Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2020-079

The AIM Group Inc.

c.

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Décision et motifs rendus
le lundi 7 juin 2021

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par The AIM Group Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

THE AIM GROUP INC.

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (Loi sur le TCCE), le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux une indemnité raisonnable pour les frais engagés pour répondre à la plainte, indemnité qui doit être versée par The AIM Group Inc. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public (Ligne directrice), le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la plainte correspond au degré 1 et que le montant de l’indemnité est de 1 150 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui concerne la détermination provisoire du degré de complexité et du montant de l’indemnité, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.

Frédéric Seppey

Frédéric Seppey
Membre présidant


 

Membre du Tribunal :

Frédéric Seppey, membre présidant

Conseillères juridiques du Tribunal :

Jessye Kilburn, conseillère juridique
Clare Gover, stagiaire en droit

Partie plaignante :

The AIM Group Inc.

Conseillères juridiques de la partie plaignante :

Tegan O’Brien
Brenda Swick

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillères juridiques de l’institution fédérale :

Sonia Akibo-Betts
Gabrielle Thompson

Partie intervenante :

Tiree Facility Solutions Inc.

Conseillers juridiques de la partie intervenante :

Paul Lalonde
Sean Stephenson

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] La présente plainte concerne une demande de propositions (DP) publiée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (MAECD) en vue de la prestation de services de soutien à la gestion de projet (appel d’offres no 08C39-180460/A). Une plainte déposée antérieurement par The AIM Group Inc. (AIM) relativement à la même DP avait été jugée prématurée par le Tribunal puisque la partie plaignante n’avait pas encore reçu de réponse à son opposition présentée à l’institution fédérale [1] .

[2] AIM conteste l’intégrité du processus de passation du marché public et affirme que les résultats n’ont pas offert le meilleur rapport qualité-prix à l’État. La soumission présentée par AIM a été classée au deuxième rang et AIM s’est vu accorder un contrat d’une valeur considérablement plus basse que la valeur du contrat adjugé au soumissionnaire dont la soumission a été classée au premier rang, Colliers Project Leaders Inc., Tiree Facility Solutions Inc. en coentreprise (Tiree). AIM soutient que le droit de premier refus accordé au soumissionnaire classé au premier rang est injuste, et que la différence entre la valeur du premier contrat et celle du deuxième est injustifiable puisque Tiree n’a obtenu que quelques points de plus qu’AIM.

[3] Plus précisément, AIM soulève les cinq motifs de plainte suivants [2] :

i. Contradiction dans les annonces des soumissionnaires classés aux premier et deuxième rangs

ii. Légitimité de l’évaluation technique

iii. Écart entre la valeur du contrat adjugé au soumissionnaire classé au premier rang (Tiree) et la valeur du contrat adjugé au soumissionnaire classé au deuxième rang (AIM)

iv. Méthode d’administration du contrat empêchant AIM de recevoir des autorisations de tâches

v. Conséquences de la méthode de classement et de la présence de la clause relative aux contrats multiples dans la DP

[4] Pour les motifs exposés ci-après, le Tribunal conclut que la plainte d’AIM n’est pas fondée.

CONTEXTE

[5] L’appel d’offres a été publié le 12 août 2020 sur le site Web Achatsetventes.gc.ca, et la date de clôture était le 16 septembre 2020.

[6] Le 17 novembre 2020, TPSGC a adjugé des contrats aux soumissionnaires qui s’étaient classés aux premier et deuxième rangs (contrat no 08C39-180460/002/ZV). Au départ, TPSGC avait informé AIM que Tiree s’était classée au deuxième rang [3] . Toutefois, plus tard dans la même journée, TPSGC a informé AIM que l’annonce initiale était erronée et qu’en fait Tiree s’était classée au premier rang et AIM s’était classée au deuxième rang. La valeur estimative du contrat adjugé à Tiree était de 2 360 000 $ alors que celle du contrat adjugé à AIM était de 153 000 $ [4] .

