Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2020-102

CTS Defence Inc.

c.

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Décision rendue
le mercredi 11 août 2021

Motifs rendus
le vendredi 27 août 2021

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par CTS Defence Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

CTS DEFENCE INC.

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée. Aucuns frais ne sont accordés à l’une ou l’autre des parties.

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Membre du Tribunal :

Cheryl Beckett, membre présidant

Conseillères juridiques du Tribunal :

Kalyn Eadie, conseillère juridique
Sarah Shinder, conseillère juridique

Partie plaignante :

CTS Defence Inc.

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques de l’institution fédérale :

Manou Ranaivoson
Peter J. Osborne
Zachary Rosen

Partie intervenante :

Air Tindi Ltd.

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

[1] La présente plainte porte sur une demande de propositions (DP) publiée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de la Défense nationale (MDN) en vue de la location d’aéronefs (appel d’offres no W8485-20SC07/A).

[2] CTS Defence Inc. (CTS Defence) s’oppose à l’ajout d’un critère technique obligatoire selon lequel certaines certifications doivent être au même nom que la société qui présente la soumission. CTS Defence conteste aussi la conclusion de TPSGC selon laquelle sa soumission ne satisfaisait pas au critère technique obligatoire dont il est question.

[3] CTS Defence demande entre autres, à titre de mesure corrective, que les soumissions soient réévaluées et que le contrat subséquent soit ensuite attribué au soumissionnaire le moins-disant.

[4] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la plainte n’est pas fondée.

CONTEXTE

[5] La DP, publiée le 23 décembre 2020, indiquait que la date de clôture des soumissions était le 2 février 2021. Elle a fait l’objet de cinq modifications.

[6] Le 30 décembre 2020, Canada Training Solutions (CTS) a avisé TPSGC qu’elle allait former une coentreprise portant le nom de « CTS Defence » dans le but de présenter une soumission en réponse à la DP [1] .

[7] Le 7 janvier 2021, TPSGC a publié la modification 003, qui signalait l’ajout du critère technique obligatoire 57 (M57) à l’annexe 1 de la partie 3. Ce critère est le suivant [2] :

M57

Le soumissionnaire doit démontrer que le certificat d’exploitation aérienne (CEA) et la ou les certification (s) d’organisme de maintenance agréé (OMA) (accréditations de Transports Canada) sont au même nom que la compagnie qui soumet une proposition [3] .

[8] Le 13 janvier 2021, TPSGC a publié la modification 005 afin de répondre aux questions provenant de fournisseurs potentiels à l’égard l’application de M57 [4] .

[9] Ces soumissionnaires éventuels ont souligné une contradiction apparente entre le critère M57 et le point 7.1.1 de l’Énoncé des travaux. Initialement, le point 7.1.1 prévoyait que « l’entrepreneur (et l’exploitant aérien, s’il s’agit d’une organisation distincte) doit se conformer aux dispositions » de différents textes législatifs. Les soumissionnaires éventuels ont fait valoir que ce libellé « indique que deux sociétés distinctes peuvent participer au projet [5] » [traduction].

[10] Par l’intermédiaire de la modification 005, TPSGC a révisé le point 7.1.1 de la DP pour supprimer la mention d’un « exploitant aérien » distinct et préciser que « [l]’entrepreneur d[evait] se conformer aux dispositions » des mêmes textes législatifs. En réponse aux questions des soumissionnaires éventuels, TPSGC a déclaré ce qui suit : « La section M57 reste inchangée. M57 ne contredit pas l’article 7.1.1 modifié [6] ».

[11] Le 2 février 2021, CTS Defence a présenté une soumission en réponse à la DP [7] . Au bout du compte, CTS Defence n’a pas présenté de soumission à titre de coentreprise. Dans sa soumission, CTS Defence a fourni l’explication suivante :

M1.0 CTS Defence a été initialement constituée comme une coentreprise entre Take Flight Group (propriétaire d’Air Partners et d’AircraftWorks), Hopkinson Aircraft Sales (propriétaire de Business Aircraft Solutions) et Canada Training Solutions (propriétaire de CTS et de CTS Tek). Les ententes de coentreprise sont acceptées dans le cadre de la présente DP, comme il est indiqué à la section 5.1.1.2 (attestation des soumissions), et la correspondance échangée par courriel avec l’autorité contractante le 30 décembre 2020 a renforcé notre conviction que la structure en coentreprise était acceptée. Toutefois, lorsque la modification 005 de l’appel d’offres a été publiée le 13 janvier 2021, nous avons commencé à craindre que la structure en coentreprise ne soit plus privilégiée par le Canada. C’est pourquoi, après avoir consulté notre équipe juridique et les experts du Secrétariat du Conseil du Trésor, nous avons transformé CTS Defence, qui était une coentreprise, en une seule personne morale dans laquelle tous les groupes détiennent maintenant une participation directe. (M57)

M1.1 Nous considérons que l’exigence selon laquelle le CEA et la certification d’OMA doivent être « au même nom » que l’entrepreneur est satisfaite puisque la relation entre CTS Defence et ces certifications repose sur des droits de propriété plutôt que sur de la sous‑traitance. Il s’agit du même mécanisme par lequel Air Canada et WestJet détiennent leur CEA et leur certification d’OMA, et nous avons reçu des conseils d’experts selon lesquels il s’agit du moyen le plus sûr pour nous de respecter ce critère obligatoire [8] .

[Traduction]

[12] Le CEA présenté avec la soumission était au nom d’Air Partners Corp., tandis que la certification d’OMA était au nom d’Aircraftworks Ltd [9] .

[13] Le 26 février 2021, TPSGC a informé CTS Defence que sa soumission avait été jugée non recevable, car elle ne démontrait pas que l’entreprise détenait, en tant que soumissionnaire, un CEA et une certification d’OMA, comme l’exigeait le critère M57 [10] .

