Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2020-068

Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd./Horizon Maritime Services Ltd.

c.

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Décision et motifs rendus
le lundi 3 mai 2021

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd./Horizon Maritime Services Ltd. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD./HORIZON MARITIME SERVICES LTD.

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée. Chaque partie assumera ses propres frais.

Peter Burn

Peter Burn
Membre présidant

 


 

Membre du Tribunal :

Peter Burn, membre présidant

Conseillers juridiques du Tribunal :

Peter Jarosz, conseiller juridique
Jessye Kilburn, conseiller juridique

Partie plaignante :

Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd./Horizon Maritime Services Ltd.

Conseillers juridiques de la partie plaignante :

Frank Metcalf, Q.C.
Seamus Ryder
Marc McLaren-Caux
Gerry Stobo

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques de l’institution fédérale :

Brendan F. Morrison
Peter J. Osborne
Zachary Rosen

Partie intervenante :

Atlantic Towing Limited

Conseillers juridiques de la partie intervenante :

Robert A. Glasgow
Julie K. Parla
Ljiljana Stanic
R. Paul Steep

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] La présente plainte est la cinquième déposée par Horizon Maritime Services Ltd./Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. (Heiltsuk Horizon) concernant une demande de propositions (DP) publiée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère des Pêches et des Océans en vue de la prestation des services de deux navires de remorquage d’urgence, par affrètement à temps, pour patrouiller au large de la Colombie-Britannique (appel d’offres F7017-160056/C). TPSGC a adjugé le contrat à Atlantic Towing Ltd. (ATL).

[2] Heiltsuk Horizon fait valoir que TPSGC a indûment permis à ATL de remplacer les quatre capitaines qui avaient été proposés à l’origine dans sa soumission. Selon Heiltsuk Horizon, les capitaines remplaçants ne possédaient pas suffisamment d’expérience pour satisfaire à l’exigence obligatoire 20 (le critère MR 20). En outre, Heiltsuk Horizon fait valoir que les capitaines remplaçants auraient obtenu de moins bons résultats que les capitaines originaux pour ce qui est de l’exigence cotée 24 (le critère RR 24). Finalement, Heiltsuk Horizon soutient que le comportement de TPSGC dénotait de la partialité envers ATL.

[3] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la plainte de Heiltsuk Horizon n’est pas fondée.

CONTEXTE

L’appel d’offres

[4] L’appel d’offres a été publié le 5 février 2018. La date de clôture prévue pour la remise des soumissions était le 13 avril 2018, jour où Heiltsuk Horizon a présenté sa soumission. Le contrat a été adjugé à ATL le 9 août 2018.

Plaintes antérieures

[5] Heiltsuk Horizon a déposé quatre autres plaintes au sujet du marché public en cause dans la présente plainte. Heiltsuk Horizon a soutenu que TPSGC avait un parti pris en faveur d’ATL et a contesté l’évaluation qu’a faite TPSGC de l’exigence obligatoire relative à la puissance de traction (le critère MR 12) énoncée dans l’appel d’offres.

[6] Heiltsuk Horizon a déposé sa première plainte (PR-2018-023) le 20 août 2018. Le 2 janvier 2019, le Tribunal a conclu que la plainte était fondée en partie et a recommandé une réévaluation des réponses au critère MR 12 [1] . Le 27 mai 2019, TPSGC a avisé le Tribunal et Heiltsuk Horizon qu’après la réévaluation des réponses au critère MR 12, toutes les soumissions avaient été jugées conformes et ATL demeurait le soumissionnaire retenu.

[7] Heiltsuk Horizon a déposé une deuxième plainte (PR-2019-020) le 7 juin 2019, une troisième plainte (PR-2019-025) le 30 juillet 2019 et une quatrième plainte (PR-2019-034) le 17 septembre 2019. Le 19 septembre 2019, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la quatrième plainte [2] . Le Tribunal a mené une enquête au sujet de la deuxième et de la troisième plainte et, le 18 octobre 2019, il a conclu qu’elles étaient fondées en partie et a recommandé une deuxième réévaluation des réponses au critère MR 12 [3] .

[8] Les 2 et 3 décembre 2020, la Cour d’appel fédérale a instruit cinq requêtes en contrôle judiciaire concernant les décisions rendues par le Tribunal relativement aux trois premières plaintes. Heiltsuk Horizon a contesté la première décision du Tribunal et les trois parties (Heiltsuk Horizon, TPSGC et ATL) ont contesté les deuxième et troisième décisions du Tribunal. Le 10 février 2021, la Cour d’appel fédérale a confirmé la première décision et a annulé la deuxième et la troisième décisions [4] .

La présente plainte

[9] Le 28 novembre 2019, Heiltsuk Horizon a présenté une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information [5] concernant des documents relatifs à l’appel d’offres en cause. En réponse à cette demande, TPSGC a présenté des documents le 3 décembre 2020, immédiatement après l’instruction de la requête en contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale.

[10] Heiltsuk Horizon a déposé la présente plainte le 17 décembre 2020 et a demandé que les dossiers des quatre plaintes précédentes soient ajoutés à ceux de la cinquième plainte. Le 21 décembre 2020, le Tribunal a signalé que Heiltsuk Horizon n’aurait pas à déposer de nouveau les documents qui faisaient déjà partie des plaintes précédentes. Le 23 décembre 2020, le Tribunal a accepté d’enquêter sur la plainte.