[7] Entre le 17 et le 19 novembre 2020, AIM et le MAECD ont entretenu une correspondance afin de confirmer les détails du contrat et discuter des raisons expliquant l’écart marqué entre la valeur des deux contrats [5] .

[8] Le 30 novembre 2020, le MAECD a confirmé que la valeur des contrats était juste. Il a aussi confirmé que, selon la DP, le soumissionnaire classé au deuxième rang ne peut proposer de candidats en vue d’accomplir l’autorisation de tâches que lorsque le soumissionnaire classé au premier rang a exercé son « droit de premier refus [6] » [traduction].

[9] AIM a discuté de nouveau des détails du contrat avec le MAECD, puis avec TPSGC, entre le 30 novembre et le 23 décembre 2020 [7] .

[10] Le 23 décembre 2020, AIM a demandé à TPSGC de fournir un compte rendu [8] . Le 24 décembre 2020, TPSGC a répondu à la demande d’AIM en lui transmettant une copie de l’évaluation technique de la soumission d’AIM, sans toutefois inclure de précisions quant à son évaluation financière [9] .

[11] Le 24 décembre 2020, après avoir reçu le compte rendu, AIM a envoyé un courriel à TPSGC pour s’opposer à l’adjudication du contrat, alléguant que le processus d’évaluation n’avait pas permis à l’État d’obtenir le meilleur rapport qualité-prix, et pour demander que sa soumission soit évaluée à nouveau [10] .

[12] Le 18 janvier 2021, AIM a déposé sa plainte initiale auprès du Tribunal (dossier no PR‑2020‑077). Le 26 janvier 2021, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte au motif qu’elle était prématurée, TPSGC n’ayant pas encore refusé réparation à AIM en réponse à son opposition [11] .

[13] Le 26 janvier 2021, AIM a avisé le Tribunal que, depuis le dépôt de sa plainte initiale, TPSGC lui avait en fait refusé réparation, et elle a demandé que le Tribunal rouvre sa plainte. AIM a envoyé un courriel montrant que, le 22 janvier 2021, TPSGC avait fourni une réévaluation de toutes les soumissions dans laquelle elle avait conclu que les notes financières de tous les soumissionnaires auraient dû être plus élevées, mais qu’ultimement cela n’avait pas eu d’incidence sur le classement global des soumissions [12] .

[14] Le 27 janvier 2021, le Tribunal a informé AIM qu’il ne pouvait pas rouvrir la plainte initiale, mais qu’il ouvrirait une nouvelle plainte et qu’il joindrait le dossier de la première plainte à celui de la deuxième plainte. Le Tribunal a demandé à AIM d’indiquer si elle voulait présenter d’autres documents dans le cadre de la deuxième plainte. Le 27 janvier 2021, AIM a confirmé qu’elle avait présenté tous les documents pertinents. Le 28 janvier 2021, le Tribunal a confirmé que la plainte d’AIM était complète en date de la veille [13] .

[15] Le 4 février 2021, le Tribunal a avisé AIM qu’il avait décidé d’enquêter sur une partie de la plainte. Le Tribunal a souligné qu’il n’enquêterait pas sur les deux motifs suivants de la plainte, car ils ne démontraient pas, dans une mesure raisonnable, qu’un accord de libre-échange avait été violé : 1) l’allégation de contradiction dans les annonces des rangs des soumissionnaires; et 2) la remise en question de la légitimité du processus d’évaluation [14] .

[16] Le 23 février 2021, Tiree a demandé l’autorisation d’intervenir dans le cadre de la plainte. Le 26 février 2021, le Tribunal lui a accordé le statut d’intervenant [15] .

[17] Le 3 mars 2021, TPSGC a déposé son Rapport de l’institution fédérale (RIF) [16] . Le 8 mars 2021, Tiree a fait part de ses commentaires sur le RIF [17] .

[18] Le 11 mars 2021, AIM a demandé une prorogation du délai pour faire part de ses commentaires sur le RIF parce qu’elle venait tout juste de retenir les services d’un conseiller juridique. Le 11 mars 2021, le Tribunal a accordé la prorogation. Le 19 mars 2021, AIM a déposé ses observations sur le RIF [18] .

