Enquêtes sur les marchés publics

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier no PR-2020-042

Weir-Jones Engineering Ltd. et Weir-Jones Engineering Consultants Ltd.

c.

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Décision rendue
le vendredi 5 février 2021

Motifs rendus
le vendredi 5 mars 2021

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Weir-Jones Engineering Ltd. et Weir-Jones Engineering Consultants Ltd. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

WEIR-JONES ENGINEERING LTD. ET WEIR-JONES ENGINEERING CONSULTANTS LTD.

Parties plaignantes

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (Loi sur le TCCE), le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux une indemnité raisonnable pour les frais qu’il a engagés pour répondre à la plainte, indemnité qui doit être versée par Weir-Jones Engineering Ltd. et Weir-Jones Engineering Consultants Ltd. En conformité avec la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public (Ligne directrice), le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la présente plainte correspond au degré 3 et que le montant de l’indemnité est de 4 700 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à l’indication provisoire du degré de complexité ou du montant de l’indemnité, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec sa Ligne directrice. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien

Membre présidant

 

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.


 

Membre du Tribunal :

Susan D. Beaubien, membre présidant

Conseillère juridique du Tribunal :

Heidi Lee, conseillère juridique

Parties plaignantes :

Weir-Jones Engineering Ltd. et Weir-Jones Engineering Consultants Ltd.

Conseillers juridiques de la partie plaignante :

Rebecca M. Morse
Jason K. Yamashita

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques de l’institution fédérale :

Elinor Hart
Justin Roy
Peter Osborne
Brendan Morrison
Veronica Tsou
Margaret Robbins
Zachary Rosen

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] Weir-Jones Engineering Ltd. et Weir-Jones Engineering Consultants Ltd. (collectivement ci‑après « Weir-Jones ») ont déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant une demande de propositions (DP) (invitation no 23240-200912/B) pour l’acquisition d’un système d’alerte sismique précoce [1] .

[2] La procédure de passation du marché public a été menée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom de Ressources naturelles Canada (RNCan). La DP a été publiée par TPSGC le 11 septembre 2020 et a pris fin le 25 septembre 2020 [2] .

CONTEXTE FACTUEL

[3] Le 11 août 2019, un représentant de RNCan a communiqué avec Weir-Jones et a demandé d’être reçu à l’installation de Weir-Jones en vue de discuter du programme d’alerte sismique précoce (ASP) de RNCan [3] . Weir-Jones a acquiescé à la demande et la réunion a eu lieu le 6 décembre 2019. Lors de la réunion, RNCan a fait une présentation sur le programme d’ASP. Dans une correspondance de suivi, Weir-Jones a exprimé son intérêt pour le projet et a indiqué qu’elle fournirait à RNCan d’autres documents [4] .

[4] À la fin janvier ou en février 2020, Weir-Jones a écrit à RNCan pour s’enquérir de l’état d’avancement du projet de système d’ASP. Le 23 avril 2020, RNCan a indiqué que la préparation de la demande de renseignements (DR) progressait beaucoup plus lentement que prévu. Le jour suivant, Weir-Jones a fourni à RNCan d’autres renseignements sur sa technologie d’ASP, y compris une description de la « plateforme informatique/logicielle ShakeAlarm », ainsi que les capacités, le développement et les utilisations courantes de la plateforme. Weir-Jones a également confirmé qu’elle disposait d’un système capable d’interagir avec le système ShakeAlertMC de l’organisme United States Geological Survey (USGS), mais elle a relevé des limites et des désavantages perçus du système de l’USGS [5] .

[5] Le 3 juin 2020, TPSGC a publié la DR au moyen d’une lettre d’intérêt concernant un équipement sismique et un système d’approvisionnement. La date de clôture de la DR a été fixée au 7 juillet 2020 [6] . Une modification a été publiée le 15 juin 2020, mais la date de clôture est demeurée la même [7] .

[6] La DR contenait l’aperçu suivant :

RNCan a l’intention de développer et d’exploiter un système d’alerte sismique précoce (ASP) pour le Canada. Le système devrait posséder de nombreuses stations de capteur (instruments sismiques, appareils électroniques et infrastructure de soutien) à installer dans les lieux situés à proximité de secteurs vulnérables aux tremblements de terre d’envergure et où se trouvent une importante population ou des infrastructures critiques à protéger. Au réseau s’ajouteront des stations de capteurs supplémentaires installées et entretenues par des partenaires et partiellement financées par un système de subventions et de contributions. Outre les stations de capteurs, le système serait aussi pourvu de liaisons de communication rapides, de centres de données et de systèmes logiciels. Les données des stations seront traitées rapidement dans les centres de données par des logiciels spécialisés et des alertes seront générées en cas de séismes importants. Enfin, le système sera également doté de systèmes de diffusion d’alertes pour informer les Canadiens, les entités gouvernementales et d’autres destinataires désignés [8] .

[Traduction]

[7] Les objectifs de la DR sont décrits comme suit :

L’objet de la présente demande de renseignements (DR) est d’explorer les options pour l’acquisition d’équipement de détection, des logiciels d’acquisition de données, des infrastructures de stations (y compris les systèmes d’alimentation, la gestion et le matériel de communication) et des services d’installation pour le système d’ASP. Il peut aider à l’élaboration d’une demande formelle d’acquisition de produits ou services pertinents (appelée dans ce document la passation de marché subséquente). La DR consiste en un ensemble de [...] spécifications provisoires annotées où les annotations fournissent des conseils ou posent des questions à l’industrie ainsi qu’une section séparée contenant des questions directes à l’industrie. Deux domaines généraux sont explorés dans ce document :

  • Le premier est la clarification de certaines des exigences concernant le système d’ASP. À cette fin, les documents renferment un ensemble de spécifications provisoires en vue du marché, sur lesquels des commentaires peuvent être formulés, ainsi que des questions dont les réponses permettront d’affiner les spécifications. À noter que les fournisseurs ne sont pas tenus de répondre à toutes les questions.

  • Le second objectif est d’aider à déterminer s’il existe sur le marché des fournisseurs potentiels capables de réaliser les trois aspects du projet : l’approvisionnement, pour ce qui est des instruments (et des centres de données), des infrastructures et des services d’installation [9] .

[Traduction]

[8] La DR précisait également que RNCan utiliserait le système logiciel ShakeAlertMC de l’USGS pour le traitement des données et la production d’alertes, et reconnaissait les droits de Weir‑Jones au Canada sur la marque SHAKEALERT [10] .

[9] Weir-Jones a répondu à la DR le 4 juillet 2020 [11] et a soumis une correspondance de suivi dans laquelle elle a exprimé une certaine frustration du fait que les spécifications provisoires semblaient être adaptées au matériel d’un concurrent (« X »), laissant l’impression d’un approvisionnement exclusif en faveur de X. Weir-Jones a également indiqué sa surprise du fait que la DR ne faisait aucune mention de sa propriété intellectuelle relative au système d’ASP (à part une référence à sa marque SHAKEALERT au Canada), malgré la grande expertise de Weir-Jones en matière de systèmes d’ASP [12] .

[10] RNCan a répondu qu’il n’y avait aucune intention de favoriser un fournisseur particulier (c’est-à-dire X) et que l’objectif de RNCan était d’avoir un processus aussi « ouvert et équitable que possible » [13] [traduction].

[11] La DP a été publiée le 11 septembre 2020. Une modification à la DP a été publiée le 14 septembre 2020 [14] . Des modifications supplémentaires ont ensuite été publiées les 6 [15] et 21 octobre 2020 [16] .

[12] La plainte de Weir-Jones a été déposée auprès du Tribunal le 15 septembre 2020 [17] , et complétée à la demande du Tribunal [18] par une plainte modifiée déposée le 25 septembre 2020 [19] .

[13] Weir-Jones s’oppose au contenu de l’appel d’offres parce que, selon elle, il incite les concurrents à contrevenir à ses droits de propriété intellectuelle, tant au Canada qu’aux États-Unis.

[14] Plus particulièrement, selon Weir-Jones, les spécifications prévues dans l’appel d’offres seraient un acte de contrefaçon ou inciteraient ou induiraient les soumissionnaires potentiels à contrefaire certains droits de propriété intellectuelle qu’elle détient, notamment le brevet canadien 3,027,717 (brevet 717) et les enregistrements des marques de commerce SHAKEALERT et SHAKEALARM. Cette préoccupation se fonde, du moins en partie, par les spécifications de la DP, qui exigent que les données sismiques soient traitées sur des serveurs situés aux États-Unis et exploités par l’USGS [20] . En conséquence, Weir-Jones affirme que l’appel d’offres est fondamentalement vicié.

[15] Weir-Jones affirme que l’octroi d’une licence pour ses droits de propriété intellectuelle en lien avec le système d’ASP aurait fait l’objet de discussions avec RNCan lors de la réunion du 6 décembre 2019, mais qu’il n’en a pas été fait mention dans la correspondance de suivi de la réunion [21] . Weir-Jones semble croire que RNCan s’était engagé à utiliser sa propriété intellectuelle du système d’ASP et, dans sa plainte, elle s’inquiète du fait que RNCan « n’a guère fait d’efforts, voire aucun, pour conclure l’accord de licence avec nous […] » [22] [traduction].

[16] Dans sa plainte modifiée, Weir-Jones a dressé la liste et fourni des copies de ses enregistrements de propriété intellectuelle, à savoir le brevet canadien 3,027,717 [23] , le brevet américain 10,755,548 B [24] (brevet 548), l’enregistrement de la marque de commerce canadienne no TMA853230-SHAKEALARM [25] , l’enregistrement de la marque de commerce américaine no 4910392-SHAKEALARM [26] , l’enregistrement de la marque de commerce américaine no 5281799‑SHAKEALARM Design [27] , l’enregistrement de la marque de commerce canadienne no TMA1036004-SHAKEALERT [28] et la demande de marque de commerce américaine no S.N. 8735879-SHAKEALERT [29] .

[17] Était également incluse une copie d’un accord de coexistence entre Weir-Jones et l’USGS, exécuté en juin 2018, dans lequel les parties ont convenu que leurs marques de commerce respectives SHAKEALARM et SHAKEALERT pouvaient coexister aux États-Unis [30] .

[18] Weir-Jones a d’abord demandé comme réparation que sa technologie d’ASP soit achetée ou concédée sous licence par RNCan [31] . Dans sa plainte modifiée, Weir-Jones demande que la DP soit relancée et que le soumissionnaire retenu doive obtenir une licence sur la propriété intellectuelle de Weir-Jones. Weir-Jones demande également le remboursement de ses frais de plainte [32] .

[19] Le Tribunal a accepté d’enquêter sur la plainte le 2 octobre 2020 et en a informé les parties [33] .

[20] Le 5 octobre 2020, le Tribunal a rendu une ordonnance aux termes du paragraphe 30.13(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (la Loi sur le TCCE) reportant l’adjudication de tout marché dans le cadre de la DP jusqu’à la conclusion de la procédure [34] .

[21] TPSGC a déposé le Rapport de l’institution fédérale (RIF) le 2 novembre 2020 [35] .

[22] En plus des observations écrites de TPSGC, le RIF [36] comprenait, à titre de pièce confidentielle, une copie d’un protocole de collaboration (protocole) entre RNCan et l’USGS [37] .

[23] Le RIF renfermait également une courte déclaration sous serment de David McCormack, directeur de la Direction du Service canadien d’information sur les risques à RNCan. M. McCormack a affirmé qu’il a rencontré Weir-Jones le 6 décembre 2019 pour discuter du programme d’ASP de RNCan et que d’autres membres de son équipe avaient tenu des réunions similaires avec d’autres intervenants en mars 2020 [38] .

[24] M. McCormack a décrit brièvement la relation de travail de RNCan avec l’USGS, expliquant que RNCan a accepté d’adopter le logiciel d’ASP de l’USGS [39] en 2018 afin de participer à un projet de système d’ASP unifié entre le Canada et les États-Unis. Selon M. McCormack, le logiciel d’ASP de l’USGS est une source ouverte et utilise des protocoles ouverts pour la communication [40] .

[25] TPSGC a également fourni, à titre de pièces confidentielles du RIF, des copies des réponses à la DR qui avaient été soumises par plusieurs tiers [41] .

[26] Le RIF renfermait aussi des copies des enregistrements de marques américaines détenus par l’USGS pour la marque de commerce SHAKEALERT [42] , ainsi qu’un rapport sur l’état d’avancement du dossier concernant la demande en cours de Weir-Jones pour enregistrer la marque de commerce SHAKEALERT aux États-Unis. [43]

[27] En outre, le RIF comprenait une copie des directives pour l’utilisation de la marque de commerce SHAKEALARM, telles que publiées par l’USGS [44] , ainsi que des renseignements relatifs à SeisCode, un dépôt de logiciels libres utilisés dans le domaine de la sismologie [45] .

[28] Weir-Jones a fourni des commentaires détaillés en réponse au RIF le 12 novembre 2020 et elle a demandé au Tribunal de tenir une audience [46] .

[29] TPSGC s’est plaint que Weir-Jones soulevait de nouvelles questions et qu’elle scindait la preuve. Selon TPSGC, Weir-Jones affirmait, pour la première fois dans le contexte de sa réponse, que ses droits de brevet englobaient la « connaissance de la situation » et que la DP avait pour effet de signaler aux soumissionnaires éventuels que la capacité de « connaissance de la situation » est nécessaire pour qu’un système d’ASP fonctionnel puisse atteindre les objectifs énoncés dans la DP. TPSGC a demandé l’autorisation de déposer une réplique [47] .

[30] Compte tenu de la multiplicité des questions soulevées par les parties, de la nature de ces questions et de leur complexité, le Tribunal a établi un calendrier des prochaines étapes par voie d’une ordonnance et de motifs datés du 26 novembre 2020 (ordonnance). Il a été demandé à Weir‑Jones de préciser davantage ses allégations de violation afin de cerner les questions en litige. TPSGC a été autorisé à déposer une réplique. Les deux parties ont été autorisées à déposer des preuves et des observations supplémentaires, ainsi que d’appeler des témoins lors d’une audience de deux jours. Le Tribunal a également prorogé le délai pour la détermination de l’enquête à 135 jours, conformément à l’alinéa 12(1)c) du Règlement sur les enquêtes relatives aux marchés publics du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Règlement) [48] .

[31] En établissant ce calendrier et en accordant l’autorisation de présenter des preuves et des arguments supplémentaires, le Tribunal a cherché à donner aux deux parties le maximum de latitude et de possibilités pour présenter pleinement leurs cas respectifs dans les délais prescrits par les dispositions législatives visant les enquêtes sur les marchés publics. Une légère modification du calendrier a ensuite été effectuée avec le consentement des parties [49] .

[32] Weir-Jones a fourni les renseignements demandés dans l’ordonnance le 14 décembre 2020 [50] . TPSGC a déposé une réplique [51] et les deux parties ont ensuite déposé des observations écrites supplémentaires [52] .

[33] Weir-Jones a déposé une déclaration confirmée de M. Vireindra Christopher Sellathamby en date du 8 janvier 2021.

[34] M. Sellathamby est employé par Weir-Jones en tant qu’ingénieur de développement principal et est désigné comme l’inventeur du brevet 717 et du brevet 548. Il affirme avoir déjà travaillé avec la plateforme SHAKEALARM de l’USGS. Sa déclaration présente des exemples de « connaissance de la situation » et de la façon dont Weir-Jones utilise la marque de commerce SHAKEALARM. Certains de ces exemples sont fondés sur des renseignements tenus pour véridiques [53] .

[35] Les deux parties ont informé le Tribunal qu’elles ne convoqueraient pas de témoins, préférant utiliser la totalité du temps d’audience de deux jours pour leurs plaidoiries.

[36] Une audience orale a eu lieu en ligne les 13 et 14 janvier 2021 par WebEx. Les deux parties étaient représentées pendant l’audience.

ANALYSE

Questions interlocutoires

[37] La copie du protocole déposée comme pièce confidentielle 1 du RIF concerne l’utilisation opérationnelle par RNCan du logiciel SHAKEALARM de l’USGS.

[38] Weir-Jones s’est opposée à la désignation de confidentialité au motif que TPSGC n’avait pas fourni d’explication pour cette désignation lors du dépôt du RIF, comme l’exige le paragraphe 46(1) de la Loi sur le TCCE, qui prévoit ce qui suit :

46 (1) La personne qui fournit des renseignements au Tribunal dans le cadre d’une procédure prévue par la présente loi et qui désire qu’ils soient gardés confidentiels en tout ou en partie fournit en même temps que les renseignements :

a) d’une part, une déclaration désignant comme tels les renseignements qu’elle veut garder confidentiels avec l’explication à l’appui;

b) d’autre part, soit une version ne comportant pas les renseignements désignés comme confidentiels ou un résumé ne comportant pas de tels renseignements suffisamment précis pour permettre de les comprendre, soit une déclaration accompagnée d’une explication destinée à la justifier, énonçant, selon le cas :

i) qu’il est impossible de faire la version ou le résumé en question,

ii) qu’une version ou un résumé communiquerait des faits qu’elle désire valablement garder confidentiels.

[39] Weir-Jones a également soutenu que rien ne permettait à TPSGC d’affirmer que l’ensemble du document était confidentiel et elle a demandé au Tribunal de rendre une décision préalable à l’audience sur cette question.

[40] Bien que TPSGC n’ait pas initialement fourni d’explication sur la désignation de confidentialité appliquée au protocole, comme l’exige le paragraphe 46(1), il l’a fait peu de temps après [54] . Contrairement à ce que soutient Weir-Jones, le fait de ne pas fournir une explication de la confidentialité au moment du dépôt, comme le prescrit l’alinéa 46(1)a), ne prive pas automatiquement les renseignements commercialement sensibles de la protection envisagée par la Loi sur le TCCE.

[41] Qu’il soit causé par un oubli ou autre chose, un manquement à l’article 46(1) peut être corrigé. TPSGC s’est excusé de son omission et a informé le Tribunal que l’existence et le titre de l’accord entre RNCan et l’USGS n’étaient pas confidentiels. Cependant, les modalités de cet accord sont considérées comme confidentielles entre les gouvernements du Canada et des États-Unis [55] .

[42] Weir-Jones n’était pas satisfaite de l’explication de TPSGC concernant la désignation de confidentialité à l’égard du protocole. Bien que le conseiller juridique de Weir-Jones, qui a déposé un acte d’engagement auprès du Tribunal, ait accès au contenu complet du document, Weir-Jones souligne que le conseiller juridique est néanmoins limité dans sa capacité à discuter et à conseiller Weir-Jones par rapport au contenu du protocole [56] .

[43] Weir-Jones a présenté de nombreuses observations écrites et orales pour faire valoir que la désignation de confidentialité est injustifiée, faisant valoir que le protocole n’était pas confidentiel. En outre, Weir-Jones a affirmé que le public a le droit de connaître les détails concernant les programmes gouvernementaux mis en place pour sa protection, tels que les systèmes d’alerte sismique précoce et la légitimité des procédures de passation de marchés publics. Weir-Jones affirme que le débat public et la liberté d’expression ne peuvent être exercés si TPSGC est autorisé à maintenir le secret sur ces questions.

[44] Weir-Jones poursuit en soutenant que TPSGC n’a pas réussi à satisfaire au critère « Dagenais/Mentuck » en fournissant une « preuve convaincante » que le protocole devrait être traité comme un renseignement confidentiel. Comme le TCCE est un tribunal quasi judiciaire qui est réputé, aux termes de l’article 17 de la Loi sur le TCCE, avoir les mêmes pouvoirs, droits et privilèges qu’une cour supérieure d’archives en ce qui concerne les témoins, les documents et l’exécution des ordonnances, Weir-Jones affirme que le TCCE est soumis au principe de la publicité des débats judiciaires.

[45] En règle générale, le principe de la publicité des débats judiciaires exige que les procédures, le dossier et la décision d’une cour ou d’un tribunal quasi judiciaire soient rendus publics pour qu’ils fassent l’objet d’un examen par le public. Le principe de la publicité des débats judiciaires fait partie du droit de common law à la liberté d’expression protégé par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[46] Weir-Jones fait donc valoir que la désignation de confidentialité de TPSGC à l’égard du protocole constitue une violation du principe de la publicité des débats judiciaires. Par conséquent, Weir-Jones soutient que le Tribunal a l’obligation juridique d’appliquer le critère « Dagenais/Mentuck » et que la désignation de confidentialité de TPSGC ne respecte pas ce critère [57] .

[47] Le critère « Dagenais/Mentuck » découle de deux décisions dans lesquelles des ordonnances de non-publication ont été demandées dans le cadre de procédures en matière criminelle.

[48] Dans l’arrêt Dagenais c. Société Radio-Canada [58] , quatre membres d’un ordre religieux connu sous le nom de Frères des écoles chrétiennes ont été accusés d’abus physiques et sexuels sur de jeunes garçons dont ils avaient la charge. Les abus se seraient produits dans des écoles de formation catholiques où les accusés étaient enseignants. La Société Radio-Canada (SRC) avait l’intention de diffuser une minisérie intitulée Les garçons de Saint-Vincent, coproduite par l’Office national du film du Canada. L’intrigue de la minisérie, bien que fictive, a été considérée comme très similaire aux faits en cause dans le procès de Dagenais et de ses coaccusés. Le procès pénal de chaque accusé était imminent ou en cours. Les accusés ont demandé une injonction (ordonnance de non-publication) pour empêcher la SRC de diffuser la minisérie jusqu’à ce que les procès soient terminés. Bien qu’une ordonnance de non-publication ait été accordée, elle a ensuite été annulée par la Cour suprême du Canada (Cour suprême).

