Enquêtes sur les marchés publics

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EU ÉGARD À une plainte déposée par Lambda Science Inc. s/n Properate aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

LAMBDA SCIENCE INC. S/N PROPERATE

Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (Loi sur le TCCE), le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux une indemnité raisonnable pour les frais engagés dans sa réponse à la plainte, indemnité qui doit être versée par Lambda Science Inc. s/n Properate. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public (Ligne directrice), le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la présente plainte correspond au degré 1 et que le montant de l’indemnité est de 1 150 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à la détermination provisoire du degré de complexité ou du montant de l’indemnité, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Membre du Tribunal :

Susan D. Beaubien

Personnel du Secrétariat du Tribunal :

Nadja Momcilovic, conseillère juridique
Zackery Shaver, conseiller juridique
Stephanie Blondeau, agente principale du greffe
Sarah Sharp-Smith, agente du greffe

Partie plaignante :

Arman Mottaghi

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques de l’institution fédérale :

Alina Cartan
Graham Campbell
Laurence Sheedy Gosselin

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

[1] Properate (anciennement Lambda Science Inc.) a déposé une plainte concernant le rejet d’une soumission qu’elle avait présentée en réponse à une demande d’offre à commandes (appel d’offres 23240-220001/A) (DOC) [1] .

[2] La DOC a été publiée le 9 août 2021 par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère des Ressources naturelles (RNCan) [2] .

[3] La DOC visait à trouver des fournisseurs capables de fournir des services et une capacité supplémentaire pour le Groupe bâtiments et renouvelables (GBR) de RNCan. Le GBR mène un vaste éventail de travaux de recherche et développement (R-D) visant à améliorer le rendement énergétique dans divers bâtiments et structures, y compris en accroissant l’utilisation d’énergies renouvelables. Ces activités de R-D comprennent l’élaboration d’études de faisabilité, la réalisation d’analyses de données, la rédaction de rapports techniques, et l’élaboration de présentations et de guides techniques [3] .

[4] La DOC sollicitait des propositions de fournisseurs potentiels pour la prestation de services à RNCan au moyen d’une offre à commandes. La nature et l’objet d’une offre à commandes ont été décrits dans la DOC comme suit :

Une offre à commandes et une offre d’un fournisseur potentiel pour l’approvisionnement de biens et/ou de services à des prix convenus à l’avance, selon de modalités établies, le cas échéant. Il ne s’agit pas d’un contrat tant que le gouvernement ne présente pas de « commande subséquente » à l’offre à commandes. (Voir le site Web d’achats et ventes.) [4] .

[5] Les soumissionnaires étaient invités à soumettre des propositions relativement à un ou plusieurs « domaines d’expertise », tels que décrits dans la DOC. L’annexe A de la DOC a identifié 32 domaines d’expertise individuels [5] , qui sont reproduits, en partie, ci-dessous à des fins d’illustration :

Résidentiel (domaine d’expertise)

1. Résidentiel – Évaluation sur le terrain et contrôle du rendement énergétique de la résidence (l’ensemble de la résidence et l’équipement spécifique et les systèmes)

2. Résidentiel – Fenêtres, portes extérieures et fenestrage

3. Résidentiel – Recherche sur l’enveloppe et évaluations

4. Résidentiel – Résidence de haute performance

5. Résidentiel – Expertise en matière de services-conseils par rapport à l’énergie

6. Résidentiel – Expertise de plan de système photovoltaïque

Catégories – Immeubles

7. Immeubles – Évaluation sur le terrain et contrôle du rendement énergétique de l’immeuble (l’ensemble de l’immeuble et l’équipement spécifique et les systèmes) pour les immeubles bas multi-résidentiels

8. Immeubles – Processus de conception intégrée

9. Immeubles – Contrôle des technologies des énergies renouvelables et des technologies

de pointe

Catégories – Communautés

10. Communautés – Collecte et analyse de données

11. Communautés – Analyse des politiques et des règlements [...]

[6] La DOC indiquait également que RNCan cherchait à obtenir jusqu’à trois offrants pour chacun des 32 domaines d’expertise. S’il est sélectionné, un soumissionnaire se verrait attribuer une offre à commandes et pourrait être appelé à fournir des services dans les domaines d’expertise prescrits pour une période de trois ans. Dès la délivrance d’une « commande subséquente » en vertu de l’offre à commandes, un contrat serait attribué conformément aux clauses et conditions uniformisées prescrites par TPSGC, qui sont incorporées par renvoi dans la DOC [6] .

[7] Les propositions des soumissionnaires devaient être évaluées en fonction de critères d’évaluation techniques et financiers. Les soumissionnaires étaient tenus d’identifier et de décrire les qualifications de chaque personne qu’ils proposaient à titre de ressource [7] . Une « ressource » s’entend de l’expertise et du travail d’une ou plusieurs personnes désignées qui fourniraient les services décrits par chaque domaine d’expertise à l’égard duquel une soumission a été présentée.

[8] Les critères techniques comprenaient certains critères obligatoires. Si une soumission répondait aux critères obligatoires prescrits, elle serait alors évaluée et obtiendrait des points en fonction d’autres critères définis par une grille d’évaluation.

[9] Après l’évaluation du mérite technique, la soumission serait ensuite évaluée en fonction de ses aspects financiers, à savoir le prix. Les soumissions conformes ayant obtenu les meilleures notes d’évaluation globales seraient retenues et se verraient attribuer une offre à commandes [8] .

[10] La DOC publiée indiquait que sa date de clôture était le 7 octobre 2021 [9] . Au cours de la période d’appel d’offres, 19 modifications ont été apportées en réponse aux questions posées par divers soumissionnaires éventuels, y compris Properate [10] . La date de clôture de l’appel d’offres a été prorogée jusqu’au 28 octobre 2021.

[11] Le 27 octobre 2021, Properate a présenté une soumission dans les délais, laquelle concernait huit domaines d’expertise [11] .

