Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2021-019

Commissionaires Kingston & Region Division

Décision prise
le mercredi 16 juin 2021

Décision et motifs rendus
le lundi 5 juillet 2021

 


EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

PAR

COMMISSIONAIRES KINGSTON & REGION DIVISION

CONTRE

LE MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre présidant

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

[1] En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] , tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [2] , déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

[2] La présente plainte porte sur une demande de proposition (DP) publiée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de la Défense nationale en vue d’obtenir les services de mentors supérieurs.

[3] La partie plaignante, Commissionaires Kingston & Region Division (Commissionaires), conteste une modification apportée à une exigence obligatoire.

CONTEXTE

[4] La DP (appel d’offres no W8160-200054/A) a été publiée le 9 mars 2021 et a pris fin le 23 avril 2021.

[5] La présente DP a fait l’objet de deux modifications, dont la modification 002, publiée le 15 avril 2021. Cette modification visait l’exigence obligatoire 5 (O5), selon laquelle les ressources proposées devaient subir certaines évaluations psychométriques. La modification 002 faisait en sorte que O5 devenait plus facile à satisfaire puisqu’elle abaissait le niveau que les ressources proposées devaient atteindre avant de satisfaire aux évaluations psychométriques.

[6] Le même jour, Commissionaires a écrit à TPSGC pour lui signaler son opposition à la modification 002. Commissionaires expliquait qu’elle avait, notamment, déboursé d’importantes sommes avant la publication de la modification pour satisfaire à la norme plus élevée du O5 et qu’elle était donc d’avis que de modifier l’exigence à ce stade du processus était injuste. Commissionaires a demandé que, s’il se révélait impossible de revenir à la version originale de O5, des points supplémentaires soient accordés aux soumissionnaires ayant satisfait aux exigences de O5 dans sa version originale.

[7] TPSGC a répondu plus tard le même jour, indiquant que l’exigence modifiée était équitable et fournissant un certain contexte. TPSGC a aussi refusé la demande de Commissionnaires d’accorder des points supplémentaires aux soumissionnaires ayant satisfait aux exigences de O5 dans sa version originale.

[8] Commissionaires a présenté sa soumission en réponse à la DP mais n’a pas remporté le marché. Le 2 juin 2021, un avis d’adjudication de contrat a été publié sur le site Web officiel du Canada en matière d’appels d’offres en ligne, Achatsetventes.gc.ca, selon lequel TPSGC avait accordé le contrat à un autre fournisseur.

[9] Commissionaires a déposé la présente plainte le 14 juin 2021.

ANALYSE

[10] Aux termes des articles 6 et 7 du Règlement, après avoir reçu une plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit déterminer si les quatre conditions suivantes sont satisfaites avant d’entamer une enquête :

  1. la plainte a été déposée dans les délais prescrits à l’article 6 du Règlement [3] ;

  2. le plaignant est un fournisseur potentiel [4] ;

  3. la plainte porte sur un contrat spécifique [5] ;

  4. les renseignements fournis démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux pertinents [6] .

[11] Pour les motifs énoncés ci-dessous, le Tribunal conclut que la plainte n’a pas été déposée dans les délais prescrits à l’article 6 du Règlement.

[12] Aux termes du paragraphe 6(1) du Règlement, un fournisseur potentiel doit présenter une opposition à l’institution fédérale concernée ou déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte

[13] Le paragraphe 6(2) du Règlement prévoit qu’un fournisseur potentiel qui a présenté à l’institution fédérale concernée une opposition et à qui l’institution refuse réparation peut déposer une plainte auprès du Tribunal « [...] dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus, s’il a présenté son opposition dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de l’opposition [7] ».

[14] L’opposition de Commissionaires à l’égard de la modification 002 a été présentée le jour de sa publication (c.-à-d. le 15 avril 2021). L’opposition respectait donc manifestement le délai de 10 jours ouvrables prévu au paragraphe 6(1) du Règlement.