[19] Le 9 avril 2021, le Tribunal a décidé de prolonger son enquête à 135 jours, aux termes de l’alinéa 12c) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [19] , en raison du délai supplémentaire requis afin de permettre 1) à l’intervenant de déposer ses observations; et 2) au plaignant de faire part de ses commentaires sur le RIF et sur les observations de l’intervenant.

ANALYSE DU TRIBUNAL

[20] AIM a soulevé cinq motifs de plainte. Au début de la procédure, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur les deux premiers motifs de plainte. Il a enquêté sur les trois autres motifs de la plainte, mais a finalement décidé que ces trois motifs n’étaient pas valables. Le Tribunal rejette donc la plainte d’AIM.

[21] AIM affirme que les accords commerciaux pertinents sont l’Accord de libre-échange canadien [20] et l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce [21] . Le Tribunal remarque qu’AIM est domiciliée au Canada et peut donc se prévaloir de l’ALEC.

[22] Bien qu’AIM n’ait pas fait référence à des dispositions précises des accords commerciaux dans sa plainte initiale, elle soutient dans sa réponse au RIF que le marché public a enfreint les dispositions suivantes :

i. Article 503.1 de l’ALEC : « Une entité contractante ne prépare, élabore ou autrement structure un marché, ni choisit une méthode d’évaluation ou fractionne les prescriptions d’un marché en vue de se soustraire aux obligations prévues au présent accord. [...] ».

ii. Article 515.1 de l’ALEC : « Une entité contractante reçoit, ouvre et traite toutes les soumissions selon des procédures qui garantissent l’équité et l’impartialité du processus de passation des marchés, ainsi que la confidentialité des soumissions ».

iii. Article 515.5 de l’ALEC : « [...] l’entité contractante adjuge le marché au fournisseur dont elle a déterminé qu’il est capable de satisfaire aux modalités du marché et qui, uniquement sur la base des critères d’évaluation spécifiés dans les avis d’appel d’offres et la documentation relative à l’appel d’offres, a présenté : a) soit la soumission la plus avantageuse; b) soit, si le prix est le seul critère, le prix le plus bas ».

iv. Article IV(4) de l’AMP-OMC : « Une entité contractante procédera à la passation de marchés couverts d’une manière transparente et impartiale qui : a) est compatible avec le présent accord, au moyen de méthodes telles que l’appel d’offres ouvert, l’appel d’offres sélectif et l’appel d’offres limité [...] ».

v. Article XV(1) de l’AMP-OMC : « Une entité contractante recevra, ouvrira et traitera toutes les soumissions selon des procédures qui garantissent l’équité et l’impartialité du processus de passation des marchés, ainsi que la confidentialité des soumissions ».

Motifs de plainte rejetés aux fins d’enquête

Motif 1 – Contradiction dans les annonces des rangs des soumissionnaires

[23] AIM indique qu’au départ, TPSGC l’a informée que Tiree était le soumissionnaire classé au deuxième rang [22] . AIM en a déduit qu’elle était le soumissionnaire classé au premier rang. Toutefois, plus tard ce jour-là, TPSGC a fait savoir à AIM que l’annonce initiale était erronée : Tiree s’était classée au premier rang et AIM s’était classée au deuxième rang. AIM soutient que ces annonces contradictoires l’ont amenée à remettre en question l’intégrité des résultats de l’appel d’offres.

[24] AIM n’a présenté aucun élément de preuve permettant de conclure que cet incident était autre chose qu’une simple erreur commise par inadvertance. Selon le Tribunal, cet incident ne soulève aucune préoccupation quant à l’intégrité du processus de passation du marché public, comme le prétend AIM. Le Tribunal ne voit aucune indication que cet incident était autre chose qu’une erreur d’écriture, que TPSGC a corrigée rapidement. Comme ces faits n’ont pas permis de démontrer, dans une mesure raisonnable, que les accords commerciaux avaient été violés, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur ce motif de la plainte [23] .