[12] TPSGC a reçu un total de 169 soumissions et a attribué 36 offres à commandes [12] . Le 4 mars 2022, TPSGC a informé Properate [13] qu’elle ne recevrait pas d’offre à commandes, car chacune de ses soumissions n’était pas conforme à l’exigence technique obligatoire M3, qui se lit comme suit :

M3 L’offrant doit démontrer, pour chacune des personnes ressources proposées, qu’elles ont un minimum de trois (3) ans d’expérience dans les dix (10) dernières années, (à partir de la date de clôture de DOC) relative à chaque domaine d’expertise (DE) pour lequel ils présentent une offre [14] .

[13] Properate a demandé un compte rendu et une explication pour le rejet de ses soumissions [15] .

[14] TPSGC a indiqué que les évaluateurs des soumissions ont conclu que les ressources de Properate ne possédaient pas les trois années d’expérience requises au cours des 10 dernières années, comme le prescrit le critère M3. L’expérience de travail de chaque ressource a été exprimée sous forme d’un énoncé, mais aucun document à l’appui, comme un curriculum vitae (CV), n’a été fourni pour permettre aux évaluateurs de vérifier ou d’évaluer autrement l’expérience que possède chaque ressource. Bien que l’expérience de projets ait été décrite, la chronologie se limitait aux projets qui semblaient avoir été achevés en 2020, en 2021 ou en 2022. Sans les dates de début de projet, les évaluateurs n’ont pas pu évaluer l’étendue complète de l’expérience de travail alléguée. TPSGC a affirmé que les renseignements fournis par Properate dans sa soumission étaient limités et insuffisants pour permettre à TPSGC de conclure que les exigences obligatoires du critère M3 avaient été respectées [16] .

[15] La lettre de refus de TPSGC a également informé Properate que des offres à commandes avaient été attribuées à d’autres soumissionnaires pour chaque domaine d’expertise pour lequel Properate avait présenté une soumission [17] .

[16] Properate était insatisfaite de l’explication de TPSGC concernant le rejet. Après que d’autres discussions avec TPSGC n’eurent pas donné lieu à un recours [18] , Properate a déposé une plainte auprès du Tribunal le 12 mars 2022 [19] .

[17] Le Tribunal a accepté d’enquêter sur la plainte de Properate le 18 mars 2022.

[18] Les soumissionnaires retenus auxquels des offres à commandes ont été attribuées dans les domaines d’expertise pertinents à la soumission de Properate ont été informés qu’une plainte contestant le résultat de l’appel d’offres avait été déposée. Le Tribunal a informé ces tiers qu’ils pouvaient demander l’autorisation de participer à la présente instance à titre d’intervenant [20] . Aucune demande d’autorisation d’intervenir n’a été déposée auprès du Tribunal.

[19] TPSGC a déposé un rapport de l’institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal le 19 avril 2022 [21] .

[20] Properate a déposé des commentaires en réponse au RIF le 26 avril 2022 [22] .

POSITIONS DES PARTIES

[21] Dans sa plainte, Properate soutenait que TPSGC avait rejeté à tort sa soumission en raison de renseignements manquants que TPSGC aurait pu demander, mais qu’il n’a pas demandés. Selon Properate, le rejet de la soumission était fondé sur une collecte inadéquate de renseignements de la part de TPSGC, plutôt que sur l’insuffisance ou la non-disponibilité de renseignements démontrant que les ressources de Properate possédaient le niveau d’expérience requis.

[22] Properate affirme que la méthode des évaluateurs pour évaluer la conformité au critère M3 n’était pas claire, puisqu’il semblait qu’ils aient examiné les dates d’achèvement de chacun des projets énumérés et attribués aux ressources proposées par Properate. Selon Properate, cela n’a pas fourni un fondement approprié pour évaluer le niveau d’expérience de Properate.

[23] TPSGC a demandé à Properate de fournir les dates de début des projets pour deux des huit domaines d’expertise. Properate a fourni ces renseignements dans les délais impartis.

[24] Properate insiste sur le fait que la DOC ne demandait pas et ne prescrivait pas que des CV devaient être fournis. Si des CV étaient requis pour évaluer la soumission, Properate indique que TPSGC aurait dû demander cette information, tout comme il l’a fait à l’égard des dates de début des projets.

[25] Properate souligne la disposition suivante de la DOC :

Dans le cas où l’offrant omet de présenter toute [sic] renseignement conformément à M1, M2 et M3 ci-dessous, l’autorité entrepreneure peut lui demander ensuite par écrit, y compris après la date de clôture de la demande de soumission. Il est obligatoire que l’offrant fournisse l’information manquante dans les trois jours ouvrables qui suivent la demande par écrit ou dans le délai plus long, comme spécifié par l’autorité contractante dans l’avis à l’offrant.

[Caractères gras dans l’original]

[26] Par conséquent, Properate soutient que les évaluateurs ont rejeté sa soumission en raison d’une mauvaise méthode fondée sur des critères d’évaluation qui n’ont pas été communiqués dans la DOC.

[27] Le deuxième motif de plainte soulevé par Properate est que l’évaluation des soumissions était déraisonnable parce que les évaluateurs n’ont pas adopté une approche « fondée sur le mérite » lorsqu’ils ont interprété les exigences du critère M3 lors de l’évaluation de la soumission de Properate.

[28] Essentiellement, la position de Properate est que les évaluateurs étaient trop préoccupés par l’expérience de travail mesurée chronologiquement, plutôt que par l’expérience quantitative fondée sur le nombre de projets. Properate explique son argument à l’aide des analogies suivantes :

Pour expliquer notre argument, nous commençons par un scénario hypothétique :

Le « client A » a embauché Properate pour effectuer deux années de travaux de 2017 à 2019, que la « personne proposée » a réalisées avec succès. Properate mentionne le projet dans les « exemples de projet » de la DOC. Le « client B » a alors embauché Properate pour effectuer deux autres années de travaux de 2019 à 2021, que la « personne proposée » a également réalisée. Properate mentionne aussi ce projet comme « exemple de projet ».