[14] Le 1er mars 2021, CTS Defence a écrit à TPSGC pour lui faire part de ses préoccupations concernant la procédure de passation du marché public. Elle a notamment souligné les motifs pour lesquels elle estimait que sa soumission était conforme au critère obligatoire en question; elle a notamment expliqué que le CEA et la certification d’OMA auraient dû être considérés comme « au même nom que la compagnie qui soumet une proposition » puisqu’ils sont détenus par des sociétés qui sont propriétaires de CTS Defence ou qui en sont des filiales. CTS Defence a également contesté le moment où les modifications ont été apportées à la DP et a fait remarquer que le critère M57 contredisait d’autres dispositions de la DP concernant les coentreprises et les ententes de sous‑traitance, ce qui avait semé la confusion parmi les soumissionnaires. CTS Defence a donc demandé à TPSGC soit de revenir sur sa décision selon laquelle sa soumission n’était pas conforme au critère M57 et d’accorder le contrat au soumissionnaire le moins‑disant, soit de lui fournir une explication quant aux raisons pour lesquelles le choix de retenir une soumission à prix plus élevé était justifié [11] .

[15] Le 2 mars 2021, TPSGC a accusé réception de la correspondance de CTS Defence et a informé cette dernière de son intention de fournir une réponse à sa lettre une fois qu’il aurait eu l’occasion de revoir le dossier en détail [12] .

[16] CTS Defence a déposé sa plainte initiale (dossier no PR‑2020‑094) le 11 mars 2021. Le 15 mars 2021, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte au motif que CTS Defence n’avait pas encore reçu de refus de réparation de la part de TPSGC et que la plainte était donc prématurée [13] .

[17] Le 24 mars 2021, TPSGC a répondu à CTS Defence par une lettre dans laquelle il indiquait qu’il maintenait sa décision initiale. Cette lettre comportait certaines raisons à l’appui de sa décision et des renseignements relatifs aux mécanismes de recours dont disposent les fournisseurs [14] .

[18] Le 29 mars 2021, CTS Defence a déposé la présente plainte [15] .

[19] Le 6 avril 2021, le Tribunal a accepté d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [16] après avoir constaté que la lettre de TPSGC datée du 24 mars 2021 constituait un refus de réparation.

[20] Le 5 mai 2021, Air Tindi Ltd. (Air Tindi), le soumissionnaire retenu, a été autorisée à intervenir après que le Tribunal a dûment pris en compte les facteurs pertinents [17] . Cependant, Air Tindi n’a pas présenté d’observations dans le contexte de la plainte.

POSITION DES PARTIES

CTS Defence

[21] CTS Defence conteste l’ajout du critère M57 dans la DP. Elle fait valoir que le critère M57, tel qu’il a été qu’interprété par TPSGC, est injuste et arbitraire. CTS Defence soutient que l’interprétation du critère M57 par TPSGC ne tient pas compte des normes communes de l’industrie au Canada. Elle affirme également que l’interprétation faite par TPSGC du critère M57 est différente de celle faite récemment pour des exigences similaires.

[22] Compte tenu de ce qui précède, CTS Defence conteste l’évaluation de sa soumission. Plus précisément, elle conteste la conclusion de TPSGC selon laquelle sa soumission n’est pas conforme. CTS Defence soutient que TPSGC aurait dû considérer que son CEA et sa certification d’OMA sont à son nom « puisqu’ils le sont bel et bien, conformément aux normes communes de l’industrie au Canada » [traduction].

[23] Enfin, CTS Defence allègue que la modification de la DP visant à ajouter le critère M57 était injuste, car les soumissionnaires éventuels n’ont pas eu suffisamment de temps pour y répondre.

TPSGC

[24] TPSGC fait valoir que l’ajout du critère M57 dans la DP était justifié et non arbitraire. Il soutient que le critère M57 a été ajouté dans la procédure de passation du marché public pour garantir que le soumissionnaire sera véritablement en mesure d’assurer la prestation de tous les services requis sans devoir dépendre de certificats détenus par une tierce partie. TPSGC est d’avis que le libellé du critère M57 est clair et non équivoque.

[25] TPSGC soutient également que le motif de plainte de CTS Defence concernant l’ajout du critère obligatoire M57 n’a pas été invoqué dans les délais prescrits. De l’avis de TPSGC, CTS Defence aurait dû déposer sa plainte dans les 10 jours suivant la publication de la modification 003.

[26] TPSGC avance également que CTS Defence n’a pas respecté le critère M57. Enfin, TPSGC affirme que CTS Defence a eu amplement l’occasion de modifier ou de réviser sa soumission afin de s’assurer que celle‑ci respectait les modalités du critère M57.

ANALYSE

[27] Aux termes du paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit limiter son enquête à l’objet de la plainte. De plus, à la conclusion de l’enquête, le Tribunal doit se prononcer sur le bien-fondé de la plainte, à savoir si les procédures et autres conditions prescrites eu égard à un contrat subséquent ont été respectées.

[28] L’article 11 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [18] prévoit que le Tribunal doit également déterminer si le marché public a été passé conformément aux accords commerciaux applicables.

[29] Compte tenu de ce cadre d’analyse, le Tribunal se penchera sur les motifs de plainte invoqués par CTS Defence, c’est‑à‑dire les questions de savoir si :

1) l’ajout du critère M57 était injuste ou arbitraire;

2) l’évaluation de la soumission de CTS Defence était raisonnable;

3) l’ajout du critère M57 était injuste parce que les fournisseurs n’ont pas eu suffisamment de temps pour y répondre.

[30] Par ailleurs, comme il est indiqué plus haut, TPSGC soutient également que le motif de plainte de CTS Defence concernant la question de savoir si le critère M57 était injuste ou arbitraire n’a pas été invoqué en temps opportun. Le Tribunal examinera donc également cette question.

1) L’ajout du critère M57 était‑il injuste ou arbitraire?

[31] Il est bien établi qu’une institution gouvernementale est en droit d’exiger que les services qu’elle obtient correspondent aux normes les plus élevées possible, pourvu que les conditions soient justifiées par des besoins opérationnels légitimes [19] . De même, l’article 509 de l’Accord de libre‑échange canadien (ALEC) prévoit que les institutions gouvernementales ne doivent pas établir, adopter ou appliquer de spécifications techniques ayant pour but ou pour effet de créer des obstacles non nécessaires au commerce.

[32] Comme il est indiqué ci‑dessus, CTS Defence soutient que l’ajout du critère M57 était injuste et arbitraire puisqu’il empêchait apparemment les sociétés qui ne détenaient pas leurs propres CEA et certification d’OMA de soumissionner, contrairement à la pratique courante de l’industrie.

