Enquêtes sur les marchés publics

Informations sur la décision

Contenu de la décision



EXPOSÉ DES MOTIFS

[1] En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] , tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics [2] , déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

[2] La plainte porte sur une demande de propositions (DP) (appel d’offres no W0772-22AM01/A) publiée le 27 septembre 2021 par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de la Défense nationale. La DP sollicitait des propositions pour la prestation de services d’hébergement et de commodités hôtelières dans la région du Grand Phoenix, en Arizona, aux États-Unis.

[3] La question qui doit être tranchée en l’espèce est de savoir si la soumission retenue répondait aux exigences de la DP. La partie plaignante, Nacris Inc. (Nacris), a demandé qu’on lui adjuge le contrat ou, subsidiairement, que les soumissions soient réévaluées au motif qu’elle croit que le soumissionnaire retenu, Masud Siddique (Masud), est incapable de remplir les modalités du contrat subséquent. En particulier, la plainte allègue que les installations de Masud ne disposent pas du nombre requis de machines à laver ou de machines à sécher. La partie plaignante a également demandé le report de l’adjudication du contrat.

[4] La partie plaignante a présenté une soumission et a été informée par TPSGC, le 27 janvier 2021, que le contrat ne lui serait pas adjugé parce qu’il a été déterminé que sa soumission n’était pas conforme aux exigences obligatoires de l’appel d’offres, plus particulièrement qu’elle ne fournissait pas tous les logements sous un seul établissement [3] .

[5] Le même jour, la partie plaignante a envoyé un courriel à TPSGC pour s’opposer à la décision de TPSGC [4] . La partie plaignante a expliqué que sa soumission était conforme à tous les critères obligatoires parce que ses deux établissements proposés étaient situés dans les mêmes locaux et partageaient certaines installations (par exemple, un stationnement et des salles de réunion).

[6] Le 3 novembre 2021, la partie plaignante a reçu une autre lettre de TPSGC, qui a remplacé la lettre reçue le 27 octobre [5] . Cette lettre ne faisait plus référence à la question de la non-conformité précédemment relevée par TPSGC. La plainte a dès lors été jugée recevable. Toutefois, la partie plaignante a été informée que le contrat ne lui serait pas adjugé parce que sa soumission n’était pas la soumission ayant obtenu la note la plus élevée selon la méthode d’évaluation décrite dans les documents relatifs à l’appel d’offres [6] ; sa soumission a été classée derrière celle d’autres soumissionnaires en raison du fait qu’un autre soumissionnaire conforme (Masud) était le moins-disant [7] .

[7] Le 4 novembre 2021, la partie plaignante a communiqué par courriel avec TPSGC pour savoir avec quels hôtels de Masud TPSGC collaborerait. Dans son courriel de réponse, TPSGC a informé la partie plaignante que ces renseignements étaient confidentiels et qu’ils ne pouvaient pas être divulgués. À titre de réponse, la partie plaignante s’est opposée à cette issue en envoyant un courriel à TPSGC, au motif que deux des installations de Masud, Springhill Suites et Residence Inn, étaient toutes deux présumément non qualifiées, et elle a demandé le report de l’adjudication du contrat.

[8] Le 9 novembre 2021, TPSGC a répondu qu’il avait examiné le processus d’évaluation de l’appel d’offres et que les résultats demeuraient inchangés, refusant ainsi la réparation demandée dans l’opposition de la partie plaignante. La partie plaignante a déposé un dossier de plainte complet auprès du Tribunal le 16 novembre 2021. La plainte a donc été déposée dans les délais prévus à l’article 6 du Règlement.

[9] Le Tribunal n’a pas reporté l’adjudication du contrat parce qu’un contrat avait déjà été adjugé au moment du dépôt de la plainte.

[10] Aux termes des articles 6 et 7 du Règlement, après avoir reçu une plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit déterminer si les quatre conditions suivantes sont satisfaites avant d’entamer une enquête :

i) la plainte a été déposée dans les délais prescrits [8] ;

ii) le plaignant est un fournisseur potentiel [9] ;

iii) la plainte porte sur un contrat spécifique [10] ;

iv) les renseignements fournis démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables [11] .