[11] Le 15 janvier 2021, ATL a déposé une requête en intervention. ATL s’est aussi opposée à la demande de Heiltsuk Horizon visant l’ajout des dossiers relatifs aux plaintes précédentes à celui de la présente plainte. Elle soutenait aussi que les conseillers juridiques de Heiltsuk Horizon avaient utilisé à mauvais escient des renseignements confidentiels appartenant à ATL, obtenus dans le cadre des plaintes antérieures, en les présentant dans le contexte de la présente plainte.

[12] Le 21 janvier 2021, TPSGC a présenté des commentaires à l’appui de la requête en intervention d’ATL, qui faisaient écho aux préoccupations de cette dernière quant à l’utilisation de renseignements confidentiels, s’est opposé à la requête de Heiltsuk Horizon visant l’ajout du dossier de plaintes antérieures à la présente plainte, et a demandé une prorogation du délai pour déposer son rapport de l’institution fédérale (RIF).

[13] Le 22 janvier 2021, le Tribunal a accueilli la requête en prorogation du délai pour déposer le RIF, présentée par TPSGC.

[14] Le 25 janvier 2021, Heiltsuk Horizon a indiqué qu’elle ne s’était pas opposée à la requête en intervention d’ATL. De plus, Heiltsuk Horizon a nié l’allégation formulée par ATL selon laquelle ses conseillers juridiques avaient utilisé des renseignements confidentiels à mauvais escient, en faisant valoir que recourir à des renseignements confidentiels divulgués lors d’une précédente enquête sur le marché public portant sur le même appel d’offres et les mêmes parties ne constitue pas un usage abusif de renseignements confidentiels. ATL a répondu à ces observations le 28 janvier 2021.

[15] Le Tribunal a accueilli la requête en intervention d’ATL le 28 janvier 2021.

[16] Le 3 février 2021, le Tribunal a conclu que les conseillers juridiques de Heiltsuk Horizon n’avaient pas commis de manquement matériel aux obligations de confidentialité. Le Tribunal a souligné que toutes les plaintes de Heiltsuk Horizon concernaient les mêmes parties, le même appel d’offres, ainsi que des questions connexes. Le Tribunal n’a trouvé aucune preuve que les conseillers ont divulgué des renseignements confidentiels à quiconque n’y avait pas déjà accès. Le Tribunal a néanmoins souligné qu’à l’avenir, lorsque les parties font référence au dossier confidentiel de plaintes antérieures et demandent au Tribunal d’ajouter ce dossier à celui de la nouvelle plainte, elles devraient faire des renvois à ce dossier plutôt que de joindre à la nouvelle plainte des renseignements confidentiels appartenant à un tiers. Finalement, le Tribunal a conclu qu’il y avait lieu d’ajouter le dossier des plaintes antérieures de Heiltsuk Horizon au dossier de la présente plainte, puisque les plaintes étaient étroitement liées, mais non identiques.

[17] TPSGC a déposé le RIF le 8 février 2021.

[18] Le 10 février 2021, Heiltsuk Horizon a demandé au Tribunal d’ordonner à TPSGC de produire des documents supplémentaires qui n’avaient pas été déposés avec le RIF, mais qui devaient l’être conformément à l’alinéa 103(1)b) des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [6] . Le 12 février 2021, TPSGC s’est opposé à cette requête au motif que les documents demandés n’étaient pas pertinents. Néanmoins, TPSGC a déposé de nombreux courriels et procès-verbaux supplémentaires qui n’avaient pas été déposés avec son RIF.

[19] Le 12 février 2021, ATL a présenté ses commentaires concernant le RIF.

[20] Le 15 février 2021, le Tribunal a ordonné à TPSGC de produire certains documents supplémentaires, y compris les documents de cotation concernant l’évaluation des capitaines remplaçants ainsi que toute correspondance relative au processus de remplacement, dans la mesure où ces documents existaient et n’avaient pas déjà été déposés auprès du Tribunal. Le Tribunal a aussi prolongé l’échéance accordée à Heiltsuk Horizon pour émettre ses commentaires au sujet du RIF. Le 17 février 2021, TPSGC a indiqué qu’aucune note ni aucun document de cotation n’avait été préparé concernant l’évaluation des capitaines remplaçants, mais a déposé certains documents supplémentaires au sujet du processus de remplacement.

[21] Le 18 février 2021, Heiltsuk Horizon a demandé une prorogation du délai pour déposer ses commentaires relatifs au RIF. ATL s’y est opposée le 19 février 2021. Le Tribunal a accueilli la demande de Heiltsuk Horizon le 19 février 2021.

[22] Le 24 février 2021, Heiltsuk Horizon a déposé sa réponse au RIF et s’est opposée aux désignations de confidentialité de TPSGC concernant certains documents. Le 3 mars 2021, TPSGC a de nouveau présenté certains documents sans les désigner comme confidentiels. Le 5 mars 2021, le Tribunal a demandé à Heiltsuk Horizon d’indiquer si elle était satisfaite des documents publics supplémentaires présentés par TPSGC et, dans la négative, d’indiquer précisément les désignations de confidentialité auxquelles elle s’opposait toujours. Le 8 mars 2021, Heiltsuk Horizon a indiqué qu’elle s’opposait toujours au fait que certains échanges de courriels soient désignés comme confidentiels. Le 9 mars 2021, le Tribunal a demandé à TPSGC d’indiquer s’il était d’accord pour rendre ces échanges de courriels publics. Le 11 mars 2021, TPSGC a déposé des versions publiques de ces échanges de courriels.