[33] TPSGC fait valoir que le critère M57 a été ajouté pour garantir que le soumissionnaire disposait de toutes les certifications nécessaires pour assurer la prestation des services prévus dans la procédure de passation du marché public. La position de TPSGC est fondée sur le principe suivant : « Les institutions fédérales ne peuvent pas se fier au fait qu’un soumissionnaire s’est engagé à assurer la prestation de certains services si la capacité de celui‑ci à le faire dépend entièrement d’une tierce partie qui n’est pas partie à la relation contractuelle avec l’institution fédérale » [traduction]. Il convient de souligner que TPSGC est d’avis que CTS Defence aurait respecté le critère M57 si elle avait soumissionné en tant que coentreprise.

[34] En réponse aux observations de TPSGC, CTS Defence fait valoir qu’elle respecte le critère M57 puisqu’elle est une société de personnes dotée de la personnalité morale. En particulier, CTS Defence soutient ce qui suit :

La responsabilité et l’exposition d’une société de personnes dotée de la personnalité morale à l’égard de ses associés sont beaucoup plus grandes que celles d’une coentreprise. C’est précisément la raison pour laquelle le gouvernement aurait davantage de recours en cas de non‑conformité s’il devait traiter avec une société de personnes dotée de la personnalité morale qu’avec une coentreprise [20] .

[Traduction]

[35] TPSGC fait également valoir que le motif de plainte de CTS Defence concernant l’ajout du critère obligatoire M57 n’a pas été invoqué dans les délais prescrits; en effet, il aurait dû être invoqué dans les 10 jours ouvrables suivant la publication de la modification 003.

CTS Defence a‑t‑elle invoqué ce motif de plainte dans les délais prescrits?

[36] Aux termes du paragraphe 6(1) du Règlement, un fournisseur potentiel doit présenter une opposition à l’institution fédérale contractante ou déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte.

[37] Lorsqu’un motif de plainte porte sur les modalités d’un appel d’offres, le Tribunal a déjà jugé qu’en l’absence de preuve du contraire, les soumissionnaires sont généralement présumés avoir reçu copie de l’appel d’offres à la date de la publication [21] .

[38] De même, le Tribunal est d’avis que, lorsque la plainte porte sur une modification des modalités d’un appel d’offres, les soumissionnaires sont généralement présumés avoir reçu copie de la modification à la date de sa publication [22] .

[39] La modification 003, qui signalait l’ajout du critère M57, a été publiée le 7 janvier 2021. Le Tribunal considère donc que les faits à l’origine de la plainte ont été découverts ou auraient dû raisonnablement être découverts par CTS Défense le 7 janvier 2021.

[40] La modification 005 a été publiée le 13 janvier 2021 à la suite de questions posées par des soumissionnaires éventuels concernant l’application du critère M57 [23] .

[41] Par conséquent, pour respecter les délais prescrits, CTS Defence aurait dû déposer une plainte auprès du Tribunal ou présenter une opposition à l’institution fédérale dans les 10 jours ouvrables suivant le 7 janvier 2021, c’est‑à‑dire au plus tard le 21 janvier 2021. Ainsi, dans la mesure où le motif de la plainte de CTS Defence concerne l’ajout du critère M57 dans les critères techniques obligatoires, le Tribunal estime qu’il est prescrit.

[42] Même si le Tribunal devait adopter l’approche la plus libérale possible et considérer que CTS Defence a découvert les faits à l’origine de la plainte lorsque la modification 005 a été publiée, la plainte n’aurait toujours pas été déposée dans les délais prévus à l’article 6 du Règlement. En effet, CTS Defence aurait dû déposer sa plainte dans les 10 jours ouvrables suivant la publication de la modification 005, le 13 janvier 2021 (c’est‑à‑dire au plus tard le 27 janvier 2021).

[43] Dans ses commentaires sur le rapport de l’institution fédérale (RIF), CTS Defence souligne que TPSGC a constamment adopté un ton négatif et fait preuve d’un manque de clarté dans ses communications, qu’il a refusé de faire preuve de transparence et qu’il y a eu une confusion apparente au sein de TPSGC concernant les exigences de l’appel d’offres. CTS Defence affirme donc qu’il était « impossible de savoir avec certitude » [traduction] comment TPSGC interpréterait sa propre exigence. Par conséquent, CTS Defence a fait certaines déclarations dans sa soumission pour encourager les discussions à la suite de l’appel d’offres si cela s’avérait nécessaire.

[44] Même à supposer qu’il ait été établi que TPSGC a bel et bien adopté le comportement que lui reproche CTS Defence, ce seul fait ne suffirait pas à libérer CTS Defence de son obligation de rester vigilante tout au long de la procédure de passation du marché public et de réagir dès qu’elle découvre ou aurait dû découvrir tout aspect de la procédure qu’elle pourrait considérer comme vicié. Un fournisseur ne peut pas adopter une attitude attentiste et faire connaître son opposition une fois que la procédure de passation du marché public est terminée et qu’il se trouve insatisfait des résultats [24] .

[45] Comme le Tribunal a conclu que ce motif de plainte est prescrit, il n’examinera pas les arguments des parties concernant la question de savoir si le critère M57 était injuste ou arbitraire. Toutefois, le Tribunal est d’avis qu’il n’était pas déraisonnable pour TPSGC d’exiger que le soumissionnaire détienne le CEA et la certification d’OMA ou qu’il entretienne une relation contractuelle quelconque avec le détenteur de la certification d’OMA de façon à garantir une responsabilité contractuelle directe entre ce détenteur et le soumissionnaire relativement à ces certifications obligatoires.

2) L’évaluation faite par TPSGC de la soumission de CTS Defence était‑elle raisonnable?

[46] Il est établi dans la jurisprudence du Tribunal que celui‑ci applique la norme du caractère raisonnable lorsqu’il examine la façon dont les soumissions ont été évaluées [25] . Plus précisément, le Tribunal ne substituera pas son jugement à celui des évaluateurs, à moins que les évaluateurs ne se soient pas appliqués à évaluer la proposition d’un soumissionnaire, qu’ils aient donné une interprétation erronée de la portée d’une exigence, qu’ils n’aient pas tenu compte de renseignements cruciaux fournis dans une soumission, qu’ils aient fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou que l’évaluation n’ait pas été effectuée d’une manière équitable du point de vue de la procédure [26] . En outre, le Tribunal a déjà indiqué qu’une évaluation sera jugée raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, et ce, même si cette explication n’est pas convaincante à ses yeux [27] .