Nous croyons comprendre que les examinateurs jugeront cela acceptable pour satisfaire au critère M3 puisque cela correspond à plus de trois années d’expérience.

Modifions légèrement le scénario : et si le « client A » embauchait Properate à peu près à la même période que le « client B » pour une période de deux ans de 2019 à 2021?

Selon le processus de compte rendu, les examinateurs ne jugeront pas cela acceptable pour satisfaire au critère M3 même si l’expérience acquise est identique au scénario original. La seule différence entre les deux scénarios est que Properate a effectué une partie des travaux des jours différents.

Nous croyons que l’interprétation des examinateurs de « trois (3) ans » fait allusion à « 1 095 jours uniques ». Dans le scénario modifié ci-dessus, ils peuvent conclure que Properate a effectué des travaux pendant deux années civiles.

En revanche, nous suggérons que deux projets réalisés sur une période de deux années civiles soient considérés comme étant quatre ans [23] .

[Traduction]

[29] Properate soutient que la mesure de l’expérience à l’aide des mesures fondées sur le nombre de « projets achevés » plutôt que sur le nombre d’« années » de travail s’harmonise mieux avec l’objectif de la DOC d’assurer l’exécution rapide et rentable des projets. Par conséquent, Properate indique que sa soumission aurait dû être jugée conforme au critère M3.

[30] TPSGC a déposé un RIF comprenant des observations écrites, des copies des fiches de pointage des évaluateurs et des notes des examinateurs, ainsi qu’un bref affidavit précisant et corrigeant une erreur typographique dans l’une des fiches d’évaluation.

[31] Dans ses observations, TPSGC a soutenu que Properate n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable dans la préparation de sa soumission. Par conséquent, la soumission était incomplète et non conforme au critère M3.

[32] Bien que TPSGC ait demandé des renseignements supplémentaires à Properate, TPSGC affirme que les renseignements supplémentaires fournis étaient insuffisants ou ambigus. Par conséquent, les évaluateurs n’ont pas pu conclure que la soumission était conforme au critère M3. C’est le manque de renseignements pleinement démonstratifs requis par la DOC, par opposition à l’omission de CV, qui a amené les évaluateurs à conclure que la soumission était non conforme.

[33] TPSGC affirme que son équipe d’évaluation a tenu compte des exigences particulières du critère M3 et des renseignements fournis par Properate pour effectuer une évaluation approfondie. Étant donné que le Tribunal doit appliquer la norme de la décision raisonnable, TPSGC affirme qu’il n’y a aucun motif justifiant que le Tribunal intervienne, car Properate n’a pas démontré que le contenu de sa soumission, même complété, démontrait que les ressources proposées répondaient aux critères clairs prescrits au critère M3.

[34] De plus, TPSGC a déclaré que Properate était incertaine ou agissait sur la base d’hypothèses concernant le critère M3 et les critères d’évaluation, mais qu’elle n’a demandé aucune précision avant de présenter une soumission.

[35] TPSGC reconnaît qu’il a le pouvoir discrétionnaire de demander à un soumissionnaire de fournir des renseignements supplémentaires, mais qu’il n’est pas tenu de le faire. Il incombait à Properate d’établir comment ses ressources répondaient aux exigences claires du critère M3, ce qu’elle a fait. Par conséquent, TPSGC soutient que la plainte devrait être rejetée.

[36] À titre subsidiaire, TPSGC affirme qu’il n’y a aucune raison de conclure que Properate aurait nécessairement reçu une offre à commandes même si sa soumission avait été évaluée en fonction de tous les critères techniques. Si la plainte est accueillie, TPSGC indique que la mesure corrective à laquelle aurait droit Properate devrait se limiter à la réévaluation de sa soumission.

[37] Properate a présenté des observations détaillées en réponse au RIF. Elle soutient que le RIF donne une vision injuste et inexacte de Properate et de sa soumission pour détourner l’attention des lacunes de la DOC telle qu’elle a été rédigée. Ce faisant, Properate affirme que TPSGC a négligé ou omis de tenir compte de certains faits pertinents.

[38] Properate indique que la divulgation de TPSGC, dans le compte rendu, selon laquelle les CV auraient pu servir à satisfaire aux exigences du critère M3, constituait de nouveaux renseignements qui n’étaient pas mentionnés dans la DOC ou dans l’une de ses modifications. Selon Properate, TPSGC affirme maintenant que Properate aurait dû s’écarter de la DOC en fournissant des renseignements (c’est-à-dire des CV) que les modalités de la DOC n’exigeaient pas explicitement.

[39] Dans le RIF, TPSGC a allégué qu’il avait formulé certaines hypothèses quant à la façon dont l’expérience requise pouvait être calculée pour satisfaire aux exigences du critère M3. Cela comprenait l’exemple hypothétique de considérer les travaux réalisés dans le cadre de deux projets sur une période de deux ans qui se chevauchaient comme équivalant à quatre années d’expérience. TPSGC a qualifié ce résultat de contraire au bon sens parce qu’une personne ne peut acquérir plus d’un an d’expérience de travail au cours d’une seule année civile. Properate soutient que cet exemple visait à montrer qu’une interprétation plus large ou plus souple du critère M3 serait plus compatible avec les objectifs prévus de la DOC et serait donc conforme à une approche fondée sur le bon sens.

[40] Properate affirme que TPSGC a brossé un portrait injuste de Properate, la présentant comme un soumissionnaire qui a oublié de fournir des renseignements. Il n’y avait aucun renseignement « manquant » [traduction], puisque les CV n’ont jamais été demandés. Étant donné que la DOC prévoit que des CV doivent être fournis dans d’autres contextes, l’absence de mention des CV dans le contexte du critère M3 souligne simplement qu’aucun CV n’était requis aux fins de la conformité au critère M3.