[49] Dans l’arrêt Dagenais, la question en litige portait sur l’exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire en common law de rendre une ordonnance de non-publication. Une majorité des juges de la Cour suprême a conclu que l’application de ces principes exige que les intérêts en cause, à savoir les droits des tiers à la liberté d’expression relativement au droit d’un accusé à un procès équitable, soient mis en balance en tenant compte du contexte.

[50] Dans l’arrêt R. c. Mentuck [59] , la Couronne a demandé une ordonnance de non-publication afin d’empêcher la publication de faits qui devaient être mis en preuve au cours d’un procès pour meurtre au deuxième degré. Le défendeur, M. Mentuck, avait été acquitté de meurtre lors d’un premier procès. Après ce procès, il a été pris pour cible par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans le cadre d’une opération d’infiltration. Grâce aux preuves recueillies par la GRC lors de l’opération d’infiltration, l’acte d’accusation pour meurtre au deuxième degré a été rétabli.

[51] La Couronne a demandé une ordonnance de non-publication des preuves qui devaient être présentées au cours du procès, à savoir :

a) le nom et l’identité des policiers banalisés ayant participé à l’enquête sur l’accusé, notamment leur apparence, leur tenue vestimentaire et leur description;

b) les conversations des agents banalisés lors de l’enquête sur l’accusé qui révèlent les éléments mentionnés aux alinéas a) et c);

c) les scénarios particuliers de l’opération secrète utilisés dans le cadre de l’enquête. . . [60]

[52] Au cours de sa déclaration d’ouverture exposant sa cause, la Couronne avait discuté de certains des renseignements qui ont ensuite fait l’objet de la requête de la Couronne en vue d’obtenir une ordonnance de non-publication. Des reporters du Winnipeg Free Press et du Brandon Sun étaient présents pour couvrir le procès de M. Mentuck.

[53] Le juge de première instance a refusé de rendre une ordonnance de non-publication concernant les détails des opérations d’infiltration de la police, mais a accordé une ordonnance de non-publication en ce qui concerne les renseignements susceptibles d’identifier personnellement les agents concernés. La décision a été portée en appel devant la Cour suprême qui a confirmé la décision du juge de première instance.

[54] La Cour suprême a commencé son analyse par l’examen des principes énoncés dans son précédent arrêt Dagenais. Elle a fait remarquer que le test pour une ordonnance de non-publication dans l’arrêt Dagenais consistait à mettre en balance le droit d’un accusé à un procès équitable et les intérêts de la société en matière de liberté d’expression, par opposition à la consécration de l’un au détriment de l’autre. Toutefois, la Cour suprême a conclu que l’ordonnance de non-publication demandée par la Couronne dans l’arrêt Mentuck soulevait des considérations et des intérêts différents des intérêts en jeu dans l’arrêt Dagenais.

[55] Dans l’arrêt Dagenais, l’accusé a cherché à empêcher la SRC de diffuser une émission télévisée qui pourrait compromettre le droit des accusés à un procès équitable et impartial devant jury. L’arrêt Mentuck était différent du fait que le droit à un procès équitable n’était pas en danger. C’est plutôt la Couronne qui a demandé une ordonnance de non-publication pour protéger l’efficacité des opérations policières d’infiltration et la sécurité personnelle des agents qui font ce travail. L’accusé, M. Mentuck, ne s’est pas opposé à la publication de ces renseignements et a en fait adopté la position selon laquelle la publication servirait ses intérêts en matière de procès équitable.

[56] Par conséquent, dans l’arrêt Mentuck, la Cour suprême a conclu que le critère de l’arrêt Dagenais devait être reformulé pour garantir que tous les intérêts pertinents puissent être pris en compte lorsqu’il s’agit de décider si une ordonnance de non-publication procédant de la common law doit être accordée. Elle a reformulé le critère Dagenais comme suit :

Une ordonnance de non-publication ne doit être rendue que si :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice [61] .

[57] La Cour suprême a également observé que la partie qui demande une ordonnance de non-publication a la charge de renverser la présomption de la publicité des débats judiciaires et doit présenter une preuve convaincante pour qu’une ordonnance de non-publication soit rendue [62] .

[58] Weir-Jones reconnaît que la Loi sur le TCCE établit un régime législatif qui encadre le dépôt de renseignements confidentiels. Weir-Jones qualifie ces dispositions d’« exceptionnelles » [traduction] et fait valoir qu’elles doivent être interprétées de manière restrictive en tenant compte des arrêts Dagenais et Mentuck. De plus, elle soutient que les articles 45 à 47 de la Loi sur le TCCE n’ont pas pour effet d’écarter le principe de la publicité des débats judiciaires ou de rendre obligatoire l’application du critère « Dagenais/Mentuck » à l’égard des documents confidentiels déposés auprès du Tribunal.

[59] Le Tribunal adhère au principe de la publicité des débats. Les dossiers du Tribunal sont présumés ouverts au public, mais des exceptions pour les renseignements confidentiels sont prévues par le paragraphe 46(1). Les avis des procédures du Tribunal sont publiés dans la Gazette du Canada, invitant ainsi l’examen public.. Les membres de la presse et le public peuvent assister aux audiences du Tribunal et les décisions du Tribunal sont publiées sur son site Web.

[60] Le dépôt de renseignements confidentiels auprès du Tribunal est l’exception, plutôt que la règle générale. Comme il est mentionné dans la décision Carbon Steel Welded Pipe [63] , le Tribunal cherche à verser le plus de renseignements possible au dossier public, et les documents désignés comme étant confidentiels par une partie sont à la disposition du conseiller juridique de toute autre partie qui a déposé un acte d’engagement.

Cependant, le Tribunal remarque également qu’en vertu de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur et des Règles sur le Tribunal du commerce extérieur, les renseignements confidentiels peuvent être entièrement divulgués au conseiller juridique qui a déposé un acte de déclaration et d’engagement. La prestation d’un accès aux renseignements confidentiels de cette façon permet au Tribunal d’obtenir un maximum de participation volontaire des parties intéressées, d’assurer la transparence et, par la même occasion, de protéger les renseignements confidentiels.

[61] Les observations déposées par Weir-Jones ne traitent pas de l’arrêt Sierra Club c. Canada (ministre des Finances) de la Cour suprême [64] . Dans l’arrêt Sierra Club, la question en litige portait sur le seuil de protection des renseignements commercialement sensibles dans le cadre d’un litige civil, tandis que les arrêts Dagenais et Mentuck portaient sur les procédures criminelles.

[62] L’arrêt Sierra Club concernait une demande de contrôle judiciaire présentée par un organisme de défense des droits de l’environnement, Sierra Club du Canada, à l’encontre d’une décision du ministre des Finances d’accorder un prêt garanti de 1,5 milliard de dollars pour la construction et la vente de deux réacteurs nucléaires CANDU en Chine par Énergie atomique du Canada limitée (EACL).

[63] Dans le cadre de ses efforts pour faire cesser le financement du projet, Sierra Club (la partie) a demandé la production de documents scientifiques, techniques et commerciaux mentionnés dans la déclaration sous serment d’un cadre supérieur d’EACL. Certains de ces documents étaient la propriété du gouvernement chinois qui n’acceptait de les produire que sous réserve d’une ordonnance de confidentialité. La requête pour l’obtention d’une ordonnance de confidentialité s’est rendue devant la Cour suprême.

[64] La Cour suprême a commencé son analyse en soulignant qu’une ordonnance de confidentialité restreindrait l’accès aux documents et l’examen public de ces derniers et porterait ainsi atteinte au droit à la liberté d’expression garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour a établi qu’elle devait déterminer si, compte tenu des circonstances, il y avait lieu de restreindre le droit à la liberté d’expression. La Cour a commencé son analyse en se penchant sur l’arrêt Dagenais et a affirmé ce qui suit :

38 Même si, dans chaque cas, la liberté d’expression entre en jeu dans un contexte différent, le cadre établi dans Dagenais fait appel aux principes déterminants de la Charte canadienne des droits et libertés afin de pondérer la liberté d’expression avec d’autres droits et intérêts, et peut donc être adapté et appliqué à diverses circonstances. L’analyse de l’exercice du pouvoir discrétionnaire sous le régime de la règle 151 devrait par conséquent refléter les principes sous-jacents établis par Dagenais, même s’il faut pour cela l’ajuster aux droits et intérêts précis qui sont en jeu en l’espèce [65] .

[65] Il a également été fait mention de l’arrêt Mentuck pour démontrer la souplesse de l’approche utilisée par la Cour dans l’arrêt Dagenais. La Cour a souligné l’importance de peser les intérêts concurrents impliqués dans l’émission d’une ordonnance de confidentialité.

[66] Dans l’arrêt Sierra Club, , la Cour a observé que deux intérêts fondamentaux et concurrents étaient en jeu : le droit d’EACL de présenter une défense complète dans le cadre de l’action intentée contre elle et le principe fondamental de la publicité des débats judiciaires. EACL devait choisir entre le non-respect de ses obligations contractuelles et la rétention des documents, ce qui risquait de compromettre sa capacité à répondre à l’action intentée par Sierra Club.

49 L’objet immédiat de la demande d’ordonnance de confidentialité d’ÉACL a trait à ses intérêts commerciaux. Les renseignements en question appartiennent aux autorités chinoises. Si l’appelante divulguait les documents confidentiels, elle manquerait à ses obligations contractuelles et s’exposerait à une détérioration de sa position concurrentielle. Il ressort clairement des conclusions de fait du juge des requêtes qu’ÉACL est tenue, par ses intérêts commerciaux et par les droits de propriété de son client, de ne pas divulguer ces renseignements (par. 27), et que leur divulgation risque de nuire aux intérêts commerciaux de l’appelante (par. 23).

50 Indépendamment de cet intérêt commercial direct, en cas de refus de l’ordonnance de confidentialité, l’appelante devra, pour protéger ses intérêts commerciaux, s’abstenir de produire les documents. Cela soulève l’importante question du contexte de la présentation de la demande. Comme le juge des requêtes et la Cour d’appel fédérale concluent tous deux que l’information contenue dans les documents confidentiels est pertinente pour les moyens de défense prévus par la LCÉE, le fait de ne pouvoir la produire nuit à la capacité de l’appelante de présenter une défense pleine et entière ou, plus généralement, au droit de l’appelante, en sa qualité de justiciable civile, de défendre sa cause. En ce sens, empêcher l’appelante de divulguer ces documents pour des raisons de confidentialité porte atteinte à son droit à un procès équitable. Même si en matière civile cela n’engage pas de droit protégé par la Charte, le droit à un procès équitable peut généralement être considéré comme un principe de justice fondamentale : M. (A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157, par. 84, le juge L’Heureux-Dubé (dissidente, mais non sur ce point). Le droit à un procès équitable intéresse directement l’appelante, mais le public a aussi un intérêt général à la protection du droit à un procès équitable. À vrai dire, le principe général est que tout litige porté devant les tribunaux doit être tranché selon la norme du procès équitable. La légitimité du processus judiciaire n’exige pas moins. De même, les tribunaux ont intérêt à ce que toutes les preuves pertinentes leur soient présentées pour veiller à ce que justice soit faite.

51 Ainsi, les intérêts que favoriserait l’ordonnance de confidentialité seraient le maintien de relations commerciales et contractuelles, de même que le droit des justiciables civils à un procès équitable. Est lié à ce dernier droit l’intérêt du public et du judiciaire dans la recherche de la vérité et la solution juste des litiges civils [66] .

[67] Pour souligner l’importance de pondérer les facteurs pertinents, la Cour a établi le critère suivant :

Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires [67] .

[68] Il convient également de ne pas oublier que l’arrêt Sierra Club a été rendu sur le fondement de l’article 151 des Règles des Cours fédérales, qui prévoit ce qui suit :

(1) La Cour peut, sur requête, ordonner que des documents ou éléments matériels qui seront déposés soient considérés comme confidentiels.

(2) Avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe (1), la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

[69] L’article 151 des Règles des Cours fédérales confère le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance de confidentialité à la suite d’une requête. Il incombe à la partie requérante de démontrer que la réparation devrait être accordée. L’article 363 des Règles des Cours fédérales exige que les requêtes soient appuyées au moyen d’un affidavit [68] .

[70] Le critère établi dans l’arrêt Sierra Club fait fonction de ligne directrice pour ce qui est de l’exercice du pouvoir discrétionnaire lorsqu’une requête est présentée sur le fondement de l’article 151 des Règles des Cours fédérales. En ce qui concerne l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, il est généralement reconnu que l’intérêt à protéger les renseignements commercialement sensibles , comme c’est le cas dans certains types de litiges (notamment les litiges relatifs aux brevets), prévaut après l’appréciation et la pondération des facteurs pertinents [69] .

[71] Ainsi, pour obtenir une ordonnance de non-publication (comme dans les arrêts Dagenais et Mentuck) ou une ordonnance de confidentialité (comme dans l’arrêt Sierra Club), il faut présenter une requête à un tribunal, laquelle sera tranchée en tenant compte des principes de common law.

[72] Le Parlement dispose du pouvoir et de la prérogative d’écarter ou de modifier les principes de common law par voie législative. C’est ce qu’il a fait en adoptant les articles 45 à 48 de la Loi sur le TCCE de façon à encadre expressément dépôt et l’utilisation de renseignements confidentiels devant le Tribunal. Weir-Jones insiste sur le fait que ces dispositions devraient être interprétées de manière restrictive afin d’exiger du Tribunal qu’il entreprenne une analyse axée sur la mise en balance des intérêts pour déterminer s’il existe des « preuves convaincantes » à l’appui de la protection des renseignements confidentiels.

[73] Les principes d’interprétation des lois sont bien établis : « [I]l faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur [70] . »

[74] Les articles 45 à 48 font partie d’un régime législatif qui crée un tribunal administratif hautement spécialisé dont le mandat porte sur le travail d’adjudication et d’enquête en matière économique et commerciale. Plus particulièrement, la compétence du Tribunal s’exerce dans cinq domaines essentiels : les enquêtes de dommage antidumping, les enquêtes sur les marchés publics, les appels en matière de douanes et d’accises, les enquêtes économiques et tarifaires et les enquêtes de sauvegarde.

[75] Compte tenu de l’objet des affaires dont il est saisi, le Tribunal doit examiner et apprécier des preuves financières, commerciales et techniques reçues de l’industrie étrangère et nationale. Certains de ces éléments sont de nature commercialement sensible aux yeux des parties qui les divulguent au Tribunal, soit volontairement, soit à la requête du Tribunal [71] . Ces renseignements sont essentiels pour que le Tribunal puisse s’acquitter du mandat qui lui est conféré par la loi, notamment en ce qui concerne les questions de recours commerciaux et de marchés publics pour lesquelles les procédures sont assujetties à des délais fixes. Il est donc essentiel que les participants et les parties prenantes aient la certitude profonde que les documents de nature délicate sur le plan commercial qui sont confiés au Tribunal seront protégés [72] .

[76] Cet objectif serait sérieusement compromis si la protection des renseignements commercialement sensibles ne pouvait pas être assurée du fait que la question de la confidentialité devrait faire l’objet d’un débat particulier, devant le Tribunal, à plus forte raison si des délais prévus par la loi sont en jeu et que le temps presse.

[77] Dans ce contexte législatif, le Parlement a inclus des dispositions dans la Loi sur le TCCE qui sont conçues pour protéger la confidentialité des renseignements commercialement sensibles sans dépasser les délais sommaires applicables aux procédures du Tribunal ou, de ce fait, nuire à la capacité du Tribunal de faire son travail. À cet égard, le Parlement a décidé qu’il suffirait d’expliquer pourquoi les renseignements sont confidentiels et qu’une requête appuyée par des preuves ne serait pas requise.

[78] L’équilibre contextuel des intérêts dont il est question dans la décision Sierra Club est pris en compte dans le régime législatif prévu par les articles 45 à 48 de la Loi sur le TCCE. La partie qui procède à une désignation de confidentialité doit également déposer une version publique et expurgée du document confidentiel [73] .

[79] Toutefois, la présomption de confidentialité peut être réfutée. Si une personne désigne des renseignements comme étant confidentiels et que le Tribunal estime que cette désignation n’est pas justifiée vu la nature ou l’abondance des renseignements ou leur accessibilité à partir d’autres sources, ou parce que la personne n’a pas fourni d’explication de la désignation, le Tribunal fait donner avis à cet effet à la personne. Si la personne ne prend pas de mesures correctives, les renseignements sont effectivement rayés du dossier, car le Tribunal n’en tiendra pas compte [74] .

[80] Weir-Jones se plaint de manquement à l’équité procédurale du fait que son conseiller juridique n’est pas en mesure de lui fournir une copie non expurgée du protocole. Weir-Jones affirme qu’une « solution de rechange raisonnable » [traduction] conformément au critère Dagenais/Mentuck serait de maintenir la confidentialité du protocole en ce qui concerne le dossier du Tribunal qui est accessible au public et de permettre l’accès de celui-ci aux mandataires sociaux de Weir-Jones.

[81] Cette façon de procéder, si elle était suivie, contreviendrait à une interdiction expressément énoncée dans la Loi sur le TCCE. En effet, l’article 45 de la Loi sur le TCCE est formulé comme suit :

(1) Les agents de l’administration publique fédérale et les membres qui ont en leur possession, au cours de leur emploi ou de leur mandat, selon le cas, des renseignements désignés comme confidentiels aux termes de l’alinéa 46(1)a) ne peuvent, si la personne qui les a désignés ou fournis n’a pas renoncé à leur caractère confidentiel, sciemment les communiquer ou laisser communiquer de manière à ce qu’ils puissent être vraisemblablement utilisés par un concurrent de la personne dont l’entreprise ou les activités sont concernées par les renseignements. Cette interdiction s’applique même après que l’agent ou le membre a cessé ses fonctions.

[82] Des exceptions limitées sont créées, dans le cadre de l’article 45, pour les conseillers juridiques et les experts indépendants.

[83] Le Tribunal n’a pas le pouvoir discrétionnaire de passer outre l’interdiction imposée par l’article 45. Une fois désignés comme tels, les renseignements confidentiels déposés auprès du Tribunal ne peuvent être divulgués que dans certaines circonstances, à savoir au conseiller juridique d’une partie adverse ou à un expert indépendant, ou lorsque la partie divulgatrice a donné son consentement écrit.

[84] Selon le raisonnement adopté par Weir-Jones, toute partie devant le Tribunal pourrait demander l’accès aux renseignements confidentiels qu’une autre partie a déposés auprès du Tribunal, même si ces renseignements ont déjà été fournis à la partie destinataire par l’intermédiaire de son conseiller juridique.

[85] La raison d’être de la protection des renseignements confidentiels est d’empêcher une partie d’obtenir l’accès à des renseignements commercialement sensibles qui sont la propriété d’une autre partie, qui profiteraient injustement à un concurrent ou qui porteraient atteinte aux droits de l’autre partie (qui les divulgue). [75] Ainsi, la « solution de rechange raisonnable » proposée par Weir-Jones aurait pour effet de recréer, dans le cadre du mandat du Tribunal, le dilemme décrit dans l’arrêt Sierra Club, ce qui romprait l’équilibre du régime établi par les articles 45 à 48, qui ont été adoptés pour permettre au Tribunal de s’acquitter du mandat qui lui est conféré par la loi.

[86] Dans sa plaidoirie, Weir-Jones a avancé un autre argument dont la portée était plus étroite. Weir-Jones a fait valoir que l’application du critère « Dagenais/Mentuck » et la nécessité d’une « preuve convaincante » à l’appui d’une demande de confidentialité ne devraient pas s’appliquer à toutes les désignations de documents confidentiels déposés auprès du Tribunal. Au contraire, elle ne devrait s’appliquer qu’aux situations inhabituelles où le document désigné comme confidentiel est « hors norme » pour une telle désignation.

[87] La difficulté de cet argument tient au fait qu’un seuil devrait être imposé pour déterminer si le document en question correspond ou non à une certaine « norme » non définie susceptible de préserver sa confidentialité. L’affirmation relative à la confidentialité est nécessairement subjective puisqu’elle est faite par la partie divulgatrice, en fonction de ses intérêts et de ses obligations contractuelles envers les tiers, comme c’était le cas dans l’arrêt Sierra Club. Ces considérations n’ont joué aucun rôle dans l’arrêt Dagenais et dans l’arrêt Mentuck, qui portaient sur des ordonnances de non-publication visant les médias. Comme il est mentionné précédemment, le régime législatif ne prévoit pas la tenue d’un examen préliminaire de la confidentialité par voie de requête devant le Tribunal, bien que le régime tienne compte de l’équilibre des intérêts, conformément à l’arrêt Sierra Club.

[88] En l’espèce, Weir-Jones n’est simplement pas d’accord avec la raison avancée par TPSGC pour désigner le protocole comme confidentiel. Il y a une distinction entre l’existence d’un accord (qui peut être publié) et les modalités de cet accord. Par analogie, il peut être de notoriété publique qu’un joueur de hockey est sous contrat avec une équipe donnée de la LNH, mais cela ne signifie pas que le salaire et le contrat de travail du joueur sont également connus ou autrement réputés faire l’objet d’une divulgation publique.

