Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2021-007

Wärtsilä Canada Incorporated

c.

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Décision rendue
le mardi 3 août 2021

Motifs rendus
le lundi 16 août 2021

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Wärtsilä Canada Incorporated aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

WÄRTSILÄ CANADA INCORPORATED

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, le Tribunal canadien du commerce extérieur rejette par les présentes la plainte et met fin à l’enquête et à toute procédure connexe.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal accorde au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux une indemnité raisonnable pour les frais engagés dans sa réponse à la plainte, indemnité qui doit être versée par Wärtsilä Canada Incorporated. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public, le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la plainte correspond au degré 1 et que le montant de l’indemnité est de 1 150 $. Toute partie qui s’oppose à la détermination provisoire du degré de complexité ou du montant de l’indemnité est invitée à déposer des observations auprès du Tribunal dans les 15 jours suivant la publication de l’exposé des motifs du Tribunal. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.

La partie intervenante, Madsen Power Systems Inc., assumera ses propres frais.

Frédéric Seppey

Frédéric Seppey
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Membre du Tribunal :

Frédéric Seppey, membre présidant

Conseillère juridique du Tribunal :

Sarah Shinder, conseillère juridique

Partie plaignante :

Wärtsilä Canada Incorporated

Conseillers juridiques de la partie plaignante :

Marc-Alexandre Hudon
Robert A. Glasgow

Institution fédérale :

ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques de l’institution fédérale :

Peter J. Osborne
Margaret Robbins

Partie intervenante :

Madsen Power Systems Inc.

Conseillers juridiques de la partie intervenante :

Peter Mantas
Marcia Mills
Alexandra Logvin
Nabila Abdul Malik
David Turgeon

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] La plainte porte sur un marché (invitation no F6855-210015/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère des Pêches et des Océans (MPO). La demande de propositions (DP) visait la fourniture de pièces destinées aux moteurs des navires NGCC Cygnus et NGCC Cape Roger de la Garde côtière canadienne (GCC).

[2] La partie plaignante, Wärtsilä Canada Incorporated (Wärtsilä Canada), allègue que le soumissionnaire retenu, soit Madsen Power Systems Inc. (Madsen), ne satisfait pas aux exigences de la DP puisque la société n’est pas un fabricant d’équipement d’origine (FEO) de moteurs Nohab. Wärtsilä Canada s’oppose en outre aux conditions de la DP.

[3] Wärtsilä Canada demande que le contrat spécifique fasse l’objet d’un nouvel appel d’offres, que ce contrat soit résilié et qu’un nouveau contrat spécifique lui soit adjugé.

[4] Le 4 mai 2021, Wärtsilä Canada a déposé la présente plainte.

[5] Le 11 mai 2021, le Tribunal a accepté d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur Tribunal canadien du commerce extérieur [1] .

[6] Le 28 mai 2021, Madsen a été autorisée à intervenir après que le Tribunal eut étudié attentivement la question à la lumière des facteurs pertinents.

[7] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal met fin à son enquête sur la plainte puisqu’il a déterminé que Wärtsilä Canada n’a pas qualité pour agir pour déposer une plainte auprès du Tribunal.

PROCÉDURE DE PASSATION DES MARCHÉS PUBLICS

[8] Le 15 mars 2021, TPSGC a publié la DP sur Achatsetventes.gc.ca [2] , le site Web officiel du gouvernement en matière d’appel d’offres. L’appel d’offres a fait l’objet d’une modification. La date de clôture des soumissions était le 6 avril 2021.

[9] Le marché visait uniquement des pièces et des composantes destinées aux moteurs principaux des deux navires NGCC Cygnus et NGCC Cape Roger (les navires). Les soumissionnaires étaient tenus de présenter leurs soumissions par voie électronique, celles-ci devant comporter une soumission technique, une soumission financière ainsi que des certifications.

[10] Un élément de la présente plainte ayant une importance particulière est l’énoncé des besoins de la DP (annexe A), qui prévoit ce qui suit :

Toutes les pièces doivent être fournies par un représentant autorisé du FEO; soit British Polar Engines ou Nohab. Le soumissionnaire retenu doit fournir la preuve, avant l’adjudication du contrat, qu’il est autorisé à distribuer des pièces du FEO au Canada.