[15] Le même jour, TPSGC a répondu par courriel, indiquant, entre autres choses, que « la modification est juste et permettra une meilleure concurrence entre les fournisseurs, tout en permettant de combler le besoin au moyen de ressources convenables » [traduction]. TPSGC a conclu que « cette section ne sera pas ajoutée aux critères cotés » [traduction].

[16] Le Tribunal considère que Commissionaires a reçu un refus de réparation clair de TPSGC à l’égard de la modification 002 le 15 avril 2021. Commissionaires avait ensuite 10 jours ouvrables suivant cette date pour déposer sa plainte auprès du Tribunal relativement à ce motif de plainte, aux termes du paragraphe 6(2) du Règlement. Commissionaires avait donc jusqu’au 29 avril 2021 pour déposer sa plainte fondée sur ce motif auprès du Tribunal. Il est évident que le délai prévu s’était depuis longtemps écoulé au moment du dépôt de la présente plainte auprès du Tribunal.

[17] Même si le Tribunal adoptait une approche des plus généreuses et considérait que Commissionaires avait reçu le refus de réparation à la date de clôture des soumissions (c.-à-d. le 23 avril 2021), il n’en demeure pas moins qu’elle n’a pas déposé sa plainte dans le respect des délais prévus à l’article 6 du Règlement. En effet, le délai prévu pour déposer une plainte aurait été de 10 jours ouvrables suivant le 23 avril 2021, soit le 7 mai 2021.

[18] Le Tribunal tient également à souligner que dans les affaires de marchés publics, il est essentiel d’agir rapidement et les fournisseurs potentiels ne doivent pas attendre l’attribution d’un contrat avant de déposer une plainte concernant la procédure. Ainsi, une partie plaignante ne peut accumuler les griefs et attendre que sa soumission soit rejetée pour déposer une plainte; en d’autres termes, elle ne doit pas adopter une attitude attentiste [8] .

[19] Bien que le Tribunal préfère statuer sur le bien-fondé d’une plainte, il n’a donc pas compétence pour agir dans des instances comme celle-ci, où la plainte n’a pas été déposée dans les délais obligatoires prévus à l’article 6 du Règlement.

[20] Toutefois, selon le Tribunal, il ne semble pas que TPSGC ait communiqué à Commissionaires les renseignements relatifs aux mécanismes de recours quand il a avisé Commissionaires, le 15 avril 2021, qu’il n’accorderait pas la réparation demandée. Le Tribunal fait aussi remarquer que, bien que la DP contient certains renseignements concernant les mécanismes de recours qui s’offrent aux soumissionnaires, elle n’indique pas clairement les délais qui s’appliquent pour présenter une opposition à l’institution fédérale et pour déposer une plainte auprès du Tribunal.

[21] Le Tribunal, comme il l’a déjà fait à maintes reprises [9] , encourage fortement TPSGC à inclure, sur la page couverture de chaque document d’appel d’offres et dans chaque modification, l’extrait suivant afin d’aviser les soumissionnaires des dates limites pour ce qui est de la présentation d’une opposition auprès d’une institution fédérale et du dépôt d’une plainte auprès du Tribunal, en plus du lien vers la page Web sur Achatsetventes.gc.ca où sont résumés les mécanismes de recours :

En règle générale, toute plainte concernant la présente procédure de passation des marchés publics doit être déposée auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur dans les 10 jours ouvrables suivant la date où le soumissionnaire a découvert, ou aurait dû vraisemblablement découvrir, les faits à l’origine de sa plainte. Subsidiairement, dans ce délai, le soumissionnaire peut d’abord choisir de présenter à l’institution fédérale une opposition concernant son motif de plainte; si l’institution fédérale refuse la réparation demandée, le soumissionnaire peut alors déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant ce refus. Dans certaines circonstances exceptionnelles, un délai de 30 jours peut s’appliquer au dépôt d’une plainte auprès du Tribunal. Pour obtenir de plus amples renseignements, consultez le site Web du Tribunal (www.citt-tcce.gc.ca) ou communiquez avec la greffière adjointe du Tribunal au 613-993-3595 [10] .