[89] Le Tribunal est satisfait de l’explication fournie par TPSGC, à savoir que les modalités d’un accord pour un « projet unifié canado-américain de système d’alerte sismique précoce » [76] [traduction] doivent demeurer confidentielles entre les gouvernements du Canada et des États-Unis. Les modalités d’un accord intergouvernemental et international sont le type de renseignements confidentiels qui devrait être protégé de la divulgation publique, comme dans l’arrêt Sierra Club.

[90] Weir-Jones n’a fourni aucune preuve démontrant que les modalités du protocole ont été publiquement divulguées ailleurs. Si le contenu d’un document est par ailleurs de notoriété publique, il n’est plus confidentiel. En l’absence de preuves montrant que les modalités du protocole sont publiques, il n’y a pas de motifs raisonnables pour le Tribunal de conclure que le protocole ne devrait pas être traité comme un renseignement confidentiel, dans le cadre des articles 45 à 48 de la Loi sur le TCCE.

[91] Pour les raisons susmentionnées, le Tribunal rejette l’argument de Weir-Jones relatif à la désignation de la confidentialité pour ce qui est du protocole.

Respect des délais

[92] TPSGC soutient que la plainte de Weir-Jones devrait être rejetée parce qu’elle est prescrite.

[93] Le Règlement impose des délais stricts en ce qui concerne le dépôt des plaintes relatives aux marchés publics. Selon le paragraphe 6(1), une plainte doit être déposée dans les 10 jours ouvrables suivant la date à laquelle le plaignant a eu connaissance ou aurait dû raisonnablement avoir connaissance des faits à l’origine de la plainte, comme il est indiqué ci-dessous :

6 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), le fournisseur potentiel qui dépose une plainte auprès du Tribunal en vertu de l’article 30.11 de la Loi doit le faire dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte.

[94] TPSGC affirme que la plainte de Weir-Jones tire son origine de la DR. Étant donné que Weir-Jones n’a pas déposé de plainte concernant les exigences proposées par RNCan pour le système d’ASP et présentées dans la DR, il est maintenant trop tard pour que Weir-Jones se plaigne des exigences figurant dans la DP. Le délai de 10 jours pour déposer une plainte concernant la DR est expiré depuis longtemps.

[95] Weir-Jones affirme avoir fait part de ses préoccupations à RNCan après la publication de la DR. Malgré cela, RNCan et TPSGC ont tout de même procédé à la publication de la DP, qui renfermait des spécifications essentiellement inchangées. En outre, Weir-Jones affirme que RNCan et TPSGC ont publié la DP en étant conscients du lien entre le contenu de la DP et les droits de propriété intellectuelle de Weir-Jones.

[96] Le Tribunal estime que la DR était un document consultatif publié pour obtenir des commentaires auprès des parties prenantes avant la publication d’une DP. La DR est formulée de façon conditionnelle, indiquant que l’intention est « d’explorer les options d’achat pour de l’équipement de surveillance, des logiciels d’acquisition de données, des infrastructures de stations (y compris les systèmes électriques, la gestion et le matériel de communication) et des services d’installation pour le système d’ASP. Ces renseignements permettraient d’élaborer une demande formelle d’approvisionnement pour les produits ou services concernés (appelée dans le présent document le marché subséquent) » [77] [nos italiques, traduction].

[97] RNCan a donc maintenu le pouvoir discrétionnaire de conserver ou de modifier les spécifications techniques aux fins de la DP, comme il l’entendait, en fonction de tout renseignement obtenu des parties prenantes intéressées qui ont répondu à la DR. D’ailleurs, RNCan n’était pas du tout obligé de lancer un appel d’offres. RNCan a conservé le pouvoir discrétionnaire de reporter, voire d’annuler, le marché sans lancer d’appel d’offres.

[98] Il existe des preuves que Weir-Jones a communiqué ses préoccupations à RNCan en ce qui concerne les spécifications techniques de la DR [78] . Toutefois, en l’absence d’un rejet catégorique, le Tribunal estime qu’il était raisonnable pour Weir-Jones de présumer que ses observations étaient prises en considération. Ce n’est qu’au moment de la publication de la DP que Weir-Jones s’est rendu compte que les suggestions qu’elle avait transmises à RNCan concernant les spécifications de la demande de propositions n’avaient pas été adoptées.

[99] Étant donné que les modalités de la DR étaient, de toute évidence, provisoires et qu’elles dépendaient de la publication d’une DP à une date ultérieure, la DR ne comportait aucune obligation d’établir un marché. À ce titre, on peut soutenir que la DR n’aurait pas porté sur un « contrat spécifique » au sens de l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE. Le Tribunal ne peut traiter que les plaintes relatives aux contrats spécifiques.

[100] Étant donné que TPSGC avait la possibilité, à la suite du processus consultatif de la DR, de modifier les spécifications avant de lancer la DP, le Tribunal conclut que Weir-Jones n’avait pas dépassé les délais pour déposer une plainte relativement à la DP.

[101] Il n’est pas contesté que la DP porte sur un « contrat spécifique », ou que la plainte de Weir‑Jones a été déposée dans les délais pour ce qui est de la DP.

Compétence

[102] TPSGC a demandé au Tribunal de rejeter la plainte de Weir-Jones pour cause d’absence de compétence. Cet argument semblait reposer sur deux hypothèses : 1) que les allégations de Weir‑Jones, si elles s’avèrent fondées, ne constitueraient pas une violation d’un accord commercial et 2) que pour décider des plaintes sur le fond, le Tribunal doit examiner les questions de fond relatives à la contrefaçon de brevet, notamment l’interprétation des revendications.

[103] La compétence du Tribunal en matière de litige concernant les marchés publics découle de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE :

30.14 (1) Dans son enquête, le Tribunal doit limiter son étude à l’objet de la plainte.

(2) Le Tribunal détermine la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique ou la catégorie dont il fait partie.

[104] L’article 11 du Règlement précise ce qui suit :

Lorsque le Tribunal enquête sur une plainte, il décide si la procédure du marché public a été suivie conformément aux exigences de l’Accord sur les marchés publics, de l’ALÉCC, de l’ALÉCP, de l’ALÉCCO, de l’ALÉCPA, de l’ALÉCH, de l’ALÉCRC, de l’AÉCG[ [79] ], de l’ALÉC, de l’ALÉCU ou du PTP, selon le cas.

[105] Il est incontestable que divers accords commerciaux auxquels le Canada est partie renferment des dispositions relatives aux droits de propriété intellectuelle [80] . En effet, pour assurer le respect des obligations du Canada en matière de droits de propriété intellectuelle dans le cadre des accords commerciaux, le Parlement a apporté, à diverses reprises, des modifications en conséquence à plusieurs lois fédérales, notamment la Loi sur les brevets [81] , la Loi sur les marques de commerce [82] et la Loi sur le droit d’auteur [83] . L’adoption de nouvelles dispositions législatives visant à aligner le droit national canadien sur les obligations internationales du Canada témoigne du fait que le Parlement a conscience que les obligations prévues par les accords commerciaux en matière de droits de propriété intellectuelle doivent être respectées et qu’il a l’intention de faire en sorte qu’elles le soient [84] .

[106] En soutenant que le Tribunal n’a pas compétence pour instruire la plainte de Weir-Jones, TPSGC dit, en substance, que le Tribunal devrait interpréter très étroitement l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE et l’article 11 du Règlement. Si tel est le cas, toute enquête menée par le Tribunal devrait toujours se limiter aux questions directement visées par le chapitre sur les marchés publics de l’accord commercial pertinent invoqué par la partie plaignante.

[107] La difficulté de cet argument tient au fait que le Tribunal devrait par conséquent adopter une vision étroite des procédures de passation des marchés publics fédéraux qui pourrait autrement contrevenir et nuire à d’autres aspects des obligations internationales du Canada prévues par les accords commerciaux.

[108] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov [85] , la Cour suprême a récemment examiné l’approche d’interprétation des lois qui devrait être adoptée par les décideurs administratifs. Les passages suivants s’appliquent en l’espèce :

[120] Or, quelle que soit la forme que prend l’opération d’interprétation d’une disposition législative, le fond de l’interprétation de celle-ci par le décideur administratif doit être conforme à son texte, à son contexte et à son objet. En ce sens, les principes habituels d’interprétation législative s’appliquent tout autant lorsqu’un décideur administratif interprète une disposition. Par exemple, lorsque le libellé d’une disposition est « précis et non équivoque », son sens ordinaire joue normalement un rôle plus important dans le processus d’interprétation : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 10. Lorsque le sens d’une disposition législative est contesté au cours d’une instance administrative, il incombe au décideur de démontrer dans ses motifs qu’il était conscient de ces éléments essentiels.

[121] La tâche du décideur administratif est d’interpréter la disposition contestée d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet, compte tenu de sa compréhension particulière du régime législatif en cause. Toutefois, le décideur administratif ne peut adopter une interprétation qu’il sait de moindre qualité – mais plausible – simplement parce que cette interprétation paraît possible et opportune. Il incombe au décideur de véritablement s’efforcer de discerner le sens de la disposition et l’intention du législateur, et non d’échafauder une interprétation à partir du résultat souhaité [86] .

[109] Lorsque le contexte l’exige, l’arrêt Vavilov indique que les principes du droit international et les obligations internationales du Canada sont des facteurs pertinents dont il faut tenir compte, surtout si l’on considère le résultat pratique qui découlera de l’exercice d’interprétation :

[114] Nous tenons également à faire remarquer que le droit international représentera une contrainte importante pour un décideur administratif dans certains domaines du processus décisionnel administratif. Il est bien établi que la législation est réputée s’appliquer conformément aux obligations internationales du Canada et que l’organe législatif est « présumé respecter les valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel » : R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292, par. 53; R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, [2015] 3 R.C.S. 754, par. 40. Depuis l’arrêt Baker, il est également établi que les conventions et les traités internationaux, même s’ils n’ont pas été mis en œuvre par une loi au Canada, s’avèrent utiles pour déterminer si une décision participe d’un exercice raisonnable du pouvoir administratif : Baker, par. 6971.

[...]

[182] Il est bien établi que la loi interne est présumée respecter les obligations internationales du Canada et qu’elle doit être interprétée d’une manière qui reflète les principes du droit international coutumier et conventionnel : Appulonappa, par. 40; voir aussi Pushpanathan, par. 51; Baker, par. 70; GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., 2005 CSC 46, [2005] 2 R.C.S. 401, par. 39; Hape, par. 5354; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704, par. 48; Inde c. Badesha, 2017 CSC 44, [2017] 2 R.C.S. 127, par. 38; Bureau de l’avocat des enfants c. Balev, 2018 CSC 16, [2018] 1 R.C.S. 398, par. 3132. Néanmoins, l’analyste ne fait pas état des règles de droit international pertinentes, ne s’interroge pas sur l’objectif que le législateur visait en adoptant le par. 3(2), et ne répond pas aux observations que M. Vavilov a présentées à cet égard. L’analyste n’essaie pas non plus d’expliquer autrement pourquoi le législateur élaborerait au départ une disposition de cette nature. Malgré les observations convaincantes voulant que la raison d’être du par. 3(2) consiste à instituer une exception étroite à la règle générale, conformément aux principes établis du droit international, l’analyste et la greffière ont choisi une interprétation différente, sans motiver leur choix de façon raisonnée [87] .

[110] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited [88] , la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur l’objectif du cadre réglementaire applicable à la surveillance des marchés publics fédéraux :

[22] La substance des dispositions précitées permet de déduire les fins poursuivies par le régime : lorsqu’il s’agit de passer un marché public, le gouvernement fédéral décrit ses besoins et précise les critères et méthodes d’évaluation qu’il emploiera dans une demande de propositions et des documents connexes (sous réserve de possibles modifications postérieures), et il doit s’en tenir à ces énoncés lorsqu’il reçoit et évalue les propositions. En vertu de la compétence que lui confère la Loi, le Tribunal surveille ce processus : lorsqu’il effectue une enquête, il doit examiner si le gouvernement a adhéré aux besoins, critères et méthodes d’évaluation déclarés et, globalement, « l’intégrité et l’efficacité du mécanisme d’adjudication ». Comme l’indique clairement l’article 11, précité, du Règlement, ce processus est régi par l’Accord sur le commerce intérieur, dont l’un des objectifs, suivant l’article 100, est d’« établir un marché intérieur ouvert, performant et stable ».

[23] Les fins poursuivies par le régime, telles qu’elles ressortent des dispositions législatives et réglementaires précitées, sont les suivantes :

(1) Équité du processus de passation des marchés publics pour les concurrents. Un mécanisme équitable appliquant un ensemble de règles claires à tous les soumissionnaires accroît la confiance au système et la participation, maximisant ainsi les chances du gouvernement d’obtenir des biens et services de qualité répondant à ses besoins, au moindre coût pour les contribuables. Bref, l’équité permet que les contribuables en aient pour leur argent.

(2) Concurrence entre soumissionnaires. Lorsque les règles du jeu sont les mêmes pour tous les soumissionnaires et qu’il y a concurrence, il y a également plus de chances que le gouvernement obtienne des biens et services de qualité répondant à ses besoins, au moindre coût pour les contribuables. La concurrence aussi permet que les contribuables en aient pour leur argent.

(3) Efficacité. Ce but concerne directement l’obtention de biens et services de qualité au moindre coût ainsi que la nécessité que le système de passation de marchés soit pratique et opère sans délai indu et sans occasionner de dépenses inutiles.

(4) Intégrité. L’intégrité du mécanisme accroît la confiance et la participation, maximisant ainsi les chances du gouvernement d’obtenir des biens et services de qualité répondant à ses besoins, au moindre coût pour les contribuables. L’intégrité aussi permet que les contribuables en aient pour leur argent.

Ces quatre fins et la notion primordiale de contrepartie valable pour les contribuables sont des aspects essentiels du bon gouvernement. Leur importance fait qu’elles doivent toujours se trouver à l’avant-plan lorsque le Tribunal examine les faits, en évalue la portée, interprète sa loi habilitante, l’applique aux faits et statue sur la réparation [89] .

[111] Compte tenu des principes énoncés ci-dessus dans les arrêts Vavilov et Almon, le Tribunal estime que les arguments avancés par TPSGC sur les champs de compétence conduiraient à un résultat déraisonnable, voire absurde.

[112] Les accords commerciaux renferment des dispositions exigeant que les marchés publics soient menés de manière équitable, ouverte et transparente. Le mandat du Tribunal doit être interprété de façon téléologique, et non restrictive, pour permettre au Tribunal de surveiller les procédures de passation des marchés publics de manière à garantir l’équité, l’ouverture et la transparence. Le Tribunal a compétence pour examiner tout aspect d’une procédure de passation des marchés publics qui se rapporte à un contrat spécifique [90] .

[113] D’après Weir-Jones, sa propriété intellectuelle est détournée, ou sera détournée, dans le cadre de la procédure de marché public conçue par RNCan et TPSGC. Si on se fie aux arguments de TPSGC, le Tribunal doit faire abstraction du bien-fondé de cette plainte, et de toute procédure de passation des marchés publics fédéraux viciée sur laquelle la plainte est fondée, en raison d’une interprétation étroite du libellé général de l’article 30.14 de la Loi sur le TCCE et de l’article 11 du Règlement.

[114] En pratique, cette interprétation ouvre la voie à une situation où la surveillance réglementaire des marchés publics fédéraux, telle que promulguée par le Parlement, ne permet pas d’enquêter, et encore moins de fournir une quelconque réparation, si une procédure de passation des marchés publics viciée entraîne le détournement d’une propriété privée.

[115] Cette approche ne peut pas être conciliée avec l’objectif de garantir que le système de passation des marchés publics fonctionne de manière équitable et intègre. Elle ne favorise pas non plus la confiance du public ou des soumissionnaires dans le système de passation des marchés publics ni ne cadre avec les valeurs systémiques énoncées dans l’arrêt Almon.

[116] Ce résultat contreviendrait ou nuirait également à d’autres obligations prévues par les accords commerciaux, notamment les obligations en matière de propriété intellectuelle. En effet, le Canada respecterait à ces obligations en prenant des mesures pour harmoniser son droit interne, d’une part et d’autre part, il nuirait au régime réglementaire adopté pour la surveillance des marchés publics en excluant les droits de propriété intellectuelle applicables aux biens et services que le Canada pourrait chercher à acquérir.

[117] En outre, cette approche aurait pour effet de restreindre artificiellement les motifs de plainte dont pourraient disposer les soumissionnaires mécontents de l’équité de la procédure d’appel d’offres dans l’ensemble.

[118] L’interface entre les droits de propriété intellectuelle et le droit des marchés publics a déjà été examinée par le Tribunal dans la décision Noël Import/Export (Re) [91] .

[119] Dans la décision Noël, un soumissionnaire non retenu s’est plaint au Tribunal que TPSGC avait attribué un marché à un autre soumissionnaire (AirSolid) dont le produit (embarcation de sauvetage) était, selon lui, une contrefaçon d’un brevet appartenant à un tiers (Oceanid). Noël était le distributeur canadien des produits d’Oceanid. Oceanid n’était pas une des parties à l’instance. Le Tribunal a conclu qu’il n’était pas compétent pour déterminer si les embarcations de sauvetage fournies par AirSolid étaient une contrefaçon du brevet d’Oceanid. Toutefois, le Tribunal a laissé ouverte la possibilité d’examiner les questions de contrefaçon de brevet si les allégations de contrefaçon de brevet se sont produites dans le contexte de la procédure de passation des marchés publics elle-même :

En ce qui a trait au premier motif de plainte, le Tribunal s’entend avec TPSGC pour dire qu’il n’a pas compétence pour connaître d’un litige concernant l’existence ou l’absence d’une contrefaçon de brevet. Toutefois, le Tribunal fait observer que, si une plainte devait être déposée eu égard à la violation des dispositions sur les marchés publics prévues aux accords commerciaux dans une situation où il y a allégation de contrefaçon de brevet, une telle plainte relèverait de sa compétence. Selon les éléments de preuve, tel n'est pas le cas en l’espèce. Par conséquent, le Tribunal n’a pas compétence pour enquêter sur ce motif de plainte [92] .

[120] TPSGC a fait valoir que ce passage de la décision Noël constituait une opinion incidente, ou encore qu’il devait être considéré comme une conclusion antérieure du Tribunal selon laquelle celui‑ci n’a définitivement pas la compétence pour examiner les questions de contrefaçon. Selon TPSGC, si le Tribunal ne peut pas considérer la contrefaçon après la passation d’un marché public, le Tribunal ne peut pas non plus déterminer l’existence de la contrefaçon si celle-ci est intégrée à la procédure de passation de marchés publics. Ce raisonnement circulaire est sans fondement.

[121] La conclusion du Tribunal dans la décision Noël est conforme à ce que la Cour a affirmé à maintes reprises, à savoir que le rôle de surveillance du Tribunal prend fin lorsqu’une soumission est retenue et qu’un marché est attribué. Le Tribunal ne traite pas des questions relatives à l’administration des marchés. Si le soumissionnaire retenu n’est pas en mesure d’assurer l’exécution du marché, conformément aux modalités de son offre, l’entité acheteuse doit se tourner vers le droit contractuel pour y remédier – un tel scénario ne permet pas au soumissionnaire non retenu de rouvrir le marché en déposant une plainte auprès du Tribunal.

[122] De même, dans la décision Noël, la question de la contrefaçon de brevet a été soulevée après que la soumission d’AirSolid a été retenue et que TPSGC a décidé, à la suite d’un test de produit réussi, d’attribuer un marché à AirSolid. L’allégation selon laquelle AirSolid fournirait un produit qui était une contrefaçon du brevet d’Oceanid n’est, à toutes fins utiles, pas différente de la situation où AirSolid aurait fourni un produit défectueux ou autrement non conforme au contenu de son offre. Dans aucun des deux cas, le Tribunal n’est pas en mesure d’accorder une réparation à Oceanid.

[123] Comme il est souligné dans la décision Noël, cette situation se distingue de celle où la possible contrefaçon est ancrée dans la procédure de passation des marchés elle-même. Telle est l’allégation de Weir-Jones.

[124] À ce stade-ci, le deuxième aspect de l’argument de TPSGC concernant la compétence entre en jeu. TPSGC soutient qu’une décision concernant la plainte de Weir-Jones obligerait le Tribunal à aller trop loin en examinant des questions de fond relatives à la contrefaçon de brevet, et que le Tribunal n’est pas le forum approprié pour trancher ces questions.

[125] Pour répondre à ces questions, il faut d’abord présenter un aperçu des principes pertinents applicables à l’analyse.

[126] Les droits de brevet relèvent entièrement de la loi [93] . Le breveté se voit accorder un monopole défini à l’article 42 de la Loi sur les brevets, à savoir « […] le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent [...] [94] », qui est parfois abrégé et appelé « le droit exclusif de fabriquer, exploiter et vendre ».