[11] La description des moteurs dans l’énoncé des besoins était la suivante :

NGCC Cygnus
Polar Nohab F212V
Numéros de série 3111 et 3112

NGCC Cape Roger
Polar Nohab F212C
Numéros de série 2704 et 2705

[12] Wärtsilä Canada n’a pas présenté de proposition en réponse à l’appel d’offres.

[13] Le 20 avril 2021, le contrat a été adjugé à Madsen [3] .

[14] Le 30 avril 2021, Wärtsilä Canada a écrit à TPSGC pour lui signaler son opposition à l’adjudication du contrat à Madsen, puisque Madsen n’était pas conforme aux exigences de l’annexe A de la DP [4] .

[15] Le 6 mai 2021, TPSGC a répondu à Wärtsilä Canada, l’avisant que « la certification fournie par le fournisseur retenu était conforme aux documents d’appel d’offres et était suffisante pour lui permettre de satisfaire pleinement aux exigences techniques; le contrat demeure donc en place [5] » [traduction].

POSITIONS DES PARTIES

Wärtsilä Canada

Conformité avec les accords commerciaux

[16] Wärtsilä Canada allègue que le marché public en question n’a pas été mené conformément à l’article 515(4) de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC) parce que le contrat a été adjugé à un soumissionnaire non conforme [6] . Essentiellement, Wärtsilä Canada soutient qu’elle est l’unique fournisseur licite du FEO de moteurs Nohab pour les navires visés par la DP [7] . Elle fait donc valoir qu’elle est le seul fournisseur en mesure de fournir des pièces du FEO comme l’exige l’annexe A de la DP.

[17] Premièrement, Wärtsilä Canada conteste la façon dont TPSGC a défini les moteurs des navires. Wärtsilä Canada soutient que les moteurs auraient dû être adéquatement désignés comme des moteurs Nohab, plutôt que des moteurs Polar Nohab. Elle allègue également que TPSGC a délibérément utilisé dans la DP un libellé fondé sur des interprétations et des hypothèses erronées concernant les moteurs Nohab [8] . Wärtsilä Canada conteste l’inclusion de l’exigence par TPSGC. Wärtsilä Canada s’oppose également à la position de TPSGC selon laquelle les pièces du FEO incluent les pièces de rechange [9] .

[18] Deuxièmement, Wärtsilä Canada soutient qu’elle seule peut être considérée comme représentant du FEO pour les moteurs des navires. Wärtsilä Canada fait valoir qu’elle est le seul fournisseur à détenir les droits de propriété intellectuelle pertinents en tant que filiale de l’actionnaire unique de Nohab. De même, elle allègue que British Polar Engines Limited (BPE) ne peut autoriser aucune entité à agir en qualité de FEO pour les moteurs Nohab. En conséquence, Wärtsilä Canada est d’avis que Madsen ne pouvait pas se conformer à l’annexe A de la DP sans retenir ses services, ce qu’elle n’a pas fait [10] .

Qualité pour agir

[19] Wärtsilä Canada fait valoir qu’elle est un fournisseur potentiel au titre de la DP parce qu’elle est le FEO certifié à l’échelle mondiale pour les moteurs Nohab des navires. Elle soutient qu’elle aurait pu présenter une proposition si TPSGC l’avait informée de la DP.

[20] De plus, Wärtsilä Canada soutient qu’elle avait (et a toujours) la capacité technique et financière de répondre aux exigences de la DP puisqu’elle est titulaire de l’offre à commandes nationale F7044-1 90204 de TPSGC/GCC pour la fourniture de pièces du FEO, y compris Nohab (offre à commandes nationale).

[21] Wärtsilä Canada allègue également qu’elle a le droit clairement prescrit par la loi de s’assurer que sa propriété intellectuelle soit reconnue, protégée et appliquée, qu’à titre d’entreprise citoyenne, elle a un intérêt véritable à veiller à ce que les procédures de passation des marchés publics soient effectuées de manière équitable et légale, et que de permettre que ce travail soit effectué par une entreprise qui, selon elle, ne représente pas le FEO engendre un risque pour la sécurité publique [11] .

Respect des délais

[22] Wärtsilä Canada soutient que sa plainte a été déposée en temps opportun, à savoir dans les 10 jours ouvrables suivant la date à laquelle Wärtsilä Canada a appris que le contrat avait été adjugé à Madsen [12] .