[41] Étant donné que TPSGC a refusé la demande de modèle de soumission de Properate, cette dernière indique qu’elle n’a pu que suivre le texte littéral de la DOC.

[42] Selon Properate, il n’y avait qu’une perception de renseignements manquants et TPSGC n’a pas pu régler ce problème parce qu’il n’a pas demandé à Properate de fournir des CV, le cas échéant.

[43] La réponse au RIF affirme que le RIF s’appuie sur l’hypothèse sans fondement que les évaluateurs avaient une « connaissance parfaite » [traduction] de la DOC et qu’ils ont reçu des instructions « parfaites » [traduction] concernant l’évaluation des soumissions. Properate soutient que ces hypothèses sont injustifiées, puisque les évaluateurs s’attendaient à recevoir des renseignements qui n’étaient pas demandés dans la DOC. Les évaluateurs se sont fondés sur la prémisse de renseignements manquants et n’ont pas répondu aux demandes de renseignements qui étaient nécessaires pour effectuer un examen complet et contextuel de la soumission de Properate.

[44] Bref, Properate soutient que l’évaluation des soumissions ne devrait pas être fondée sur des critères qui ne sont pas énoncés dans le document d’appel d’offres et que les évaluateurs devraient exercer leur prérogative pour demander des précisions plutôt que de formuler des hypothèses. Elle soutient que le Tribunal devrait rejeter les arguments formulés dans le RIF parce que l’analyse de TPSGC « recommande de s’écarter du format spécifié par la DOC » [traduction], qui ne tient pas compte des « faits manquants » [traduction], comme l’a fait remarquer Properate, et que cette analyse dresse un portrait injuste de Properate.

[45] Si la plainte est accueillie, Properate est d’accord avec TPSGC que la mesure corrective à laquelle elle aurait droit devrait se limiter à la réévaluation de sa soumission.

ANALYSE

[46] La Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (Loi sur le TCCE) [24] et le Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics (Règlement) [25] confèrent au Tribunal le pouvoir de mener des enquêtes sur les marchés publics.

[47] Le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE stipule que le Tribunal peut mener une enquête lorsqu’un marché porte sur un « contrat spécifique » et qu’une plainte est déposée par un « fournisseur potentiel » :

30.11 (1) Tout fournisseur potentiel peut, sous réserve des règlements, déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte.

[48] Il n’est pas contesté que la DOC concerne un « contrat spécifique » et que Properate est un « fournisseur potentiel » au sens de l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE et du Règlement.

[49] La compétence du Tribunal englobe l’examen du processus d’appel d’offres pour s’assurer que la procédure concurrentielle de passation du marché public a été menée conformément aux exigences des accords commerciaux. La plainte de Properate est fondée sur l’Accord de libre-échange canadien (ALEC), mais ne mentionne aucune disposition particulière de cet accord qui aurait été violée.

[50] En examinant la plainte de Properate, le Tribunal a tenu compte des dispositions de l’ALEC, qui exigent que les marchés publics, y compris l’évaluation des soumissions reçues, soient menés de façon équitable, ouverte et transparente, conformément aux modalités prescrites dans les documents relatifs à l’appel d’offres [26] .

[51] Le rôle du Tribunal dans l’examen des décisions en matière de marchés publics a récemment été résumé par la Cour d’appel fédérale dans Pacific Northwest Raptors Ltd. c. Canada (Procureur général) comme suit :

[42] Northwest Raptors a soutenu que la conclusion du TCCE selon laquelle elle n’avait pas respecté le critère obligatoire O2 était déraisonnable parce que le TCCE a simplement accepté, au paragraphe 66 de sa décision, que « [l]a preuve au dossier démontre que la soumission originale de [Northwest Raptors] ne satisfaisait pas au critère obligatoire O2 ».

[43] Dans Saskatchewan Polytechnic Institute c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 16, la Cour a déclaré ce qui suit :

[7] Après avoir examiné attentivement le dossier et les observations orales et écrites du demandeur, nous ne sommes pas convaincus que le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision. Le demandeur soutient essentiellement que le Tribunal n’a pas soupesé correctement l’ensemble des renseignements contenus dans la proposition. Or, il n’appartenait pas au Tribunal de le faire dans le cadre de l’enquête relative à la plainte. Dans ce type d’enquête, son rôle est de décider si l’évaluation est étayée pas [sic] une explication raisonnable, et non de se mettre à la place des évaluateurs et de réévaluer la proposition non retenue. Le Tribunal a abordé la plainte de la bonne façon et s’est demandé si les conclusions des évaluateurs pouvaient se défendre au regard des critères publiés. Il a fait preuve de la retenue nécessaire à l’égard des évaluateurs et ses conclusions relatives à chacune des plaintes appartiennent aux issues acceptables. Bien que le demandeur soit clairement insatisfait des conclusions du Tribunal concernant trois des quatre motifs de plainte, il lui incombait, dans le cadre de la présente demande, de démontrer que la décision était déraisonnable compte tenu du dossier dont disposait le Tribunal, ce qu’il n’a pas réussi à faire.

[Je souligne.]

[44] Le rôle du TCCE n’est pas de réévaluer la proposition et les soumissions présentées par les soumissionnaires, mais plutôt de déterminer si les conclusions des évaluateurs étaient raisonnables [27] .

[Traduction]

[52] Par conséquent, il n’appartient pas au Tribunal de repenser le processus d’évaluation ou d’effectuer sa propre évaluation ou une nouvelle analyse des soumissions en substituant son opinion à celle des évaluateurs de TPSGC, comme Properate le soutient dans sa réponse au RIF.

[53] La question en litige en l’espèce est de savoir si TPSGC a déraisonnablement rejeté la soumission de Properate parce qu’elle n’était pas conforme aux exigences techniques obligatoires définies au critère M3 comme suit :

M3 L’offrant doit démontrer, pour chacune des personnes ressources proposées, qu’elles ont un minimum de trois (3) ans d’expérience dans les dix (10) dernières années, (à partir de la date de clôture de DOC) relative à chaque domaine d’expertise (DE) pour lequel ils présentent une offre.