[22] En outre, le Tribunal encourage TPSGC à inclure le paragraphe susmentionné dans ses communications avec les soumissionnaires quand il prend connaissance, ou aurait dû prendre connaissance, qu’un soumissionnaire a présenté une opposition ou soulève une préoccupation liée à la procédure du marché public avant la clôture des soumissions.

[23] Ayant conclu que la plainte de Commissionaires est hors délai aux termes de l’article 6 du Règlement, le Tribunal n’est pas tenu d’examiner les autres conditions qui s’appliquent pour décider s’il doit enquêter sur une plainte déposée auprès du Tribunal.

[24] Cependant, le Tribunal fait remarquer qu’il est bien établi que l’institution fédérale est en droit d’exiger que les services qu’elle obtient correspondent aux normes les plus élevées possible, pourvu que les conditions soient justifiées par des besoins opérationnels légitimes [11] . De la même façon, l’article 509 de l’Accord de libre-échange canadien prévoit qu’une entité contractante ne doit pas établir, adopter, ni appliquer de spécifications techniques ayant pour but ou pour effet de créer des obstacles non nécessaires au commerce [12] . Ainsi, il aurait été inadmissible pour TPSGC de maintenir des normes au-delà du niveau nécessaire pour satisfaire à ses besoins opérationnels légitimes. Inversement, TPSGC a le droit de fixer les normes qui conviennent (même moins exigeantes) pour répondre à ses besoins opérationnels, surtout si l’objectif est de supprimer les obstacles au commerce.

[25] Par conséquent, le Tribunal est d’avis que, même si la plainte n’était pas prescrite, il n’enquêterait pas parce que la plainte ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation des accords commerciaux applicables.

DÉCISION

[26] Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre présidant

 



[1] L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2] DORS/93-602 [Règlement].

[3] Paragraphe 6(1) du Règlement.

[4] Alinéa 7(1)a) du Règlement.

[5] Alinéa 7(1)b) du Règlement.

[6] Alinéa 7(1)c) du Règlement.

[7] Paragraphes 6(1) et 6(2) du Règlement.

[8] Finnie MFG Co. Ltd (27 août 2018), PR-2018-021 (TCCE) au par. 19; J. K. Engineering (16 décembre 2015), PR-2015-045 (TCCE) au par. 18.; APM Diesel 1992 Inc. (17 février 2012), PR-2011-052 (TCCE) au par. 15; IBM Canada Ltd. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., 2002 CAF 284 (CanLII) aux par. 18-21.

[9] Kaméléons & cie Solutions Design Inc. (26 novembre 2019), PR-2019-047 (TCCE) au par. 22; Les Gestions Jacques Delaney Inc. (10 février 2017), PR-2016-050 (TCCE) au par. 25; Alcohol Countermeasure Systems Corp. c. Gendarmerie royale du Canada (24 avril 2014), PR-2013-041 (TCCE) au par. 55; R.H. MacFarlands (1996) Ltd. (23 décembre 2013), PR-2013-029 (TCCE) aux par. 30-31; ADR Education (16 juillet 2013), PR‑2013‑009 (TCCE) au par. 34.

[10] Voir l’article 6 du Règlement.

[11] 2484726 Ontario Inc. s/n Brion Raffoul (4 mars 2021), PR-2020-064 (TCCE) au par. 38; Almon Equipment Limited c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (3 janvier 2012), PR‑2011‑023 (TCCE) au par. 62. Le Tribunal a aussi conclu que les besoins opérationnels légitimes doivent être raisonnables, c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas être impossibles à satisfaire. Voir par exemple Horizon Maritime Services Ltd. / Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. (2 janvier 2019), PR-2018-023 (TCCE) au par. 77; Springcrest Inc (21 novembre 2016), PR-2016-021 (TCCE) au par. 53.

[12] Le paragraphe 509(1) de l’Accord de libre-échange canadien prévoit ce qui suit : « Une entité contractante n’établit, n’adopte ni n’applique de spécifications techniques ni ne prescrit de procédures d’évaluation de la conformité ayant pour but ou pour effet de créer des obstacles non nécessaires au commerce. »

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