Motif 2 – Légitimité du processus d’évaluation

[25] Au départ, AIM a soutenu qu’une réévaluation complète par un tiers était justifiée, étant donné que Tiree avait obtenu quelques points de plus qu’AIM [24] . Par la suite, AIM a présenté les résultats de la réévaluation menée par TPSGC, dans laquelle TPSGC avait conclu que tous les soumissionnaires auraient dû obtenir une note financière plus élevée, mais que le classement des soumissions demeurait le même [25] .

[26] Le Tribunal a décidé de ne pas mener d’enquête sur l’évaluation des soumissions, car les arguments et les éléments de preuve d’AIM à l’égard de ce motif ne démontraient pas, dans une mesure raisonnable, qu’un accord commercial avait été violé [26] . AIM n’a pas présenté d’arguments précis démontrant qu’elle aurait dû obtenir plus de points ou que Tiree aurait dû en obtenir moins, malgré le fait qu’elle ait reçu une analyse complète de sa note à l’évaluation technique.

[27] Le Tribunal n’a pas pour rôle de mener sa propre évaluation des soumissions ou de les réévaluer. Le Tribunal doit déterminer si l’évaluation était raisonnable, en accordant crédit à l’expertise des évaluateurs et en ne formulant des recommandations que lorsqu’une décision est déraisonnable compte tenu des critères de l’appel d’offres [27] . Comme AIM n’a pas soulevé de question précise relativement à l’interprétation des exigences de la DP par TPSGC ou à l’attribution des points, le Tribunal ne voit pas d’indication raisonnable d’une violation des accords commerciaux.

Motifs de plainte accueillis aux fins d’enquête

Motif 3 – Écart entre la valeur des contrats adjugés

[28] AIM soutient qu’il y a un écart injustifié entre la valeur du contrat adjugé à Tiree et celle du contrat qui lui a été adjugé, car la valeur estimative du contrat de Tiree est plus de 15 fois supérieure à celle de son contrat [28] . AIM a affirmé que TPSGC lui aurait dit que la valeur des contrats n’était qu’une estimation et que le MAECD pouvait l’augmenter ou la diminuer à sa discrétion [29] . Par contre, AIM fait valoir que le MAECD a demandé à TPSGC d’augmenter la valeur du contrat et que TPSGC ne l’a pas fait [30] .

[29] Dans son RIF, TPSGC soulève deux questions que le Tribunal abordera maintenant avant d’analyser le bien-fondé de ce motif de plainte :

i. TPSGC fait valoir que la valeur des contrats découle des modalités de la DP, et que tout argument relatif aux modalités est tardif [31] . Le Tribunal est d’avis que, dans la mesure où un argument se rapporte au contenu de la DP, il est tardif, comme TPSGC l’affirme, car AIM ne s’est pas opposée ou n’a pas déposé de plainte dans les dix jours ouvrables suivant la date où elle a pris connaissance du contenu de la DP [32] . Même si AIM soutient que l’injustice n’a pas été découverte avant l’adjudication des contrats, la jurisprudence du Tribunal est claire : si un fournisseur potentiel constate un problème à l’égard du contenu de l’appel d’offres, il doit soulever immédiatement un motif de plainte plutôt que d’attendre jusqu’à l’adjudication des contrats [33] . Comme AIM n’a pas déposé de plainte visant le contenu de la DP dans les dix jours ouvrables suivant la publication de celle-ci, elle doit accepter la DP telle qu’elle est.