[47] Il est également bien établi en droit que les entités contractantes doivent évaluer la conformité d’une soumission à l’égard des exigences obligatoires de façon rigoureuse et minutieuse [28] .

L’interprétation du critère M57 par TPSGC était‑elle raisonnable?

[48] CTS Defence soutient que l’interprétation du critère M57 faite par TPSGC, à savoir que la certification d’OMA et le CEA devaient tous les deux être au nom du soumissionnaire, est incompatible avec les normes de l’industrie et avec d’autres DP comportant des exigences similaires. Elle avance en outre que l’interprétation faite par TPSGC est incompatible avec le libellé du critère M57, dans lequel le terme « compagnie » est utilisé, alors qu’une coentreprise n’est pas une compagnie [29] .

[49] TPSGC soutient que le libellé du critère M57 était clair et non équivoque. TPSGC est d’avis que le critère M57, et en particulier le libellé « au même nom que la compagnie », signifie que le CEA et la certification d’OMA sur lesquels s’appuie un soumissionnaire doivent être effectivement détenus par le soumissionnaire; en d’autres termes, ils doivent être au nom de l’entité soumissionnaire. TPSGC fait également remarquer que la DP permettait explicitement aux coentreprises de soumissionner, ce qui ne créait pas d’incohérence avec le critère M57.

[50] Dans sa réponse au RIF, CTS Defence a fait valoir qu’elle n’a pas déposé de plainte au sujet du critère M57 au moment de la publication de la modification parce qu’elle estimait que le libellé du critère M57 était clair et qu’elle en respectait les modalités, selon sa compréhension du critère. Cependant, compte tenu de l’évaluation faite par TPSGC de sa soumission, CTS Defence prétend que le libellé du critère M57 était ambigu.

[51] Le Tribunal constate qu’il est difficile de savoir si ce motif de la plainte invoqué par CTS Defence est lié à un manque de clarté dans le libellé du critère M57 lui‑même ou à l’interprétation du critère M57 par les évaluateurs.

[52] Dans la mesure où la plainte de CTS Defence porte sur un manque de clarté du critère M57 lui‑même, le Tribunal a déjà conclu que les soumissionnaires ont l’obligation de demander des éclaircissements sur les exigences ou encore de présenter une opposition ou de déposer une plainte dans les délais prescrits s’ils constatent une ambiguïté évidente dans les documents d’appel d’offres [30] .

[53] Le Tribunal est d’avis que le critère M57 était bel et bien ambigu, ce qui aurait dû être évident à la lecture du critère M57 conjointement avec le reste de la DP. Un examen des modalités de l’appel d’offres révèle plusieurs clauses et dispositions touchées par la modification 003 qui étaient apparemment en contradiction avec les modalités du critère M57.

[54] Le 13 janvier 2021, TPSGC a présenté la modification 005 pour répondre aux questions des soumissionnaires éventuels, qui avaient signalé une contradiction apparente entre le critère M57 et la section 7.1.1 de l’Énoncé des travaux [31] .

[55] Par conséquent, pour des soumissionnaires, il était évident avant le 13 janvier 2021 (soit seulement six jours après la publication de la modification 003) que le critère M57 était potentiellement en contradiction avec les autres modalités de la DP.

[56] Le Tribunal souligne en outre que, malgré cette modification, il y a toujours dans certaines parties de la DP un libellé qui semble être en contradiction avec les modalités du critère M57.

[57] Plus précisément, certaines clauses du contrat subséquent indiquent toujours que l’entrepreneur et l’exploitant d’aéronefs pourraient être des organisations distinctes et que l’exploitant d’aéronefs pourrait être le détenteur du CEA et de la certification d’OMA. Par exemple, la section 7.1.2 de l’Énoncé des travaux est ainsi rédigée :

Les activités ne peuvent pas commencer tant que l’entrepreneur et l’exploitant de l’aéronef ne sont pas en possession d’une ATE valide délivré par l’autorité de navigabilité technique (ANT) et l’autorité de navigabilité opérationnelle (ANO) du MDN/FAC. [...] Par cette évaluation, le MDN/FAC accordera un crédit si l’entrepreneur et/ou l’exploitant de l’aéronef répond à au moins l’une des conditions suivantes :

  1. Être une entreprise canadienne détenant un certificat d’exploitation aérienne (AOC) valide émis par Transports Canada Aviation civile (TCAC) en vertu du RAC Partie VII.

  2. Être une entreprise canadienne approuvée par TCAC en tant qu’organisme de maintenance acceptable (OMA), ou ayant une entente avec un OMA approprié pour la maintenance de l’aéronef en question. [32]

[Nos italiques]

[58] Enfin, le Tribunal souligne que le critère M57 n’a pas été rédigé au moyen de termes définis communs et facilement accessibles à TPSGC. Par exemple, le Tribunal fait observer que d’autres critères techniques obligatoires font référence à l’entité soumissionnaire en tant qu’« entrepreneur » [33] , alors que le critère M57 utilise les termes « soumissionnaire » et « compagnie qui soumet une proposition ». Indépendamment de cette rédaction incohérente, le Tribunal est d’avis que ces termes renvoient tous deux au « soumissionnaire » ou à l’« entrepreneur ».

[59] Le Tribunal conclut donc que le critère M57 était ambigu et que cette ambiguïté était évidente à la lecture de la DP. Dans la mesure où la plainte de CTS Defence porte plutôt sur le manque de clarté du libellé du critère M57, le Tribunal estime que CTS Defence aurait donc dû demander des éclaircissements, présenter une opposition ou déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la publication de la modification 003 le 7 janvier 2021.

[60] Toutefois, puisque CTS Defence aurait pris connaissance d’un motif de plainte concernant l’évaluation seulement après avoir reçu sa lettre de refus, le Tribunal cherchera également à déterminer si les évaluateurs ont fait une interprétation raisonnable du critère M57 lors de l’évaluation de sa soumission.