TPSGC

Conformité avec les accords commerciaux

[23] TPSGC soutient que le marché a été mené de manière équitable et totalement transparente, conformément à ses obligations aux termes des accords commerciaux et des dispositions de la DP [13] . TPSGC fait valoir que la soumission de Madsen était clairement conforme aux exigences techniques de la DP, car l’entreprise a fourni des documents confirmant qu’elle était un représentant du FEO de BPE, l’une des deux désignations possibles relativement au FEO répondant aux exigences de la DP [14] .

[24] TPSGC soutient également que la DP était conforme à toutes les exigences réglementaires, puisqu’elle a été publiée sur le site Achatsetventes.gc.ca pendant plus de 21 jours. TPSGC affirme qu’aucun fournisseur potentiel n’a bénéficié d’un avantage quelconque, n’a été informé à l’avance de la DP ou n’a été avisé une fois la DP publiée [15] .

Qualité pour agir

[25] TPSGC soutient également que Wärtsilä Canada n’a pas qualité pour agir pour déposer la présente plainte. TPSGC affirme que Wärtsilä Canada n’a pas présenté de soumission en réponse à l’appel d’offres. En conséquence, TPSGC est d’avis que Wärtsilä Canada n’est pas un « soumissionnaire » ni un soumissionnaire « potentiel » au sens de l’article 30.11 de la Loi sur le TCCE tel que clarifié par la jurisprudence du Tribunal, car au moment où elle a déposé sa plainte, Wärtsilä Canada n’avait plus la capacité de présenter une proposition. TPSGC soutient également qu’il aurait été inapproprié d’envoyer un avis à Wärtsilä Canada à titre individuel [16] .

[26] En réponse à l’argument de Wärtsilä Canada concernant l’offre à commandes nationale, TPSGC soutient que la DP était le mode de passation de marché approprié. TPSGC soutient également que Wärtsilä Canada ne peut pas invoquer l’offre à commandes nationale.

Respect des délais

[27] Enfin, TPSGC soutient que le motif de plainte de Wärtsilä Canada concernant la question de savoir s’il était approprié de publier la DP vu l’existence de l’offre à commandes nationale est prescrit [17] .

Madsen

Conformité avec les accords commerciaux

[28] Madsen est d’avis que cette affaire est d’abord et avant tout un différend commercial entre Wärtsilä Canada et BPE, qui dure depuis plus de 40 ans [18] .

[29] Madsen affirme s’être conformée aux exigences de la DP. Elle fait valoir qu’elle a présenté les éléments de preuve requis pour démontrer qu’elle est un représentant autorisé de BPE [19] .

[30] Madsen s’oppose à l’affirmation de Wärtsilä Canada selon laquelle elle est la seule entité pouvant être considérée comme un représentant du FEO. Elle soutient que les affirmations de Wärtsilä Canada concernant les droits de propriété intellectuelle peuvent être fausses et/ou trompeuses, en fonction des droits invoqués par Wärtsilä Canada dans les faits. Elle soutient également qu’il n’existe aucun droit de propriété intellectuelle lié à la désignation de « FEO » ou à l’utilisation de ce terme [20] .

Qualité pour agir et respect des délais

[31] Madsen est d’avis que Wärtsilä Canada n’a pas qualité pour agir pour déposer la plainte et que la plainte est prescrite. Madsen soulève des arguments similaires à ceux de TPSGC relativement aux mêmes questions [21] .

ANALYSE

Question préliminaire : Wärtsilä Canada a-t-elle qualité pour agir?

[32] La qualité pour agir devant le Tribunal est régie par le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE, qui prévoit que « [t]out fournisseur potentiel peut [...] déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte ».

[33] Le terme « fournisseur potentiel » est défini à l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE et s’entend de « tout soumissionnaire — même potentiel — d’un contrat spécifique ».

[34] Le Tribunal a déjà conclu qu’en interprétant la définition de « fournisseur potentiel » à l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE selon son sens courant et ordinaire, l’expression « tout soumissionnaire – même potentiel » ne doit pas être prise isolément, mais plutôt considérée par référence à un « contrat spécifique » particulier [22] .

[35] Selon l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE, l’expression « contrat spécifique » désigne un « [c]ontrat relatif à un marché de fournitures ou services qui a été accordé par une institution fédérale — ou pourrait l’être — , et qui soit est précisé par règlement, soit fait partie d’une catégorie réglementaire ».