[127] L’étendue du monopole du breveté, selon la loi, est définie par les revendications du brevet. Dans l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc. [95] , la Cour suprême a expliqué la fonction des revendications et les a comparées à des clôtures :

14 Les revendications d’un brevet sont souvent comparées à des « clôtures » et à des « frontières » qui délimiteraient clairement les « champs » faisant l’objet du monopole. Ainsi, dans la décision Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines, Ltd., [1947] R.C. de l’É. 306, le président Thorson s’exprime dans les termes suivants, à la p. 352:

[traduction] En formulant ses revendications, l’inventeur érige une clôture autour des champs de son monopole et met le public en garde contre toute violation de sa propriété. La délimitation doit être claire afin de donner l’avertissement nécessaire, et seule la propriété de l’inventeur doit être clôturée. La teneur d’une revendication doit être exempte de toute ambiguïté ou obscurité pouvant être évitée, et sa portée ne doit pas être flexible; elle doit être claire et précise de façon que le public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risque [96] .

[128] Un brevet peut comprendre de multiples revendications. Chaque revendication définit un monopole distinct. En plus de ses revendications, le brevet comprend également une description ou un mémoire descriptif, comme il est expliqué dans l’arrêt Whirlpool c. Camco Inc. [97] :

42 Le contenu du mémoire descriptif d’un brevet est régi par l’art. 34 de la Loi sur les brevets. La première partie est une « divulgation » dans laquelle le breveté doit fournir une description de l’invention « comportant des détails assez complets et précis pour qu’un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole »: Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., 1981 CanLII 15 (CSC), [1981] 1 R.C.S. 504, à la p. 517. La divulgation est ce que l’inventeur fournit en contrepartie d’un monopole de 17 ans (maintenant 20 ans) sur l’exploitation de l’invention [98] . [...]

[129] La matière qui est divulguée ou discutée dans le brevet, mais qui n’est pas explicitement revendiquée, ne jouit d’aucun monopole, comme il est exposé dans les arrêts Whirlpool et Burton Parsons, Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd. [99] :

L’inventeur n’est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. La règle habituelle veut que ce qui n’est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l’objet d’une renonciation [100] .

Plusieurs arrêts signalent qu’un inventeur est libre de formuler ses revendications aussi étroitement qu’il le juge à propos dans le but de se protéger de l’invalidité qui pourrait résulter d’une formulation trop générale. En pratique, cette liberté est vraiment très limitée car le brevet peut avoir aussi peu de valeur que s’il était invalide si, pour éviter toute possibilité d’invalidité, il laisse un champ inoccupé entre ce que représente l’invention telle que divulguée et ce qui est visé par les revendications. Tout chacun peut alors utiliser l’invention dans les limites de ce champ laissé inoccupé. [...]

[130] Pour déterminer si un brevet a été contrefait, il faut d’abord interpréter les revendications du brevet afin de déterminer la portée et les limites du monopole. L’interprétation d’une revendication est une question de droit, analogue à l’interprétation d’un règlement [101] .

[131] À la suite de l’interprétation des revendications, les agissements ou les activités qui constitueraient une contrefaçon sont ensuite examinés, à titre de question de fait, pour déterminer s’ils cadrent dans la limite de la revendication. Dans certaines situations, cet exercice peut être une évidence en soi et l’interprétation des revendications peut être déterminante pour la contrefaçon [102] .

[132] Selon la Loi sur les brevets, l’interprétation des revendications ne relève aucunement de la compétence exclusive d’un tribunal. En effet, l’examen et l’interprétation des revendications de brevet sont entrepris dans plusieurs contextes par des décideurs administratifs, dont Santé Canada [103] et le Conseil de réexamen des brevets [104] . Le conseiller juridique de TPSGC a cherché à distinguer ces scénarios en affirmant que l’interprétation des revendications de brevet est prévue dans les mandats accordés par la loi à des décideurs en particulier. Cet argument n’est pas défendable, si l’on tient compte de l’objet et du contexte du rôle du Tribunal en ce qui concerne la surveillance des procédures de passation des marchés publics fédéraux, comme il est mentionné précédemment.

[133] Lors de l’instruction des plaintes en matière de marchés publics, il peut parfois être nécessaire pour le Tribunal d’examiner des questions de droit se rapportant à des lois fédérales autres que sa loi constitutive ou d’appliquer des principes de common law. Tout dépend du contexte. Il n’existe aucun principe selon lequel le droit et les dispositions législatives en matière de propriété intellectuelle doivent être traités différemment, en particulier lorsqu’un plaignant affirme, comme c’est le cas en l’espèce, que la procédure du marché public a été entachée par un document d’appel d’offres fautif.

[134] En demandant au Tribunal de rejeter la plainte pour absence de compétence, TPSGC affirme en fait que le Tribunal ne devrait pas examiner, ou devrait refuser de trancher, la question de savoir si TPSGC a établi une procédure d’appel d’offres viciée [105] , car, s’il s’exécutait, le Tribunal devrait apprécier et trancher d’autres questions de droit, à savoir (en l’espèce) celles qui ont trait à la contrefaçon de brevet. Dans les faits, le Tribunal choisirait de ne pas exercer sa compétence, et non de l’outrepasser.

[135] En alléguant que la procédure de passation des marchés publics de RNCan est viciée, Weir‑Jones affirme que son brevet protège l’invention d’un système d’ASP avec « connaissance de la situation », c’est-à-dire un système qui génère une alerte sismique personnalisée avec des informations et des instructions adaptées à la situation et à l’environnement du destinataire [106] .

[136] En effet, la divulgation faite dans le brevet 717 renvoie à la « connaissance de la situation » [107] . Toutefois, à moins qu’une analyse soit effectuée concernant les revendications du brevet 717, il serait erroné en droit de conclure que la lacune du marché public invoquée par Weir‑Jones est un motif de plainte valable en se fondant sur la simple affirmation que les soumissionnaires finiraient par contrefaire le brevet 717 en proposant de fournir un système d’ASP doté d’une fonction permettant la « connaissance de la situation », sans conclure à l’existence d’un lien entre la « connaissance de la situation » et l’objet d’au moins une revendication [108] . C’est d’autant plus vrai étant donné que cette conclusion ne serait pas simplement théorique, mais obligerait également le Tribunal à accorder une réparation.

[137] Inversement, un rejet catégorique de la plainte au motif qu’elle pas fondée entraînerait un problème semblable. À moins que le Tribunal examine si l’appel d’offres amène manifestement le soumissionnaire à franchir les limites d’au moins une revendication du brevet du plaignant, le Tribunal ne peut conclure que les allégations selon lesquelles la procédure de passation du marché public est inéquitable ou viciée ne sont pas fondées.

[138] Pour étayer son argument selon lequel le Tribunal ne devrait pas examiner les questions juridiques relatives à la contrefaçon, TPSGC soutient que les réparations pour la contrefaçon de brevet sont nettement différentes de celles qui peuvent être accordées par le Tribunal dans le contexte d’un litige en matière de marchés publics, particulièrement les réparations demandées par Weir‑Jones.

[139] Les recours classiques en cas de contrefaçon de brevet comprennent l’injonction [109] et les dommages-intérêts [110] , ainsi que les recours équitables, notamment la comptabilisation des bénéfices [111] , la restitution, les intérêts et les frais [112] .

[140] Les réparations qui peuvent être accordées par le Tribunal sont prescrites par le paragraphe 30.15(2), le paragraphe 30.15(3) et l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE :

Mesures correctives

30.15 (2) Sous réserve des règlements, le Tribunal peut, lorsqu’il donne gain de cause au plaignant, recommander que soient prises des mesures correctives, notamment les suivantes :

a) un nouvel appel d’offres;

b) la réévaluation des soumissions présentées;

c) la résiliation du contrat spécifique;

d) l’attribution du contrat spécifique au plaignant ;

e) le versement d’une indemnité, dont il précise le montant, au plaignant.

Critères

(3) Dans sa décision, le Tribunal tient compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché de fournitures ou services visé par le contrat spécifique, notamment des suivants :

a) la gravité des irrégularités qu’il a constatées dans la procédure des marchés publics;

b) l’ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

c) l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication;

d) la bonne foi des parties ;

e) le degré d’exécution du contrat.

Indemnité

30.15(4) Le Tribunal peut, sous réserve des règlements, accorder au plaignant le remboursement des frais entraînés par la préparation d’une réponse à l’appel d’offres.

Frais

30.16 (1) Les frais relatifs à l’enquête – même provisionnels – sont, sous réserve des règlements, laissés à l’appréciation du Tribunal et peuvent être fixés ou taxés.

[141] Bien que de portée différente, ces deux types de recours présentent des caractéristiques communes, notamment l’octroi d’une réparation pécuniaire à la partie lésée et la délivrance de directives concernant les mesures correctives. Il convient de noter que Weir-Jones a obtenu une ordonnance du Tribunal aux termes du paragraphe 30.13(3) de la Loi sur le TCCE, laquelle ordonnait à TPSGC de reporter l’attribution du contrat découlant de la DP jusqu’à ce que le Tribunal se prononce sur le bien-fondé la plainte de Weir-Jones [113] . En somme, cette ordonnance équivaut à la réparation accordée dans le cadre d’une injonction interlocutoire.

[142] Weir-Jones affirme qu’elle ne demande pas l’octroi de dommages-intérêts pour contrefaçon de brevet. Toutefois, comme l’a fait remarquer TPSGC, Weir-Jones demande au Tribunal d’ordonner à TPSGC d’acquérir ou de concéder sous licence les droits de propriété intellectuelle de Weir-Jones, du moins directement ou indirectement [114] . Bien que le Tribunal ne puisse pas rendre une telle ordonnance, il dispose d’une grande latitude pour recommander des réparations à un plaignant qui a obtenu gain de cause, y compris une indemnité pécuniaire. Le paragraphe 30.15(2) de la Loi sur le TCCE, dont le libellé est non limitatif, énonce que le Tribunal « peut recommander l’une des mesures correctives suivantes s’il le juge approprié », notamment une indemnité dont le montant est précisé par le Tribunal.

[143] L’article 30.18 de la Loi sur le TCCE ordonne à l’entité acheteuse de mettre en œuvre la mesure corrective du Tribunal « dans toute la mesure du possible ».

(1) Lorsque le Tribunal lui fait des recommandations en vertu de l’article 30.15, l’institution fédérale doit, sous réserve des règlements, les mettre en œuvre dans toute la mesure du possible.

(2) Elle doit en outre, par écrit et dans le délai réglementaire, lui faire savoir dans quelle mesure elle compte mettre en œuvre les recommandations et, dans tous les cas où elle n’entend pas les appliquer en totalité, lui motiver sa décision.

(3) Lorsqu’elle a avisé le Tribunal qu’elle entend donner suite aux recommandations, elle doit lui indiquer, dans le délai réglementaire et par écrit, dans quelle mesure elle l’a fait.

[144] Par conséquent, l’argument de TPSGC n’est pas convaincant et il est présenté dans le désordre. La question que doit trancher le Tribunal est celle de savoir si le marché public administré par TPSGC est vicié du fait que soumissionnaires doivent proposer des biens et des services qui seraient une contrefaçon des droits de propriété intellectuelle de Weir-Jones. Si tel est le cas, un recours est prévu par le paragraphe 30.15(2) et l’article 301.16 de la Loi sur le TCCE. Il n’est donc pas pertinent que le Tribunal ne puisse pas accorder les mêmes réparations que celles qui pourraient être accordées par une cour.

[145] TPSGC avance un autre argument, à savoir que le Tribunal ne devrait pas statuer sur la plainte parce que des allégations de contrefaçon de brevet quia timet sont soumises au Tribunal pour sa décision

[146] Les questions concernant la contrefaçon quia timet se posent généralement, sur requête interlocutoire dans une action, lorsque la suffisance des plaidoiries est contestée. On cherche généralement à radier les allégations quia timet parce qu’elles visent des activités de contrefaçon qui devraient se produire à un moment indéterminé dans le futur [115] .

[147] La nature de la contrefaçon quia timet et les exigences en matière de plaidoirie ont été abordées dans la décision AstraZeneca c. Novopharm Limited [116] :

[19] Une action fondée sur des suppositions a été qualifiée d’action quia timet ou préventive (fondé sur une crainte). Un examen approfondi de la jurisprudence portant sur ce type d’action a été effectué par le juge Gibson de notre Cour dans Connaught Laboratories Ltd. c. SmithKline Beecham Pharma Ltd. (1998), 86 C.P.R. (3d) 36. Les avocats des parties en l’espèce sont d’accord avec le résumé du droit que le juge a présenté au paragraphe 20 de ses motifs :

De cette jurisprudence, je tire à l'égard des allégations les critères suivants qui doivent être respectés, de manière évidente, au vu de la déclaration dans une procédure préventive alléguant la contrefaçon de brevet : la déclaration doit alléguer une intention exprimée et délibérée de s'engager dans une activité dont le résultat implique une forte possibilité de contravention; il doit être allégué que l'activité en question est imminente et que le préjudice en résultant est très important, sinon irréparable; et, finalement, les faits plaidés doivent être pertinents, précis et déterminants. Des allégations vagues ne portant que sur une intention ou relevant de la pure spéculation ne suffisent pas.

[148] Lorsque ces critères ne sont pas satisfaits, l’acte de procédure est radié [117] , mettant ainsi fin à l’action, à moins qu’il n’existe des causes d’action non liées et survivantes qui permettent de la soutenir.

[149] Bien qu’une plainte déposée auprès du Tribunal ne constitue pas une déclaration, Weir-Jones a soutenu, dès le départ, que la DP prévoit une procédure de marché public qui entraînerait une contrefaçon et un détournement de facto des droits de propriété intellectuelle de Weir-Jones. Ces droits sont désignés dans la plainte par leur numéro d’enregistrement et figurent dans un document en pièce jointe à celle-ci. Dans sa plainte, Weir-Jones soutient aussi que son entreprise a subi un préjudice découlant de la contrefaçon.

[150] Plus important encore, les actes de contrefaçon allégués auront lieu dans une période imminente et déterminée. La plainte de Weir-Jones est fondée sur son interprétation de la DP et des exigences qui y sont prescrites. La procédure de passation du marché public prévoit les dates de début et de clôture [118] . Comme l’affirme Weir-Jones, l’acte de contrefaçon (y compris le préjudice que subit Weir‑Jones en conséquence) se matérialisera lorsqu’un soumissionnaire répondra à la DP en proposant de fournir des biens et des services qui porte atteinte aux droits de propriété intellectuelle que fait valoir Weir-Jones.

[151] L’entité acheteuse et les soumissionnaires participent à la procédure de passation du marché public en s’attendant à ce qu’un marché soit adjugé au soumissionnaire retenu, conformément à son offre, à l’issue de la procédure de passation du marché public. Cette dynamique ne s’apparente pas à des allégations d’activités qui doivent se dérouler à une date future indéterminée.

[152] Comme il est mentionné précédemment, la question à trancher est de savoir si la DP prévoit des exigences techniques obligatoires qui limitent les offres conformes à celles qui seraient une contrefaçon des droits de propriété intellectuelle de Weir-Jones. Ces événements ont lieu dans durant une période précise [119] .

[153] Pour ces motifs, TPSGC a tort d’affirmer que la question dont est saisi le Tribunal concerne la contrefaçon quia timet.

[154] TPSGC affirme en outre qu’une partie plaignante qui se trouve dans la position de Weir‑Jones devrait simplement intenter une action en contrefaçon de brevet devant les tribunaux. Cependant, cela revient à dire que la portée des recours relatifs aux marchés publics devrait être restreinte, sans aucun autre motif qu’une réticence apparente [120] à préciser les questions à trancher et à rassembler les preuves dans une procédure sommaire, promptement, de lorsqu’il s’agit d’une question de droit comme l’interprétation des revendications [121] .

[155] Cette affirmation ne tient pas compte non plus des avantages d’une procédure relativement peu coûteuse et rapide qui permet aux fournisseurs potentiels (dont beaucoup sont des petites et moyennes entreprises) de donner suite aux plaintes et aux préoccupations découlant de la procédure de passation des marchés publics fédéraux. Cette démarche a des implications au chapitre de l’accès à la justice. Les frais liés à un procès contentieux en matière de brevet devant un tribunal peuvent rapidement dépasser les ressources d’une petite ou moyenne entreprise [122] .

[156] En outre, la contrefaçon de brevet n’est pas conditionnelle à la connaissance préalable ou à l’intention; la seule question à trancher est celle de savoir si les limites des revendications du brevet ont été franchies [123] . Il n’est pas nécessaire que l’entité acheteuse ou les soumissionnaires qui participent à un appel d’offres soient au courant de l’existence du brevet du plaignant. Par conséquent, si une DP renferme des critères obligatoires qui font en sorte qu’un soumissionnaire se situe, par inadvertance ou non, dans le champ d’application du brevet d’un tiers, il serait avantageux pour toutes les parties d’en être informées le plus tôt possible. Un règlement rapide, si possible, est habituellement plus économique pour toutes les parties et s’aligne sur les objectifs en matière de marchés publics énoncés dans l’arrêt Almon.

[157] Compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal conclut qu’il est compétent pour statuer sur le bien-fondé de la plainte de Weir-Jones.

[158] Cela dit, le Tribunal estime que la question à trancher est celle de savoir si la procédure de passation des marchés publics utilisée par TPSGC et RNCan crée une situation dans laquelle une soumission conforme à la DP donnera lieu nécessairement à la violation des droits de propriété intellectuelle revendiqués par Weir-Jones et, inversement, fera en sorte qu’une soumission n’emportant pas contrefaçon devienne une soumission non conforme, disqualifiant ainsi le soumissionnaire de l’appel d’offres. Pour trancher cette question, le Tribunal doit d’abord examiner d’autres questions préliminaires de fait et de droit.

Contrefaçon de brevet

[159] La contrefaçon de brevet a été qualifiée de délit civil pour cause d’infraction. Bien que la responsabilité pour ce délit soit créée par le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets [124] , les paramètres de ce délit ne sont pas définis par la Loi sur les brevets.

[160] Dans l’arrêt Monsanto c. Schmeiser [125] , la Cour suprême a défini la contrefaçon comme tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole accordé au titulaire du brevet :

140 La Loi sur les brevets ne définit pas le mot « contrefaçon ». Pour déterminer ce qui constitue une contrefaçon, il faut consulter la common law, les dispositions législatives qui définissent les droits conférés à l’inventeur et les recours dont il dispose, et surtout vérifier la portée des droits exclusifs revendiqués dans le brevet (Fox, op. cit., p. 349). Bref, la contrefaçon s’entend de [traduction] « tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole accordé au titulaire du brevet », s’il est accompli sans le consentement de ce dernier (Fox, op. cit., p. 349) [126] .

[161] L’arrêt Monsanto est un arrêt de principe, car la Cour suprême a examiné l’étendue des activités qui pourraient constituer une « exploitation » contrefaisante d’une invention brevetée dans des circonstances où le présumé contrefacteur ne « fabriquait » pas ni ne « vendait » un produit visé par les revendications du brevet. La question à trancher était formulée comme suit :

34 L’article 42 a pour objet de définir les droits exclusifs du titulaire d’un brevet, à savoir le droit à la pleine jouissance du monopole conféré par le brevet. Par conséquent, l’interdiction s’applique à [traduction] « tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole conféré au titulaire du brevet », s’il est accompli sans le consentement de ce dernier (H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), p. 349; voir également Lishman c. Erom Roche Inc., [1996] A.C.F. no 560 (QL) (1re inst.), par. 16.

35 Le principe directeur est que le droit des brevets doit accorder à l’inventeur « l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi » : Free World Trust, précité, par. 43. En ce qui concerne le verbe « exploiter », la question devient la suivante : les activités du défendeur ont-elles privé l’inventeur, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la pleine jouissance du monopole conféré par la loi [127] ?

[162] La Cour a ensuite résumé les facteurs pertinents à prendre en considération pour déterminer si une invention brevetée a été détournée sous la forme d’une « exploitation » qui constitue une contrefaçon :

1. Selon leur sens lexicographique ordinaire, les verbes « exploiter » et « use » connotent une utilisation en vue d’une production ou dans le but de tirer un avantage.

2. Le principe fondamental qui s’applique pour déterminer si le défendeur a « exploité » une invention brevetée consiste à se demander si l’inventeur a été privé, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la pleine jouissance du monopole conféré par le brevet.

3. Tout avantage commercial qui peut découler de l’invention appartient au titulaire du brevet.

4. Il est possible de conclure à l’existence de contrefaçon même si l’objet ou le procédé breveté fait partie ou est une composante d’une structure ou d’un procédé non brevetés plus vastes, pourvu que l’invention brevetée soit importante pour les activités du défendeur qui mettent en cause la structure non brevetée.

5. La possession d’un objet breveté ou d’un objet ayant une particularité brevetée peut constituer une « exploitation » de l’utilité latente de cet objet et ainsi constituer de la contrefaçon.

6. La possession, du moins dans le cadre d’un commerce, donne naissance à une présomption d’« exploitation » réfutable.

7. Bien qu’en général l’intention ne soit pas pertinente pour déterminer s’il y a eu « exploitation » et donc contrefaçon, l’absence d’intention d’utiliser l’invention ou d’en tirer un avantage peut être pertinente pour réfuter la présomption d’exploitation découlant de la possession [128] .

[163] À la lumière des allégations formulées par Weir-Jones dans sa plainte concernant les actions de RNCan, le Tribunal a donné à Weir-Jones l’occasion [129] de clarifier et de préciser les allégations de contrefaçon qu’elle formulait dans sa plainte, par exemple si elle considérait que la préparation de la demande de propositions en soi comprenait des actions équivalant à une « exploitation » de l’invention visée par le brevet 717, surtout compte tenu des principes énoncés dans Monsanto.