[61] Il est établi dans la jurisprudence du Tribunal que les documents d’appel d’offres sont interprétés selon les règles d’interprétation des contrats [34] . Ainsi, les modalités des documents d’appel d’offres sont interprétées selon leur sens ordinaire dans le contexte dans lequel elles sont utilisées [35] . Qui plus est, comme la Cour suprême l’a affirmé dans l’arrêt Tercon Contractor, « une clause contractuelle ne doi[t] pas être considérée isolément[,] mais en harmonie avec les autres et à la lumière de son objet et du contexte commercial dans lequel elle s’inscrit [36] ».

[62] Par conséquent, le Tribunal doit en l’espèce interpréter l’expression « au même nom que la compagnie » dans le contexte de la DP.

[63] Le Tribunal estime que les modalités de l’appel d’offres permettaient expressément aux soumissionnaires de soumissionner en tant que coentreprises. En particulier, la section 5.1.1.2 de la pièce jointe 3 de la partie 3 (Attestations et renseignements supplémentaires) exige du soumissionnaire qu’il indique s’il soumissionne en tant que coentreprise [37] . En outre, les dispositions du document 2003 (2020‑05‑28), Instructions uniformisées – biens ou services – besoins concurrentiels (Instructions uniformisées) avaient été incorporées par renvoi dans la DP. Les Instructions uniformisées définissent précisément le « soumissionnaire » comme « la personne ou l’entité (ou dans le cas d’une coentreprise, les personnes ou les entités) qui dépose une soumission pour l’exécution d’un contrat de biens, de services ou les deux [38] » [nos italiques].

[64] La section 5.1.1.2. de la pièce jointe 3 de la partie 3 n’a pas été modifiée à la suite de l’ajout du critère M57. Comme il est indiqué plus haut, le libellé d’une disposition ne doit pas être lu isolément, mais doit être considéré en harmonie avec le reste de la DP. Si l’on devait donner au critère M57 l’interprétation qu’en fait CTS Defence, à savoir que les coentreprises ne sont pas autorisées, la section 5.1.1.2 de la pièce jointe 3 de la partie 3 serait vidée de tout son sens. Une interprétation cohérente de la DP appuie donc l’interprétation de TPSGC selon laquelle la « compagnie » mentionnée au critère M57 peut comprendre une coentreprise.

[65] En outre, le Tribunal ne sait pas si CTS Defence croyait que les coentreprises étaient autorisées pendant la procédure de passation du marché public. Dans sa soumission, CTS Defence indique qu’elle « a commencé à craindre que la structure en coentreprise ne soit plus privilégiée par le Canada » [traduction] et qu’elle a reçu des conseils d’experts selon lesquels sa structure actuelle était le « moyen le plus sûr » [traduction] de respecter le critère M57 [39] . Encore une fois, dans la mesure où CTS Defence ne savait pas si le critère M57 l’empêchait ou non de présenter une soumission à titre de coentreprise, il lui incombait de demander des précisions à l’entité contractante pendant la procédure de passation du marché public.

[66] La même approche d’interprétation doit être adoptée pour évaluer s’il était raisonnable pour TPSGC d’interpréter que le critère M57 exigeait que le CEA et la certification d’OMA soient au nom du soumissionnaire. Un examen des modalités de l’appel d’offres révèle que le critère obligatoire 54 (M54) exige également que la certification d’OMA soit détenue par le soumissionnaire (ou l’entrepreneur). Le critère M54 est ainsi libellé :

M54

L’entrepreneur est un OMA TCAC accrédité par sous-partie 73 RAC; 7.1.2 A,B [40]

[67] Ce critère renvoie à la section 7.1.2 de l’Énoncé des travaux, qui a été présentée ci‑dessus. Une interprétation ordinaire du critère M54, conjointement avec la section 7.1.2, fait voir clairement qu’un soumissionnaire peut satisfaire à l’exigence de la certification d’OMA s’il a une entente avec un OMA approprié.

[68] Le Tribunal constate que l’interprétation du critère M57 avancée par TPSGC ferait perdre au sous‑alinéa b. de la section 7.1.2 tout son sens. Une telle interprétation serait donc incompatible avec une interprétation cohérente de la DP et avec le sens courant des mots qui sont utilisés dans la DP.

[69] Le Tribunal fait également remarquer que les listes de contrôle incluses dans la DP contiennent un libellé qui laisse penser que le CEA et la certification d’OMA peuvent être détenus par des organisations distinctes. Par exemple, dans la « Liste de contrôle de la vérification de l’ANT pour l’organisation de l’ATE », le point ID 1 est libellé de la façon suivante : « L’entreprise est‑elle une organisation acceptable (exploitant aérien et/ou service de maintenance)? [41] » [nos italiques].

[70] À ce titre, de l’avis du Tribunal, une interprétation cohérente des modalités de la DP révèle qu’un OMA peut être « au même nom » que le soumissionnaire aux fins du critère M57, à la condition que le soumissionnaire puisse démontrer qu’il a une entente avec un OMA approprié. Le Tribunal considère que le terme « entente » fait référence aux ententes contractuelles. À ce titre, l’interprétation faite par TPSGC du critère M57 en ce qui concerne l’exigence d’un OMA n’était pas raisonnable.

[71] Toutefois, en ce qui concerne le CEA, le Tribunal souligne que le sous‑alinéa a. de la section 7.1.2 ne contient aucune référence à une entente. La section 7.1.2 précise plutôt que la société doit détenir un CEA.

[72] En outre, le Tribunal estime que la modification 003, lue conjointement avec la modification 005, indique clairement que la DP ne permettra plus que le CEA soit détenu par une tierce partie (c’est‑à‑dire une partie qui n’est pas le soumissionnaire).

[73] Le Tribunal estime donc que l’interprétation faite par TPSGC du critère M57 en ce qui concerne le CEA était raisonnable.

[74] Le Tribunal comprend que CTS Defence est d’avis que l’expression « au même nom que la compagnie » aurait dû être interprétée de façon plus large pour qu’elle signifie que les certifications pouvaient être détenues par des sociétés affiliées du soumissionnaire étant donné qu’il s’agit d’une pratique courante dans l’industrie que des sociétés détiennent les certifications pertinentes dans une structure similaire à la sienne. En d’autres termes, CTS Defence soutient que le critère M57 devait être interprété à la lumière des normes de l’industrie.

