Enquêtes sur les marchés publics

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Dossier no PR-2018-001

Harris Corporation

c.

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Décision rendue
le jeudi 23 août 2018

Motifs rendus
le vendredi 7 septembre 2018

 



EU ÉGARD À une plainte déposée par Harris Corporation aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

HARRIS CORPORATION

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux une indemnité raisonnable pour les frais encourus pour la préparation de la plainte et l’engagement de la procédure, indemnité qui doit être versée par Harris Corporation. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine provisoirement que le montant de l’indemnité est de 1 150 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui concerne la détermination provisoire du montant de l’indemnité, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.










Jean Bédard                             
Jean Bédard
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.


Membre du Tribunal :                                       Jean Bédard, membre présidant

Personnel de soutien :                                        Eric Wildhaber, Dustin Kenall et Peter Jarosz, conseillers juridiques

Partie plaignante :                                             Harris Corporation

Conseillers juridiques pour la partie plaignante :  Benjamin Mills
Drew Tyler
Carly Haynes

Institution fédérale :                                           ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques pour l’institution fédérale : Susan D. Clarke
Ian McLeod
Roy Chamoun
Kathryn Hamill
Peter Osborne
Scott Rollwagen
Brendan Morrison
Zachary Rosen

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

1.                   Le 10 avril 2018, Harris Corporation (Harris) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) concernant une demande d’offre à commandes (DOC) relative à un appel d’offres (invitation no M7594-5-4254/B) publié par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) eu égard à l’acquisition de jumelles de vision nocturne au phosphore blanc et de pièces de rechange recommandées (jumelles).

2.                   Harris allègue que TPSGC a endommagé certaines de ses jumelles au cours des essais en laboratoire et qu’il les a ensuite évaluées d’une manière arbitraire et partiale dans le cadre des essais auprès d’utilisateurs.

3.                   TPSGC soutient que le Tribunal n’a pas compétence pour instruire la plainte au motif que la GRC a invoqué l’exception relative à la sécurité nationale (ESN) des accords commerciaux applicables à la procédure de passation du marché en l’espèce. Quoi qu’il en soit, il fait valoir que rien ne démontre que les jumelles de Harris ont été endommagées par TPSGC ou ont été évaluées autrement que de la manière prévue dans l’appel d’offres.

4.                   Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que l’ESN ne l’empêche pas de statuer sur la plainte, que le Tribunal estime non valide.

CONTEXTE

5.                   Le 9 février 2017, TPSGC a publié la DOC visant l’acquisition, selon les besoins, de jumelles destinées à la livraison dans l’ensemble du Canada. La DOC a été publiée à l’intention de certains fournisseurs, qui étaient invités à soumissionner après avoir signé une entente de non-divulgation. Le contrat découlant de la DOC est une offre à commandes d’une durée initiale de trois ans, qui pourra être prolongée pour sept périodes supplémentaires d’un an.

6.                   La DOC est une nouvelle invitation à soumissionner à un appel d’offres (invitation no M7594-5-4254/A) publié un an plus tôt, le 4 février 2016. Cet appel d’offres a fait l’objet d’une plainte déposée par M.D. Charlton et d’une enquête par le Tribunal dans le dossier no PR-2015-070. À l’issue de cette enquête, le Tribunal a conclu en faveur de la partie plaignante et a recommandé que la DOC soit « annulé[e] et qu’un nouvel appel d’offres soit émis [...] [lequel] ne devra pas comporter d’exigences techniques favorisant un fournisseur en particulier »[1].

7.                   Au total, xxxxxx soumissions ont été reçues relativement à la DOC, soit de Harris et de xxxx autres soumissionnaires (l’un d’eux ayant déposé des soumissions pour deux produits distincts).

8.                   La procédure d’évaluation comportait six étapes, qui devaient chacune être réussies (hormis l’étape de la tarification) par les soumissionnaires pour que ceux-ci puissent passer à la prochaine[2]. Les détails de la procédure d’évaluation énoncée dans la DOC sont confidentiels et ceux-ci se trouvent à l’annexe jointe à l’exposé des motifs confidentiels.

9.                   Le 1er novembre 2017, TPSGC a avisé Harris que sa soumission n’avait pas été retenue. Dans sa lettre de refus, en plus de dévoiler l’identité du soumissionnaire retenu et son prix évalué, TPSGC a aussi indiqué les points attribués à Harris et au soumissionnaire retenu pour les essais en laboratoire et les essais auprès d’utilisateurs. Il a également indiqué les notes accordées à Harris pour chacun des critères cotés relativement aux essais en laboratoire et aux essais auprès d’utilisateurs[3].

10.               Le 3 novembre 2017, Harris a demandé la tenue d’une réunion de compte rendu avec TPSGC, laquelle a eu lieu le 5 décembre 2017[4].

11.               Le 27 novembre 2017, Harris a inspecté les six articles retournés. Elle a remarqué que l’article no 1205 avait subi des dommages qui semblaient causés par un impact et que l’article no 1204, qui avait fait l’objet d’essais en laboratoire, n’était pas aligné xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx[5].

12.               Le 30 novembre 2017, TPSGC a remis à Harris un document en réponse à certaines de ses questions préliminaires, dans lequel figurait notamment la note moyenne accordée à Harris relativement aux résultats en laboratoire, ainsi que les points cumulés accordés à Harris par chaque participant lors des essais auprès d’utilisateurs[6]. TPSGC lui a également transmis les notes préparées par les participants aux essais, dans lesquelles ils ont documenté les conditions entourant les essais (météo, éclairage, heures de début et de fin, etc.), mais ne lui a pas transmis ses évaluations ni ses résultats[7].

13.               Harris fait également plusieurs allégations confidentielles relativement à la réunion de compte rendu[8].

14.               Le 7 décembre 2017, Harris a envoyé un courriel à TPSGC pour confirmer la liste des documents et des renseignements qu’elle avait demandés et que TPSGC avait accepté, selon elle, de lui remettre durant la réunion de compte rendu[9]. TPSGC a également fourni à Harris les feuilles de notation des participants aux essais concernant les jumelles de Harris[10].

15.               Le 19 décembre 2017, Harris a envoyé une lettre d’opposition à TPSGC[11]. Harris faisait valoir que les participants n’avaient pas reçu de directives raisonnables, ce qui a donné lieu à une évaluation arbitraire et injuste, contraire aux critères d’évaluation énoncés dans la DOC. Selon Harris, le fait que les évaluateurs ne connaissaient pas bien l’équipement de Harris, combiné au fait qu’il préférait les marchandises du soumissionnaire retenu et étaient plus familiers avec celles-ci, ont influencé l’évaluation. Harris soutenait également que l’une de ses jumelles avait été endommagée pendant qu’elle était en la possession de TPSGC, ce qui a compromis l’intégrité de l’évaluation de cet article faite par TPSGC. Harris faisait également valoir que l’un de ses autres articles soumis aux essais en laboratoire n’avait pas été réassemblé correctement avant que l’on procède aux essais par les utilisateurs, donnant ainsi lieu à une évaluation injuste.

16.               Le 26 mars 2018, TPSGC a envoyé une lettre à Harris dans laquelle il rejetait son opposition[12].

17.               Le 2 avril 2018, TPSGC a envoyé à Harris, entre autres, les feuilles de notation individuelles de chaque participant ainsi que la feuille de notation établie par consensus portant sur toutes les étapes de l’évaluation de la soumission[13].

18.               Le 10 avril 2018, Harris a déposé la présente plainte auprès du Tribunal, dans laquelle elle soulève les mêmes motifs de plainte que ceux énumérés dans sa lettre d’opposition adressée à TPSGC.

ACCORDS COMMERCIAUX

19.               Le paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[14] dispose que le Tribunal doit limiter son étude à l’objet de la plainte. Au terme de l’enquête, le Tribunal détermine la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour un contrat spécifique. Aux termes de l’article 11 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[15] le Tribunal détermine si la procédure du marché public a été suivie conformément aux dispositions des accords commerciaux applicables.

20.               Harris soutient (et TPSGC ne conteste pas) que les accords commerciaux applicables sont l’Accord de libre-échange canadien[16], l’Accord de libre-échange nord-américain[17] et l’Accord révisé sur les marchés publics[18].

21.               Les accords commerciaux indiquent que, pour être considérée en vue de l’adjudication, une soumission doit être conforme aux conditions essentielles énoncées dans la documentation relative à l’appel d’offres.

22.               Lorsqu’il examine la façon dont les soumissions sont évaluées, le Tribunal applique le critère du caractère raisonnable. Comme la Cour suprême du Canada l’a souligné à maintes reprises, « le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel »[19]. Par conséquent, le Tribunal ne substitue généralement pas son jugement à celui des évaluateurs, sauf si ces derniers ne se sont pas appliqués à bien évaluer une proposition, n’ont pas tenu compte de renseignements d’importance cruciale contenus dans une proposition, ont fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou bien n’ont pas procédé à une évaluation équitable sur le plan de la procédure[20]. De plus, le Tribunal est d’avis qu’il revient en dernier ressort au soumissionnaire de vérifier qu’une proposition est conforme à tous les critères essentiels d’un appel d’offres[21].