[23] Le 9 mars 2021, TPSGC a déposé une réponse aux commentaires de Heiltsuk Horizon concernant le RIF. Le 10 mars 2021, le Tribunal a signalé que, bien que cette réponse n’ait pas été prévue dans son calendrier des observations, il permettrait qu’elle soit déposée dans le dossier et autoriserait ATL et Heiltsuk Horizon à y répondre. ATL a présenté sa réponse le 12 mars 2021. Le 17 mars 2021, Heiltsuk Horizon a déposé sa réponse, dans laquelle elle a fait valoir qu’aucun poids ne devrait être accordé aux observations de TPSGC du 9 mars, puisqu’elles n’étaient pas nécessaires, ne répondaient à aucun fait nouveau et constituaient une tentative indue de renforcer son argument.

ANALYSE DU TRIBUNAL

Faits

[24] En août 2018, après que TPSGC eut adjugé le contrat à ATL, des représentants d’ATL, de TPSGC et de la Garde côtière canadienne (GCC) se sont réunis afin de préparer le déploiement des navires de remorquage d’urgence sur la côte de la Colombie‑Britannique. Selon ATL, au cours de cette réunion, la GCC a insisté sur l’importance du rôle des capitaines, à titre d’ambassadeurs de la GCC, de consulter les collectivités côtières et autochtones [7] . ATL a soutenu que bien que les capitaines qu’elle avait proposés à l’origine étaient toujours disponibles, elle était d’avis que d’autres capitaines qu’elle avait embauchés s’acquitteraient mieux de ce rôle de communication avec la collectivité. Par conséquent, ATL a proposé des remplaçants pour trois des quatre capitaines qui figuraient dans sa soumission. ATL a envoyé les curriculum vitae des trois capitaines remplaçants à TPSGC le 4 septembre 2018 [8] et TPSGC a approuvé le remplacement le 11 septembre 2018 [9] .

[25] Peu de temps après le premier remplacement, ATL en a proposé un autre. Le dernier capitaine figurant dans la soumission originale d’ATL était déployé en mer du Nord et, selon ATL, il lui aurait été difficile de quitter son navire à temps pour exécuter le contrat [10] . Par conséquent, ATL a proposé un quatrième capitaine remplaçant le 28 septembre 2018 et TPSGC a approuvé ce remplacement le 4 octobre 2018 [11] .

[26] Deux capitaines remplaçants ont livré les navires à Victoria, en Colombie‑Britannique vers la fin de 2018, et les deux autres capitaines remplaçants ont rejoint l’équipage peu de temps après [12] .

[27] Comme il est mentionné précédemment, Heiltsuk Horizon a pris connaissance du remplacement le 3 décembre 2020, au moment où TPSGC a présenté des documents en réponse à sa demande d’accès à l’information.

Qualité pour agir

[28] TPSGC et ATL contestent la qualité de Heiltsuk Horizon pour déposer la présente plainte au motif que l’entreprise n’est plus un « fournisseur potentiel » au sens de l’article 30.1 et du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (la Loi sur le TCCE) puisqu’elle n’est plus en mesure d’exécuter le contrat. Les deux navires qui faisaient partie de la soumission de Heiltsuk Horizon ont été mis hors service en avril et en août 2019.

[29] Heiltsuk Horizon soutient qu’elle est un fournisseur potentiel puisqu’elle a présenté une soumission en réponse à la DP et que le fait qu’elle ait mis ses navires hors service plus d’un an après la clôture des soumissions ne lui a pas fait perdre ce statut. Elle fait aussi valoir qu’elle a mis ses navires hors services en raison d’une obligation de minimiser ses dommages.

[30] Bien que la Cour d’appel fédérale ait entendu des arguments se rapportant à des questions semblables, elle a refusé d’examiner ces arguments [13] .

[31] Le Tribunal est d’accord avec Heiltsuk Horizon pour dire que le statut de fournisseur potentiel est établi à la date de la présentation des soumissions. L’article 30.1 de la Loi sur le TCCE définit un « fournisseur potentiel » de la façon suivante : « [T]out soumissionnaire – même potentiel – d’un contrat spécifique ». Nul ne conteste que Heiltsuk Horizon était l’un des soumissionnaires d’un contrat spécifique.

[32] Par conséquent, le fait que les navires aient été mis hors service plus d’un an après la date de clôture des soumissions n’est pas pertinent quant à la question de la qualité pour agir. Dans des affaires antérieures où un soumissionnaire se plaignait qu’une institution fédérale avait modifié un contrat après son attribution, comme le fait Heiltsuk Horizon en l’espèce, le soumissionnaire n’était pas tenu d’établir qu’il pouvait toujours exécuter le contrat d’origine (ou le contrat modifié) afin d’avoir la qualité pour déposer une plainte [14] .

[33] Par conséquent, Heiltsuk Horizon a la qualité pour déposer une plainte à titre de « fournisseur potentiel » au sens de l’article 30.1 et du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE.

Compétence

[34] TPSGC et ATL font valoir que le remplacement des capitaines est une question qui relève de l’administration des contrats, sur laquelle le Tribunal n’a pas compétence, puisque la disposition de la DP qui traite du remplacement de personnel (article 7.46) relève de la section de la DP qui concerne les clauses contractuelles [15] .

[35] Heiltsuk Horizon fait valoir que le remplacement de capitaines par TPSGC n’est pas qu’une simple question d’administration des contrats et que le Tribunal a donc compétence pour instruire la présente plainte. Selon Heiltsuk Horizon, TPSGC a effectivement lancé une nouvelle procédure de marchés publics, assortie de nouvelles exigences obligatoires et cotées, dans le cadre de laquelle seule ATL a eu l’occasion de soumissionner. Heiltsuk Horizon invoque la jurisprudence du Tribunal selon laquelle « [l]a modification d’une condition obligatoire dans un marché, après la réception des soumissions ou même après l’adjudication d’un contrat, n’est pas une simple question d’administration du contrat » [16] . Heiltsuk Horizon mentionne également l’article 503.2 de l’Accord de libre‑échange canadien [17] , selon lequel « [u]ne entité contractante n’utilise pas d’options, n’annule pas de marché ni ne modifie un marché adjugé de manière à contourner les obligations prévues au présent chapitre ».