[75] Le Tribunal souligne que CTS Defence n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer ses affirmations. Néanmoins, même si CTS Defence avait produit des éléments de preuve à l’appui de ses affirmations, cet argument n’aurait pas pu être retenu. Une telle interprétation n’est pas étayée par les modalités de la DP eu égard aux principes d’interprétation des contrats énoncés ci‑dessus.

[76] En résumé, le Tribunal conclut que le critère M57 ne peut être raisonnablement interprété d’une façon qui signifie que la certification d’OMA et le CEA doivent tous deux être au nom du soumissionnaire. Plus précisément, le Tribunal conclut que l’interprétation faite par TPSGC, à savoir que le critère M57 excluait la possibilité que l’exigence relative à la certification d’OMA puisse être satisfaite si le soumissionnaire démontrait qu’une entente contractuelle valide existait entre le détenteur de la certification d’OMA et le soumissionnaire, était déraisonnable. Le Tribunal conclut toutefois que l’interprétation du critère M57 par TPSGC en ce qui concerne le CEA était raisonnable compte tenu des critères de la DP, interprétés de façon cohérente dans leur ensemble.

L’application du critère M57 par TPSGC était‑elle raisonnable?

[77] Le critère M57 exigeait qu’il soit démontré que le CEA et la certification d’OMA correspondants étaient « au même nom que la compagnie qui soumet une proposition ».

[78] Il ne fait aucun doute que CTS Defence est elle-même le soumissionnaire [42] . Le Tribunal doit donc déterminer si l’évaluation faite par TPSGC de la soumission de CTS Defence était raisonnable à la lumière de ce qu’il a jugé être une interprétation raisonnable du critère M57, comme il l’a indiqué ci‑dessus.

[79] TPSGC soutient que la soumission de CTS Defence ne contenait aucune information qui aurait pu permettre aux évaluateurs de conclure que la certification d’OMA ou le CEA étaient « au même nom que la compagnie qui soumet une proposition » aux fins du critère M57. Le Tribunal comprend que l’argumentation de TPSGC porte principalement sur le fait que la certification d’OMA et le CEA n’étaient pas au nom du soumissionnaire. Selon TPSGC, ce seul fait était suffisant pour établir que la soumission de CTS Defence était non conforme.

[80] Le Tribunal estime qu’il ne s’agit pas d’une application raisonnable du critère M57. Le Tribunal a conclu que le critère M57 ne pouvait être raisonnablement interprété d’une manière qui signifiait que l’exigence de la certification d’OMA pouvait être satisfaite uniquement si la certification d’OMA était au nom du soumissionnaire.

[81] Par conséquent, le Tribunal estime que, contrairement aux allégations de TPSGC, une démonstration des relations contractuelles entre le soumissionnaire et le détenteur de la certification d’OMA aurait été pertinente pour évaluer si CTS Defence avait respecté le critère M57.

[82] CTS Defence prétend avoir clairement expliqué dans sa soumission comment le CEA et la certification d’OMA étaient détenus au sein de la société.

[83] Un examen de la soumission de CTS Defence révèle qu’elle a bel et bien expliqué qu’elle était détenue conjointement par trois sociétés : Canada Training Solutions Inc., Business Aviation Services et Take Flight Group. La soumission indique également que Take Flight Group possède à la fois Air Partners Corp., qui détient le CEA que CTS Defence avait l’intention d’utiliser, et Aircraftworks Ltd, qui détient la certification d’OMA qu’elle comptait utiliser [43] .

[84] Le CEA et la certification d’OMA étaient aussi joints en annexe à la soumission de CTS Defence et démontraient qu’ils étaient détenus respectivement par Air Partners Corp. et Aircraftworks Ltd [44] .

[85] Le Tribunal estime que la soumission de CTS Defence ne démontrait pas que celle‑ci était la détentrice du CEA. Le fait qu’une tierce partie détienne le CEA (même s’il s’agit d’une partie affiliée) ne permettait pas au soumissionnaire de respecter l’exigence selon laquelle il devait être le détenteur de la certification.

[86] Le Tribunal souligne également que la soumission de CTS Defence ne comportait aucune démonstration de l’existence d’une relation contractuelle avec Aircraftworks Ltd, la détentrice de la certification d’OMA, ni aucune affirmation à cet égard. Le Tribunal est d’avis qu’il fallait apporter la preuve de l’existence d’une relation contractuelle pour respecter les exigences des critères M54 et M57 en ce qui concerne la certification d’OMA. Le fait qu’une tierce partie détienne la certification d’OMA (même s’il s’agit d’une partie affiliée) ne permettait pas au soumissionnaire de respecter l’exigence selon laquelle il devait être le détenteur de la certification ou avoir une entente avec celui-ci.

[87] Le Tribunal estime donc que CTS Defence ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer de quelle manière sa soumission respectait le critère M57.

[88] CTS Defence remet aussi en question le fait que TPSGC n’a pas demandé d’éclaircissements après la présentation de la soumission. Elle souligne que des éclaircissements et des modifications mineures sont régulièrement demandés aux soumissionnaires au cours de la période qui suit la présentation des soumissions et de la période d’évaluation.

[89] La jurisprudence du Tribunal établit ce qui suit : « [b]ien que, dans certaines circonstances limitées, les évaluateurs soient autorisés à chercher des clarifications ou la vérification de renseignements contenus dans les propositions, on leur demande généralement de prendre leurs décisions à partir de ce qui se trouve dans les propositions qu’ils ont devant eux [45] ». Dans cette optique, il est bien établi en droit que les soumissionnaires ont la responsabilité de s’assurer que tous les documents à l’appui de leur soumission démontrent clairement que celle‑ci respecte les exigences [46] .

[90] Il incombait donc à CTS Defence de fournir suffisamment de renseignements dans sa soumission pour démontrer qu’elle détenait le CEA et la certification d’OMA. On ne peut reprocher à TPSGC de ne pas avoir communiqué avec CTS Defence au cours du processus d’évaluation pour obtenir des précisions sur les renseignements figurant dans sa soumission.

