, [2009] 3 RCS 309 [Northrop Grumman] au par. 44, où la Cour suprême du Canada a conclu que le Tribunal est « créé par une loi et la façon d’y accéder doit être prévue dans le texte de loi pertinent ».

[26] Flag Connection Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (3 septembre 2009) PR‑2009-026 (TCCE) [Flag] au par. 17.

[27] Flag au par. 20.

[28] Shaw Industries Inc. (26 février 2015), PR-2014-059 (TCCE) au par. 14.

[29] Pièce PR-2021-006-19 aux par. 45-48.

[30] Pièce PR-2021-006-19 au par. 44.

[31] DORS/93-602 [Règlement].

[33] Canada (Attorney General) c. Siemens Enterprise Communications Inc., 2011 CAF 251 au par. 5; Canada (Procureur général) c. Enterasys Networks of Canada Ltd., 2011 CAF 207 au par. 16.

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