REQUÊTE DE TPSGC FONDÉE SUR L’ESN

Contexte

23.               Comme elle l’a fait dans M.D. Charlton, la GRC invoque l’ESN relativement au marché en l’espèce. Par souci de clarté, le contexte des deux instances est examiné en détail ci-dessous.

24.               Le 4 février 2016, TPSGC a publié la DOC originale relativement au marché en l’espèce. Dans le cas de M.D. Charlton cité ci-dessus, la partie plaignante a contesté les exigences techniques de la DOC.

25.               Dans une lettre antérieure datée du 26 août 2015, le sous-commissaire de la GRC a demandé au sous-ministre adjoint de TPSGC d’invoquer l’ESN de l’ensemble des accords commerciaux du Canada, actuels et futurs, relativement au marché passé par la GRC pour l’acquisition de jumelles de vision nocturne commerciales ou militaires en vente libre[22]. Dans une lettre datée du 15 septembre 2015, le sous-ministre adjoint de TPSGC a accepté d’invoquer l’ESN. TPSGC a indiqué que cette lettre[23] :

ne constitue ni l’approbation ni le rejet d’une stratégie d’approvisionnement à fournisseur unique. Toute stratégie d’approvisionnement doit être conforme au Règlement sur les contrats du gouvernement et aux politiques applicables.

[Traduction]

26.               Dans M.D. Charlton, TPSGC a fait valoir que le Tribunal n’avait pas compétence pour examiner la plainte en raison de l’ESN invoquée dans les lettres susmentionnées. Le Tribunal a rejeté la requête de TPSGC pour les motifs suivants[24] :

[L]es accords commerciaux laissent à l’institution fédérale responsable l’entière discrétion de déterminer quelles mesures sont nécessaires pour préserver la sécurité nationale [...] [mais cette dernière] ne devrait restreindre l’application des obligations prévues dans les accords commerciaux seulement dans la mesure nécessaire [...].

En l’espèce, la GRC a fait une évaluation et a déterminé que la seule mesure nécessaire pour préserver la sécurité nationale était la non-divulgation des spécifications techniques des jumelles de vision nocturne faisant l’objet de l’appel d’offres.

Toutefois, lorsqu’il a invoqué l’exception en matière de sécurité nationale, TPSGC a excédé ce besoin, tel qu’évalué par la GRC, et a plutôt appliqué à l’appel d’offres une exemption globale, le soustrayant entièrement à toutes les obligations des accords commerciaux (c’est-à-dire « à tous égards »). En procédant de la sorte, le Tribunal conclut que TPSGC a violé les accords commerciaux en ne limitant pas correctement la portée de l’exception. Les accords commerciaux requièrent plutôt que TPSGC n’exclut que les dispositions des accords qui sont nécessaires pour préserver l’aspect de la sécurité nationale qui est en jeu. [...]

27.                Finalement, le Tribunal a conclu que la plainte de M.D. Charlton était valide et a recommandé l’annulation de l’appel d’offres et la publication d’un nouvel appel d’offres. TPSGC a décidé de ne pas contester cette recommandation.

28.                En vue de la publication du nouvel appel d’offres, la GRC a réitéré sa demande, au moyen d’une lettre datée du 3 novembre 2016, que TPSGC « invoque l’exception relative à la sécurité nationale en vue d’exclure le marché des jumelles de vision nocturne de l’ensemble des accords commerciaux du Canada, actuels et futurs [...] à tous égards » [traduction]. La GRC a écrit ce qui suit : « La présente lettre annule et remplace la lettre du 26 août 2015 dans laquelle nous vous demandions d’invoquer l’exception relative à la sécurité nationale, laquelle a donné lieu à votre lettre du 15 septembre 2015 dans laquelle vous invoquiez l’ESN »[25] [traduction].

29.               Le 25 novembre 2016, le sous-ministre adjoint de TPSGC a répondu ce qui suit dans une lettre[26] :

Au vu des motifs énoncés dans votre lettre du 3 novembre 2016, j’accepte d’invoquer l’exception relative à la sécurité nationale en vue de soustraire le marché des jumelles de vision nocturne à l’application des dispositions de l’ensemble des accords commerciaux du Canada, actuels et futurs [...] à tous égards.

[Traduction]

30.               TPSGC a confirmé que la lettre[27] :

annule et remplace la lettre du 15 septembre 2015 dans laquelle vous invoquiez l’ESN [...] [et] ne constitue ni l’approbation ni le rejet d’une stratégie d’approvisionnement à fournisseur unique. Toute stratégie d’approvisionnement doit être conforme au Règlement sur les contrats du gouvernement et aux politiques applicables.

[Traduction]

31.               Le 9 février 2017, TPSGC a publié de nouveau l’appel d’offres, qui a pris la forme de la DOC actuelle, laquelle comportait une exigence que les soumissionnaires signent une entente de non-divulgation. L’ESN invoquée était également décrite comme suit[28] :

1.4 Exception relative à la sécurité nationale

Les exceptions relatives à la sécurité nationale prévues dans les accords commerciaux ont été invoquées; ce marché est donc entièrement exclu de l’ensemble des modalités de tous les accords commerciaux.

32.               Le 13 avril 2017, M.D. Charlton a déposé une plainte (dossier no PR-2017-002) dans laquelle elle alléguait que les caractéristiques techniques du nouvel appel d’offres favorisaient toujours un fournisseur en particulier. M.D. Charlton s’est également opposée au fait que TPSGC avait invoqué l’ESN.

33.               Le 24 avril 2017, le Tribunal a rejeté la plainte au motif qu’elle n’était pas fondée et qu’elle n’avait pas été déposée dans les délais[29]. En ce qui concerne l’ESN, le Tribunal a conclu que M.D. Charlton n’avait pas démontré comment le simple fait d’invoquer l’ESN lui avait porté préjudice, mais ne s’est pas autrement penché sur le bien-fondé de la demande dans laquelle l’ESN avait été invoquée.

34.               Le 4 mai 2017, le sous-ministre adjoint de TPSGC a envoyé une autre lettre à la GRC afin de corriger le bloc signature figurant dans la lettre du 25 novembre 2016, pour que celui-ci reflète la dénomination sociale de TPSGC, et de modifier les coordonnées de la personne-ressource à TPSGC chargée de la gestion de la procédure de passation du marché de la GRC[30].

35.               Le 10 avril 2018, Harris a déposé la présente plainte auprès du Tribunal. Le Tribunal a accepté d’enquêter sur la plainte le 11 avril 2018 et a avisé TPSGC le 13 avril 2018. Le Tribunal a initialement ordonné à TPSGC de déposer sa réponse à la requête en production de documents de la partie plaignante ainsi que toute requête préliminaire au plus tard le 19 avril 2018. Le 19 avril 2018, TPSGC a demandé au Tribunal de proroger au 3 mai 2018 le délai pour déposer sa réponse à la requête en production de documents et toute requête préliminaire. Le 20 avril 2018, le Tribunal a accueilli la demande, mais a confirmé que le délai pour déposer le rapport de l’institution fédérale (RIF) demeurait le 8 mai 2018.

36.               Le 16 avril 2018, TPSGC a demandé une prorogation du délai pour déposer une requête préliminaire au 18 mai 2018, et au Tribunal de suspendre toutes les autres étapes dans la présente instance, y compris les délais dans lesquels TPSGC devait déposer sa réponse à la requête en production de documents de la partie plaignante et son RIF.

37.               Le 17 avril 2018, le Tribunal a maintenu le délai du 3 mai 2018 dans lequel TPSGC devait déposer sa réponse à la requête en production de documents, mais a prorogé le délai pour déposer une requête préliminaire et le RIF au 18 mai 2018.

38.               Le 9 mai 2018, TPSGC a réitéré sa position selon laquelle le fait qu’il a invoqué l’ESN a eu pour effet d’écarter la compétence du Tribunal, y compris sa capacité de fixer des délais à l’intérieur desquels TPSGC doit répondre à la requête en production de documents de Harris ainsi qu’à sa plainte.

39.               Le 10 mai 2018, le Tribunal a répété qu’il s’attendait à ce que TPSGC respecte les délais fixés par le Tribunal dans sa lettre du 27 avril 2018.

40.               Le 16 mai 2018, TPSGC a déposé une demande de contrôle judiciaire interlocutoire des ordonnances du Tribunal fixant les délais des dépôts, dans laquelle il faisait valoir que le Tribunal n’avait pas compétence pour ordonner la production de documents ou du RIF dans l’attente d’une requête éventuelle (mais qui n’avait pas encore été déposée à ce moment-là) de TPSGC en vue d’annuler la plainte au motif qu’il a invoqué l’ESN.