[36] ATL fait en outre valoir qu’un contrat en cours peut uniquement donner lieu à une nouvelle procédure de marchés publics si le Canada accepte des marchandises de soumissionnaires tout en sachant depuis le début que celles‑ci ne sont pas conformes aux critères obligatoires. ATL insiste pour dire qu’aucun changement n’avait été apporté aux critères obligatoires pendant le processus de remplacement et que les critères cotés n’ont rien à voir avec le processus de remplacement.

[37] En réponse, Heiltsuk Horizon cite l’alinéa 4.2(a)(i) de la DP, qui prévoit que « [t]ous les éléments de la demande de soumissions désignés précisément par les termes “doit”, “doivent” ou “obligatoire” constituent des exigences obligatoires ». Par conséquent, Heiltsuk Horizon soutient que l’article 7.46 de la DP, qui prévoit que « [l]es qualifications et l’expérience du remplaçant doivent correspondre à la note obtenue par la ressource originale ou la dépasser », constitue une exigence obligatoire.

[38] Le Tribunal rappelle qu’il a compétence à l’égard de la « procédure des marchés publics », mais pas en ce qui a trait à « l’administration des contrats », comme l’explique la jurisprudence récente :

La Loi sur le TCCE et le Règlement permettent à un fournisseur potentiel de déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique. En appliquant ces dispositions, le Tribunal a fait une distinction importante entre la procédure de passation des marchés publics et l’administration des contrats. La procédure de passation d’un marché public débute au moment où une institution fédérale décide des produits ou services à acquérir et se poursuit jusqu’à l’attribution du marché. L’administration d’un contrat est une étape distincte qui se déroule après l’adjudication du marché. Elle porte sur les questions soulevées lors de l’exécution et de la gestion du contrat. Le Tribunal a clairement indiqué que les questions d’administration de contrats ne sont pas de sa compétence [18] .

[Note de bas de page omise]

[39] Selon le Tribunal, certaines allégations formulées par Heiltsuk Horizon ont trait à l’administration des contrats et ne relèvent pas de la compétence du Tribunal, alors que d’autres allégations concernent la procédure de passation des marchés publics et relèvent de sa compétence.

[40] Les arguments au sujet de l’objectif du remplacement (tel qu’énoncé à la clause 7.46 du contrat subséquent) concernent l’administration des contrats et ne relèvent pas de la compétence du Tribunal. Par conséquent, le Tribunal n’examinera pas les arguments de Heiltsuk Horizon selon lesquels le remplacement a été effectué dans un but illégitime [19] . Ces allégations concernent l’administration des contrats, une question régie par les modalités du contrat entre ATL et TPSGC et sur laquelle le Tribunal n’a pas compétence [20] .

[41] En revanche, la question de savoir si les capitaines remplaçants satisfaisaient aux exigences obligatoires et cotées énoncées dans la DP relève de la compétence du Tribunal à l’égard de la procédure des marchés publics. Le Tribunal a compétence pour établir si l’institution fédérale a agi en contravention avec l’article 503.2 de l’ALEC en modifiant un contrat adjugé d’une manière qui contrevenait aux exigences prévues au chapitre 5 de l’ALEC, y compris l’exigence selon laquelle une évaluation doit être uniquement fondée « sur la base des critères d’évaluation spécifiés dans les avis d’appel d’offres et la documentation relative à l’appel d’offres » [21] . En fait, le Tribunal a compétence pour déterminer si le contrat a été modifié d’une façon contraire à la DP. Même avant l’existence de l’article 503.2 de l’ALEC [22] , le Tribunal a conclu qu’il avait compétence pour déterminer si un remplacement correspondait à une nouvelle évaluation (ou à une réévaluation) de sorte que ce remplacement devenait dans les faits une nouvelle procédure de marché public [23] , et pour déterminer si l’institution fédérale avait « obtenu quelque chose de fondamentalement différent de ce qui était envisagé dans la DP originale » [24] . Par conséquent, le Tribunal évaluera si les capitaines remplaçants satisfaisaient essentiellement aux exigences énoncées dans la DP.

[42] Bien que TPSGC et ATL soutiennent que les capitaines remplaçants devaient uniquement satisfaire aux exigences obligatoires, le Tribunal est d’avis que les exigences cotées ainsi que les exigences obligatoires sont pertinentes quant à la question de savoir si les exigences énoncées dans la DP ont été fondamentalement respectées. Si les capitaines remplaçants ne devaient pas obligatoirement obtenir le même nombre de points que les capitaines originaux d’ATL pour les exigences cotées, alors TPSGC créerait dans les faits un nouveau processus d’évaluation dans le cadre duquel les capitaines remplaçants d’ATL pourraient satisfaire à des exigences moins élevées que l’ensemble des capitaines proposés à l’origine par les autres soumissionnaires. Cette question, qui est au cœur de la procédure des marchés publics puisqu’elle touche au caractère équitable de la concurrence entre les soumissionnaires selon les conditions du marché public, relève donc de la compétence du Tribunal. Par conséquent, dans l’analyse qui suit, le Tribunal examinera les arguments de Heiltsuk Horizon selon lesquels les capitaines remplaçants n’avaient pas suffisamment d’expérience pour satisfaire aux critères MR 20 et RR 24.