[91] En résumé, le Tribunal conclut que l’évaluation de TPSGC selon laquelle la soumission de CTS Defence était non conforme était raisonnable

3) L’ajout du critère M57 était‑il injuste parce les fournisseurs n’ont pas eu suffisamment de temps pour y répondre?

[92] L’article 511 de l’ALEC exige des entités contractantes qu’elles accordent un délai raisonnable aux fournisseurs pour préparer et présenter des soumissions recevables [47] . De la même façon, l’article 510 de l’ALEC précise que, si une entité contractante modifie les critères d’évaluation ou les exigences énoncés dans la documentation relative à l’appel d’offres, il doit proroger, selon qu’il est approprié, le délai de présentation des soumissions pour permettre aux fournisseurs d’apporter des modifications et de présenter les soumissions modifiées [48] .

[93] Dans sa plainte, CTS Defence fait valoir que l’ajout du critère M57 n’a pas permis aux sociétés d’avoir suffisamment de temps pour présenter des soumissions recevables. CTS Defence affirme que les soumissionnaires éventuels ont eu environ deux semaines pour répondre au critère M57 et qu’ils n’ont eu aucune justification pour cette modification ni aucun détail sur la façon dont ce critère allait être interprété.

[94] Dans ses commentaires sur le RIF, CTS Defence souligne qu’elle n’avait pas prévu que TPSGC aurait accepté une structure en coentreprise. CTS Defence reconnaît qu’elle aurait pu réorganiser la structure en coentreprise en moins de 24 heures en engageant des dépenses « nulles et négligeables [49] » [traduction].

[95] Comme il a été indiqué ci‑dessus, le Tribunal a conclu que le libellé du critère M57 n’empêchait pas les sociétés de soumissionner en tant que coentreprises.

[96] Compte tenu de cette conclusion, le Tribunal est d’avis que les soumissionnaires ont eu suffisamment de temps pour répondre au critère M57. Par conséquent, le Tribunal conclut que TPSGC n’a pas contrevenu aux articles 510 ou 511 de l’ALEC.

DÉCICION

[97] Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte n’est pas fondée.

FRAIS

[98] Chaque partie a demandé que le Tribunal lui accorde les frais.

[99] Le Tribunal accorde généralement les frais à la partie qui a gain de cause, comme le prévoit la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public. Le Tribunal possède néanmoins un grand pouvoir discrétionnaire quant à l’octroi des frais, en vertu de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE.

[100] Pour déterminer s’il y a lieu d’accorder les frais à la partie ayant gain de cause en l’espèce, le Tribunal tient compte du fait qu’il ne souscrit pas à l’argument de TPSGC selon lequel le critère M57 n’était pas ambigu, et ce, même s’il a conclu que la plainte n’était pas valide pour les motifs susmentionnés. Le Tribunal invite TPSGC à faire preuve de plus de prudence dans la rédaction et la modification des dispositions des documents d’appel d’offres. Il devrait notamment fournir des justifications pour les modifications et, au besoin, des détails sur la façon dont les modifications doivent être interprétées.

[101] En pratique, le Tribunal comprend que les lacunes dans la rédaction des documents d’appel d’offres ont contribué à la décision de CTS Defence de déposer sa plainte. Ainsi, si le critère M57 avait été rédigé de façon claire, CTS Defence n’aurait peut-être pas décidé de déposer une plainte.

[102] En outre, si le dépôt de la plainte concernant l’ajout du critère M57 n’avait pas été prescrit, le Tribunal aurait examiné cette allégation et conclu que, même si le critère M57 n’était pas injuste ou arbitraire comme l’a allégué CTS Defence, il manquait à tout le moins de clarté et a semé la confusion chez les soumissionnaires. Par conséquent, en dépit de l’issue de la plainte, le Tribunal estime que les lacunes dans la rédaction de la DP étaient importantes.

[103] Le Tribunal exerce donc son pouvoir discrétionnaire en tant que cour d’archives et décide que chaque partie assumera les frais qu’elle a engagés dans le cadre de la procédure.

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre présidant

 



[1] Pièce PR-2020-102-12A à la p. 108.

[2] La date du 7 janvier 2021 figure sur la page couverture de la modification; voir la pièce PR-2020-102-06A à la p. 97. Dans ses commentaires sur le RIF, TPSGC indique aussi que la modification 003 a été publiée le 7 janvier 2021; voir la pièce PR-2020-102-012 à la p. 4. Toutefois, l’avis d’appel d’offres publié sur le site Web Achatsetventes.gc.ca, qui n’a pas été versé au dossier de la présente procédure, indique que cette modification a été publiée le 11 janvier 2021. Rien ne dépend ce cette divergence apparente de quatre jours.

[3] Pièce PR-2020-102-06A à la p. 101.

[4] Pièce PR-2020-102-01 aux p. 107, 108.

[5] Ibid. à la p. 108.

[6] Ibid.

[7] Ibid. aux p. 129-259.

[8] Ibid. à la p. 179.

[9] Ibid. aux p. 234-257.

[10] Ibid. aux p. 109-110.

[11] Ibid. aux p. 111-114.

[12] Ibid. à la p. 115.

[13] CTS Defence Inc. (19 mars 2021), PR-2020-094 (TCCE).

[14] Pièce PR-2020-102-01 à la p. 278.

[15] Pièce PR-2020-102-01.

[16] L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[17] Pièce PR-2020-102-11.

[18] DORS/93-602 [Règlement].

[19] 2484726 Ontario Inc. s/n Brion Raffoul (4 mars 2021), PR-2020-064 (TCCE) au par. 38; Almon Equipment Limited c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (3 janvier 2012), PR‑2011‑023 (TCCE) au par. 62. Le Tribunal a déjà indiqué que les besoins opérationnels légitimes doivent être raisonnables, c.-à-d. qu’ils ne sont pas impossibles à satisfaire. Voir, par exemple, Horizon Maritime Services Ltd. / Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. (2 janvier 2019), PR-2018-023 au par. 77; Springcrest Inc. (21 novembre 2016), PR-2016-021 (TCCE) au par. 53.