41.               Le 28 juin 2018, la demande de TPSGC a été instruite par la Cour d’appel fédérale.

42.               Le 29 juin 2018, la demande de TPSGC a été rejetée par la Cour d’appel fédérale, qui a statué que TPSGC[31] :

aurait d’abord dû présenter [sa] requête devant le TCCE ou autrement formuler [ses] observations sur cette question au TCCE et attendre le jugement du TCCE sur cette question. En l’absence d’une décision du TCCE sur la question de savoir si l’enquête peut se poursuivre, nous n’avons aucune raison de procéder au contrôle. Le refus du TCCE de dissocier cette question du bien-fondé de la plainte ne constitue pas une circonstance exceptionnelle qui mérite l’intervention de notre Cour.

[Nos italiques, traduction]

43.               Le 3 juillet 2018, TPSGC a écrit au Tribunal pour lui proposer de présenter le RIF et sa réponse à la requête en production de documents ainsi que sa requête fondée sur l’ESN au plus tard le 10 juillet 2018[32].

44.               Le 5 juillet 2018, le Tribunal a accepté le délai susmentionné et a ordonné à Harris de déposer ses réponses au plus tard le 19 juillet 2018 et à TPSGC de déposer ses répliques au plus tard le 24 juillet 2018.

45.               Le 10 juillet 2018, TPSGC a déposé son RIF, sa réponse à la requête en production de documents, ainsi que sa requête fondée sur l’ESN.

46.               Le 18 juillet 2018, le Tribunal a prorogé le délai dans lequel Harris devait présenter ses réponses au 24 juillet 2018 et le délai dans lequel TPSGC devait déposer ses répliques au 27 juillet 2018.

47.               Le 23 juillet 2018, Harris a déposé ses réponses au RIF[33] ainsi qu’à la requête fondée sur l’ESN.

48.               Le 27 juillet 2018, TPSGC a déposé sa réplique à la réponse de Harris à la requête fondée sur l’ESN.

Position de TPSGC

49.               TPSGC soutient que le Tribunal n’a pas compétence pour instruire une plainte portant sur le marché en l’espèce, puisque l’ESN a été invoquée « à tous égards » [traduction] par le représentant autorisé de TPSGC. TPSGC fait valoir que toute autre mesure prise par le Tribunal :

         est contraire aux décisions antérieures du Tribunal et des cours fédérales;

         ignore que les dispositions des accords commerciaux en matière d’ESN sont formulées plus généralement que toute autre exception et confèrent à l’institution fédérale l’entière discrétion quant à leur portée;

         empiète sur le rôle des cours fédérales.

50.               TPSGC a réitéré les mêmes arguments qu’il a formulés dans Hewlett-Packard[34] et M.D. Charlton, à l’exception des deux arguments suivants : 1) TPSGC fait valoir que le Tribunal n’est pas habilité à gérer la procédure de passation des marchés où l’ESN est invoquée parce que les dispositions de la Loi sur la preuve au Canada[35] en matière de gestion de renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables relatifs à la sécurité nationale prévoient que ce type d’éléments de preuve peut être examiné par les cours fédérales; 2) TPSGC soutient également que, comme le recours à l’ESN était une modalité de la DOC, Harris est tenue, par contrat, de la respecter.

Position de Harris

51.               Harris soutient que TPSGC ne s’est pas acquitté du fardeau que lui impose la jurisprudence d’expliquer pourquoi elle ne pourrait recourir au Tribunal. 

52.               Harris soutient que la position du Tribunal a été constante dans chacune des trois affaires en matière d’ESN qu’il a examinées depuis 2016. TPSGC a eu plusieurs occasions de contester ces décisions ou, à défaut, de mettre à jour ses pratiques pour se conformer aux conclusions du Tribunal dans ces affaires.

53.               Harris indique que la façon dont TPSGC interprète l’ESN la place indûment sur le même pied que la « primauté de l’intérêt public » énoncée au paragraphe 30.13(4) de la Loi sur le TCCE. Le paragraphe 30.13(4) de la Loi sur le TCCE prévoit expressément que le Tribunal doit annuler l’ordonnance différant l’adjudication du contrat lorsque « l’institution fédérale certifie par écrit que l’acquisition de fournitures ou services qui fait l’objet du contrat spécifique est urgente ou qu’un retard pourrait être contraire à l’intérêt public ». Les accords commerciaux exigent que les parties adoptent des mesures provisoires pour préserver la capacité des fournisseurs de participer à des procédures de passation de marchés contestées[36]. Ces dispositions prévoient que des considérations d’intérêt public peuvent être prises en compte pour passer outre ces mesures, mais elles ne fixent pas expressément de critère précis ou de norme juridique sur la façon de pondérer ces considérations. En édictant le paragraphe 30.13(4) de la Loi sur le TCCE, le législateur a toutefois formulé la norme qu’il privilégie. Harris allègue que si le législateur avait voulu conférer un pouvoir aussi vaste aux institutions fédérales pour leur permettre d’invoquer l’ESN, il aurait pu le faire. Harris fait également valoir que la position de TPSGC, selon laquelle son recours à l’ESN devrait être traité de la même façon qu’une déclaration écrite d’intérêt public qui ne peut faire l’objet d’un contrôle en vertu du paragraphe 30.13(4), est donc contraire au libellé et à la structure de la Loi sur le TCCE.

54.               Harris soutient également qu’en adoptant la position selon laquelle le recours à l’exception relative à la sécurité nationale n’est pas susceptible de contrôle, TPSGC adopte un point de vue qui est directement opposé à celui que le gouvernement du Canada a adopté devant l’OMC en vue de mettre fin aux tarifs douaniers punitifs visant certains produits en acier et en aluminium imposés par le gouvernement des États-Unis : dans cette affaire, le gouvernement du Canada fait valoir que, suivant les accords commerciaux, les États-Unis doivent démontrer que leur crainte par rapport à la sécurité nationale est raisonnablement fondée afin qu’une telle mesure exceptionnelle soit aussi restreinte que possible et réellement fondée sur de véritables menaces[37].

Réponse de TPSGC

55.               TPSGC ne conteste pas que le Tribunal a compétence pour examiner si une personne dûment autorisée a invoqué l’ESN. Il ne conteste pas non plus que les tribunaux peuvent examiner des décisions discrétionnaires pour évaluer si elles sont arbitraires – toutefois, il indique que le pouvoir discrétionnaire de la Couronne d’invoquer l’ESN est extraordinairement vaste parce qu’il concerne la sécurité nationale et que, par conséquent, ce pouvoir ne devrait être examiné que par une cour de justice.

56.               Enfin, TPSGC fait valoir que sa décision de ne pas contester la décision du Tribunal sur la question de l’ESN dans M.D. Charlton n’est pas d’intérêt en l’espèce. Il indique que le choix de ne pas demander le contrôle judiciaire d’une décision antérieure ne lie pas la Couronne dans une instance ultérieure relative à une nouvelle procédure de passation d’un marché.

Analyse du Tribunal

57.               La majorité des arguments de TPSGC ont déjà été abordés par le Tribunal dans des affaires précédentes : une première fois dans Eclipsys[38] aux paragraphes 34-45 (exercice du pouvoir discrétionnaire); ensuite dans M.D. Charlton aux paragraphes 20-28 (compétence) et aux paragraphes 29-38 (portée); et enfin dans Hewlett-Packard aux paragraphes 41-48 (compétence versus question juridique), aux paragraphes 49-56 (rôle conféré au Tribunal lorsqu’il examine les cas où l’ESN est invoquée), aux paragraphes 57-68 (décision antérieure du Tribunal et de la Cour fédérale) et aux paragraphes 69-75 (libellé de l’ESN par opposition aux exceptions dans les accords commerciaux).

58.               Les conclusions du Tribunal dans Eclipsys et M.D. Charlton n’ont pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire, et la demande de contrôle judiciaire présentée par le gouvernement dans Hewlett-Packard a été rejetée par la Cour d’appel fédérale au motif qu’elle était sans portée pratique[39].

59.               Plus important encore, le Tribunal fait observer que TPSGC a choisi d’ignorer ces décisions récentes et de ne pas répondre aux préoccupations soulevées par le Tribunal dans ces trois décisions en invoquant l’ESN au motif que cette exception le soustrait de façon absolue et à tous égards aux exigences des accords commerciaux.

60.               Dans ces trois décisions, le Tribunal a demandé aux institutions fédérales d’exposer la « raison » justifiant (i) de refuser le recours au Tribunal et (ii) d’exclure l’exigence (qui se trouve tant dans la doctrine de l’inexécution de contrats en common law que dans les accords commerciaux) que les acheteurs respectent les modalités des appels d’offre qu’elles ont elles-mêmes écrites. Dans tous les cas devant le Tribunal depuis que ces décisions ont été rendues, l’institution fédérale a refusé de ce faire, s’en remettant à l’argument selon lequel l’exercice de son pouvoir discrétionnaire n’est tout simplement pas susceptible de contrôle.