[43] Finalement, le Tribunal examinera aussi les arguments de Heiltsuk Horizon selon lesquels TPSGC et la GCC n’ont pas suivi la bonne procédure pour évaluer les capitaines remplaçants. Le chapitre 5 de l’ALEC comprend une exigence voulant que l’institution fédérale « [...] traite toutes les soumissions selon des procédures qui garantissent l’équité et l’impartialité du processus de passation des marchés [...] » [25] . Puisque le Tribunal a compétence pour établir si l’institution fédérale a agi en contravention avec l’article 503.2 de l’ALEC en modifiant un contrat adjugé d’une manière qui contrevenait aux exigences prévues au chapitre 5 de l’ALEC, le Tribunal a donc compétence pour examiner la procédure ainsi que le fond du remplacement.

Norme de contrôle

[44] Il est bien établi que le Tribunal examine la procédure de passation des marchés publics selon la norme de la décision raisonnable, en accordant crédit à l’expertise des évaluateurs et en ne formulant des recommandations que lorsqu’une décision est déraisonnable compte tenu des critères de l’appel d’offres [26] . Cela signifie que le rôle du Tribunal n’est pas d’effectuer sa propre évaluation des capitaines remplaçants d’ATL, mais d’établir si l’évaluation des capitaines remplaçants qu’a menée TPSGC en fonction des critères MR 20 et RR 24 était raisonnable.

Exigence obligatoire 20

[45] Le critère MR 20 prévoit ce qui suit : « Les navires du soumissionnaire doivent démontrer que les navires seront manœuvrés par un capitaine qui possède au moins 5 ans d’expérience démontrable de remorquage en mer et d’urgence ». La méthode d’évaluation du critère MR 20 est la suivante : « Le soumissionnaire doit fournir le résumé de chaque capitaine proposé pour chaque quart pour les deux navires qui démontre l’expérience des capitaines proposés » [27] .

[46] Heiltsuk Horizon fait valoir que TPSGC a apporté des changements inappropriés au critère MR 20 après qu’ATL ait obtenu le contrat en permettant à cette dernière de faire appel à du personnel n’ayant pas d’expérience en tant que capitaine. Heiltsuk Horizon soutient que le critère MR 20 exigeait des candidats qu’ils détiennent le grade de capitaine à la date de clôture des soumissions ou du remplacement proposé, puisqu’il serait absurde que le critère admette des personnes sans expérience à titre de commandant. Heiltsuk Horizon soutient que deux des remplaçants d’ATL ne détenaient qu’un grade inférieur au moment du remplacement de la soumission et n’avaient pas d’expérience aux commandes d’un navire.

[47] TPSGC fait valoir que le critère MR 20 n’exige pas que les candidats doivent détenir le grade de capitaine. Il insiste pour dire que les capitaines remplaçants satisfaisaient au critère MR 20, puisqu’ils possédaient les cinq années d’expérience requises en remorquage en mer et d’urgence, et que leur grade antérieur n’était pas pertinent pour l’évaluation du critère MR 20.

[48] Selon le Tribunal, une simple lecture du critère MR 20 permet de constater l’absence d’exigence voulant que les candidats détiennent déjà le grade de capitaine. L’exigence obligatoire prévoit un minimum de cinq ans d’expérience en remorquage en mer et d’urgence.

[49] Le Tribunal conclut qu’il était raisonnable pour TPSGC de conclure que les capitaines remplaçants satisfaisaient au critère MR 20. Les curriculum vitae des capitaines remplaçants montrent clairement que chaque candidat détenait au moins cinq ans d’expérience en remorquage en mer et d’urgence au moment où ils ont été proposés. Les trois premiers capitaines remplaçants ont été soumis à l’approbation de TPSGC le 4 septembre 2018 [28] , et le quatrième capitaine remplaçant l’a été le 28 septembre 2018 [29] . Le curriculum vitæ de chaque candidat énonce qu’XXX XXXX XXXX XXXXX XXXX XXXX XXXX XX et contient des descriptions détaillées des expériences de travail des candidats depuis cette date [30] .

Exigence cotée 24

[50] Le critère RR 24 énonce le nombre de points à accorder à un soumissionnaire en fonction des années d’expérience en remorquage en mer et d’urgence des capitaines proposés :

0 PTS = Le soumissionnaire a démontré que les navires seront manœuvrés par un capitaine qui possède au moins 5 ans d’expérience du remorquage en mer et d’urgence.

6 PTS = Le soumissionnaire a démontré que les navires seront manœuvrés par un capitaine qui possède plus de 5 ans et moins de 7 ans d’expérience du remorquage en mer et d’urgence.

12 PTS = Le soumissionnaire a démontré que les navires seront manœuvrés par un capitaine qui possède plus de 7 ans et moins de 10 ans d’expérience du remorquage en mer et d’urgence.

18 PTS = Le soumissionnaire a démontré que les navires seront manœuvrés par un capitaine qui possède au moins 10 ans d’expérience du remorquage en mer et d’urgence [31] .

[51] Selon la preuve dont dispose le Tribunal, le marché public concernait la livraison de deux navires de remorquage ayant chacun deux équipages en rotation. Par conséquent, les soumissionnaires devaient proposer quatre capitaines. Chacun des capitaines proposés dans la soumission initiale d’ATL cumulait plus de dix ans d’expérience en remorquage en mer et d’urgence. ATL s’est vu accorder l’ensemble des 18 points alloués pour le critère RR 24 [32] .