[11] Aux termes de l’alinéa 7(1)c) du Règlement, le Tribunal doit déterminer si les renseignements fournis par la partie plaignante, ainsi que tout autre renseignement examiné par le Tribunal, démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables énoncés à cet alinéa [12] . Le Tribunal a déjà expliqué ce critère comme suit :

Dans une plainte concernant les marchés publics, la partie qui allègue qu’un marché public n’a pas été passé en conformité avec les accords commerciaux applicables doit présenter certains éléments probants à l’appui de son allégation. Cela ne signifie pas qu’une partie plaignante dans un litige concernant un marché public aux termes d’un des accords doive démontrer tous les faits nécessaires comme une partie plaignante doit généralement le faire dans une action au civil. [...] Cependant, la partie plaignante doit présenter suffisamment de faits ou arguments qui indiquent, d’une façon raisonnable, qu’il y a eu violation d’un des accords commerciaux [13] .

[12] En l’espèce, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte de Nacris, puisque les renseignements fournis ne démontrent pas, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables, qui, en l’espèce, comprennent l’ALEC [14] . Le Tribunal en arrive à cette conclusion pour deux motifs.

[13] Premièrement, le Tribunal a déjà statué qu’une entité contractante a le pouvoir discrétionnaire de s’appuyer sur les attestations fournies par les soumissionnaires [15] . En l’espèce, TPSGC s’est appuyé sur l’attestation de Masud au moment de la clôture de l’appel d’offres et était convaincu que toutes les exigences obligatoires de l’appel d’offres étaient respectées, y compris l’exigence relative au nombre de machines à laver et de machines à sécher disponibles. Le poids accordé à cette attestation s’impose de prime abord et repose nécessairement sur la présomption selon laquelle le contenu de l’attestation est véridique. Par conséquent, cette présomption est réfutable. Toutefois, comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, en l’espèce, rien ne laisse entendre que la soumission n’était pas conforme ou que TPSGC savait que la soumission n’était pas conforme, de sorte que la procédure du marché public n’avait en soi rien d’inéquitable.

[14] Deuxièmement, la plainte repose sur une allégation qui n’est pas étayée par des éléments de preuve. En effet, dans sa plainte, la partie plaignante ne présente aucun élément de preuve concret à l’appui de son allégation, hormis l’affirmation selon laquelle la partie plaignante « s’est chargée elle-même de mener une enquête » [traduction] et qu’elle « a découvert » [traduction] qu’il manque une machine à laver et une machine à sécher à deux hôtels qu’elle croit appartenir à Masud pour répondre aux critères obligatoires de la DP [16] . Bien que l’alinéa 7(1)c) du Règlement ne soit pas particulièrement exigeant, la partie qui conteste la passation d’un marché public doit fournir certains éléments de preuve à l’appui de sa prétention [17] . De simples allégations ne suffisent pas à démontrer, dans une mesure raisonnable, qu’il y a eu violation des accords commerciaux [18] . Le Tribunal exige des éléments de preuve concrets démontrant les aspects inadéquats du commerce de Masud, au-delà de simples affirmations de la part de la partie plaignante.

[15] Par conséquent, Nacris n’a pas soulevé une question portant sur la conduite de la procédure de passation du marché public. Si, à une date ultérieure, Masud omet de livrer ce qu’il s’est engagé à fournir, la question portera sur l’administration du contrat et le rendement. Il est bien établi que la compétence du Tribunal ne s’étend pas aux questions d’administration des contrats ou de rendement [19] .

[16] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que la plainte ne démontre pas, dans une mesure raisonnable, que la procédure de passation du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables.

DÉCISION

[17] Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte.

 



[19] Newland Canada Corporation (13 août 2020), PR-2020-011 (TCCE) au par. 11, citant Sunny Jaura s/n Jaura Enterprises c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (22 février 2013), PR-2012-043 (TCCE) au par. 10. Voir aussi Custom Power Generation c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (23 février 2021), PR-2020-087 (TCCE) au par. 8; WW-ISS Solutions Canada c. Ministère des affaires étrangères, du Commerce et du Développement (16 décembre 2019), PR-2019-050 (TCCE) au par. 15; Vidéotron Ltée c. Services partagés Canada (5 octobre 2018), PR-2018-006 (TCCE) au par. 16.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.