61.               Ce point de vue est insoutenable tant sur le plan de la primauté du droit en général que sur le plan du droit administratif, et plus particulièrement étant donné que les accords commerciaux sont censés lier le Canada et les pays étrangers ou le Canada et les provinces et territoires. Ils ne sont pas des énoncés de principe auxquels on aspire, mais bien des accords juridiques incorporés dans le droit canadien par des lois fédérales. Interpréter l’une de leurs dispositions comme conférant au Canada un pouvoir discrétionnaire non susceptible de contrôle (aux dépens non seulement des fournisseurs étrangers, mais également des fournisseurs canadiens) est contraire à leur objectif et au mandat du Tribunal tel qu’il est énoncé par la Cour d’appel fédérale dans Almon[40]. Cette interprétation est également incompatible avec plusieurs dispositions législatives et décisions de jurisprudence, dont :

         la structure et le texte de la Loi sur le TCCE, qui démontrent que le législateur a expressément conféré aux institutions fédérales le pouvoir exclusif d’outrepasser une ordonnance du Tribunal différant l’adjudication du contrat dans l’intérêt du public, mais n’a pas conféré un pouvoir semblable aux institutions fédérales concernant l’ESN;

         les décisions en matière de droit administratif reconnaissant que les tribunaux dotés de pouvoirs de surveillance peuvent à bon droit examiner la décision du gouvernement d’exercer son pouvoir discrétionnaire, même exclusif;

         les principes de droit public international et la jurisprudence exigeant que les parties exercent de bonne foi leurs droits issus de traités.

62.               Le deuxième ensemble de lettres dans lequel TPSGC a demandé et obtenu l’autorisation d’invoquer l’ESN aux fins de la nouvelle DOC contient encore moins de raisons justifiant d’écarter les obligations prévues par les accords commerciaux que le premier ensemble de lettres. Dans sa première demande, TPSGC a invoqué la nécessité de préserver la confidentialité des caractéristiques des jumelles de vision nocturne comme motif pour écarter les accords commerciaux[41] :

Les caractéristiques du marché des JVN contiennent des détails qui, s’ils sont révélés au public, pourraient compromettre l’intégrité de l’outil et mettre en péril les enquêtes criminelles et liées à la sécurité nationale. On estime nécessaire pour la protection d’intérêts essentiels en matière de sécurité que l’acquisition de cet outil ne soit pas divulguée puisqu’il demeure indispensable aux enquêtes criminelles, à la lutte contre le terrorisme et à toute autre fin liée à la sécurité nationale. Toute divulgation révélerait les capacités de la GRC et permettrait aux adversaires de tenter de compromettre cette capacité. Ces mesures sont considérées comme nécessaires pour protéger l’ordre et la sécurité publics et pour protéger la vie et la santé humaines, ainsi que nos obligations envers nos partenaires internationaux. La nature de toute opération utilisant cet équipement en particulier sera secrète.

[Traduction]

63.               Dans M.D. Charlton, le Tribunal a conclu qu’il s’agissait précisément du genre d’explication rationnelle qui justifierait d’invoquer l’ESN à l’égard d’une obligation précise (en l’espèce, l’exigence que les documents d’appel d’offres et leurs modalités soient par ailleurs publics), mais qui ne pourrait justifier d’écarter en bloc les autres obligations des accords commerciaux pour lesquelles aucun besoin n’a été identifié (comme le recours au mécanisme de contestation de la procédure du marché public que le législateur a conféré au Tribunal).

64.               Par contre, la GRC a justifié avoir invoqué de nouveau l’ESN pour la raison suivante[42], sur laquelle TPSGC s’est également fondé :

Le présent marché vise l’acquisition de jumelles d’imagerie spécialisées de haute qualité qui seront utilisées au cours d’opérations policières à haut risque par différents groupes tactiques d’intervention de la Gendarmerie royale du Canada, dans l’ensemble de la force, y compris des opérations policières liées aux intérêts du Canada en matière de sécurité nationale et aux mesures de lutte contre le terrorisme. Ces opérations comprennent notamment l’arrestation de terroristes, des enquêtes liées à la sécurité nationale exigeant l’observation de lieux, de comportements et du statut armé des cibles représentant une menace, et la neutralisation de menaces mortelles actives liées à des organisations qui présentent un risque pour la sécurité nationale.

Le présent marché est nécessaire pour protéger l’ordre et la sécurité publics, pour préserver la vie et la santé humaines, ainsi que pour honorer les obligations du Canada envers ses partenaires internationaux. Les marchandises acquises joueront un rôle essentiel dans la contribution de la Gendarmerie royale du Canada à la paix et la sécurité internationales et sont nécessaires pour protéger les intérêts du Canada en matière de sécurité nationale.

[Traduction]

65.               Dans le deuxième ensemble de lettres, TPSGC indique qu’il serait dans l’intérêt de la GRC de se procurer des jumelles de vision nocturne, pour des raisons de sécurité nationale. Cet intérêt en matière de sécurité nationale est à première vue légitime et authentique. Toutefois, contrairement à ce qui est indiqué dans le premier ensemble de lettres, cette demande visant à invoquer l’ESN ne donne pas la moindre raison justifiant d’exclure une obligation en particulier des accords commerciaux et ne fournit même pas la moitié des raisons qui étaient énoncées dans la première série de lettres. Par conséquent, cette demande a été manifestement présentée sans référence aux décisions du Tribunal dans Eclipsys ou M.D. Charlton. En outre, dans la lettre du 4 mai 2017, où des corrections techniques avaient été apportées, TPSGC et la GRC ont eu une autre occasion de rendre leurs pratiques conformes à ces décisions dans Hewlett-Packard (décision publiée dans l’intervalle), mais ils ont choisi de les ignorer.

66.               Hormis ces lettres, le seul autre élément de preuve que TPSGC a présenté est une déclaration écrite sous serment par un sergent de la GRC qui participait à la procédure de passation du marché. Ce n’est pas lui qui a invoqué l’ESN, mais il souscrit aux énoncés de la lettre de la GRC datée du 3 novembre 2016. En particulier, il affirme que la divulgation de « [r]enseignements liés à la capacité technique de la GRC relative au type et à la quantité de JVN [...] pourrait compromettre l’intégrité de la capacité des JVN [...] [Par conséquent,] [i]l est nécessaire [...] que certains renseignements techniques, y compris les caractéristiques et les renseignements liés à la capacité globale de la GRC relative au type et à la quantité de ces appareils, ne soit pas divulgués [...] »[43] [traduction].

67.               Même si le Tribunal estime que tous ces témoignages sont crédibles et qu’ils pourraient corriger certaines lacunes dans le deuxième ensemble de lettres, ils ne fournissent aucune explication quant à savoir pourquoi on devrait refuser à une partie plaignante de recourir au Tribunal pour déposer une plainte au motif que TPSGC n’a pas respecté les modalités qu’il a lui-même choisies pour sa DOC.

68.               TPSGC a consacré une partie de sa requête à soulever deux nouveaux arguments.

69.               Premièrement, TPSGC indique que les cours fédérales sont mieux placées pour examiner les dossiers de marchés publics dans le cadre desquels l’ESN a été invoquée. Selon ce que le Tribunal comprend de cet argument, il en serait ainsi parce que la Loi sur la preuve au Canada confère aux cours fédérales un  pouvoir de révision concernant des « renseignements sensibles » et des « renseignements potentiellement préjudiciables ».

70.               Deuxièmement, TPSGC fait valoir que le renvoi à l’ESN dans la DOC constitue une modalité de la DOC ayant force exécutoire.

71.               S’agissant du premier argument, le Tribunal ne convient pas que la notion selon laquelle ce pouvoir de contrôle conféré par la Loi sur la preuve au Canada pourrait écarter la compétence des cours ou des tribunaux qui pourraient être appelés à examiner des « renseignements sensibles » et des « renseignements potentiellement préjudiciables » dans le cadre d’une instance. Si le législateur avait voulu que les affaires concernant ce genre de renseignements soient examinées par les cours fédérales, il l’aurait mentionné expressément. Au contraire, le législateur a choisi d’édicter une procédure en vertu de laquelle le procureur général du Canada, et les cours fédérales au besoin, peuvent, sous réserve de toute condition qu’ils estiment appropriées, autoriser la divulgation de tout ou partie des « renseignements sensibles » et des « renseignements potentiellement préjudiciables » dans le contexte d’une instance devant une cour de justice, une personne ou une entité ayant compétence pour ordonner la production de renseignements, ce qui comprend le Tribunal[44].

72.               Qui plus est, ces dispositions de la Loi sur la preuve au Canada sont d’application générale. Elles ne dépendent pas du fait que l’ESN a été précédemment invoquée. Si l’application de l’article 38.01 de la Loi sur la preuve au Canada entre en jeu durant une instance devant le Tribunal, la procédure énoncée aux articles 38 à 38.15 de la Loi sur la preuve au Canada entrera en jeu peu importe si l’ESN a été invoquée. Il ne faut pas associer le rôle que les cours fédérales peuvent jouer dans l’application des articles 38 à 38.15 de la Loi sur la preuve au Canada à la question de la compétence du Tribunal d’instruire certaines affaires. Aucune raison logique n’explique pourquoi la compétence du Tribunal devrait être écartée dans certaines situations, mais pas dans d’autres lorsqu’il demeure toujours possible que les articles 38 à 38.15 de la Loi sur la preuve au Canada s’appliquent dans l’instance devant le Tribunal.