[36] Le Tribunal a précédemment interprété le terme « soumissionnaire » comme désignant une partie qui a effectivement présenté une soumission en réponse au marché public en question [23] . Le fait que Wärtsilä Canada n’a pas présenté de soumission en réponse à l’appel d’offres n’est pas contesté. Wärtsilä Canada ne peut donc pas être considérée comme un soumissionnaire aux fins de l’article 30.11(1) de la Loi sur le TCCE.

[37] Toutefois, la qualité pour agir n’est pas limitée aux soumissionnaires. L’article 30.1 et le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE, reproduits ci-dessus, prévoient expressément que le Tribunal a compétence pour entendre les plaintes déposées par des soumissionnaires potentiels.

[38] Le Tribunal a conclu que les deux conditions suivantes doivent être remplies pour qu’un fournisseur soit considéré comme un soumissionnaire potentiel à l’égard d’un contrat spécifique particulier. Pour être considérée comme un soumissionnaire potentiel, la partie plaignante doit :

a) avoir la capacité à la fois technique et financière de répondre au besoin visé par le marché;

b) être capable de présenter une proposition en réponse au marché en question [24] , sauf si la partie plaignante est effectivement privée de cette capacité du fait que l’institution fédérale porte atteinte aux accords commerciaux dans la procédure de passation du marché public [25] .

[39] Wärtsilä Canada soutient qu’elle avait (et a toujours) la capacité technique et financière de répondre aux exigences de la DP puisqu’elle est titulaire de l’offre à commandes nationale F7044‑1 90204 de TPSGC/GCC visant la fourniture de pièces du FEO, y compris les moteurs Nohab (offre à commandes nationale). La capacité financière et technique de Wärtsilä Canada de répondre au besoin visé par le marché n’est pas contestée.

[40] Or, il n’est pas non plus contesté que Wärtsilä Canada n’a pas présenté de soumission en réponse à l’appel d’offres et que la période de soumission pour le contrat spécifique était expirée au moment où elle a déposé sa plainte. En conséquence, alors que Wärtsilä Canada avait théoriquement la capacité de présenter une soumission en réponse à la DP à un moment donné, il est clair qu’elle n’avait plus cette capacité au moment où elle a déposé sa plainte. De plus, Wärtsilä Canada ne soutient pas expressément qu’elle a été empêchée de présenter une offre en raison d’un aspect prétendument contestable de la procédure de passation du marché public aux termes de l’accord commercial pertinent.

[41] Wärtsilä Canada conteste le contenu d’une exigence énoncée dans la DP et le fait que TPSGC ait eu recours au processus d’appel d’offres [26] . Wärtsilä Canada allègue également que le soumissionnaire retenu est non conforme.

[42] Le Tribunal ne voit pas comment la nature du comportement reproché a empêché Wärtsilä Canada de déposer une soumission en réponse à l’appel d’offres. Wärtsilä Canada ne soutient pas que la portée de l’exigence était trop restrictive ou qu’elle l’a autrement empêchée de présenter une soumission en réponse à la DP. Non seulement Wärtsilä Canada affirme qu’elle aurait pu satisfaire à cette exigence, mais elle allègue qu’elle est l’unique fournisseur potentiel qui pouvait y satisfaire de manière licite.

[43] Le Tribunal ne voit pas non plus en quoi le fait que l’exigence ait fait l’objet d’un processus d’appel d’offres ouvert a empêché Wärtsilä Canada de présenter une soumission. Comme l’a indiqué TPSGC, l’appel d’offres a été publié sur Achatsetventes.gc.ca pendant une période d’environ trois semaines. Wärtsilä Canada connaissait bien ou aurait dû bien connaître le processus de réponse aux appels d’offres sur Achatsetventes.gc.ca, l’entreprise ayant déjà présenté des soumissions en réponse à des appels d’offres antérieurs. Le site Achatsetventes.gc.ca offre également un système de notification qui permet aux fournisseurs de choisir de recevoir des notifications sur les procédures de passation de marchés publics qui sont particulièrement pertinentes pour eux. Quoi qu’il en soit, Wärtsilä Canada ne prétend pas qu’elle n’avait pas accès à Achatsetventes.gc.ca à tous les moments pertinents.