Par contre, les arguments se rapportant au montant des contrats adjugés ne sont pas tardifs, car cette question s’est posée plus tard. Le montant des contrats adjugés n’a pas été déterminé par le contenu de la DP (du moins pas directement), mais a plutôt été estimé par l’institution fédérale à une date ultérieure. En d’autres termes, la DP n’a pas énoncé à l’avance le montant des contrats adjugés aux soumissionnaires classés au premier et au deuxième rang, alors on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’AIM s’en plaigne au moment où la DP a été publiée.

ii. TPSGC soutient que toute communication ayant eu lieu après l’adjudication des contrats est une question relevant de l’administration des contrats [34] . Le Tribunal n’est pas d’accord. Dans le contexte de ce troisième motif de plainte, AIM conteste le montant des contrats adjugés en tant que tel, et non la conduite ultérieure à l’adjudication des contrats ou l’administration des contrats. Comme l’adjudication a fait l’objet d’une discussion par la suite entre AIM, TPSGC et/ou le MAECD, ces communications ultérieures à l’adjudication sont pertinentes à l’égard du troisième motif de plainte dans la mesure où elles expliquent ou mettent en lumière les griefs d’AIM à l’égard de l’adjudication en tant que telle.

[30] Compte tenu de ce qui précède, la portée de l’enquête du Tribunal sur ce motif se limitera à la question de savoir si les montants des contrats adjugés et les éléments de preuve fournis par AIM (dont les communications ayant eu lieu après l’adjudication des contrats) ont révélé une violation de la DP (telle qu’elle est) ou de l’obligation d’impartialité prévue dans les accords commerciaux.

[31] AIM affirme que, par souci d’équité, la valeur des contrats aurait dû refléter davantage l’écart minime entre les points obtenus par les soumissionnaires. Cependant, la DP ne prévoit pas l’attribution de la valeur des contrats en fonction des points obtenus. Elle prévoit plutôt un droit de premier refus pour le soumissionnaire classé au premier rang. La clause pertinente de la DP (celle relative aux contrats multiples) est formulée comme suit :

E. Contrats multiples

Puisque plus d’un contrat a été attribué dans le cadre du présent besoin précisé dans l’énoncé des travaux à l’Annexe A, on transmettra une demande d’exécution de tâches, conformément à l’alinéa F de la présente clause, à l’entrepreneur classé au premier rang dans l’ordre de classement des entrepreneurs ci-après. Si cet entrepreneur confirme, par écrit, qu’il n’est pas en mesure d’exécuter une tâche en raison d’engagements antérieurs pris dans le cadre d’au moins une autorisation de tâches approuvée, la demande d’exécution de tâches sera transmise à l’entrepreneur suivant dans le classement jusqu’à ce qu’un de ceux-ci puisse effectuer la tâche [...] [35] .

[Traduction]

[32] À cet égard, la DP prévoit que le classement du soumissionnaire, et non le nombre absolu de points qu’il obtient, détermine l’attribution des travaux. Comme TPSGC le fait valoir, la valeur attribuée aux contrats adjugés ne constituait pas une garantie de contrat et était plutôt incluse aux fins administratives de l’État. Le contrat d’AIM indiquait que le montant était le « coût total estimatif » [nos italiques, traduction] [36] . La seule garantie prévue par la DP était une valeur de contrat minimale fixe de 5 000 $ [37] . Autrement, le montant attribué à chaque soumissionnaire serait déterminé en fonction de l’issue du processus d’attribution des autorisations de tâches énoncé dans la clause relative aux contrats multiples.

[33] AIM soutient qu’il y a une ambiguïté cachée dans la DP qui n’a pas été découverte jusqu’à l’adjudication des contrats. Le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas d’ambiguïté manifeste ou cachée dans la clause relative aux contrats multiples. La clause stipule clairement comment les travaux seront répartis entre les soumissionnaires classés aux premier et deuxième rangs. La seule question était celle de savoir quel soumissionnaire serait classé au premier rang.

[34] AIM a raison de souligner qu’au départ, elle a reçu des renseignements contradictoires quant à la nature de la répartition des tâches. Les courriels échangés entre AIM, le MAECD et TPSGC montrent qu’il y a eu un malentendu au départ entre TPSGC et le MAECD quant à la façon dont les tâches seraient réparties entre les soumissionnaires classés aux premier et deuxième rangs. TPSGC soutient que le chargé de projet n’était pas le chargé de projet initialement inscrit au dossier et qu’il ne savait pas au départ que la DP accordait à l’entrepreneur classé au premier rang un droit de refus à l’égard de toutes les autorisations de tâches. Cette situation a créé une certaine confusion pour AIM. Toutefois, le chargé de projet a finalement reçu des précisions de TPSGC sur la procédure de répartition des tâches prévue dans la DP, et a expliqué correctement que, selon la DP, le soumissionnaire classé au premier rang aurait un droit de premier refus [38] . À ce titre, les erreurs de communication ont finalement été corrigées, et cela ne signifie pas qu’il y avait une ambiguïté dans la DP.