[54] Le premier motif de plainte de Properate est essentiellement que TPSGC a rejeté la soumission de Properate en raison d’une exigence non divulguée selon laquelle un CV devait être fourni pour chaque ressource afin de se conformer au critère M3. Properate n’a pas fourni les CV des ressources désignées qu’elle proposait.

[55] Le Tribunal est d’accord avec Properate que la DOC n’exigeait pas que les soumissionnaires fournissent des CV pour établir la conformité aux critères techniques obligatoires. Toutefois, le critère M3 exige explicitement que les soumissionnaires démontrent, et non qu’ils indiquent simplement, que chaque ressource possède au moins trois ans d’expérience acquise au cours d’une période de 10 ans prescrite.

[56] En utilisant le mot « démontrer », la DOC exige que les soumissionnaires fournissent une certaine forme de preuve qui corrobore les années d’expérience alléguées. Cette conclusion est étayée par le sens ordinaire du mot « démontrer ».

[57] Les cours de justice et les tribunaux peuvent prendre connaissance d’office du sens commun des mots de dictionnaire [28] . Le terme « demonstrate » (démontrer) est, entre autres, définit comme suit dans le dictionnaire Merriam-Webster :

1 « : to show clearly » (montrer clairement) [...]

2 a : « to prove or make clear by reasoning or evidence » (prouver ou préciser par un raisonnement ou une preuve) [...]

b : « to illustrate and explain especially with many examples » (illustrer et expliquer, particulièrement à l’aide de plusieurs exemples) [...]

3 : « to show or prove the value or efficiency of to a prospective buyer » (montrer ou prouver la valeur ou l’efficacité à un acheteur potentiel) [29]

[58] Il revient au soumissionnaire potentiel de choisir et de fournir une corroboration à l’appui de l’expérience alléguée, c’est-à-dire démontrer que la ressource a effectivement acquis l’expérience requise.

[59] Le Tribunal est d’accord avec TPSGC qu’une telle corroboration pourrait prendre la forme d’un CV, mais qu’un CV n’était pas requis. D’autres formes d’éléments de preuve auraient également été acceptables, dans la mesure où il y a suffisamment de renseignements pour indiquer clairement à TPSGC que la ressource possédait le niveau d’expérience obligatoire et permettre à TPSGC de vérifier ou d’être convaincu de ces faits. Une simple déclaration ou allégation est en deçà de l’exigence de la DOC de « démontrer » le niveau d’expérience obligatoire.

[60] Ni la DOC ni l’évaluation des soumissions n’était lacunaire simplement parce que TPSGC n’a fourni aucune liste indicative ou fermée de méthodes par lesquelles un soumissionnaire pouvait démontrer son expertise. En pratique, les soumissionnaires auditionnaient et se faisaient concurrence pour le travail, et devaient démontrer qu’ils possédaient l’expertise et les compétences requises, mesurées en années d’expérience. Il incombait à chaque soumissionnaire de présenter au mieux ses qualifications, comme il lui convenait, tant que les renseignements renvoyaient aux exigences prescrites au critère M3.

[61] La DOC a laissé place à un nombre anormalement élevé de questions posées par plusieurs soumissionnaires potentiels, y compris Properate. Cela a mené à la publication de 19 modifications à la DOC. Si Properate a conclu que l’exigence du critère M3 énoncée dans la DOC visant à « démontrer » l’expertise n’était pas claire, elle aurait dû soulever la question au cours du processus d’appel d’offres. Il est bien établi que les soumissionnaires potentiels doivent contester les lacunes perçues dans le document d’appel d’offres le plus tôt possible [30] . Si TPSGC ne fournit pas une réponse satisfaisante, le soumissionnaire a le droit de déposer une plainte auprès du Tribunal. Cela s’applique également à l’affirmation contenue dans la réponse de Properate selon laquelle TPSGC n’a pas fourni à Properate un modèle à utiliser pour préparer sa soumission.

[62] Le Règlement impose des délais stricts en ce qui a trait au dépôt des plaintes relatives à des marchés publics. Il est bien établi qu’une partie plaignante potentielle ne peut pas adopter une attitude attentiste où le temps représente une condition essentielle [31] . Par conséquent, un soumissionnaire qui ne demande aucune précision du libellé ou d’autres aspects d’un document d’appel d’offres qui est présumé ambigu, puis qui procède à la présentation d’une soumission, ne sera pas en mesure de déposer ultérieurement une plainte si sa soumission est rejetée.

[63] Un examen de la partie de la soumission de Properate relative aux critères techniques obligatoires révèle que peu de renseignements sont fournis. Comme elle a été initialement présentée, la soumission ne reflétait que la date d’achèvement, mais pas la date de début de divers projets. Bien que TPSGC ait demandé et reçu des renseignements sur la date de début des projets, il a jugé que la soumission de Properate n’était pas conforme au critère M3 parce que la soumission ne contenait pas suffisamment de renseignements pour permettre aux évaluateurs de conclure que la ressource avait le niveau prescrit d’expérience de travail réelle mesurée en années.

[64] Il est tout à fait possible que la formulation du contenu des soumissions découle de l’opinion de Properate selon laquelle son expertise est mieux présentée en fonction du nombre total de projets sur lesquels ses ressources ont travaillé, par opposition à la durée cumulative de ces travaux.

[65] Malgré tout, il est bien établi que le Tribunal doit s’en remettre aux évaluations, dans la mesure où les évaluateurs se sont raisonnablement appliqués à bien évaluer les soumissions et que leur évaluation est étayée par une explication valable, même si le Tribunal ne conclut pas que cette explication est pertinente ou particulièrement convaincante [32] .