[44] Comme il a été indiqué précédemment, Wärtsilä Canada soutient que si elle avait été informée de la procédure de passation de marchés publics, elle aurait présenté une soumission en réponse à la DP. Elle affirme qu’elle aurait dû recevoir un avis de TPSGC parce qu’elle est l’unique fournisseur en mesure de répondre à l’exigence en question. Wärtsilä Canada allègue également que TPSGC n’aurait pas dû lancer d’appel d’offres pour l’exigence en question, mais qu’il aurait plutôt dû utiliser une procédure de passation de marché public à fournisseur unique pour retenir les services de Wärtsilä Canada, comme il l’a fait dans le passé.

[45] Mise à part la question de savoir si les accords commerciaux permettaient à TPSGC d’employer une procédure de marché public à fournisseur unique, c’est-à-dire de recourir à un appel d’offres limité, le fait est que TPSGC a choisi de répondre à son besoin au moyen d’un processus d’appel d’offres ouvert. À partir de ce moment, TPSGC était tenu de lancer un appel d’offres conformément à ses obligations aux termes des accords commerciaux applicables.

[46] Aux termes de l’article 506 de l’ALEC, une entité contractante est tenue de « publier un avis d’appel d’offres pour chaque marché couvert sur un des sites Web ou systèmes d’appel d’offres désignés par sa Partie ». Par ailleurs, le paragraphe 509(7) de l’ALEC prévoit qu’une « entité contractante met à la disposition des fournisseurs la documentation relative à l’appel d’offres qui contient tous les renseignements nécessaires pour qu’ils puissent préparer et présenter des soumissions valables » [27] .

[47] Aucun élément de preuve au dossier ne laisse entendre que TPSGC n’a pas respecté ces obligations. Comme il est indiqué ci-dessus, TPSGC a publié son énoncé des besoins sur le site Web désigné du Canada pour les appels d’offres pendant environ trois semaines [28] . TPSGC affirme également qu’il n’a pas autrement fourni d’avantage ou de préavis à Wärtsilä Canada pour qu’elle soumissionne dans le cadre de l’appel d’offres, et qu’il n’a pas non plus fait de même avec les autres fournisseurs. TPSGC soutient qu’il aurait été inapproprié de le faire. Le Tribunal est d’accord.

[48] La question de savoir si une entité contractante peut envoyer un avis à un fournisseur lorsque les accords commerciaux prévoient des processus d’appels d’offres ouverts a été examinée pour la première fois par la Commission de révision des marchés publics du Canada (la Commission) (le tribunal prédécesseur du Tribunal) dans l’affaire Blowey-Henry (Wholesale) Ltd. c. Canada (Approvisionnements et Services) [29] . Cette plainte portait sur des allégations selon lesquelles l’entité contractante avait agi injustement en omettant de donner un avis au fournisseur titulaire pour l’informer qu’elle allait lancer un nouvel appel d’offres. La Commission a conclu que l’envoi au fournisseur titulaire d’un avis spécial pour l’informer d’un appel d’offres contreviendrait à l’Accord de libre-échange. La Commission a notamment conclu ce qui suit :

[...] il importe de remarquer qu’il ne conviendrait pas de donner à la plaignante un avis spécial concernant l’adjudication, ce qui irait à l’encontre des exigences de l’article 1305.2 de l’Accord de libre-échange en vertu duquel le gouvernement est tenu d’accorder le même accès aux renseignements préalables à l’appel d’offres et les mêmes possibilités de concurrence à toutes les entreprises. Si un avis spécial était donné à un concurrent, comme le voudrait la plaignante, les autres concurrents seraient traités inégalement, ce qui serait inacceptable [30] .

[Soulignement dans l’original]

[49] Bien que les articles relatifs à l’égalité des chances et à l’équité envers les soumissionnaires soient rédigés différemment dans l’ALEC et dans l’Accord de libre-échange, rien dans le libellé de l’ALEC ne suggère que l’obligation de traitement égal est de quelque façon moins généreuse que ce qui était exigé aux termes de l’Accord de libre-échange.

[50] Quoi qu’il en soit, l’alinéa 503.5g) de l’ALEC indique expressément qu’il est interdit de fournir des renseignements à un fournisseur de façon à lui donner un avantage sur d’autres fournisseurs.

[51] Par conséquent, dans la mesure où TPSGC a mené un processus d’appel d’offres ouvert, on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir fourni une invitation préférentielle à soumissionner à Wärtsilä Canada. En fait, s’il l’avait fait, TPSGC aurait pu contrevenir directement à ses obligations aux termes des accords commerciaux applicables.