[35] Enfin, AIM affirme que l’écart entre la valeur des contrats adjugés démontre que l’État n’a pas fait preuve d’impartialité et d’équité, comme les accords commerciaux l’exigent. Ayant examiné la preuve au dossier et la DP en tant que telle, le Tribunal conclut que rien n’indique que TPSGC ou le MAECD ont fait preuve de partialité; il n’y a ni partialité réelle ni crainte raisonnable de partialité [39] . Les montants des contrats adjugés étaient des estimations à des fins administratives, et ne déterminaient pas le montant final des contrats respectifs d’AIM et de Tiree, qui dépendrait plutôt du nombre d’autorisations de tâches et du droit de premier refus de Tiree. TPSGC avait le droit de faire une estimation du montant des contrats adjugés à des fins administratives, et rien n’indique qu’elle a manqué d’impartialité en procédant ainsi. La jurisprudence du Tribunal est claire : « le plaignant ne doit pas seulement indiquer qu’il est d’avis qu’il y avait partialité, mais doit aussi présenter suffisamment d’éléments de preuve à l’appui [40] ». La Cour d’appel fédérale a également été claire : une allégation de partialité « ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions [...] Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme [41] ». AIM n’a pas présenté de preuve qui remplirait cette exigence.

[36] Par conséquent, compte tenu de tous les motifs susmentionnés, le Tribunal conclut que ce motif de plainte n’est pas fondé.

Motifs 4 et 5 – AIM privée de toute autorisation de tâches, et conséquences de la méthode de classement et de la présence de la clause relative aux contrats multiples dans la DP

[37] Les quatrième et cinquième motifs de la plainte d’AIM se chevauchent, de sorte que le Tribunal les examinera conjointement.

[38] AIM soutient que la méthode d’administration du contrat fait en sorte qu’AIM « est privée » [traduction] de toute autorisation de tâches [42] . Elle affirme qu’un représentant du MAECD a indiqué par téléphone qu’elle ne recevrait aucune autorisation de tâches dans le cadre de ce contrat parce que Tiree a un droit de premier refus.

[39] AIM a également affirmé que ses consultants, qui travaillaient alors au MAECD, s’étaient fait dire que la seule manière pour eux de continuer à travailler au MAECD était de résilier leur contrat avec elle et d’accepter un emploi par l’entremise de Tiree. De plus, AIM a affirmé que Tiree avait fait pression sur ses consultants pour qu’ils mettent fin à leur contrat avec AIM et acceptent un emploi chez Tiree, pour seulement réintégrer les mêmes fonctions au MAECD [43] . AIM fait valoir que les taux de Tiree étaient plus élevés que les siens, de sorte que le MAECD aurait les mêmes consultants à un prix supérieur, et que Tiree n’offrait donc pas le meilleur rapport qualité-prix à l’État.

[40] TPSGC soutient que l’élément de preuve d’AIM est du ouï-dire, auquel aucun poids ne devrait être accordé. Toutefois, de l’avis du Tribunal, il est inutile de soupeser la fiabilité de l’élément de preuve d’AIM parce que, même s’il était véridique, il ne démontrerait pas qu’il y a eu violation des accords commerciaux, pour les motifs suivants.

[41] Dans la mesure où les arguments d’AIM se rapportent aux effets de la clause relative aux contrats multiples de la DP (c’est-à-dire, le droit de premier refus accordé au soumissionnaire classé au premier rang), ils sont forclos comme le Tribunal l’a expliqué précédemment. AIM ne peut pas demander que le droit de premier refus soit modifié, simplement parce qu’elle est le soumissionnaire classé au deuxième rang.