[66] En appliquant ce critère, le Tribunal conclut que les renseignements fournis dans la soumission de Properate, même lorsqu’ils sont complétés par les renseignements demandés par TPSGC au sujet de la date de début des projets, ne démontrent pas clairement le niveau d’expertise, mesuré en années, comme le prescrit le critère M3. Les notes des évaluateurs indiquent qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements pour permettre aux évaluateurs de vérifier l’expérience quantitative, mesurée chronologiquement. Le Tribunal ne peut pas déterminer que cette conclusion est déraisonnable. Il n’y a pas lieu d’intervenir.

[67] Le Tribunal se penche maintenant sur l’affirmation de Properate selon laquelle sa soumission a été rejetée à tort parce que le processus de « collecte de renseignements » [traduction] de TPSGC était lacunaire. Essentiellement, Properate soutient qu’il incombe à TPSGC de demander et de recueillir des renseignements de façon à « combler » les lacunes d’une soumission pour permettre à celle-ci de satisfaire aux critères obligatoires prescrits avant que TPSGC puisse raisonnablement conclure que la soumission n’est pas conforme.

[68] La DOC impose aux soumissionnaires l’obligation de s’assurer que le contenu de leurs soumissions est conforme aux exigences obligatoires :

4.1.1.1 Critères techniques obligatoires

L’offrant doit satisfaire aux exigences techniques obligatoires et fournir la documentation nécessaire pour favoriser la conformité.

Toute offre qui ne répond pas aux exigences techniques obligatoires suivantes sera déclarée non recevable. Chaque exigence devrait être traitée séparément.

Sauf disposition contraire expresse, l’expérience décrite dans l’offre doit correspondre à celle d’un ou plus des points suivants :

1. l’offrant lui-même (qui possède l’expérience de toute compagnie qui a formé l’offrant par voie de fusion mais, ne comprend pas une expérience acquise par un achat d’actifs ou une cession de contrat); ou

2. les filiales de l’offrant (par exemple, la société mère, affiliée, ou des sociétés soeurs, 2 maximum), fournies par l’offrant, qui identifient et démontrent le transfert du savoir-faire, l’utilisation d’outils et l’utilisation du personnel essentiel de la filiale pour le critère applicable; ou

3. ou les sous-entrepreneurs de l’offrant (2 maximum), fournis par l’offrant, qui comprend une copie de l’accord de partenariat et qui identifie les rôles et les responsabilités de toutes les parties en vertu de l’accord et comment leurs travaux seront intégrés.

L’expérience des fournisseurs de l’offrant ne sera pas examinée.

Dans le cas où l’offrant omet de présenter toute [sic] renseignement conformément à M1, M2 et M3 ci-dessous, l’autorité entrepreneure peut lui demander ensuite par écrit, y compris après la date de clôture de la demande de soumission. Il est obligatoire que l’offrant fournisse l’information manquante dans les trois jours ouvrables qui suivent la demande par écrit ou dans le délai plus long, comme spécifié par l’autorité contractante dans l’avis à l’offrant.

[...]

4.2 Méthode de sélection

Pour être jugée recevable dans tout domaine d’expertise, une offre doit :

(a) répondre à toutes les exigences obligatoires de la demande de soumission;

(b) obtenir au moins la note de passage selon les critères cotés à l’article 3.1(d) Critères cotés – Évaluation qualitative; et

(c) obtenir au moins la note de passage globale selon les critères cotés pour chaque personne. Les notes d’une personne ne peuvent pas être combinées avec celles d’une autre.

Les offres qui ne répondent pas aux éléments (a) ou (b) ou (c) ci-dessus ne feront pas l’objet d’une analyse plus poussée [33] . [...]

[69] Le Tribunal a déjà conclu qu’il incombe aux soumissionnaires de démontrer que leur soumission répond aux exigences obligatoires d’une demande de propositions et qu’elle les satisfait [34] .

[70] Fait important, le libellé de la DOC utilise un terme impératif (« doit ») pour imposer des exigences aux soumissionnaires. D’autre part, on utilise un terme permissif (« peut ») pour indiquer ce que TPSGC peut faire ou non. Bien que les modalités de la DOC permettent à TPSGC de demander des précisions ou des renseignements supplémentaires à un soumissionnaire, la DOC n’exige pas explicitement que TPSGC le fasse. Elle indique que TPSGC « peut » demander des renseignements supplémentaires à un soumissionnaire, et non qu’il « doit » le faire. Cette disposition est discrétionnaire.

[71] Par sa nature, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire signifie qu’il n’y a pas de règle fixe qui exige ou dicte une issue particulière. Le pouvoir discrétionnaire est exercé au cas par cas et peut être exercé différemment selon la situation. Toutefois, le recours au pouvoir discrétionnaire doit être raisonnable.

[72] Les décisions discrétionnaires sont examinées selon la norme de la décision raisonnable. Une décision n’est pas déraisonnable parce que des arguments sont disponibles pour appuyer une issue ou une conclusion différente. Une situation particulière, comme une décision d’exercer (ou non) un pouvoir discrétionnaire pour obtenir des renseignements supplémentaires et dans quelle mesure, peut mener à plusieurs issues possibles. Tant que la décision appartient aux issues possibles et justifiables au regard du contexte général, la décision sera raisonnable. Elle n’est pas déraisonnable simplement parce qu’un décideur différent aurait pu évaluer les facteurs pertinents différemment et en arriver à une conclusion différente [35] .

[73] Selon l’argument de Properate, le fardeau de s’assurer qu’une soumission contient suffisamment de renseignements serait inversé. Un soumissionnaire qui ne « se conforme pas aux exigences techniques obligatoires suivantes et qui fournit la documentation nécessaire à l’appui de la conformité » [traduction] ne serait pas confronté à un rejet de sa soumission, à moins que TPSGC n’ait pris des mesures pour corriger toute lacune en demandant et en recueillant de plus amples renseignements. Un tel scénario entraverait, voire supprimerait le pouvoir discrétionnaire de TPSGC en imposant une obligation de corriger les soumissions incomplètes en posant des questions aux soumissionnaires. Cela placerait également TPSGC en position d’orienter, voire de dicter le contenu des soumissions pendant l’appel d’offres afin de faciliter la tâche d’un soumissionnaire qui est en mesure de présenter sa meilleure soumission. Ce rôle de soutien et de consultation est incompatible avec le principe selon lequel un acheteur public doit demeurer neutre et impartial à l’égard de tous les soumissionnaires dans le cadre d’un marché public concurrentiel.