[52] De plus, de l’avis du Tribunal, le fait que Wärtsilä Canada soit titulaire de l’offre à commandes nationale n’a aucune incidence sur la capacité de l’entreprise à présenter une soumission en réponse à la DP. Selon le Tribunal, Wärtsilä Canada n’a pas réussi à établir comment l’existence de cette offre à commandes nationale l’a empêchée de surveiller Achatsetventes.gc.ca et de présenter une soumission en réponse à la DP. Le Tribunal conclut donc que Wärtsilä Canada n’a pas été empêchée de présenter une soumission parce qu’elle est titulaire de l’offre à commandes nationale.

[53] Enfin, en l’absence de tout argument convaincant quant à la raison pour laquelle la prétendue non-conformité de la soumission de Madsen aurait empêché Wärtsilä Canada de présenter une soumission en réponse à la DP, le Tribunal conclut que cette prétendue violation des accords commerciaux n’a pas empêché Wärtsilä Canada de présenter une proposition.

[54] En réponse aux arguments de TPSGC et de Madsen, Wärtsilä Canada a également fait valoir que la question de savoir si elle avait qualité pour agir pour déposer la présente plainte est irrémédiablement « sans objet » [traduction] au motif que le Tribunal a ouvert une enquête. Wärtsilä Canada soutient que, conformément à l’article 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [31] , le Tribunal devait établir si Wärtsilä Canada avait qualité pour agir avant de décider de mener une enquête.

[55] Le Tribunal ne souscrit pas à cet argument. Par le passé, le Tribunal a conclu qu’une décision initiale selon laquelle les conditions relatives à l’ouverture d’une enquête, qui sont énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement, ont été remplies ne constitue pas une décision définitive quant à la question de savoir si une partie plaignante est un « fournisseur potentiel » [32] . De plus, le Tribunal est un tribunal établi par une loi. Par conséquent, si le Tribunal établit, à n’importe quel moment, sur la foi de la preuve et des arguments dont il dispose, que la partie plaignante ne satisfait pas à la définition de « fournisseur potentiel » prévue par la loi, il est tenu, en droit, de rejeter la plainte pour défaut de compétence [33] .

[56] Les arguments avancés par Wärtsilä Canada concernant ses droits de propriété intellectuelle, son intérêt véritable à veiller à ce que les procédures de passation des marchés publics soient effectuées de manière équitable et légale et ses préoccupations d’intérêt public liées à la sécurité publique ne sont pas pertinents pour le Tribunal en ce qui a trait à la question de savoir si Wärtsilä Canada répond à la définition de « fournisseur potentiel » aux termes de la loi (c’est-à-dire s’il est un soumissionnaire ou un soumissionnaire potentiel à l’égard du contrat spécifique).

[57] Wärtsilä Canada fait également valoir que le « comportement illégal » [traduction] de TPSGC ne peut être soustrait à l’examen public pour des raisons de procédure. Encore une fois, cet argument ne saurait être retenu. L’accès à un tribunal établi par une loi est régi par la loi pertinente [34] . Quoi qu’il en soit, le Tribunal tient à souligner que sa décision de mettre fin à la présente enquête ne prive pas nécessairement Wärtsilä Canada de tout recours. Dans la mesure où Wärtsilä Canada prétend que ses droits de propriété intellectuelle ou d’autres droits sont violés, elle peut avoir un recours devant les tribunaux.

[58] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que Wärtsilä Canada n’a pas été réellement privée de sa capacité de présenter une soumission en raison d’une violation des accords commerciaux. Le Tribunal conclut donc que Wärtsilä Canada ne peut être considérée comme un soumissionnaire ou un soumissionnaire potentiel à l’égard du contrat spécifique; en conséquence, elle n’est pas un fournisseur potentiel à l’égard du contrat spécifique qui fait l’objet de la présente enquête. Wärtsilä Canada n’a donc pas qualité pour agir pour déposer la présente plainte.

[59] Compte tenu de cette conclusion, par souci d’économie judiciaire, le Tribunal estime qu’il n’est pas justifié d’examiner la question du respect des délais et celle du bien-fondé des motifs de la plainte.

CONCLUSIONS

[60] Aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement, le Tribunal rejette par les présentes la plainte et met fin à l’enquête et à toute procédure connexe.