73.               Qui plus est, l’argument soulevé par TPSGC est dénué de pertinence dans le contexte de l’espèce. Ni TPSGC, ni la GRC, ni le procureur général du Canada n’ont jamais prétendu, fut-ce dans la requête ou ailleurs, que le présent marché public comprenait des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables au sens de la Loi sur la preuve au Canada. Les procédures pertinentes n’ont pas été invoquées. De fait, la DOC elle‑même ne prévoit aucune exigence en matière d’attestation d’enquête de sécurité :

1.3 Exigences relatives à la sécurité

Une organisation ou son personnel n’est pas tenu de fournir une attestation d’enquête de sécurité du Programme de la sécurité industrielle de Services publics et Approvisionnement Canada pour exécuter des travaux en vertu d’un contrat subséquent. Toutefois, la présente demande de soumissions et tout son contenu sont assujettis, d’une part, aux exigences de confidentialité précisées dans l’accord de non‑divulgation qui constituait une exigence pour la réception de la demande de soumissions, et d’autre part, à l’invocation d’une exception au titre de la sécurité nationale.

[Traduction]

74.               Même à supposer que la DOC ait contenu de telles exigences relatives à une attestation d’enquête de sécurité ainsi que des renseignements secrets, et en admettant que les dispositions de la Loi sur la preuve au Canada aient été invoquées, il ne s’ensuivrait pas que Loi sur la preuve au Canada ait pour effet d’écarter la compétence du Tribunal pour entendre la présente affaire. En l’absence d’une autorisation du procureur général du Canada, on présenterait tout bonnement une demande interlocutoire procédurale dans laquelle les cours fédérales seraient appelées à se prononcer sur la question de savoir si certains renseignements devraient être divulgués ou non.

75.               TPSGC n’a cité aucune décision judiciaire dans laquelle on aurait statué que la Loi sur la preuve au Canada écarte la compétence matérielle d’un tribunal (ou d’une cour supérieure) pour connaître d’une demande principale de révision d’un marché public à l’égard de laquelle il a compétence, simplement à cause d’une prétention relative à la question de savoir si certains éléments de preuve devraient être divulgués[45]. Les dispositions législatives encadrant le solide régime de protection des renseignements confidentiels administré par le Tribunal, mais aussi la célérité avec laquelle les demandes de révision des marchés sont réglées et l’accessibilité du processus de révision, viennent également démentir une telle proposition.

76.               Le deuxième nouvel argument avancé par TPSGC est tout aussi peu convaincant. Le Tribunal n’est pas d’accord avec la caractérisation faite par TPSGC des références à l’ESN contenues dans la DOC, à savoir que celles-ci constituent modalité de la DOC ayant force exécutoire. L’ESN est mentionnée à trois endroits dans la DOC, soit à l’article 1.3, à l’article 1.4 et à l’article 1.5. Les articles 1.3 et 1.4 précisent simplement que l’ESN a été invoquée de manière à exclure le marché des obligations prévues dans les accords commerciaux. Certes, l’article 1.5 précise que « l’offrant reconnaît et comprend que l’exception relative à la sécurité nationale s’applique à la présente demande de soumissions, et que les renseignements qu’elle contient sont de nature sensible et doivent être conservés à titre confidentiel, sans divulgation » [traduction]. Il exige ensuite que le soumissionnaire prenne certaines mesures pour assurer la confidentialité de la DOC. Cependant, nulle part dans ces dispositions n’exige-t-on expressément que le soumissionnaire renonce à ses droits en vertu des accords commerciaux ou à son droit de contester l’invocation de l’ESN devant le Tribunal. Qui plus est, compte tenu des récentes décisions rendues par le Tribunal au sujet de l’ESN, il est déraisonnable, de la part de TPSGC, de présumer que la simple invocation de l’ESN a pour effet d’écarter la compétence du Tribunal, et que cette même présomption a été clairement et librement acceptée par les soumissionnaires. En d’autres termes, dans le contexte de l’espèce, il ne pouvait y avoir aucune « rencontre des volontés » contractuelle.

77.               Car, même en supposant que le libellé de la DOC puisse être interprété de la sorte, une disposition à cet effet constituerait une violation des accords commerciaux. De fait, le cadre juridique établi par les accords commerciaux en matière d’approvisionnement fédéral est éclairé, mais n’est ni limité, ni lié par le modèle du contrat A et du contrat B qui, selon le principe de l’inexécution fondamentale issu de la common law, prévoit qu’une stipulation expresse puisse réfuter l’existence d’une obligation tacite d’agir équitablement. Les accords commerciaux garantissent aux soumissionnaires un ensemble minimal de droits substantiels et procéduraux. En dehors de ces garanties minimales, les parties peuvent négocier des conditions supplémentaires, en déterminant par exemple si l’institution fédérale sera tenue de payer les coûts de préparation de la soumission. Ce que le gouvernement n’a pas la possibilité de faire, toutefois, c’est de rendre la participation à un marché public conditionnelle à ce que les soumissionnaires renoncent aux droits que leur confèrent les accords commerciaux.

78.               En résumé, à la lecture du libellé de la DOC elle-même, le Tribunal n’y voit rien qui puisse démontrer que TPSGC et la GRC ont traité cette procédure de passation de marché public selon le niveau de confidentialité associé à une véritable préoccupation liée à l’ESN. Les soumissionnaires étaient autorisés à travailler dans le cadre du contrat subséquent sans qu’une attestation de sécurité soit nécessaire. Le processus de la DOC a été mené en l’absence d’une désignation de sécurité du Conseil du Trésor. En outre, la lettre de la GRC où celle-ci demandait l’invocation de l’ESN ne comprend aucun renseignement contextuel ni aucune documentation à l’appui. Cela fait contraste avec la lettre préparée par Services partagés Canada (SPC) dont il était question dans le dossier PR-2016-043, et qui concernait une demande d’invocation de l’ESN. Dans ce dernier cas, SPC avait joint à la lettre une longue annexe où il décrivait les menaces à la sécurité avec force détails. La décision d’invoquer l’ESN n’est pas à prendre à la légère. Elle devrait être appuyée par des éléments de preuve sérieux versés au dossier administratif.

79.               Enfin, l’une des raisons les plus impérieuses qui justifient la compétence du Tribunal pour examiner l’invocation de l’ESN faite par TPSGC est également la plus simple. Tous les marchés publics sont importants, car ils sont (ou devraient être) dans l’intérêt public. Ainsi, un marché public qui est dans l’intérêt de la sécurité nationale ne devait pas être tenu à une norme moins exigeante. Il est nécessaire non seulement qu’un tel marché soit passé avec toute la confidentialité qu’exige la sécurité nationale, mais que l’évaluation, la procédure et le résultat soient raisonnables. Et ces critères ne s’excluent pas mutuellement. En clair, il n’est pas dans l’intérêt de la sécurité nationale que les erreurs commises par TPSGC échappent à toute contestation et à tout examen. Aucun objectif légitime, d’ordre sécuritaire ou autre, ne sera servi si l’on permet à TPSGC d’exclure, sans distinction, toutes les obligations des accords commerciaux, y compris l’accès au Tribunal – qui est l’organisme spécialisé désigné par le législateur à titre d’autorité chargée d’examiner les contestations liées à la passation de marchés par le gouvernement fédéral –, et si l’on justifie de telles actions en se fondant exclusivement sur des autojustifications et sur des motivations obscures prétendument souveraines ou incontestables.

80.               Fondamentalement, le Tribunal exige toujours que l’entité gouvernementale qui invoque l’ESN le convainque relativement aux deux questions suivantes : 1) quel est le motif de sécurité nationale justifiant que l’on refuse aux soumissionnaires un traitement égalitaire et équitable pour ce qui est de tenir les entités gouvernementales responsables du respect des règles qu’elles ont établies dans leurs procédures de passation de marchés? 2) quel est le motif de sécurité nationale justifiant que l’on refuse aux soumissionnaires l’accès au mécanisme d’examen des marchés publics du Tribunal; ou, subsidiairement : comment le fait de contraindre un soumissionnaire à s’adresser aux cours plutôt qu’au tribunal peut-il se justifier pour des motifs de sécurité nationale? Le Tribunal a déjà précisé qu’il examinerait les réponses données à ces questions en appliquant la norme de la décision raisonnable. Mais pour ce faire, il lui faudrait d’abord disposer de telles réponses. Or jusqu’ici, dans toutes les récentes affaires qui portaient sur une invocation de l’ESN, ni TPSGC ni SPC n’ont jamais fourni quelque réponse que ce soit à ces questions, malgré les nombreuses occasions et invitations en ce sens.