[74] Bien que TPSGC réponde aux demandes de renseignements des soumissionnaires pendant la période d’appel d’offres, les questions et les réponses sont publiées et mises à la disposition de tous les soumissionnaires éventuels. Il s’agit là fondamentalement d’un exercice différent que d’ouvrir et d’adapter activement des enquêtes afin de demander des renseignements supplémentaires qui compléteraient ou amélioreraient le contenu des soumissions, dans la mesure où la soumission satisfait aux critères techniques obligatoires.

[75] Par conséquent, en pratique, la portée du pouvoir discrétionnaire de TPSGC de demander des renseignements supplémentaires est limitée. Ce pouvoir discrétionnaire ne peut pas être raisonnablement exercé dans la mesure préconisée par Properate parce qu’il contreviendrait ou remplacerait d’autres exigences de la DOC qui imposent des obligations aux soumissionnaires en ce qui a trait au contenu des soumissions.

[76] Le Tribunal reconnaît que Properate est à la fois frustrée et très déçue par l’issue de l’appel d’offres et qu’il considère cette issue comme le défaut de TPSGC de fournir une aide utile. Toutefois, l’argument soulevé par Properate pose également problème lorsqu’on l’examine à travers l’autre lentille du télescope proverbial. Un soumissionnaire qui a respecté à la lettre les exigences de l’appel d’offres pourrait perdre le marché public concurrentiel au profit d’un autre soumissionnaire dont la soumission est étayée par le type d’aide de TPSGC qui, selon Properate, aurait dû être fournie en l’espèce. Dans ce scénario, le soumissionnaire perdant pourrait bien considérer la procédure de passation du marché public comme étant lacunaire parce que les actions de TPSGC seraient considérées par ce soumissionnaire comme un manque de neutralité et d’impartialité. L’exigence selon laquelle la procédure de passation du marché public doit être transparente, neutre et impartiale est une exigence fondamentale des accords commerciaux.

[77] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal ne conclut pas que TPSGC avait l’obligation de recueillir des renseignements supplémentaires auprès de Properate afin de compléter le contenu de la soumission et de s’assurer qu’elle est conforme aux exigences du critère M3. Bien que TPSGC ait exercé son pouvoir discrétionnaire de demander les dates de début des projets, il n’était pas tenu d’exercer à nouveau ce pouvoir discrétionnaire dans la mesure alléguée par Properate en ce qui a trait aux autres aspects du contenu de la soumission de Properate. Les actions discrétionnaires de TPSGC relatives à la soumission de Properate répondent aux critères de la norme de la décision raisonnable, malgré les arguments de Properate à l’effet contraire.

[78] Properate se plaint également que sa soumission a été évaluée injustement parce que TPSGC n’a pas adopté une approche fondée sur le mérite pour évaluer l’expérience et l’expertise des ressources de Properate. Elle soutient qu’une ressource qui travaille sur deux projets différents au cours d’une même période ou d’un intervalle de temps qui se chevauchent (par exemple, deux ans) peut compter chaque projet comme représentant deux années d’expérience, pour un total de quatre ans.

[79] Toutefois, cela confond les « années » d’expérience et l’expérience de « projets ». Properate soutient essentiellement que l’évaluation de l’expérience en fonction du nombre de projets, par opposition au nombre d’années travaillées, fournit une mesure équivalente, voire supérieure pour évaluer l’expertise et l’expérience.

[80] Le point de vue de Properate peut en effet avoir du mérite, mais ce n’est pas au Tribunal de trancher. La DOC aurait pu être rédigée de façon à évaluer l’expertise en fonction du nombre de « projets », plutôt que du nombre d’« années » de travail. Ce n’était pas le cas.

[81] Un acheteur public, comme TPSGC en l’espèce, a le pouvoir discrétionnaire de rédiger les conditions d’un appel d’offres pour satisfaire aux exigences opérationnelles légitimes, dans la mesure où ce pouvoir discrétionnaire est raisonnablement exercé. Cela s’étend à la prescription d’exigences techniques obligatoires [36] .

[82] En l’espèce, la DOC sert à déterminer et à présélectionner les fournisseurs potentiels qui possèdent l’expertise nécessaire pour aider le GBR, au besoin. Les exigences techniques obligatoires auraient pu être rédigées de façon à exiger que les soumissionnaires énumèrent un certain nombre de projets achevés au cours d’une certaine période, plutôt que d’exiger que les soumissionnaires démontrent l’expérience requise mesurée en « années ».

[83] Lors de la rédaction des critères obligatoires, l’acheteur public n’est pas tenu d’adapter ses exigences aux circonstances de n’importe quel soumissionnaire éventuel [37] . Le cadre choisi pour l’évaluation de l’expertise peut conférer un avantage à certains soumissionnaires, mais cela ne signifie pas que la procédure concurrentielle de passation du marché public qui en résulte est nécessairement injuste, à condition que les règles de l’appel d’offres soient appliquées uniformément à tous les participants. Pour quelque raison que ce soit, TPSGC a choisi, probablement après avoir consulté RNCan, d’utiliser les « années » comme grille d’évaluation de l’expertise, plutôt que d’utiliser l’expérience de « projets » ou une combinaison de ces paramètres, ou même de considérer explicitement les « années » d’expérience et le « nombre de projets » comme des équivalents fonctionnels.

[84] Le résultat recherché par Properate aurait exigé que TPSGC évalue au moins la soumission de Properate et établisse la conformité de celle-ci aux exigences techniques obligatoires au moyen d’une mesure (expérience de projets) qui diffère de la mesure qui a été prescrite par la DOC (années d’expérience).