[61] Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à TPSGC une indemnité raisonnable pour les frais engagés dans sa réponse à la plainte, indemnité qui doit être versée par Wärtsilä Canada. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public, le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la plainte correspond au degré 1 et que le montant de l’indemnité est de 1 150 $. Toute partie qui s’oppose à la détermination provisoire du degré de complexité ou du montant de l’indemnité est invitée à déposer des observations auprès du Tribunal dans les 15 jours suivant la publication de l’exposé des motifs du Tribunal. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.

[62] La partie intervenante, Madsen, assumera ses propres frais.

Frédéric Seppey

Frédéric Seppey
Membre présidant

 



[1] L.R.C. (1985) ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2] La date du 15 mars 2021 figure sur l’avis d’appel d’offres publié sur le Web; voir pièce PR-2021-006-07-01 à la p. 60. L’appel d’offres a été publié le 12 mars 2021; voir pièce PR-2021-006-07-07 à la p. 1. Rien ne repose sur cette divergence de trois jours.

[3] La date du 20 avril 2021 apparaît sur l’avis d’adjudication du contrat; voir pièce PR-2021-007-01 à la p. 63. TPSGC allègue que le contrat a été adjugé le 21 avril 2021; voir pièce PR-2021-007-13 à la p. 3. Rien ne dépend de cette divergence apparente de un jour.

[4] Pièce PR-2021-007-01 aux p. 93-94.

[5] Pièce PR-2021-007-01.A à la p. 2.

[6] Pièce PR-2021-007-01 à la p. 13.

[7] Ibid. à la p. 12.

[8] Ibid. à la p. 14.

[9] Pièce PR-2021-007-17 à la p. 17.

[10] Pièce PR-2021-007-01 aux p. 4, 12.

[11] Ibid. à la p. 13.

[12] Ibid. à la p. 15.

[13] Pièce PR-2021-007-13 à la p. 15.

[14] Ibid. à la p. 14.

[15] Ibid. à la p. 9.

[16] Ibid. à la p. 10.

[17] Ibid.

[18] Pièce PR-2021-007-15 à la p. 1.

[19] Ibid. à la p. 2.

[20] Ibid. aux p. 2-4.

[21] Ibid. à la p. 4.

[22] Flag Connection Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (3 septembre 2009), PR‑2009-026 (TCCE) [Flag] au par. 17.

[23] Voir, par exemple, J. Plummer-Grolway (10 mars 2015), PR-2014-065 (TCCE) au par. 15; Alion Science and Technology Corporation et Alion Science and Technology Canada Corporation (30 janvier 2019), PR-2018-043 (TCCE) [Alion] au par. 41; Alliance Agricole Internationale, regroupant le Centre canadien d’étude et de coopération international, the Société de coopération pour le développement international et L’Union des producteurs agricoles—Développement international c. Agence canadienne de développement international (21 août 2006), PR-2006-003 (TCCE) au par. 28.

[25] Ibid., note de bas page 12. Dans les deux décisions qui suivent, la Cour d’appel fédérale a examiné le concept selon lequel une partie plaignante est empêchée de présenter une soumission à cause d’une violation des accords commerciaux : Canada (Attorney General) c. Siemens Enterprise Communications Inc., 2011 CAF 251 [Siemens] aux par. 4-6; Canada (Attorney General) c. Enterasys Networks of Canada Ltd., 2011 CAF 207 [Enterasys] aux par. 13-16.

[26] Comme il est mentionné plus loin, étant donné les conclusions du Tribunal sur la question de la qualité pour agir, par souci d’économie judiciaire, le Tribunal n’examinera pas la question du respect du délai pour le dépôt des présents motifs de plainte.

[27] Selon l’article 520 de l’ALEC, un fournisseur est une : « [p]ersonne ou groupe de personnes qui fournit ou pourrait fournir des produits ou des services ».

[28] Pièce PR-2021-007-01 à la p. 60.

[29] 1990 CanLII 3977 (CA TCCE) [Blowey-Henry].

[30] Blowey-Henry à la p. 7.

[31] DORS/93-602 [Règlement].

[33] Siemens aux par. 5, 6; Enterasys au par. 16.

[34] Northrop Grumman Overseas Services Corp c. Canada (Procureur général), 2009 CSC 50, [2009] 3 RCS 309 au par. 44.

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