81.               Compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal estime que la tentative d’invocation d’une ESN d’application générale à l’égard de la DOC en l’espèce ne témoigne pas d’un effort fait de bonne foi pour limiter l’application des dispositions sur l’ESN aux seules circonstances où ces dispositions sont rationnellement liées aux intérêts du Canada en matière de sécurité nationale. En conséquence de quoi, la requête est rejetée.

respect du DÉLAI DE DÉPÔT DES MOTIFS DE PLAINTE

82.               Dans les observations accompagnant sa plainte, Harris a affirmé avoir présenté celle-ci dans les délais voulus. Elle a soutenu qu’elle n’avait eu la possibilité de prendre connaissance des faits à l’origine de sa plainte que le 5 décembre 2017, date à laquelle s’est tenue la réunion de compte rendu.

83.               TPSGC fait valoir pour sa part que, si tant est que Harris avait eu des réserves au sujet des critères applicables dans le cadre des essais auprès d’utilisateurs, elle aurait dû les soulever au cours de la période d’invitation à soumissionner.

84.               Lors du dépôt initial d’une plainte, le Tribunal statue sur certaines questions préliminaires liées notamment au caractère complet des renseignements, à la qualité pour agir et à la compétence. L’une de ces questions préliminaires concerne le respect des délais : les plaintes doivent être déposées auprès du Tribunal ou de l’institution fédérale concernée dans les 10 jours ouvrables suivant la date où le plaignant a découvert les faits à l’origine de sa plainte. La décision initiale du Tribunal d’enquêter sur une plainte ne saurait constituer une décision définitive à l’égard de ces questions préliminaires, car, en plus de servir uniquement à des fins de contrôle préalable, elles se fondent exclusivement sur les éléments de preuve et les arguments présentés par une seule partie (le plaignant) plutôt que sur le dossier en entier. Le Tribunal n’a pas non plus l’obligation de s’en tenir aux contestations des questions préliminaires soulevées par une partie. En effet, l’article 10 du Règlement dispose expressément que « [l]e Tribunal peut ordonner le rejet d’une plainte pour l’un ou l’autre des motifs suivants : [...] c) la plainte n’est pas déposée dans les délais prévus par le présent règlement [...] ».

85.               Harris a essentiellement soulevé deux motifs de plainte. Premièrement, elle fait valoir que deux de ses articles avaient été manipulés de façon incorrecte à l’étape des essais en laboratoire, ce qui les avait endommagés, ou avait causé leur mauvais étalonnage. Selon elle, il était par conséquent injuste, de la part de TPSGC, de soumettre ces articles à des tests de performance dans le cadre des essais réalisés auprès d’utilisateurs, alors que l’on pouvait s’attendre à ce qu’ils obtiennent de piètres résultats. Deuxièmement, Harris allègue, en s’appuyant sur les variations dans les notes attribuées, que les résultats obtenus lors des essais auprès d’utilisateurs étaient basés sur des opinions incontrôlées et déraisonnables, et non sur des évaluations raisonnables, ce qui avait favorisé le fournisseur prétendument privilégié par la GRC.

86.               Ayant maintenant pu prendre connaissance de tous les éléments de preuve pertinents, le Tribunal est d’avis que l’ensemble des motifs de plainte de Harris n’ont pas été déposés dans les délais.

Essais en laboratoire

87.               Harris a déclaré, tant dans son exposé de la plainte[46] que dans sa lettre d’opposition adressée à TPSGC[47], que « [l]e 27 novembre 2017, les six articles retournés ont été inspectés par Harris[48] ». Michael Browning, l’ingénieur de Harris qui a inspecté les articles retournés, a affirmé ce qui suit dans sa déclaration sous serment du 9 avril 2018 :[49]

À l’inspection, j’ai tout de suite remarqué que la JVN n° 1204 était très xxxxx. Ce xxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx. Cela a certainement eu une grande incidence sur l’expérience de l’utilisateur. À mon avis, le xxxxxxx xxxxxxxxx a fait en sorte qu’il soit impossible d’utiliser les JVN les xxxxxxxxxxx. Il y avait également une tache noire sur le tube de gauche.

[...]

En ce qui concerne l’article n° 1204, j’ai également relevé les dommages externes suivants : à l’avant, sur le côté du tube, le couvercle de l’objectif présente des traces de dommages, lesquels sont attribuables à un impact.

À l’inspection de l’article n° 1205, j’ai constaté que le tube intensificateur d’image du côté droit était endommagé. On peut voir plusieurs traces sombres sur le tube. James Wolfe [un autre ingénieur chez Harris] m’a avisé que ces traces étaient attribuables à un impact subi par l’article, par exemple en raison d’une chute. Lorsqu’un tube subit un choc physique important, cela donnera des traînées sombres comme celles qu’on voit sur l’image. James Wolfe m’a également informé qu’il n’existe aucune autre cause connue pour ce type de dommages. Les taches sombres n’ont pas rendu l’article inutilisable, mais elles sont une source de distraction, et elles auront sans doute modifié l’expérience de l’utilisateur.

[Traduction]

88.               Dans la pièce B de sa déclaration sous serment, M. Browning a joint des photographies illustrant les problèmes de qualité décrits plus haut en ce qui concerne les articles n° 1204 et n° 1205. Les images sont précédées d’une page couverture où l’on peut lire : « images et analyses après retour du matériel, 29 nov. 2017[50] » [traduction].

89.               À la lumière des éléments de preuve qui précèdent, le Tribunal conclut que, s’agissant des articles n° 1204 et n° 1205, Harris a découvert le fait à l’origine de sa plainte au plus tôt le 27 novembre 2017, mais au plus tard le 29 novembre 2017.

90.               Selon ses dires, M. Browning a « tout de suite » remarqué que l’article 1204 était xxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx. Il a également observé des dommages aux articles n° 1204 et n° 1205, dommages ayant causé l’apparition de taches noires et de traînées sombres dans le champ de vision lors de l’utilisation de ces derniers. Il a confirmé que les « procédures d’essai internes normalisées » [traduction] de Harris lui avaient permis de croire que les articles étaient xxxxxxxxxxxxxxxx et exempts de toute détérioration au moment de leur soumission[51]. De fait, la déclaration sous serment du 5 avril 2018 de Nimesh Shah (un autre ingénieur de Harris) vient confirmer qu’avant leur envoi, Harris a procédé à l’inspection de chacun des six échantillons fournis dans le cadre de sa soumission afin de confirmer leur bon état de fonctionnement au moment de leur livraison à TPSGC[52].

91.               Par conséquent, Harris croyait ou avait des motifs de croire que les dommages et le xxxxx xxxxxxxxx observés lors du retour des articles à Harris pouvaient être attribuables à TPSGC. Toutefois, la société n’a fait état de ces motifs d’opposition et demandé une réévaluation que dans sa lettre du 19 décembre 2017, soit plusieurs jour après l’expiration du délai de 10 jours ouvrables, le 11 décembre 2017, ou – en utilisant le 29 novembre 2017 comme date de référence – le 13 décembre 2017. 

92.               Le motif de plainte de Harris concernant ses deux articles soumis à des essais en laboratoire repose sur l’argument selon lequel il est fondamentalement injuste de soumettre des articles endommagés et xxx xxxxxx à des essais auprès d’utilisateurs. Or, plus de dix jours ouvrables avant qu’elle ait soulevé la question pour la première fois, le 19 décembre 2017, Harris était déjà au fait de l’état dans lequel se trouvaient ses articles retournés par TPSGC au moment de leur arrivée. En soi, cela constituait un délai suffisant pour permettre à Harris de signaler son désaccord, si tant est qu’elle considérait la situation comme foncièrement injuste. Harris n’avait pas à attendre d’obtenir les résultats des évaluations pour présenter une opposition à ce sujet. Le Tribunal, ainsi que la Cour d’appel fédérale, a maintes fois réitéré clairement que les fournisseurs ne devaient pas adopter une attitude « attentiste » en gardant pour eux leurs objections tant qu’ils n’auront pas eu la confirmation des résultats du processus d’appel d’offres et de leurs notes finales[53]. C’est pourtant ce qu’a fait Harris : elle a choisi d’attendre de connaître les résultats des essais auprès d’utilisateurs pour les articles soi‑disant endommagés et xxxxxxx avant de déposer une opposition.

93.               Puisqu’il n’a pas été déposé dans les délais, ce motif de plainte est donc forclos.

Notation arbitraire et partiale lors des essais auprès d’utilisateurs

Position des parties

94.               Harris allègue par ailleurs que le guide de notation de l’évaluation associé à la DOC était arbitraire et partial; les allégations précises à cet égard sont énoncées dans l’annexe confidentielle jointe aux présents motifs. Selon elle, cela avait augmenté les risques que l’évaluation ait été, consciemment ou non, menée de façon à favoriser injustement le soumissionnaire retenu.

95.               TPSGC fait valoir que les arguments de Harris sont infondés, pour les raisons suivantes :

         S’agissant de la procédure de notation, tous les détails qui font aujourd’hui l’objet de la plainte de Harris – y compris les critères de notation – ont été communiqués aux soumissionnaires dans la DOC proprement dite[54]. Harris savait que son équipement serait mis à l’épreuve par de multiples utilisateurs dans le cadre de nombreux essais, où les mêmes critères d’évaluation seraient appliqués tout du long. Le classement des propositions sur le plan technique devait également être établi en fonction de la note moyenne la plus élevée. La conception même de la soumission suppose une variabilité. Si Harris avait une objection quant à ce type d’évaluation, elle aurait dû la soulever d’emblée.