[164] Weir-Jones a refusé de le faire et a affirmé qu’elle ne prétendait pas que RNCan (ou TPSGC) avait commis un acte de contrefaçon en « exploitant » l’invention visée par le brevet 717. Néanmoins, Weir-Jones a maintenu ses allégations selon lesquelles le contenu de la DP constituait une incitation ou une invitation pour les soumissionnaires potentiels à contrefaire le brevet 717. Ainsi, l’allégation de contrefaçon dans le cadre de la procédure de passation des marchés publics demeure, du moins en ce qui concerne les actions des soumissionnaires ayant répondu à la DP.

[165] Pour répondre à la question de savoir si la DP serait en sorte, d’une part, que la présentation d’une offre conforme donnerait lieu à de la contrefaçon, et d’autre part, que toute offre qui ne donnerait pas lieu à de la contrefaçon serait non conforme (et serait rejetée), le Tribunal doit d’abord interpréter les revendications du brevet 717 qui sont en cause.

Interprétation des revendications

Le brevet 717

[166] Le brevet 717 est intitulé « Systems and Methods for Early Warning of Seismic Events » (systèmes et méthodes d’alerte précoce des événements sismiques). Il a été délivré le 28 mai 2019, à la suite d’une demande qui aurait été déposée [130] le 19 octobre 2017, dans laquelle la priorité est revendiquée sur le fondement de la demande de brevet américain n° US62/410,358. La demande a été publiée le 26 avril 2018. Le brevet renferme 54 revendications.

[167] Conformément à l’ordonnance du Tribunal du 26 novembre 2020, Weir-Jones a indiqué que les revendications 1 et 28 s’appliquent à sa plainte. Ces deux revendications sont des revendications indépendantes.

[168] Il est bien établi en droit canadien que les revendications doivent d’abord être interprétées pour pouvoir déterminer si un brevet a été contrefait.

[169] Un brevet est destiné à une personne versée dans l’art. La personne versée dans l’art est une personne hypothétique ou fictive qui interprète le brevet de manière objective. Dans certains cas, et selon le domaine technique du brevet, la personne versée dans l’art peut être un ensemble ou une équipe de personnes ayant une formation ou une expérience pratique dans le domaine technologique auquel le brevet se rapporte [131] . Comme le monopole est défini par les revendications du brevet, celles-ci doivent être interprétées du point de vue de cette personne et avec un « esprit désireux de comprendre, et non par un esprit désireux de se méprendre » [132] .

[170] L’interprétation des revendications est une question de droit. Bien qu’une preuve d’expert reçue puisse permettre de comprendre de quelle façon la personne versée dans l’art interpréterait l’objet technique du brevet, l’interprétation des revendications ne peut pas être déléguée à des témoins experts [133] . Les experts peuvent contribuer à l’interprétation des termes ou des éléments des revendications, mais la preuve d’expert n’est pas nécessaire si la signification des termes utilisés dans les revendications est évidente d’après le mémoire descriptif du brevet ou est autrement compréhensible [134] .

[171] Aucune des parties n’a soumis un rapport d’expert qui pourrait aider le Tribunal à interpréter les revendications du brevet 717. Comme il est mentionné précédemment, le Tribunal a donné aux deux parties la possibilité de compléter les documents déjà déposés par des preuves supplémentaires, y compris la tenue d’une audience où des témoins pouvaient être appelés. Habituellement, le Tribunal rend ses décisions sur la foi du dossier. Par conséquent, une audience, et encore moins une audience de deux jours, est exceptionnelle.

[172] M. McCormack et M. Sellathamby ont tous deux fait part de leur avis concernant le contenu du brevet 717 et la technologie sous-jacente. Aucun des deux n’a été présenté à titre de témoin expert et les parties ont choisi de ne pas faire témoigner leurs témoins respectifs à l’audience ou de les rendre disponibles pour un contre-interrogatoire par la partie adverse. Pour cette raison, le Tribunal accorde très peu de poids à cette preuve.

[173] Les principes liés à l’interprétation des revendications sont bien établis et décrits par la Cour suprême dans les arrêts Whirlpool et Free World Trust.

[174] Le point de départ de l’interprétation est la formulation des revendications. Les revendications doivent être interprétées dans le contexte général du mémoire descriptif. La divulgation peut être utilisée dans le but de comprendre le sens des mots ou des expressions figurant dans la revendication. Ce faisant, le contexte est primordial. Le sens à donner au libellé d’une revendication ne doit pas être fondé sur des « expressions isolées » tirées de la divulgation. La portée de la revendication, telle qu’elle est écrite et comprise, ne peut être restreinte ou élargie en citant des expressions tirées de la divulgation.

[175] Les revendications doivent être interprétées de manière téléologique et non purement littérale. L’objectif est d’interpréter les revendications de manière à distinguer les éléments essentiels des éléments non essentiels de manière téléologique, pour que le breveté puisse avoir le droit au bénéfice de son invention. Dans l’arrêt Whirlpool, la Cour suprême a affirmé ce qui suit :

L’interprétation téléologique repose donc sur l’identification par la cour, avec l’aide du lecteur versé dans l’art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention [135] .

[176] Le mémoire descriptif du brevet 717 vise les systèmes d’ASP. L’objet du mémoire descriptif se rapporte aux systèmes et aux méthodes de détection précoce des événements sismiques (par exemple les tremblements de terre), à la mesure des caractéristiques des événements sismiques, à la prise de mesures pour réduire au minimum les dommages et les blessures causés par les tremblements de terre et à la production d’avertissements ou d’alarmes destinés à ceux qui risquent de subir des blessures ou des dommages en raison d’un événement sismique. Par conséquent, le brevet 717 est destiné à une personne collective versée dans l’art qui possède de la formation et de l’expertise dans les domaines de la sismologie, de la géologie, de l’ingénierie des systèmes et de l’ingénierie logicielle.

[177] Dans le brevet 717, il est admis que les systèmes d’ASP sont connus. Le mémoire descriptif du brevet présente les caractéristiques, les caractéristiques fonctionnelles, les limitations et les inconvénients des systèmes d’ASP antérieurs [136] .

[178] La revendication 1 du brevet 717 est formulée comme suit :

  1. Système d’avertissement sismique :

comprenant une pluralité de capteurs, chaque capteur étant sensible à un phénomène physique associé à des événements sismiques et servant à émettre un signal électronique représentatif du phénomène physique détecté;

comprenant une unité d’acquisition de données couplée en communication pour recevoir le signal électronique provenant de chaque capteur de la pluralité de capteurs, l’unité d’acquisition de données comprenant un processeur conçu pour déterminer que les signaux électroniques reçus révèlent une onde P associée à un événement sismique et pour estimer les caractéristiques d’un événement sismique sur la base des signaux électroniques reçus;

comprenant un dispositif local séparé de l’unité d’acquisition de données et couplé en communication avec celle-ci;

dans lequel la pluralité de capteurs, l’unité d’acquisition de données et le dispositif local sont locaux entre eux;

dans lequel le processeur ou le dispositif local, ou les deux, sont conçus pour déterminer les mesures d’urgence situationnelles locales à mettre en œuvre par le dispositif local sur la base des caractéristiques estimées de l’événement sismique et des conditions précises qui prévalent à l’emplacement précis du dispositif local;

dans lequel le dispositif local est conçu pour déterminer les conditions précises qui prévalent à l’emplacement précis du dispositif local à l’aide d’une opération d’interrogation [137] .

[179] La revendication no 1 comprend donc six éléments. Trois de ces éléments sont des composants physiques, à savoir : 1) une pluralité de capteurs; 2) une unité d’acquisition de données; 3) un dispositif local. Ces composants sont décrits au moyen de leurs caractéristiques fonctionnelles. Les trois autres éléments de la revendication concernent la configuration spatiale et opérationnelle des trois composants physiques les uns par rapport aux autres.

[180] Le terme « capteur », tel que décrit dans la revendication 1, a le même sens que celui utilisé dans les systèmes antérieurs. Aux pages 1 et 4 du mémoire descriptif du brevet [138] , les capteurs sont décrits, sur le plan des fonctions, comme étant utilisés pour détecter les tremblements de terre et pour être utilisés dans les systèmes d’ASP afin de déterminer ou d’estimer les caractéristiques essentielles des tremblements de terre comme l’épicentre ou l’hypocentre du tremblement de terre, la magnitude de son onde de surface, le moment d’arrivée de la seconde onde de surface, ainsi que les qualités physiques telles que la vitesse, l’accélération, la déformation, la température, la fissure et la pression. Ces informations sont converties en signaux à l’aide d’un instrument de lecture approprié.

[181] Dans le mémoire descriptif, il est aussi admis que l’équipement d’acquisition de données est connu et qu’il est utilisé dans les systèmes antérieurs pour enregistrer les données détectées [139] .

[182] Le troisième élément physique de la revendication 1 est un « dispositif local ». La signification de ce terme n’est pas évidente à partir du seul contexte de la revendication. Aux pages 12 à 13 de la divulgation [140] , un dispositif local est décrit en termes de sa fonction, et semble s’étendre à un dispositif informatique comprenant un contrôleur ou un processeur intégré qui peut être configuré pour prendre ou exécuter des mesures d’urgence telles que la clôture d’un bâtiment, l’arrêt d’équipements de bâtiment et d’autres types d’équipements tels que des alarmes sonores, des indicateurs d’avertissement optiques et des systèmes de sonorisation.

[183] La revendication 1 définit ainsi une combinaison d’éléments (capteurs, unité d’acquisition de données et dispositif local) qui sont configurés de façon opérationnelle pour définir un système d’alerte sismique.

[184] Les capteurs sont sensibles aux phénomènes physiques associés aux événements sismiques et sont capables de générer un signal de sortie électronique qui reflète les phénomènes physiques détectés. Le signal électronique de sortie des capteurs est reçu par l’unité d’acquisition de données qui est équipée d’un processeur configuré pour effectuer des déterminations concernant la nature de l’événement sismique à partir des informations fournies par les signaux électroniques.

[185] Un dispositif local qui peut être programmé pour déterminer la prise de mesures d’urgence situationnelles est couplé de manière communicative à l’unité d’acquisition de données et devient opérationnel en réponse aux informations transmises par l’unité d’acquisition de données qui sont indicatives d’un événement sismique.

[186] La revendication exige que ces éléments soient « locaux entre eux ». La description aborde les limites des systèmes d’ASP antérieurs dans lesquels les capteurs sont physiquement espacés de « dizaines de kilomètres ou de plusieurs centaines de kilomètres ». Un espacement plus étroit des capteurs n’est pas pratique et compromet la capacité du système d’ASP à détecter l’épicentre du tremblement de terre. Bien que les systèmes d’ASP [141] dont les capteurs sont espacés de moins de 500 mètres soient connus, ce type de système présente d’autres limites. Compte tenu de la limitation des dispositifs antérieurs, l’expression « locaux entre eux » signifie un espacement d’environ 10 kilomètres ou moins.

[187] Par conséquent, l’emplacement et l’espacement relatifs des capteurs, de l’unité d’acquisition de données et du dispositif local sont essentiels, car ils auront une incidence sur la configuration du processeur et du dispositif local qui sont utilisés pour déterminer les mesures d’urgence de la situation locale et les conditions précises existant au niveau du dispositif local. Ces mesures et conditions dépendent à leur tour des renseignements sismiques qui sont détectés et transmis par les capteurs à l’unité d’acquisition des données.

[188] Weir-Jones concède que les éléments de la revendication « dans lequel le processeur ou le dispositif local, ou les deux, sont conçus pour déterminer les mesures d’urgence situationnelles locales à mettre en œuvre par le dispositif local sur la base des caractéristiques estimées de l’événement sismique et des conditions précises qui prévalent à l’emplacement précis du dispositif local » et « dans lequel le dispositif local est conçu pour déterminer les conditions précises qui prévalent à l’emplacement précis du dispositif local à l’aide d’une opération d’interrogation » [142] sont tous deux essentiels à la revendication.

[189] En conséquence, tous les éléments de la revendication sont essentiels – les composants physiques individuels, ainsi que leur emplacement relatif et leur configuration les uns par rapport aux autres.

[190] Après avoir interprété la revendication 1, le Tribunal se penche maintenant sur la question de savoir si la DP exige que tous les éléments essentiels soient pris en considération par un soumissionnaire qui répond à la DP et qu’un produit conforme aux exigences de la DP soit offert.

[191] Un brevet est contrefait si tous ses éléments essentiels sont pris. Si un élément essentiel est modifié ou omis, il n’y a pas de contrefaçon [143] .

[192] La DP décrit l’objectif de l’approvisionnement comme suit :

Le présent processus vise à acquérir les instruments sismiques, les logiciels d’acquisition et les services d’installation de stations de surveillance sismique intérieures en milieu urbain dans le cadre de la mise en place du système national d’alerte sismique précoce (ASP) pour le Canada. [...] [144]

[193] Le système national de détection des tremblements de terre comprendra « a) un grand nombre de stations avec capteurs (instruments sismiques et équipement de soutien) installées à proximité de régions à risque d’un important séisme où se trouvent une population à forte densité ou des infrastructures essentielles pouvant être protégées; b) des systèmes logiciels fonctionnant dans des centres de données traitant des données formées d’ondes obtenues des stations avec capteurs pour produire des messages ASP et c) des systèmes de diffusion d’alertes au public canadien et autres intervenants ». [145]

[194] Les soumissionnaires sont appelés à fournir trois catégories de produits livrables :

(a) Instruments sismiques;

(b) Logiciels d’acquisition des centres de données;

(c) Services d’installation de stations de surveillance sismique intérieures [146] .

[195] Rien ne laisse entendre que Weir-Jones revendique des droits de brevet liés à l’un des éléments individuels qui font partie des produits livrables. Sa plainte repose uniquement sur le système d’alerte sismique revendiqué par le brevet 717.

[196] Pour chaque produit livrable, la DP prévoit certaines exigences. En ce qui concerne les instruments sismiques, les soumissionnaires sont tenus de fournir « de puissants accéléromètres de mouvement, des numériseurs et des accessoires mesurant les mouvements du sol causés par un séisme » [147] . Comme il est mentionné précédemment, il est admis dans le brevet 717 que les capteurs pour la détection de tremblements de terre sont déjà connus.

[197] Le logiciel d’acquisition des centres de données forme la deuxième catégorie de produits livrables. Pour ce qui est de ce produit livrable prévu dans la DP, le Tribunal souligne que les logiciels ne sont pas en soi des objets brevetables [148] . Par conséquent, il n’est pas nécessairement visé par la portée des droits de brevet revendiqués par Weir-Jones dans la présente instance.

[198] La DP prévoit que les données des capteurs « sont reçues dans les centres de données du gouvernement du Canada par un logiciel d’acquisition de données correspondant. Le logiciel transfère les données vers le logiciel de traitement ASP (en dehors du champ d’application du présent marché) en utilisant le protocole Earthworm. Le logiciel exécute d’autres fonctions de soutien pour le système. Les logiciels doivent être fournis conformément à cette demande de propositions [149] ».

[199] La DP informe également les soumissionnaires de l’intention de RNCan d’utiliser le logiciel SHAKEALERT de l’USGS dans le cadre de l’ASP :

Canada a l’intention d’utiliser le système Shakealert1 de l’USGS pour traiter les données sismiques aux fins des ASP et pour produire des alertes. Le système Shakealert de l’USGS ne fait pas partie du présent processus de passation de marché. Le système ne transfère pas les données formées d’ondes et autres données obtenues des instruments sismiques vers les centres de données (acquisition de données) ou dans le logiciel Shakealert même de l’USGS. Il n’effectue pas non plus de tâches de soutien comme l’archivage des données, la surveillance ou la gestion des métadonnées. Shakealert de l’USGS utilise des mémoires partagées d’Earthworm comme composant pour gérer les données formées d’ondes dans ses fonctions de traitement [150] .

[Note de bas de page omise]

[200] Ce passage de l’appel d’offres est également cité en note de bas de page de façon à reconnaître que ShakeAlert est une marque de commerce qui appartient a Weir-Jones et pour préciser que la mention de SHAKEALERT dans la DP vise uniquement les différents logiciels ShakeAlert développés par l’USGS [151] .

[201] En ce qui concerne la troisième catégorie de produits livrables (services d’installation de stations de surveillance sismique intérieures), la DP indique que l’entrepreneur doit installer les instruments sismiques et autre équipement fournis par le Canada dans des endroits choisis par le Canada. Le processus d’installation englobe la planification (réalisée conjointement avec le Canada), la préparation et la configuration de l’équipement, le déplacement vers les sites d’installation, l’installation et les essais sur place, et la vérification du bon fonctionnement de l’ensemble de l’équipement après l’installation [152] .

[202] Dans la revendication 1 du brevet 717 il est question d’une combinaison opérationnelle de composants qui concourent à la production d’un résultat unitaire, à savoir un système d’alerte sismique. La combinaison qui en résulte est supérieure à la somme de ses parties [153] . Or, la DP prévoit un regroupement de produits livrables qui remplissent des fonctions indépendantes et autonomes [154] , jusqu’à ce qu’ils soient combinés ou configurés comme des éléments coopérants d’un système plus vaste. Bien qu’il s’agisse du résultat envisagé, la DP ne définit pas ni ne prévoit les moyens permettant de créer ou de configurer la combinaison. Il appartient aux soumissionnaires de les décrire dans leur soumission.

[203] En effet, selon la DP, les soumissionnaires devraient « démontrer leur compréhension des exigences contenues dans la demande de soumissions et expliquer comment ils répondront à ces exigences » [155] . Les critères obligatoires d’évaluation des soumissions englobent des paramètres permettant de noter les soumissions en fonction de la méthodologie que le soumissionnaire propose d’utiliser pour atteindre les objectifs du système d’ASP que le Canada cherche à acquérir. Par exemple, l’un de ces facteurs d’évaluation consiste à déterminer si le soumissionnaire a fourni « une description du travail, y compris une description claire du service fourni, de la méthodologie, des logiciels, du matériel et des autres équipements et produits utilisés dans la prestation du service/produit, qui est claire et décrit pleinement la portée du service/projet » [156] [nos italiques].

[204] La configuration utilisable des capteurs, de l’unité d’acquisition de données et du dispositif local est un élément essentiel de la revendication 1. L’emplacement et l’espacement de ces composants sont également essentiels. La revendication 1 exige que les nombreux capteurs, l’unité d’acquisition de données et le dispositif local soient « locaux entre eux ».

[205] Toutefois, les capteurs du système d’ASP acheté seront installés par le soumissionnaire retenu sur des sites qui seront choisis par le Canada pendant la durée du contrat. Sur le plan géographique, il est prévu que ces sites soient situés dans un rayon de 200 km des principaux centres urbains. L’emplacement des stations de surveillance sismique individuelles, l’espacement des capteurs installés et l’emplacement des capteurs par rapport à une unité d’acquisition de données ou à un dispositif local quelconque dépendent donc de l’emplacement du site [157] .

[206] La DP indique également que la logistique de l’installation dépendra de l’équipement qui peut être obtenu sur le site, y compris l’infrastructure de communication (c’est-à-dire Internet, large bande, câblodistribution, téléphonie mobile, modem, radio) [158] . Par conséquent, les caractéristiques des stations de surveillance sismique sont toutes des variables qui dépendent des emplacements des sites choisis par le Canada. À leur tour, ces sites ont une incidence sur la façon dont l’équipement peut être installé et l’endroit où il le sera.

[207] Selon ce qui est indiqué dans la DP, le Canada estime que l’infrastructure de communication des stations de surveillance sismique sera composée d’un réseau Internet fourni par l’hôte de la station (40 %) et d’un modem cellulaire (30 %). La divulgation du brevet 717 indique que les composants qui nécessitent des réseaux de communication plus importants, comme l’Internet ou un réseau cellulaire, peuvent ne pas être considérés comme étant « locaux » [159] .

[208] Le soumissionnaire retenu devra s’adapter, pour ce qui est de l’installation, aux emplacements que le Canada pourrait choisir pour ses stations de surveillance sismique. Cette décision est entièrement à la discrétion du Canada, qui peut choisir des sites d’installation où les composants des systèmes ne sont pas nécessairement locaux entre eux, comme l’exige la revendication 1. Comme aucune décision en ce sens n’a été prise, rien ne permet au Tribunal de conclure que la DP exige que les soumissionnaires proposent un système dont la méthodologie nécessite l’installation de capteurs, d’une unité d’acquisition de données et d’un dispositif local qui, selon leur configuration, sont locaux entre eux et, de ce fait, sont visés par la portée de la revendication 1.

[209] Voici d’autres éléments essentiels de la revendication 1 : 1) la configuration de l’unité d’acquisition de données (processeur) ou du dispositif local pour déterminer les mesures d’urgence situationnelles locales à mettre en œuvre; 2) la configuration du dispositif local pour déterminer les conditions précises qui prévalent à l’emplacement précis à l’aide d’une opération d’interrogation.

[210] À cet égard, le Tribunal fait remarquer qu’il semble que l’utilisation d’un algorithme ou d’un logiciel soit requise ou autrement nécessaire pour permettre de déterminer les mesures d’urgence situationnelles locales à mettre en œuvre et réaliser l’opération l’interrogation visant à déterminer les conditions précises qui prévalent à l’emplacement.