[42] En outre, les arguments d’AIM concernant les consultants appelés à se joindre à Tiree ne soulèvent aucun motif valable. Le Tribunal a déjà affirmé que le « “débauchage” d’employés est une question interne entre deux soumissionnaires qui ne constitue pas à [sic] une violation des accords commerciaux [44] ». AIM pourrait disposer d’autres recours contre ses consultants dans le cadre du droit des contrats ou du travail, mais ces questions ne relèvent pas de la compétence du Tribunal.

[43] Dans la mesure où les arguments présentés par AIM dans le cadre de ces motifs évoquent encore un manque d’impartialité de la part du MAECD ou de TPSGC, le Tribunal réitère qu’AIM n’a pas étayé ces allégations de partialité par des « preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme », tel qu’il a été expliqué précédemment [45] .

[44] Enfin, l’argument d’AIM selon lequel Tiree n’offre pas le meilleur rapport qualité-prix à l’État ne soulève pas non plus de motif de plainte valable. AIM a cité l’article 515.5 de l’ALEC, mais a omis d’inclure l’alinéa b) :

[...] l’entité contractante adjuge le marché au fournisseur dont elle a déterminé qu’il est capable de satisfaire aux modalités du marché et qui, uniquement sur la base des critères d’évaluation spécifiés dans les avis d’appel d’offres et la documentation relative à l’appel d’offres, a présenté :

  • a) soit la soumission la plus avantageuse;

  • b) soit, si le prix est le seul critère, le prix le plus bas.

[Nos italiques]

[45] L’article 515.5 requiert donc d’abord que le marché soit adjugé uniquement sur la base des critères d’évaluation dans l’appel d’offres. Le marché doit être adjugé au soumissionnaire offrant le prix le plus bas seulement si le prix est le seul critère. En l’espèce, la DP indiquait que la méthode de sélection serait la suivante : « la plus haute note combinée relativement au mérite technique [60 %] et au prix [40 %] [46] » [traduction]. Il était donc acceptable qu’un soumissionnaire dont le prix et le mérite technique étaient plus élevés (Tiree) soit classé devant un soumissionnaire dont le prix et le mérite technique étaient plus bas (AIM), car le mérite technique comptait davantage que le prix.

[46] Par conséquent, le Tribunal conclut que les quatrième et cinquième motifs de la plainte ne sont pas valables.

FRAIS

[47] En vertu de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à TPSGC une indemnité raisonnable pour les frais engagés pour répondre à la plainte, indemnité qui doit être versée par AIM.

[48] Aux termes de la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte (Ligne directrice), le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la présente plainte correspond au degré 1 (1 150 $). Le marché public en question dans la présente plainte n’était pas trop complexe. Bien qu’il y ait eu un intervenant dans l’enquête, celui-ci n’a fait qu’un bref exposé et n’a pas considérablement accru la complexité de la procédure de plainte. Même si l’enquête a été prolongée à 135 jours, ce délai a servi en partie à faire une pause pour permettre à AIM de retenir les services d’un avocat.

DÉCISION

[49] Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte n’est pas fondée.

[50] Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à TPSGC une indemnité raisonnable pour les frais engagés pour répondre à la plainte, indemnité qui doit être versée par AIM. Conformément à la Ligne directrice, le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la plainte correspond au degré 1 et que le montant de l’indemnité est de 1 150 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui concerne la détermination provisoire du degré de complexité et du montant de l’indemnité, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.

Frédéric Seppey

Frédéric Seppey
Membre présidant

 



[1] The AIM Group (26 janvier 2021), PR-2020-077 (TCCE) [The AIM Group].

[2] Pièce PR-2020-077-01D aux p. 11-13.

[3] Ibid. à la p. 15.

[4] Ibid. à la p. 205. Voir aussi les contrats octroyés et les avis d’adjudication à l’adresse suivante : https://achatsetventes.gc.ca/donnees-sur-l-approvisionnement/search/site/08c39-180460.

[5] Pièce PR-2020-077-01D aux p. 209-215.