[20] Pièce PR-2021-102-015 à la p. 5. Le Tribunal fait remarquer que CTS Defence est une société constituée en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions le 5 janvier 2021. Voir en ligne : <https://www.ic.gc.ca/app/scr/cc/CorporationsCanada/fdrlCrpDtls.html?VˍTOKEN=null&metricsld=GTM-WQQH22>. Une cour de justice peut tenir pour avérés sans exiger de preuve à l’appui : « (1) les faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables; (2) ceux dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable ». Voir R. c. Krymowski, [2005] 1 RCS 101 au par. 22; R. c. Find, [2001] 1 RCS 863, 2001 CSC 32 au par. 48. Le Tribunal est d’avis que ces renseignements appartiennent à la dernière catégorie.

[21] Smiths Detection Montreal Inc. (5 août 2020), PR-2020-016 (TCCE) au par. 16. Voir aussi Storeimage c. Musée canadien de la nature (18 janvier 2013), PR-2012-015 (TCCE) au par. 23; Temprano and Young Architects Inc. (26 février 2019), PR-2018-036 (TCCE) au par. 23.

[22] Re 1075773 Ontario Inc. (ctc TrainCanada) (23 juillet 2007), PR-2007-026 (TCCE).

[23] Pièce PR-2020-102-01 aux p. 107, 108.

[24] Temprano and Young Architects Inc. c. Commission de la capitale nationale (26 février 2019), PR-2018-036 (TCCE) aux par. 21, 22; IBM Canada c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., 2002 CAF 284 aux par. 20, 28.

[25] Horizon Maritime Services Ltd./Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (2 janvier 2019), PR-2018-023 (TCCE) au par. 45. Ce principe est affirmé dans Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. c. Atlantic Towing Limited, 2021 CAF 26 au par. 70.

[26] Voir, par exemple, Samson & Associates c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (13 avril 2015), PR-2014-050 (TCCE) au par. 35; Northern Lights Aerobatic Team, Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (7 septembre 2005), PR-2005-004 (TCCE) au par. 52; Excel Human Resources Inc. c. Ministère de l’Environnement (2 mars 2012), PR-2011-043 (TCCE) au par. 33.

[27] Ibid.

[28] Falcon Environmental Inc. (11 janvier 2021) PR-2020-034 (TCCE) [Falcon Environmental] au par. 63; Siemens Westinghouse Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2000 CanLII 15611 (FCA) au par. 18.

[29] Pièce PR-2020-102-15 à la p. 7.

[30] Ibid.

[31] Pièce PR-2020-102-01 à la p. 108.

[32] Pièce PR-2020-102-12A à la p. 45. Voir aussi l’alinéa 7.1.10 de l’Énoncé des travaux, pièce PR-2020-102-12A à la p. 47.

[33] Voir M53 à M55, qui font partie de la section intitulée « Entrepreneur obligatoire » et où le terme « entrepreneur » est utilisé. Par exemple, les parties pertinentes de M53 sont énoncées comme suit : « L’entrepreneur doit avoir au moins deux ans d’expérience [...] » [nos italiques]. Voir la pièce PR-2020-102-06A à la p. 13.

[34] Kileel Developments Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (4 avril 2019), PR‑2018-042 (TCCE) au par. 60, affirmé dans Kileel Developments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 163. Voir aussi StenoTran Services Inc. and Atchison & Denman Court Reporting Services Ltd. c. Service administratif des tribunaux judiciaires (15 avril 2016), PR-2015-043 (TCCE) au par. 39; Microsoft Canada Co., Microsoft Corporation, Microsoft Licensing, GP et Softchoice Corporation c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (12 mars 2010), PR-2009-056 (TCCE) au par. 50; Siemens Westinghouse Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2000 CanLII 15611 (CAF); Ready John Inc. c. Canada (Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2004 CAF 222 (CanLII) au par. 35; Bergevin c. Canada (Agence de Développement international), 2009 CAF 18 (CanLII) aux par. 17-22.

[35] Ibid.

[37] Pièce PR-2020-102-06A à la p. 18.

[38] Pièce PR-2020-102-12A à la p. 123.

[39] Pièce PR-2020-102-01 à la p. 179.

[40] Pièce PR-2020-102-06A à la p. 13.

[41] Ibid. à la p. 71. En outre, la « Liste de contrôle pour la vérification initiale de l’DEN » comporte diverses références au terme « exploitant aérien »; voir PR-2020-102-06A à la p. 57.

[42] Pièce PR-2020-102-15 à la p. 8.

[43] Pièce PR-2020-102-01 à la p. 137.

[44] Pièce PR-2020-102-001 aux p. 234-257.

[45] Falcon Environmental au par. 65, citant Re Plainte déposée par Southern California Safety Institute, Inc. (22 décembre 2003), PR-2003-047 (TCCE) à la p. 7.

[46] Falcon Environmental au par. 64; Valcom Consulting Group Inc. (14 juin 2017), PR-2016-056 (TCCE) au par. 54.

[47] L’article 510.2 de l’ALEC prévoit ce qui suit :

Si, avant la date limite pour la présentation des soumissions, une entité contractante modifie les critères d’évaluation ou les prescriptions énoncés dans la documentation relative à l’appel d’offres, ou modifie ou fait paraître de nouveau un avis d’appel d’offres ou la documentation relative à l’appel d’offres, l’entité contractante :

a) d’une part, publie les modifications ou la documentation relative à l’appel d’offres ou l’avis d’appel d’offres tels qu’ils ont été modifiés ou sont parus de nouveau sur le site Web ou le système d’appel d’offres utilisé par l’entité contractante;

b) d’autre part, proroge, selon qu’il est approprié, le délai de présentation des soumissions pour permettre aux fournisseurs d’apporter des modifications et de représenter les soumissions modifiées.

 

[48] L’article 511 de l’ALEC prévoit ce qui suit :

Une entité contractante accorde, d’une manière compatible avec ses besoins raisonnables, un délai raisonnable aux fournisseurs pour préparer et présenter des soumissions valables, compte tenu de facteurs tels que :

a) la nature et la complexité du marché;

b) l’importance des sous-traitances anticipées;

c) le temps nécessaire pour l’acheminement de la documentation relative à l’appel d’offres par voie non électronique.

[49] Pièce PR-2020-102-15 à la p. 2.

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