[52] Heiltsuk Horizon soutient qu’ATL a utilisé une technique « d’appât et de substitution » [traduction] en proposant des capitaines possédant beaucoup d’expérience, puis en les remplaçant par des capitaines moins expérimentés. Elle fait valoir que les quatre capitaines remplaçants doivent être évalués par rapport aux notes obtenues initialement par ATL, puisque le critère RR 24 fait référence au terme « navires » au pluriel. Heiltsuk Horizon souligne également que XXX XXXX XXXX XXXXX XXXX XXXX XXXX XX. Heiltsuk Horizon conteste l’expérience de deux capitaines pour les motifs suivants : (1) le premier capitaine possède XX années d’expérience selon TPSGC, mais seulement XX années aux dires de Heiltsuk Horizon; (2) le deuxième capitaine a XXXX années d’expérience selon TPSGC, mais seulement XXXX selon Heiltsuk Horizon, ce qui fait dire à cette dernière qu’XXXXXXXX et qu’il n’était donc pas qualifié pour le remorquage en mer et d’urgence.

[53] TPSGC soutient qu’un seul des quatre capitaines devait être évalué selon le critère RR 24. Par conséquent, il fait valoir qu’ATL devait démontrer que chaque capitaine remplaçant proposé cumulait au moins cinq ans d’expérience en remorquage en mer et d’urgence (pour satisfaire au critère MR 20), et qu’un seul des capitaines avait plus de 10 ans d’expérience (pour se voir attribuer tous les points du critère RR 24). Néanmoins, TPSGC fait valoir que les remplaçants d’ATL surpassaient cette exigence, puisque les quatre capitaines avaient tous plus de 10 ans d’expérience au moment du remplacement et qu’ils auraient donc reçu les 18 points alloués associés au critère RR 24.

[54] ATL soutient que l’expérience des capitaines remplaçants est évaluée à partir de la date où le nouveau capitaine manœuvre le navire, et que les quatre capitaines avaient dix ans d’expérience en remorquage en mer et d’urgence au moment de manœuvrer le navire.

[55] Le Tribunal n’accepte pas l’argument de TPSGC selon lequel l’expérience d’un seul capitaine est pertinente pour l’évaluation du critère RR 24. Bien que TPSGC signale que le critère RR 24 fait référence au mot « capitaine » au singulier, lorsqu’on lit l’exigence dans son ensemble, il est clair que ce terme est au singulier parce qu’il y a un seul capitaine par navire à la fois. L’expression « les navires seront manœuvrés », avec le mot « navires » au pluriel, indique que l’expérience de plus d’un capitaine devra être évaluée dans le cadre du critère RR 24.

[56] Au moment d’évaluer si les capitaines possèdent une expérience adéquate, le Tribunal rappelle qu’il examine les décisions en matière de marchés publics selon la norme de la décision raisonnable, ce qui signifie qu’il n’effectue pas sa propre évaluation ni procède à un examen trop minutieux de l’évaluation de l’institution fédérale. Le Tribunal adopte le résumé de la norme suivant énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov :

Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. Dans l’arrêt Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, la Cour d’appel fédérale a signalé que « le juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » : par. 28; voir aussi Ryan, par. 50‑51. [33]

[57] Selon le Tribunal, compte tenu des curriculum vitae des capitaines remplaçants présentés par ATL, il était raisonnable pour TPSGC de conclure que les quatre capitaines remplaçants avaient tous dix ans d’expérience en remorquage en mer et d’urgence au moment où ils ont été proposés.

[58] Comme il a été mentionné plus haut, les capitaines remplaçants ont été proposés en septembre 2018. Selon les curriculum vitae fournis par ATL, chaque capitaine remplaçant XXX XXXX XXXX XXXXX XXXX XXXX XXXX XX, et chaque curriculum vitae contient des descriptions détaillées de l’expérience de travail des candidats depuis cette date [34] . Compte tenu de cette information, le Tribunal conclut qu’il était raisonnable pour TPSGC de conclure que chacun des capitaines remplaçants possédait au moins dix ans d’expérience en remorquage en mer et d’urgence en septembre 2018, date où les remplacements ont été proposés. Par conséquent, il était raisonnable pour TPSGC de conclure que ces capitaines constituaient des remplaçants adéquats aux capitaines originaux lorsqu’ils ont été évalués selon le critère RR 24.

Procédure de remplacement

[59] Heiltsuk Horizon fait valoir que TPSGC aurait dû présenter des documents illustrant la manière dont les capitaines remplaçants ont été évalués et notés comparativement aux capitaines originaux. Selon Heiltsuk Horizon, l’article 7.46 de la DP obligeait TPSGC ou la GCC à vérifier que chaque capitaine remplaçant proposé par ATL possédait l’expérience requise pour obtenir la même note, ou une meilleure note, que celle obtenue par les quatre capitaines originaux pour le critère RR 24.

[60] Le dossier de la présente plainte comprend de nombreux échanges de courriels entre ATL et des fonctionnaires de TPSGC et de la GCC au sujet du remplacement [35] . Ces courriels montrent qu’ATL a fourni les curriculum vitae des capitaines remplaçants, lesquels ont finalement été approuvés par les fonctionnaires à la suite de discussions internes visant à établir si un processus d’évaluation particulier devait être suivi et si les exigences cotées devaient être évaluées. Un fonctionnaire de TPSGC a indiqué que l’article 7.46 énonçait la procédure à suivre, et un fonctionnaire de la GCC a affirmé que, « sans faire de comparaison avec les documents originaux du contrat et en se fondant uniquement sur les curriculum vitæ présentés, on peut dire que l’expérience, les connaissances et les capacités correspondent aux attentes » [traduction] [36] . Le Tribunal est d’avis que TPSGC ou la GCC auraient dû documenter davantage leur évaluation des capitaines remplaçants. En particulier, ils auraient dû documenter les efforts déployés pour s’assurer que les capitaines remplaçants répondraient aux exigences obligatoires et qu’ils obtiendraient des notes équivalentes à celles qu’ont obtenu les capitaines originaux pour les exigences cotées.