[211] Les algorithmes sont non brevetables [160] . Des droits de propriété intellectuelle peuvent toutefois s’appliquer aux logiciels. Les programmes d’ordinateur sont considérés comme des œuvres littéraires, et celles-ci sont protégées par des droits d’auteur [161] . Selon la preuve, Weir-Jones décrit sa technologie d’ASP SHAKEALERT comme une plateforme matérielle/logicielle [162] .

[212] Ainsi, dans la mesure où des algorithmes ou des logiciels sont nécessaires pour déterminer les mesures d’urgence situationnelles locales à mettre en œuvre et réaliser l’opération d’interrogation visant à déterminer les conditions précises de l’emplacement, comme il est énoncé dans la revendication 1, le Tribunal ne peut uniquement conclure, en l’absence de preuve contraire, que la sélection et l’utilisation de ces aspects du système d’alerte sismique dépendent des aspects matériels du système, y compris la manière et l’endroit où ces composants sont installés.

[213] Par conséquent, la DP n’exige pas que ces éléments essentiels soient pris en compte.

[214] Weir-Jones a soutenu avec force qu’un système d’alerte sismique efficace doit fournir des avertissements significatifs au public et comprendre un processus décisionnel autonome quant à l’arrêt de l’équipement ou des processus lorsque des dommages sont imminents en raison d’un tremblement de terre.

[215] Cependant, la divulgation du brevet 717 concède qu’il existe des systèmes d’ASP capables de générer des avertissements destinés au public, notamment ceux qui fournissent un certain type d’avertissement destiné au public au moyen de technologies de capteurs intégrées aux téléphones intelligents et aux tablettes [163] . De même, le brevet 717 reconnaît l’existence de certains systèmes d’ASP qui englobent un processus décisionnel autonome à l’égard de l’équipement. Il semblerait que ces systèmes présentent divers inconvénients ou limitations techniques ou opérationnels, et ceux-ci sont abordés aux pages 5 à 8 du brevet 717.

[216] Weir-Jones souligne que le brevet 717 vise un système d’ASP avec « connaissance de la situation ». À la page 6 de la divulgation, un passage fait mention de la « connaissance de la situation » :

Lorsqu’un système d’alerte sismique précoce existant émet des avertissements, il s’agit d’avertissements généraux pour tous ceux qui se trouvent dans la zone visée. Il revient aux individus et aux organisations localisés dans la zone d’avertissement d’interpréter l’avertissement, d’évaluer le danger et de prendre les mesures souhaitées. Certains choisissent de ne rien faire, simplement parce qu’ils ne savent pas quoi faire ou ne pensent pas être en danger. Les systèmes d’alerte sismique précoce antérieurs ne possèdent aucune connaissance quant à la situation ou à l’emplacement d’un individu ou d’une organisation, ou du moins n’intègrent pas ces connaissances dans l’application de plans d’action recommandés. Par exemple, si une personne conduit sur l’autoroute, la recommandation émise devrait être de se ranger en toute sécurité et de s’arrêter. Cependant, si la personne conduit dans un tunnel, se ranger et s’arrêter à l’intérieur du tunnel n’est pas la chose à faire. Il serait préférable de traverser le tunnel, puis de se ranger et de s’arrêter. Autre exemple : puisque les avertissements généraux émis par les systèmes d’alerte sismique précoce antérieurs ne disposent pas de connaissances situationnelles concernant la zone d’avertissement, de tels avertissements peuvent inciter une organisation à éteindre des appareils en marche ou à interrompre des processus, ce qui peut entraîner des pertes inutiles et causer plus de mal que de bien. De plus, les avertissements généraux (sans connaissance de la situation) émis par les systèmes d’alerte sismique précoce antérieurs peuvent semer inutilement la panique [164] .

[217] Même si le Tribunal tenait pour acquis que la revendication 1 vise un système d’alerte sismique avec « connaissance de la situation », comme il est mentionné précédemment, la revendication ne serait contrefaite [165] que si tous ses éléments essentiels étaient réunis. Puisque la revendication 1 vise des composants qui coopèrent en vue d’obtenir un résultat opérationnel, tout système d’alerte sismique de ce type (c’est-à-dire avec connaissance de la situation) dépendrait toujours de l’espacement physique et géographique entre les composants du système ainsi que de leur installation et de leur configuration subséquentes.

[218] Le Tribunal conclut que la DP n’exige pas que la soumission réunisse tous les éléments essentiels de la revendication 1 pour être jugée conforme. Au moins un élément essentiel (emplacement relatif et leur installation) dépend d’une décision qui n’a pas encore été prise par le Canada.

[219] Les spécifications des produits livrables exigés dans la DP sont donc formulées de manière suffisamment large pour offrir aux soumissionnaires une multitude d’options. Les soumissionnaires peuvent notamment fournir un système avec des composants qui sont antérieurs à l’invention revendiquée, ou un système non contrefaisant qui ne fait par ailleurs pas partie de la portée du système revendiqué par le brevet 717, comme une technologie exclusive appartenant au soumissionnaire. Bien qu’il soit certainement possible qu’un soumissionnaire potentiel propose un système d’ASP qui emporterait la contrefaçon du brevet 717, il ne s’agit que d’une pure spéculation.

[220] De plus, les droits de brevet n’assurent pas l’exclusivité d’un concept ou d’une idée. Dans le cadre d’une invention, une idée doit être réduite à une forme définie et pratique [166] , et un monopole ne peut être accordé par un brevet que pour des choses qui sont tangibles et pratiques [167] . Un monopole accordé par un brevet vise un objet nouveau, utile et inventif [168] qui apporte des solutions à des problèmes pratiques. La portée de ce monopole est définie et limitée par les revendications du brevet en cause. Le breveté est limité par le libellé de ses revendications [169] . Comme il est mentionné dans l’arrêt Free World Trust :

32 [...] Je le répète, l’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité. Il n’est pas légitime, par exemple, de faire breveter un procédé permettant de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie et de prétendre ensuite que n’importe quel moyen d’obtenir ce résultat emporte la contrefaçon du brevet. [...] [170]

[221] Weir-Jones croit de toute évidence que son système d’ASP avec connaissance de la situation est à la fois unique et de grande valeur. Même si Weir-Jones ne connaît aucun autre moyen de parvenir à une « connaissance de la situation », le monopole ne se rattache pas à l’idée d’un système d’ASP avec connaissance de la situation, mais plutôt aux moyens précis d’y parvenir.

[222] Du moins en théorie, il est possible qu’un concurrent soit en mesure de « contourner » le brevet 717 et de fournir un système d’ASP avec connaissance de la situation qui n’emporte pas la contrefaçon. Si tel était le cas, ce serait sans aucun doute frustrant pour Weir-Jones [171] , mais ce scénario [172] ne serait pas une contrefaçon des droits conférés par son brevet. En tel cas, il ne serait pas possible de conclure qu’une procédure de passation des marchés publics qui permettrait hypothétiquement de contourner le brevet serait, par conséquent, viciée.

[223] Par ailleurs, si un système d’ASP contrefaisant était offert par un concurrent ou acquis par TPSGC et utilisé par RNCan, Weir-Jones pourrait prendre des mesures pour faire respecter le brevet 717. Dans l’état actuel des choses, ce scénario est à la fois prématuré et entièrement spéculatif.

[224] Weir-Jones s’appuie également sur sa revendication 28, qui est formulée comme suit :

28. Un procédé pour la prise de mesures d’urgence situationnelles en réponse à des événements sismiques détectés, qui comprend :

une pluralité de capteurs sismiques étant sensibles à un phénomène physique associé à des événements sismiques et servant à émettre un signal électronique représentatif du phénomène physique détecté;

la capacité de recevoir, à partir de chaque capteur sismique, le signal électronique correspondant à une unité d’acquisition de données;

la capacité de déterminer, à partir de l’unité d’acquisition de données, que les signaux électroniques reçus révèlent une onde P associée à un événement sismique, et d’estimer une ou plusieurs caractéristiques d’un événement sismique sur la base des signaux électroniques reçus;

la capacité de communiquer cette ou ces caractéristiques estimées d’un événement sismique à partir de l’unité de traitement de données vers un dispositif local, incorporé séparément de l’unité d’acquisition de données;

le fait que la pluralité de capteurs sismiques, l’unité d’acquisition de données et le dispositif local sont locaux entre eux;

la capacité de déterminer, à l’aide d’au moins l’une des unités d’acquisition de données et du dispositif local, les mesures d’urgence situationnelles locales devant être mises en œuvre par le dispositif local, en fonction des caractéristiques estimées d’un événement sismique et des conditions précises qui existent à l’emplacement précis du dispositif local;

la capacité de déterminer, au moyen du dispositif local, les conditions précises qui existent à l’emplacement précis du dispositif local en effectuant une opération d’interrogation [173] .

[Traduction]

[225] La revendication 28 reformule la revendication relative à un système d’alerte sismique précoce (revendication 1) pour en faire une revendication de méthode. Les mêmes éléments essentiels figurant dans la revendication 1 sont donc aussi présents dans la revendication 28.

[226] La DP exige que les soumissionnaires assurent l’installation, laquelle est désignée comme un produit livrable, et qu’ils décrivent la méthodologie proposée pour le projet, dont au moins une façon d’installer les capteurs et les autres pièces d’équipement aux emplacements de stations de surveillance sismique qui seront précisés par le Canada.

[227] Comme c’est également le cas pour la revendication 1, l’installation et l’espacement relatif (emplacement) des composants du système dépendent de l’emplacement des sites qui n’ont pas encore été choisis et qui sont donc inconnus. L’emplacement géographique, l’infrastructure de communication du site et d’autres variables auront une incidence sur l’installation et la configuration subséquente des composants du système. Le Tribunal estime que le nombre de permutations et de combinaisons possibles serait considérable.

[228] Par conséquent, pour les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment concernant la revendication 1, le Tribunal conclut que toute contrefaçon issue de la DP ou dépendant de celle-ci est spéculative et prématurée.

[229] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que la DP n’exige pas que tous les éléments essentiels des revendications 1 et 28 du brevet 717 soient pris par une soumission. Par conséquent, la contrefaçon du brevet 717 n’est pas une condition préalable pour qu’une soumission soit jugée conforme et la procédure de passation du marché public en cause n’est pas fondamentalement viciée, comme il est allégué.

Incitation ou tentative d’incitation à la contrefaçon

[230] La vente ou la fourniture d’un article non contrefaisant susceptible d’être utilisé à des fins de contrefaçon ne constitue pas un acte de contrefaçon [174] . Il en va de même si l’article n’a aucune autre utilité connue [175] .

[231] Weir-Jones prétend que la DP « incite » les soumissionnaires à contrefaire le brevet ’717. Le critère d’incitation [176] à la contrefaçon de brevet comporte les trois exigences suivantes, qui doivent toutes être satisfaites :

1) L’acte de contrefaçon est exécuté par le contrefacteur direct (c.-à-d. un acheteur).

2) L’exécution de l’acte de contrefaçon a été influencée par le vendeur ou le fournisseur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon n’aurait pas eu lieu.

3) L’influence a été exercée par le vendeur ou le fournisseur, qui savait que son influence entraînerait l’exécution de l’acte de contrefaçon (directe), par exemple en suggérant ou en laissant sous-entendre une utilisation finale [177] .

[232] Comme la première exigence n’est pas satisfaite, rien ne permet au Tribunal de conclure raisonnablement qu’un acte de contrefaçon sera commis.

[233] Un appel d’offres pourrait théoriquement prévoir des critères techniques obligatoires qui feraient en sorte que toute soumission conforme serait visée par le champ d’application de la revendication d’un brevet. Toutefois, l’exécution d’un acte de contrefaçon n’aurait pas lieu avant que les marchandises ne soient effectivement fabriquées, vendues ou utilisées au Canada, c’est-à-dire au moment de l’installation effective du système d’ASP [178] . Toutefois, dans le but d’évaluer si une DP est viciée, pour les motifs invoqués par Weir-Jones, le Tribunal peut néanmoins présumer que le titulaire d’une soumission conforme retenue exécutera le marché d’une manière conforme à sa soumission.

[234] Lorsqu’un plaignant allègue, comme Weir-Jones le fait en l’espèce, qu’une procédure de passation des marchés publics est viciée du fait qu’une DP incite les soumissionnaires à contrefaire le brevet du plaignant, il est essentiel que la deuxième exigence du critère d’incitation à la contrefaçon soit satisfaite. Cet élément exige que l’influence exercée amène une autre personne à contrefaire le brevet. Cette influence peut prendre la forme d’instructions ou de directives transmises directement ou même indirectement. De simples suggestions ne sont pas suffisantes. Ces instructions doivent porter sur tous les éléments essentiels de la revendication [179] .

[235] Dans le contexte d’un marché public, une influence pourrait être exercée si la DP, et les exigences techniques obligatoires prévues, ont pour effet d’obliger les soumissionnaires à proposer, sciemment ou non, un système visé par la portée des revendications du brevet [180] . Dans le cas contraire, la soumission serait non conforme et pourrait de ce fait être disqualifiée, ce qui ne laisserait aucune option au soumissionnaire qui souhaite présenter une soumission valide.

[236] Pour les motifs mentionnés précédemment, le Tribunal conclut que le contenu de la DP ne prescrit pas ou ne subordonne pas une soumission conforme à la fourniture d’un objet visée par la portée de la revendication 1 ou de la revendication 28 du brevet 717. Puisque toutes les autres revendications du brevet 717 dépendent directement ou indirectement de la revendication 1 ou de la revendication 28, la DP n’incite pas à la contrefaçon des revendications dépendantes.

[237] Il n’est pas non plus utile pour Weir-Jones que la DP exige la fourniture de composants individuels qui pourraient être combinés pour créer un système qui pourrait contrefaire le brevet 717. À moins que la DP n’impose ou n’ordonne la combinaison de ces composants, il n’y a pas d’incitation à la contrefaçon [181] .

[238] Par conséquent, la deuxième exigence du critère d’incitation à la contrefaçon ne peut pas être satisfaite, ce qui permet aussi d’écarter la première exigence. La troisième exigence du critère est donc sans objet.

[239] Néanmoins, une soumission proposant un système d’ASP qui contreferait le brevet 717, si elle était reçue au cours de la procédure de passation des marchés publics, pourrait être interprétée comme une offre de vente ou constituer autrement une « exploitation » contrefaisante de l’invention brevetée, au regard de l’arrêt Monsanto. Cependant, un tel scénario constituerait une cause d’action possible à l’encontre de ce soumissionnaire en particulier. Si une telle soumission était retenue et qu’un marché était adjugé par TPSGC, Weir-Jones pourrait avoir une autre cause d’action en contrefaçon de brevet en lien avec la vente, la fourniture et l’exploitation d’un tel système, ce qui pourrait aussi permettre de piéger RNCan ou TPSGC, en plus du soumissionnaire.

[240] Toutefois, aucun de ces scénarios spéculatifs, s’ils se matérialisaient, ne suffirait à mettre en doute la procédure de passation des marchés publics en soi, qui est la question dont le Tribunal est saisi. Selon la décision Noël, de tels scénarios ne relèveraient pas non plus de la compétence du Tribunal.

[241] Weir-Jones a également soutenu que la DP est une « invitation » pour les soumissionnaires potentiels à contrefaire le brevet 717. Toutefois, la jurisprudence indique clairement que les actions qui ne satisfont pas [182] au critère d’incitation à la contrefaçon (examiné ci-dessus) ne constituent pas une atteinte aux droits du breveté.

[242] Par conséquent, l’allégation de Weir-Jones selon laquelle la DP incite à la contrefaçon du brevet 717 doit être rejetée.

Brevet américain 10,755,548

[243] Weir-Jones revendique la propriété du brevet américain 10,755,548 (brevet 548) [183] , la contrepartie américaine présumée [184] du brevet 717.

[244] Dans sa plainte, Weir-Jones soutient que ses droits découlant du brevet 548 sont parmi ceux qui seraient contrefaits ou détournés par les actions de RNCan.

[245] La protection apportée par les brevets a une portée nationale. Les droits conférés par le brevet 548 découlent du droit américain. Si le Tribunal décidait de tenir compte de la portée ou de la pertinence de tout droit détenu par Weir-Jones dérivant du brevet 548 en lien avec la procédure de passation des marchés publics, les dispositions législatives américaines pertinentes deviendraient une question de preuve. Les lois étrangères doivent être prouvées au moyen de témoignages d’experts [185] .

[246] En ce qui concerne l’affirmation qu’il existe un lien quelconque entre la DP et le brevet 548, celle-ci n’a pas été prouvée, ni établie, ni soutenue par Weir-Jones. Par conséquent, tous les droits que Weir-Jones souhaite faire valoir en lien avec le brevet 548 se limitent aux États-Unis et doivent être appliqués, s’il y a lieu, dans ce pays.

[247] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal refuse d’examiner la question.

Violation de marque de commerce

Enregistrement de marque de commerce canadienne – TMA1036004 – SHAKEALERT

[248] Weir-Jones est propriétaire de la marque de commerce canadienne no TMA1036004 pour la marque SHAKEALERT, déposée en lien avec les produits et services suivants (enregistrement 004) :

Produits

(1) Systèmes d’alarme pour la détection, l’enregistrement et l’avertissement d’activités sismiques, comprenant des capteurs sismiques, des ordinateurs, des tableaux de commande et des afficheurs; publications imprimées et électroniques, nommément brochures, dépliants, rapports, affiches, répertoires et manuels pour systèmes d’alarme sismique; articles promotionnels, nommément chapeaux, vêtements tout-aller, chaînes porte-clés, banderoles, blocs-notes, crayons, stylos, gourdes, grandes tasses à café et aimants pour réfrigérateurs.

Services

(1) Conception et fabrication de systèmes d’alarme pour la détection, l’enregistrement et l’avertissement de l’activité sismique; vente en gros et au détail de systèmes d’alarme pour la détection, l’enregistrement et l’avertissement de l’activité sismique; exploitation d’un site Web d’information dans les domaines de l’activité sismique et des systèmes d’alarme pour la détection, l’enregistrement et l’avertissement de l’activité sismique [186] .

[249] Weir-Jones insiste beaucoup sur le fait que la DP fait mention d’un logiciel fourni par l’USGS en association avec la marque SHAKEALERT. La DP exige que le système d’ASP à acquérir puisse être intégré, sur le plan opérationnel, au logiciel SHAKEALERT de l’USGS.

[250] Les droits conférés par l’enregistrement d’une marque de commerce sont définis à l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce :

19 Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de produits ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces produits ou services.

[251] Les droits de monopole conférés par l’enregistrement sont violés par l’emploi d’une marque identique pour les mêmes produits et services ou par l’emploi d’une marque qui crée de la confusion avec la marque déposée [187] .

[252] Une marque de commerce permet d’indiquer la source du produit; elle crée un lien entre les produits et services et l’entité chargée de fournir ces produits et services. Ce principe a été clairement expliqué par la Cour suprême dans plusieurs décisions :

[1] Au Canada, les marques de commerce sont un outil très utile aux consommateurs et aux entreprises. Ainsi, toute entreprise appose une marque sur les marchandises ou les services qu’elle vend afin d’en indiquer la provenance, ce qui permet aux consommateurs d’en connaître l’origine. Les marques de commerce font donc en quelque sorte « office de raccourci qui dirige les consommateurs vers leur objectif », comme l’a dit le juge Binnie dans Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, par. 21. Dans les cas où les marques de commerce de différentes entreprises sont similaires, le consommateur peut ne pas savoir quelle société offre les marchandises ou les services qui l’intéressent. La confusion entre les marques de commerce nuit à l’objectif qui consiste à fournir aux consommateurs une indication fiable de l’origine des marchandises ou des services. [...] [188]

[23] L’objet des marques de commerce est de créer des liens et de les représenter par un symbole. Comme nous l’avons vu, l’art. 2 de la Loi sur les marques de commerce définit ainsi l’expression « marque de commerce » :

(a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres [...]

L’article 15 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l’Organisation mondiale du commerce, 1869 R.T.N.U. 332, va dans le même sens dans sa définition de « marque de commerce », dont voici un extrait :

Tout signe, ou toute combinaison de signes, propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises [...]

[24] Ainsi que la Cour l’a formulé dans Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2005] 3 R.C.S. 302, 2005 CSC 65, la marque de commerce « devient un symbole du rapport entre la source d’un produit et le produit lui-même » (le juge LeBel, par. 39). Si, comme l’a conclu la Commission, même les consommateurs occasionnels ne sont pas susceptibles d’établir un lien entre la source des poupées BARBIE et les restaurants de l’intimée, alors les marques de l’appelante ont reçu la protection à laquelle elles ont droit [189] .

[253] L’acquisition, le maintien et la violation des droits de marque dépendent tous de l’« emploi » de la marque. La notion d’« emploi » en lien avec les marques ne correspond pas au sens technique ou courant de ce mot. Le sens à donner au terme « employer » est celui de la définition d’une marque de commerce, à l’article 4 de la Loi sur les marques de commerce :

(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des produits ou sur les emballages qui les contiennent est réputée, quand ces produits sont exportés du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces produits.

[254] Par conséquent, au sens de l’article 4, une marque de commerce est « employée », dans la pratique normale du commerce, en liaison avec des marchandises et des services afin de désigner les produits et services d’un commerçant et de les distinguer de ceux d’un autre commerçant [190] .