[6] Ibid. à la p. 218.

[7] Ibid. aux p. 216-245.

[8] Ibid. à la p. 243.

[9] Pièce PR-2020-077-01C (protégée).

[10] Pièce PR-2020-077-01D à la p. 247.

[11] The AIM Group.

[12] Pièce PR-2020-079-01D (protégée).

[13] Pièce PR-2020-079-02; pièce PR-2020-079-03; pièce PR-2020-079-04.

[14] Pièce PR-2020-079-06.

[15] Pièce PR-2020-079-10; pièce PR-2020-079-11.

[16] Pièce PR-2020-079-12A.

[17] Pièce PR-2020-079-14.

[18] Pièce PR-2020-079-19A.

[19] DORS/93-602 [Règlement].

[20] En ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2020/09/CFTA-Consolidated-Text-Final-French_September-24-2020.pdf> (entré en vigueur le 1er juillet 2017) [ALEC].

[21] Organisation mondiale du commerce, en ligne : <https://www.wto.org/french/tratop_f/gproc_f/gp_app_agree_f.htm> (entré en vigueur le 6 avril 2014) [AMP-OMC].

[22] Pièce PR-2020-077-01D à la p. 15.

[23] Voir l’alinéa 7(1)c) du Règlement.

[24] Pièce PR-2020-077-01D à la p. 11.

[25] Pièce PR-2020-079-01E à la p. 4.

[26] Voir l’alinéa 7(1)c) du Règlement.

[27] AJL Consulting c. Ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (12 février 2020), PR-2019-045 (TCCE) aux par. 8‑16.

[28] Pièce PR-2020-077-01D à la p. 12.

[29] Ibid.

[30] Ibid. à la p. 18.

[31] Pièce PR-2020-079-12A aux par. 34-40.

[32] Voir l’article 6 du Règlement.

[33] « Les délais constituent une condition essentielle des marchés publics, et les fournisseurs potentiels ne doivent pas attendre que le contrat soit adjugé avant de déposer une plainte concernant la procédure de passation d’un marché public. Ils doivent plutôt réagir dès qu’ils découvrent ou auraient dû vraisemblablement découvrir un vice afin de s’assurer de déposer leur plainte auprès du Tribunal dans les délais. » J.K. Engineering Ltd. (16 décembre 2015) PR-2015-045 (TCCE) au par. 18, citant : Sani Sport (10 mars 2015), PR-014-064 (TCCE) au par. 29; Teledyne Webb Research, une entité commerciale de Teledyne Benthos, Inc. (20 octobre 2011), PR‑2011‑038 (TCCE) au par. 17; The Corporate Research Group Ltd., faisant affaires sous le nom de CRG Consulting (26 janvier 2010), PR‑2009-075 (TCCE) au par. 24; IBM Canada Ltd. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., 2002 FCA 284 (CanLII).

[34] Pièce PR-2020-079-12A aux par. 53-56.

[35] Pièce PR-2020-079-08A à la p. 42.

[36] Pièce PR-2020-077-01B (protégée) à la p. 190.

[37] Pièce PR-2020-079-08A à la p. 44.

[38] Pièce PR-2020-077-01D à la p. 242.

[39] Voir SoftSim Technologies Inc. c. Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (11 juin 2020), PR‑2019-053 (TCCE) aux par. 71-86.

[40] Sunny Jaura s/n Jaura Enterprises c. Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (30 janvier 2019), PR-2018-058 (TCCE) aux par. 13, 15.

[41] Arthur c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 [Arthur] au par. 8.

[42] Pièce PR-2020-077-01D aux p. 12-13.

[43] Pièce PR-2020-079-19A aux p. 10-11.

[44] Paul Pollack Personnel Ltd. s/n The Pollack Group Canada c Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, PR-2012-021 (TCCE) au par. 29; Brains II Canada c. Ministère de la Sécurité publique (28 mars 2012), PR‑2011-056 (TCCE) au par. 20.

[45] Arthur au par. 8.

[46] Pièce PR-2020-079-08A à la p. 22.

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