[61] Cependant, dans le cadre du présent litige, TPSGC a eu l’occasion de démontrer (au moyen des curriculum vitæ des remplaçants) que les capitaines remplaçants constituent des remplaçants valables, ainsi qu’à expliquer le processus de remplacement. Par conséquent, bien qu’il n’y ait aucun document contemporain, les remplaçants étaient en fin de compte adéquats, comme il a été conclu précédemment, et le Tribunal ne constate donc aucun manquement à l’ALEC. Néanmoins, comme il est expliqué plus bas, ce manque de documents est reflété dans l’ordonnance de frais du Tribunal.

Partialité

[62] Dans chacune de ses plaintes antérieures, Heiltsuk Horizon a fait valoir que TPSGC avait fait preuve de partialité en faveur d’ATL. Chaque fois, le Tribunal a rejeté ces allégations [37] . La Cour d’appel fédérale a confirmé les conclusions du Tribunal à ce sujet [38] .

[63] Dans la présente plainte, Heiltsuk Horizon fait valoir que, malgré les conclusions tirées sur ses allégations de partialité dans les plaintes précédentes, elle possède maintenant suffisamment d’éléments de preuve pour établir que TPSGC avait un parti pris en faveur d’ATL. Heiltsuk Horizon soutient que TPSGC a refusé d’accepter les conclusions du Tribunal dans les plaintes antérieures et qu’il s’est empressé de mal interpréter ses propres exigences obligatoires pour permettre à ATL d’avoir gain de cause. Heiltsuk Horizon soutient également que TPSGC s’est efforcé de dissimuler ou de dénaturer des documents, tant dans le contexte de l’instance devant le Tribunal que dans ses demandes d’accès à l’information, auxquelles TPSGC a répondu presque immédiatement suivant l’audience devant la Cour d’appel fédérale des requêtes en contrôle judiciaire portant sur les plaintes antérieures.

[64] TPSGC soutient que les allégations de partialité appartiennent au principe de la chose jugée et ATL fait valoir que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée interdit tout nouvel examen des allégations de partialité.

[65] Selon le Tribunal, peu importe si les principes de l’autorité de la chose jugée ou de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêchent Heiltsuk Horizon de formuler des allégations de partialité, la preuve demeure insuffisante pour établir l’existence de partialité ou d’une crainte raisonnable de partialité. Une allégation de partialité réelle « ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions [...] Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme » [39] . Même lorsque le plaignant allègue une crainte raisonnable de partialité, il « ne doit pas seulement indiquer qu’il est d’avis qu’il y avait partialité, mais doit aussi présenter suffisamment d’éléments de preuve à l’appui » [40] . De plus, en général, le Tribunal « présume de la bonne foi et de l’honnêteté aussi bien des soumissionnaires que des fonctionnaires chargés d’évaluer leur soumission » [41] , ce qui signifie que le plaignant doit présenter une preuve suffisante pour renverser cette présomption [42] . Aucun des comportements auxquels Heiltsuk Horizon fait allusion ne constitue une preuve suffisante pour satisfaire à cette norme.

FRAIS

[66] Le Tribunal établit que chacune des parties assumera ses propres frais. Bien que les frais soient généralement adjugés à la partie qui a gain de cause, le Tribunal a parfois refusé de le faire « conformément au pouvoir discrétionnaire qui lui est dévolu en sa qualité de cour d’archive maître de sa procédure [...] » [43] . Par exemple, le Tribunal a refusé d’accorder le remboursement des frais à une partie ayant eu gain de cause qui a refusé de communiquer des informations pertinentes ou compliqué indûment les procédures [44] .

[67] À plusieurs égards, TPSGC a rendu cette plainte considérablement plus compliquée que nécessaire sur le plan procédural. Comme il a été expliqué précédemment, la documentation que TPSGC a présentée au sujet du processus de remplacement était déficiente, ce qui a en partie servi de fondement à la plainte de Heiltsuk Horizon. En outre, au cours du processus de plainte, TPSGC n’a pas fourni tous les documents pertinents dans son RIF, ce qui a nécessité plusieurs rondes d’observations de la part des parties ainsi qu’une ordonnance de production du Tribunal. De plus, TPSGC a inutilement désigné des documents comme étant confidentiels, ce qui a nécessité des observations supplémentaires de la part des parties et étayé les allégations non fondées et inutiles d’ATL selon lesquelles les conseillers juridiques de Heiltsuk Horizon avaient manqué à leurs obligations de confidentialité. Finalement, selon le Tribunal, la plainte de Heiltsuk Horizon, bien qu’elle ne soit pas fondée en fin de compte, n’était pas frivole non plus. Par conséquent, le Tribunal conclut qu’il est approprié que chacune des parties assume ses propres frais.

DÉCISION

[68] Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte n’est pas fondée. Chaque partie assumera ses propres frais.

Peter Burn

Peter Burn
Membre présidant

 



[1] Horizon Maritime Services Ltd. / Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (2 janvier 2019), PR-2018-023 (TCCE).

[2] Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. et Horizon Maritime Services Ltd. (23 septembre 2019), PR-2019-034 (TCCE).

[3] Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. et Horizon Maritime Services Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (18 octobre 2019), PR-2019-020 et PR-2019-025 (TCCE).