[255] Le point central de l’argument de Weir-Jones est que l’emploi par RNCan du logiciel SHAKEALERT de l’USGS emporte la contrefaçon de la marque de commerce canadienne enregistrée sous le no TMA853230 (enregistrement 230) ou amènera les soumissionnaires à la contrefaire, car un équipement compatible avec ce logiciel est exigé. Dans cette optique, la DP est effectivement viciée.

[256] TPSGC souligne le fait que Weir-Jones et l’USGS ont conclu un accord selon lequel leurs marques respectives SHAKEALERT peuvent coexister aux États-Unis sans confusion. Le Tribunal accorde peu de poids à cette preuve – la coexistence de marques au Canada et dans un pays étranger ne permet pas nécessairement d’établir que ces mêmes marques peuvent coexister au Canada [191] .

[257] Le Tribunal conclut plutôt que ce motif de plainte de Weir-Jones ne peut pas être retenu parce qu’il n’y a aucune preuve que la marque de commerce SHAKEALERT a été ou sera employée au Canada en liaison avec l’un ou l’autre des produits et services exigés par la DP.

[258] Pour conclure que les droits conférés par l’enregistrement d’une marque de commerce ont été violés, il faut d’abord établir l’emploi de la marque de commerce au sens de l’article 4 de la Loi sur les marques de commerce [192] . En ce qui concerne les produits, il faut établir que des transactions commerciales ont été effectuées dans la pratique normale du commerce, sans lien de dépendance [193] . En ce qui concerne les services, il faut que la marque soit montrée dans l’exécution ou l’annonce des services associés, lesquels doivent être disponibles au Canada [194] .

[259] Le critère de violation d’une marque de commerce a été énoncé récemment dans la décision United Airlines, Inc. c. Cooperstock [195] . Le litige portait sur l’emploi par le défendeur de « Untied » en liaison avec des services fournis sur un site Web (www.untied.com) qui critiquait United Airlines, Inc. et qui emportait la violation de diverses marques enregistrées appartenant à la demanderesse, notamment la marque UNITED en liaison avec des « services de transport aérien pour passagers ».

[36] Pour constituer un emploi à titre de marque commerciale, une marque doit être utilisée pour indiquer l’origine des biens ou services; en d’autres termes, pour distinguer les biens ou services d’une personne de ceux d’autres personnes. Si, comme dans la décision Clairol International Corp v. Thomas Supply & Equipment Co, [1968] 2 Ex CR 552, 1968 CarswellNat 32 (WL Can) [décision Clairol], la marque de commerce d’une autre personne est simplement employée pour comparer ses propres biens ou services avec ceux d’autres personnes, alors cela ne constituera pas l’emploi d’une marque de commerce. Dans la décision Compagnie Générale des Établissements Michelin-Michelin & Cie c. Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada) (1996) (1re inst.), [1997] 2 C.F. 306 [décision Michelin, citée pour CarswellNat], le juge Teitelbaum a déclaré ce qui suit :

[26] Je suis convaincu que l’analyse classique faite dans Clairol de l’emploi sous le régime de l’article 20 fait encore partie de notre droit. Le critère de l’« emploi » de l’article 20 exige l’établissement de deux éléments tirés de l’article 2 et de l’article 4. En effet, le premier élément provient de l’article 4 : (1) les défendeurs ont-ils établi une liaison entre leurs services et les marques de commerce de la demanderesse? Le second élément est tiré de l’article 2 : (2) les défendeurs ont-ils employé la marque de commerce pour distinguer ou identifier leurs services en liaison avec les marchandises et services de la demanderesse?

[37] Bien que le paragraphe 20(1) ne précise pas explicitement qu’il doit y avoir un « emploi » de la marque de commerce, cette exigence est sous-entendue par le libellé de la disposition (décision Michelin, aux paragraphes 19 et 29). Le défendeur fait valoir que tout « emploi » des marques United sur UNTIED.com ne constitue par un emploi visé par la Loi sur les marques de commerce et que les marques United affichées sur UNTIED.com ne sont pas employées pour distinguer les biens ou services du défendeur de ceux d’autres personnes.

[...]

[41] Le logo de Untied et le dessin du globe terrestre grimaçant sont bien mis en évidence sur UNTIED.com. En outre, une marque semblable à la marque UNITED AIRLINES est affichée sur UNTIED.com – par exemple, au cours de la période pertinente, le coin inférieur gauche de UNTIED.com indiquait ce qui suit : « Copyright © Untied Air Lines, Inc. ».

[42] Les marques sont donc employées ou affichées dans la publicité ou lors de l’exécution de services en vertu du paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de commerce. Je conclus que l’affichage par le défendeur des marques Untied constitue un emploi en vertu de l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur les marques de commerce [196] .

[260] Weir-Jones a été invitée à fournir une preuve [197] permettant de démontrer soit que TPSGC a employé la marque SHAKEALERT, soit qu’un soumissionnaire serait forcé d’employer cette marque pour présenter une soumission conforme en réponse à la DP ou parce que la marque de commerce s’appliquerait aux biens et services proposés par ce soumissionnaire [198] . Aucune preuve du genre n’a été présentée au Tribunal.

[261] Bien qu’il existe un lien entre une marque et les produits et services auxquels elle s’applique, l’emploi (au sens vernaculaire) d’un produit associé à une marque déposée ne constitue pas un « emploi » de cette marque au sens de l’article 4. Le contraire est aussi vrai. Dans l’abstrait, la mention d’une marque de commerce ne constitue pas un « emploi » de cette marque si aucune liaison avec des marchandises ou services précis n’est établie et si aucune vente ou fourniture commerciale de ces marchandises ou services n’a lieu.

[262] Les droits conférés par une marque enregistrée se limitent à la marque lorsqu’elle est employée en tant que telle, c’est-à-dire comme un symbole qui crée un lien entre un produit et la source qui est commercialement responsable de ce produit. L’enregistrement ne confère pas un monopole illimité sur le mot ou le symbole en soi ni le droit exclusif de vendre les produits ou services auxquels la marque s’applique. Ce dernier type de monopole relève du domaine des droits de brevet.

[263] Weir-Jones confond ainsi l’emploi interne et opérationnel par RNCan du logiciel SHAKEALERT de l’USGS avec l’emploi (pris dans le sens d’une marque de commerce) de la marque SHAKEALERT pour laquelle Weir-Jones possède un enregistrement de marque de commerce canadienne.

[264] L’emploi interne par RNCan d’un produit logiciel qu’il a acquis de l’USGS constitue un emploi de ce produit, et non un emploi de la marque de commerce appliquée et associée à ce produit. Si Weir-Jones considère que la vente ou la fourniture du logiciel SHAKEALERT par l’USGS à RNCan contrevient à l’accord de coexistence entre Weir-Jones et l’USGS [199] , il s’agit là d’un différend contractuel à résoudre devant un autre tribunal.

[265] À moins que RNCan ne fournisse des produits ou des services au Canada en liaison avec la marque de commerce SHAKEALERT, il n’y a pas d’« emploi de la marque de commerce » et il n’y a donc aucune violation des droits de la marque de commerce de Weir-Jones. C’est d’ailleurs le cas même si Weir-Jones invoque l’existence d’une contrefaçon en se fondant sur les articles 19, 20 ou 22 de la Loi sur les marques de commerce [200] .

[266] Comme il est mentionné précédemment, la DP vise la fourniture de certains composants pour un nouveau système d’ASP. Cependant, la DP ne fait nullement mention que les soumissionnaires doivent fournir des marchandises, à savoir des composants pour le système d’ASP, ayant la marque SHAKEALERT apposée sur les produits-mêmes , ou que la marque SHAKEALERT sera autrement liée [201] aux produits demandés aux soumissionnaires dans la DP.

[267] La DP mentionne la marque de commerce SHAKEALERT, mais elle renferme aussi un avertissement informatif selon lequel le produit liée provient de l’USGS. Cette mention écrite ne constitue pas un « emploi » de la marque SHAKEALERT par RNCan (et encore moins par un soumissionnaire), car RNCan ne vend pas ou n’offre pas de fournir à un tiers des produits quelconques portant la marque SHAKEALERT ou qui y sont autrement associés.

[268] La DP n’emploie donc pas la marque SHAKEALERT au sens de l’article 4. De plus, l’avertissement sert à dissiper toute possibilité de confusion [202] , car il y est mentionné expressément que la source du logiciel est l’USGS et non RNCan. RNCan ne tente aucunement de prétendre que RNCan fournit un produit lié à la marque de commerce SHAKEALERT.

[269] Weir-Jones a également soutenu que, dans les faits, l’intégration du logiciel SHAKEALERT de l’USGS en tant que composant du système d’ASP devant être acquis par RNCan emporte ou emportera la violation de la marque de commerce SHAKEALERT de Weir-Jones. Cette affirmation part du principe que le produit SHAKEALERT de l’USGS fournit, ou permet de fournir, les services de messages d’alerte sismique précoce à un destinataire. Cependant, la DP ne prévoit pas ou ne mentionne pas que ces services seront fournis ou annoncés au Canada en employant la marque de commerce de l’USGS.

[270] Il semble être allégué que l’emploi du logiciel SHAKEALERT de l’USGS suppose ou implique l’acquisition d’un système d’ASP avec connaissance de la situation ou dépend de celle-ci, ce qui emportera la contrefaçon du brevet 717.

[271] Le Tribunal observe que le logiciel SHAKEALERT de l’USGS existait avant le dépôt du brevet 717. Par conséquent, ce logiciel et la technologie associée doivent pouvoir être distingués du concept inventif de la connaissance de la situation possiblement revendiquée par le brevet 717. De toute évidence, Weir-Jones ne souhaite pas affirmer le contraire, et le Tribunal n’est pas parvenu à cette conclusion.

[272] Weir-Jones semble s’inquiéter du fait que le système d’ASP devant être acquis par RNCan assurera ultimement une « connaissance de la situation » sous la forme de services permettant la transmission de messages ou de renseignements produits ou alimentés par le logiciel SHAKEALERT de l’USGS.

[273] Dans le dossier dont dispose le Tribunal, il n’y a aucune preuve que la DP prévoit l’un ou l’autre de ces éléments ou qu’elle fera en sorte que ces actions se produisent. Si RNCan se procurait un système d’ASP qui produit des messages d’alerte sismique destinés aux membres du public en utilisant la marque de commerce SHAKEALERT, ou qu’il annonçait et fournissait ce service en utilisant la marque de commerce SHAKEALERT, Weir-Jones pourrait, à ce moment-là, avoir une cause d’action pour violation de la marque de commerce. En ce moment, ce scénario n’est qu’une spéculation fondée sur une supposition. Rien dans la DP ne peut être raisonnablement interprété comme établissant ce scénario en lien avec le système d’ASP que TPSGC souhaite acquérir.

[274] Weir-Jones semble soutenir que, comme la DP demande aux soumissionnaires de proposer un équipement qui s’intégrera au logiciel SHAKEALERT de l’USGS, les soumissionnaires sont invités ou seront incités à proposer un système d’ASP qui offrira tout le potentiel d’un système avec connaissance de la situation, emportant ainsi la contrefaçon du brevet 717.

[275] Pour les motifs qui précèdent, cette affirmation est spéculative et exagérée. Si un concurrent est capable de concevoir un système d’ASP avec connaissance de la situation qui ne contrefait pas le brevet 717, Weir-Jones n’a aucune justification pour se plaindre Si un système contrefaisant le brevet était fabriqué, vendu ou utilisé par un tiers (ou possiblement par RNCan), Weir-Jones pourrait alors faire valoir ses droits de brevet à ce moment-là.

[276] Le Tribunal a également examiné de plus près le protocole de collaboration à la lumière des arguments présentés par Weir-Jones concernant une éventuelle contrefaçon du brevet et de la marque de commerce découlant de l’adoption par RNCan du logiciel SHAKEALERT de l’USGS, comme il est énoncé dans la DP. Les modalités du protocole ne constituent pas une base raisonnable permettant d’étayer les allégations de contrefaçon. Ces allégations sont, au mieux, spéculatives, et conformes aux justifications fournies dans les présents motifs.

Enregistrement de marque de commerce canadienne – TMA 853230 – SHAKEALARM

[277] Weir-Jones est également propriétaire de l’enregistrement de la marque de commerce canadienne no TMA 853230 pour la marque SHAKEALARM qui a été déposée en liaison avec les produits et services suivants (enregistrement ’230) :

Produits

(1) Systèmes d’alarme pour la détection, l’enregistrement et l’avertissement d’activités sismiques, comprenant des capteurs sismiques, des ordinateurs, des tableaux de commande et des afficheurs.

(2) Publications imprimées et électroniques, nommément brochures, dépliants, rapports, affiches, répertoires et manuels pour systèmes d’alarme sismique.

(3) Articles promotionnels, nommément chapeaux, vêtements tout-aller, chaînes porte-clés, banderoles, blocs-notes, crayons, stylos, gourdes, grandes tasses à café et aimants pour réfrigérateurs.

Services

(1) Conception et fabrication de systèmes d’alarme pour la détection, l’enregistrement et l’avertissement de l’activité sismique.

(2) Vente en gros et au détail de systèmes d’alarme pour la détection, l’enregistrement et l’avertissement de l’activité sismique.

(3) Exploitation d’un site Web d’information dans les domaines de l’activité sismique et des systèmes d’alarme pour la détection, l’enregistrement et l’avertissement de l’activité sismique [203] .

[278] Les commentaires et conclusions du Tribunal concernant l’enregistrement 004 s’appliquent également à l’enregistrement ’230.

Enregistrements de marques de commerce américaines de Weir-Jones

[279] Pour les mêmes raisons que celles exposées ci-dessus concernant le brevet américain 548, les enregistrements de marques obtenus par Weir-Jones aux États-Unis [204] lui confèrent des droits aux États-Unis seulement, en vertu des lois américaines.

[280] Le Tribunal est d’avis qu’aucune preuve ne permet raisonnablement de conclure que la DP publiée au Canada renferme des directives qui emportent la contrefaçon du monopole de marque de commerce accordé aux États-Unis.

[281] Dans la mesure où la réclamation présentée par Weir-Jones est fondée, elle peut exercer ses droits aux États-Unis.

Incitation à rompre un contrat

[282] Weir-Jones soutient également que les modalités de la DP incitent l’USGS à ne pas respecter les modalités de l’accord de coexistence qu’il a signé avec Weir-Jones.

[283] À la lecture du document, le Tribunal remarque que l’objectif sous-jacent de l’accord est de définir les modalités suivant lesquelles les marques SHAKEALERT de chacune des parties peuvent coexister à la fois au sein du marché américain et dans le registre des marques de commerce américaines [205] .

[284] Cette observation est étayée par l’accord des parties, selon lequel leurs marchandises, services, circuits commerciaux et utilisateurs finaux sont différents et faciles à distinguer :

19. Les parties reconnaissent que l’USGS et Weir-Jones ne se font pas concurrence. Les parties reconnaissent que les procédés d’acquisition et d’archivage de données sismiques de l’USGS se distinguent des systèmes d’alerte sismique précoce de Weir-Jones qui utilisent de telles données. Elles reconnaissent aussi que le circuit commercial de l’USGS se distingue de celui de Weir-Jones. L’USGS, dans le cadre de sa mission, fournit des données scientifiques fiables et évalue les dangers ainsi que leurs causes et leurs effets, conformément à la responsabilité qui lui est déléguée par le secrétaire à l’Intérieur. Les produits et services de l’USGS englobent l’échange de données d’alerte sismique précoce et la collaboration avec des universités, des organismes à but non lucratif, des partenaires du secteur privé et des gouvernements municipaux et locaux. Pour sa part, Weir-Jones a des utilisateurs finaux publics et des consommateurs qui comptent sur ses produits et services pour protéger des biens ou se protéger eux-mêmes. Compte tenu de la complexité qui caractérise les produits et services de l’USGS et ceux de Weir-Jones, les parties reconnaissent que les partenaires de l’USGS pour ce qui est de ses produits et services et les consommateurs des produits et services de Weir-Jones sont très spécialisés et qu’il est peu probable qu’ils soient confondus. Les parties reconnaissent que le USGS, à titre d’agence gouvernementale, se sert de méthodes de promotion qui diffèrent grandement des méthodes de publicité et de promotion utilisées par les entités commerciales, dont Weir-Jones [206] .

[Traduction]

[285] Weir-Jones renvoie à la clause 6 de l’accord de coexistence, qui prévoit ce qui suit :

6. L’USGS convient de ne pas employer et de ne pas permettre à un tiers d’employer les marques de Weir-Jones au Canada en liaison avec les biens et services de Weir-Jones, et de ne pas concéder de licence à un tiers pour qu’il emploie ces marques. Sauf pour ce qui est de son site Web à l’adresse https://www.shakealert.org/, l’USGS convient de ne pas montrer ou de ne pas permettre à un tiers de montrer les marques de Weir-Jones au Canada en liaison avec les produits et services de Weir-Jones, et de ne pas concéder de licence à un tiers pour qu’il montre ces marques [207] .

[Traduction]

[286] L’accord de coexistence définit les « produits et services de Weir-Jones » au moyen d’une incorporation par renvoi aux produits et aux services énumérés dans les enregistrements de marques de commerce canadiennes et américaines et dans sa demande de marque américaine en cours d’examen.

[287] Pour les motifs susmentionnés se rapportant à la contrefaçon de marque de commerce, il n’y a pas d’« emploi » de la marque SHAKEALERT par l’USGS au Canada, et encore moins par RNCan, au sens de l’article 4 de la Loi sur les marques de commerce. La DP n’exige pas non plus qu’un soumissionnaire potentiel « emploie » la marque de commerce pour que sa soumission soit considérée jugée conforme.

[288] L’accord de coexistence est régi par les lois américaines. Dans la mesure où il existe une différence entre les lois américaines et canadiennes pour ce qui est de l’« emploi » d’une marque de commerce, les lois américaines doivent être établies par une preuve. Aucune preuve du genre n’a été présentée au Tribunal.

[289] La clause 6 de l’accord de coexistence prévoit que l’USGS convient « de ne pas montrer ou de ne pas permettre à un tiers de montrer les marques de Weir-Jones au Canada en liaison avec les produits et les services de Weir-Jones » [traduction]. Ce passage porte à se demander quelle est la différence entre « employer » une marque en liaison avec des produits et services et « montrer » cette marque.

[290] Il peut y avoir des cas où une marque de commerce est montrée en liaison avec des produits ou des services dans le but d’établir un lien perceptible entre le fabricant (ou la source) du produit et les produits et services auxquels la marque s’applique, mais où la définition légale de l’« emploi » d’une marque n’est pas respectée à la lettre. Par exemple, la publicité de produits ne constitue pas un « emploi » d’une marque en liaison avec des produits [208] , et les services de publicité en lien avec une marque ne constituent pas un « emploi » de la marque si les services ne sont pas disponnibles au Canada [209] .

[291] De toute façon, ces éléments ne sont d’aucune utilité pour Weir-Jones. Rien ne prouve que l’USGS a mené une action quelconque au Canada en lien avec la marque SHAKEALERT, et encore moins qu’il l’a « montrée » en liaison avec des produits et des services associés à une marque déposée de Weir-Jones. Aussi, le Tribunal n’a pas de motifs raisonnables ni d’éléments sur lesquels se fonder pour conclure que la marque SHAKEALERT est montrée de quelconque façon dans le cadre de l’utilisation par RNCan du logiciel SHAKEALERT de l’USGS, ou que l’USGS est en mesure de réglementer l’utilisation par RNCan du logiciel acquis par RNCan.

[292] En résumé, rien ne permet au Tribunal de conclure que l’accord de coexistence n’a pas été respecté, et encore moins que la DP fait en sorte qu’il ne soit pas respecté

[293] Selon le critère de l’incitation à la rupture de contrat, il faut prouver que la partie qui serait à l’origine de la rupture du contrat était au courant de l’existence d’un contrat valide et contraignant et que, en pleine connaissance de cause, elle est parvenue à obtenir la rupture du contrat, causant ainsi des dommages subséquents [210] .

[294] Weir-Jones n’a rien prouvé de cela. Rien ne permet d’établir qu’en préparant et en publiant la DP, RNCan avait connaissance de l’accord de coexistence entre l’USGS et RNCan ou qu’il souhaitait, et encore moins qu’il avait l’intention, de ne faire en sorte que cet accord ne soit pas respecté, d’une façon ou d’une autre.

Spécification des technologies exclusives

[295] Dans sa plainte, Weir-Jones prétend également que la procédure de passation des marchés publics contrevient aux accords commerciaux parce qu’elle précise qu’une technologie doit être utilisée en particulier (le logiciel SHAKEALERT de l’USGS) et qu’elle n’autorise pas l’utilisation d’autres technologies [211] , c’est-à-dire d’autres logiciels ou équipements qui seraient plus compatibles avec la technologie de Weir-Jones.

[296] TPSGC affirme que les fournisseurs potentiels ne sont pas tenus d’utiliser le logiciel SHAKEALERT de l’USGS, mais que tout équipement proposé en réponse à la DP doit pouvoir transmettre des données qui seront traitées par le logiciel SHAKEALERT de l’USGS.