[85] L’objectif d’un marché public équitable et transparent est atteint au moyen d’un processus où les mêmes règles s’appliquent uniformément à tous les soumissionnaires. Les règles régissant l’appel d’offres sont prescrites à l’avance de manière que tous les soumissionnaires éventuels en soient informés. Le Tribunal peut examiner le processus d’évaluation des soumissions pour s’assurer qu’une soumission n’a pas été injustement rejetée. Toutefois, il ne peut pas reformuler ou remettre en question les critères obligatoires définis dans les documents de soumission utilisés pour cette évaluation. Cela changerait rétroactivement les règles du jeu entre les soumissionnaires.

[86] Il n’y avait aucun critère prescrit en vertu duquel les évaluateurs de TPSGC pouvaient évaluer le mérite de l’expertise mesurée en fonction du travail quantitatif réalisé dans le cadre de projets, par opposition au nombre d’années d’expertise, qui était la mesure prescrite. Cela ne veut pas dire qu’une mesure d’évaluation fondée sur les projets n’aurait pas été appropriée pour évaluer l’expertise. Ce n’est tout simplement pas la mesure que TPSGC et RNCan ont choisi d’adopter au moment de préparer l’appel d’offres en question.

[87] L’interprétation des exigences du critère M3 préconisées par Properate pourrait être considérée comme une reformulation rétroactive de l’exigence obligatoire parce qu’elle permettrait que l’expérience de « projets » soit considérée comme équivalant aux « années » d’expérience, puisque plusieurs projets se chevauchant pour une période de plus d’un an devraient, en pratique, être comptés deux fois.

[88] Si TPSGC avait adopté l’approche préconisée par Properate, l’évaluation des soumissions aurait pu être contestée au motif que les évaluateurs avaient mal interprété la portée des exigences obligatoires ou qu’ils avaient appliqué des critères subjectifs non divulgués pour évaluer les soumissions. Dans ce scénario, les critères d’évaluation auraient été modifiés, après l’appel d’offres, sans qu’un avis complet ait été fourni à tous les soumissionnaires, dont certains auraient pu préparer leurs soumissions différemment si le critère M3 avait été rédigé différemment pour renvoyer explicitement à l’expérience de projets. Un tel processus d’évaluation pourrait alors être contesté par un soumissionnaire non retenu comme étant contraire à l’article 515 de l’ALEC qui exige que les soumissions soient évaluées et que tout contrat ne soit attribué que conformément aux critères d’évaluation spécifiés dans les avis d’appel d’offres et dans les documents relatifs à l’appel d’offres.

[89] Les allégations de Properate concernant l’iniquité ne pouvaient être vérifiées ou évaluées qu’en demandant à TPSGC de déposer un RIF. Après avoir examiné le RIF, y compris les feuilles d’évaluation des soumissions de Properate et d’autres soumissionnaires, le Tribunal ne peut pas conclure que les évaluateurs ne se sont pas appliqués à bien évaluer les soumissions ou que l’évaluation a été menée injustement. Les évaluateurs ont procédé à l’évaluation au moyen d’une grille ou d’une feuille de calcul et ont pris une décision renvoyant à chaque exigence du critère M3 pour chaque ressource et ont fourni une note explicative dans les cas où les exigences du critère M3 n’étaient pas respectées.

[90] Compte tenu de toutes les circonstances, le Tribunal ne peut pas conclure que le processus d’évaluation, ou son résultat, était déraisonnable.

[91] Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte de Properate est rejetée.

FRAIS

[92] La loi confère au Tribunal un large pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne le remboursement de frais dans le cadre d’un litige relatif à un marché public [38] .

[93] En règle générale, les frais suivent habituellement l’issue de la cause [39] . Comme TPSGC a eu gain de cause et demande un remboursement de frais, le Tribunal lui accorde à titre provisoire le remboursement des frais raisonnables relatifs à la procédure de plainte.

[94] Les questions en litige étaient ciblées et n’étaient pas particulièrement complexes. Par conséquent, le Tribunal a déterminé de façon provisoire que les frais relatifs à la présente enquête relèvent du degré 1 de la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public du Tribunal.

[95] Le Tribunal conclut que les frais sont à la fois préliminaires et provisoires. Les parties peuvent présenter des observations sur les frais dans les 15 jours suivant la date de publication du présent exposé des motifs. Après avoir reçu et examiné les observations des parties, le Tribunal rendra une ordonnance définitive concernant les frais.

DÉCISION

[96] Compte tenu des présents motifs et aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte n’est pas fondée.

 



[27] Pacific Northwest Raptors Ltd. c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 76 aux par. 42–44. Au moment de la traduction vers le français des présents motifs du Tribunal, cet arrêt n’avait pas encore été traduit par la Cour d’appel fédérale. Il s’agit donc d’une traduction libre.

[29] Merriam-Webster Dictionary, en ligne : <https://www.merriam-webster.com/dictionary/demonstrate>. Le texte entre parenthèses et sans italiques est une traduction libre vers le français de l’entrée au dictionnaire.

[34] Madsen Power Systems Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (29 avril 2016), PR‐2015‐047 (TCCE) aux par. 64–65; Francis H.V.A.C. Services Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (2 septembre 2016), PR-2016-003 (TCCE) aux par. 36, 40.

[37] Voir, par exemple, Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193 aux par. 40–41; Valley Associates Global Security Corporation c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (23 juillet 2020), PR-2019-060 (TCCE) aux par. 7577; Polaris Inflatable Boats (Canada) Ltd., (14 mai 2001), PR‐2000‐044 et PR-2000-049 à PR-2000-053 (TCCE).

[38] Article 30.16 de la Loi sur le TCCE; Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, 2003 CAF 199 [Georgian College] au par. 26.

[39] Georgian College au par. 28; Canada (Procureur général) c. Educom TS Inc., 2004 CAF 130 au par. 11.

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