[4] Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. c. Atlantic Towing Limited, 2021 CAF 26 [Heiltsuk CAF].

[5] L.R.C. (1985), ch. A-1.

[6] SOR/91-499.

[7] Pièce PR-2020-068-26 au par. 14.

[8] Pièce PR-2020-068-42 à la p. 13.

[9] Pièce PR-2020-068-26 à la p. 28.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] Heiltsuk CAF aux par. 177-178.

[14] Canyon Contracting c. Agence Parcs Canada (19 septembre 2006), PR-2006-016 (TCCE) [Canyon Contracting]; AdVenture Marketing Solutions Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (31 mars 2011), PR-2010-074 (TCCE) [AdVenture].

[15] DP à la p. 104.

[16] Canyon Contracting au par. 25.

[17] En ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2021/02/CFTA-Consolidated-Text-Final-French_January-1-2021.pdf> (entré en vigueur 1 juillet 2017) [ALEC].

[18] Custom Power Generation (23 février 2021), PR-2020-087 (TCCE) au par. 8.

[19] Heiltsuk Horizon soutient que le remplacement a été fait dans un but qui n’était pas prévu à l’article 7.46 de la DP. Selon Heiltsuk Horizon, les courriels au dossier montrent qu’ATL a suggéré trois des quatre capitaines remplaçants parce qu’elle croyait qu’ils seraient plus à même de collaborer avec les collectivités côtières et autochtones, tandis que l’article 7.46 de la DP permet seulement le remplacement d’un individu s’il n’est plus en mesure de fournir les services. Heiltsuk Horizon fait aussi valoir que le Tribunal devrait se demander si le fait d’établir des liens avec les collectivités côtières et autochtones était bel et bien une priorité de la GCC, comme il est allégué, étant donné que la soumission de Heiltsuk Horizon, une entreprise détenue en majorité par la Nation Heiltsuk, a été rejetée même si le marché public avait trait à la protection du territoire ancestral de la Nation Heiltsuk.

[20] SNC Technologies Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (16 septembre 2005), PR‑2005‑010 (TCCE) au par. 37.

[21] Article 515.5 de l’ALEC.

[22] La version précédente de l’ALEC ne comportait pas la même exigence, prévue à l’article 503.2 de l’ALEC : Accord sur le commerce intérieur, 8 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/accord-sur-le-commerce-interieur/?lang=f>.

[23] Canyon Contracting au par. 25; AdVenture aux p. 43-45. Voir aussi Bell Mobility c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (14 juillet 2008), PR-2008-008 et PR 2008-009 (TCCE) au par. 41; Secure Computing LLC c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (23 octobre 2012), PR-2012-006 (TCCE) au par. 48.

[24] Eclipsys Solutions Inc. c. Agence des services frontaliers du Canada (21 mars 2016), PR-2015-038 (TCCE) au par. 40. La Cour d’appel fédérale a reconnu cette approche dans Eclipsys in Vidéotron Ltée c. Shared Services Canada et Bell Canada, 2019 FCA 307 au par. 30.

[25] Article 515.1 de l’ALEC.

[26] AJL Consulting c. Ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (12 février 2020), PR-2019-045 (TCCE) aux par. 8-16.

[27] DP à la p. 27.

[28] Pièce PR-2020-068-42 à la p. 13.

[29] Pièce PR-2020-068-26 à la p. 28; pièce PR-2020-068-24A (protégée) à la p. 118.

[30] Pièce PR-2020-068-24A (protégée) aux p. 99-112, 119-121.

[31] DP aux p. 54-55.

[32] Pièce PR-2020-068-26 au par. 11.

[33] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) v. Vavilov, 2019 SCC 65 [Vavilov] au par. 83.

[34] Pièce PR-2020-068-24A (protégée) aux p. 99-112, 119-121.

[35] Pièce PR-2020-068-42; voir aussi pièce PR-2020-068-01 aux p. 119-758.

[36] Pièce PR-2020-068-42 à la p. 9.

[37] Horizon Maritime Services Ltd. / Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (2 janvier 2019), PR-2018-023 (TCCE) aux par. 72-79; Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. et Horizon Maritime Services Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (18 octobre 2019), PR-2019-020 et PR-2019-025 (TCCE) aux par. 34-40.

[38] Heiltsuk FCA au par. 114.

[39] Arthur c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 au par. 8.

[40] Sunny Jaura s/n Jaura Enterprises c. Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (30 janvier 2019), PR-2018-058 (TCCE) aux par. 13, 15. Voir aussi Renaissance Aeronautics Associates Inc. (S/N Advanced Composites Training) c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (28 mai 2017), PR-2017-063 (TCCE) au par. 38; Tyr Tactical Canada, ULC c. Gendarmerie royale du Canada (16 mai 2016), PR-2016-006 (TCCE) au par. 26.

[41] MasterBedroom Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (28 juin 2017), PR‑2017‑017 (TCCE) au par. 12; GESFORM International (26 mai 2014), PR-2014-012 (TCCE) au par. 16.

[42] SoftSim Technologies Inc. c. Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (11 juin 2020), PR‑2020‑053 (TCCE) aux par. 71-77.

[43] Francis H.V.A.C. Services Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (2 septembre 2016), PR-2016-003 (TCCE) [Francis H.V.A.C.] au par. 53.

[44] Voir, par exemple, Francis H.V.A.C. au par. 57; The Masha Krupp Translation Group Ltd. c. Agence du revenu du Canada (20 mars 2017), PR-2016-041 (TCCE) au par. 90; Workplace Medical Corp. c. Agence canadienne d’inspection des aliments (28 juillet 2015), PR-2015-004 (TCCE) au par. 49.

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