[297] Le Tribunal a déjà conclu qu’une entité acheteuse peut, à sa discrétion, définir les spécifications des appels d’offres pour que ces dernières répondent à ses besoins opérationnels légitimes [212] . Tant que ce pouvoir discrétionnaire est exercé de manière raisonnable, l’entité acheteuse peut définir les spécifications de ses appels d’offres de façon à ce qu’elles répondent à ses besoins, même si un fournisseur pourrait bénéficier d’avantages concurrentiels compte tenu de ses spécifications [213] .

[298] Puisque RNCan a déjà acquis le logiciel de l’USGS, il n’est pas déraisonnable qu’il décide d’acquérir un système d’ASP qui est complémentaire à la technologie qu’il possède déjà.

Accord pour l’obtention d’une licence

[299] Dans sa plainte, Weir-Jones affirme qu’elle est d’avis que RNCan a accepté d’obtenir une licence pour les droits de propriété intellectuelle de Weir-Jones. Le Tribunal n’a reçu aucune preuve convaincante qu’un tel accord était en cours de négociation, et encore moins qu’un accord avait été conclu.

[300] Il est clair que Weir-Jones tentait de convaincre RNCan que les spécifications de la DP devraient englober la technologie exclusive de Weir-Jones. Ces observations ont peut-être été prises en considération, mais RNCan n’avait aucune obligation, contractuelle ou autre, de rédiger ou d’adapter les spécifications de la DP pour répondre aux désirs ou aux objectifs commerciaux de Weir-Jones ni d’ailleurs de tout autre soumissionnaire éventuel.

[301] Pour tous les motifs qui précèdent, la plainte de Weir-Jones doit être rejetée dans son intégralité.

Frais

[302] Dans les affaires en matière de marchés publics, les frais suivent habituellement l’issue de la cause, à moins qu’il n’y ait des raisons particulières de déroger à cette règle [214] .

[303] Puisque le Tribunal a déterminé que la plainte de Weir-Jones n’est pas fondée, TPSGC se voit accorder une indemnité raisonnable pour les frais qu’il a engagés pour répondre à la plainte. L’affaire présentait un degré de complexité élevé et certaines questions inédites ont été soulevées. En plus de plusieurs questions interlocutoires, les deux parties ont soulevé une multitude de questions. Bien que Weir-Jones n’ait finalement pas eu gain de cause, il convient de noter que TPSGC a soulevé de nombreux arguments qui ont été rejetés.

[304] Pour ce qui est des enquêtes sur les marchés publics, le Tribunal rend habituellement ses décisions sur la foi du dossier. La présente affaire est inhabituelle, car la tenue d’une audience a été demandée et celle-ci s’est déroulée en ligne durant deux jours.

[305] Compte tenu de ces considérations et du haut niveau de complexité générale du dossier, le Tribunal conclut, du moins provisoirement, que les frais devant être accordés à TPSGC correspondent au degré de complexité 3.

[306] Les parties sont invitées à discuter entre elles et à conclure une entente sur le paiement des frais à la lumière des présents motifs. Dans l’éventualité où elles ne parviendraient pas à s’entendre, les parties pourront déposer des exposés sur les frais dans les 15 jours suivant la date du présent exposé des motifs.

DÉCISION

[307] Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte n’est pas fondée.

[308] Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde TPSGC une indemnité raisonnable pour les frais qu’il a engagés pour répondre à la plainte, indemnité qui doit être versée par Weir-Jones. En conformité avec la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public (Ligne directrice), le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la présente plainte correspond au degré 3 et que le montant de l’indemnité est de 4 700 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à l’indication provisoire du degré de complexité ou du montant de l’indemnité, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec sa Ligne directrice. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre présidant

 



[1] Pièce PR-2020-042-08 à la p. 3.

[2] Ibid.

[3] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 246.

[4] Ibid. à la p. 247.

[5] Pièce PR-2020-042-01 aux p. 248-258.

[6] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 128.

[7] Ibid. à la p. 242.

[8] Ibid. à la p. 130.

[9] Ibid.

[10] Ibid. à la p. 131.

[11] Ibid. à la p. 259; pièce PR-2020-042-01B.

[12] Ibid. à la p. 260.

[13] Ibid. à la p. 261.

[14] Ibid. à la p. 244; pièce PR-2020-042-08 à la p. 156.

[15] Pièce PR-2020-042-9B à la p. 42.

[16] Ibid. à la p. 45.

[17] Pièce PR-2020-042-01.

[18] Pièce PR-2020-042-02.

[19] Pièce PR-2020-042-01A.

[20] Pièce PR-2020-042-01 à la p. 7.

[21] Ibid. aux p. 7, 247.

[22] Ibid. à la p. 7.

[23] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 15.

[24] Ibid. à la p. 81.

[25] Ibid. à la p. 106.

[26] Ibid. à la p. 108.

[27] Ibid. à la p. 110.

[28] Ibid. à la p. 112.

[29] Ibid. à la p. 113.

[30] Ibid. à la p. 115.

[31] Pièce PR-2020-042-01 à la p. 7.

[32] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 10.

[33] Pièce PR-2020-042-04; pièce PR-2020-042-05.

[34] Pièce PR-2020-042-07.

[35] Pièce PR-2020-042-09A; pièce PR-2020-042-09B.

[36] Pièce PR-2020-042-09B à la p. 4.

[37] Pièce PR-2020-042-09A.

[38] Pièce PR-2020-042-09B à la p. 29.

[39] Sans doute le logiciel USGS SHAKEALARM.

[40] Pièce PR-2020-042-09B à la p. 29.

[41] Pièce PR-2020-042-09A à la p. 93 et suiv.

[42] Ibid. aux p. 54-58.

[43] Ibid. à la p. 63.

[44] Ibid. aux p. 65-87.

[45] Ibid. aux p. 48-51.

[46] Pièce PR-2020-042-11.

[47] Pièce PR-2020-042-12A.

[48] Pièce PR-2020-042-13.

[49] Pièce PR-2020-042-17.

[50] Pièce PR-2020-042-19.

[51] Pièce PR-2020-042-18A.

[52] Pièce PR-2020-042-34; pièce PR-2020-042-35A.

[53] Pièce PR-2020-042-35A à la p. 11.

[54] Pièce PR-2020-042-09C.

[55] Pièce PR-2020-042-12A à la p. 2.

[56] Pièce PR-2020-042-11.

[57] Pièce PR-2020-042-14A.

[58] Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835 [Dagenais].

[59] R. c. Mentuck, 2001 CSC 76 [Mentuck].

[60] Ibid. au par. 6.

[61] Ibid. aux par. 32-33.

[62] Ibid. au par. 39.

[63] 2018 CanLII 14667.

[64] Sierra Club of Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 SCC 41 [Sierra Club].

[65] Ibid. au par. 38

[66] Ibid. aux par. 49, 50-51.

[67] Ibid. au par. 53.

[68] Au moins dans la mesure où les faits pertinents ne proviennent pas du dossier de la Cour.

[69] Par exemple, Canadian National Railway Company c. BNSF Railway Company, 2020 CAF 45; Lundbeck Canada Inc. c. Canada (Santé), 2007 CF 412; Paid Search Engine Tools, LLC c. Google Canada Corporation, 2019 CF 559. De telles ordonnances peuvent restreindre aux avocats l’accès aux renseignements.

[70] Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42 au par. 26.

[71] De telles requêtes peuvent faire l’objet d’une assignation du Tribunal.

[72] Weir-Jones semble reconnaître l’importance de la protection des renseignements commerciaux de nature confidentielle puisqu’elle a désigné comme confidentiel l’ensemble de sa réponse à la demande de renseignements. Pièce PR-2020-042-01B.

[73] TPSGC a fait de la sorte à l’égard du mémorandum. Pièce PR-2020-042-09C.

[74] Loi sur le TCCE, articles 47-48.

[75] Soit en common law, soit aux termes des articles 45 à 48 de la Loi sur le TCCE.

[76] Pièce PR-2020-042-09B à la p. 29.

[77] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 130.

[78] Ibid. à la p. 260.

[79] Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne [AECG].

[80] Notamment l’AECG et l’Accord Canada-États-Unis-Mexique et son prédécesseur, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

[81] L.R.C. (1985) ch. P-4.

[82] L.R.C. (1985) ch. T-13.

[83] L.R.C. (1985) ch. C-42.

[84] Par exemple, voir Règlement sur les certificats de protection supplémentaire, DORS/2017-165, adopté en vue d’assurer la conformité avec l’AECG, comme il est discuté davantage dans Glaxosmithkline Biologicals S.A. c. Canada (Santé), 2020 CF 397 [Glaxosmithkline] aux par. 18-29; Loi de mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, LC 2017, ch. 6, articles 32-79; Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, LC 2020, ch. 1, articles 23-34.

[85] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 SCC 65 [Vavilov]. Voir aussi Glaxosmithkline ou la révision judiciaire a été accordée parce que le décideur administrative a adopté une interprétation trop étroite d’une loi en ignorant les engagements du Canada en vertu de l’AECG, selon Vaviloc.

[86] Vavilov aux par. 120-121.

[87] Ibid. aux par. 114, 182.

[88] Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193 [Almon].

[89] Almon aux par. 22-23; voir aussi CGI Information Systems and Management Consultants Inc. c. La Société canadienne des postes, 2015 CAF 272 à la p. 28.

[90] Cougar Aviation Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2000 CanLII 16572 aux par. 18-23; Novell Canada Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2000 CanLII 15324 au par. 5.

[91] Noël Import/Export, PR-2002-036, 2003 CanLII 54771 (CA TCCE) [Noël].

[92] Ibid.

[93] Commissaire aux brevets c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964], R.C.S.

[94] Loi sur les brevets, article 42.

[95] Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 [Free World Trust].

[96] Ibid. au par. 14.

[97] Whirlpool c. Camco Inc., 2000 CSC 67 [Whirlpool].

[98] Ibid. au par. 42.

[99] Burton Parsons Chemicals, Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 RCS 555 [Burton Parsons] à la p. 565.

[100] Ibid.

[101] Whirlpool au par. 49.

[102] Par exemple, Pfizer Canada Inc. c. Canada, 2007 CF 446.

[103] Par exemple, G.D. Searle & Co. c. Canada (Health), 2008 CF 437; Glaxosmithkline.

[104] Par exemple, Genencor International, Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2008 CF 608; Choueifaty c. Canada (Procureur général), 2020 CF 837.

[105] Au sujet de l’achat d’un système DDR.

[106] Pièce PR-2020-042-11 à la p. 18.

[107] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 33.

[108] La deuxième étape de l’analyse consisterait à évaluer si l’appel d’offres est conçu de telle sorte qu’une offre conforme aux exigences techniques obligatoires de l’appel d’offres ferait aussi en sorte que le produit du soumissionnaire soit visé par au moins une revendication du brevet 717.

[109] Loi sur les brevets, paragraphe 57(1).

[110] Loi sur les brevets, article 55.

[111] Cette réparation est accordée au lieu des dommages-intérêts si la Cour en décide ainsi. Par exemple, voir Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 323 [Merck] aux par. 127-130.

[112] Par exemple, voir Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1234 aux par. 128-136; Merck.

[113] Pièce PR-2020-042-13.

[114] En lançant de nouveau la DP et en y intégrant des spécifications qui obligeraient le soumissionnaire retenu à obtenir une licence de Weir-Jones. Pièce PR-2020-042-01 à la p. 7.

[115] AstraZeneca Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2009 CF 1209 [AstraZeneca]; Connaught Laboratories Ltd. c. Smithkline Beecham Pharma Inc., 1998 CanLII 8917 (CF); Glaxosmithkline Biologicals S.A. c. Novartis Vaccines and Diagnostics, Inc., 2007 CF 833; Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2000 CanLII 27157 (CAF).

[116] 2009 CF 1209.

[117] Supra 109.

[118] Même si le Tribunal a rendu une ordonnance en vertu du paragraphe 30.13(3) de la Loi sur le TCCE, la date de la décision est également facilement vérifiable, compte tenu de l’article 12 du Règlement.

[119] Comme il est indiqué plus loin, le fait de proposer de fournir des biens et services qui contreviendraient au brevet de Weir-Jones, en soi, pourrait être considéré comme un acte de contrefaçon. Le Tribunal ne doit pas trancher cette question.

[120] Par l’une des parties ou les deux parties (ou leur conseiller juridique).

[121] Une telle position stratégique n’est ni nouvelle ni unique dans ce cas.

[122] Le coût d’un tel litige peut facilement atteindre six ou sept chiffres, comme en témoigne l’attribution à la partie gagnante de frais de procédure qui s’ajoutent à ses propres frais juridiques. Voir par exemple Camso Inc. c. Soucy International Inc., 2019 CF 816 (frais partagés entre les parties fixés à 570 000 $); Seedlings Life Science Ventures, LLC c. Pfizer Canada ULC, 2020 CF 505 (frais partagés entre les parties fixés à 2 629 062 $); Dimplex North America Limited c. CFM Corporation., 2006 CF 1403 (frais partagés entre les parties fixés à 480 000 $); Dow Chemical Company c. Nova Chemicals Corporation, 2016 CF 91 (frais partagés entre les parties fixés à 6 500 000 $).

[123] lllinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie/Cobra Anchors Co., 20 C.P.R. (4th) 402; conf. 2003 CAF 358.

[124] Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2014 CF 1254 aux par. 10-11.

[125] Monsanto v Schmeiser, 2004 SCC 34 [Monsanto].

[126] Ibid. au par. 140.

[127] Ibid. aux par. 34-35.

[128] Ibid. au par. 58.

[129] Pièce PR-2020-042-13.

[130] À titre d’entrée en phase nationale d’une demande déposée en vertu du Traité de coopération en matière de brevets no CA2017/051251.

[131] Flatwork Technologies, LLC (Powerblanket) c. Brierley, 2020 CF 997 au par. 53.

[132] Whirlpool au par. 49.

[133] Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725 au par. 34.

[134] Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2018 CF 736 au par. 63.

[135] Whirlpool au par. 45.

[136] Pièce PR-2020-042-01A aux p. 28-34.

[137] Ibid. à la p. 66.

[138] Ibid. aux p. 28, 31.

[139] Ibid. à la p. 28.

[140] Ibid. aux p. 39-40.

[141] Brevet américain no 9372272 (Price et al.) – cinq de brevet 717; pièce PR-2020-042-01A à la p. 32.

[142] Le premier paragraphe de la description du brevet 717 (pièce PR-2020-042-01A à la p. 66); Transcription de l’audience publique aux p. 122-123.

[143] Free World Trust au par. 31.

[144] Pièce PR-2020-042-08 à la p. 31.

[145] Ibid.

[146] Ibid. aux p. 31-32.

[147] Ibid. à la p. 29.

[148] Schlumberger c. Commissioner of Patents, [1982] 1 CF 845.

[149] Pièce PR-2020-042-08 à la p. 32.

[150] Pièce PR-2020-042-08 à la p. 34.

[151] Le Tribunal constate que l’avis est quelque peu erroné en ce que la portée des droits de Weir-Jones est surestimée par rapport à la marque de commerce « ShakeAlert », selon d’autres éléments de preuve dont dispose le Tribunal. Toutefois, ce fait n’est pas un facteur particulièrement déterminant aux fins des présents motifs.

[152] Pièce PR-2020-042-08 aux p. 32, 35.

[153] Par exemple, voir R. c. Uhlemann Optical Co., [1952] 1 R.C.S. 143; Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2018 CF 736.

[154] Par exemple, voir Crila Plastic Industries Ltd. c. Ninety-Eight Plastic Trim Ltd., 18 C.P.R. (3d) 1.

[155] Pièce PR-2020-042-08 à la p. 8.

[156] Ibid. à la p. 61.

[157] Éléments du système définis au premier paragraphe de la description du brevet.

[158] Pièce PR-2020-042-08 à la p. 36.

[159] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 40.

[160] Loi sur les brevets, paragraphe 27(8).

[161] Loi sur le droit d’auteur, articles 2, 3.1.

[162] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 249.

[163] Brevet américain no 9372272 (Hoorianin et al.) dont il est question à la page 3 du brevet 717. Pièce PR-2020-042-01A à la p. 30.

[164] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 33.

[165] Dans le cadre de la DP en cause en l’espèce.

[166] Christiani c. Rice, [1930] R.C.S. 443 à la p. 454; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77 [Apotex].

[167] Apotex au par. 37.

[168] Voir la définition du terme « invention » dans la Loi sur les brevets, section 2.

[169] Free World Trust au par. 43.

[170] Ibid. au par. 32.

[171] Voir Tensar Technologies, Limited c. Enviro-Pro Geosynthetics, Ltd., 2021 CAF 3, au par. 48.

[172] Un scénario dans lequel TPSGC choisirait d’acquérir, dans le contexte du marché en cause, un système d’ASP sans connaissance de la situation pourrait être tout aussi frustrant pour Weir-Jones, mais il ne serait pas possible de conclure que la procédure de passation des marchés publics sous-jacent est viciée.

[173] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 71.

[174] Slater Steel Industries Ltd. c. R. Payer Co., 55 C.P.R. 61.

[175] Hatton c. Copeland-Chatterson Co., 10 Ex. C.R. 224; MacLennan c. Produits Gilbert Inc., 2008 CAF 35 [MacLennan].

[176] Parfois appelé « contrefaçon ».

[177] Corlac c. Weatherford Canada Inc., 2011 CAF 228 au par. 162; MacLennan aux par. 33-44.

[178] Par exemple, Dole Refrigerating Products Ltd. c. Canadian Ice Machine Co. et al., 28 C.P.R. 32; Domco Industries Ltd. c. Mannington Mills Inc., 29 C.P.R. (3d) 481.

[179] Janssen Inc. et al. c. Teva Canada Limited, 2020 CF 593.

[180] Le fait qu’il y ait ou non intention d’enfreindre n’est pas pertinent. Voir Bauer Hockey Corp. c. Easton Sports Canada Inc., 2010 CF 361 au par. 200; Monsanto au par. 58.

[181] MacLennan aux par. 33-44.

[182] Par exemple, il n’existe pas de cause d’action pour la « contrefaçon contributaire », c’est-à-dire lorsqu’il y a responsabilité partielle seulement pour une contrefaçon qui ne satisfait pas entièrement au critère de l’incitation, voir Apotex Inc. c. Nycomed Canada Inc., 2011 CF 1441; conf. 2012 CAF 195.

[183] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 81.

[184] Le brevet 717 revendique la priorité de la demande de brevet provisoire (É.-U.) n° 62/410,358, à partir de laquelle le brevet 548 a été délivré.

[185] Giesbrecht c. Lo, 2020 ONSC 3285 aux p. 19-22; Peng c. Zhu, 97 O.R. (3d) 277 aux par. 35-38.

[186] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 112.

[187] Loi sur les marques de commerce, article 20; Sandhu Singh Hamdard Trust c. Navsun Holdings Ltd., 2019 CAF 295 au par. 20.

[188] Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27.

[189] Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22.

[190] Par exemple, Sim & Mcburney c. Gesco Industries, Inc., 2000 CanLII 16369.

[191] Interstate Brands Company - Licensing Co. c. Becker Milk Co., 1998 CanLII 7989; Holding Benjamin et Edmond de Rothschild c. Canada (Procureur général), 2018 CF 258.

[192] Red Label Vacations Inc. (Redtag.ca) c. 411 Travel Buys Limited (411 Travel Buys Limited), 2015 CAF 290 aux par. 18-23.

[193] The Clorox Company of Canada, Ltd. c. Chloretec S.E.C, 2020 CAF au par. 30; Fasken Martineau Dumoulin S.E.N.C.R.L., S.R.L. c. Les Laboratoires Bio-Santé Inc., 2011 CF 802 au par. 26; Molson Cos. c. Halter, (1977) 28 C.P.R. (2d) 158.

[194] Miller Thomson LLP c. Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134 au par. 7.

[195] United Airlines, Inc. c. Cooperstock, 2017 CF 616.

[196] Ibid.

[197] Pièce PR-2020-042-13.

[198] L’utilisation d’une marque de commerce différente qui, au sens du paragraphe 6(5) et de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce, pourrait créer de la confusion, n’est pas en cause en l’espèce.

[199] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 115.

[200] Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] CSC 23.

[201] Au sens de l’article 4 de la Loi sur les marques de commerce.

[202] Au sens de l’article 6 de la Loi sur les marques de commerce.

[203] Pièce PR-2020-042-01A à la p. 106.

[204] Ibid. aux p. 108, 110.

[205] L’accord de coexistence de marques comporte, en annexe, une formule de consentement signée indiquant l’intention de déposer une requête auprès du U.S. Trademarks Office. Pièce 01A à la p. 127.

[206] Pièce PR-2020-042-01A.

[207] Ibid.

[208] Nissan Canada Inc. c. BMW Canada Inc., 2007 CAF 255.

[209] Porter c. Don the Beachcomber (1966), 48 CPR 280 (Ex Ct); Miller Thomson LLP c. Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134.

[210] Drouillard c. Cogeco Cable Inc., 2007 ONCA 322.

[211] Pièce PR-2020-042-1A à la p. 12.

[212] 723186 Alberta Ltd. (12 septembre 2011), PR-2011-028 (TCCE) aux par. 19-21; Daigen Communications (23 août 2011), PR-2011-021 (TCCE) aux par. 16-17.

[213] Daigen Communications (23 août 2011), PR-2011-021 (TCCE) aux par. 16-17.

[214] Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, 2003 CAF 199.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.