         Harris n’a fourni au Tribunal aucune norme pratique qui lui permettrait de déterminer quel degré de variation dans la notation serait inacceptable. Harris concède qu’une certaine variation est valable, mais elle ne mentionne aucun principe intelligible à appliquer pour décider à quel moment un écart raisonnable entre les notes devient déraisonnable.

         Quant à l’argument relatif à un fournisseur de prédilection, TPSGC soutient que cet argument est dénué de fondement. Harris n’a présenté aucun élément de preuve révélant l’existence d’un parti pris ou d’une préférence dans le cadre de la présente demande de soumissions. Elle se fonde plutôt exclusivement sur la décision rendue par le Tribunal dans une affaire antérieure. TPSGC a déposé la déclaration sous serment de l’évaluateur technique en chef de la GRC et gestionnaire de projet responsable du marché en l’espèce, qui a déclaré sous serment qu’aucun des six évaluateurs de la GRC n’était familier avec les marchandises du soumissionnaire, ni n’avait de préférence à leur égard. La précédente acquisition effectuée auprès du soumissionnaire retenu concernait un appareil monoculaire, et non des jumelles de vision nocturne.

Analyse du Tribunal

96.               Les procédures de notation utilisées dans le cadre des essais auprès d’utilisateurs sont précisées dans la DOC; les dispositions de la DOC ayant été désignées confidentielles, les dispositions pertinentes sont présentées dans l’annexe confidentielle[55].

97.               En ce qui concerne ces procédures prévues par la DOC, le Tribunal souligne que les fournisseurs ont toujours la possibilité de poser des questions aux institutions fédérales et de leur proposer des modifications à apporter aux documents d’invitation à soumissionner. Dans le cas de la présente DOC en particulier, les demandes de renseignements étaient expressément permises[56].

98.               Rien n’indique que Harris a soumis la moindre demande de renseignements sur la présente DOC en ce qui concerne le nombre de participants aux essais par les utilisateurs, les critères d’évaluation, les directives que recevraient les participants, et le genre de variations entre les utilisateurs et entre les mêmes critères qui étaient prévues. Ce sont là les motifs fondamentaux que Harris invoque dans sa plainte aujourd’hui.

99.               Harris estime n’avoir eu une connaissance suffisante du caractère arbitraire de l’évaluation faite par chacun des utilisateurs que le 7 décembre 2017, date à laquelle TPSGC a divulgué les feuilles de notation des participants aux essais montrant les notes obtenues pour chaque unité et pour chaque critère.

100.            Le Tribunal juge cette affirmation inexacte. Au moment où la DOC a été publiée, Harris savait que de multiples participants évalueraient de multiples articles, dans le cadre de multiples essais, et selon les mêmes critères. Par définition, des variations étaient possibles, non seulement entre les utilisateurs, mais en ce qui concerne les mêmes critères (autrement, on peut se demander pourquoi les utilisateurs ont noté chaque critère séparément pour chacun des essais). Harris savait en outre que la DOC ne se voulait pas basée sur des « opinions incontrôlées ».

101.            Si Harris considérait ces deux principes incompatibles, ou si la procédure d’essai de la DOC comportait un problème inhérent, il lui incombait de présenter une opposition au moment de la publication de la DOC. La société n’aurait pas dû attendre que les essais soient terminés, et les résultats, obtenus – comme elle s’est retrouvée à le faire – avant d’alerter TPSGC au sujet du problème, ou encore de proposer une modification à la procédure de notation.

102.            En l’espèce, Harris tente, au moyen d’une analyse après coup, de justifier par toutes sortes de raisons ses résultats à l’évaluation. Et maintenant, elle trouve à redire à des activités ou à des critères dont il est évident qu’elle était déjà au courant, et au sujet desquels elle aurait dû déposer une opposition au moment où elle en a eu connaissance.

103.            Encore une fois, le fait qu’il y aurait des variations était inhérent à la procédure d’évaluation publiée dans la DOC. En effet, celle-ci informait expressément les soumissionnaires que l’évaluation serait basée sur les « perceptions » des utilisateurs. Lorsque l’on a de multiples évaluateurs, et pas de notation par consensus, les écarts attribuables à la subjectivité sont inévitables. TPSGC a tenté d’éviter que de telles perceptions tiennent de l’« opinion incontrôlée », en structurant pour ce faire le mode d’évaluation. Il devait ainsi y avoir de multiples participants pour prévenir toute partialité individuelle. Chaque personne devait s’en tenir à la fiche de notation, où il fallait répondre à des questions prédéterminées liées à des critères quantifiables et axés sur les tâches. Les notes étaient censées être additionnées de manière à ce que l’on puisse calculer la moyenne des variations individuelles. Les participants devaient ensuite répéter le processus dans des environnements d’essai différents.

104.            En substance, TPSGC a établi une procédure d’évaluation comparable à une notation par consensus, à la différence que les participants n’attribuaient pas de note finale tous ensemble. On a plutôt procédé en additionnant les notes accordées par chacun. Au même titre que les notes établies par consensus peuvent différer des notes individuelles, celles-ci peuvent varier d’un évaluateur à l’autre.

105.            Harris n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas contesté la procédure d’évaluation au moment où celle-ci avait été proposée. Elle ne prétend pas que TPSGC n’a pas suivi les étapes précisées dans la procédure d’essai auprès d’utilisateurs. Elle est insatisfaite des résultats, qu’elle trouve trop subjectifs et diversifiés. Or, ces caractéristiques faisaient partie intégrante du processus d’évaluation. Si Harris avait souhaité une procédure de notation différente, qui aurait laissé moins de place aux écarts ou qui, par exemple, aurait réconcilié ceux-ci au moyen de résultats finaux établis par consensus, elle aurait dû le demander bien avant. Mais Harris n’a présenté aucune opposition à la méthode de réconciliation prévue par la DOC (qui consiste à additionner les résultats de chaque évaluateur). Elle ne peut maintenant s’opposer pour le simple motif que les résultats du processus lui ont été défavorables.

106.            Il est à préciser qu’en plus de ne pas avoir déposé en temps opportun son opposition à la procédure d’évaluation en cause, Harris, avec son argument fondé sur les variations entre les résultats, n’a pas réussi à convaincre le Tribunal qu’une violation des accords commerciaux a eu lieu. Dans le cadre de la présente instance, les deux questions en litige (celle du respect du délai et celle d’une violation des accords commerciaux) sont liées.

107.            Harris demande au Tribunal de conclure que le processus d’évaluation de la DOC était indûment subjectif (tant au plan de sa conception qu’au plan des résultats), et elle soutient que les résultats de l’évaluation tiennent de l’arbitraire. Néanmoins, étant donné la conception de la DOC, Harris n’a pas précisé quel degré d’uniformité et de variabilité serait acceptable. Dans sa réponse concernant ce point, Harris « fait valoir que le Tribunal est en mesure d’évaluer si, en fonction de l’ensemble des faits, l’évaluation était arbitraire ou suffisamment injuste pour contrevenir aux accords commerciaux[57] » [traduction]. Mais c’est là le nœud de l’affaire : le Tribunal doit disposer d’une valeur de référence ou d’une norme objective (prévue soit par les accords commerciaux, soit par la DOC) à partir de laquelle il pourra évaluer les faits. Mais Harris n’en a soumis aucune.

108.            Ainsi, à titre de réparation, la société demande simplement une réévaluation de toutes les propositions, ou encore l’annulation de l’invitation à soumissionner, puis sa réémission. Ce qui revient, dans les faits, à demander au Tribunal de créer une nouvelle procédure d’évaluation. Ce genre de réparation diffère fondamentalement de celle accordée par le Tribunal dans une précédente affaire de demande de soumissions, soit M.D. Charlton, où le Tribunal avait interdit l’inclusion d’exigences non essentielles favorisant un soumissionnaire en particulier. Par ailleurs, une telle réparation supposerait que le Tribunal rende une ordonnance exigeant que les procédures d’évaluation relatives à la DOC prévoient une autre norme, alors que Harris n’est même pas en mesure d’en préciser une. Agir ainsi reviendrait à entraver indûment le pouvoir discrétionnaire de TPSGC d’établir ses propres procédures d’évaluation. Dans ce contexte, puisque Harris n’a pas réussi à convaincre le Tribunal que les résultats obtenus au moyen des procédures d’évaluation actuelles démontraient l’existence d’une violation des accords commerciaux, le Tribunal déclare ce motif de plainte invalide.

CONCLUSION

109.            Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que la plainte n’est pas fondée.

FRAIS

110.            Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, les frais relatifs à une enquête – même provisionnels – sont laissés à l’appréciation du Tribunal.

111.            À titre de partie ayant eu gain de cause, TPSGC a droit à une indemnité raisonnable pour les frais encourus.

112.            Pour déterminer le montant de l’indemnité en l’espèce, le Tribunal s’est fondé sur sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public (la Ligne directrice), qui prévoit trois critères pour évaluer le degré de complexité d’une cause : la complexité du marché public, la complexité de la plainte et la complexité de la procédure.

113.            En l’espèce, il ne s’agissait pas d’un marché public complexe. La DOC ne s’étalait pas sur des centaines de pages, et les biens acquis étaient de simples jumelles de vision nocturne.

114.            La plainte, en revanche, était complexe. Longue de 50 pages, elle comprenait trois motifs distincts ainsi que des centaines de pages de pièces, dont deux déclarations sous serment. La réponse de Harris au RIF, en soi, fait 187 pages, pièces jointes comprises.

115.            Quant aux procédures, elles étaient tout aussi laborieuses. Elles comprenaient notamment une requête en production de documents, une requête visant à faire rejeter la plainte pour le motif de l’ESN, des observations à propos de la confidentialité, une requête de TPSGC visant la suspension de l’instance en attendant l’instruction de sa demande de contrôle judiciaire interlocutoire, et une requête présentée par Harris afin que le Tribunal se prononce sur la preuve telle que produite. Il a également été nécessaire d’adopter le calendrier prolongé de 135 jours pour pouvoir rendre une décision. 

116.            Compte tenu de ce qui précède, le degré de complexité approprié en l’espèce serait, dans des circonstances normales, le degré 3. Cependant, le Tribunal estime que la complexité de la présente plainte est en grande partie attribuable à la conduite de TPSGC. La requête de TPSGC fondée sur l’ESN n’a pas été accueillie, et celle-ci a soulevé très peu de nouveaux arguments, mais retardé considérablement les choses. TPSGC a répété avec insistance que le Tribunal ne devrait pas examiner le bien-fondé de la plainte avant d’avoir tranché la question de la requête fondée sur l’ESN, tout en faisant, parallèlement, de nombreuses demandes de prolongation des délais pour pouvoir déposer la requête en question.

117.            À ce titre, conformément à l’annexe A de la Ligne directrice, le Tribunal détermine provisoirement que le montant de l’indemnité est de 1 150 $, ce qui correspond au degré 1 de complexité.

DÉCISION

118.            Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte n’est pas fondée.

119.            Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à TPSGC une indemnité raisonnable pour les frais encourus pour la préparation de la plainte et l’engagement de la procédure, indemnité qui doit être versée par Harris. Conformément à la Ligne directrice, le Tribunal détermine provisoirement que le montant de l’indemnité est de 1 150 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui concerne la détermination provisoire du degré de complexité et du montant de l’indemnité, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.




Jean Bédard                             
Jean Bédard
Membre présidant



[1].     M.D. Charlton Co. Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (10 août 2016), PR-2015-070 (TCCE) [M.D. Charlton] au par. 67.

[2].     Pièce PR-2018-001-01A (protégée), annexe 1, partie 1, art. 1.2 aux p. 58-59, vol. 2.

[3].     Pièce PR-2018-001-01A (protégée), annexe 6 à la p. 398, vol. 2.

[4].     Ibid., annexe 7 à la p. 401.

[5].     Ibid., annexe 17, par. 14-23 aux p. 482-483.

[6].     Ibid., annexe 10 à la p. 406.

[7].     Ibid., annexe 11 à la p. 412.

[8].     Ibid., annexe 12, par. 6-8 à la p. 428.

[9].     Ibid., annexe 13 aux p. 433-434.

[10].   Ibid., annexe 15 aux p. 440-468.

[11].   Ibid., annexe 16 à la p. 469.

[12].   Pièce PR-2018-001-01A (protégée), annexe 4 à la p. 225, vol. 2.

[13].   Ibid., par. 53 à la p. 16.

[14].   L.R.C. 1985, ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[15].   D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[16].   Accord de libre-échange canadien, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2017/06/CFTA-Consolidated-Text-Final-Print-Text-French-.pdf> (entré en vigueur le 1er juillet 2017) [ALEC].

[17].   Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/nafta-alena/fta-ale/index.aspx?lang=fra> (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALENA].

[18].   Accord révisé sur les marchés publics, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/‌french/docs_f/legal_f/rev-gpr-94_01_f.htm> (entré en vigueur le 6 avril 2014) [AMP révisé].

[19].   Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62 (CanLII) au par. 11, citant Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9 (CanLII)).

[20].   MTS Allstream Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (3 février 2009), PR-2008-033 (TCCE) au par. 26.

[21].   Integrated Procurement Technologies Inc. (14 avril 2008), PR-2008-007 (TCCE).

[22].   Pièce PR-2018-001-43, annexe A à la p. 9, vol. 1B.

[23].   Ibid., annexe B à la p. 11.

[24].   M.D. Charlton aux par. 33-35.

[25].   Pièce PR-2018-001-43, annexe C à la p. 13, vol. 1B.

[26].   Ibid., annexe D à la p. 16.

[27].   Ibid.

[28].   Pièce PR-2018-001-01A (protégée) à la p. 59, vol. 2.

[29].   M.D. Charlton Co. Ltd. (24 avril 2017), PR-2017-002 (TCCE).

[30].   Pièce PR-2018-001-43, annexe E à la p. 18, vol. 1B.

[31].   Attorney General of Canada v. Harris Corporation, 2018 FCA 130 au par. 10.

[32].   Hormis l’ESN, TPSGC n’a invoqué aucun autre motif pour justifier le rejet de la plainte.

[33].   Dans le cadre de ses commentaires sur le RIF et dans un contexte distinct, Harris a déposé une deuxième plainte concernant la procédure de passation du marché en l’espèce dans laquelle elle invoquait de nouveaux motifs. La deuxième plainte est à l’origine de l’enquête du Tribunal dans le dossier no PR-2018-016.

[34].   Hewlett-Packard (Canada) Co. c. Services partagés Canada (20 mars 2017), PR-2016-043 (TCCE) [Hewlett-Packard].

[35].   L.R.C. 1985, ch. C-5.

[36].   Voir par exemple l’alinéa 1017(1)j) de l’ALENA, l’alinéa 518(9)a) de l’ALEC et l’alinéa XVIII(7)a) de l’AMP révisé.

[37].   États-Unis – Certaines mesures visant les produits en acier et en aluminium, Demande de consultations présentée par le Canada, WTO Doc. WT/DS550/1 (6 juin 2018).

[38].   Eclipsys Solutions Inc. c. Services partagés Canada(16 février 2016), PR-2015-039 (TCCE) [Eclipsys].

[39].   Canada (Attorney General) v. Hewlett-Packard (Canada) Co., 2017 FCA 227 (CanLII). Étant donné que la plainte dans cette affaire a été rejetée au motif qu’elle n’était pas valide, le Tribunal a présenté une requête en vue de rejeter la présente demande au motif qu’elle est théorique.

[40].   Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193 (CanLII) au par. 23.

[41].   Pièce PR-2018-001-43, annexe A à la p. 9, vol. 1B.

[42].   Ibid., annexe C à la p. 13.

[43].   Pièce PR-2018-001-41 aux par. 8-9, vol. 1B.

[44].   Aux termes du paragraphe 17(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a, pour la comparution, la prestation de serment et l’interrogatoire des témoins, la production et l’examen des pièces, l’exécution de ses ordonnances, ainsi que pour toutes autres questions liées à l’exercice de sa compétence, les attributions d’une cour supérieure d’archives.

[45].   Les courts délais prévus pour l’application des procédures pertinentes de la Loi sur la preuve au Canada indiquent également qu’il s’agit là d’aspects procéduraux devant servir de compléments aux procédures engagées devant d’autres instances : voir les articles 38.03 à 38.09 de la Loi sur la preuve au Canada.

[46].   Pièce PR-2018-001-01 au par. 54, vol. 1.

[47].   Pièce PR-2018-001-01A (protégée), annexe 16 à la p. 473, vol. 2.

[48].   Le dossier n’indique pas à quel moment Harris a reçu les articles retournés, mais dans sa réponse à la lettre d’opposition de Harris, TPSGC a indiqué avoir retenu les services d’un tiers expéditeur (Rodair) pour assurer le ramassage des boîtes contenant les six jumelles Harris, le 25 octobre 2017. Ibid., annexe 4 à la p. 228.

[49].   Ibid., annexe 17, par. 15 et 20-21 aux p. 482-483.

[50].   Pièce PR-2018-001-01A (protégée), annexe 17, onglet B à la p. 487, vol. 2.

[51].   Ibid., annexe 17, par. 12-13 à la p. 482.

[52].   Pièce PR-2018-001-01, annexe 3, par. 2-3 aux p. 58-59, vol. 1.

[53].   Par exemple Radcomm Systems Corp. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (9 février 2015), PR-2014-037 (TCCE) au par. 5. Voir aussi IBM Canada Ltd. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., 2002 CAF 284 (CanLII).

[54].   Pièce PR-2018-001-01A (protégée) aux p. 90-92, vol. 2.

[55].   Ibid., annexe 1 à la p. 90.

[56].   Ibid. à la p. 60.

[57].   Pièce PR-2018-001-55, par. 103 à la p. 33, vol. 1C.

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